Les gauches argentine et péruvienne face au lawfare et au « néolibéralisme par surprise »

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Si nous pouvons constater que l’Amérique latine est traversée par une nouvelle “vague rose” caractérisée par l’arrivée au pouvoir de gouvernements critiques vis-à-vis du l’idéologie néolibérale dans la majorité des Etats du continent depuis l’élection d’Andrés Manuel Lopez Obrador à la tête du Mexique au mois de décembre 2018, les gouvernements issus de cette dynamique en Argentine et au Pérou sont, à des degrés divers, particulièrement fragilisés à l’heure actuelle. En effet, Cristina Fernandez de Kirchner, qui a été élue vice-présidente de l’Argentine aux côtés d’Alberto Fernandez en 2019 après avoir dirigé le pays entre 2007 et 2015, a été condamnée le 6 décembre dernier à une peine de six ans de prison, ainsi qu’à une inéligibilité à vie après avoir été déclarée coupable d’avoir eu recours à des pratiques d’ “administration frauduleuse” dans le cadre de l’octroi de parts de marché dans la province de Santa Cruz qu’elle a représenté au Sénat argentin entre 2001 et 2005. Dès le lendemain de cette condamnation, c’est au tour du président péruvien Pedro Castillo, lui aussi élu sur une base programmatique visant à rompre avec l’organisation néolibérale de l’économie en 2021, d’être destitué par le Parlement. Cette destitution survient après que le dignitaire de gauche ait annoncé la dissolution de ce même Parlement, malgré le fait que la Constitution ne l’autorise alors pas à appliquer une telle mesure. A l’heure où nous entendons tout et son contraire au sujet de ces deux affaires, il apparaît alors nécessaire de se pencher en détails sur les différentes dynamiques ayant conduit à ces deux événements qui pourraient être caractéristiques d’un reflux de la vague progressiste dans ces deux Etats.

La démocratie argentine vacille sous les coups du Lawfare.

“La sentence était écrite. L’idée était de me condamner”, affirme Cristina Kirchner à l’issue du verdict rendu. Force est de constater que la manière dont s’est déroulé le processus judiciaire conduisant à cette sentence semble effectivement lui donner raison. Tout débute au mois de novembre 2008 par une plainte déposée par Elisa Carrio, qui n’est autre que l’adversaire de Cristina Kirchner au second tour du scrutin présidentiel qui s’était tenu un an auparavant. Accompagnée de plusieurs parlementaires issus de la Coalition civique, une coalition politique centriste fondée en 2007 en vue d’appuyer sa candidature face à la candidate de gauche qui sera finalement élue, elle accuse alors Nestor Kirchner, président de gauche sortant et époux de Cristina Kirchner, d’avoir octroyé un certain nombre de contrats publics à l’entrepreneur Lazaro Baez à des prix surestimés. En d’autres termes, il est alors accusé d’avoir mis en place un système de détournement de fonds publics en rémunérant à des prix surévalués les activités de construction d’infrastructures publiques routières réalisées par cet entrepreneur au sein de la province de Santa Cruz, le surplus relatif à ces financements étant, selon ces parlementaires, répartis entre Kirchner, Baez et plusieurs de leurs proches tels que Julio Miguel De Vido, ex Ministre de la Planification Fédérale. Il n’est ici pas inutile de préciser que Cristina Kirchner ne figure pas dans cette liste d’accusés lorsqu’éclate cette affaire alors prise en mains par le juge fédéral Julian Ercolini. Par ailleurs, celui-ci se déclare très vite inapte à faire la lumière sur cette affaire, arguant du fait que c’est à la Justice de Santa Cruz de se prononcer dans la mesure où : “la Direction Nationale de la Voirie a délégué à l’Administration Générale de la Voirie Provinciale” la gestion de la concession de contrats publics à Lazaro Baez. Or, il se trouve qu’en 2015, le juge d’instruction chargé du traitement de cette affaire déclare explicitement qu’il ne dispose d’aucune preuve lui permettant d’affirmer que les délits dénoncés à travers les accusations de la Coalition civique existent réellement.

Cependant, l’affaire revient quelques mois plus tard sur la table sous l’impulsion de Javier Iguacel, nommé à la tête de la Direction Nationale de la Voirie suite à l’élection du libéral Mauricio Macri à la présidence de l’Etat argentin. Ce dernier décide en effet d’engager un audit de l’ensemble des concessions publiques octroyées à Lazaro Baez dans la province de Santa Cruz. Et c’est là que le bât blesse. Si cet audit affirme noir sur blanc que : “Les erreurs de certification de travaux publics observées ne sont pas considérées comme significatives au regard de la magnitude des travaux en question”, celui-ci décide malgré tout de déposer une plainte auprès de la justice fédérale de Buenos Aires en vue de dénoncer ces erreurs de certification. Et cette fois-ci, Cristina Kirchner est placée sur le banc des accusés sur la base du simple motif d’ “association illicite” à des pratiques de corruption. Dans cette perspective, l’un des seuls arguments sur lesquels repose sa condamnation récemment officialisée est le fait qu’en tant que Première Dame, elle était indubitablement informée des agissements de corruption auxquels a pu avoir recours son époux, ce qui, nous en conviendrons, représente une preuve quelque peu insuffisante pour justifier le bien-fondé d’une affaire judiciaire de cette envergure.

Par ailleurs, une rapide analyse du profil des juges chargés de la gestion de cette affaire nous conduit nécessairement à nous interroger sur leur véritable attachement à l’idéal de justice. En effet, c’est notamment Julian Ercolini, qui s’était pourtant déclaré incompétent à traiter cette affaire 7 ans auparavant, qui décide de prendre en mains la plainte déposée par la Direction Nationale de la Voirie en 2015. Et ce, alors même que son épouse, Julia Kenny, occupe alors le poste de porte-parole de German Garavano, ministre de la Justice au sein du gouvernement Macri, ce qui représente un risque de conflit d’intérêt évident. Et les atteintes portées au principe d’indépendance de la justice ne s’arrêtent pas là. En effet, il se trouve que Carlos Belardi, l’avocat chargé de défendre Kirchner, n’est pas autorisé par la Cour de Cassation à assister au tirage au sort des membres du tribunal chargé de trancher cette affaire. Or, les conséquences de ces nominations opaques sont loin d’être anodines. En effet, Rodrigo Giménez Uriburu, président de ce tribunal, s’avère être un proche de Mauricio Macri, comme le révèle le quotidien Pagina 12 qui publie, le 8 août 2022, des photos montrant ce dernier, ainsi que Diego Luciani, le procureur de cette affaire, réunis pour un match de football au sein d’une ferme appartenant à l’ex-président argentin(1). Ces relations entre les juges chargés de l’affaire Kirchner et l’un de ses principaux opposants politiques ne sont pas sans rappeler la proximité entre Jair Bolsonaro et le juge Sergio Moro, qui s’est vu nommer au poste de Ministre de la Justice au sein du gouvernement formé par le président de droite radicale seulement 6 mois après avoir condamné Lula pour corruption.

A l’image de la droite brésilienne en 2016, nous pouvons ainsi constater que son homologue argentine cherche à s’appuyer sur des motifs judiciaires en vue d’écarter de la scène politique la figure de gauche la plus populaire à l’approche des prochaines élections présidentielles qui doivent se tenir au mois d’octobre 2023. En effet, bien que Kirchner ait annoncé, suite à l’officialisation de sa condamnation, son choix de ne pas présenter sa candidature lors du prochain scrutin présidentiel, elle serait, selon une enquête d’opinion publiée le 21 octobre dernier par l’institut Pérez Aramburu y Asociados(2), la personnalité de gauche disposant du plus important potentiel électoral dans la mesure où 30% des sondés déclarent être certains ou du moins, ouverts à l’idée de lui apporter leur suffrage en cas de candidature, loin devant les 29 et 19% d’opinions favorables respectivement obtenues par Sergio Massa, actuel Ministre de l’Economie argentin, et Alberto Fernandez. A l’image de l’affaire Lula au Brésil, cette condamnation est ainsi représentative du processus de lawfare, qui désigne une instrumentalisation de la justice à des fins politiques, un instrument auquel ont recours de plus en plus systématiquement les droites conservatrices latino-américaines en vue de discréditer et marginaliser leurs opposants progressistes. Or, de même qu’au Brésil, cette immersion des juges dans la sphère politique depuis plusieurs années vient fragiliser le pacte démocratique argentin, ce qui conduit à une polarisation exacerbée de la société qui s’est notamment traduite par la tentative d’assassinat de Cristina Kirchner au mois de septembre 2022. C’est une polarisation politique d’une intensité similaire qui a conduit à l’exacerbation de la crise politique péruvienne.

La destitution de Castillo : de l’ “autogolpe” au “néolibéralisme par surprise”.

Depuis son élection à la présidence du Pérou au mois de juillet 2021, Pedro Castillo fait en effet face à des tentatives répétées de déstabilisation de la part de la droite qui cherche, par tous les moyens, à limiter les marges de manœuvre dont il pourrait disposer en vue d’appliquer son programme. Dès la proclamation des résultats par le Jury National des Elections (JNE), Keiko Fujimori, candidate de la droite conservatrice et autoritaire ayant affronté Castillo lors du second tour de ce scrutin, s’appuie sur le fait que seulement 44000 voix la séparent de son opposant de gauche afin de l’accuser d’avoir eu recours à une fraude électorale. Ainsi, si les droites brésilienne et argentine s’appuient sur une instrumentalisation à des fins politiques de motifs judiciaires, la stratégie adoptée par leur homologue péruvienne à l’issue du dernier scrutin présidentiel est caractéristique d’une seconde forme de judiciarisation de la sphère politique qui se traduit par la diffusion dans l’espace public de suspicions de fraude électorale. C’est ainsi que l’objectif affiché de préserver la démocratie en garantissant la transparence des processus électoraux représente paradoxalement un instrument utilisé par les droites latino-américaines en vue de contourner le résultat de processus démocratiques. Si Fujimori et ses soutiens sont finalement désavoués par l’ensemble des missions électorales présentes lors du second tour qui attestent du fait que cette élection a bel et bien été libre et transparente, ceux-ci ne s’arrêtent pas là. Le 28 mars 2022, plusieurs parlementaires de droite enclenchent une procédure de destitution à l’encontre de Castillo en s’appuyant sur des accusations de corruption relayées à son encontre par une lobbyiste qui s’avère en réalité avoir participé au financement de la campagne de Fujimori(3). Si cette motion de destitution n’obtient finalement que 55 voix – loin des 87 nécessaires, Castillo échappe de nouveau à une deuxième procédure de destitution au mois de novembre.

Ces tentatives répétées de déstabilisation sont renforcées par une importante instabilité gouvernementale depuis l’élection de Castillo. En effet, celui-ci a opéré à 4 changements de gouvernements et, par conséquent, à autant de changements d’orientation politique, en moins d’un an et demi. Cela s’explique par les démissions à intervalles rapprochés de plusieurs présidents du Conseil à la suite de révélations d’affaires judiciaires ou de désaccords politiques apparus au gré des réorientations gouvernementales, rendues pourtant indispensables par la nécessité de s’assurer le vote de confiance de la part d’une majorité de parlementaires dans un Congrès dominé par l’opposition de droite – qui dispose de 75 parlementaires sur 130. Le remplacement, dès le 20 août 2021, du chancelier Hector Bejar, intellectuel marxiste favorable à l’impulsion d’une réorientation significative de la diplomatie péruvienne, par Oscar Maurtua, un diplomate plus modéré désireux de revenir à une diplomatie plus traditionnelle, est représentatif de ces errements idéologiques caractéristiques de l’étroite coalition hétéroclite sur laquelle repose le maintien de Castillo au pouvoir depuis un an et demi. Ce premier revirement ouvre la voie à la nomination d’un certain nombre de personnalités politiques qualifiées d’indépendantes ou issues de partis de droite ou de centre-droit, à l’image de Heidy Juarez, qui occupe le poste de Ministre de la Femme et des Populations vulnérables au sein du dernier gouvernement Castillo, ce qui conduit ce dernier à s’aliéner progressivement une majorité des partis de gauche ayant permis son accession au pouvoir, au premier rang desquels le parti marxiste-léniniste Pérou Libre duquel il est issu.

C’est alors que, dos au mur et exposé à la menace d’une troisième procédure de destitution, Castillo précipite sa chute en annonçant la dissolution du Congrès péruvien le 7 décembre 2022. Il justifie alors cette décision par sa volonté de convoquer, dans un délai maximal de neuf mois, un nouveau Congrès qui se chargerait de rédiger un nouveau texte constitutionnel qui viendrait se substituer à l’actuelle Constitution héritée du régime autoritaire d’Alberto Fujimori. Cet acte peut s’expliquer par le fait que le texte constitutionnel actuellement en vigueur limite de manière significative les marges de manœuvre dont il dispose en vue de réorienter la politique économique péruvienne. En effet, un ensemble de principes néolibéraux y sont érigés en principes constitutionnels, à l’image de l’interdiction de la dénonciation des Traités bilatéraux d’investissements (TBI) conclus entre le Pérou et d’autres Etats en vue de favoriser les investissements d’entreprises privées issues de ces Etats au sein du territoire péruvien. Or, afin de pouvoir convoquer une Assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle Constitution, il est nécessaire d’obtenir au préalable l’approbation du Congrès péruvien ce qui s’est avéré impossible à plusieurs reprises depuis le début de la présidence de Castillo.

Si, dans un tel contexte, la dissolution du Parlement péruvien peut alors apparaître comme la seule solution en vue de tenter d’obtenir une Assemblée plus favorable à la rédaction d’une nouvelle Constitution, celle-ci est cependant contraire à la Constitution actuellement en vigueur. En effet, d’après l’Article 134 de ce texte constitutionnel : “Le Président de la République est habilité à dissoudre le Congrès si celui-ci a censuré ou refusé la confiance à deux Conseils des ministres”, ce qui, malgré les tentatives de déstabilisation répétées de la droite, n’est en l’occurrence pas le cas. Il n’en faut pas moins pour qu’une grande partie des membres du gouvernement Castillo se désolidarisent de cette décision et annoncent immédiatement leur démission. De ce point de vue, la réaction de Dina Boluarte, élue vice-présidente aux côtés du président péruvien au mois de juillet 2021, est notable. En effet, celle-ci se fend d’un tweet particulièrement critique dans lequel elle accuse Castillo de s’être rendu coupable d’un : “coup d’Etat qui aggrave la crise politique et institutionnelle que la société péruvienne devra surmonter dans le strict respect de la loi”. Il est vrai que cette tentative désespérée de Castillo peut s’apparenter à une forme d’ “Auto-coup d’Etat” dans la mesure où il opère à une rupture de l’ordre constitutionnel en vue de prendre la possession de la quasi-totalité des pouvoirs de l’Etat. En effet, il annonce également qu’il gouvernera par décret le temps que de nouvelles élections soient organisées en vue de désigner un nouveau Congrès chargé d’entamer un processus constitutionnel. Si nous ne pouvons réellement savoir si cette décision s’apparente à une volonté de rompre avec un ordre constitutionnel hérité d’un régime autoritaire ou, à l’inverse, d’imposer simplement de manière autoritaire son projet politique, toujours est-il que le fait de gouverner par décret pour une durée qui n’est pas clairement déterminée représenterait une entrave à la séparation des pouvoirs.

Il n’en faut pas moins pour que le Congrès se réunisse en urgence pour se prononcer sur une nouvelle motion de destitution pour “incapacité morale” qui est, cette fois-ci, adoptée à une large majorité dans la mesure où 101 parlementaires, y compris de gauche, se prononcent en faveur de cette motion. Pedro Castillo se voit alors arrêter par son garde du corps quelques heures plus tard et ce, alors même que le président mexicain Andrés Manuel Lopez Obrador lui avait accordé l’asile politique dans la foulée. Suite à cette arrestation, Dina Boluarte prête serment devant le Congrès péruvien et remplace ainsi Castillo à la tête du pays. Cependant, son accession au pouvoir ne permet pas de pacifier la situation, bien au contraire. En effet, depuis cet événement, d’importantes mobilisations sociales se tiennent à l’initiative de syndicats agraires, ainsi que d’organisations sociales paysannes et indigènes en vue de manifester leur rejet du nouveau gouvernement mis en place par Boluarte, mais également leur souhait de voir le désormais ex président remis en liberté. Entre 1000 et 2000 personnes se sont notamment réunies le dimanche 11 décembre devant le Parlement en vue de demander la libération de Castillo.

Ce mécontentement peut s’expliquer par le fait que Dina Boluarte semble tourner le dos au projet politique qui avait été démocratiquement plébiscité lors du dernier scrutin présidentiel péruvien. En effet, à peine arrivée au pouvoir, elle a annoncé sa volonté de constituer un gouvernement “technique” n’incluant aucun parlementaire. En d’autres termes, pour paraphraser le juriste Alain Supiot, Boluarte privilégie la gouvernance par les nombres au gouvernement(4), c’est-à-dire qu’elle promeut un idéal fondé sur la réalisation efficace d’objectifs mesurables et utiles plutôt que la défense d’une puissance publique chargée d’assurer, par la loi, la justice et la réduction des importantes inégalités économiques et sociales qui fracturent la société péruvienne. De ce point de vue, si nous ne pouvons pas appuyer la thèse selon laquelle l’arrivée au pouvoir de Boluarte résulte d’un coup d’Etat parlementaire dans la mesure où la destitution a été adoptée conformément au cadre constitutionnel péruvien, il n’en demeure pas moins qu’elle est caractéristique d’une forme de “néolibéralisme par surprise” pour reprendre l’expression utilisée par Susan Stokes en vue de désigner l’ensemble des gouvernements appliquant des mesures néolibérales, après avoir été élus sur la base de programmes diamétralement opposés. Ceux-ci compensent alors le manque de légitimité démocratique de leur action par l’instrumentalisation d’affaires judiciaires, corrélée à la mise en place d’importantes campagnes médiatiques visant à discréditer leurs adversaires politiques auprès de l’opinion publique.

Nous ne pouvons qu’espérer qu’au lieu d’emprunter cette voie qui conduirait à fracturer une société déjà extrêmement polarisée, Boluarte s’en tienne plutôt aux priorités notamment exposées par Lula dans le communiqué publié en réaction à sa nomination. En effet, ce dernier y met l’accent sur la nécessité de rechercher, avant toute chose, la réconciliation du pays et la paix sociale. Deux objectifs que le Pérou partage notamment avec l’Argentine et le Brésil, deux autres pays dans lesquels le pacte démocratique a été tout autant fragilisé par les mécanismes de judiciarisation de la sphère politique.

Références

(1)Pagina 12, “Los partidos de futbol del fiscal Luciani y el juez Giménez Uriburu en la quinta de Macri”, 08/08/2022; https://www.pagina12.com.ar/447454-juicio-contra-cristina-kirchner-los-partidos-de-futbol-del-f

(2) La      Nación,      “Cristina     Kirchner      2023:      ¿una      realidad     o       una    utopía?”,    08/11/2022 ; https://www.lanacion.com.ar/opinion/cristina-kirchner-2023-una-realidad-o-una-utopia-nid08112022/

(3) RFI, “Procédure de destitution au Pérou : “des ficelles qui ressemblent à celles de la déstabilisation”, 28/03/2022 ; https://www.rfi.fr/fr/podcasts/journal-d-haïti-et-des-amériques/20220328-procédure-de-destitution-au-péro u-des-ficelles-qui-ressemblent-à-celles-de-la-déstabilisation

(4)  SUPIOT Alain, La gouvernance par les nombres, Fayard, 18 mars 2015.

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« Le peuple, qui ne se laisse pas prendre aussi aisément qu’on ne l’imagine aux vains semblants de la liberté (…) On voudrait qu’il allât voter, là où l’on a cru devoir conserver la vaine image d’une élection : il s’entête à s’abstenir. »
Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution

L’accélération de la désertion des urnes par les électeurs, ces cinq dernières années, me rappelle le désarroi de Saint-Just découvrant, au pire moment de la Révolution, la glaciation de l’élan populaire qui la portait. Aujourd’hui, c’est la démocratie née de cette Révolution, en 1793 et non 1789 comme on le croit souvent, qui semble glacée(1)

Glacée, parce que le peuple, détenteur de la souveraineté nationale mais privé du pouvoir de l’exercer par référendum depuis mai 2005 (2), refuse de plus en plus de désigner les représentants pouvant l’exercer à sa place. Ainsi, on se prend à douter du caractère démocratique de la République, telle qu’elle fonctionne en France, aujourd’hui.

Un régime où représentants et représentés se tournent le dos peut-il être une démocratie ? Qu’on en juge.

S’agissant de la « mère des batailles politiques » en France – l’élection présidentielle dont dépend indirectement les résultats des législatives – constatons que les votes, exprimés par rapport aux inscrits, ne cessent de baisser ; cela depuis 1981 où la mobilisation de la Droite et plus encore de la Gauche, autour de projets politiques radicalement opposés, fut maximale.

Quarante ans plus tard, au second tour des présidentielles, en 2017 puis en 2022, plus du tiers des électeurs inscrits ne s’exprimera pas (3) ; près du double par rapport à 1981. C’est le plus haut d’abstention dans la Vème République, exception faite des élections de 1969 où les électeurs de gauche refusèrent clairement le choix forcé qui leur restait (4)

S’agissant maintenant des scores des candidats élus, malgré un mode de scrutin autorisant seulement le maintien de deux candidats au second tour, aucun, à l’exception de Jacques Chirac dans des conditions très particulières (5), aucun n’a atteint 50% des inscrits. Même le Général de Gaulle, mis en ballotage au premier tour des élections de 1969, dû se contenter de 47,3% au second tour, malgré une participation élevée (6).

 La dernière élection présidentielle, elle, cumulera un taux inusité de non-participation (34,04%) et un score particulièrement faible pour le candidat élu (38,5%), le plus faible de la Vème République (exception de l’élection de 1969). Elle montre aussi que l’épouvantail de l’accession au pouvoir de l’extrême droite en France, faisant de moins en moins peur, ne suffit plus à garantir la réélection d’un candidat du « changement dans la continuité » (7) ; d’un des chevaux de tête de l’étrange attelage qui gouverne la France depuis quarante ans, d’accords sur l’essentiel – assurer la conservation du système en place -, en compétition pour le pouvoir. Entre les 4,570 millions de voix (11,5% des inscrits) au premier tour en 1995 et les 13,300 millions de voix qui se sont portées sur Marine Le Pen (28% des inscrits) en 2022, la progression est impressionnante (8).

Que l’assise populaire d’un président disposant de plus de pouvoirs que celui des USA (9) se limite à un gros tiers des électeurs inscrits (10) suffirait à faire douter du fonctionnement démocratique de la Vème République. Ce seul chiffre pourtant n’aurait qu’une importance relative si le dit pouvoir, était partagé entre plusieurs pouvoirs légitimes, l’équilibrant avec le Parlement représentant naturel de la diversité des opinions et contre-poids classique de l’exécutif. Cela aurait pu être envisageable, si au fil du temps des réformes constitutionnelles et des pratiques (comme la relégation au vestiaire de l’appel direct au peuple par le référendum ou la dissolution extraordinaire de l’assemblée (11)) le Président ne s’était pas imposé de fait comme le chef de la majorité parlementaire, en partie depuis 2002 avec la réforme Chirac-Jospin (12).

Quant à la fragile « indépendance » de « l’autorité judiciaire », elle est suspendue au courage et à l’abnégation des seuls magistrats dont l’éthique personnelle passe avant la carrière, ce qui ne va pas de soi. Quant au pouvoir administratif, il peut servir aussi bien à l’enfermement, par mesure de sécurité de suspects jugés dangereux aux « doigts mouillés », qu’à la couverture abusive par le secret défense de la gestion d’une épidémie..

Dire qu’il n’y a aucune division des pouvoirs en France n’est donc pas exagérée et pourrait expliquer, en grande partie l’augmentation irrésistiblement depuis 1981 du refus de participation (abstention et votes blancs et nuls) aux élections. Durant les deux septennats de François Mitterrand, au second tour, ce refus de participation reste de l’ordre de 25% ; la barre des 30% est franchie durant les années 1990, celle des 40% en 2002 (42%), avant de franchir la barre symbolique des 50% sous les deux quinquennats d’Emmanuel Macron : 62,3% en 2017 et 57,3 % en 2022. Soit plus qu’un doublement en 50 ans.

Au second tour des élections législatives de 2017, le refus de participation atteindra 62,3 % des inscrits, du jamais vu pour une consultation de cette importance !

En clair cela signifie que 32,8 % seulement des électeurs inscrits en 2017 et 42,7% en 2022 ont choisi leur candidat à l’Assemblée nationale, soit un score moyen de l’ordre de 20 % à 30% pour les heureux élus, selon l’année !

Merveilleux système qui transforme une poignée d’électeurs en majorité suffisante pour soutenir le président de la République en place, comme l’ont amplement confirmé les dernières élections législatives !

Ainsi malgré l’écrasante défaite en juin 2022 de la majorité sortante qui, avec 250 élus (43,3% des exprimés) perd la majorité absolue rituellement octroyée aux formations soutenant le président de la République, le parlement est resté à la main du pouvoir élyséen. Que la tâche des chargés de la maintenance du système en soit plus compliquée ne rend pas celui-ci plus démocratique.

Dès la session extraordinaire qui a suivi les élections, on a rapidement compris qu’aucun retour aux « errements » de la IVème République n’était en vue. Les lamentations des chiens de garde du système étaient prématurées. En son temps, de Gaulle avait expliqué à Alain Peyrefitte que, (13) « cette constitution a été faite pour gouverner sans majorité » plus exactement tant que n’existe pas une majorité de remplacement. Le bateau élyséen a donc pu poursuivre son cabotage, comme si de rien n’était.

Le rejet du projet de loi de règlement du budget et des comptes de 2021 mis à part, tous les textes inscrits à l’ordre du jour de la session extraordinaire de juillet 2022 ont donc été votés (14). Que le soutien de 16,8 % des électeurs inscrits (15) produisant 42,3% des sièges suffise au président de la République française pour gouverner est un vrai miracle de la multiplication des voix. Même en tenant compte des ralliés à la cause présidentielle, on peut comptabiliser 262 sièges – à 27 voix de la majorité absolue – pour un score de 17,3% des inscrits.

De plus, les résultats des dernières élections territoriales ne rassurent pas davantage sur l’état de la démocratie locale en France, même si les conditions abracadabrantesques (16) dans lesquelles elles se sont déroulées, particulièrement les municipales, invitent à la prudence dans l’interprétation des résultats.

La particularité de ces municipales fut évidemment le découplage du premier tour, à la date prévue du 15 mars 2020, et du second reporté au 20 juin pour cause d’épidémie de covid19.

Le refus de participation de 53,3% des inscrits au premier tour (+13,3% par rapport à 2014) grimpera à 58,4% en juin au second. A noter que la participation demeure sensiblement plus faible dans les grandes communes que dans les petites. Les 4827 communes assujetties à un second tour regroupent, en effet, ces grandes communes, alors que les 30143 autres ont élu leur conseil municipal dès le premier. Un résultat confirmant ceux des études antérieures, montrant toutes, que les taux d’inscription sur les listes électorales comme ceux de la participation aux élections, sont inversement proportionnels à la taille des communes.

A noter enfin que, contrairement aux élections présidentielles et législatives, la régression du score du RN (17), a été compensé par la confirmation de son ancrage là où il disposait déjà d’élus.

Cette tendance au désengagement des électeurs se confirmera brutalement aux régionales et départementales reportées au 20-27 juin 2021, la menace sanitaire se relâchant : un refus de participation de 69,4% et de 68,2% au second, soit + 16% par rapport à 2015 au premier tour et +15,6% au second !

Au soir des batailles.

Invariablement, au lendemain de chaque scrutin ressortent des tiroirs médiatiques et des officines spécialisées les mêmes explications de cette tendance au désengagement des électeurs. Les deux plus courantes sont : la complexité de la procédure de vote à commencer par l’inscription sur les listes électorales et l’inusable théorie des adversaires de la démocratie, le faible intérêt du peuple pour la chose publique ; jadis pour les raisons suivantes : garde d’enfants, obligation de travailler ou restauration de sa force de travail ; aujourd’hui pour consommer et se divertir. La société du loisir et du divertissement aurait remplacé celle du travail et de la lutte des classes. Explications dont aucune ne résiste à l’examen.  

Invoquer des difficultés d’inscription sur les listes électorales, c’est ignorer les simplifications de ces dernières années. Jamais il n’a été aussi facile de s’inscrire sur les listes électorales, jamais les taux d’inscription par rapport à la population pouvant voter n’ont été aussi hauts comme le montre la dernière publication de l’INSEE (18). Ainsi le corps électoral des élections présidentielles – 48 803 175 inscrits- a progressé de 856 000 personnes rien qu’entre mai 2021 et mars 2022. Par ailleurs, 4 millions de Français ont fait une démarche volontaire, notamment suite à un changement de domicile, s’ajoutant à l’inscription d’office des plus de 18 ans. Le déficit d’inscription par rapport à la population en âge de voter se limite désormais à 5%, contre 7% en 2017 et plus encore avant.

Quant au développement du vote à distance tout aussi rituellement invoqué pour faciliter le vote – vote par correspondance ou par internet -, il aurait plus d’inconvénients que d’avantages ; le principal de ces inconvénients étant de faire disparaître ce qui peut rester de cérémoniel dans l’acte de voter, unique marque de souveraineté pour l’écrasante majorité des citoyens (19). Le second inconvénient est la difficulté à s’assurer de l’identité du votant et de sa liberté réelle de vote auquel s’ajoute l’exigence de réseaux suffisant et de protection contre le piratage, voire les cyberattaques. Ces questions non résolues expliquent que la France ait supprimé le vote par correspondance en 1975 et que le vote par internet ne soit admis que pour les citoyens établis hors de France, du fait des distances. Si de nombreuses expériences de vote par internet ont eu lieu dans le monde, à ce jour, à l’exception de l’Estonie, aucun pays ne l’a généralisé.

Après les difficultés techniques et administratives, la deuxième explication de l’abstention avancée rituellement, est  la désinvolture des citoyens que la chose publique n’intéresse plus. Cela va de la simple dénonciation d’une faute morale (20) que l’on pense pouvoir combattre en rendant le vote obligatoire – tuant ainsi le citoyen libre – à des variations sur le thème du déficit de « l’offre politique » – comme si le marketing politique ne sévissait pas depuis longtemps ou inversement sur celui des exigences d’électeurs jamais satisfaits (21)

Le problème c’est que si le narcissisme et la frénésie consumériste des Français expliquaient, fondamentalement, la montée du désintérêt pour les urnes, on devrait s’attendre à ce que ce soit ceux qui ont le plus de moyen pour profiter des charmes de la société qui délaissent les urnes. Or, c’est l’inverse, c’est ceux dont les moyens sont limités, le peuple, qui déserte prioritairement les isoloirs. Toutes les estimations dont on dispose montrent, en effet, que l’abstention baisse quand le revenu disponible augmente (22).

Particulièrement significative est la région parisienne, où « la courbe de participation épouse celle des prix au mètre carré » (23). Dans les très huppés arrondissements du Vème, VIème et VIIème, la participation est exceptionnelle alors que c’est l’inverse dans les arrondissements plus populaires des XVIIIème, XIXème et XXème. En même temps, c’est dans ces arrondissements que l’on trouve le plus d’électeurs d’extrême droite. Ce sont aussi dans les communes bourgeoises qu’on vote le plus et inversement dans les plus populaires le moins.

En entrant dans les détails on constate, comme pour l’absentéisme, un lien inverse entre le niveau de revenu et la tendance à voter Marine Le Pen (24).

Le constat qui s’impose n’est donc pas, comme le dit le dicton, qu’on ne peut pas satisfaire tout le monde mais que désormais les politiques qui s’imposent visent d’abord à satisfaire les plus riches et subsidiairement seulement les autres. Autrement dit, l’abstention n’est ni le produit des défauts du système électoral, ni même l’effet induit de la société de consommation mais un acte volontaire, un acte politique : un refus de valider tacitement un jeu où ce sont toujours les mêmes qui gagnent.

Les raisons de la colère.

Ce rapide balayage des élections présidentielles depuis 1981 suffit, en effet, à donner une petite idée des raisons de cette désertion populaire des urnes, lente d’abord puis s’accélérant : la déception, le sentiment d’inutilité, voire d’escroquerie. Déception au constat répété de l’incapacité des candidats à appliquer leurs programmes, à l’absence d’alternative aux choix proposés ; absence de politiques alternatives remplacées par des slogans, des maximes, des promesses vagues, quand elles ne sont pas totalement  oubliées sans explication. Comme si candidats et électeurs vivaient sur des planètes différentes, dans des univers auxquels ne s’imposaient pas les mêmes lois et les mêmes urgences.

Le meilleur tête à queue et le plus difficile à imaginer, fut en 1983 quand François Mitterrand rompant avec le programme commun et de fait avec les communistes, ouvrit la « parenthèse » de la rigueur , toujours ouverte au PS (25) ; autrement dit lorsqu’il se glissa dans les pantoufles de Raymond Barre et de la droite française libérale la plus traditionnelle depuis le XIXème siècle, adoratrice de la trinité du gestionnaire bourgeois sérieux : franc fort, équilibre budgétaire, compression des revenus du travail.

« Nous nous trouvons dans une situation comparable à celle des derniers instants de la monarchie. De même que la Révolution de 1789 a créé le libre citoyen de la République politique, les socialistes veulent créer le citoyen responsable de la démocratie économique ».

Ainsi François Mitterrand conclut-il sa présentation du programme de gouvernement du parti socialiste : « Changer la vie. »

On connaît la suite ; pas vraiment une réussite ! Et elle laissa des traces indélébiles, non seulement dans l’orbe socialiste mais chez les sociaux-démocrates de toutes nuances.

L’intermittent du gaullisme, Jacques Chirac, succède  à François Mitterrand à l’Elysée, après une campagne sur le thème de la « fracture sociale » coupant le France en deux. Il désigna un Premier ministre (Alain Jupé) qui a élargi  cette fracture et lui a fait perdre les élections législatives qu’il avait imprudemment convoquées et se retrouve à cohabiter avec un chef du Gouvernement socialiste libéro compatible. Lequel continua si bien la politique libérale de ses prédécesseurs qu’il rata magistralement et contre toute attente son entrée à l’Elysée.

 Ainsi, le soir du second tour des présidentielles de 2002, Jacques Chirac, massivement réélu au second tour contre Jean-Marie Le Pen après un premier tour piteux, remercia-t-il les Français de leur confiance qui l’engageait : « J’ai entendu et j’ai compris votre appel, pour que la République vive, pour que la Nation se rassemble, pour que la politique change. (…).

Ce soir, je veux dire aussi mon émotion, et le sentiment que j’ai de la responsabilité qui m’incombe. Votre choix aujourd’hui est un choix fondateur, un choix qui renouvelle notre pacte républicain. Ce choix m’oblige, comme il oblige chaque responsable de notre pays (…)

La confiance que vous venez de me témoigner, je veux y répondre en m’engageant dans l’action avec détermination (…) Dans les prochains jours, je mettrai en place un gouvernement de mission, un gouvernement qui aura pour seule tâche de répondre à vos préoccupations et d’apporter des solutions à des problèmes qui ont été trop longtemps négligés… »

Un très beau discours, émouvant et probablement sincère sur le moment, mais évidemment sans suite.

Les priorités de son successeur, Nicolas Sarkozy, seront la sécurité et la lutte contre le chômage. Son slogan : « Travailler, plus pour gagner plus. », « Remettre le travail au centre de tout ». Preuve de son volontarisme : « La croissance, j’irai la chercher avec les dents. »

Résultats : augmentation d’un demi-million de chômeurs à temps plein durant le quinquennat et poursuite de la progression irrésistible du sous-emploi. Disons à sa décharge que la survenue du krach de 2008 et l’inertie de Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE ne l’ont pas aidé.

Quant à son action sécuritaire : la suppression de la police de proximité au motif que les policiers ne sont pas des éducateurs et une baisse sans précédent du budget de la police et de la gendarmerie ; un loupé que son successeur socialiste se fera un plaisir de corriger.

Son exploit, parmi d’autres aussi brillants que la guerre en Libye ou une réforme territoriale finalement avortée, fut incontestablement l’exercice de prestidigitation par lequel le « non » des Français au projet de traité constitutionnel européen fut changé en « oui » à la ratification du traité de Lisbonne qui en avait dispersé la substance, façon puzzle bruxellois, sous forme de révisions d’anciens traités.

Ce qui restera du « président normal » que se voulait François Hollande, sera surtout son envolée du stade du Bourget durant sa campagne électorale : « Mon véritable adversaire, il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera jamais élu et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance ».

Le match avait petitement commencé par la taxation des transactions financières, d’abord à 0,2% en 2012, à 0,3% en 2013, toutes les tentatives parlementaires d’augmentations nouvelles faisant long feu. Il ne fallait pas pénaliser la « Place de Paris » même si une partie importante des transactions – notamment les allers- retours dans la journée (trading haute fréquence) échappaient à le taxe.

Autre trompe l’œil, mais cette fois de grande portée : « La loi de séparation et de régulation des activités bancaires ». Concoctée par Pierre Moscovici, elle visait rien de moins qu’à « remettre la finance au service de l’économie réelle ». Elle n’en touchera finalement que 1% à 2%.

Avec l’affaire Dexia, la Banque des collectivités, on passe du trompe l’œil au traficotage légal du code de la consommation quand vinrent sur le devant de la scène et surtout devant les tribunaux les fameux « prêts toxiques », consentis à des collectivités qui ne pourront les rembourser quand leurs taux d’intérêts explosèrent. L’affaire traîna en longueur jusqu’à ce que plusieurs tribunaux annulent les contrats pour vice de forme. Craignant une épidémie de recours mettant en péril le montage financier bricolé pour assurer la succession de Dexia, l’Etat décida :

  1. De mettre en place un fonds d’aide aux collectivités leur permettant de faire face à leurs engagements envers les banques, sous condition de ne pas la poursuivre évidemment ;
  2. De faire voter par le Parlement une modification du code de la consommation neutralisant le moyen au titre duquel les contrats avaient été annulés ! Du grand art.

Encore une fois, l’Etat capitulait devant un système financier dont il s’était contraint lui-même de devenir partie-prenante, plutôt que de laisser les tribunaux faire leur travail.

La « gauche de gouvernement » ayant fini par lasser le peu d’électeurs qui lui restaient, la droite n’étant plus que conservatrice, au cœur de ces naufrages, le seul capitaine du radeau de la méduse du « changement dans la continuité » possible pour ses bénéficiaires, restait Emmanuel Macron. Son passé d’ancien énarque et inspecteur des finances, d’ancien banquier, de praticien aguerri des réseaux d’influence qui font les carrières, d’ancien ministre de l’Économie ayant prouvé qu’il n’était pas insensible aux intérêts américains (26) le prédisposait aux plus hautes fonctions. Sa jeunesse, sa capacité à briser, les faux tabous de sa caste pour en mieux protéger les coffres forts, lui permis de gagner  le soutien des fournisseurs d’opinions à ceux qui n’en ont pas.

Il connaissait parfaitement les obligations, contradictoires, de sa mission : assurer la maintenance du système en place, garant des intérêts de ses soutiens (27) et « en même temps », pour accéder au pouvoir et le conserver, faire croire qu’il le changerait. Y parvenir exigea de sa part un dédoublement, un « clivage » comme disent les psychanalystes :  côté pile, l’homme de pouvoir agissant dans le secret en s’appuyant sur des connaisseurs du système dévoués à la cause et sur des cabinets d’avocats et d’experts stipendiés, côté face l’acteur public qui s’autorise tout puisqu’on est au théâtre.

Ainsi peut-il intituler, « Révolution » son livre-manifeste de campagne en 2017, baptiser « renaissance » le groupe parlementaire qui le soutient en 2022, sans que personne n’éclate de rire ; dénoncer devant le Bureau International du Travail (BIT) la dérive rentière du capitalisme néolibéral et « en même temps » expliquer à Forbes qu’accorder des faveurs aux « investisseurs » est la meilleure politique de l’emploi possible ; reconnaître candidement que se préoccuper de l’âge du départ à la retraite n’a aucun sens tant que le chômage est aussi important et lancer une réforme reculant celui-ci à 62 ans. Ainsi va la « pensée complexe » du président Macron.

Sauf qu’il ne suffit pas de dramatiser à la télévision les dangers pour la France de l’épidémie de covid19 (28) pour compenser son impréparation (29), annuler les mois perdus à nier son existence, et supprimer les risques de l’improvisation qui en ont résulté ; ce qui fut le cas de pays comme la Corée du Sud ou l’Allemagne qui surent rapidement adopter une stratégie cohérente (30). La France soignante et administrative improvisait avec les moyens du bord et son président regardait l’horizon. Le 13 avril 2020 en plein confinement, il s’adresse aux Français : « : « Nous sommes à un moment de vérité qui impose plus d’ambition et plus d’audace. Un moment de refondation. (…) Ne cherchons pas tout de suite à y trouver la confirmation de ce en quoi nous avions toujours cru. Non. Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier. ». On se contenta de compter les morts puis de le oublier (31).

Prudente la « Mission indépendante (32) nationale sur l’évaluation de la gestion de la covid19 et sur l’anticipation des risques pandémiques » (33), après avoir limité son examen aux 33 pays sur 179 les plus affectés par la pandémie (plus de 1000 morts par habitant) –  éliminant donc ceux dont la faible mortalité aurait pu s’expliquer par l’efficacité de leur action – arrive à la conclusion que la France occupait une « position intermédiaire » ( ?) parmi les pays très affectés par la pandémie, mais avec ses 1 332 décès par million d’habitant «  nettement au- dessus de la moyenne européenne (1092 décès par million) ».  En clair, elle a fait mieux que si c’était pire !

Etonnamment lors des présidentielles, il ne fut question ni de la pandémie ni de sa gestion.

Pour assurer son pouvoir Emmanuel Macron applique, en la perfectionnant, la stratégie de Valery Giscard-d’Estaing : la dépolitisation de la politique remplacée par son simulacre, des consultations « citoyennes » sans avenir, faisant oublier qu’en démocratie les citoyens ne se contentent pas de donner leur avis, au final ils décident.

 « Nous avons besoin du concours de nos fidèles sujets pour nous aider à surmonter toutes les difficultés où nous nous trouvons… », ainsi débute, en janvier 1789, la lettre de Louis XVI convoquant les Etats généraux. Ainsi fonctionne la monarchie républicaine française au début du XXIème siècle : le président gouverne, les actionnaires de la nation – lui donnent leurs avis, suggèrent, recommandent et éventuellement le renvoie s’il déçoit.

Sur la scène du théâtre de la politique lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron vont se succéder – les conférences (34), les consultations citoyennes (35), les débats plus ou moins grands, les conventions forcément citoyennes (36) – suivies dès le début du second quinquennat, d’un « conseil national de la refondation » réunissant les « forces politiques, économiques, sociales, associatives » du pays.

L’objectif de Valery Giscard-d ’Estaing était de rassembler deux français sur trois, renvoyant les autres aux ténèbres de l’ignorance ; celui d’Emmanuel Macron sera en plus, de leur laisser croire qu’il n’y a plus de différence entre gouvernants et gouvernés ni même d’institutions et de constitution, sauf quand ça arrange le pouvoir en place. La démocratie moderne ne saurait qu’être participative, même l’ultra gauche le sait.

Visiblement pas le reste des forces politiques qui, l’une après l’autre, déclinent l’invitation du chef de l’exécutif (37). L’aube d’une prise de conscience de ce qu’est réellement la « démocratie libérale » ? Trop tôt pour le dire, mais qui sait ?

De la plèbe romaine refusant de porter assistance aux patriciens parjures en se retirant sur l’Aventin, au dédain du peuple pour les simulacres de libertés locales octroyés par le pouvoir royal, au refus de vote de la gauche constitutionnelle exclue du second tour des élections présidentielles de 1969, les exemples historiques de révoltespopulaires froides en forme de refus de participation, ne manquent pas dans l’histoire.

Comme le laisse à penser José Saramago dans « La lucidité », roman qui prend de plus en plus des allures d’anticipation, tel est peut-être le dernier moyen de réveiller un système politique devenu incapable de sortir de l’impasse dans laquelle il s’est mis.

« Il était minuit passé lorsque le dépouillement du scrutin s’acheva. Le pourcentage des bulletins valides n’atteignait pas vingt-cinq pour cent, distribués entre le parti de droite avec treize pour cent, le parti du centre avec neuf pour cent, et le parti de gauche avec deux et demi pour cent. Très peu de bulletins nuls, très peu d’abstention. Tout le reste, plus de soixante-dix pour cent au total était constitué de bulletins blancs. »

Ainsi commence le roman de José Saramago, « La lucidité »? ça se termine très mal.

Références

(1)La formule de Saint-Just s’appliquait à la révolution synonyme alors de démocratie : « La révolution est glacée, tous les principes sont affaiblis, il ne reste que des bonnets rouges portés par l’intrigue. » (3ème fragment). Aujourd’hui siles bonnets rouges ont laissé la place aux portefeuilles en cuir, ils sont toujours portés par l’intrigue.

(2)Référendum du 29 mai 2005 rejetant le projet constitutionnel européen. Article 3 de la constitution de 1958 : alinéa 1 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »

(3)Abstention + blanc et nuls : 34% en 2017 et 34,04% en 2022

(4)Jacques Duclos avait clairement invité à s’abstenir de choisir entre « Blanc bonnet et bonnet blanc » autrement dit entre Georges Pompidou et Alain Poher. L’augmentation significative de l’abstention au deuxième tour dans les Bouches du Rhône, bastion de Gaston Deferre, candidat de la gauche non communiste laisse à penser que les électeurs socialistes du premier tour ont trainé des pieds pour voter une fois la messe dite pour eux.

(5)Pour la première fois la présence au second tour d’un candidat d’extrême droite (Jean Marie Le Pen), entraînera une forte mobilisation de la Gauche en faveur de Jacques Chirac.

(6)Le refus de vote (abstentions + blancs et nuls) se limitant à 18,4%.

(7)La formule est de Georges Pompidou.

(8)En 1995, au premier tour des présidentielles, Jean Marie le Pen recueille 4,570 millions de voix (11,5% des inscrits) et 5,666 millions de voix au second en 2002 (13,4% des inscrits). Après un fléchissement en 2007, la campagne sécuritaire de Nicolas Sarkozy lui ayant permis de capter une partie des voix d’extrême droite, la progression reprendra de manière ininterrompue avec Marine Le Pen : 6,421 million de voix (13,95% des inscrits) en 2012 au premier tour ; 10,638 millions de voix (22,4% des inscrits) au second tour en 2017 ; 13,300 millions de voix (27,38% des inscrits) au second tour.

(9)La divisions des pouvoirs étant le principe organisateur du système politique étasunien, le président doit composer avec la chambre des représentants et un sénat où de nombreuses décisions ne sont acquises qu’avec 60% des voix, avec les Etats de la Fédération souverains sauf exception, l’Etat bureaucratique profond passé maître dans l’art de neutraliser les décisions présidentielles qui lui déplaisent.

(10)Et encore, il n’est pas tenu compte de ceux qui, remplissant les conditions pour l’être ne sont inscrits sur aucune liste électorale. Les estimations variant entre 5% et 12%, 7% des électeurs potentiels semble un choix prudent.

(11)Comme de Gaulle en 1968 pour dénouer la crise qui paralysait le pays.

(12)Création du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Une opération en deux temps : 1- réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans ( révision constitutionnelle du 2 octobre 2000 ) ; 2- allongement du mandat des députés de 2 mois, ce qui déplace les législatives après les présidentielles (loi du 24 avril 2001). L’apparence donnée par cette réforme Jospin/Chirac est celle d’une réduction des pouvoirs du président de la République dont le mandat est réduit et d’une augmentation de ceux de l’Assemblée nationale dont le mandat est augmenté. En réalité c’est l’inverse, éviter le peu de dissonance pouvant exister en l’Elysée et la palais Bourbon. La composition de l’Assemblée nationale étant largement dépendante des résultats des présidentielles, elle devient -ce qui était sa pente naturelle- franchement une chambre d’enregistrement des volontés présidentielles.  

(13)Alain Peyrefitte : « C’était de Gaulle. ».

(14)Notamment : le PJL de finances rectificatives pour 2022, mesures d’urgences pour la protection du pouvoir d’achat, accord pour l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN en violation des accords avec la Russie, mise fin au régime d’exception prises dans le cadre de la lutte anti-covid, remplacé par un « dispositif provisoire de veille et de sécurité ».

(15)C’est le score réalisé aux législatives par les trois partis se réclamant de la majorité présidentielle lors de la constitution des groupes à l’Assemblée nationale.

(16)Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’organisation de ces élections (comme d’ailleurs celle de de la défense contre la pandémie), fut improvisée. Encore le 9 mars 2020, Emmanuel Macron et son épouse, après avoir inauguré un coffee-shop solidaire, descendait les Champ Elysées pour bien montrer que s’il fallait être respectueux des consignes il n’y avait pas lieu de dramatiser.

Six jours plus tard, le 15 mars les Français se rendent aux urnes pour le premier tour des élections municipales, sans autre précaution que quelques règles de sécurité élémentaires… avant d’apprendre le lendemain, le 16 mars au JT de 20h, de la bouche du président-chef des armées, que la France était « en guerre » « contre un ennemi invisible et qui progresse ». Quelques jours plus tard les maires apprendront que le second tour des municipales est renvoyé à une date ultérieur.

(17)En 2014, le RN avait comptabilisé 1 438 sièges dans 463 communes. Six ans plus tard, il obtiennent seulement 840 sièges dans 258 communes.

(18)INSEE FOCUS No 264 Paru le : 24/03/2022.

(19)Rendre le vote obligatoire aurait le même inconvénient. Une souveraineté obligatoire est un non- sens.

(20)Ainsi la fiche thématiques de « Vie publique », discrète publication gouvernementale, cite parmi les devoirs civiques du citoyen : « participer à la vie politique » car « par son vote, le citoyen assure le bon fonctionnement de la démocratie. En France, la carte d’électeur porte la mention « Voter est un droit, c’est aussi un devoir civique » » Elle ne dit pas que c’est un acte de souveraineté, probablement par honnêteté intellectuelle.

(21)« On ne peut pas être dans une société où dès que ce n’est pas exactement ce que je veux, ça devient n’importe quoi. La vie dans la société, c’est le fruit de compromis. Si ce n’est pas exactement comme je veux, que je ne participe plus, on ne peut plus vivre ensemble » Emmanuel Macron pendant sa dernière campagne (TMC 18/04/2022),

(22)Selon les sondages en sortie des urnes réalisés de IPSOS Steria, le niveau de l’abstention seule (hors blanc et nuls) se répartissaient ainsi au 2ème tour des présidentielles 2022 : Moins de 1250€ par mois de revenu mensuel disponible : 34% de la strate se sont abstenus ; entre 1250€ et 2000 : 29% ; entre 2000 et 3000€ : 25% ; plus de 3000€ : 23%. De même aux législatives, le niveau d’abstention est inversement proportionnel au revenu :

Législatives 2017 : Moins de 1250€ : 68% des électeurs de la strate se sont abstenus ; entre 1250€ et 2000 € : 60% ; entre 2000 et 3000 € :52% ; plus de 3000 : 50%.

Législatives 2022 : Moins de 1250€ : 61% ; entre 1250€ et 2000€ : 56% ; entre 2000 et 3000€ : 50% ; plus de 3000 : 47%.

(23)Céline Braconnier : « La démocratie de l’abstention » (Gallimard, 2007).

(24)Etude IPSOS steria 2ème tour des présidentielles 2022 : Moins de 1250€ par mois de revenu mensuel disponible : 56% de la strate ont voté Le Pen; entre 1250€ et 2000 : 47% ; entre 2000 et 3000€ : 44% ; plus de 3000€ : 35%.

(25)A moins qu’elle ne soit plus qu’entre-ouverte, on ne sait trop désormais.

(26)Voir l’affaire Alsthom.

(27)C’est même l’opinion du Guardian anglais pourtant libéral social :

« Macron est présenté comme une oasis de modération, un rempart contre les extrêmes. Mais il n’y a rien de ‘‘modéré’’ à couper à la serpe dans les impôts des riches, à attaquer les droits des travailleurs, ou à diaboliser les réfugiés. ». Article rapporté par Médiapart (21/04/2018)

C’est aussi ce qui ressort du bilan du premier quinquennat  montrant que le revenu et le patrimoine des plus riches, en valeur absolue, sont ceux qui ont le plus augmenté, ce que masque l’habituelle présentation de ces résultats en %. 10% de 1 c’est 0,1 alors que 2% de 100 c’est 2 !

(28)Le 16 mars 2020, « nous sommes en guerre », « contre un ennemie invisible, insaisissable et qui progresse ».

(29)La France était classée au premier rang mondial par l’OMS pour la qualité de son système sanitaire. Vingt ans de politique néolibérale ont fait le reste

(30)On peut la résumer ainsi : prendre le risque au sérieux, dépister les porteurs potentiels du virus (par des relevés de température mais surtout des tests), les soigner, fut-ce avec les moyens du bord, dès la contagion avérée sans attendre qu’ils aient besoin de soins de réanimation, isoler les foyers viraux repérés ou potentiels, réserver le confinement généralisé aux seules zones particulièrement atteintes. Faute de moyens de dépistage, voire au début de moyens de protection (masques et équipements pour les personnels les plus exposés), les autorités administratives ne trouvèrent rien d’autres que le confinement total au gré des pic épidémiques et des nécessités économiques. Le contraire d’une stratégie, un cabotage à vue.

(31)Du moins jusqu’à ce que les plaintes devant la cour de justice de la République fasse surface. Selon le procureur général Molins, en septembre 2021, « des milliers » étaient déjà déposées. (Le Parisien 05/09/2021)

(32)En France, une mission « indépendante » est nommée par le président de la République.

(33)Présidée par le professeur suisse Didier Pittet, les médecins praticiens brillent par leur absence !

(34)Débutant le quinquennat, la « Conférence nationale des territoires » visant à bâtir un « pacte de confiance » entre les pouvoirs locaux et l’État, sur la base d’une organisation souple et intelligente ». C’est une instance d’échange collectivités Etat, de concertation et de décision associant  en amont les collectivités locales à toute décision les concernant.

(35)Ainsi, conduite par Chantal Jouhanno, les « Consultations citoyennes sur l’Europe », « sorte de cahier de doléances formulées par des dizaines de milliers de citoyens européens. ».

On peut y ajouter les consultations citoyennes précédant les rapports sur des questions spécifiques comme la réforme des retraites qui fit couler beaucoup d’encre sans avoir abouti à ce jour.

(36)Contre-feu au mouvement des Gilets Jaunes qui révéla à nombre d’électeurs d’Emmanuel Macron qu’il existait en France de nombreux travailleurs tirant le diable par la queue, le Grand débat avec production de « cahiers de doléance », permit au résident de l’Elysée de faire trois découvertes : que régnaient en France « un profond sentiment d’injustice : injustice fiscale, injustice territoriale, injustice sociale (et) un sentiment de manque de considération » ainsi  qu’un ; « Sentiment d’abandon qui se nourrit du fait que de plus en plus de vies de nos concitoyens sont comme oubliées ou inadaptées à l’organisation du monde tel qu’il est, tel qu’il s’est fait. » conférence de presse 25/04/2019

Ce Grand débat sera suivi d’un autre avec les intellectuels ainsi que d’une Convention citoyenne sur le climat, le Président de la République s’engageant à ce que les propositions législatives et réglementaires soient soumises “sans filtre” soit à référendum, soit au vote du parlement, soit à application réglementaire directe.

On découvrit par la suite que miraculeusement seules seront reprises les propositions correspondant aux attentes du gouvernement.

(37)La réponse du président du Sénat montre bien que personne n’est dupe de la fonction réelle de cette opération de neutralisation de ce qui pourrait rester de résistance institutionnelle à la modernisation néolibérale en cours depuis quarante ans. « Vouloir réunir dans une même instance des parlementaires, seuls constitutionnellement habilités à voter la loi et contrôler l’exécutif, et des représentants de la société civile (…) ne peut aboutir qu’à une confusion des rôles » écrit Gérard Larcher dans sa réponse à Emmanuel Macron.

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Après avoir évoqué les liens entre populisme et néolibéralisme, David Cayla revient dans ce nouvel ouvrage sur la notion de néolibéralisme et notamment sur les conséquences de cette doctrine dans le champ économique en abordant des sujets au cœur de l’actualité (la monnaie, l’inflation, les banques centrales).

L’ouvrage propose tout d’abord une définition de ce qu’est le néolibéralisme. Ce dernier, à la différence du libéralisme, considère que le marché est une institution artificielle, qui permet de définir des prix pour les biens et services. Le marché ne peut survivre sans l’Etat, qui assure son existence et son fonctionnement par la création et le maintien d’un cadre légal spécifique. Du fait de sa fonction de définition des prix, le marché est effectivement une institution en propre(1), imbriquée au système politique et social d’une société donnée. A l’inverse, et selon les représentants du néolibéralisme, sans le marché, il est impossible de rassembler l’ensemble des informations disponibles (objectives comme subjectives) et donc de calculer de manière optimale l’allocation des ressources(2).

Le néolibéralisme repose donc de manière conséquente sur une justification économique. Justification qu’il trouve notamment dans la doctrine monétariste. Le monétarisme est au fondement du fonctionnement des politiques monétaires et des banques centrales, notamment de leur gestion de l’inflation. L’idée centrale de cette théorie économique est que l’inflation est causée par la hausse de la masse monétaire, elle-même augmentée par les crédits accordés par les banques aux entreprises et ménages (taux de crédit qui dépend lui-même des taux d’intérêts directeurs des banques centrales). Pour maintenir l’inflation, il s’agit donc selon les « monétaristes » de jouer sur les crédits accordés par les banques en modifiant le taux d’intérêt directeur. Toujours selon eux, la politique monétaire doit être à la main d’une entité décorrélée du pouvoir politique(3). C’est par ailleurs le mode de fonctionnement actuel de la Banque Centrale Européenne, calquée sur le modèle de la banque centrale allemande.

La théorie monétariste face à la crise des subprimes

Déclin et chute du néolibéralisme évoque par la suite l’histoire économique du XXe siècle (les accords de Bretton-Woods, la convertibilité du dollar en or, les 30 Glorieuses, les accords de la Jamaïque, les chocs pétroliers, etc.) pour mieux mettre en valeur la façon dont le monétarisme est devenu la doctrine majoritaire et le marché l’institution de fixation de l’ensemble des prix des biens, services, marchands ou non-marchands.

Comme le rappelle David Cayla, il s’agit d’un retournement de situation quasi-complet dans la mesure où au sortir de la guerre, l’économie et les prix de certains biens (agricoles, matières premières, etc.) étaient contrôlés par les Etats. Alors que le système était dirigiste en temps de crise, les Etats perdent progressivement le contrôle au profit de la mondialisation financière.

Après être revenu sur le contexte de développement du néolibéralisme, David Cayla, revient sur la façon dont la crise des subprimes a profondément remis en cause la théorie monétariste. Jusqu’en 2008, le mécanisme de titrisation a permis aux banques disposant d’un actif (après octroi d’un crédit) de les revendre à une banque d’affaire. Celle-ci les revendant par la suite à une structure financière. Ainsi, ces actifs se sont vus octroyer une valeur qu’ils n’avaient pas auparavant, et les banques se sont de cette façon débarrassées du risque. La hausse des demandes de ces titres a engendré des comportements anormaux de la part des banques, qui se sont mis à octroyer des crédits (dits « subprimes ») à des ménages à risque.

Une multitude de facteurs ont engendré des défaillances en cascade de ces ménages, alors même que ces actifs avaient été achetés par toutes les banques du monde, sans qu’il soit possible de différencier les « bons » actifs des « mauvais ». Les dettes croisées ont causé une contraction du marché interbancaire, et donc une réduction des crédits octroyés aux ménages et entreprises, propageant ainsi la crise financière au sein de l’économie réelle.

Le sauvetage des banques est alors devenu un objectif à part entière. Pour ce faire, les banques centrales sont allées plus loin dans leurs prérogatives en mettant en œuvre des politiques de quantitative easing(4) : rupture majeure avec la doctrine monétariste. L’extension de ces prérogatives s’est par ailleurs effectuée sans aucun contrôle démocratique en vertu même du principe d’indépendance des banques centrales.

Au travers de la crise des subprimes, c’est toute l’incapacité des marchés à mesurer objectivement et impartialement l’ensemble des informations qui a été mise en lumière.

Finalement, on pourrait penser que la doctrine monétariste ne fait plus foi. Mais David Cayla rappelle à juste titre que tout ceci n’a servi qu’à sauver le système et les marchés, sans transformation majeure : aucune banque n’a été renationalisée, la libre-circulation du capital n’a pas été questionnée, etc.

Proposer des alternatives au néolibéralisme

Des alternatives au néolibéralisme, il en existe (sans pour autant qu’elles soient parfaites et applicables, comme cela est bien expliqué dans l’ouvrage) : David Cayla cite notamment Adai Turner avec sa « monnaie hélicoptère(5) », la théorie « modern monetary theory(6) » portée par Stephanie Kelton (la dette ne serait qu’un jeu d’écriture), etc. Pour autant, la force du néolibéralisme est bien d’avoir pénétré l’ensemble du système et des esprits : ce n’est pas une doctrine isolée mais un maillon de la chaîne. Pour développer des alternatives concrètes, David Cayla le rappelle, il faut penser le rôle du marché en tant qu’institution sociale, repenser globalement le système. 

David Cayla évoque quatre propositions (à découvrir dans son ouvrage) qui composent son agenda pour une économie démocratique. Sans supprimer totalement les marchés qui ont une utilité, il faut selon lui les empêcher de contrôler et gérer l’ensemble des biens essentiels notamment dans une situation d’urgence climatique et de raréfaction des ressources. Leur rôle et périmètre doivent être strictement définis. L’Etat lui, doit pouvoir assurer la gestion des ressources non-marchandes et / ou marchandes vitales pour l’économie du pays.

Avec cet ouvrage, David Cayla aborde de manière pédagogique la question du néolibéralisme au prisme des précédentes crises. Il pose un constat clair : le monétarisme ne permet pas de lutter contre les crises. Il faut non seulement repenser la gestion de la monnaie, mais le système dans son ensemble. Le Temps des Ruptures recommande la lecture de son ouvrage, et l’étude des propositions qui y sont faites, pour quiconque souhaiterait saisir les enjeux économiques du monde actuel.

Références

(1)David Cayla cite notamment Aglietta.

(2)Hayek, Friedmann, etc.

(3) D’autres écoles / doctrines existent au sein du monétarisme : l’école ordolibérale, le free banking de Hayek, etc.

(4) Pratique consistant pour une banque centrale à racheter des actifs financiers détenus par des banques de dépôt.

(5) Il s’agirait de permettre la distribution de la monnaie par les banques centrales directement sur les comptes des ménages et entreprises. Cela permettrait de relancer la demande, sans augmenter la masse monétaire.

(6)Plus d’informations sur la doctrine à retrouver ici : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-journal-de-l-eco/theorie-monetaire-moderne-la-planche-a-billets-pour-tous-7185324

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L’école privée, berceau des inégalités

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L’alinéa 13 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 déclare que « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïc à tous les degrés est un devoir de l’État ».

Pourtant, aujourd’hui, l’école publique est en souffrance et notre système scolaire dualiste ne fait qu’encourager la reproduction des inégalités sociales. Les chiffres sont flagrants. Selon le sociologue spécialiste des politiques éducatives Pierre Merle(1), le recrutement social entre les écoles privées et publiques est fortement divergent. En prenant l’exemple des collèges nantais, il dresse un tableau édifiant, rappelant que les élèves d’origines défavorisées sont environ 15,1% dans le privé en 2010 contre 33,4% dans les collèges publics. À Paris, la même année, l’écart est encore plus grand : les collèges privés n’accueillent que 4,2% d’élèves d’origines défavorisées contre 23,8% dans les collèges publics.

Ce constat accablant n’est pas acceptable, car pour que la République sociale remplisse sa promesse d’émancipation, l’école doit pouvoir jouer son rôle. Alors que faire pour lutter contre ces inégalités scolaires ? Comment mettre fin au processus d’évitement des familles les plus favorisées afin de promouvoir la mixité sociale ? Comment réformer notre modèle éducatif afin de renforcer l’égalité, la laïcité et le respect de l’ensemble des valeurs républicaines ?

Un rappel historique :  la loi Savary et le « mouvement de l’École Libre »

Arrivé au pouvoir le 21 mai 1981, François Mitterrand a axé sa victoire sur un programme en 110 propositions clés pour la France. L’école est concernée, notamment par la promesse n°90 prévoyant la création d’un « grand service public unifié et laïc de l’Éducation nationale ».

L’objectif est de revenir sur la loi Debré de 1959 contractualisant les rapports entre l’État et les établissements privés, afin d’assurer une certaine liberté d’enseignement et mettre ainsi un terme à la guerre scolaire opposant public et privé. Celle-ci a secoué la France au début du XXe siècle et a pris la forme de débats politiques sur la place de la religion au sein de l’enseignement. Le projet initial de la loi est donc de rapprocher les écoles publiques et privées au sein d’un même service public.

La philosophie réformatrice du gouvernement socialiste est avant tout de convaincre et non de contraindre. Alain Savary, fin négociateur et Premier Secrétaire du Parti Socialiste avant le Congrès d’Épinay est chargé de la réalisation de cette promesse.

L’élaboration et les négociations, qui durent trois ans, s’articulent en trois phases. Selon Marie-Thérèse Frank et Pierre Mignaval(2), une première phase d’approche technique laisse place en 1983 à une phase politique qui se transforme petit à petit en une affaire d’État, faisant remonter des tensions idéologiques profondes.

En réalité, la période de concertation autour du projet ne débute qu’à partir de janvier 1982. Savary est conscient de la difficulté de la tâche, qui doit s’ancrer dans d’autres reformes socialistes telles que la décentralisation administrative. Ses propositions sont portées à partir de décembre 1982 et refusées par les représentants de l’école privée.

Depuis les années 1970 et l’émergence du CNEC (Comité national de l’enseignement catholique), les positions de l’école privée se sont renforcées en France. Ces derniers souhaitent conserver les acquis de la loi de 1959 mais finissent par accepter le dialogue avec le ministère socialiste. Leur souhait le plus profond est de conserver le financement public des écoles privées. En effet, la loi Debré de 1959 instaure un système de contrats entre l’État et les écoles privées volontaires. Cela se traduit par des aides publiques en échange d’une formation de programmes éducatifs communs entre les écoles publiques et les écoles privées sous contrat.

Les positions restent donc figées entre les représentants laïcs, le cabinet ministériel et les représentants du CNEC qui refusent les différentes propositions de Savary en janvier 1983.

Souhaitant faire un geste afin de détendre les positions des deux camps, le gouvernement autorise la création de 15 000 postes de maîtres titulaires dans les écoles privées en 1984. Cela renforce en réalité la défiance des laïcs envers le cabinet Savary. La confiance commence à se rompre entre les différentes parties et la crise politique s’amorce.

Néanmoins, les catholiques souhaitent reprendre le dialogue en 1983 et acceptent la soumission à la carte scolaire afin de garantir une certaine mixité sociale. En contrepartie, ces derniers exigent la liberté de nomination des chefs d’établissements, de la constitution de leurs équipes pédagogiques et des projets éducatifs.

Après ces nouvelles négociations, Alain Savary met sur la table de nouvelles propositions à la fin de l’année 1983, que les rédacteurs Jean Gasol et Bernard Toulemonde décrivent comme un « château de carte » dans lequel « tout est en nuance ».

Le projet se trouve finalement amendé, son paradigme est modifié. Il est finalement voté et adopté à l’Assemblée Nationale le 24 mai 1984. Pourtant, les associations de parents de « l’école libre » se mobilisent et manifestent à Paris le 24 juin 1984 en rassemblant presque 850 000 personnes. Face à la pression populaire, Mitterrand annonce le 12 juillet 1984 le retrait de la loi afin de sortir de la crise politique embryonnaire qui scinde la France en deux. Le gouvernement Mauroy est emporté par le retrait de la loi ainsi que la confiance d’une partie des enseignants envers le Parti Socialiste.

Alain Savary démissionne, déçu, après avoir été broyé par les rapports de forces puissants entre les différentes positions antagonistes.

Cet évènement historique illustre bien les tensions idéologiques et conservatrices qui continuent de traverser la France. Pour autant, les temps changent, le contexte évolue et la rivalité entre école publique et privée a toujours son actualité.

L’école privée, berceau des inégalités

La dualité du système scolaire participe activement à la ségrégation de la société française et au processus d’homogamie. Ce concept sociologique met en avant le cloisonnement de classes entre elles et va ainsi à l’opposé de la mixité sociale. De ce fait, notre système éducatif permet une aggravation des inégalités. Plusieurs études empiriques, à l’instar de celle de Pierre Merle, illustrent cette situation.

Il est important de rappeler que notre société possède un des plus forts taux de scolarisation dans le privé en Europe, avec près de 20% des élèves scolarisés en 2004(3). Il est indéniable que les frais des écoles privées ont un effet dissuasif sur les couches plus populaires, allant ainsi à l’encontre de la mixité sociale et du concept d’égalité des chances, encourageant une forme d’homogamie.

D’autre part, chaque année paraissent les classements des meilleurs collèges ou lycées. Bien souvent, les établissements privés se retrouvent en tête. Il faut néanmoins nuancer le propos. En réalité, cela ne signifie pas une plus grande efficacité de ces établissements. Tout dépend de l’outil statistique utilisé. En effet, pour réaliser ces classements, les statisticiens utilisent généralement l’efficacité brute, à savoir les résultats des établissements aux examens nationaux. C’est un outil biaisé car il ne prend pas en compte le fait que les meilleurs élèves se trouvent généralement dans les couches les plus élevées de la société, qui ont plus souvent recours à l’enseignement privé.

Il est aisé de remarquer que lorsque l’on utilise l’efficacité nette, qui résulte d’une révision de l’efficacité brute en fonction des parcours sociaux des élèves et des politiques de recrutement des établissements, cela tend à montrer une efficacité semblable. En effet, toutes choses égales par ailleurs, les établissements privés ne font pas progresser plus efficacement leurs élèves que les établissements publics.

Ce premier argument met ainsi en garde envers les outils statistiques utilisés dans les différents classements nationaux.

Afin de comprendre en quoi les établissements privés recrutent davantage d’étudiants venant des classes les plus favorisées, il est important de considérer la répartition territoriale. En effet, les établissements recrutent conformément à la carte scolaire française. Il est intéressant de noter que la plupart des établissements privés se trouvent dans les quartiers les plus aisés ou les régions les plus religieuses, c’est-à-dire les endroits dans lesquelles la demande est forte (Grand Ouest par exemple). C’est aussi ce qu’on appelle un « effet de richesse ». En effet, les frais de scolarité des établissements privés sont davantage susceptibles d’être payés par les familles les plus aisées que par les familles issues de milieux plus populaires. Les coûts des établissements privés sont très variables et comportent souvent plusieurs options telle que la section internationale, qui coûte plus cher. Si l’on suit l’exemple de Pierre Merle, le lycée Stanislas à Paris en 2011 demandait une inscription annuelle à hauteur de 1 826€, s’y ajoutant des « études dirigées » à 1 350€.

Ce phénomène de filtrage par les capacités financières est notamment un des facteurs explicatifs de la ségrégation sociale et de la participation de l’école privée à la reproduction des inégalités sociales.

La politique de recrutement, facteur de ségrégation

La différence de recrutement entre les établissements publics dans les différentes régions de France est frappante. À Marseille, les établissements publics accueillaient près de 48,7% de collégiens d’origines défavorisées contre seulement 18,7% dans les établissements privés en 2010. La même année, à Nice, les collèges publics en accueillaient 35% contre 9,9% dans les établissements privés.

Ces chiffres sont édifiants concernant le manque de diversité et de mixité sociale dans les établissements privés. D’ailleurs, selon Pierre Merle, ce phénomène tend à s’aggraver. Il conceptualise ainsi la « ghettoïsation par le haut » des collèges privés : cette tendance se renforce, aussi bien dans les établissements ayant un recrutement au sein des classes favorisées que dans les établissements accueillant des classes défavorisées. Ainsi, on assiste à un écartement continu des établissements privés et publics, les uns s’embourgeoisent et les autres accueillent dans une proportion toujours plus grande des classes populaires.

Ce constat montre bien que la mixité sociale ne semble plus être au cœur des priorités de notre système scolaire. Alors, que faire pour lutter contre cette dualité nocive pour notre société de plus en plus ségréguée ?

Pour un grand service public unifié

Plusieurs options sont défendues et s’offrent à nous. Il est tout d’abord important de revenir sur un point étonnant concernant le financement de bourses publiques, qui permettent d’accéder à certains établissements privés. Une grande majorité de personnalités politiques libérales accusent souvent la gauche de « jeter l’argent par les fenêtres » en n’oubliant pas de rappeler « qu’il n’y a pas d’argent magique ». Alors comment expliquer le gaspillage financier que constituent les bourses scolaires permettant d’accéder à l’enseignement privé, alors même qu’un service public gratuit et laïc est à la disposition de tous les élèves en France ?

Sur le point purement financier, il faut également rappeler que le financement public global des établissements privés s’élève en moyenne à 12 milliards d’euros par an, un argent au service d’un creusement des inégalités sociales.

La réouverture de la guerre scolaire peut être une solution pour sortir de cette situation délétère. Il est essentiel de rappeler le fondement de nos valeurs républicaines et l’importance qu’a l’éducation publique dans la transmission de celles-ci. Paul Vannier propose ainsi de stopper le financement public des établissements privés afin de conserver le libre choix d’enseignement. L’objectif serait ainsi de former un grand service public unifié dans lequel les établissements privés rejoindraient les établissements publics.

Une autre proposition pour la mixité sociale et la réduction des inégalités est une révision de la carte scolaire. Il faut que celle-ci s’applique de manière égale aux établissements publics et privés. De ce fait, les établissements privés ne pourraient plus choisir leurs élèves à l’entrée, mettant ainsi fin au filtrage économique. Repenser l’éducation prioritaire et la philosophie de sectorisation des étudiants doit être une priorité afin de lutter contre la ségrégation sociale. C’est notamment ce que propose un éventuel grand plan d’éducation, prévoyant une revalorisation des salaires des professeurs afin de renforcer l’attractivité du secteur, un meilleur accompagnement des élèves ou encore une garantie des financements à hauteur des besoins, humains, notamment dans les quartiers populaires.

Il est également important de modifier les pratiques en place dans certains établissements privés élitistes. La mixité doit être au cœur de la réforme du système scolaire. Ainsi, il est inacceptable de procéder à des classes de niveau ayant pour effet de tirer les meilleurs vers le haut et les plus défavorisés en termes de capital économique et culturel vers le bas. Ces procédés sont extrêmement nocifs en matière de reproduction des inégalités et de déterminisme social.

La comparaison incessante entre les écoles privées et publiques, biaisée par les outils statistiques utilisés, et la grande participation de cette dualité à l’accroissement des inégalités, doivent nous faire prendre conscience de l’urgence de faire évoluer notre modèle scolaire. Le respect des valeurs républicaines, de la laïcité, de l’égalité et un ancrage profond dans la mixité doivent être une priorité afin d’éviter un système scolaire à deux vitesses. Il est peut-être encore temps de s’inspirer du Plan Langevin-Wallon de 1946 défendant l’éducation comme un vecteur de justice et d’émancipation.

Ainsi, n’oublions pas qu’il n’y a pas de grandes réalisations qui n’aient d’abord été utopie.

Références

(1)Pierre Merle, La ségrégation scolaire, Chapitre 5, « L’école privée, une source de ségrégation scolaire », 2012

(2) Marie-Thérèse Frank, Pierre Mignaval, Alain Savary : Politique et Honneur, Chapitre 11, « La loi Savary le regard des acteurs », 2002.

(3)Isabelle Maetz, Public et privé : flux, parcours scolaires et caractéristiques des élèves, 2004

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Splendeurs et misères de l’antiracisme, entretien avec Florian Gulli

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Le Temps des Ruptures : Si le titre de votre livre parle d’antiracisme au singulier, vous prenez le temps de théoriquement et politiquement définir trois antiracismes distincts : l’antiracisme libéral, l’antiracisme politique et l’antiracisme socialiste. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette classification, et comment elle se transpose dans le champ politique, social et médiatique de nos jours ?
Florian GULLI :

Avant tout, je veux rappeler le contexte de ce livre. La montée de l’extrême-droite en France et ailleurs ; mais aussi le sentiment que les discours antiracistes institutionnels et une partie des discours antiracistes militants (pas tous) peuvent jouer un rôle contre-productif pour enrayer cette montée.

Mon point de départ est un discours aujourd’hui très présent, notamment chez les jeunes militants, affirmant qu’il y aurait deux antiracismes. Un antiracisme qui aurait failli, celui de SOS Racisme, et un nouvel antiracisme qui aurait pris la relève, antiracisme porteur de la radicalité nécessaire pour faire reculer le racisme (il se désigne parfois en France au moyen de l’étiquette « antiracisme politique »). Ce nouvel antiracisme (issu des années 1960 états-uniennes) fait table rase du passé. L’antiracisme qui le précède est abusivement réduit aux années 1980 et à SOS Racisme ; les organisations historiques comme le MRAP, la LICRA et la LDH par exemple semblent n’avoir jamais existé. Cet antiracisme aurait repris l’idée de « race » à l’adversaire raciste pour la transformer en concept émancipateur. Il faudrait appréhender nos sociétés comme des hiérarchies raciales, avec des oppresseurs et des privilégiés (les « Blancs ») et des opprimés (les « Non-Blancs »). L’émancipation passerait par l’organisation autonome des « racisés » et la critique radicale de la « modernité blanche ».

La critique de l’instrumentalisation du combat antiraciste par la gauche socialiste est bien sûr légitime. Mais elle s’est transformée en critique monolithique de toute la gauche politique et syndicale considérée comme « blanche » alors même que milite en son sein quantité de personnes visées par la rhétorique raciste. La volonté de rompre avec le paternalisme et la condescendance, dont le slogan « touche pas à mon pote » a pu être le symbole, était là encore parfaitement nécessaire. Mais cette volonté de voir les victimes du racisme prendre une place plus grande dans le combat et dans les directions des organisations menant ce combat s’est transformée en autre chose : le projet de construire des organisations autonomes, c’est-à-dire non-mixte d’un point de vue « racial ». Il était nécessaire enfin d’en finir avec le discours consensuel, les appels à la fraternité des hommes en général. Il était nécessaire de retrouver un discours offensif, en phase avec la conflictualité et la violence du monde social. Mais la radicalité des discours s’est structurée autour de la division « blanc / non-blanc », obscurcissant des dynamiques politiques nationales et internationales autrement plus complexes et n’aidant jamais à faire descendre les tensions entre fractions des classes populaires.

Enfin, cette cartographie des antiracismes a le désavantage d’occulter complètement une tradition, celle du mouvement ouvrier, à laquelle on peut adresser des reproches mais qui ne mérite en aucun cas le refoulement dont elle est l’objet depuis des décennies. C’est cette tradition que la dernière partie de l’ouvrage essaie de réactiver. Non pas parce qu’elle aurait tout dit, mais parce qu’elle manque cruellement au débat.

LTR : Vous émettez une critique vive des deux premiers (libéral et politique), dont vous pointez d’ailleurs de très intéressantes convergences, bien qu’ils se renvoient dos à dos.
F.G : 

L’antiracisme libéral et l’antiracisme dit « politique », malgré leur opposition tonitruante, se rejoignent en effet bien souvent.

Les questions de classes sont minorées quand elles ne sont pas purement et simplement absentes des discours et des argumentaires, alors que les populations visées par le racisme sont pourtant surreprésentées dans les classes populaires : on parle de « diversité », d’ « identité », de « race », de « racisés », mais les considérations relatives aux rapports de classes peinent à surgir. Ce travers n’est pas nouveau ; il accompagne comme son ombre l’histoire des luttes pour l’émancipation. Aux États-Unis, cette tendance à ce qu’Adolph Reed Jr nomme « réductionnisme racial » a toujours été accompagnée de vives critiques. Martin Luther King considérait que l’une des « faiblesses du Black Power » avait été de « donner une priorité au problème racial au moment précis où l’avènement de l’automation et d’autres progrès techniques mettent au premier plan les problèmes économiques ». L’auteur de Racism and the Class Struggle (1970), James Boggs, afro-américain, ouvrier automobile et dirigeant syndical, regrettait lui aussi cette focalisation sur la question de la « race » (Boggs, 2010, p. 367). Ce reproche ne visait en aucun cas à négliger la question du racisme, seulement à empêcher de dissoudre intégralement la vie des Afro-américains dans cette question.

Autre point réunissant les deux antiracismes : leur allergie à la majorité. Côté libéralisme, c’est le vieux thème de la tyrannie de la majorité, mais adapté pour le XXIème siècle. Les masses ne sont plus à craindre parce qu’elles se voudraient piller la richesse de l’élite. Elles seraient à craindre, désormais, parce qu’elles menaceraient la démocratie et la civilisation, leurs instincts racistes, misogynes et homophobes, les rendant aisément manipulables par les démagogues d’extrême-droite. Dans le second antiracisme, la majorité (blanche) ne s’en sort guère mieux ; elle est raciste par définition. Produit par un « système raciste », dit-on, l’individu ne saurait être que raciste. Son inconscient (colonial) organiserait et animerait toute sa vie psychique. Ses pratiques les plus ordinaires, le repas a-t-on soutenu récemment, seraient des expressions de sa « blanchité ».

Il serait utile que les intellectuels soutenant ce genre de propos interrogent leur propre relation à la majorité et au populaire. En effet, il ne faut pas perdre de vue que cette majorité « blanche », dont ils parlent, est majoritairement populaire et que par voie de conséquence le jugement qu’ils portent sur elle est biaisé par des considérations de classe inavouée. Il faut relire sur ce point l’article lumineux de Pierre Bourdieu écrit en 1978 : « Le racisme de l’intelligence ». Les intellectuels antiracistes ne sont pas toujours les plus prompts à traquer en eux le racisme de l’intelligence, ce « racisme propre à des « élites » qui ont partie liée avec l’élection scolaire », qui les conduit à tenir des propos méprisants et caricaturaux sur les classes populaires. Comme tout racisme, ce racisme-là infériorise un groupe stigmatisé, ici la majorité, et légitime le groupe du « stigmatiseur », c’est-à-dire celui des purs produits de l’élection scolaire.

Il ne s’agit pas d’opposer à cette représentation négative de la majorité une vision naïvement optimiste. Il s’agit de rompre avec les représentations unilatérales et de se donner pour horizon stratégique la conquête de cette majorité. Ce qui suppose de ne pas la considérer a priori comme fautive et d’écouter ce qu’elle a à dire.

LTR : Dans votre ouvrage, vous consacrez un passage à la notion de privilège blanc, et au danger de son usage, par une double erreur conceptuelle et politique. Pouvez-vous nous en dire plus ?         
F.G :

Le concept de « privilège blanc » confond « privilège » et « droit ». Le fait qu’il y ait des discriminations n’implique absolument pas qu’il y ait des privilèges. Le fait de n’être pas contrôlé par la police en raison de son faciès n’est pas un privilège mais un droit. La lutte contre les discriminations est une lutte pour l’application du droit et en aucun cas une lutte pour abolir un privilège. Ce qui reviendrait dans le cas évoqué précédemment à accroître l’arbitraire policier. Ce que personne ne désire, je présume. Même Peggy McIntosh, qui popularise le concept en 1988 dans un texte intitulé White Privilege and Male Privilege (on remarquera l’absence significative de toute référence à la  classe sociale), reconnaît que le mot « privilège » est inapproprié, même si elle le conserve.

Par ailleurs, l’expression pourrait conduire à se donner une représentation complètement  fantaisiste de la hiérarchie sociale. Le cariste « blanc » de Lens ou l’ASH « blanche » de Sochaux sont-ils privilégiés par comparaison avec l’universitaire ou le journaliste « racisé » (sic) parisien ? De quel côté se situent le capital économique, le capital culturel et le capital social ? Les avantages ou désavantages doivent être pensés « toutes choses égales par ailleurs ». Et il faut bien avouer qu’il est rare de lire cette précision.

Mais il faut aller au-delà des confusions théoriques et penser ce concept en tant qu’outil politique. Quels effets attendre de l’usage d’une telle expression ? Sans doute, pourra-t-elle susciter la culpabilité de quelques uns. Le concept trouvera peut être un écho auprès de ceux qui vivent très confortablement (c’est le cas de Peggy McIntosh). Ils préféreront sans doute que leur privilège social soit décrit en terme de « race », plutôt qu’en terme de classe. Mais surtout, cette invitation à reconnaître publiquement son privilège sera une manière pour eux de se donner bonne conscience à peu de frais. En dénonçant leur privilège, ils percevront un « salaire psychologique », ils feront la démonstration de leur appartenance à une élite blanche très distinguée, consciente et toute dévouée à la justice.

En revanche, il y a fort à parier que dans les classes populaires, où l’on ne part pas en vacances, où l’on a du mal à se chauffer, la rhétorique du « privilège blanc » risque de n’avoir aucun effet positif. Elle va au contraire attiser la haine et le ressentiment, accroître les tensions entre fractions des classes populaires. L’incapacité à entrevoir ces conséquences tout à fait prévisibles en dit long sur la distance que les partisans du concept de « privilège blanc » entretiennent avec le populaire et sur leur irresponsabilité sociale.

LTR : Il y a quelques années en arrière, la notion de race était fortement prohibé, car son usage validait en creux l’idée d’une division de l’humanité en groupes hermétiques. Or, comme vous le montrez, son utilisation dans le champ politique est revenue en force, et avec une légitimité nouvelle. Quel regard portez-vous sur ce nouveau racialisme ?
F.G :

Bien sûr, il ne faut pas s’imaginer naïvement que le refus d’employer la catégorie de « race » mettra fin au racisme. Mais n’ayons pas la naïveté symétrique consistant à croire que son emploi permettra de faire reculer le racisme. Si l’utilisation de la catégorie de « race » avait une quelconque vertu antiraciste, alors le racisme aurait dû disparaître depuis longtemps aux États-Unis, tant le discours public y est saturé de référence à la « race » (on y vend même des médicaments « Black only ») .

La catégorie de « race » ne semble en réalité guère utile. Nous disposons d’autres mots pour penser le réel : « racisme » et « racialisation » en particulier. Qu’apporte la catégorie de « race » ? Rien. Ou alors de la confusion. « On lui a refusé un emploi par racisme » est une formule absolument claire, la formule « On lui a refusé un emploi en raison de sa race » ne l’est pas. On reprendra ici l’analyse de Barbara J. Fields et Karen E. Fields dans Racecraft ou l’esprit de l’inégalité aux États-Unis. Le passage de la première formule à la seconde correspond à ce qu’elles qualifient de « manœuvre race-racisme » : « déguisé en race, le racisme devient quelque chose que les Afro-américains sont, plutôt que quelque chose que les racistes font. Cette imposture, cela fait longtemps que les racistes et les apologistes du racisme ont su en tirer parti » (2021, p. 141). Par ailleurs, aucune précaution savante, ni les guillemets autour du mot « race », ni l’ajout de la formule « construction sociale », n’empêchera que ce terme soit entendu en un sens biologisant ou lourdement déterministe, hors des cercles académiques.

Mais le problème essentiel est politique : la promotion de la catégorie de « race » va souvent avec la promotion de la division « blancs / non-blancs » comme principe de division du monde social que devrait adopter la lutte contre le racisme. Envisager le racisme de la sorte, c’est se mettre en bien mauvaise posture. En effet, cette ligne de division du social est déjà mobilisée par d’autres forces politiques.

C’est d’abord évidemment la division mise en avant par le RN et avant lui le FN. L’extrême-droite nationaliste pose que le monde social est divisé en « français et arabes », voire en « français et musulmans ». Sur cette division, le RN a un double avantage : il en parle depuis 50 ans et il peut se prévaloir de la majorité. Un antiracisme dénonçant la majorité blanche a perdu d’avance. Adopter cette division, c’est donc incontestablement se situer sur le terrain le plus favorable à l’adversaire.

Ce principe de division est aussi celui de l’extrême-droite musulmane, qui oppose l’Occident matérialiste à la spiritualité de la communauté religieuse. Le discours antiraciste peut alors aisément servir de paravent à des menées théologico-politiques. En témoigne le média qatari en ligne AJ+ (Al Jazeera) qui fait le procès permanent des pays occidentaux en adoptant le discours des militants antiracistes, intersectionnels et féministes (alors même qu’au Qatar, l’homosexualité est illégale et punie de mort, que les travailleurs migrants sont traités comme des esclaves et que les femmes demeurent sous l’autorité d’un tuteur masculin pour les décisions essentielles de leur vie). Mais surtout, un tel discours antiraciste se condamne à une position acritique à l’égard de cette extrême-droite musulmane puisque critiquer ces Non-blancs serait tirer contre son camp. L’antiracisme prête alors le flan à une accusation facile : il pratiquerait un « deux poids, deux mesures », critiquant l’extrême-droite seulement lorsqu’elle est nationaliste et s’abstenant de toute critique dès lors qu’elle est musulmane.

LTR : Le marxiste que vous êtes revient souvent à la mise en concurrence conceptuelle de la « classe » vis-à-vis de la « race ». Pourquoi cette lecture est-elle importante ?
F. G :

C’est une question difficile et pleine de malentendus. La tradition marxiste a beaucoup été critiquée pour avoir avancé « la primauté de la question des classes ».

Il y a une manière irrecevable d’interpréter cette affirmation (et il est certain que des organisations se réclamant du marxisme et du socialisme ont pu avoir une telle lecture). Celle consistant à faire des mots « race » et « classe » le nom de groupes sociaux distincts, le mot « race » désignerait un groupe social (les Noirs, les Non-Blancs, etc.), tandis que le mot « classe » en désignerait un autre (les travailleurs blancs). S’il fallait entendre les mots en ce sens-là, la thèse de la primauté de la classe ne serait rien d’autre qu’un racisme déguisée.

L’idée de primauté a plusieurs sens. Elle peut vouloir dire que l’idéologie raciale, aux États-Unis par exemple, est née dans le contexte d’un rapport de classe. C’est ce que rappelle Barbara et Karen Fields, et avant elles, Theodore W. Allen ou Eric Williams. L’idéologie raciste n’apparaît que bien après les débuts de l’esclavage. Il faut des décennies pour que l’idéologie raciste se constitue. Pour Théodore W. Allen, l’invention de la « race » eut des motivations politiques : prévenir l’alliance des travailleurs  blancs et noirs qui avaient menacé le pouvoir des planteurs lors de la révolte de Bacon en 1676 en Virginie. Il faut donc bien partir du contexte de classe pour comprendre l’idéologie raciste, en ajoutant bien sûr que l’idéologie peut ensuite rétroagir sur le contexte.

C.L.R. James, dans les Jacobins noirs, avance lui aussi l’idée de la primauté de classe pour expliquer que les solidarités entre groupes sociaux lors de la révolution de Saint-Domingue ont, d’abord et avant tout, été des solidarités de classe, et marginalement des solidarités raciales. Pour James, « race » et classe ne renvoient donc pas à des groupes sociaux, mais aux motivations qui poussent des groupes à agir. Ainsi, les hommes de couleur propriétaires d’esclaves, en s’opposant à l’abolition de l’esclavage, ont agi en tant que propriétaires, donc en suivant leur intérêt de classe, et non en tant qu’hommes de couleur, suivant leur « affinité raciale » avec les esclaves.

Si l’on se fixe pour horizon le socialisme, ce que fait James, alors il faut agir en tant que classe. Et de cette primauté de la classe bien comprise découle une conséquence nécessaire : la lutte contre le racisme est centrale puisque le racisme divise la classe et empêche une fraction des travailleurs d’agir en tant que travailleur.

LTR : Que peut proposer de nos jours l’antiracisme socialiste que vous appelez de vos vœux, et qui dispose déjà d’une forte tradition historique ?
F.G :

La tradition du mouvement ouvrier semble offrir des perspectives intéressantes. A condition, bien sûr, qu’elle fasse l’objet d’une réflexion autocritique pour se débarrasser de certaines tendances. Par exemple, la tendance à surestimer l’homogénéité de la classe des travailleurs, à sous-estimer ses luttes internes. La tendance parfois, aussi, à se donner une image idéalisée des travailleurs qui seraient imperméable au racisme.

Ce que cette tradition propose d’abord, c’est un cadre d’analyse matérialiste du racisme. Le racisme est pensé à partir des inégalités mondiales et des rapports centre / périphérie à l’échelle mondiale ou régionale. On peut dégager deux contextes du racisme. Contexte 1 : lorsque le centre investit les périphéries (colonialisme, dépendance, néocolonialisme, etc.). Contexte 2 : lorsque les périphéries migrent vers le centre (migrations postcoloniales, mais pas seulement). Dans ce deuxième cas, les populations concernées par la migration s’intègrent souvent d’abord aux échelons les plus bas de la structure de classe nationale si bien que leur destin devient indissociablement, dans des proportions variables, une affaire de classe et une affaire de racisme.

Point important : la relation entre le contexte 1 et le contexte 2 n’est pas mécanique, le racisme 2, s’il peut entretenir un certain rapport avec le racisme 1, ne s’en déduit pas. Il se nourrit d’autres causes. Celles qui conduisent au racisme dans le contexte 1 ne sont pas les mêmes que celles qui agissent dans le contexte 2.

L’intellectuel marxiste Alex Callinicos le disait en ces termes : « Le racisme est […] la créature de l’esclavage et du colonialisme. […] Mais le racisme d’aujourd’hui ? Arrêter l’analyse à ce stade signifierait considérer le racisme contemporain comme une sorte de vestige du passé, qui aurait réussi à survivre à l’abolition de l’esclavage et à l’effondrement des empires coloniaux » (« Racisme et lutte de classes »). Le racisme présent se nourrit des divisions liées aux migrations de forces de travail et aux ségrégations urbaines imposées à cette fraction de la classe des travailleurs.

Bref, cette analyse est matérialiste jusqu’au bout. Quand d’autres le sont seulement pour expliquer l’avènement du racisme, avant de postuler de façon idéaliste sa reproduction automatique tout au long de l’histoire, sans qu’aucune cause nouvelle ne vienne nourrir l’idéologie.

LTR : Dans une époque morcelée entre un fascisme de moins en moins discret, et un racialisme fragmentaire, que doit faire la gauche pour recréer un bloc populaire unifié, et porter à la fois un discours antiraciste crédible, et des promesses sociales universelles ?
F.G :

La tâche est difficile. Il faut proposer un discours antiraciste qui prenne ses distances résolument avec la division « blancs / non-blancs ». Il faut faire en sorte que les mots et les concepts de l’antiracisme n’avivent pas les tensions entre fraction des classes populaires. Sans cependant mettre sous le tapis ces mêmes tensions. C’est là où les concepts de classe et de fractions de classe peuvent être utiles. Ils permettent de dire ce qui est commun sans nier les différences.

Il faut aussi tenter de retirer à l’extrême droite son pouvoir d’attraction dans les classes populaires. Non pas en diabolisant, en criant au fascisme, mais en prenant connaissance des discours de ceux qui votent pour l’extrême-droite ou ceux qui se sentiraient prêts à le faire. Un seul exemple la question de l’insécurité. C’est une question posée par les classes populaire, y compris dans les quartiers populaires. Qui peut imaginer sérieusement que des parents ne soient pas inquiets pour eux mêmes ou pour leurs enfants lorsqu’il y a du trafic dans le quartier ou à proximité de l’école ? Plutôt que de contester l’interprétation raciste, la gauche a trop souvent préféré nier ou minimiser le problème, allant jusqu’à considérer que ce thème était un thème de droite.

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Des barrages plutôt que des bassines : quelques réflexions hydrologiques sur la gestion de l’eau

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C’est quand même curieux cette volonté de détruire les surfaces cultivables de notre territoire : un texte de loi en préparation destinée à accélérer la production d’énergies renouvelables et actuellement discuté au Sénat va conduire à ce que, depuis les remparts de Saint-Cirq-Lapopie, un des plus beaux villages de France, l’œil devra s’appesantir sur un vaste champ de 44000 panneaux solaires envahissant la vallée du Lot (alors que des milliers d’hectares sont déserts sur le plateau). Le même texte prévoit que les transformateurs électriques de 10 hectares qui vont raccorder sur les côtes les éoliennes en mer soient exemptés de toute autorisation d’artificialisation des sols. Une autre loi « d’exception », destinée à accélérer la création de centrales nucléaires, va permettre d’installer n’importe où les EPR promis par le Gouvernement.

Et c’est dans ce contexte qu’on apprend que des centaines d’hectares de terres cultivables vont être transformés en « bassines » !

Les méga-bassines           

Une bassine est un réservoir peu profond creusé en terrain agricole plat et étanchéifié en recouvrant le trou d’un film en matière plastique. Sa capacité avoisine 200 000 m3. Au contraire des retenues classiques, la bassine n’est pas remplie par les eaux de ruissellement de la pluie sur un bassin versant mais par pompage pendant l’hiver dans la nappe aquifère située en-dessous. Les prélèvements dans la nappe sont réalisés quand la nappe est en période de recharge et que les besoins d’irrigation sont faibles, de façon que l’eau stockée soit utilisée en été sans avoir à pomper dans la nappe. On notera que cette méthode ne permet pas de stockage supplémentaire. Le changement climatique est censé s’accompagner d’un accroissement de canicules et de sécheresses. Pour n’avoir pas à trop limiter l’irrigation, la FNSEA et le ministère de l’Agriculture préconisent la multiplication des bassines qui sont subventionnées jusqu’à 70 % par les agences de bassin, ainsi que certains départements ou régions.

Les 41 bassines prévues à l’origine sur le bassin du Clain étaient destinées à stocker 11,2 millions de m3 d’eau sur plus de 500 hectares, soit 224 m3 en moyenne par bassine. Le projet a été réduit à 16 bassines, financées à 70% par nos impôts. On est en droit de s’étonner de cette conception qui se déclare destinée à économiser l’eau. D’abord on perd en terrain agricole l’équivalent de 12 à 13 hectares par bassine et on ne gagne pas une goutte d’eau ; ensuite cette surface est revêtue d’une immense bâche en plastique, matériau qui risque de polluer la mer en se décomposant. De plus l’eau étant stagnante, sa température risque de s’élever en été ce qui favorise la détérioration de sa qualité. Par ailleurs, l’alimentation par pompage dans la nappe aquifère est particulièrement vorace en énergie.

Enfin, un petit calcul hydrologique permet de montrer que ces bassines sont extrêmement inefficaces en matière de gestion de l’eau. En été, l’atmosphère évapore environ 5 millimètres d’eau par jour, environ 50 cm pour l’été. Sur 500 hectares cela représente 5 000 000 m² x 0,5 m = 2 500 000 m3, soit 2,5 millions de m3 de perte, ce qui correspond à plus de 20% de leur capacité totale ! Une perte à laquelle il faut ajouter l’évaporation du reste de l’année… soit 15 à 20% de plus. Ces pourcentages ne dépendent évidemment pas du nombre de bassines. Les écologistes ajoutent qu’elles sont créées au profit d’une agriculture intensive, irriguée et généralement de type monoculture, mais cela est hors du propos hydrologique.

La pluviométrie en France

Très globalement, la pluie annuelle en France est inférieure à 800 mm au nord d’une ligne Moulins-Poitiers (à part quelques petites taches plus pluvieuses en Bretagne et en Normandie, ainsi que dans le Morvan) et à l’ouest du pied des massifs du Jura et des Vosges. Elle ne dépasse pas 800 mm le long du littoral Atlantique au nord de Bordeaux, dans la vallée de la Garonne et sa prolongation jusqu’à Narbonne, dans tout le pourtour méditerranéen et dans la vallée du Rhône. Pour trouver des pluviométries supérieures à 1000 mm par an, il faut se restreindre au pied des Pyrénées (et aux Landes, bien arrosées), aux principaux reliefs du Massif-Central (et aux Cévennes) et au Massif Alpin.

C’est dire que la France n’est pas adaptée à des cultures gourmandes en eau comme le maïs qui n’est profitable que sous au moins un mètre d’eau par an. La France est un pays de céréales, de betteraves sucrières, de fruits… et d’élevage avec nourriture à l’herbe sauvage ou cultivée (bien d’autre activités agricoles sont les bienvenues chez nous, je simplifie).

Contrairement à ce qui est parfois avancé, la pluie de ces dernières années n’est pas en diminution. Il serait d’ailleurs bien étonnant qu’il en soit autrement en période de réchauffement de l’atmosphère : un air plus chaud favorise l’évaporation en mer, donc l’émergence de masses d’air plus humides qui vont arroser les terres… Par contre, une atmosphère chaude favorise également l’échauffement des sols, donc l’apparition de tornades et d’orages plus violents qu’auparavant, plus de grêle, fortes intensités de précipitation. Ceci ne modifie les écoulements des rivières que dans certains cas très rares.

Quelques réflexions hydrologiques

Lorsqu’il pleut sur un terrain naturel (non rocheux), l’eau précipitée s’infiltre d’abord en totalité, et ce que le sol soit sec ou humide et quelle que soit l’intensité de la pluie (contrairement à ce qui est souvent dit). Une fois infiltrée, l’eau s’écoule lentement dans le sol en suivant la ligne de plus grande pente et ce mouvement ne s’arrête que quand elle arrive en bas, c’est-à-dire au niveau du lit de la rivière. Là, elle peut continuer en souterrain le long de la nappe alluviale (les alluvions sur lesquels coule la rivière) et, plus loin, s’étaler éventuellement vers une nappe d’eau (la nappe « phréatique ») si elle se situe à un niveau plus bas que celui de la nappe alluviale. Si la nappe alluviale est déjà pleine, l’eau va déborder dans le lit de la rivière dont le débit de surface va augmenter légèrement.

Ceci est vrai jusqu’à un « seuil de ruissellement » qui équivalent en France à environ 60 mm pour une journée de pluie ; la répartition des précipitations au cours de la journée n’a quasiment aucune importance : orage en deux heures ou pluie continue sur un volume équivalent en un jour : même effet en terrain naturel. Si la pluie de la journée dépasse 60 mm… le terrain des versants est saturé et la pluie ne peut plus s’infiltrer. Elle est donc forcée de ruisseler en surface, très rapidement, vers la rivière : c’est la crue !

Comme nous l’avons vu, la rivière peut rencontrer une nappe d’eau, c’est-à dire un gisement géologique aquifère, une structure perméable disposée sur un socle imperméable, et dont l’eau qui mouille le terrain perméable s’écoule tranquillement vers l’aval, avec exutoire soit en mer soit dans une rivière. Cette nappe est rechargée en eau soit directement, par infiltration de la pluie à partir de la surface, soit indirectement, par écoulement de l’eau d’une nappe alluviale qui domine l’aquifère.  En fait, quand il y a jonction entre une nappe alluviale et un aquifère l’écoulement se fait naturellement dans un sens ou dans l’autre suivant les niveaux d’eau.

Bien entendu, il est intéressant d’exploiter l’eau d’un aquifère tout en limitant les pertes par écoulement en mer. Cependant, il convient de ne pomper dans l’aquifère que la quantité qui y entre : sinon on vide l’aquifère et on assèche toutes les rivières qui sont en lien avec lui ! C’est ce que l’on observe en ce moment dans bien des régions… parce que l’on pompe trop dans la nappe en début de saison chaude, sans garder une réserve suffisante pour la suite de l’été.

Des barrages plutôt que des bassines

De tous temps les rivières de France ont été aménagées au moyen de petits barrages (ou digues transversales) destinés à la fois à créer une petite réserve d’eau et à alimenter un canal conduisant l’eau à un moulin. Quand beaucoup de petits barrages ont été construits tout au long du cours d’eau, on obtient une bonne régularisation du débit, mais le coût d’un tel aménagement serait actuellement prohibitif. Récemment, on a entrepris de démolir tous les ouvrages de certains cours d’eau, qui, depuis, se sont asséchés, spectacle lamentable ! On préfère aujourd’hui une régulation par des ouvrages situés plus en amont, dans une région de collines (barrages collinaires) ou de piémont montagneux (petit barrage).

Ces ouvrages sont bon marché et fiables (à condition de réaliser une bonne étude hydrologique, en particulier pour bien connaître les crues). On peut les construire en terre (mais on doit alors créer un exutoire pour les crues, ce qui est cher), en enrochements ou en gabions (la crue peut passer par-dessus), ou même en béton dans certains cas très particuliers (verrou rocheux). En général on choisit un site capable de stocker quelques millions de mètres cubes dans un lac de faible superficie pour limiter l’évaporation.

Cette réserve d’eau possède les propriétés suivantes :

  • Elle est partiellement constituée d’eau de crue, qui se serait perdue en mer sans alimenter les nappes.
  • Elle est un milieu vivant, avec une végétation et une faune aquatique, donc elle est saine (à condition que le bassin versant amont soit protégé des pollutions)
  • Elle est en contact avec la nappe alluviale de la rivière, par le fond un peu perméable du lac et par des « fuites » contrôlées pour assurer un petit débit de base
  • Elle est disponible pour contrôler les périodes de sécheresse au moyen de lâchers dans la rivière.
  • Elle n’occupe pas de surface agricole

À l’inverse, une « giga bassine » en plastique perturbe le fonctionnement de la nappe sans ajouter une goutte d’eau à sa recharge, donc ne peut conduire qu’à un assèchement des rivières des environs et à l’endommagement du milieu naturel. De plus l’eau ne peut que croupir, sauf à la charger en sulfate de cuivre (polluant) ou chlore. Enfin, que faire du plastique quand il sera usé ? Il y en a déjà tellement qui nourrit poissons et cétacés…

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Le néolibéralisme chez Pierre Bourdieu et Michel Foucault

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Le « néolibéralisme » défraie régulièrement la chronique politique. Mot-valise par excellence, presque unanimement décrié, personne ne s’en revendique vraiment. Souvent assimilé à tort à l’ultra-libéralisme, chacun y va de sa propre interprétation. On situe généralement la « vague » néolibérale au tournant des années 80, avec les victoires de Thatcher en 1979 au Royaume-Uni et de Reagan aux Etats-Unis en 1980. Pierre Bourdieu et Michel Foucault, en témoins privilégiés de cette (r)évolution politique, l’ont tout deux – sans jamais croiser leurs analyses – étudiée avec minutie. Disséminées au sein de plusieurs écrits, leurs analyses n’avaient encore jamais fait l’objet d’une étude globale. C’est chose faite depuis 2008 et la publication par le sociologue Christian Laval de Foucault, Bourdieu et la question néolibérale aux éditions La Découverte.

Pour Michel Foucault, la gouvernementalité du néolibéralisme
Un nouvel art de gouverner les hommes

Dès 1979, Foucault s’essaye à l’analyse de ce qu’on appellera plus tard le néolibéralisme. Dans un cours au collège de France, Naissance de la biopolitique, le philosophe examine les mécanismes de pouvoir dans des espaces vus et perçus comme politiques. Il étudie ce qu’il appelle le « pouvoir de normalisation », c’est-à-dire les relations de pouvoir qui s’immiscent dans les relations sociales ordinaires. Pour le philosophe, la gouvernementalité ne se réduit pas à une diffusion centralisée de commandements, mais à une manière historiquement située de « conduire les individus dans une société donnée ». Le sujet est gouvernable par son milieu, malgré sa liberté dans ce milieu : comme un poisson dans son bocal, libre de bouger, mais restreint dans son mouvement. Plutôt que d’inscrire l’avènement néolibéral dans l’histoire du capitalisme, il l’inscrit dans l’histoire des conduites des hommes en régime libéral. La conviction que les individus se conduisent et sont conduits par la poursuite de leurs propres intérêts économiques est centrale dans la gouvernementalité libérale, elle « est un gouvernement économique des hommes ». C’est un gouvernement qui ne repose pas sur la coercition, puisque les hommes n’ont qu’à suivre leur propre intérêt présumé – lequel ne peut être, dans une perspective, libérale, qu’économique.

Pour le philosophe, « gouverner, c’est structurer le champ d’action éventuel des autres », c’est définir les frontières du bocal pour filer la métaphore. Comment le gouvernement libéral a pu progressivement étendre sa politique jusqu’aux espaces de vie privée des individus ? Le gouvernement monarchique, lui, n’usait que de coercition – telle chose est interdite, telle autre autorisée. Se précise une double logique de limitation du pouvoir politique (au sens de «la » politique politicienne) et du principe subjectif de la rationalité de chaque individu. Autrement dit, l’Etat doit favoriser l’épanouissement individuel et restreindre son propre champ d’intervention. La liberté n’est pas ici perçue comme première – au sens propre – mais doit être construite par les pouvoirs publics. La liberté néolibérale est une construction sociale.  

Dans son cours de 1978, Sécurité, Territoire, Population, le libéralisme est compris comme une « technologie de pouvoir » qui intervient au cœur de la réalité concrète. Dans Surveiller et punir le ton était plutôt critique, mais ici Foucault « prend au sérieux le libéralisme comme méthode politique de maximisation des effets de l’action publique et de minimisation des ressources utilisées ». L’économie politique libérale renvoie à l’homo economicus (calculateur et rationnel), or cette figure ne peut être que le produit de dispositifs disciplinaires. La liberté néolibérale est produite par des dispositifs disciplinaires. L’art libéral de gouverner est un art utilitariste. Il dessine une contrainte douce visant à conduire les hommes à mener leur vie eux-mêmes. Dès lors, le néolibéralisme n’est pas l’idéologie jusnaturaliste libérale qui considère l’homme comme possédant naturellement des droits. Il est l’art de modifier le milieu dans lequel l’individu évolue, « c’est par l’intérêt porté à ce qui est rendu disponible, à la fois accessible et légitime, que l’on forme et que l’on guide l’individu ». Pour Foucault, « le gouvernement, en tout cas le gouvernement dans cette nouvelle raison gouvernementale, c’est quelque chose qui manipule des intérêts ».

Le néolibéralisme en acte(s)

Le pouvoir moderne, id est à partir du XVIIème siècle, se constitue par l’économie, quand bien même celle-ci est constituée et façonnée par les dispositifs de pouvoir. Le pouvoir biopolitique, comme tout pouvoir, n’est pas qu’un pouvoir négatif qui réprime et interdit, il a également une dimension positive. Dans Sécurité, Territoire, Population, Foucault avance le propos suivant : « le milieu, c’est un certain nombre d’effets qui sont des effets de masse portant sur tous ceux qui y résident ». Prenons l’exemple de la « nosopolitique », c’est à dire la politique de santé au XVIIIème siècle. On est ici aux commencements de la gouvernementalité libérale. Les interventions publiques visent alors à « constituer la famille en milieu de l’enfant ». La famille doit devenir un milieu qui favorise le maintien et le développement du corps sain de l’enfant. Pour ce faire, les institutions publiques diffusent des normes médicales dans la société.  Sans pour autant s’introduire dans la vie privée des familles, la politique familiale compte sur les parents eux-mêmes pour assurer la santé de leurs enfants en suivant les normes diffusées dans la société. Le pouvoir biopolitique agit donc sur le milieu familial en diffusant ces normes, et cette action provoque d’autres actions de la part des familles ayant elles-mêmes un effet sur la santé des enfants.

La cohérence politique du néolibéralisme est double : une critique de la raison gouvernementale totalisante qui prétend avoir une vue globale sur l’économie (critique d’Hayek) et une action politique sur les individus par leur milieu. Ces deux aspects sont complémentaires, chacun participe de la responsabilisation des individus conçus comme entrepreneurs de leurs propres capitaux humains (compétences, diplômes, réseaux etc). Dans Naissance de la biopolitique, Foucault précise les contours de la figure humaine dans le néolibéralisme : « l’homo œconomicus, c’est celui qui est éminemment gouvernable. » Gouvernable par son environnement, son milieu. Au sein d’un espace régulé et rempli d’incitations, l’individu est en soi libre d’agir de la manière qu’il souhaite, de consommer ce qu’il veut, mais « surtout de capitaliser ses propres ressources ». Le milieu qui produit le mieux des incitations est, on s’en douterait, le marché.

Le néolibéralisme va encore plus loin. En plus de considérer l’individu comme un acteur rationnel, il « marchéise » son environnement construit comme un grand marché. D’une part, le néolibéralisme naturalise le marché, d’autre part, il crée les conditions essentielles au fonctionnement optimal de ce mêmemarché. Par la responsabilisation individuelle, les hommes sont appréhendés comme entreprises de soi – pensons à l’essor du fameux développement personnel au XXIe siècle -, lesquelles ne nécessitent alors pas d’aides et subventions étatiques. La gouvernementalité néolibérale est donc à la fois une politique de société, c’est-à-dire une action environnementale (= sur l’environnement, et non au sens écologique du terme), accompagnée d’une subjectivation individuelle. Reprenant le panoptique de Bentham, Foucault présente l’exercice du pouvoir comme un « calcul [du gouvernement] sur un calcul [des individus] ». En transformant les normes du milieu, l’on transforme le champ d’action de l’individu. L’individu n’agit pas dans un environnement neutre. S’inspirant toujours de Bentham, Foucault pense le pouvoir justement comme une action à distance, et non une force sur les corps eux-mêmes. Les comportements ne sont pas déterminés par une pression structurelle, mais par la surveillance de chacun, c’est à dire une panoptique généralisée, « l’opinion publique y est érigée en tribunal permanent ».

Le néolibéralisme du temps de Foucault

Mort en 1984, Foucault n’a aperçu que les prémices de la révolution néolibérale des années 70. Il a toutefois été un témoin attentif du septennat de Valérie Giscard d’Estaing, souvent considéré comme le commencement du néolibéralisme en France – notamment après la nomination de Raymond Barre à Matignon en 1976 en lieu et place du gaulliste Jacques Chirac. Pour VGE, le marché est essentiel, mais c’est au politique de participer à sa construction. Foucault considère que l’avènement de la droite libérale en France produit une inflexion néolibérale qui prend prétexte de la crise économique pour mettre en place une politique économique particulière, mais qui touche la société dans son ensemble. Apparaît alors la prévalence du marché sur l’ensemble des domaines politiques.

Le néolibéralisme progresse précisément dans un contexte de phobie d’État. Par exemple le mouvement libertaire, celui de la libération sexuelle entre autres, qui suit la tendance consistant à critiquer la normalisation imposée par l’État. La deuxième gauche a embrassé cette phobie d’État en lui opposant la société civile, affranchie de toute domination. Foucault met cette deuxième gauche qui assimile l’État au totalitarisme devant ses contradictions (à savoir que moins d’Etat = plus de marché). Il n’en oublie pas moins de blâmer les principaux coupables, les néolibéraux eux-mêmes. La crise de gouvernementalité trouve son essor dans la vague de contestations sociales des années 60, « avènement d’une nouvelle manière de conduire les individus qui prétend faire droit à l’aspiration à la liberté en tout domaine, sexuel, culturel aussi bien qu’économique ». Cette crise ne commence pas avec la crise pétrolière mais dans les années qui suivent mai 68. Alliance objective entre libération et libéralisation, entre gauchisme culturel et néolibéralisme. Victoire de la forme de pouvoir fondé sur le marché concurrentiel.

Chez Bourdieu, le néolibéralisme comme extension du domaine de l’économie
La découverte du néolibéralisme et l’inflexion politique de Bourdieu

Dans les premières décennies de sa longue carrière de sociologue, Pierre Bourdieu fait du modèle républicain sa cible prioritaire, sa « ligne théorique » – définie comme « la prédilection pour un objet jugé prioritaire, par la lutte contre un adversaire jugé principal. » Dans l’ordre de la connaissance, c’est la philosophie qui primait – la fameuse « IIIème République des professeurs ». La domination sociale, entérinée à l’école, se fondait principalement non pas sur l’économie mais sur le capital culturel. L’idéal républicain trouvait par ailleurs son débouché dans le pouvoir symbolique des grands serviteurs de l’Etat – les hauts fonctionnaires sur lesquels le général De Gaulle s’est appuyé durant sa présidence. L’ère du néolibéralisme amène Bourdieu à une rupture avec cette position. Se met progressivement en place une nouvelle structure de domination dans laquelle la République, au lieu d’être oppressive, devient aux yeux de Bourdieu le bouclier des dominés – via l’école et la puissance de l’Etat notamment. Dans cette nouvelle structure néolibérale, la philosophie se voit remplacée par la science économique. Le capital culturel tend à devenir second au profit du capital économique. Conséquence logique, ce n’est plus l’école qui établit la structure sociale mais les médias et la haute finance. Guillaume Erner, dans un billet politique de 2018(1), résume ce virage à 180 degrés : « Terminée, sa dénonciation du pouvoir comme lieu de domination des dominants ; cette fois-ci, « les dominés ont intérêt à défendre l’État, en particulier dans son aspect social ». L’Etat n’est plus dirigé par une élite intellectuelle et dévouée à l’intérêt général – avec tous les biais et limites que cette formule réductrice comporte – mais par une « oligarchie convertie aux idéaux du capitalisme mondialisé. ». Voyons désormais plus en détails comment le célèbre sociologue français décortique cette nouvelle idéologie dominante.

De la critique de la science économique à l’analyse sociologique du néolibéralisme

La théorie de Bourdieu fut d’abord un antiphilosophisme. Elle devint un antiéconomisme. Disséminée dans plusieurs écrits, l’analyse bourdieusienne vise à retranscrire la genèse de l’autonomisation du champ économique qui participe du développement de l’abstraction de l’économie dominante. Le sociologue conteste la réduction économiciste de l’acteur rationnel, figure propre à la théorie libérale – comme présentée plus haut dans notre article. Il propose un acteur raisonnable qui répond à des lois de son propre champ. Pour le dire plus simplement, les individus ne sont pas tous conduits par la raison économiciste, mais chaque individu est conduit par une raison propre à son champ. Avant de poursuivre la réflexion, il est nécessaire de préciser ce qu’entend Bourdieu par « champ » et, surtout, les conséquence pratiques de l’existence de ces champs. C’est un microcosme social qui fonctionne avec ses propres lois, ses enjeux de lutte qui lui sont propres, ses valeurs et principes spécifiques. Pour prendre un exemple très rudimentaire, le champ culturel diffère dans ses lois du champ économique. Dans le champ économique, l’enjeu de lutte est l’accumulation d’argent, alors que dans le champ culturel, la domination symbolique ne se fait pas en fonction du nombre de livres vendus, mais de la reconnaissance des pairs et de la postérité. Pour le dire plus simplement, Guillaume Musso – avec ses millions de livres vendus – occupe une position plus basse dans la structure sociale du champ culturel que, par exemple, Annie Ernaux ou Michel Houellebecq.

La science économique a remplacé le philosophisme parce qu’elle dispose d’une légitimité similaire avec des abstractions mathématiques et des dogmes abstraits (donc incontestables). Elle est devenue, au fil du temps, la science d’Etat par excellence. L’autonomisation du champ économique a été justement facilitée par la reconnaissance dont dispose la science économique. La révolution néolibérale correspond au moment d’après, celui où, non content de s’être autonomisé, le champ économique colonise les autres champs. A cette théorie des champs s’ajoute une autre notion chère à Bourdieu, celle de « champ de pouvoir ». C’est le champ dans lequel « se dispute et se décide la hiérarchie des champs », composé des dominants de chaque champ qui essayent de mettre en avant la prédominance de leur propre champ, « pour faire prévaloir dans tous les champs le type de domination que chaque type d’agents exerce dans son propre champ ». Tend à s’imposer ainsi un ‘principe de domination dominant ». Pour reprendre notre exemple, cela revient à se demander qui est dominant dans la structure sociale française entre Michel Houellebecq et Bernard Arnault. Pour Bourdieu, la réponse est évidente : c’est Bernard Arnault. « Quand le capital économique devient ainsi principe de légitimité de l’action politique, on peut parler de domination symbolique et réelle de l’économie dans le champ politique ». L’époque néolibérale se caractérise comme la domination du mode de domination propre au champ économique dans d’autres champs, qui deviennent des lieux d’encensement de l’accumulation du capital économique. Le pouvoir symbolique participe de la légitimation du désir d’accumulation économique, Bourdieu nomme cette évolution une « destruction de la civilisation ». Les logiques propres au champ économique colonisent tous les autres champs du monde social. Dès lors, il n’est plus si certain que Houellebecq domine dans l’ordre symbolique Guillaume Musso.

Comment cette révolution globale, c’est à dire le mouvement de remise en question de l’autonomisation des champs (constitutif de la différenciation sociale) couplée à la colonisation des logiques du champ économique, s’est-elle opérée ?

La « révolution néolibérale » 

Révolution symbolique, le néolibéralisme use de la « philosophie sociale de la fraction dominante de la classe dominante » pour critiquer l’état des choses. Dès lors, ceux qui s’opposent aux mesures néolibérales sont présentés et décrits comme conservateurs, puisqu’ils veulent protéger un modèle social perçu par la classe dominante comme « désuet ». Pour Bourdieu, le tournant néolibéral est en réalité la conséquence d’une transformation de la formation des élites. C’est au niveau de l’État que la révolution a lieu. Symboliquement, l’ENA a remplacé l’ENS ; les techniciens ont remplacé les intellectuels. Le néolibéralisme ne correspond pas à une demande de la population, mais crée l’offre et, in fine, la demande. Dans un article(2), Pierre Bourdieu et Monique de Saint-Martin étudient la politique d’aide à la personne menée par Raymond Barre pour accéder à la propriété. Leur conclusion est la suivante : il n’y avait pas de demande d’aide pour l’accès à la propriété, mais l’Etat, via des politiques d’aides publiques, a encouragé cette demande. L’Etat avait donc en tête, indépendamment de la demande démocratique, de contribuer à la production de petits propriétaires.

Autre exemple flagrant, que chacun peut sentir dans son rapport aux services publics, la révolution néolibérale dans la fonction publique – autrement appelée le new public management. Chaque Français constate les difficultés auxquelles font face les fonctionnaires qui, d’une part, manquent de moyens, mais qui, de surcroît, subissent des injonctions d’efficacité administrative qui renvoient à une logique économiciste alors que l’habitus du fonctionnaire n’est pas prédisposé à la rentabilité rempli économiciste. Tout au contraire, les dispositions sociales et mentales incorporées progressivement par les fonctionnaires relèvent souvent du sens de l’intérêt général.

Dernier exemple qui vient compléter notre précédent exemple sur le champ culturel. Prenons le champ musical. Auparavant, avant que le champ économique ne colonise tous les autres, la domination symbolique dans le champ de la musique s’exerçait par la reconnaissance des pairs – critiques et artistes – ou l’inclusion dans les mondes dominants de la musique – opéra, concerts classiques etc. Désormais, cette logique propre au champ culturel tend à s’estomper, et la logique économique prend le pas. Pensons aux rappeurs qui, pour afficher leur réussite, ne vont non pas dire « j’ai plus de talent qu’un tel » ou « ma musique est travaillée, réfléchie et réussie » mais plutôt « j’ai vendu X nombre d’albums », « j’ai vendu plus qu’un tel ». Cette révolution néolibérale n’est donc pas qu’économique, même si c’est son versant le plus décriée et commentée, elle est avant tout symbolique. Le néolibéralisme travaille et modifie « tous les champs en profondeur et de façon durable en s’imposant par la fabrication d’habitus purement économiques ». Il détruit les fondements mentaux et moraux du désintéressement. Dès lors le désintéressement – longtemps critiqué par Bourdieu comme étant hypocrite – des fonctionnaires devient un outil de résistance face au néolibéralisme.

Dès lors, et pour reprendre la célèbre formule de Lénine, que faire ? L’analyse bourdieusienne présente les mécanismes théoriques du néolibéralisme, mais aussi ses implications politiques. Pierre Laval, dans son livre, affirme ceci : « dans son travail sociologique, Bourdieu est passé d’une stratégie critique des illusions propres aux champs de production des biens symboliques à une stratégie défensive qui fait de leur autonomisation un « acquis de la civilisation » et donc de la défense de leur autonomie une tâche politiquement prioritaire. » Autrement dit, Bourdieu n’abandonne pas sa méthode critique initiale, mais entend avant tout protéger l’autonomie des champs – sans pour autant s’interdire une critique des formes de domination injustes qui s’y exercent. La « civilisation républicaine », héraut du désintéressement relatif au service public (la fameuse « main gauche de l’Etat »), consiste en une stricte différenciation des champs. Encore faut-il que les contempteurs du néolibéralisme, tout bien intentionnés qu’ils soient, acceptent de se départir eux-mêmes de raisonnements économicistes.  

Les analyses de Foucault et Bourdieu diffèrent tant dans la forme que dans leur contenu. Leurs outils d’analyse, ainsi que les temporalités d’études, ne sont pas les mêmes. Mais chacun décèle bien qu’au tournant des années 80 se déroule une révolution politique et anthropologique qui aura des effets majeurs sur les démocraties occidentales. L’économisme, dans l’analyse du néolibéralisme de Bourdieu comme celle de Foucault, prime désormais sur le reste – la politique, les relations sociales ou les collectifs. Ces analyses éclairent intellectuellement ce qui saute aux yeux de tout un chacun, la primauté du marché dans un nombre croissant de domaines de notre vie. Dès lors, en tant qu’hommes et femmes de gauche, il nous devient indispensable de (re)penser une alternative qui ne se limite pas à des pansements sociaux sur des plaies causées par l’économie de marché.

 

Références

(1) Guillaume Erner, France Culture, Bourdieu et l’Etat protecteur, 4 avril 2018. https://www.franceculture.fr/emissions/lhumeur-du-matin-par-guillaume-erner/lhumeur-du-jour-par-guillaume-erner-du-mercredi-04-avril-2018

(2)Bourdieu Pierre, De Saint Martin Monique. Le sens de la propriété. Dans : Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 81-82, mars 1990. L’économie de la maison. pp. 52-64.

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Avec des taux de croissance de 5 ou 6% avant la crise, le Sénégal a longtemps fait figure de « bon élève » aussi bien politique qu’économique. Mais avec la crise Covid, le secteur du tourisme, vital pour une importante partie de la population, a été frappé de plein fouet. La croissance est tombée à 1,5% en 2020. Le chômage atteint 24,1% fin 2021, soit 7,8 points de plus que fin 2020. Il touche plus fortement les zones rurales (29,8% contre 19,1% en zone urbaine). Mais il s’est propagé dans toutes les strates éducatives d’un pays marqué par un taux d’analphabétisme élevé (plus de 50% de la population). « Les gens en ont marre, il n’y a pas de travail, même pour ceux qui ont le bac », déplore une militante du PASTEF. Les diplômés du supérieur peinent tout autant à décrocher un contrat de travail. Un tiers seulement d’entre eux trouve un emploi à la hauteur de leur qualification. 

La jeunesse se sent coincée, sans perspective radieuse pointée à l’horizon, si ce n’est une Europe souvent fantasmée. Une partie d’entre elle tente sa chance vers l’autre continent, en « prenant la mer » sur les typiques pirogues qui parsèment toutes les côtes du pays. Des départs vécus ici comme des drames pour des parents inquiets du sort de leurs enfants, et qui ne décolèrent pas contre leur gouvernement qui n’a plus d’espoir à offrir à ses nouvelles générations. Ousmane Sonko souhaite incarner cet espoir auprès de la jeunesse qu’il n’a de cesse de séduire. « S’il y a un bon Président ici, les gens ne vont plus partir par la mer. », se persuade Mamadou Diallo, responsable syndical et d’une cellule du PASTEF. Pour autant, beaucoup n’attendent pas une potentielle alternance politique pour agir face à l’émigration. Ils s’organisent en associations pour traquer les passeurs, et trouver des solutions pour les jeunes désemparés. Même si, comme l’avouera le jeune Issa qui travaille 72 heures par semaine comme agent de sécurité, sans congés payés : « Si je trouve un bon travail ici, je resterai. Je préfèrerais. Mais sinon, j’essayerai d’aller aux Etats-Unis, ou en France. Cela devient trop difficile ici… ». Pourtant, Issa n’est pas un opposant au Président Macky Sall. Au contraire, il le soutient, mais reste lucide sur les très nombreux problèmes que doit affronter sa patrie : « Beaucoup de corruption, un peuple exploité, une élite qui reste sous la tutelle de la France… ». Un peuple plongé dans une pauvreté grandissante, avec 2 millions de « pauvres » supplémentaires en un an entre 2020 et 2021(1), et 8 ménages sur 10 qui ont vu leurs revenus drastiquement baisser(2).

Le plan d’aide d’1,5 milliards d’euros et l’interdiction de la mise au chômage décidés par Macky Sall n’auront pas permis d’atténuer la colère des Sénégalais. Une colère qui explosera en mars 2021 à la suite de l’arrestation de Sonko pour des accusations de viol dénoncées par celui-ci comme un complot pour faire taire l’opposition. Des émeutes qui feront au bas mot 5 morts et de nombreux pillages ou dégradations. Les entreprises françaises sur place seront particulièrement visées, comme pour signifier à l’ancien colon que l’autonomie du pays ne pourra que difficilement se concilier avec sa présence, quelle qu’elle soit. 

Sonko attise ce ressentiment grandissant face à un occident suffisant aux yeux de beaucoup, et face à la France en particulier. Il prône la préférence nationale pour le monde des affaires, sans remettre en cause le fonctionnement de celui-ci. Pas question de nationaliser, comme l’ont justement rappelé les militants du PASTEF : « On est dans un monde globalisé, on en est conscient. On veut favoriser les entrepreneurs Sénégalais, et renégocier certains accords avec les investisseurs étrangers. ». Un discours patriote qui voudrait favoriser finalement une bourgeoisie locale qu’ils dénoncent par ailleurs : « C’est un groupuscule au sommet de l’État. Si tu ne viens pas de cette caste alors tu n’as pas d’aide, tu n’as pas un bon accès à l’éducation. C’est la loi du plus fort. C’est la classe bourgeoise qui gouverne depuis 60 ans, pour elle. Regarde, Moustapha Niasse, le Président de l’Assemblée(3), il a été directeur de cabinet de Senghor ! ».

Un positionnement sur les occidentaux qui ne manque d’ailleurs pas d’agacer Issa : « Sonko est fou, il veut mettre tous les étrangers dehors ! ». Certains militants du PASTEF semblent tout de même être plus modérés, et animés d’un panafricaniste qui commencerait par se débarrasser du Franc CFA pour une monnaie commune. La fédération (voire la fusion) progressive de pays de l’Afrique de l’Ouest reste également à leurs yeux un objectif souhaitable.

Sentant ce qui se joue dans les entrailles du pays, Sonko « joue » sur les affects et le sens commun d’un peuple qui se raccroche à ses repères. Utilisant le ressentiment existant face aux pays du « nord » et leurs valeurs qu’ils voudraient imposer partout, il se fait le relai politique d’un traditionalisme religieux qui gagne du terrain. Symbole de cette montée religieuse dans un pays qui se dit laïc : l’influente association islamique JAMRA qui organise régulièrement des marches pour répéter son opposition stricte à l’homosexualité et durcir une loi pénale qui punit déjà de 5 ans d’emprisonnement un acte décrit comme « contre-nature ».  Abdou Laye, un guide touristique engagé dans la lutte contre l’émigration des jeunes, s’énervait quand nous lui évoquions ce sujet : « Y’a pas de « PD » au Sénégal. Vous, les occidentaux, vous faites ce que vous voulez, mais ici, ce ne sont pas nos valeurs. On n’en veut pas, ne nous l’imposez pas. ». Sonko a fait du durcissement des peines pénales contre les homosexuels un argument de campagne, espérant par-là se poser comme le rempart à l’occidentalisation des valeurs.

Démagogue pour certains, en prise avec le peuple pour d’autres, Sonko s’avère être un fin tacticien. Il se définit comme un « pragmatique » éloigné de toute idéologie. Cet ancien inspecteur des impôts s’est fait connaître en dénonçant la corruption au sommet de l’État sénégalais avant d’être remercié. Après avoir créé le « PASTEF, les patriotes » avec d’autres membres de la haute fonction publique, il sera le troisième homme de la présidentielle de 2019 avec 687 523 voix soit un peu moins de 16%. Mais il se forgera rapidement la stature de premier opposant au Président réélu, notamment après le ralliement à la majorité d’Idrissa Seck, arrivé deuxième à cette même présidentielle.

Il n’aura de cesse de prôner sa position pragmatique qui, comme nous l’expliquait un militant, est une doctrine « de défense des intérêts patriotiques et [des[ intérêts du peuple en garantissant la liberté des citoyens dans leur vie privée et leur activité professionnelle. C’est le respect de l’ordre public pour assurer la cohésion sociale et l’épanouissement de tous. Il y a une reconnaissance du rôle primordial de l’État dans le développement économique et social, dans le maintien de la paix et de la sécurité. Et c’est un parti qui se veut africain, pas seulement sénégalais. ». 

Un parti qui laisse de la place dans son organisation à des « mouvements ». Une représentante du mouvement des femmes évoquait leurs revendications : « On veut des financements, pour avoir accès à des formations, à des savoirs différents. On a besoin de trouver des emplois, nous aussi les femmes, pour pouvoir subvenir aux besoins de nos familles. Surtout les mères célibataires, elles ne peuvent pas vivre, c’est terrible pour elles. ». Et le leader du PASTEF apparaît comme leur seule lueur d’espoir : « Avec Sonko, ça va changer, il connaît la réalité du peuple, il sait ce que subissent les femmes ». Un élan fort pour plus de parité, au niveau économique, avec la volonté que la sécurité sociale protège réellement des risques de la vie. Pour ce qui est du reste, les traditions et coutumes ne sont pas remises en cause, quand bien même elles perpétuent une forme de domination masculine : du port du voile à la charge du ménage et l’éducation des enfants, elles assument, devant les hommes du parti : « Nous sommes des femmes africaines. Chez nous, ce n’est pas comme chez vous. C’est un peu chacun à sa place, c’est comme ça. ». De quoi mieux comprendre la stratégie de Sonko qui n’entend pas remettre en cause cette culture traditionnelle, mais bien la défendre. 

Une stratégie à plusieurs bandes qui a manqué de peu de faire mouche. Bien en amont des élections législatives qui se sont déroulées le 31 juillet 2022, il réussit un premier coup de force : rassembler une grande partie de l’opposition dans la coalition YAW (Yewwi Askan Wi, « Libérer le peuple »). Mieux : contre toute attente, il s’alliera à l’autre grande coalisation d’opposition, Wallu Sénégal (« Sauver le Sénégal »), dirigée par l’ancien président Abdoulaye Wade et son fils. Un pari qui s’avèrera payant mais pas gagnant, au terme d’une campagne troublée par de nombreuses affaires, rebondissements et éruptions de violence. 

En effet, la liste des titulaires de la coalition de Sonko, YAW, a été rejetée par le Conseil constitutionnel en juin, un peu plus d’un mois avant l’élection. En cause : une candidate à la fois sur la liste des titulaires et des suppléants. Seule la liste des suppléants restait alors en course, ce qui aura pour conséquence d’écarter tous les leaders de la coalition de toute possibilité d’être élus. Sonko et ses alliés ont d’abord appelé à boycotter ces élections. Des manifestations ont éclaté et ont provoqué la mort de plusieurs personnes. Et le leader de l’opposition a fini par rappeler au calme, et surtout aux urnes. 

Macky Sall avait quant à lui fait le pari de largement remporter ces élections législatives avec sa coalition Benno Bokk Yakaar (BBY, « unis par l’espoir »). Un pari optimiste quand on sait que quelques mois plus tôt, les élections locales lui avaient déjà été défavorables. L’opposition raflait alors de nombreuses grandes villes comme Dakar, Thiès, Diourbel ou encore Zinginchor, dans la Casamance acquise au leader de l’opposition. Et le Président en exercice est passé à trois sièges d’une sérieuses déconvenue pour ces législatives sous haute tension : sur les 157 députés de l’Assemblée nationale(4), l’alliance Wallu Sénégal (Wade) et YAW (Sonko) en emporte 80, BBY (Sall) en emporte 82, et 3 sièges sont remportés par des leaders de trois autres coalitions minoritaires. Trois faiseurs de roi, dont l’ancien maire de Dakar, Pape Diop, qui sauvera le Président d’une sérieuse déconvenue en le ralliant pour « préserver la stabilité » du pays ».  

Le Président s’en sort de justesse et va pouvoir nominer un nouveau 1er Ministre de son camp (s’il remet comme promis en place ce poste qu’il a supprimé en 2019). Il devra tout de même composer avec une nouvelle assemblée qui n’avait jamais été aussi hostile à un Président en place. Un Président qui laisse encore planer le doute sur un possible 3ème mandat, à deux ans du prochain scrutin présidentiel. Et ce alors même que la Constitution n’en permet que deux successifs. S’il venait à faire modifier la Constitution pour repasser en force, la stabilité déjà fragilisée de ce pays pourrait se briser pour de bon sur les ambitions démesurées d’un chef d’Etat incapable de lâcher le pouvoir d’un côté, et celles d’un jeune prétendant agité qui semble prêt à tout pour atteindre le sommet de l’autre côté. On ne peut écarter l’hypothèse d’une multiplication des manifestations d’opposition, de nouvelles émeutes pour défendre « la démocratie », face à un pouvoir qui se raidit et provoque de nouveaux morts, de nouvelles arrestations politiques injustifiées… Un tableau pessimiste obscurci d’autant plus par une situation internationale inflammable qui ne laisse rien présager de lumineux pour le fier peuple sénégalais. Seule réjouissance récente pour de nombreux désabusés : une Coupe d’Afrique des Nations remportée par les lions pour la première fois de son histoire cette année.

Références

(1)Selon l’économiste Demba Moussa Dembélé

(2)Selon l’agence nationale des statistiques (ANSD)

(4)Avant les législatives du 31 juillet 2022

(5)C’est l’unique chambre du système politique sénégal qui dispose tout de même d’un CESE.

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« Il n’y a pas deux Brésils. Nous sommes un seul peuple, une seule Nation ». En s’exprimant ainsi au soir du second tour de l’élection présidentielle brésilienne, Lula met en avant le fait que l’un de ses principaux objectifs est de réunifier l’ensemble de la population autour de vues et d’objectifs communs, ce qui ne sera pas une mince affaire au vu des résultats de ce scrutin. En effet, le faible écart séparant le président nouvellement élu – qui obtient 50,9% des voix, de Jair Bolsonaro, son adversaire de droite radicale crédité de 49,1% des suffrages exprimés, vient confirmer la nette division de la société brésilienne en deux blocs porteurs de conceptions diamétralement opposées.

De ce point de vue, nous pouvons notamment constater que cette fracture idéologique se matérialise géographiquement, dans la mesure où le Nord-Est populaire du Brésil vote majoritairement en faveur du candidat du Parti des Travailleurs (PT) tandis que le Sud du pays, plus aisé, accorde majoritairement sa confiance au président sortant, ce qui vient confirmer une dynamique électorale ancrée depuis un certain nombre d’années. Cette fracture géographique semble ainsi traduire le poids du vote de classe dans les résultats de ce scrutin, ce que vient confirmer l’institut Datafolha, qui met en lumière le fait que, là où 65% des Brésiliens touchant l’équivalent de moins de deux salaires minimums ont voté pour Lula, 62% de ceux qui touchent plus de 10 salaires minimums par mois ont accordé leur suffrage à Bolsonaro.

Cependant, une analyse plus détaillée de ces résultats nous conduit à observer que la composante de classe n’est pas suffisante en vue de comprendre le fait que le président sortant d’extrême-droite ait obtenu un score bien plus important que prévu dans les différentes enquêtes d’opinion. En effet, celui-ci ne bénéficie pas seulement d’une grande part des votes exprimés par les classes sociales les plus aisées, mais obtient également la majorité des suffrages des classes moyennes, 52% d’entre elles ayant voté en sa faveur. Cela traduit le fait que, bien que Lula ait remporté cette élection avec près de 2 millions de voix de plus que son adversaire, la ligne politique incarnée par ce dernier semble s’être implantée au sein d’une part significative de la population brésilienne.

Ce constat est renforcé par le fait que, malgré sa défaite, Bolsonaro attire tout de même à lui plus de 400 000 voix de plus que lors de son élection en 2018, élargissant ainsi sa base électorale de 57 797 847 voix à 58 206 354 suffrages exprimés. Ces différents éléments doivent nous inviter à la plus grande prudence : Lula a remporté le scrutin mais le bolsonarisme est plus consolidé que jamais au sein de la société brésilienne.

Un bloc néolibéral soudé autour des églises évangéliques, des hydrocarbures et de l’agrobusiness

Comment expliquer le fait que le président sortant bénéficie d’une telle popularité, malgré le fait que son bilan se caractérise par un accroissement significatif des inégalités économiques et sociales, comme le traduit notamment la multiplication par deux du nombre de personnes souffrant de la faim au Brésil entre 2020 et 2022 ? Il est ici nécessaire de préciser que cet accroissement significatif de l’insuffisance alimentaire s’explique par le fait que Bolsonaro s’est évertué, tout au long de sa présidence, à réduire de manière drastique les dépenses publiques, arguant de la nécessité de démanteler les différentes structures d’un État considéré comme défaillant, en vue de promouvoir au maximum le développement de l’initiative individuelle. Dans cette perspective, la plupart des budgets destinés à des organismes publics chargés de la mise en place des mécanismes de redistribution sociale qui avaient été adoptés entre 2003 et 2016 sous les gouvernements de Lula et Dilma Rousseff sont réduits de manière significative, ce qui contribue à aggraver la situation économique dans laquelle se trouve un certain nombre de ménages frappés par les pertes d’emplois massives survenues au cours de la crise sanitaire.

A ces mécanismes, se substitue l’Auxilio Brasil, qui désigne une aide sociale octroyée de manière ciblée, individuelle et temporaire. En d’autres termes, le seul mécanisme de redistribution sociale mis en place au cours de la présidence de Bolsonaro s’inscrit parfaitement dans le cadre idéologique néolibéral, dans la mesure où il repose sur l’objectif d’apporter, de manière temporaire, une aide économique à certains individus en vue de créer les conditions de développement de leur initiative individuelle dont la réussite doit, suivant cette conception, bénéficier au plus grand nombre.

Si cette idéologie trouve un écho favorable au sein d’une grande part de la population brésilienne malgré les inégalités qu’elle génère, c’est en raison du fait qu’elle apparaît comme une solution à l’affaiblissement des marges de manœuvre de l’État brésilien à la suite du choc des commodities, caractérisé par une chute importante du prix des ressources naturelles en 2014.

En effet, il se trouve que dès 2003, le Parti des Travailleurs au pouvoir impulse une régulation significative des activités d’exploitation de ces ressources en vue de rediriger vers l’État la majorité des bénéfices générés par la hausse de leurs prix internationaux au début du XXIe siècle, de sorte à les réinvestir ensuite dans le développement d’activités destinées à consolider et diversifier la structure industrielle du pays, ainsi que dans des programmes de redistribution sociale visant à réduire la pauvreté.

De ce point de vue, cette étatisation porte ses fruits dans la mesure où nous pouvons constater qu’entre 2000 et 2010, 34 millions de brésiliens sont sortis de la pauvreté pour intégrer la classe moyenne. Cependant, la chute du cours des ressources naturelles qui survient en 2014 prive alors le gouvernement de Dilma Rousseff d’une manne financière importante en vue de consolider ce processus de diversification de la structure productive susceptible de répondre aux nouvelles demandes portées par ces classes moyennes émergentes. C’est alors que le discours néolibéral apparaît alors comme une alternative à cet affaiblissement de l’État en mettant l’accent sur la nécessité de faire primer l’initiative individuelle sur des administrations publiques considérées comme défaillantes. C’est ainsi qu’une partie des classes moyennes qui ont bénéficié des politiques de redistribution mises en place par le gouvernement de Lula au cours de la première décennie du XXIe siècle se détournent du Parti des Travailleurs au profit d’un discours paradoxalement fondé sur le démantèlement des structures ayant permis l’amélioration de leurs conditions de vie.

Cette idéologie se diffuse de manière d’autant plus importante au sein de la société brésilienne qu’elle est portée par les églises évangéliques, auxquelles appartiennent près du tiers de la population. En effet, pour paraphraser Max Weber, l’esprit du capitalisme se combine parfaitement avec l’éthique protestante(1) dans la mesure où la recherche de l’enrichissement personnel par le travail est perçue par les protestants comme un fondement nécessaire de la vie en société. Ces groupes évangéliques contribuent ainsi grandement à la diffusion de l’idéologie néolibérale promue par Bolsonaro dans toutes les strates de la société, ce qui explique le fait que l’on retrouve dans toutes les classes sociales une forme de rejet d’un État perçu comme incapable de remplir ses objectifs de transformation de la structure économique, malgré le fait que ce discours bénéficie avant tout aux élites économiques ou, du moins, à une part d’entre elles.

En effet, le démantèlement de l’État promu par Bolsonaro tout au long de sa présidence se traduit notamment par un coup d’arrêt à la logique de diversification de la structure industrielle engagée par les gouvernements du PT au profit de l’impulsion d’un nouveau cycle de « reprimarisation extractive », pour reprendre le concept utilisé par la géographe Marie-France Prévôt-Schapira en vue de désigner un phénomène d’exploitation et d’exportation des ressources naturelles qui se développe sous l’impulsion d’entreprises privées(2).

En d’autres termes, Bolsonaro décide d’abandonner toute stratégie d’industrialisation en vue de limiter le Brésil à son rôle d’exportateur de ressources naturelles stratégiques au sein des échanges économiques internationaux, conformément à la logique de l’avantage comparatif élaborée par l’économiste libéral David Ricardo(3) qui considère que chaque pays doit se spécialiser dans l’activité économique dans laquelle il est le plus performant en vue de trouver sa place dans les échanges économiques internationaux. Dans ce contexte, les élites économiques qui bénéficient de ce processus de réorientation économique, à savoir celles qui se trouvent à la tête des entreprises minières, pétrolières, ainsi que des groupes spécialisés dans l’agrobusiness qui tirent profit de la politique économique mise en place par Bolsonaro en vue d’accroître leurs activités, militent activement en faveur de ce dernier. Le rôle joué par ces secteurs dans la campagne de Bolsonaro n’est pas anodin dans la mesure où nous pouvons observer que les trois États dans lesquels celui-ci obtient ses meilleurs scores, à savoir ceux de Roraima, Acre et Rondonia qui lui apportent plus de 70% de leurs suffrages, se trouvent en Amazonie, soit au cœur des espaces dans lesquels se développent ces activités.

« Éliminer la faim » face aux blocages institutionnels

En revanche, les élites qui avaient tiré profit des politiques d’industrialisation engagées par les gouvernements du PT et qui se trouvent marginalisées par cette réorientation économique se sont tournées vers Lula, ce qui explique le caractère hétéroclite de la coalition politique qui s’est formée autour de ce dernier, mais également l’étroitesse des marges de manœuvre dont il dispose désormais en vue de mettre en place des mesures destinées à réduire les inégalités économiques et sociales. En effet, s’il a notamment affirmé, au soir du second tour, que : « Notre engagement le plus grand est d’éliminer à nouveau la faim », il devra chercher à convaincre ces élites qu’elles ont intérêt à accepter certaines avancées sociales, sans pour autant les brusquer par l’adoption de mesures telles que des hausses d’impôts sur les plus aisés, dans la mesure où il dispose d’une adhésion populaire trop étroite pour se permettre de se mettre à dos ces acteurs économiques. La mise en place de ce type de mesure qui pourrait offrir des marges de manœuvre intéressantes à l’État brésilien semble d’autant plus improbable que le PT se trouve en minorité au sein des deux chambres composant le Parlement brésilien. 

En effet, il se trouve qu’en parallèle de l’élection présidentielle, se déroulaient des élections parlementaires visant à renouveler la totalité des 513 élus au sein de la Chambre des représentants, ainsi qu’un tiers des 81 sénateurs. Or, force est de constater que ce scrutin s’est traduit, là encore, par une consolidation significative des droites porteuses d’un projet conservateur d’un point de vue sociétal et néolibéral économiquement. En effet, le Parti Libéral de Jair Bolsonaro obtient non seulement 66 représentants supplémentaires, devenant le premier parti au sein de la Chambre des représentants avec 99 élus, mais dispose également du groupe le plus important au Sénat, avec 13 sénateurs.

Par ailleurs, si nous faisons la somme de l’ensemble des élus issus des autres partis de droite s’inscrivant dans cette mouvance idéologique et qui se revendiquent clairement dans l’opposition à Lula, à l’image des Républicains, proches des milieux évangéliques, de l’Union Brasil, parti libéral-conservateur doté du deuxième groupe au sein du Sénat, ainsi que du troisième groupe à la Chambre des représentants ou encore, de Podemos, le parti auquel appartient le juge Sergio Moro qui avait condamné Lula sur la base d’accusations infondées au mois de juillet 2018 avant de se voir nommé au poste de Ministre de la justice par Bolsonaro quelques mois plus tard, il s’avère que ceux-ci disposent de la majorité absolue des élus au sein des deux chambres parlementaires.

A l’inverse, la coalition « Brésil de l’espoir » composée du PT, du Parti Communiste Brésilien, ainsi que du Parti Vert, ne dispose que de 80 représentants. Si les 17 représentants du Parti Socialisme et Liberté (PSOL), qui sont porteurs d’une ligne éco socialiste, sont susceptibles de soutenir d’éventuelles réformes sociales proposées par Lula, force est de constater que le gouvernement ne pourra s’appuyer que sur une maigre centaine de représentants acquis à des transformations sociales de grande ampleur. Le constat n’est guère plus reluisant du côté du Sénat, où le Parti des Travailleurs ne dispose que de 9 élus, représentant ainsi le cinquième groupe de cette chambre qui dispose d’un rôle non négligeable dans la mesure où elle est notamment chargée de la nomination des membres des tribunaux supérieurs ou des dirigeants d’un certain nombre d’organes de l’administration publique. La seule option qui s’offre à Lula en vue de conserver un minimum de marge de manœuvre sur ces fonctions stratégiques consistera alors à rechercher des terrains d’entente avec des partis situés plus au centre de l’échiquier politique, à l’image du Parti Social Démocratique ou du Mouvement Démocratique Brésilien (MDB), qui disposent tous deux de 10 sénateurs. De ce point de vue, il est intéressant de constater que, si le MDB, duquel était issu l’ex président néolibéral Michel Temer ayant succédé à Dilma Rousseff après avoir activement appuyé sa destitution, maintient tant bien que mal ses effectifs au sein de ces deux chambres, le Parti de la Social-Démocratie Brésilienne (PSDB), qui a représenté pendant des décennies le principal parti de droite du pays, perd la moitié de ses sénateurs, ainsi que 16 élus au sein de la Chambre des représentants, ce qui vient confirmer l’effondrement des appareils politiques traditionnels de droite, au profit de la consolidation d’une droite plus conservatrice et proche des milieux évangéliques.  

Si ces éléments n’invitent pas à l’optimisme en termes de réorientation de la politique économique et sociale brésilienne, il n’en reste pas moins que cette élection devrait tout de même avoir un impact en termes d’intégration régionale. En effet, cette défaite de Bolsonaro acte définitivement la fin du Groupe de Lima, un organisme multilatéral créé en 2017 à l’initiative de plusieurs gouvernements de droite latino-américains en vue d’imposer par la force un changement politique au Venezuela. Dans cette perspective, cet organisme défend notamment l’application de sanctions économiques à l’encontre du gouvernement vénézuélien et appelle officiellement l’armée vénézuélienne à se ranger, en 2019, derrière le président autoproclamé Juan Guaido en vue de renverser Nicolas Maduro(4).

Si, dans un contexte caractérisé par l’émergence d’une nouvelle vague de contestation du néolibéralisme qui déferle au sein du continent, la majorité des États fondateurs de cet organisme s’en sont progressivement retirés, Bolsonaro représentait le dernier dirigeant du continent à défendre ouvertement ce type d’approche vis-à-vis de la crise vénézuélienne. A l’inverse, l’élection de Lula vient renforcer les conceptions portées par le Groupe de Puebla, qui désigne, non pas un organisme multilatéral, mais un think tank composé d’organisations de la société civile, ainsi que de différents chefs d’États latino-américains, auxquels s’ajoute donc désormais le mandataire brésilien, qui, face à l’affaiblissement et à l’échec des conceptions sur lesquelles ont pu reposer des initiatives régionales telles que le Groupe de Lima, cherchent à engager un ensemble de réflexions autour des modalités de construction d’une nouvelle forme d’intégration régionale fondée sur l’autodétermination des peuples face aux intérêts défendus par différentes puissances économiques au sein du continent latino-américain.

Si le Brésil pourrait ainsi jouer un rôle central dans la défense du droit des peuples latino-américains à disposer d’eux-mêmes, certains observateurs craignent que ce droit soit bafoué au sein même du territoire brésilien au vu des mobilisations massives qui se tiennent depuis l’élection de Lula à l’initiative de groupes bolsonaristes qui appellent ouvertement l’armée à renverser le président nouvellement élu. Cependant, le scénario d’un coup d’État semble peu probable pour plusieurs raisons. D’une part, les militaires disposent déjà d’un certain nombre de postes clés au sein de plusieurs entreprises et administrations publiques brésiliennes et la volonté affichée par Lula de réunifier l’ensemble de la population brésilienne au sein d’ « une seule Nation » devrait le conduire à chercher à maintenir une certaine conciliation avec ceux-ci. Il est donc très peu probable qu’il remette en cause leur présence importante au sein de l’appareil d’État. D’autre part, le gouvernement de Lula dispose de marges de manœuvre bien trop étroites pour être en mesure d’engager une transformation en profondeur du modèle politique et économique brésilien, ce qui rend d’autant plus improbable le scénario d’une tentative de renversement de son gouvernement. Cependant, il n’en reste pas moins que Lula semble représenter un président aux pieds d’argile, qui détient la clé de l’impulsion d’une nouvelle forme d’intégration régionale, mais qui devra dans le même temps relever l’immense défi d’unifier une société plus fracturée que jamais, dans laquelle le bolsonarisme qu’il a vaincu n’a paradoxalement jamais été aussi fort.

Références

(1)WEBER Max, 1964, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Recherches en Sciences humaines.

(2)PREVÔT-SCHAPIRA Marie-France, 2008, « Amérique latine conflits et environnement, “quelque chose de plus” », Problèmes d’Amérique latine, n° 70, p. 5-11.

(3)RICARDO David, 1817, On the Principles of Political Economy and Taxation, London, John Murray, Albemarle-Street.

(4) “Le groupe de Lima appelle l’armée vénézuélienne à se ranger derrière Juan Guaido », Le Monde, 5 février 2019.

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Proposition pour un nouveau modèle agricole

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La chronique de David Cayla

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Connaissez-vous le MODEF ? C’est le Mouvement de défense des exploitants familiaux, un syndicat agricole créé en 1959 pour défendre les intérêts des petits paysans, souvent fermiers et métayers, dont la FNSEA, alors en transition vers un modèle d’agriculture industrielle, s’était désintéressée. Clairement ancré à gauche, le MODEF fut pendant longtemps la principale organisation à s’opposer à la FNSEA. Mais la disparition de nombreuses petites exploitations familiales dans les années 1970 et 1980 finit par détruire sa base sociale. Dans les années 1990, l’émergence de la Confédération paysanne et de sa figure médiatique José Bové contribua à marginaliser politiquement le MODEF.

Pourtant le syndicat agricole existe toujours et entend bien faire entendre une voix singulière. Les 25 et 26 octobre, il tenait à Guéret son 19ème congrès dont le thème était « des prix garantis par l’État pour un revenu paysan ! » J’ai eu l’honneur d’y être invité aux côtés de l’agronome Gérard Choplin. Ce dernier a présenté aux congressistes l’enjeu de la souveraineté alimentaire. Pour ma part, je suis intervenu sur la question de la régulation des prix agricoles.

Une déshumanisation du métier

Devant la salle studieuse et des délégués venant de toute la France, j’ai commencé par dire que la garantie des prix agricoles ne relève pas du seul enjeu des revenus des agriculteurs. Certes, le système d’aides actuel, fondé sur des subventions versées à l’hectare est désastreux. Non seulement il est très injuste dans sa répartition, puisqu’il rémunère davantage les grandes exploitations que les petites, mais surtout il est démotivant car les agriculteurs ont le sentiment de toucher des primes déconnectées de leur travail effectif. De fait, 85% des subventions sont découplées de la production.

Pour ce qui est de la part des revenus liée aux prix de marché, le résultat est tout aussi injuste. Il est impossible pour le paysan de prévoir le prix auquel il vendra sa production au moment où il l’engage. D’après la théorie économique, les prix devraient être incitatifs. Mais l’agriculture suppose un engagement sur le temps long. Lorsqu’on a investi dans un verger ou un élevage de volailles, on ne peut subitement cultiver du colza ou des brebis parce que les prix ont changé. Non seulement les prix sont volatils et imprévisibles, mais ils sont liés à des facteurs exogènes, incontrôlables par la profession. La guerre en Ukraine et la sécheresse de cet été ont ainsi considérablement affectés le marché agricole. Mais la décision de mettre en culture du blé cet automne ne présage en rien du prix auquel ce blé sera vendu lorsqu’il sera moissonné en juillet.

Le travail agricole est très particulier. Il touche au vivant, il transforme les paysages et affecte l’environnement dans le bons ou le mauvais sens. Gérer un élevage, c’est du temps humain, c’est construire une relation particulière avec l’animal. Cultiver, c’est être confronté aux ravageurs, aux aléas de la météo, à la gestion à long terme de la terre et de ses propriétés. Comment accepter que ce travail puisse être rémunéré par des prix arbitraires, parfois inférieurs aux coûts de production ? Comment accepter la logique de standardisation que porte en lui le marché pour lequel le lait est du lait et le blé du blé quel que soit la manière dont le paysan s’est occupé de son exploitation ?

Le verdissement de la PAC qui entend rémunérer les bonnes pratiques et promouvoir les labélisations des exploitations ne diminue pas forcément ce sentiment d’arbitraire. Le processus de subvention s’est considérablement bureaucratisé, chaque action « verte » devant être évaluée par une inspection extérieure selon des critères décidés d’en haut. L’agriculteur devient peu à peu un technicien qui perd le goût de son travail et le sens du long terme.

Les documents du ministère de l’agriculture témoignent de ce phénomène de dépossession. Ainsi, pour bénéficier de l’écorégime, une aide prévue par le Plan Stratégique National qui engage la politique agricole française pour 2023-2027, les agriculteurs devront remplir un cahier des charges précis ou bénéficier d’une certification par un organisme indépendant. « Un bonus ‘‘haie’’ d’un montant de 7€/ha est par ailleurs accordé à tout bénéficiaire de l’écorégime […] détenant des haies certifiées ou labélisées comme gérées durablement sur au moins 6% de ses terres arables et de sa SAU [surface agricole utile] », précise le document du ministère(1). À la limite, pour toucher ces aides, il suffirait de construire une ferme « Potemkine ». Car, même s’il ne produit rien, l’agriculteur pourra bénéficier de subventions étant donné que les aides sont indépendantes du rendement réel de la ferme.

Un enjeu de souveraineté

Mais, disions-nous plus haut, les prix agricoles ne sont pas seulement un problème d’agriculteurs. L’agriculture, c’est la vie elle-même. En fin de compte, c’est ce qui nous nourrit et détermine notre souveraineté alimentaire. Or, la France, qui était la première puissance agricole européenne au début des années 1990 est en voie de déclassement. De manière générale, les rendements à l’hectare stagnent depuis vingt-cinq ans alors que les surfaces consacrées à l’agriculture diminuent. Ainsi, au début des années 1960, 63% du territoire français était exploité. C’est à peine 52% aujourd’hui. Avec moins de surface cultivée et des rendements qui stagnent, la production française diminue tendanciellement, ce qui fait que la balance commerciale agricole française se dégrade inéluctablement.

Les causes de ce déclin sont multiples. En premier lieu, le fait d’avoir découplé les aides du niveau de production avec les réformes de la PAC décidées au début des années 1990 n’incite pas à l’intensification de la production. De plus, les pratiques plus respectueuses de l’environnement qui tendent à limiter l’usage des pesticides et des engrais de synthèse diminuent aussi les rendements. Par exemple, le rendement du blé en agriculture biologique est environ 40% plus faible qu’en l’agriculture conventionnelle.

Mais cet effet n’est pas le seul en jeu. La baisse des surfaces cultivées est aussi directement liée à l’effondrement du nombre d’exploitations, victimes de faillites ou d’une impossibilité, pour beaucoup de paysans, à trouver un repreneur. La raison de cette désaffection est à trouver dans l’intensification de la concurrence. En s’élargissant aux pays d’Europe centrale et orientale dans les années 2000 l’Union européenne a mis en concurrence des modèles agricoles extrêmement différents. Les accords de libre-échange qui se sont par la suite multipliés avec le Canada, la Nouvelle Zélande ou l’Amérique du Sud ont déversé sur l’UE des tonnes de viande, de céréale et de soja à bas coût produits dans des régions où le prix du foncier agricole est bien plus faible qu’en Europe.

L’agriculture française a été forcée de s’adapter à cette intensification concurrentielle ; pour cela elle s’est spécialisée en se concentrant sur certaines cultures très mécanisées ou à haute valeur ajoutée comme le vin. En fin de compte, l’emploi agricole s’est effondré. D’après l’INSEE, la part des exploitants agricoles dans la population active est passée de 7,1% en 1982 à 1,5% en 2019. D’autre part, plus de la moitié de ces agriculteurs a dépassé les cinquante ans.

Une autre conséquence de cette spécialisation est que notre dépendance vis-à-vis des importations s’est accrue, en particulier pour le soja et les protéines végétales dédiés à l’alimentation du bétail dont plus de la moitié est importée. En fin de compte, l’intensification de la concurrence dans le secteur agricole a fragilisé notre modèle qui ne peut être compétitif que dans la mesure où il importe de l’étranger une bonne partie de ses engrais phosphatés, la nourriture de son bétail et de nombreux fruits et légumes destinés à l’alimentation humaine.

Inventer un nouveau modèle agricole

La politique des prix garantis a été progressivement abandonnée en Europe au cours des années 1990 pour deux raisons. La première, parce qu’elle incitait à la surproduction de produits de piètre qualité ; la seconde, parce qu’elle menaçait l’agriculture des pays en voie de développement en permettant aux agriculteurs européens de vendre à perte. À la suite des accords de Marrakech en 1994, l’Union européenne et les États-Unis se sont engagés à découpler les subventions agricoles des niveaux de production afin de ne pas déstabiliser les prix mondiaux. C’était le prix à payer pour préserver une agriculture exportatrice et ouverte aux marchés mondiaux.

Près de trente ans après cet accord commercial, le bilan est-il à la hauteur des espérances ? Il semble que non. Les subventions découplées et l’abandon de la régulation des prix ont intensifié le stress des agriculteurs quant à leurs revenus ; mais surtout, la gestion marchande et concurrentielle de l’agriculture a empêché toute politique visant à constituer des filières agricoles nationales véritablement intégrées. Or, les crises géopolitiques récentes ont montré que le système économique en général, et l’agriculture en particulier, doivent être résilients aux chocs d’une guerre ou d’une pandémie. Un pays comme la France devrait être capable de nourrir sa population si le commerce international s’effondrait pour une raison ou une autre. Or, aujourd’hui, la France a perdu cette capacité.

Contrôler les prix implique de réguler nos relations commerciales. Il n’est pas question de revenir aux pratiques prédatrices des années 1970-1980 qui ont fait de la France l’un des premiers exportateurs mondiaux de poulets congelés en batterie. Dans l’idéal, il faudrait diviser l’agriculture en deux sous-secteurs. Un secteur vivrier plus intensif en main d’œuvre, tourné vers le marché national, au sein duquel les prix seraient garantis, la concurrence régulée et le commerce international limité, et un secteur tourné vers l’exportation, qui fonctionnerait avec des aides découplées et vendrait aux prix mondiaux. La répartition du foncier agricole entre les deux sous-secteurs serait décidée nationalement en faisant en sorte que la production vivrière protégée soit suffisante pour couvrir l’essentiel de nos besoins alimentaires. Ainsi, les grandes exploitations agricoles spécialisées tournées vers l’international pourraient subsister, tout comme le modèle de petites exploitations familiales tournées vers la production vivrière locale.

Il me semble que nous avons, en France, les moyens de mettre en œuvre cette politique et d’apporter à chaque agriculteur le modèle agricole qui lui convient. L’enjeu politique sera évidemment de convaincre nos partenaires européens que l’agriculture ne doit plus être gérée exclusivement selon les mécanismes du marché et d’engager, dans les années qui viennent, une profonde réforme de la PAC permettant d’aller en ce sens.

David Cayla

 

Références

(1)« Fiche : Paiement découplés – Écorégime », document en ligne sur : https://agriculture.gouv.fr/les-paiements-directs-decouples

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