Culture

Le néolibéralisme chez Pierre Bourdieu et Michel Foucault

Dans cet article Milan Sen revient sur le livre Foucault, Bourdieu et la question néolibérale du sociologue Christian Laval. L’occasion d’interroger un concept devenu aujourd’hui omniprésent dans l’espace médiatique à l’aune de deux grands intellectuels français.

Le « néolibéralisme » défraie régulièrement la chronique politique. Mot-valise par excellence, presque unanimement décrié, personne ne s’en revendique vraiment. Souvent assimilé à tort à l’ultra-libéralisme, chacun y va de sa propre interprétation. On situe généralement la « vague » néolibérale au tournant des années 80, avec les victoires de Thatcher en 1979 au Royaume-Uni et de Reagan aux Etats-Unis en 1980. Pierre Bourdieu et Michel Foucault, en témoins privilégiés de cette (r)évolution politique, l’ont tout deux – sans jamais croiser leurs analyses – étudiée avec minutie. Disséminées au sein de plusieurs écrits, leurs analyses n’avaient encore jamais fait l’objet d’une étude globale. C’est chose faite depuis 2008 et la publication par le sociologue Christian Laval de Foucault, Bourdieu et la question néolibérale aux éditions La Découverte.

Pour Michel Foucault, la gouvernementalité du néolibéralisme
Un nouvel art de gouverner les hommes

Dès 1979, Foucault s’essaye à l’analyse de ce qu’on appellera plus tard le néolibéralisme. Dans un cours au collège de France, Naissance de la biopolitique, le philosophe examine les mécanismes de pouvoir dans des espaces vus et perçus comme politiques. Il étudie ce qu’il appelle le « pouvoir de normalisation », c’est-à-dire les relations de pouvoir qui s’immiscent dans les relations sociales ordinaires. Pour le philosophe, la gouvernementalité ne se réduit pas à une diffusion centralisée de commandements, mais à une manière historiquement située de « conduire les individus dans une société donnée ». Le sujet est gouvernable par son milieu, malgré sa liberté dans ce milieu : comme un poisson dans son bocal, libre de bouger, mais restreint dans son mouvement. Plutôt que d’inscrire l’avènement néolibéral dans l’histoire du capitalisme, il l’inscrit dans l’histoire des conduites des hommes en régime libéral. La conviction que les individus se conduisent et sont conduits par la poursuite de leurs propres intérêts économiques est centrale dans la gouvernementalité libérale, elle « est un gouvernement économique des hommes ». C’est un gouvernement qui ne repose pas sur la coercition, puisque les hommes n’ont qu’à suivre leur propre intérêt présumé – lequel ne peut être, dans une perspective, libérale, qu’économique.

Pour le philosophe, « gouverner, c’est structurer le champ d’action éventuel des autres », c’est définir les frontières du bocal pour filer la métaphore. Comment le gouvernement libéral a pu progressivement étendre sa politique jusqu’aux espaces de vie privée des individus ? Le gouvernement monarchique, lui, n’usait que de coercition – telle chose est interdite, telle autre autorisée. Se précise une double logique de limitation du pouvoir politique (au sens de «la » politique politicienne) et du principe subjectif de la rationalité de chaque individu. Autrement dit, l’Etat doit favoriser l’épanouissement individuel et restreindre son propre champ d’intervention. La liberté n’est pas ici perçue comme première – au sens propre – mais doit être construite par les pouvoirs publics. La liberté néolibérale est une construction sociale.  

Dans son cours de 1978, Sécurité, Territoire, Population, le libéralisme est compris comme une « technologie de pouvoir » qui intervient au cœur de la réalité concrète. Dans Surveiller et punir le ton était plutôt critique, mais ici Foucault « prend au sérieux le libéralisme comme méthode politique de maximisation des effets de l’action publique et de minimisation des ressources utilisées ». L’économie politique libérale renvoie à l’homo economicus (calculateur et rationnel), or cette figure ne peut être que le produit de dispositifs disciplinaires. La liberté néolibérale est produite par des dispositifs disciplinaires. L’art libéral de gouverner est un art utilitariste. Il dessine une contrainte douce visant à conduire les hommes à mener leur vie eux-mêmes. Dès lors, le néolibéralisme n’est pas l’idéologie jusnaturaliste libérale qui considère l’homme comme possédant naturellement des droits. Il est l’art de modifier le milieu dans lequel l’individu évolue, « c’est par l’intérêt porté à ce qui est rendu disponible, à la fois accessible et légitime, que l’on forme et que l’on guide l’individu ». Pour Foucault, « le gouvernement, en tout cas le gouvernement dans cette nouvelle raison gouvernementale, c’est quelque chose qui manipule des intérêts ».

Le néolibéralisme en acte(s)

Le pouvoir moderne, id est à partir du XVIIème siècle, se constitue par l’économie, quand bien même celle-ci est constituée et façonnée par les dispositifs de pouvoir. Le pouvoir biopolitique, comme tout pouvoir, n’est pas qu’un pouvoir négatif qui réprime et interdit, il a également une dimension positive. Dans Sécurité, Territoire, Population, Foucault avance le propos suivant : « le milieu, c’est un certain nombre d’effets qui sont des effets de masse portant sur tous ceux qui y résident ». Prenons l’exemple de la « nosopolitique », c’est à dire la politique de santé au XVIIIème siècle. On est ici aux commencements de la gouvernementalité libérale. Les interventions publiques visent alors à « constituer la famille en milieu de l’enfant ». La famille doit devenir un milieu qui favorise le maintien et le développement du corps sain de l’enfant. Pour ce faire, les institutions publiques diffusent des normes médicales dans la société.  Sans pour autant s’introduire dans la vie privée des familles, la politique familiale compte sur les parents eux-mêmes pour assurer la santé de leurs enfants en suivant les normes diffusées dans la société. Le pouvoir biopolitique agit donc sur le milieu familial en diffusant ces normes, et cette action provoque d’autres actions de la part des familles ayant elles-mêmes un effet sur la santé des enfants.

La cohérence politique du néolibéralisme est double : une critique de la raison gouvernementale totalisante qui prétend avoir une vue globale sur l’économie (critique d’Hayek) et une action politique sur les individus par leur milieu. Ces deux aspects sont complémentaires, chacun participe de la responsabilisation des individus conçus comme entrepreneurs de leurs propres capitaux humains (compétences, diplômes, réseaux etc). Dans Naissance de la biopolitique, Foucault précise les contours de la figure humaine dans le néolibéralisme : « l’homo œconomicus, c’est celui qui est éminemment gouvernable. » Gouvernable par son environnement, son milieu. Au sein d’un espace régulé et rempli d’incitations, l’individu est en soi libre d’agir de la manière qu’il souhaite, de consommer ce qu’il veut, mais « surtout de capitaliser ses propres ressources ». Le milieu qui produit le mieux des incitations est, on s’en douterait, le marché.

Le néolibéralisme va encore plus loin. En plus de considérer l’individu comme un acteur rationnel, il « marchéise » son environnement construit comme un grand marché. D’une part, le néolibéralisme naturalise le marché, d’autre part, il crée les conditions essentielles au fonctionnement optimal de ce mêmemarché. Par la responsabilisation individuelle, les hommes sont appréhendés comme entreprises de soi – pensons à l’essor du fameux développement personnel au XXIe siècle -, lesquelles ne nécessitent alors pas d’aides et subventions étatiques. La gouvernementalité néolibérale est donc à la fois une politique de société, c’est-à-dire une action environnementale (= sur l’environnement, et non au sens écologique du terme), accompagnée d’une subjectivation individuelle. Reprenant le panoptique de Bentham, Foucault présente l’exercice du pouvoir comme un « calcul [du gouvernement] sur un calcul [des individus] ». En transformant les normes du milieu, l’on transforme le champ d’action de l’individu. L’individu n’agit pas dans un environnement neutre. S’inspirant toujours de Bentham, Foucault pense le pouvoir justement comme une action à distance, et non une force sur les corps eux-mêmes. Les comportements ne sont pas déterminés par une pression structurelle, mais par la surveillance de chacun, c’est à dire une panoptique généralisée, « l’opinion publique y est érigée en tribunal permanent ».

Le néolibéralisme du temps de Foucault

Mort en 1984, Foucault n’a aperçu que les prémices de la révolution néolibérale des années 70. Il a toutefois été un témoin attentif du septennat de Valérie Giscard d’Estaing, souvent considéré comme le commencement du néolibéralisme en France – notamment après la nomination de Raymond Barre à Matignon en 1976 en lieu et place du gaulliste Jacques Chirac. Pour VGE, le marché est essentiel, mais c’est au politique de participer à sa construction. Foucault considère que l’avènement de la droite libérale en France produit une inflexion néolibérale qui prend prétexte de la crise économique pour mettre en place une politique économique particulière, mais qui touche la société dans son ensemble. Apparaît alors la prévalence du marché sur l’ensemble des domaines politiques.

Le néolibéralisme progresse précisément dans un contexte de phobie d’État. Par exemple le mouvement libertaire, celui de la libération sexuelle entre autres, qui suit la tendance consistant à critiquer la normalisation imposée par l’État. La deuxième gauche a embrassé cette phobie d’État en lui opposant la société civile, affranchie de toute domination. Foucault met cette deuxième gauche qui assimile l’État au totalitarisme devant ses contradictions (à savoir que moins d’Etat = plus de marché). Il n’en oublie pas moins de blâmer les principaux coupables, les néolibéraux eux-mêmes. La crise de gouvernementalité trouve son essor dans la vague de contestations sociales des années 60, « avènement d’une nouvelle manière de conduire les individus qui prétend faire droit à l’aspiration à la liberté en tout domaine, sexuel, culturel aussi bien qu’économique ». Cette crise ne commence pas avec la crise pétrolière mais dans les années qui suivent mai 68. Alliance objective entre libération et libéralisation, entre gauchisme culturel et néolibéralisme. Victoire de la forme de pouvoir fondé sur le marché concurrentiel.

Chez Bourdieu, le néolibéralisme comme extension du domaine de l’économie
La découverte du néolibéralisme et l’inflexion politique de Bourdieu

Dans les premières décennies de sa longue carrière de sociologue, Pierre Bourdieu fait du modèle républicain sa cible prioritaire, sa « ligne théorique » – définie comme « la prédilection pour un objet jugé prioritaire, par la lutte contre un adversaire jugé principal. » Dans l’ordre de la connaissance, c’est la philosophie qui primait – la fameuse « IIIème République des professeurs ». La domination sociale, entérinée à l’école, se fondait principalement non pas sur l’économie mais sur le capital culturel. L’idéal républicain trouvait par ailleurs son débouché dans le pouvoir symbolique des grands serviteurs de l’Etat – les hauts fonctionnaires sur lesquels le général De Gaulle s’est appuyé durant sa présidence. L’ère du néolibéralisme amène Bourdieu à une rupture avec cette position. Se met progressivement en place une nouvelle structure de domination dans laquelle la République, au lieu d’être oppressive, devient aux yeux de Bourdieu le bouclier des dominés – via l’école et la puissance de l’Etat notamment. Dans cette nouvelle structure néolibérale, la philosophie se voit remplacée par la science économique. Le capital culturel tend à devenir second au profit du capital économique. Conséquence logique, ce n’est plus l’école qui établit la structure sociale mais les médias et la haute finance. Guillaume Erner, dans un billet politique de 2018(1), résume ce virage à 180 degrés : « Terminée, sa dénonciation du pouvoir comme lieu de domination des dominants ; cette fois-ci, « les dominés ont intérêt à défendre l’État, en particulier dans son aspect social ». L’Etat n’est plus dirigé par une élite intellectuelle et dévouée à l’intérêt général – avec tous les biais et limites que cette formule réductrice comporte – mais par une « oligarchie convertie aux idéaux du capitalisme mondialisé. ». Voyons désormais plus en détails comment le célèbre sociologue français décortique cette nouvelle idéologie dominante.

De la critique de la science économique à l’analyse sociologique du néolibéralisme

La théorie de Bourdieu fut d’abord un antiphilosophisme. Elle devint un antiéconomisme. Disséminée dans plusieurs écrits, l’analyse bourdieusienne vise à retranscrire la genèse de l’autonomisation du champ économique qui participe du développement de l’abstraction de l’économie dominante. Le sociologue conteste la réduction économiciste de l’acteur rationnel, figure propre à la théorie libérale – comme présentée plus haut dans notre article. Il propose un acteur raisonnable qui répond à des lois de son propre champ. Pour le dire plus simplement, les individus ne sont pas tous conduits par la raison économiciste, mais chaque individu est conduit par une raison propre à son champ. Avant de poursuivre la réflexion, il est nécessaire de préciser ce qu’entend Bourdieu par « champ » et, surtout, les conséquence pratiques de l’existence de ces champs. C’est un microcosme social qui fonctionne avec ses propres lois, ses enjeux de lutte qui lui sont propres, ses valeurs et principes spécifiques. Pour prendre un exemple très rudimentaire, le champ culturel diffère dans ses lois du champ économique. Dans le champ économique, l’enjeu de lutte est l’accumulation d’argent, alors que dans le champ culturel, la domination symbolique ne se fait pas en fonction du nombre de livres vendus, mais de la reconnaissance des pairs et de la postérité. Pour le dire plus simplement, Guillaume Musso – avec ses millions de livres vendus – occupe une position plus basse dans la structure sociale du champ culturel que, par exemple, Annie Ernaux ou Michel Houellebecq.

La science économique a remplacé le philosophisme parce qu’elle dispose d’une légitimité similaire avec des abstractions mathématiques et des dogmes abstraits (donc incontestables). Elle est devenue, au fil du temps, la science d’Etat par excellence. L’autonomisation du champ économique a été justement facilitée par la reconnaissance dont dispose la science économique. La révolution néolibérale correspond au moment d’après, celui où, non content de s’être autonomisé, le champ économique colonise les autres champs. A cette théorie des champs s’ajoute une autre notion chère à Bourdieu, celle de « champ de pouvoir ». C’est le champ dans lequel « se dispute et se décide la hiérarchie des champs », composé des dominants de chaque champ qui essayent de mettre en avant la prédominance de leur propre champ, « pour faire prévaloir dans tous les champs le type de domination que chaque type d’agents exerce dans son propre champ ». Tend à s’imposer ainsi un ‘principe de domination dominant ». Pour reprendre notre exemple, cela revient à se demander qui est dominant dans la structure sociale française entre Michel Houellebecq et Bernard Arnault. Pour Bourdieu, la réponse est évidente : c’est Bernard Arnault. « Quand le capital économique devient ainsi principe de légitimité de l’action politique, on peut parler de domination symbolique et réelle de l’économie dans le champ politique ». L’époque néolibérale se caractérise comme la domination du mode de domination propre au champ économique dans d’autres champs, qui deviennent des lieux d’encensement de l’accumulation du capital économique. Le pouvoir symbolique participe de la légitimation du désir d’accumulation économique, Bourdieu nomme cette évolution une « destruction de la civilisation ». Les logiques propres au champ économique colonisent tous les autres champs du monde social. Dès lors, il n’est plus si certain que Houellebecq domine dans l’ordre symbolique Guillaume Musso.

Comment cette révolution globale, c’est à dire le mouvement de remise en question de l’autonomisation des champs (constitutif de la différenciation sociale) couplée à la colonisation des logiques du champ économique, s’est-elle opérée ?

La « révolution néolibérale » 

Révolution symbolique, le néolibéralisme use de la « philosophie sociale de la fraction dominante de la classe dominante » pour critiquer l’état des choses. Dès lors, ceux qui s’opposent aux mesures néolibérales sont présentés et décrits comme conservateurs, puisqu’ils veulent protéger un modèle social perçu par la classe dominante comme « désuet ». Pour Bourdieu, le tournant néolibéral est en réalité la conséquence d’une transformation de la formation des élites. C’est au niveau de l’État que la révolution a lieu. Symboliquement, l’ENA a remplacé l’ENS ; les techniciens ont remplacé les intellectuels. Le néolibéralisme ne correspond pas à une demande de la population, mais crée l’offre et, in fine, la demande. Dans un article(2), Pierre Bourdieu et Monique de Saint-Martin étudient la politique d’aide à la personne menée par Raymond Barre pour accéder à la propriété. Leur conclusion est la suivante : il n’y avait pas de demande d’aide pour l’accès à la propriété, mais l’Etat, via des politiques d’aides publiques, a encouragé cette demande. L’Etat avait donc en tête, indépendamment de la demande démocratique, de contribuer à la production de petits propriétaires.

Autre exemple flagrant, que chacun peut sentir dans son rapport aux services publics, la révolution néolibérale dans la fonction publique – autrement appelée le new public management. Chaque Français constate les difficultés auxquelles font face les fonctionnaires qui, d’une part, manquent de moyens, mais qui, de surcroît, subissent des injonctions d’efficacité administrative qui renvoient à une logique économiciste alors que l’habitus du fonctionnaire n’est pas prédisposé à la rentabilité rempli économiciste. Tout au contraire, les dispositions sociales et mentales incorporées progressivement par les fonctionnaires relèvent souvent du sens de l’intérêt général.

Dernier exemple qui vient compléter notre précédent exemple sur le champ culturel. Prenons le champ musical. Auparavant, avant que le champ économique ne colonise tous les autres, la domination symbolique dans le champ de la musique s’exerçait par la reconnaissance des pairs – critiques et artistes – ou l’inclusion dans les mondes dominants de la musique – opéra, concerts classiques etc. Désormais, cette logique propre au champ culturel tend à s’estomper, et la logique économique prend le pas. Pensons aux rappeurs qui, pour afficher leur réussite, ne vont non pas dire « j’ai plus de talent qu’un tel » ou « ma musique est travaillée, réfléchie et réussie » mais plutôt « j’ai vendu X nombre d’albums », « j’ai vendu plus qu’un tel ». Cette révolution néolibérale n’est donc pas qu’économique, même si c’est son versant le plus décriée et commentée, elle est avant tout symbolique. Le néolibéralisme travaille et modifie « tous les champs en profondeur et de façon durable en s’imposant par la fabrication d’habitus purement économiques ». Il détruit les fondements mentaux et moraux du désintéressement. Dès lors le désintéressement – longtemps critiqué par Bourdieu comme étant hypocrite – des fonctionnaires devient un outil de résistance face au néolibéralisme.

Dès lors, et pour reprendre la célèbre formule de Lénine, que faire ? L’analyse bourdieusienne présente les mécanismes théoriques du néolibéralisme, mais aussi ses implications politiques. Pierre Laval, dans son livre, affirme ceci : « dans son travail sociologique, Bourdieu est passé d’une stratégie critique des illusions propres aux champs de production des biens symboliques à une stratégie défensive qui fait de leur autonomisation un « acquis de la civilisation » et donc de la défense de leur autonomie une tâche politiquement prioritaire. » Autrement dit, Bourdieu n’abandonne pas sa méthode critique initiale, mais entend avant tout protéger l’autonomie des champs – sans pour autant s’interdire une critique des formes de domination injustes qui s’y exercent. La « civilisation républicaine », héraut du désintéressement relatif au service public (la fameuse « main gauche de l’Etat »), consiste en une stricte différenciation des champs. Encore faut-il que les contempteurs du néolibéralisme, tout bien intentionnés qu’ils soient, acceptent de se départir eux-mêmes de raisonnements économicistes.  

Les analyses de Foucault et Bourdieu diffèrent tant dans la forme que dans leur contenu. Leurs outils d’analyse, ainsi que les temporalités d’études, ne sont pas les mêmes. Mais chacun décèle bien qu’au tournant des années 80 se déroule une révolution politique et anthropologique qui aura des effets majeurs sur les démocraties occidentales. L’économisme, dans l’analyse du néolibéralisme de Bourdieu comme celle de Foucault, prime désormais sur le reste – la politique, les relations sociales ou les collectifs. Ces analyses éclairent intellectuellement ce qui saute aux yeux de tout un chacun, la primauté du marché dans un nombre croissant de domaines de notre vie. Dès lors, en tant qu’hommes et femmes de gauche, il nous devient indispensable de (re)penser une alternative qui ne se limite pas à des pansements sociaux sur des plaies causées par l’économie de marché.

 

Références

(1) Guillaume Erner, France Culture, Bourdieu et l’Etat protecteur, 4 avril 2018. https://www.franceculture.fr/emissions/lhumeur-du-matin-par-guillaume-erner/lhumeur-du-jour-par-guillaume-erner-du-mercredi-04-avril-2018

(2)Bourdieu Pierre, De Saint Martin Monique. Le sens de la propriété. Dans : Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 81-82, mars 1990. L’économie de la maison. pp. 52-64.

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