Des barrages plutôt que des bassines : quelques réflexions hydrologiques sur la gestion de l’eau

L'État et les grandes transitions

Des barrages plutôt que des bassines : quelques réflexions hydrologiques sur la gestion de l’eau

Olivier Cayla est hydrologue, il revient pour Le Temps des Ruptures sur le scandale des méga-bassines, prévues notamment sur le bassin de Clain et, à partir de réflexions hydrologiques bienvenues, trace des alternatives à l’actuel projet du gouvernement et de la FNSEA.

C’est quand même curieux cette volonté de détruire les surfaces cultivables de notre territoire : un texte de loi en préparation destinée à accélérer la production d’énergies renouvelables et actuellement discuté au Sénat va conduire à ce que, depuis les remparts de Saint-Cirq-Lapopie, un des plus beaux villages de France, l’œil devra s’appesantir sur un vaste champ de 44000 panneaux solaires envahissant la vallée du Lot (alors que des milliers d’hectares sont déserts sur le plateau). Le même texte prévoit que les transformateurs électriques de 10 hectares qui vont raccorder sur les côtes les éoliennes en mer soient exemptés de toute autorisation d’artificialisation des sols. Une autre loi « d’exception », destinée à accélérer la création de centrales nucléaires, va permettre d’installer n’importe où les EPR promis par le Gouvernement.

Et c’est dans ce contexte qu’on apprend que des centaines d’hectares de terres cultivables vont être transformés en « bassines » !

Les méga-bassines           

Une bassine est un réservoir peu profond creusé en terrain agricole plat et étanchéifié en recouvrant le trou d’un film en matière plastique. Sa capacité avoisine 200 000 m3. Au contraire des retenues classiques, la bassine n’est pas remplie par les eaux de ruissellement de la pluie sur un bassin versant mais par pompage pendant l’hiver dans la nappe aquifère située en-dessous. Les prélèvements dans la nappe sont réalisés quand la nappe est en période de recharge et que les besoins d’irrigation sont faibles, de façon que l’eau stockée soit utilisée en été sans avoir à pomper dans la nappe. On notera que cette méthode ne permet pas de stockage supplémentaire. Le changement climatique est censé s’accompagner d’un accroissement de canicules et de sécheresses. Pour n’avoir pas à trop limiter l’irrigation, la FNSEA et le ministère de l’Agriculture préconisent la multiplication des bassines qui sont subventionnées jusqu’à 70 % par les agences de bassin, ainsi que certains départements ou régions.

Les 41 bassines prévues à l’origine sur le bassin du Clain étaient destinées à stocker 11,2 millions de m3 d’eau sur plus de 500 hectares, soit 224 m3 en moyenne par bassine. Le projet a été réduit à 16 bassines, financées à 70% par nos impôts. On est en droit de s’étonner de cette conception qui se déclare destinée à économiser l’eau. D’abord on perd en terrain agricole l’équivalent de 12 à 13 hectares par bassine et on ne gagne pas une goutte d’eau ; ensuite cette surface est revêtue d’une immense bâche en plastique, matériau qui risque de polluer la mer en se décomposant. De plus l’eau étant stagnante, sa température risque de s’élever en été ce qui favorise la détérioration de sa qualité. Par ailleurs, l’alimentation par pompage dans la nappe aquifère est particulièrement vorace en énergie.

Enfin, un petit calcul hydrologique permet de montrer que ces bassines sont extrêmement inefficaces en matière de gestion de l’eau. En été, l’atmosphère évapore environ 5 millimètres d’eau par jour, environ 50 cm pour l’été. Sur 500 hectares cela représente 5 000 000 m² x 0,5 m = 2 500 000 m3, soit 2,5 millions de m3 de perte, ce qui correspond à plus de 20% de leur capacité totale ! Une perte à laquelle il faut ajouter l’évaporation du reste de l’année… soit 15 à 20% de plus. Ces pourcentages ne dépendent évidemment pas du nombre de bassines. Les écologistes ajoutent qu’elles sont créées au profit d’une agriculture intensive, irriguée et généralement de type monoculture, mais cela est hors du propos hydrologique.

La pluviométrie en France

Très globalement, la pluie annuelle en France est inférieure à 800 mm au nord d’une ligne Moulins-Poitiers (à part quelques petites taches plus pluvieuses en Bretagne et en Normandie, ainsi que dans le Morvan) et à l’ouest du pied des massifs du Jura et des Vosges. Elle ne dépasse pas 800 mm le long du littoral Atlantique au nord de Bordeaux, dans la vallée de la Garonne et sa prolongation jusqu’à Narbonne, dans tout le pourtour méditerranéen et dans la vallée du Rhône. Pour trouver des pluviométries supérieures à 1000 mm par an, il faut se restreindre au pied des Pyrénées (et aux Landes, bien arrosées), aux principaux reliefs du Massif-Central (et aux Cévennes) et au Massif Alpin.

C’est dire que la France n’est pas adaptée à des cultures gourmandes en eau comme le maïs qui n’est profitable que sous au moins un mètre d’eau par an. La France est un pays de céréales, de betteraves sucrières, de fruits… et d’élevage avec nourriture à l’herbe sauvage ou cultivée (bien d’autre activités agricoles sont les bienvenues chez nous, je simplifie).

Contrairement à ce qui est parfois avancé, la pluie de ces dernières années n’est pas en diminution. Il serait d’ailleurs bien étonnant qu’il en soit autrement en période de réchauffement de l’atmosphère : un air plus chaud favorise l’évaporation en mer, donc l’émergence de masses d’air plus humides qui vont arroser les terres… Par contre, une atmosphère chaude favorise également l’échauffement des sols, donc l’apparition de tornades et d’orages plus violents qu’auparavant, plus de grêle, fortes intensités de précipitation. Ceci ne modifie les écoulements des rivières que dans certains cas très rares.

Quelques réflexions hydrologiques

Lorsqu’il pleut sur un terrain naturel (non rocheux), l’eau précipitée s’infiltre d’abord en totalité, et ce que le sol soit sec ou humide et quelle que soit l’intensité de la pluie (contrairement à ce qui est souvent dit). Une fois infiltrée, l’eau s’écoule lentement dans le sol en suivant la ligne de plus grande pente et ce mouvement ne s’arrête que quand elle arrive en bas, c’est-à-dire au niveau du lit de la rivière. Là, elle peut continuer en souterrain le long de la nappe alluviale (les alluvions sur lesquels coule la rivière) et, plus loin, s’étaler éventuellement vers une nappe d’eau (la nappe « phréatique ») si elle se situe à un niveau plus bas que celui de la nappe alluviale. Si la nappe alluviale est déjà pleine, l’eau va déborder dans le lit de la rivière dont le débit de surface va augmenter légèrement.

Ceci est vrai jusqu’à un « seuil de ruissellement » qui équivalent en France à environ 60 mm pour une journée de pluie ; la répartition des précipitations au cours de la journée n’a quasiment aucune importance : orage en deux heures ou pluie continue sur un volume équivalent en un jour : même effet en terrain naturel. Si la pluie de la journée dépasse 60 mm… le terrain des versants est saturé et la pluie ne peut plus s’infiltrer. Elle est donc forcée de ruisseler en surface, très rapidement, vers la rivière : c’est la crue !

Comme nous l’avons vu, la rivière peut rencontrer une nappe d’eau, c’est-à dire un gisement géologique aquifère, une structure perméable disposée sur un socle imperméable, et dont l’eau qui mouille le terrain perméable s’écoule tranquillement vers l’aval, avec exutoire soit en mer soit dans une rivière. Cette nappe est rechargée en eau soit directement, par infiltration de la pluie à partir de la surface, soit indirectement, par écoulement de l’eau d’une nappe alluviale qui domine l’aquifère.  En fait, quand il y a jonction entre une nappe alluviale et un aquifère l’écoulement se fait naturellement dans un sens ou dans l’autre suivant les niveaux d’eau.

Bien entendu, il est intéressant d’exploiter l’eau d’un aquifère tout en limitant les pertes par écoulement en mer. Cependant, il convient de ne pomper dans l’aquifère que la quantité qui y entre : sinon on vide l’aquifère et on assèche toutes les rivières qui sont en lien avec lui ! C’est ce que l’on observe en ce moment dans bien des régions… parce que l’on pompe trop dans la nappe en début de saison chaude, sans garder une réserve suffisante pour la suite de l’été.

Des barrages plutôt que des bassines

De tous temps les rivières de France ont été aménagées au moyen de petits barrages (ou digues transversales) destinés à la fois à créer une petite réserve d’eau et à alimenter un canal conduisant l’eau à un moulin. Quand beaucoup de petits barrages ont été construits tout au long du cours d’eau, on obtient une bonne régularisation du débit, mais le coût d’un tel aménagement serait actuellement prohibitif. Récemment, on a entrepris de démolir tous les ouvrages de certains cours d’eau, qui, depuis, se sont asséchés, spectacle lamentable ! On préfère aujourd’hui une régulation par des ouvrages situés plus en amont, dans une région de collines (barrages collinaires) ou de piémont montagneux (petit barrage).

Ces ouvrages sont bon marché et fiables (à condition de réaliser une bonne étude hydrologique, en particulier pour bien connaître les crues). On peut les construire en terre (mais on doit alors créer un exutoire pour les crues, ce qui est cher), en enrochements ou en gabions (la crue peut passer par-dessus), ou même en béton dans certains cas très particuliers (verrou rocheux). En général on choisit un site capable de stocker quelques millions de mètres cubes dans un lac de faible superficie pour limiter l’évaporation.

Cette réserve d’eau possède les propriétés suivantes :

  • Elle est partiellement constituée d’eau de crue, qui se serait perdue en mer sans alimenter les nappes.
  • Elle est un milieu vivant, avec une végétation et une faune aquatique, donc elle est saine (à condition que le bassin versant amont soit protégé des pollutions)
  • Elle est en contact avec la nappe alluviale de la rivière, par le fond un peu perméable du lac et par des « fuites » contrôlées pour assurer un petit débit de base
  • Elle est disponible pour contrôler les périodes de sécheresse au moyen de lâchers dans la rivière.
  • Elle n’occupe pas de surface agricole

À l’inverse, une « giga bassine » en plastique perturbe le fonctionnement de la nappe sans ajouter une goutte d’eau à sa recharge, donc ne peut conduire qu’à un assèchement des rivières des environs et à l’endommagement du milieu naturel. De plus l’eau ne peut que croupir, sauf à la charger en sulfate de cuivre (polluant) ou chlore. Enfin, que faire du plastique quand il sera usé ? Il y en a déjà tellement qui nourrit poissons et cétacés…

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