Penser l’alternative : entretien avec Jacques Rigaudiat

Penser l’alternative : entretien avec Jacques Rigaudiat

Dans cet entretien Jacques Rigaudiat, co-auteur de « Penser l’alternative : réponse à quinze questions qui fâchent » revient sur plusieurs thèmes abordés dans le livre (transition écologique, dette, services publics, etc.) et explique en quoi la dette n’est pas un danger et la décroissance n’est pas une réponse à la transition écologique.

Le Temps des Ruptures : vous consacrez un chapitre sur l’idéologie de la décroissance. Selon vous, cette théorie est incompatible d’une part avec la transition écologique, et avec l’amélioration des conditions de vie des citoyens (par exemple, l’investissement dans les services publics, dans la rénovation des bâtiments, etc.). Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?

Jacques Rigaudiat : 

C’est une question de pur bon sens : comment, en effet, imaginer que sans croissance on puisse faire face aux défis qui nous attendent : c’est-à-dire tout à la fois financer la transition écologique dans l’ensemble de ses dimensions (préservation de la biodiversité, adaptation aux dérèglements climatiques et transition énergétique), rétablir et améliorer les services collectifs qui sont en grave déshérence et assurer une amélioration des conditions et du niveau de vie ?

Certes « faire payer les riches » est nécessaire, et réformer profondément la fiscalité indispensable, mais il faut être conscient des ordres de grandeur : cela ne suffira nullement pour assurer les investissements et les redistributions dont notre société a durablement besoin et une amélioration d’ensemble du niveau de vie. Pour cela, il faut de la croissance.

Le PIB agrège certes des choses très différentes, et il n’y est pas fait de différence entre ce qui constitue un progrès, une réparation des dégâts de la croissance et du réchauffement climatique, ou une production à des fins d’utilisation futilement ostentatoires. L’économiste doit bien sûr ici céder le pas au politique et aux valeurs citoyennes qu’il porte pour un projet de société plus égalitaire, plus sobre et au niveau de vie soutenable pour la planète. C’est pourquoi des consommations seront à réduire voire à prohiber et des gaspillages à résorber ; c’est pourquoi, le modèle productif devra être transformé pour devenir compatible avec les équilibres, notamment climatiques, de la planète.

Mais ce n’est pas céder à un fétichisme du PIB que de rappeler que celui-ci représente tout à la fois l’ensemble des richesses produites, y compris non-marchandes, mais aussi celui des revenus distribués et, enfin, des consommations et des investissements. Avoir pour projet principal de le réduire, c’est, ipso facto, être dans une démarche de régression sociale, qu’elle s’avoue (rarement) ou soit (le plus souvent) déniée. Le projet décroissantiste est une illusion mortifère.

Le Temps des Ruptures : dans le chapitre 7, vous défendez une plus grande électrification des usages, avec une énergie décarbonée. Quels sont les grands défis liés à cette électrification ? quels sont les secteurs devant être décarbonés prioritairement selon vous ? le secteur des transports est emblématique de cette électrification, mais l’augmentation du coût de l’énergie rend cette transition complexe ?

Jacques Rigaudiat : 

D’abord, il faut rappeler que l’électrification n’est qu’un moyen au service de la décarbonation et que celle-ci est une urgence absolue. Toutes les prévisions, même pessimistes, semblent aujourd’hui prises de court par la réalité : le réchauffement climatique -et avec lui les dérèglements (incendies, sécheresses, inondations catastrophiques…) qui l’accompagnent- est plus rapide qu’attendu. Il ne suffira pas de décarboner l’économie et les usages de la société, il faudra aussi l’y adapter à ces conditions nouvelles.

Il ne suffira pas non plus de simplement « décarboner » l’énergie utilisée, il faudra aussi en faire le plus possible l’économie : être plus sobres en énergie, plus efficaces dans leur production comme dans leur utilisation. Enfin, faire en sorte que ces énergies soient aussi décarbonées qu’il est possible. On ne peut dissocier les termes de ce tryptique énergétique : sobriété, efficacité, décarbonation. C’est un programme gigantesque qui nous attend, nous et les générations à venir ; il sera coûteux, très. Il devra être soutenu dans la durée ; elle sera longue. C’est pourquoi, je le redis, le décroissantisme ne peut être un projet politique.

Pour répondre à votre question, aucun secteur, absolument aucun, ne peut échapper à ces impératifs, car ils sont, si j’ose dire, « catégoriques » si nous voulons -et nous le devons- atteindre le « zéro net émissions » (ZNE) le plus rapidement possible. Aucun ne pourra s’en exonérer.

D’autant moins d’ailleurs, j’y insiste au passage, que ce ZNE est le résultat d’une soustraction entre les émissions et la capture du carbone assurée par les puits naturels ; or, conséquence du réchauffement climatique et de ses effets comme on le voit pour la France, ils sont en train de s’effondrer. Il faudra donc aussi les restaurer ou/et développer des moyens de capture du CO2.

Pour en revenir aux secteurs, c’est vrai d’abord, bien sûr des mobilités (32% des émissions, dont la moitié due aux véhicules particuliers), dont l’électrification représente une profonde transformation des usages typiques de la « société de consommation », mais aussi une révolution industrielle risquée pour le secteur et ses emplois. C’est vrai aussi de l’agriculture (19% des émissions), dont au demeurant l’émission principale -le méthane- a sur sa durée de vie propre (de l’ordre de 30 ans) un pouvoir réchauffant 90 fois plus important que le CO2 ; c’est vrai des procès de production de l’industrie (18%), et en priorité les plus énergétiquement intensifs ; c’est vrai encore du bâtiment (16%, dont près des 2/3 des émissions sont dus au résidentiel), qui devra faire l’objet d’un programme de rénovation thermique complet. Quant au secteur de l’énergie, cela peut sembler un paradoxe, il ne représente que 11% des émissions, car il est déjà largement décarboné grâce à un parc nucléaire qui fournit entre 60% et 70% de la production d’électricité et plus récemment du fait du développement des énergies renouvelables intermittentes (EnRi) : solaire photovoltaïque et éolien, terrestre et marin.

Mais, on le voit, ce mouvement d’électrification des usages, productifs ou de consommation, devra encore être massivement développé, et avec lui, donc, la production d’électricité. Comme le dit le rapport Pisani-Mahfouz dans un raccourci saisissant mais juste, il s’agit de « substituer du capital aux sources fossiles ».

Pour de multiples raisons que nous développons dans notre livre, cela aussi coûtera cher. Il faut clairement annoncer la couleur, il est vain d’imaginer comme certains aiment à en cultiver l’illusion que cela aboutira à une énergie peu coûteuse. Éviter la « fin du monde » amènera plus que jamais à poser celle des « fins de mois » et donc celle de la fracture énergétique que cela risque d’entraîner. C’est pourquoi, il faudra aussi s’employer à définir un projet politique qui apporte des solidarités nouvelles ou renforcées en ce domaine.

Le Temps des Ruptures : vous dites également que l’adaptation du mix énergétique de chaque pays dépend d’abord de son point de départ. En France, E. Macron avait évoqué il y a quelques années son souhait de fermer plusieurs réacteurs nucléaires, et de réduire la part du nucléaire dans le mix. Il est ensuite revenu sur ces déclarations, annonçant un grand plan de relance du nucléaire. Qu’en pensez-vous ? ce revirement est-il uniquement dû à la guerre en Ukraine ?

Jacques Rigaudiat : 

De son point de départ, mais pas seulement… Si j’avais un mix électrique idéal à proposer, dans l’absolu ce serait celui de la Norvège : bon an mal an, 88% d’hydraulique, 10% d’éolien ! C’est impossible en France, ne serait-ce que parce que, sauf à ennoyer des vallées entières (et les villages et bourgs qui vont avec), la capacité d’hydraulique y est quasiment saturée.

En France, le nucléaire représente de l’ordre de 60% à 70% de la production d’électricité selon les années, prévoir de s’en priver en fermant à échéance rapide les centrales existantes était à tous égards inepte et conduisait dans une impasse, énergétique et économique bien sûr, mais aussi écologique. Le modèle allemand de l’Energiewende l’illustre un peu plus chaque jour ; aujourd’hui même (4 juillet 2024, 16h00) l’électricité est produite avec 25 g/eq CO2/kWh en France, contre 282 g/eqCO2/kWh en Allemagne ! Et ce rapport de 1 à 10 est une réalité structurelle. Il faut savoir si l’on prend réellement au sérieux le risque climatique !

La guerre en Ukraine a sans doute précipité le revirement que vous évoquez, mais a aussi beaucoup joué l’absurdité à laquelle conduit l’Energiewende allemande : une électricité chère -la plus chère en Europe, à l’exception du Danemark- et dont la production est très émissive. Tout cela sans perspective dans l’immédiat de se passer du combo charbon-lignite et, au-delà, de pouvoir éviter l’utilisation massive de gaz fossile. J’ajoute pour faire bon poids, que, faute d’une diversification de ses sources, l’Allemagne passe ainsi d’une dépendance au gaz russe à celle au gaz (de schiste !) américain ! Diversifier les sources d’approvisionnement c’est ipso facto s’obliger à passer des contrats à long terme avec les nouveaux fournisseurs, comme on l’a vu avec le Qatar ; contrairement à ce qui peut être dit, l’utilisation du gaz fossile a encore de très belles années devant lui en Allemagne !

Au total, ce n’est pas beaucoup s’avancer que de prédire que l’Allemagne devra revenir sur ses choix comme sur ses refus, car cette option n’a pas d’avenir.

Le Temps des Ruptures : les élections européennes se sont achevées il y a quelques semaines. Certains candidats ont défendu un projet européen fédéraliste. Selon vous, même si l’UE semble en apparence avancer vers davantage de fédéralisme, des difficultés (logique d’affrontement plutôt que d’entraide entre les Etats, légitimité des responsables politiques européens, etc.) rendent ce projet inenvisageable. Vous défendez une Union européenne de la coopération plutôt que fédéraliste. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Jacques Rigaudiat : 

Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, les crises successives qu’a connues l’UE, n’ont pas substantiellement changé la donne ; si des avancées fédérales ont bien été engagées, les reculs et les refus ne sont pas négligeables non plus. Si l’UE est devenue plus fédérale dans ses institutions, -en particulier le rôle du Parlement s’est affirmé, ce qui est une bonne chose-, elle n’en demeure pas moins un édifice institutionnel profondément néolibéral, c’est-à-dire où la démocratie n’a de place que limitée : elle doit s’y borner à l’acquiescement ! Cela conduit à deux impasses.

La première est que si la question démocratique reste posée, celle de la légitimité des institutions et de leurs dirigeants l’est aussi. Pas de fédéralisme possible sans une légitimité « supranationale ». On se souvient à cet égard du référendum de 2005 et de la façon dont le rejet populaire du TCE a été dénié ; on se souvient aussi des propos de J. Cl. Juncker en janvier 2015 à propos de l’arrivée au pouvoir de Syriza en Grèce : « il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités ». C’est, je crois, assez dire qu’avec l’UE la démocratie est réduite aux apparences ; ce qui est certes mieux que rien, mais ne peut pour autant passer pour suffisant.

La seconde raison tient à la construction incomplète de la monnaie unique qui en découle. Une BCE strictement indépendante, ainsi mise à l’abri des influences supposément délétères du politique, et qui a pour seul objet de maintenir la stabilité des prix, des traités qui lui interdisent explicitement de financer les États membres (Art 123-1 du TFUE). Ces choix vouent l’euro à aller de crise en crise du fait de la non-coordination des politiques budgétaires et des différentiels d’inflation. Il a fallu que l’euro soit au bord de l’abime en 2015, puis lors de la crise du Covid, pour que ces dispositions soient, transitoirement, mises de côté. On se félicitera certes de cette flexibilité inattendue mais enfin elle démontre surtout, a contrario, l’absurdité de ces règles qu’il faut suspendre dès lors qu’une difficulté un tant soit peu sérieuse se présente. De même, la politique de hausse des taux engagée par la BCE n’avait pour seul but que de casser par avance l’amorce d’une boucle prix-salaires, alors même que l’inflation n’était pas tirée par la demande mais par la hausse brutale des prix de l’énergie et celles résultant des goulots d’étranglement post-Covid des chaînes de production mondialisées, une inflation par les coûts donc ! Bref, une politique austéritaire à l’égard des salariés…

Et enfin, cerise sur le gâteau, que dire de cette phrase d’un banquier central, rapportée par Le Monde (du 4 juillet) à propos de la situation française et du risque d’une hausse du « spread » (écart) de taux à son détriment du fait des incertitudes politiques actuelles ? « On sait que les marchés ont un rôle à jouer dans la discipline budgétaire et nous ne détruirons pas ce rôle », c’est ce que, dans un de ces étranges bégaiements dont l’Histoire est coutumière, dit le gouverneur de la banque centrale de… Grèce. Autant dire que pour affirmer la discipline maastrichtienne et faire en sorte que « La France (puisse) avoir un peu peur », la BCE laissera les marchés jouer contre les choix démocratiques, au risque assumé donc, du chaos pour l’Euro … Le marché comme père Fouettard des citoyens en somme.

Ce sont là les raisons pour lesquelles effectivement nous plaidons pour une coopération entre États-membres et non pour plus de fédéralisme. Pourquoi en effet vouloir déléguer plus encore, alors que, du fait même de la nature des institutions européennes et de l’intangibilité postulée des dispositions des traités, les abandons de souveraineté supplémentaires auxquels il faudrait alors consentir ne s’accompagneront pas et ne seront pas équilibrés par un approfondissement démocratique ?

Le Temps des Ruptures : on observe ces dernières décennies, une part de plus en plus importante du privé à but lucratif dans les secteurs publics (hôpitaux, systèmes de garde, écoles, etc.), ainsi que l’ouverture à la concurrence d’entreprises françaises, remplissant une mission de service public essentielle (électricité, transport, etc.). Les services publics permettent pourtant de réduire les inégalités en redistribuant les revenus (en complément des prestations sociales). Comment endiguer ce glissement des services publics vers le privé ?

Jacques Rigaudiat : 

Ce glissement progressif vers la mise en concurrence généralisée, qu’il s’agisse de services publics ou d’entreprises, est requis par la libéralisation qui est le cœur de la pensée magique néolibérale, sa pierre philosophale, et sert de norme absolue à la CEE, puis à l’UE depuis l’adoption de l’Acte unique voulu par J. Delors en 1986 : un marché unique -et non plus « commun » – des marchandises, des capitaux et des services. Les directives l’organisent, en particulier s’agissant de l’énergie et des transport ; mais ce n’est pas moins vrai, par exemple, des assurances sur lesquelles sont rabattues les mutuelles … Et l’on peut à l’envie multiplier les exemples. Bref, pas vraiment de possibilité de redonner une véritable place aux services publics sans s’affronter d’une manière ou d’une autre aux contraintes que leur fixe indument l’Europe telle qu’elle existe.

Le Temps des Ruptures : en début d’année, le gouvernement a dévoilé son plan de réduction des dépenses pour réaliser 10 milliards d’euros d’économie. Ce n’est qu’une première étape : le gouvernement ambitionne de passer sous la barre des 3% de déficit en 2027. Il y a cette idée qu’on retrouve souvent dans les médias, à la télévision surtout, que la France vit à crédit. Ce que vous dites dans le livre, c’est que la dette ne coûte rien tant que le taux d’intérêt est inférieur au taux de croissance nominal et qu’elle est un levier pour les investissements publics. Pourriez-vous revenir sur ces points ?

Jacques Rigaudiat : 

Ce ne sont pas 10, mais 20 Md€ de réduction des dépenses qui sont (étaient ?) visés pour cette année et 50 Md€ l’an prochain ! Les règles budgétaires issues de Maastricht et récemment renouvelées, nous imposent ce régime drastique de réduction du déficit pour éviter les conséquences de la « procédure de déficit excessif » engagée par Bruxelles contre la France.

Pourquoi pas dira-t-on, car le bon sens veut que la France ne puisse vivre durablement « au-dessus de ses moyens ». Sans doute, mais encore faut-il d’abord préciser que ce déficit est organisé. Ainsi en 2023, le déficit « surprise » de 154 Md€ (5,5 % du PIB) n’est pas le résultat d’une explosion des dépenses publiques ; bien au contraire, leur évolution a été inférieure à l’inflation, en d’autres termes elles ont été réduites en volume. La vraie raison tient à la baisse drastique des recettes (- 4,4% en volume). Elle est essentiellement due aux baisses de fiscalité qui ont été consenties : suppressions de la CVAE et de la taxe d’habitation, exonérations supplémentaires de cotisations employeur. Cadeaux aux ménages les plus riches (suppression de l’impôt sur la fortune, « flat tax » sur les revenus du capital …) et aux entreprises, telles sont les raisons qui, au-delà du « quoi qu’il en coûte », expliquent la persistance de tels déficits et donc un endettement accru.

Cela dit, nous pensons que la dette n’est pas un mal en soi. Elle est (et sera) nécessaire pour financer les très lourds investissements qui, comme je l’ai indiqué précédemment, nous attendent pour les décennies à venir ; elle est le moyen d’en étaler dans le temps la charge, alors même que les effets de ces investissements profiteront aux générations à venir.

Enfin, comme vous l’indiquez dans votre question, les niveaux actuels de la dette et des taux d’intérêt restent largement inférieurs au risque de « boule de neige » qui ferait que nous devrions alors emprunter pour payer … les intérêts. Pour cette raison la France n’est donc pas en faillite. Elle l’est d’ailleurs d’autant moins que, par ailleurs comme nous le dit la comptabilité nationale, le patrimoine détenu par les administrations publiques est supérieur à leur dette.

Le Temps des Ruptures : y-a-t-il d’autres sujets, que vous n’avez pas abordés dans le livre mais qui mériteraient d’y consacrer un chapitre selon vous ?

Jacques Rigaudiat : 

Cet ouvrage est un livre d’économistes qui entendaient le rester ; nous n’avions donc ni l’ambition, ni le projet de nous évader du champ de compétence qui est usuellement assigné à notre discipline. Ce livre ne traite donc, par exemple, ni de sujets « régaliens », ni des questions d’immigration qui leur sont assurément connexes. De bien d’autres questions aussi sans doute. Ce n’est pas en minimiser l’importance, surtout dans l’état actuel du débat public, mais il nous a semblé que cela aurait été une bien misérable approche de ces sujets que celle d’économistes se bornant à chiffrer « combien cela coûte ». Cela sera possible le jour où un projet politique d’ensemble étant disponible, il nous faudra bien faire notre métier.

Si ce livre ne saurait donc passer pour ce qu’il ne se veut pas – un projet politique-, cela ne veut pas dire qu’il n’est pas politique. Car l’intitulé « Réponses à quinze questions qui fâchent » qui lui sert de sous-titre n’est pas anodin. Ce ne sont d’ailleurs pas les questions qui fâchent, mais les réponses que nous leur apportons. Et qui donc fâchent-elles et avec qui nous ont-elles d’ores et déjà fâché, comme la presse a pu s’en faire l’écho ? Ce sont des questions qui traversent la gauche telle qu’elle est désormais et des réponses qui la divisent. Des réponses entre lesquelles il lui faudra trancher, du moins dès lors qu’elle voudra bien dans ses différentes composantes ambitionner un exercice réel des responsabilités.

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Le Nouveau Front Populaire doit devenir le camp de la concorde nationale

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La situation politique inédite dans laquelle nous nous trouvons, celle de la constitution de trois blocs sans majorité à l’Assemblée nationale, nécessite de ralentir et de s’accorder, chose difficile s’il en est dans le brouhaha ambiant, un temps de réflexion et d’analyse. Mettre fin au cocktail explosif entre bataille identitaire et réseaux sociaux, rompre avec l’impuissance publique qui mine le pays depuis 40 ans, renouer avec des politiques ambitieuses de cohésion sociale. Tel pourrait être le sens d’une gauche qui assumerait de nouveau être le camp d’une concorde nationale retrouvée.

Une Assemblée tripartite : résultat du rejet du RN

Alors que l’ensemble des sondages réalisés dans l’entre-deux tours donnait le Rassemblement national en tête (voire en situation de majorité relative ou absolue) c’est bien le Nouveau Front Populaire qui s’est imposé lors de ces élections législatives anticipées. Avec 182 députés, il devance Ensemble (168 sièges) et le Rassemblement national et ses alliés « ciottistes » (143 sièges, soit un gain de 54 sièges depuis 2022) F

Si le Nouveau Front Populaire s’impose, il reste en revanche très loin de la majorité absolue (289 sièges) tandis que la composition de l’Assemblée entérine la tripartition du paysage politique. Ce que le politiste Pierre Martin observait dès 2018 dans la majorité des démocratie occidentales.

Le nouveau système partisan qui se dessine sous nos yeux semble effectivement prendre la forme d’une structure tripolaire composée d’une droite conservatrice-identitaire (parfaitement incarnée par l’alliance Ciotti-RN), d’une gauche démocrate-écosocialiste et d’un centre libéral-mondialisateur[1].

S’il s’agit d’une tendance de fond qui travaille l’ensemble des systèmes partisans occidentaux, la situation reste inédite dans le cas de la Ve République française peu habituée aux logiques de coalition.

Il faut en revanche garder en tête que le résultat de ce second tour n’est dû qu’aux désistements de candidats NFP et macronistes afin d’éviter un Rassemblement national majoritaire à l’Assemblée. Le front républicain a fonctionné mais force est de constater qu’il se délite peu à peu et que le barrage est de moins en moins efficace.

A tel point que le politiste Jean-Yves Dormagen, considère qu’il s’agit désormais « d’une coalition électorale de barrage plus faible, plus incertaine, allant de l’électorat de gauche jusqu’à une partie des modérés[2] » et non d’un véritable front comme cela avait pu être le cas auparavant.

Et si le Nouveau Front Populaire arrive en tête en nombre de sièges, le Rassemblement national reste la première force en pourcentage des voix. Voilà pourquoi il est difficile de donner tort à Marine le Pen lorsqu’elle évoque, pour son propre camp, l’image d’une marée qui n’a pas fini de monter.

Reste à savoir ce que peut le Nouveau Front Populaire, et la gauche de manière générale, pour que le pire ne se produise pas. 

 

Le premier enjeu pour la gauche : le combat informationnel pour desserrer l’étau identitaire

Nul ne peut ignorer que le chaos qui survient en ce lendemain d’élections vient de loin et n’est pas simplement la conséquence de décisions irresponsables de la part du chef de l’Etat.  Il est avant tout le résultat de la séquence historique dans laquelle nous sommes plongés depuis les années 1980 : à savoir la montée irrémédiable des contestations suite au démantèlement des anciens cadres de régulations de la société par la mondialisation néolibérale.

Chaque sujet humain, pour se construire en tant qu’individu, est fondamentalement dépendant de sa reconnaissance par ses pairs et par la société. Le problème étant qu’avec la destruction des anciens cadres de régulation, c’est l’ensemble des processus de reconnaissance qui sont remis en cause : panne de l’ascenseur social, précarisation des différentes formes d’emploi, délabrement du système de santé et de l’école publique, disparition des services publics, ségrégation urbaine.

Et cette disparition des relations de reconnaissance débouche sur des expériences de mépris et d’humiliation qui ne sont pas sans conséquences sur la capacité d’une société à assurer l’intégration sociale de ses membres. Voilà pourquoi, à la place du lien social tel qu’il pouvait se constituer auparavant, nous assistons désormais dans nos sociétés contemporaines à un « déchirement du social ».

Il en résulte une situation de vulnérabilité et d’insécurité généralisée pour des pans entiers de la société (ceux que l’on désigne tour à tour comme les perdants de la mondialisation, les déclassés, la France des oubliés, etc…). Se forme alors peu à peu ce que Christopher Lash appelle « une société de survie » « composés d’individus désindividués, aux egos fragilisés, infantilisés, insécurisés, plébiscitant des leaders forts pour incarner inconsciemment la figure du « père » émasculé[3] ». Si bien que face à cette évolution, les besoins exprimés par les citoyens se matérialisent moins par une demande d’émancipation face à une société jugée trop corsetée et traditionnelle (comme c’était le cas lors de la révolte de mai 68) que par une demande de protection et de sécurité.

Ayant parfaitement saisi cette demande de protection, les droites et les extrêmes droites ont mis en place une dialectique redoutable : celle consistant à exacerber les paniques morales des déclassés à travers tout un réseau d’entrepreneur du chaos (influenceurs, médias Bollorés) et à incarner de l’autre une réponse politique à ce besoin d’autorité voire d’apaisement national (il n’y a qu’à voir le mot d’ordre du Rassemblement national sur certaines de ses affiches : « la France apaisée »)

Exit le débat d’idées entre des orientations politiques différentes[4], bienvenue dans le monde de la bataille identitaire et de la fragmentation nationale.

Les adeptes de la culture du clash et de l’enfermement communautaire peuvent par ailleurs compter sur des réseaux sociaux qui fonctionnent comme autant de démultiplicateurs de cette bataille des identités.

Leur modèle économique et algorithmique favorise l’entre-soi en ne présentant jamais que des contenus qui nous ressemblent ou avec lesquels nous sommes d’accord. Pire encore, ils favorisent l’étouffement des désaccords au sein de sa propre « communauté » : « sur les réseaux sociaux, on craint paradoxalement moins le camp adverse que les puristes de son propre camp, qui exercent une redoutable police de la pensée »[5]. Les réseaux sociaux ne sont rien d’autre que des ghettos 2.0.

Il en résulte « brutalisation, polarisation, instrumentalisation économique et politique de la violence et de la colère, déflagration des liens, explosion du réel, atomisation des socles communs.[6]»

Si les médias plus traditionnels (presses papiers et en ligne, radios, chaînes TV) assurent encore un rôle de régulateur de ces affects volontairement exacerbés par les réseaux sociaux, il leur est de plus en plus difficile d’assumer cette fonction. On se souvient par exemple en 2002 de l’affaire « Papy Voise » (ce retraité passé à tabac et dont la maison avait été incendiée) et de ses répercussions sur l’élection présidentielle. L’emballement médiatique de TF1, France 2 et LCI à propos de cette affaire (favorisant largement le sentiment d’insécurité) a régulièrement été analysé comme l’une des causes de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour.

Plus proche de nous, le drame de Crépol (cet adolescent poignardé à mort lors d’une fête de village) a été instrumentalisé par la droite et l’extrême droite afin de prouver le lien selon eux inextricable entre délinquance et immigration. Et ce, quelques mois après les émeutes de juin qui avaient aussi participé à la droitisation dont témoignaient les instituts de sondage à l’été 2023. Les chaînes d’information en continu (Cnews en tête) ont repris en boucle cette « démonstration identitaire » jusqu’à contaminer les journaux télévisés traditionnels.

Les milliardaires Vincent Bolloré, Daniel Kretinsky et Pierre-Edouard Sterin ont d’ailleurs bien compris ce rôle de régulateur des médias traditionnels. Comment expliquer autrement leurs volontés de rachat de médias dont la rentabilité économique fait souvent défaut. De même que Jordan Bardella qui affirmait encore il y a peu que l’une de ses premières mesures en tant que Premier ministre serait de privatiser les chaînes publiques d’information.  

Face à ce cocktail explosif que représente la fusion de la bataille identitaire, des réseaux sociaux et des médias, les gauches sont fondamentalement désarmées et ne peuvent pas gagner.

Les quelques partis à gauche ayant adapté leur stratégie médiatique à cette nouvelle donne identitaire et radicaliser leur communication finissent lentement de se discréditer : la France insoumise est désormais considérée comme une plus grande menace pour la démocratie que le Rassemblement national[7] et comme un parti qui attise la violence. Quant aux partis ayant refusé cette brutalisation du débat public, leur existence médiatique est somme toute assez relative.  

Desserrer l’étau identitaire nécessite de changer drastiquement les règles du jeu médiatique et de réglementer les plateformes et réseaux sociaux : voilà pourquoi le premier combat de la gauche est désormais le combat informationnel.

De nombreuses propositions peuvent être émises dans ce sens. Tant dans la régulation des médias (inscription dans la Constitution d’un droit à l’information et de son corollaire la liberté de la presse ; renforcement du contrôle du Parlement sur les nominations à la tête de l’audiovisuel public ; adoption d’une loi anti-concentration, renforcement de la protection du secret des sources des journalistes, etc…) que dans la régulation des réseaux sociaux (contrôle du rythme des likes, retweets et partages, remise en cause des rentes publicitaires des GAFAM, etc…)[8].

Dans le contexte actuel d’absence de majorité à l’Assemblée nationale, cette lutte pour la régulation médiatique au nom de l’apaisement du débat public, et plus largement de la liberté d’informer, est un des rares combats pour lesquels un compromis est possible entre les partis du Nouveau Front populaire, des députés centristes et de centre-droit. Nul doute également que la société civile est amenée à jouer un grand rôle dans cette lutte.

La fragmentation de la société française n’est pas un horizon irrémédiable. La France n’est pas Twitter comme le dit si bien Denis Maillard et l’image que nous renvoient les réseaux sociaux et les journaux télévisés n’est pas un calque exact de l’état d’esprit des Français (c’est en tout cas l’une des leçons que l’on doit tirer de ces élections législatives)

Lorsqu’éclatent les émeutes urbaines suites à la mort de Nahel Merzouk à l’été 2023, « le discours médiatique a instantanément opposé les « anti-flics » aux « anti-banlieues ». Or l’enquête réalisée par le think tank Destin commun montre qu’une grande majorité de Français ne se situait dans aucun des deux camps : « parmi ceux qui s’inquiétaient de l’hostilité envers les jeunes des quartiers, 80 % étaient aussi inquiets de l’hostilité envers la police, et réciproquement »[9].

La situation est peu ou prou la même en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, « trois mois après le début de la guerre, parmi les 66 % de Français qui se déclaraient inquiets pour la population palestinienne, 79 % exprimaient aussi de l’inquiétude pour la population israélienne »[10].

Certes la division et la fragmentation nationales sont vécues comme telles par une majorité de citoyens : « 75 % des Français jugent que notre pays est divisé et 56 % considèrent même que nos différences sont trop importantes pour que nous puissions continuer à avancer ensemble »[11]. Mais cette situation n’appelle rien d’autre qu’un renforcement de l’intervention des pouvoirs publics afin de retrouver le chemin de la cohésion nationale. Encore faut-il en avoir les moyens et les capacités.

 

Ne pas trahir l’espoir : le nécessaire combat capacitaire

S’engager dans la voie de ce combat informationnel est une nécessité à (très) court-terme mais cela ne peut en aucun cas être l’unique terrain de lutte. Les insécurités, peurs et angoisses vécues par des pans entiers de la population, exacerbées par les réseaux sociaux, n’en sont pas moins réelles. La société de survie, des égos meurtries et des humiliations n’a pas attendu l’avènement de Twitter et de TikTok pour exister.

La dérégulation économique et financière, la compression des salaires, le recul des services publics, la ségrégation urbaine, le développement des avantages fiscaux au profit du capital et des dirigeants des multinationales sont des réalités indéniables.

Et répondre à l’ensemble de ces défis nécessite, avant toute de chose, de disposer de marges de manœuvre. Chose plus simple à dire qu’à faire. Ces fameux pouvoirs publics subissent depuis les années 1980 un affaiblissement continu de leurs capacités d’intervention. Un affaiblissement autant externe qu’interne.

D’une part, l’entrée dans la mondialisation néolibérale n’a pu se faire qu’en dessaisissant les pouvoirs publics (l’Etat au premier titre) d’un certain nombre de prérogatives et de compétences au profit d’institutions internationales par nature libérales (FMI, Banque mondiale, OCDE, Union européenne).

La social-démocratie a notamment, et dès les années 1980, fait le « pari faustien » (selon l’expression du politiste Remi Lefebvre) de la construction européenne : renoncer à la régulation nationale pour retrouver d’hypothétiques marges de manœuvre au niveau européen. Or aucune marge nouvelle n’est apparue. Pire, l’Union européenne a légitimé les dérégulations économiques et financières[12].

Une situation par ailleurs parfaitement résumée par le sénateur de Charente-Maritime Mickaël Vallet dans un article publié par le Temps des Ruptures : « La structuration des institutions européennes pousse systématiquement (au sens littéral) à une politique libérale, alors que la mondialisation des échanges nécessiterait que les peuples conservent la maîtrise de leur choix face au marché pour pouvoir en tirer un bénéfice réel et que cette nouvelle étape dans l’histoire de l’humanité ne se résume pas à la délocalisation industrielle et à la concurrence entre des travailleurs du même continent.[13]»

D’autre part, cette entrée a été concomitante d’un démantèlement interne des pouvoirs publics. Les différentes vagues de décentralisation que l’on nous a vendues comme un remède à l’éloignement des décisions publiques et au cancer bureaucratique français ne se sont jamais réalisées qu’au profit d’élites et de notables locaux. Elles ont participé au désengagement de l’Etat et au recul des services publics. La décentralisation s’est faite sans le peuple[14].

Quant à l’Etat lui-même, à force de réductions des effectifs de fonctionnaires (enseignants, policiers, personnels de santé, etc..), de règlementations technocratiques absurdes et d’empilement de strates administratives, son action sur la société est devenue brouillonne et peu ambitieuse. Le lien de confiance qui l’unissait auparavant aux citoyens s’est peu à peu distendu.

« On peut s’interroger dès lors sur les conditions de possibilité d’une véritable politique de gauche ou arriver à la conclusion qu’elle implique des choix très radicaux et des ruptures auxquelles beaucoup de dirigeants de gauche ne sont pas prêt à consentir.[15]»

La gauche doit être une réponse à l’impuissance publique organisée depuis maintenant plus de 40 ans. Sans cela, lever l’espoir de grandes transformations sociales et écologiques ne servira à rien sauf à alimenter le ressentiment national.


Nouveau récit, nouveau modèle : la reconquête républicaine

Retrouver « au royaume morcelé du moi-je, le sens et la force du nous[16] » nécessite enfin de retrouver le chemin d’un nouveau récit, susceptible de mettre à bas la mythologie de la guerre civile que les entrepreneurs du chaos entretiennent tout aussi bien que l’apathie démocratique qui sévit dans l’Hexagone.

L’idée républicaine peut jouer ce rôle, si et seulement si, est mis un terme au faux consensus qui règne à son encontre. Manquant de rigueur dans l’analyse et dans le verbe, les faux républicains de la droite macroniste et de l’extrême droite ont réduit le projet républicain à une simple défense des droits civils, lui faisant faire un bon en arrière d’une bonne centaine d’années.

Ce faisant ils méprisent l’ensemble des combats menés au cours du XXe siècle pour la reconnaissance de droits sociaux (le droit du travail, la sécurité sociale, le droit à la retraite) et entrent en contradiction avec la Constitution de la Ve République (qui reconnaît dans son article 1er le caractère social de la République française)

« La gauche « sociale » celle de Louis Blanc, de Jaurès, de Blum, du Conseil national de la Résistance, est la force politique authentiquement porteuse d’un projet républicain qui suppose que les effets inégalitaires du marché soient maîtrisés, que certains biens essentiels à l’autonomie comme l’éducation et la santé demeurent accessibles à tous comme un droit et non pas réservés à ceux qui peuvent les payer.[17]»

Supposant une conception de la liberté comme « non domination », le projet républicain ne demande d’ailleurs qu’à être approfondi par l’intégration des luttes contre les différentes formes de discrimination[18] et du combat écologique (c’est tout le sens des travaux de Serge Audier sur l’éco-républicanisme).

Tel pourrait être en tout cas le sens d’une gauche qui ne se résigne pas à voir la bataille identitaire fracturer un peu plus le pays et qui assumerait de nouveau être le camp d’une concorde et d’une cohésion nationales retrouvées.

Références

[1] Selon la typologie mise en place par Pierre Martin dans son ouvrage Crise mondiale et systèmes partisans, Presses de Sciences Po, 2018,

[2] https://legrandcontinent.eu/fr/2024/07/08/legislatives-comment-la-mecanique-du-barrage-a-fonctionne/

[3] Asma Mhalla, Algorithmes sous tension : La Fièvre en trois équations technopolitiques

à résoudre, Fondation Jean Jaurès

[4] On observe d’ailleurs une réduction drastique du spectre des idées économiques et sociales représentées sur la place publique depuis les années 1980.

[5] Denis Maillard, De Baron noir à La Fièvre : portrait du conseiller en scénariste, Fondation Jean Jaurès

[6] Asma Mhalla, Algorithmes sous tension : La Fièvre en trois équations technopolitiques

à résoudre, Fondation Jean Jaurès

[7] https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/lfi-considere-comme-plus-dangereux-pour-la-democratie-que-le-rn-selon-un-sondage_6113646.html

[8] Voir à ce sujet Dominique Boullier, Comment sortir de l’emprise des réseaux sociaux, éditions du Passeur, 2020

[9] Denis Maillard, De Baron noir à La Fièvre : portrait du conseiller en scénariste, Fondation Jean Jaurès

[10] Idem

[11] Idem

[12] Voir à ce propos mon article sur la construction européenne : https://letempsdesruptures.fr/index.php/2024/05/22/une-certaine-idee-de-leurope/

[13] https://letempsdesruptures.fr/index.php/2024/06/17/du-resultat-des-europeennes-la-double-pression-2/

[14] Voir à ce sujet Aurélien Bernier, L’illusion localiste, l’arnaque de la décentralisation dans un monde globalisé, les éditions utopia, 2020.

[15] Rémi Lefebvre, Faut-il désespérer de la gauche, éditions textuel, 2022, p.44

[16] Régis Debray, Le moment fraternité, Gallimard, 2009

[17] https://aoc.media/analyse/2024/07/01/larc-republicain-une-mise-au-point/

[18] Voir à ce sujet les thèses de Philip Pettit.

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Penser le rap : entretien avec Kévin Boucaud-Victoire

Penser le rap : entretien avec Kévin Boucaud-Victoire

Dans cet entretien, Kévin Boucaud-Victoire revient sur les origines du rap, son histoire dans les quartiers populaires, sa signification au travers de l’histoire.

Le Temps des Ruptures : Votre livre revient sur l’histoire du rap, de ses origines américaines jusqu’à ses différents embranchements contemporains. Vous montrez bien qu’au départ, loin d’être une musique contestataire, il s’invite dans les block parties. Comment expliquez-vous alors la confusion qui existe dans l’esprit de nombre de nos contemporains lorsqu’ils affirment que le rap serait, par essence et origine, protestataire ?

Kévin Boucaud-Victoire : 

Le rap est né du hip-hop, lui-même issu des block parties. La première d’entre elles se déroule le 11 août 1973, dans le Bronx, à New York, à l’initiative de Clive Campbell – plus connu sous le blaze de DJ Kool Herc – et de sa sœur Cindy Campbell. Il s’agit de l’anniversaire de cette dernière : la soirée a lieu en plein air, la rue est bloquée, l’entrée est payante et le frère est aux platines. Nous sommes après les morts de Malcolm X et Martin Luther King et le Black panthers party est mal-en-point. Les ghettos sont en pleine dépolitisation et sont rongés par la violence et la drogue. Le hip-hop, avec les block parties, est avant tout festif. On peut néanmoins noter que certains acteurs ont déjà une ambition sociale. C’est par exemple le cas d’Afrika Bambaataa, DJ auteur du slogan « Peace, Unity, Love and Having Fun », qui voit dans le mouvement un moyen d’éloigner les jeunes des gangs. Après cette première période, vient celle des premiers tubes : «Rapper’s Delight », de The Sugarhill Gang, en 1979, et «The Message » de Grandmaster Flash, en 1982. Les deux sont sortis sur le même label. Le premier morceau est purement festif. Je qualifierai le second de social – plutôt qu’ “engagé”, car il ne revendique rien. C’est avec ces deux tubes que prend racine le mythe d’un rap qui marcherait sur deux jambes, l’une festive et l’autre engagée.

En France, le rap arrive alors que les médias comme les responsables politiques découvrent le «problème des banlieues ». Le rap lui est immédiatement associé. Ajoutons que durant cette période les banlieues sont bien plus politisées qu’aujourd’hui et le rap le reflète.

Mais la vraie raison est politique. Après l’échec de Mai 68, une partie de l’intelligentsia de gauche cherche un nouvel agent révolutionnaire à même de remplacer le prolétariat. Les jeunes – qui ont fait une apparition foudroyante sur la scène sociale en Mai 68 – et les immigrés font partie des candidats. Les banlieues sont peuplées – quand on les analyse de manière caricaturale – de jeunes, d’origine immigrée et pauvres. Cela en fait de parfaits sujets révolutionnaires. Leur musique ne peut être que subversive. En pratique, le rap du début, à quelques exceptions notables, a mêlé revendications sociales et volonté de s’intégrer au système, rejet des institutions et rêves consuméristes.

Le Temps des Ruptures : dans les années 1990/2000, le rap est perçu comme «la musique des ghettos ». D’une part parce qu’il provient des quartiers populaires français, et y est grandement écouté, d’autre part parce qu’il est supposé incarner ses maux. À l’époque, comment les hommes et femmes politiques appréhendent cette musique «porte-voix » ?

Kévin Boucaud-Victoire : 

Au départ, ils en ont eu peur. Après avoir été un mouvement cool et branché, notamment grâce à l’émission H. I. P. H.O. P., animée par Sidney. Ce sont, pour faire simple, des  jeunes sympas qui tournent sur la tête, parlent en argot et s’habillent de manières originales.

Les choses basculent à la fin des années 1980. Rap, cités, immigration, délinquance, violence et vandalisme commencent alors à être amalgamés. Le rap est en outre de plus en plus associé au tag, qui commence à coûter cher à la RATP et fait l’objet de plusieurs articles et reportages. Que le premier grand groupe français se nomme NTM («Nique ta mère ») n’a pas dû aider. Le rap effraie les hommes et femmes politiques. La droite condamne unanimement et tente même à certains moments de faire censurer des textes. Le rap lui rend bien cette hostilité et la droite devient une de ses cibles favorites. C’est plus clivé à gauche : certains veulent apparaître «dans le coup », y voient justement une musique révolutionnaire ou au moins la musique d’une partie de leur électorat. Le rap obtient alors  la reconnaissance du ministère de la Culture et des soutiens de la politique de la ville.

Le Temps des Ruptures : vous montrez bien dans votre ouvrage que «se présentant souvent volontiers comme anti-systèmes, les rappeurs sont le fruit de la société de consommation ». Le rap, du moins celui qui vend, est incontestablement capitaliste et l’argent y fait office de réussite suprême. Booba a bien résumé cela avec sa phrase : «mes victoires sont des échecs mes échecs sont des chefs d’œuvre ». Mais ne subsiste-t-il pas dans le rap une subversion de la morale (pour le meilleur et souvent pour le pire) ? En témoignent les provocations d’un artiste comme Freeze Corleone.

Kévin Boucaud-Victoire : 

En réalité, tous les biens culturels contemporains, qui sont produits avec des méthodes industrielles – supposant une consommation de masse et une fabrication standardisée – s’insèrent dans le capitalisme. Mais la spécificité du rap, qui le rapproche du rock d’ailleurs, c’est d’avancer avec le masque de la rébellion. Il existe effectivement dans le rap une forme de subversion morale, que ça soit dans les noms des artistes ou groupes («Nique ta mère » de JoeyStarr et Kool Shen par exemple), dans les textes (il suffit d’écouter “Sacrifice de poulet » de Ministère A.M.E.R. ou «Saint-Valentin » d’Orelsan pour s’en convaincre) et même dans le vocabulaire utilisé (il faudrait compter le nombre de «putes » utilisé par morceau d’Alkpote). Le rap est parfaitement calibré pour choquer le bourgeois, même quand il n’est pas revendicatif. C’est d’ailleurs pour cela que les jeunes bourgeois aiment tant écouter du rap en soirée, c’est leur rébellion à eux, leur manière de tuer le père à peu de frais. Malheureusement, depuis au moins les années 1970, l’ordre moral n’est plus le carburant du capitalisme. C’est au contraire la subversion qui est son moteur, comme l’a si bien souligné le philosophe communiste Michel Clouscard. Ce mode de production, devenu un «fait social total », comme dirait l’anthropologue socialiste Marcel Mauss, aime dynamiter la morale, pour mieux favoriser l’extension du domaine du marché.

Le Temps des Ruptures : votre livre présente l’évolution musicale du rap qui, avec le tournant des années 2010 (La Fouine, Soprano, Sexion d’Assaut), devient la nouvelle pop écoutée par tous. Mais ce succès du rap n’est-il pas également dû au métissage avec des musiques dansantes ? Je pense par exemple à l’afrotrap (MHD), ou une sorte de raï rappé (Soolking). La mélodie semble désormais prendre le pas sur les paroles. 

Kévin Boucaud-Victoire : 

Oui,  bien sûr. Comme je le dis, le rap se marie avec tous les styles musicaux. Le rap n’a jamais existé par lui-même musicalement. Au départ, il se nourrit de la funk et de la soul, à travers le sampling, technique qui permet de créer une musique à partir d’un échantillon sonore. Aujourd’hui, le rap puise dans tous les registres, si bien qu’il y en a pour tous les goûts.

Le Temps des Ruptures : vous revenez dans Penser le rap sur l’ultra-conservatisme de nombreux rappeurs. Toutefois, le passage sur le sexisme est assez court alors que cet aspect est prégnant dans le rap. Dans quelle mesure l’imaginaire misogyne véhiculé par le rap prend-il sa source dans un imaginaire mental plus large des quartiers populaires ? Ou au contraire l’exacerbe, voire le pervertit-il ? 

Kévin Boucaud-Victoire : 

En fait, cette question est assez difficile et mérite nombre de nuances. Comme l’écrit Bénédicte Delorme-Montini, dans La gloire du rap : «Étant donné la diversité des profils des rappeurs, en France, il semble en tout cas qu’il faille se résoudre à renoncer à une explication englobante en termes de motivation culturelle, ce qui laisse la question ouverte en ce qui concerne les individus». Je vais essayer néanmoins de fournir un début d’explication. Schématiquement, je dirais qu’il y a deux formes de sexisme dans le rap français : un sexisme «traditionnel » et un sexisme «capitaliste ». Le premier repose sur certaines valeurs traditionnelles, et trouve probablement écho dans une forme de sexisme effectivement courant en banlieue – même s’il faut être prudent et éviter les généralisations. C’est, pour faire simple, la réduction de la femme à la bonne mère, à la bonne ménagère, pure, etc. À titre d’exemple, Rohff rappe dans «Pour ceux » : «Pour les pucelles, celles qui puent pas d’la chatte des aisselles / Qui prennent soin d’elles, font la cuisine, la vaisselle, qui ont fait le mariage hallal ».Ou Seth Gueko dans «Adria music » : «Elle se prennent toutes pour Nicki Minaj / Elles font plus le ménage, elles ont le balai dans la schneck.» Élégant… Le second n’est pas propre au rap, mais ce dernier l’exacerbe et, je pense, influe sur les mentalités. Il repose sur l’objectivation du corps de la femme et sa marchandisation, au moins symbolique.

En effet, Bénédicte Delorme-Montini évoque un « mouvement général de fond qui met le sexe à la une, rencontre du trash commercial et de la spectacularisation de l’intime qui révèle un nouveau rapport au corps et modifie les termes de la présentation de soi. Caractéristique du nouvel univers médiatique impudique et spectaculaire sous-tendu par Internet, la télé-réalité qui explose aussi illustre exemplairement le succès de ce nouveau modèle féminin ». En clair, le rap s’inscrit dans un phénomène d’hyper-sexualisation de la femme, qui touche plus largement la pop music et qui débute dans les années 2000. Si Booba s’est particulièrement bien illustré sur ce mode, celui qui a été le plus loin, c’est sans nul doute Kaaris, dont le premier album, Or noir, a été qualifié de «version cul de Scarface » par le youtubeur Jhon Rachid, et qui a fêté récemment ses dix ans en concert, avec sur scène, des danseuses avec des godes dans les fesses. On peut par exemple y entendre : «J’leur mets profond, j’fais d’la spéléo / J’t’ouvre la gorge comme une trachée / Une facial j’te refais la déco » («Bouchon de liège ») ; «Vingt mille lieues toute l’année, ma bite dans ton cul fait d’l’apnée » («Bouchon de liège ») ; ou encore «Si j’devais choisir entre tout ce biff et toutes ces bitchs / Je prendrais le gros chèque, parce que l’oseille est la plus bonne des schnecks » («Or noir »).

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Préserver la laïcité

Préserver la laïcité

Dans cet entretien, les auteurs reviennent sur les thèses principales de leur ouvrage « Préserver la laïcité » : quel a été le cheminement jusqu’à l’adoption de la loi de 2004 ? Quels ont été ses effets à l’école et surtout, en quoi reste t-elle toujours d’actualité ?

Le Temps des Ruptures : pourquoi avoir décidé de focaliser votre ouvrage sur la question de la laïcité au sein de l’école et des signes religieux ?

Auteurs :

Parce qu’il nous apparaissait essentiel d’expliquer comment une loi si singulière, si française, avait pu être adoptée et désormais largement acceptée. C’est un paradoxe en soi, la France est une des seules démocraties à avoir banni les signes religieux ostensibles à l’école, et pourtant plus de 80% des Français approuvent cette mesure. Par ailleurs, l’occasion faisant le larron, les vingt ans de la loi de 2004 offraient un cadre idéal pour présenter l’histoire de l’appréhension des signes religieux dans l’enceinte scolaire.

Le Temps des Ruptures : un des arguments évoqués par ceux qui étaient contre l’interdiction de signes religieux à l’école en 2004, était la possibilité pour les jeunes, d’être scolarisés dans des établissements privés dispensant un enseignement religieux. Qu’en pensez-vous ? est-ce que la situation, depuis la loi de 2004, a évolué sur ce sujet ?

Auteurs :

Le risque était effectivement que beaucoup de jeunes de confession musulmane se détournent de l’école publique, pour aller dans des écoles coraniques où leur liberté de culte aurait été absolue. L’argument faisait sens, il était également défendu par des personnes qui, à titre personnel, étaient par ailleurs farouchement opposées au port du voile. Le risque d’un départ massif vers les écoles coraniques est aussi évoqué par plusieurs membres de la commission Stasi. Car, rappelons-le, outre les pourfendeurs de la laïcité « à la française », nombreux sont les laïques sincèrement inquiets des conséquences négatives que pourrait provoquer l’interdiction des signes religieux ostensibles et notamment des attaques que pourrait subir la France, à l’image de la prise d’otage de deux Français en août 2004 revendiquée par l’« Armée islamique en Irak », et dont le communiqué ordonne à la France d’« annuler la loi sur le voile, en raison de ce qu’elle comporte comme injustice et agression contre l’islam et la liberté personnelle dans le pays de la liberté présumée ».

C’est pourquoi la loi prévoit que soit réalisée une enquête sur la rentrée scolaire de septembre 2004. C’est Hanifa Chérifi qui s’en est chargée[1]. Or les chiffres montrent que moins d’une centaine de jeunes filles de confession musulmane sont passées du public au privé en raison de la loi entre les années scolaires 2003-2004 et 2004-2005, dont une écrasante majorité vers des établissements privés sous contrat, et non pas des écoles coraniques comme le craignaient beaucoup d’analystes.

Le Temps des Ruptures : vous indiquez que l’ensemble des membres de la commission Stasi, n’était pas favorable à l’adoption d’une loi interdisant les signes religieux au démarrage des travaux. Pouvez-vous revenir sur les éléments clés, qui ont fait évoluer l’opinion des membres plutôt initialement réfractaires ?

Auteurs :

Vous faites bien de rebondir sur cette évolution. Elle est la clé de compréhension de la loi de 2004. Pourquoi les sages se sont-ils progressivement ralliés à l’idée d’une loi d’interdiction ? Comment des « fortes personnalités indépendantes et libres », selon le mot de Rémy Schwartz, finissent-elles par changer d’opinion ?

La question est large et concentre l’essentiel du propos de notre livre. Entre juillet et décembre 2003, quelque 140 auditions, publiques et privées, sont menées par les membres de la commission Stasi. Les personnalités entendues sont diverses : hommes et femmes politiques, élus locaux, syndicalistes, ministres, représentants des cultes, associations de défense des droits de l’homme, professeurs, chefs d’établissement, CPE médecins, policiers et gendarmes, directeurs d’hôpital, infirmières, directeurs de prison, fonctionnaires d’administrations centrales, chefs d’entreprise, jeunes filles concernées par la question du voile, etc. Progressivement, les sages découvrent des réalités de terrain qu’ils ne connaissent pas, ou mal. Certaines auditions, singulièrement marquantes (notamment celles des personnels de l’Éducation nationale et des associations agissant pour les droits des femmes dans les quartiers difficiles), font l’effet d’un électrochoc et révèlent une situation ignorée par certains. Comme le fait remarquer une des membres de la commission Stasi, Gaye Petek, « il fallait pour certains quitter Saint-Germain-des-Prés ».

Sans dramatisation aucune, ils découvrent dans certains quartiers la ségrégation subie par de nombreuses jeunes filles. Une dirigeante associative déclare que « la situation des filles dans les cités relève d’un véritable drame ». Le rapport Stasi précise, sur le fondement de ses auditions : « Les jeunes filles, une fois voilées, peuvent traverser les cages d’escalier d’immeubles collectifs et aller sur la voie publique sans craindre d’être conspuées, voire maltraitées, comme elles l’étaient auparavant, tête nue ». Ils appréhendent mieux la progression de l’islamisme dans plusieurs territoires, et notamment à l’école, cible privilégiée s’il en est tant elle est au fondement du socle républicain.

Pour certains, ce furent les auditions des personnels de l’Education nationale qui ont modifié leur perception des choses. Pour d’autres, celles des associations de quartiers ou des jeunes filles venues exprimer leur détresse.

Le Temps des Ruptures : vous citez Jean Poperen dans le livre au sujet de l’intégration, qui selon lui est « une des grandes questions des années à venir ». Sommes-nous passés à côté de cette question ? le rapport Stasi avait proposé plusieurs mesures sur l’intégration, qui n’ont pas été retenues à l’époque (par exemple l’adaptation du calendrier, avec des fêtes religieuses non-catholiques).

Auteurs :

C’est un sujet délicat, puisque tout dépend ce qu’on entend par intégration. N’en étant pas un expert, je ne m’y essayerais pas. Il est toutefois certain que le rapport Stasi tenait sur deux jambes : d’une part une plus grande fermeté vis-à-vis du prosélytisme religieux, et d’autre part la reconnaissance du pluralisme religieux et un travail fait sur l’intégration et l’ascenseur social. C’est certain, la deuxième jambe n’a pas tenu. La faute à Chirac. Peut-être un gouvernement de gauche aurait-il été davantage capable d’articuler les deux aspects, restrictif d’un côté et intégrateur de l’autre. Une des mesures phares que tu cites, c’est la proposition de Patrick Weil de faire des fêtes religieuses de Kippour et de l’Aïd-el-Kébir des jours fériés dans toutes les écoles de la République. Considérant à juste titre que le paysage religieux a changé depuis 1905, et que les fêtes nationales religieuses sont exclusivement catholiques, ou à tout le moins chrétiennes, les sages prônent cette mesure audacieuse. Malheureusement, Jacques Chirac n’en fera rien.

Le Temps des Ruptures : depuis l’affaire de Creil, le vide juridique et l’arrêt du Conseil d’Etat de 1989, a entretenu une situation floue pour les professeurs, jusqu’à l’adoption de la loi de 2004. Considérez-vous, qu’aujourd’hui, la loi de 2004 donne l’ensemble des outils aux professeurs pour pouvoir permettre le respect de la laïcité et la gestion de situations religieuses difficiles ? comme vous l’indiquez dans l’ouvrage, le pourcentage de professeurs qui indiquent se censurer pour éviter des accidents, est en augmentation (notamment depuis les meurtres de Samuel Paty, et de Dominique Bernard).

Auteurs :

La loi de 2004 est une loi d’apaisement, indéniablement. Elle a fait ses preuves, et plus grand monde aujourd’hui (à part quelques trotskistes et islamistes) ne la remet en cause. A chaque sondage, entre 80 et 90% de Français l’approuvent, et les chiffres sont équivalents chez les professeurs.

Cette loi était et est toujours indispensable, mais elle ne peut résoudre à elle seule les problèmes posés par l’intégrisme religieux, notamment islamique, à l’école. Il s’agit d’un combat de long terme, presque un conflit civilisationnel entre la République laïque et l’islamisme, comme au temps de la lutte entre les cléricaux et les républicains. Le combat est politique et culturel tout autant que juridique et administratif. Des progrès ont été faits dans la gestion des atteintes à la laïcité depuis l’assassinat de Samuel Paty. Enfin, des progrès sur le chemin administratif à mener pour tordre le bras à ces atteintes. Malheureusement, ces atteintes augmentent d’année en année, et les professeurs sont de plus en plus inquiets. Tout ne se résoudra toutefois pas avec des mesures législatives, ou répressives. C’est un combat de longue haleine que nous devons collectivement mener.

Le Temps des Ruptures : dans quelle mesure les réseaux sociaux, notamment Tik-Tok, contribuent selon vous à organiser les atteintes à la laïcité ? Le rôle de ce réseau social, a bien été démontré lors des polémiques autour de l’abaya à l’école en 2023.

Auteurs :

Je ne pense pas que TikTok contribue aux atteintes individuelles à la laïcité. Je peux me tromper, mais je pense qu’elles sont davantage dues à l’environnement familial. Par exemple, pour certains parents, il apparaît évident qu’un homme ne peut serrer la main à une femme, sans que soit exprimée explicitement la consigne à l’enfant d’en faire de même. Mais, l’enfant voyant que sa famille applique une certaine orthopraxie, décidera d’en faire de même.

En revanche TikTok joue deux rôles distincts mais complémentaires. Il donne voix aux imams rétrogrades (le mot est faible), lesquels peuvent apparaître sur les fils d’actualité des jeunes. Dès lors, même si les imams ne promeuvent pas d’atteinte à la laïcité à l’école, leurs prêchent mettent en exergue une vision intégriste de la religion musulmane, laquelle peut persuader ou convaincre des adolescents qu’elle est la bonne. En 2022 en revanche, il y a clairement eu une action concertée des prédicateurs islamistes, suivis ensuite par les influenceuses et influenceurs, afin de mener une offensive à la rentrée de septembre, avec la recommandation d’un port massif de l’abaya. Plusieurs notes ministérielles, des renseignements territoriaux ou du CIPDR, avaient d’ailleurs alerté le ministre dès l’été, en vain.

Le Temps des Ruptures : diriez-vous qu’une certaine partie de l’opinion publique, notamment les jeunes (vous parlez d’effet de génération dans l’ouvrage), est en train de devenir favorable à un multiculturalisme à l’anglo-saxonne ? Si oui, quel en est les causes ?

Auteurs :

Je dis qu’il y a sûrement un effet de génération, mais également probablement un effet d’âge. On ne pourra distinguer les deux que lorsque des études sociologiques seront menées sur cette « portée » des 18-24 ans. Pour répondre à ta question, la laïcité est de moins en moins comprise par une partie de la population, notamment les jeunes. Car, chez les autres catégories d’âge, l’attachement au principe de laïcité est toujours aussi fort. Les Français sont d’ailleurs parfois plus « laïcards » que ce que la loi prévoit.

L’impérialisme américain, qui passe autant par les séries que les réseaux sociaux, a fait émerger une vision effectivement plus « libérale » de la laïcité chez les jeunes Français. Le conflit entre l’Église et la République nous apparaît de plus en plus lointain, et la liberté promise par la laïcité est bien plus exigeante que la tolérance anglo-saxonne. On peut mobiliser le philosophe Philip Pettit, lequel distingue deux formes de libertés. Une liberté comme non interférence, c’est un peu celle à la mode, assimilable au néolibéralisme, « je suis donc je choisis ». L’autre, la liberté comme non domination, est plus assimilable au républicanisme français. Cette forme de liberté incite à prendre en compte les dominations non juridiques, celles exercées par les groupes de pairs, les divers cercles de sociabilité. L’exemple typique, c’est le voile.

En fait, dans la tradition laïque française qui fait de l’État le protecteur des individus face aux cléricalismes – ce qui nous distingue de la tradition anglo-saxonne –, l’interdiction des signes religieux ostensibles protège la majorité des élèves musulmanes qui ne le portent pas et ne souhaitent pas le porter, au détriment certes de la minorité qui le porte par choix. La liberté de conscience prime sur la liberté de culte. Comme l’explique le philosophe et membre de la commission Stasi Henri Peña-Ruiz : « en France, l’enfant a droit à deux vies. La vie dans la famille, où il est incliné à suivre telle ou telle religion, par imprégnation, osmose ou obligation. La deuxième vie, c’est la vie à l’école, où il ne recevra aucun conditionnement religieux, où sa liberté s’épanouira ». L’idée n’est évidemment pas de nier le caractère déterminé de toute existence – tant sur le volet social que culturel ou religieux –, mais de donner aux élèves un espace de « respiration laïque » sur le temps de l’école. La laïcité se confond alors avec l’émancipation, ou plutôt la possibilité de l’émancipation.

Le Temps des Ruptures : la loi de 2004, est-elle toujours adaptée pour pouvoir identifier les nouveaux signes religieux ? Une intervention du politique, notamment de Gabriel Attal à la rentrée 2023 pour indiquer que l’abaya, ainsi que le qamis sont des signes religieux, a été nécessaire pour dissiper le flou.

Auteurs :

Oui. En fait, le gouvernement aurait pu réagir dès 2022, sans essayer d’en faire une instrumentalisation médiatique en septembre 2023 pour éviter que l’on parle de l’absence de professeurs dans des centaines de classes…  Car la jurisprudence du Conseil d’État avait quant à elle, dès 2007, confirmé qu’un signe a priori non religieux – en l’occurrence un bandana – pouvait être caractérisé comme religieux. La loi de 2004 ne listait pas de signes religieux, justement pour éviter qu’un événement comme l’émergence de l’abaya soit possible. Le Conseil d’État, dont la tradition en matière de la laïcité est libérale, crée, par cette jurisprudence, en plus de la catégorie des signes religieux ostensibles par nature, la notion de signes religieux par destination. En d’autres termes, savoir si un signe est prescrit ou non par les autorités religieuses n’intéresse pas l’État. Ce qui compte c’est le caractère que lui donne l’élève. Vous remarquerez d’ailleurs que, d’une part une écrasante majorité de professeurs a soutenu cette interdiction, d’autre part il n’y eut plus de problème quelques jours après l’annonce de Gabriel Attal.

Références

[1] Hanifa Chérifi, « Application de la loi du 15 mars 2004 », Hommes & migrations, Laïcité : les 100 ans d’une idée neuve. I. À l’école, 2005, p. 33-48.

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“Qui fait l’homme et qui fait la femme” ? Cette question, d’un ton plutôt daté, la plupart des couples queer l’ont entendue. Bien que la tolérance sexuelle ait gagné du terrain ces dernières années, dans la loi comme dans les médias , l’équilibre de ces couples questionne encore beaucoup. L’indiscrétion des personnes osant cette question est-elle plus à blâmer que l’origine de cette idée ? Si l’idée d’une répartition genrée dans le couple est si répandue, c’est bien parce qu’elle est socialement actée.

“Qui fait l’homme et qui fait la femme” ? Cette question, d’un ton plutôt daté, la plupart des couples queer l’ont entendue. Bien que la tolérance sexuelle ait gagné du terrain ces dernières années, dans la loi comme dans les médias(1), l’équilibre de ces couples questionne encore beaucoup. L’indiscrétion des personnes osant cette question est-elle plus à blâmer que l’origine de cette idée ? Si l’idée d’une répartition genrée dans le couple est si répandue, c’est bien parce qu’elle est socialement actée. L’attribution de rôles genrés aux femmes et aux hommes est intrinsèquement liée aux dynamiques en place dans la société patriarcale. Et ce constat s’étend également aux couples homosexuels, qui bien qu’hors de l’hétérosexualité, n’en subissent pas moins les injonctions hétéronormées.

Alors qui fait l’homme et qui fait la femme ?

Dans l’esprit de celui ou celle qui pose cette question, existe une version assez précise d’un couple homosexuel, tout d’abord visuellement. L’apparence est en effet le premier trait donné aux injonctions de genre, qui attribue certains traits physiques au domaine du féminin et du masculin. Cette caractérisation ne s’arrête pas aux portes de l’hétérosexualité, elle intervient également dans les milieux queer, catégorisant des personnes comme masculines ou féminines. La classification genrée qui est appliquée aux personnes queer est directement issue de la vision hétérosexuelle que nous avons de la société et plus précisément du couple. Une femme doit faire couple avec un homme et si ce n’est pas le cas alors il faut que cette dichotomie soit représentée dans le couple de femmes, avec l’une jouant le rôle de l’homme et l’autre jouant le rôle de la femme. Ces rôles ne se limitent pas à l’expression physique du genre, ils s’expriment également dans les attentes qui peuvent apparaître au sein du couple, qui bien que queer, n’est pas pour autant immunisé face aux exigences hétéronormées de la société. L’intériorisation de normes sociales genrées peut ainsi faire peser sur les épaules des membres du couple des attentes propres à leur expression de genre, qui se résume vulgairement aux personnes féminines à la cuisine et masculines au bricolage.

Le féminisme a beaucoup à apporter également aux couples queer, puisque venant déconstruire la vision patriarcale que nous impose la société. Nombre de sociologues(2), philosophes(3), ou encore anthropologues(4) féministes viennent repenser les rôles genrés voire même le genre, et ainsi nourrir une vision radicalement différente de celle imposée par le patriarcat. Ces travaux nous permettent alors de remettre en question les rôles genrés, dans le couple hétérosexuel comme queer. S’affranchir de ces considérations binaires permet d’accueillir plus librement les expressions d’identités multiples, plus que de genre, et en particulier dans les couples queers, dans lesquels ces questions ne se limitent pas toujours à la binarité du genre.

Il y a donc une multitude de réponses à la question que nous avons tous entendue. Monique Wittig répondrait que les lesbiennes ne sont pas des femmes(5), coupant ainsi court à l’injonction des rôles genrés dans le couple lesbien. Chacun(e) est libre d’apporter la réponse qu’il ou elle souhaite, même si le mieux serait que cette question ne soit plus posée.

Références

(1)En France

(2) Christine Delphy

(3) Monique Wittig

(4) Véra Nikolski

(5) Monique Wittig, La pensée Straight, 1992

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Depuis le dimanche 9 juin 2024, aux alentours de 21h, le monde politique est bouleversé par l’annonce présidentielle de la dissolution de l’Assemblée nationale. Entre alliance des gauches et explosion des partis de droite et d’extrême droite, ces journées politiques offrent un spectacle étonnant. Cet edito entend analyser un point saillant qui risque de déterminer en grande partie les résultats du 7 juillet : le cadrage médiatique.

Depuis le dimanche 9 juin 2024, aux alentours de 21h, le monde politique est bouleversé par l’annonce présidentielle de la dissolution de l’Assemblée nationale. Entre alliance des gauches et explosion des partis de droite et d’extrême droite, ces journées politiques offrent un spectacle étonnant. Le sujet de cet édito n’est pas de revenir sur ces tractations ou même de présenter une analyse globale des enjeux que recouvrent les prochaines élections législatives. Il entend simplement analyser un point saillant qui risque de déterminer en grande partie les résultats du 7 juillet : le cadrage médiatique.

Selon toute vraisemblance, et plus que jamais, les médias joueront un rôle crucial dans ces élections législatives. A chaque échéance électorale il en va de même, mais notre hypothèse est qu’ils seront, cette-fois ci, plus que jamais déterminants.

Selon Le Figaro(1), en se fondant sur les résultats des élections européennes du 9 juin, 536 (sur 577) circonscriptions pourraient voir un duel entre le Front populaire et le Rassemblement national au second tour. C’est évidemment une fourchette – très, très – haute, et on imagine mal les candidats de la majorité présidentielle ou de LR n’arriver au second tour que dans une quarantaine de circonscriptions. Toutefois ce qui ressort des différentes analyses, c’est qu’une majorité de duels se fera entre le RN et le Front populaire.

Dès lors, ce sont les suffrages des électeurs centristes, macronistes, qui détermineront le vainqueur d’un second tour. Plusieurs enquêtes menées en 2023 montrent que, désormais, Jean-Luc Mélenchon fait figure d’épouvantail pour la bourgeoisie centriste, bien plus que Marine Le Pen. Un sondage de mars 2023 indiquait que Marine Le Pen inquiétaient 39% des électeurs Renaissance ; Jean-Luc Mélenchon 44%. La situation s’est, du reste, empirée depuis le 7 octobre et l’attaque terroriste du Hamas : refus de qualifier le Hamas d’organisation terroriste, rupture de la NUPES par le Parti socialiste, sorties antisémites de Jean-Luc Mélenchon, attaques quotidiennes sur Raphaël Glucksmann, etc.

Un sondage IFOP du 8 février 2024 montre qu’en cas de second tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle, 66% des sympathisants Renaissance voteraient pour la candidate du Rassemblement national. Insistons sur ce point : les deux tiers de l’électorat macroniste voteraient pour l’extrême droite en cas de duel face au chef de la France insoumise. Il faut avoir cet élément essentiel en tête à l’heure d’appréhender le rôle que jouent et joueront les médias dans la campagne législative en cours.

En partant donc de l’hypothèse selon laquelle beaucoup de seconds tours verront s’affronter candidats estampillés Front populaire et candidats d’extrême droite, l’électeur centriste est à convaincre. La modération dont a fait preuve Jean-Luc Mélenchon au JT de France 2, et les compromis sur le programme commun (construction européenne, reconnaissance des actes terroristes du Hamas, soutien à l’Ukraine, etc) témoignent de cette prise de conscience. Il faut rassurer le bourgeois.

Mais si les femmes et hommes de gauche ont pris leur responsabilité, il reste un élément qu’ils n’ont pas entièrement entre les mains – même si leurs prises de position peuvent l’influencer -, le traitement médiatique des futurs seconds tours. Car rappelons-nous qu’en avril 2022, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, le président de la République Emmanuel Macron n’était crédité que de 53% des suffrages, contre 47% pour Marine Le Pen. Ici, c’étaient les électeurs de gauche qu’il fallait convaincre. Eux qui avaient déjà fait barrage à l’extrême droite en 2002, en 2017, étaient à nouveau appelés à voter pour le candidat de la casse sociale par excellence. Nombre d’entre eux souhaitaient s’abstenir.

Les deux semaines qui ont précédé le second tour ont vu, comme on pouvait s’y attendre, une campagne médiatique de front républicain se mettre en place. Progressivement, à mesure que le risque fasciste devenait réalité (les sondages inquiétants étaient dans les bouches de tous les chroniqueurs et journalistes politiques), à l’initial « ni-ni » était préféré un vote en faveur d’Emmanuel Macron. Finalement, l’on est passé de 6 points d’écart à 17.

La chose est dure à quantifier, mais je fais l’hypothèse que sur les électeurs centristes, les médias dits « traditionnels » ont encore une influence considérable. Que l’on pense aux millions d’auditeurs des matinales radio, ou aux millions de téléspectateurs du journal de 20h, l’audience touchée est grande et, surtout, c’est un audimat dont on peut fortement supposer qu’une grande partie aura voté pour un candidat de la majorité présidentielle au premier tour.

Ces médias ne vont pas appeler à voter pour tel ou tel camp, mais le cadrage médiatique qu’ils feront des sorties des uns et des autres sera décisif. Insidieusement, la diabolisation ou la dédiabolisation afférées au Front Populaire ou au Rassemblement national par la radio, la télévision ou les médias du « centre raisonnable » (qui, généralement, abhorre tout autant voire plus la France insoumise que le Rassemblement national) orienteront une partie non négligeable de l’électorat macroniste à se décider.

Car il ne s’agit pas de savoir si le RN aura 50 ou 100 députés. Il ne s’agit pas de savoir si LFI en aura 30, 50 ou 70. Il s’agit bel et bien de savoir si les électeurs centristes sont prêts à propulser l’extrême droite à la tête de la France.

Références

(1)Le Figaro, 12 juin 2024. 

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« Tirer les enseignements de ce qui s’est passé le dimanche 9 juin mériterait un livre en plusieurs tomes tant la densité politique du moment est d’une force rare, et tant ce qui arrive présentement ne peut s’expliquer que par des décennies d’affaiblissement du pouvoir politique, de la parole politique et du niveau général des dirigeants. »

Depuis le dimanche 9 juin au soir et la nouvelle période politique ouverte par le résultat des élections européennes et par la dissolution décidée par le président de la République, vous êtes nombreux sur le terrain à m’interroger sur cette situation et nous sommes nombreux à nous interroger tout court.

Tirer les enseignements de ce qui vient de se passer mériterait un livre en plusieurs tomes tant la densité politique du moment est d’une force rare, et tant ce qui arrive présentement ne peut s’expliquer que par des décennies d’affaiblissement du pouvoir politique, de la parole politique et du niveau général des dirigeants.

Je me limiterai donc, pour l’heure, aux considérations essentielles.

De nombreux maires m’ont fait part de leur effarement dès dimanche soir. « Je me bats dans ma commune pour mettre en place des services, des animations, de l’action culturelle, de l’écoute et de l’aide sociale. Nous faisons en sorte de faire vivre notre petite nation communale et le plus souvent en bonne entente avec la population. Et au moment du dépouillement je ne reconnais pas mes habitants et je ne comprends pas où se trouvent mes 40% d’électeurs d’extrême droite. Qu’est-ce que je peux faire de plus à la mairie pour éviter ça ? ». À ces maires, je veux dire que je comprends leur remise en question mais qu’elle n’est pas justifiée. Les électeurs ont, beaucoup plus que certains ne veulent le croire, l’intelligence de la compréhension du scrutin pour lequel ils se déplacent. Ils savent ce qu’est une élection européenne, ils savent ce qu’est une élection nationale et ils savent ce qu’est une élection locale. Ils savent surtout, et c’est un point fondamental, ce qu’est l’Etat. Si un maire exerce son mandat de la meilleure façon possible c’est en menant des projets dans le domaine d’action qui est le sien. Mais lorsqu’une agence du Trésor public ferme, lorsque des moyens en personnel de l’Education nationale manquent dans les écoles, lorsque la facture de l’énergie n’est pas maîtrisée, lorsque le prix de l’essence vient percuter toute l’organisation d’un ménage qui doit travailler, se déplacer, se chauffer, ces électeurs attendent d’abord de l’Etat qu’il joue son rôle. Nous sommes français et cela est profondément inscrit dans notre inconscient politique. Et les échecs, véritables, sur ces questions-là ne sont pas à imputer aux élus municipaux.

Un citoyen, même s’il se sent aussi bien que possible dans sa commune, peut en toute sincérité électorale faire connaître un choix dans une élection nationale à l’opposé des valeurs portées par son maire. Et le maire est dans son bon droit, c’est même son devoir, de dire lui aussi à ces électeurs ce qu’il pense de leur choix. Dans la commune où je vis, et dont je fus maire douze ans, l’extrême droite dépasse 40% des suffrages exprimés. Je sais les raisons de ce vote, je sais que les électeurs font des choix en conscience (il y a longtemps que je ne crois plus au vote « coup de gueule » ou « défouloir ») et j’assume de dire à ces électeurs qu’ils se leurrent, comme j’avais su le dire en 2017 lorsque tant de concitoyens s’enthousiasmaient pour Emmanuel Macron, alors que la supercherie de cette soi-disant posture ni gauche ni droite m’apparaissait évidente. J’avais alors tenu à être candidat à l’élection législative que je savais ingagnable, mais il me paraissait important de combattre pour les valeurs auxquelles je crois et de faire une campagne claire sur le refus de cette illusion du moment. Et d’affirmer haut et fort qu’à la différence de certains de mes désormais anciens camarades, je ne trouvais rien d’enthousiasmant chez le « Mozart de la finance ». Aujourd’hui, la supercherie du candidat TikTok Bardella et de toute la famille le Pen n’est pas moins évidente pour moi. Pour n’avoir pas voulu de Mozart en 2017, je ne suis pas demandeur de Wagner en 2024.

Si les électeurs savent parfaitement les enjeux de l’élection pour laquelle ils se déplacent, on peut en revanche constater que deux camps politiques ont perverti ce scrutin en en faisant autre chose qu’une élection européenne. Le RN a fait en sorte qu’elle ne soit pas une élection européenne mais un référendum contre le président de la République, et le président de la République à lui commis la faute de transformer l’élection européenne en élection législative par la décision de dissoudre de manière aussi soudaine.

Le paysage électoral en a été totalement modifié car la soupape ne demandait déjà qu’à sauter. Et c’est sous une double pression que le scrutin des européennes s’est déroulé.

La première pression provient de l’incapacité à répondre aux défis posés par la mondialisation et par le caractère libéral des institutions européennes. Je défends un point de vue eurocritique depuis que je milite et j’ai toujours chéri ma part de culture chevènementiste. Mais les patriotes de gauche n’ont pas réussi à persuader le reste de la gauche démocratique et de gouvernement qu’il y avait un problème dans la manière dont nous abordions la mondialisation des échanges et le fonctionnement de cette union particulière d’Etats qu’est l’Europe. Cette Europe ne peut se faire du jour au lendemain en forçant les peuples. Elle ne peut se faire sans respecter le fait national qui n’est pas un repli mais qui est la plus belle forme de solidarité politiquement inventée depuis la fin des empires au 19e siècle. Nous n’avons pas trouvé mieux que la nation pour faire d’un individu un citoyen. La structuration des institutions européennes pousse systématiquement (au sens littéral) à une politique libérale, alors que la mondialisation des échanges nécessiterait que les peuples conservent la maîtrise de leur choix face au marché pour pouvoir en tirer un bénéfice réel et que cette nouvelle étape dans l’histoire de l’humanité ne se résume pas à la délocalisation industrielle et à la concurrence entre des travailleurs du même continent.

La deuxième source de pression vient de la perversion de l’outil démocratique qui s’est accélérée grandement sous la présidence d’Emmanuel Macron. En 2005, à l’occasion du référendum par lequel les Français ont rejeté à raison le texte sur la constitution européenne, puis en 2008 lorsque le Congrès a adopté un texte quasi similaire, une plaie s’est ouverte et ne s’est jamais refermée. Les partis politiques qui ont participé à cette forfaiture n’ont pas fait l’analyse de leur acte et n’ont pas reconnu cette faute, ce qui a empêché la cicatrisation. Sous Emmanuel Macron, la plaie s’est même surinfectée. L’élection présidentielle de 2017 a vu la désignation d’un président par défaut au second tour. Comme pour Jacques Chirac en 2002, cette situation aurait dû conduire le premier des Français à une approche humble, ouverte et rassembleuse. Il aurait fallu se comporter en Athéna, déesse de la sagesse et nous avons eu un président se désignant Jupiter alors même qu’il était plus sûrement Saturne, le Titan qui dévorait ses enfants. Le garant de la Constitution a joué avec pour finir par la distordre. Au mouvement des gilets jaunes qui fut une expression concrète et sincère de la violence de la mondialisation ressentie par les classes populaires, il a répondu par une doctrine de maintien de l’ordre inadaptée et par un grand débat qui aura endormi l’opinion plutôt que de réveiller le gouvernement. D’autres sujets ont été étouffés par des procédures dont nous savons maintenant que le président de la République a le secret : Cent jours, Rendez-vous de Bercy, Ségur de la Santé, conventions citoyennes…Le pire fut à n’en pas douter le Conseil National de la Refondation empruntant honteusement les 3 lettres du Conseil National de la Résistance dont le programme aura été foulé aux pieds par le président Macron en tout point. L’élection présidentielle de 2022 a vu son débat réduit au minimum par l’actualité internationale tragique du fait de la guerre en Ukraine, ce dont le président Macron n’est pas personnellement responsable mais dont il n’a pas tiré les enseignements. Notamment lorsque à la majorité relative qui lui a été donnée à l’Assemblée il répond par le 49.3 systématique (abîmant au passage l’utilité ponctuelle du 49.3) au lieu de chercher réellement un accord global avec les forces politiques.

Nous étions nombreux à savoir que les Cent jours sous le gouvernement d’Elisabeth Borne et le Big Bang annoncé en janvier 2024 avec le gouvernement de Gabriel Attal n’étaient que pure communication. La démocratie politique compliquée par une majorité relative n’amena pas pour autant le pouvoir à pratiquer la démocratie sociale puisqu’il resta sourd aux demandes exprimées par des centaines de milliers de personnes manifestant à de nombreuses reprises pendant la réforme des retraites. La pression populaire ne trouvera pas non plus d’exutoire démocratique dans les tentatives de référendum d’initiative partagée que ni la gauche (sur les super-profits) ni la droite (sur l’immigration) ne parviendront à mettre en œuvre. Il peut paraître simpliste de comparer la politique au système d’une cocotte-minute mais c’est pourtant la meilleure illustration que nous puissions donner s’agissant des années Macron.

L’impensé et les contradictions anciennes de toute la classe politique sur la mondialisation et la question européenne, un positionnement tout en repli, en outrance et en xénophobie de la part de l’extrême droite et les réponses simplistes qui vont avec, des citoyens de plus en plus empêchés d’exprimer une volonté qui trouve un débouché politique, et un débat démocratique profondément abîmé par le recul des médias responsables avec de vraies rédactions chérissant le débat et hiérarchisant les sujets pour contenir l’infobésité auquel on ajoutera enfin les manipulations et le bruissement des réseaux sociaux dont l’extrême-droite fait un usage immodéré  : voilà la situation sur laquelle le pouvoir présidentiel était assis et les Européennes ont vu jaillir un geyser.

Il convient également d’avoir un mot sur la gauche et le camp du progrès. C’est mon camp et ça le sera toujours parce que je sais que la fraternité est la solution de long terme, parce que je sais qu’on ne construit une société que dans l’attention au plus faible, parce que je sais que l’éducation est la clé d’une cohésion nationale réussie et parce que la démocratie sans le progrès social n’est pas la République. La famille Le Pen (le père, la fille, la nièce et le petit prince) recueille aujourd’hui les suffrages de la classe ouvrière et des travailleurs. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que l’on abuse ainsi les classes populaires. Pour autant cela ne change rien à la conviction que c’est en se préoccupant du plus grand nombre et non pas en l’entretenant dans la haine de l’autre et de l’assisté mais en conquérant des droits nouveaux et en poursuivant l’idéal d’égalité que l’on fait œuvre utile pour sa nation et pour l’humanité. Mais mon camp a commis l’erreur de s’aligner sur l’européisme libéral de la droite et de ne pas savoir jouer le rapport de force avec l’économie allemande. Le quinquennat Hollande l’a montré et je reste très fier d’avoir accueilli en 2015 dans ma commune l’assemblée d’été de ceux que l’on a appelés les Frondeurs[1]. Même s’il doit être précisé que j’étais en accord sur le fond avec eux mais pas sur la méthode. Sous la Vème République la fronde parlementaire n’existe pas. Tout au plus peut-on scinder un groupe parlementaire.

Aucun débouché politique n’a été donné aux colères créées par la mondialisation libérale qui n’est pas seulement affaire de marchés, de bourses et de règlements européens mais surtout d’industrie disparue, d’anciens monopoles publics dépecés par des spéculateurs (le marché de l’énergie est l’exemple le plus ubuesque) et de renoncement au protectionnisme. Le bulletin de vote s’est démonétisé. Rien d’étonnant à ce qu’il soit utilisé contre le pouvoir national à l’occasion d’élections européennes.

Et voilà que la boucle est bouclée avec le début de mon propos.

Est-il trop tard pour bien faire ? Probablement pas. Mais c’est un long chemin que celui de l’éveil des consciences. Déjà en 2014 je publiais une tribune alertant sur ce sujet[2], et c’est régulièrement dans mes prises de paroles au Sénat que je rappelle la nécessité de parler clairement de souveraineté et de la nécessité que la France ne s’aligne pas sur les Etats-Unis comme un allié parmi d’autres. Certes, les victoires idéologiques sont longues, mais par histoire familiale et personnelle comme par connaissance de l’histoire de la France et de la gauche démocratique, je ne vois rien de mieux à faire que de poursuivre la lutte, quand bien même elle change indéniablement de nature puisque, si l’extrême-droite n’est pas au pouvoir à l’heure où je publie cette analyse, elle est devenue et pour un temps certain le nouveau pôle autour duquel s’organise la droite. Mais nous sommes demain le 18 juin et il y a des flammes qui ne s’éteindront pas. Et ce ne sont ni celles du RN, ni celles de ses alliés européens.

Références

[1] Vous retrouverez ici mon discours d’accueil :  https://www.youtube.com/watch?v=2rL9KE8l5SY&t=1s

[2] https://mickaelvallet.fr/2014/05/26/langoisse-du-premier-federal-au-moment-decrire-le-communique-de-la-defaite-reaction-personnelle-au-resultat-des-europeennes/, reprise par Marianne dans un entretien : https://mickaelvallet.fr/2014/05/27/comme-toute-structure-le-ps-peut-mourir

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Zéphyrin Camélinat, Commun Commune

Zéphyrin Camélinat, Commun Commune

Zéphyrin Camélinat, monteur en bronze, né en 1840, fut le premier candidat du Parti Communiste à une élection présidentielle, en 1924. Figure de la Commune, où il fut directeur de la monnaie, Camélinat a tout connu des soubresauts de la Gauche de la fin du XIXe siècle et du début du XXe.

Portrait.

Né à Mailly la Ville, le 14 septembre 1840, Zéphyrin est le fils de Rémy Camélinat, tailleur de vigne, dit Camélinat le Rouge ou Camélinat le Républicain.

Le socialisme dans le sang.

A 17 ans, il déménage à Paris où il travaille dans un premier temps comme fabricant de tubes de cuivre puis comme ouvrier bronzier. En parallèle, il apprend l’anglais aux Arts et Métiers, met un pied dans le syndicalisme et fit la connaissance de Proudhon. Doué, adroit, consciencieux, Camélinat devint vite une référence dans son métier. Charles Garnier fit appel à lui durant cinq ans afin d’exécuter les palmes de bronze du nouvel opéra.

Signataire du Manifeste de Soixante, Camélinat est mobilisé lors de la Guerre de 1870.

La Commune démarre. Elle le rattrape.

Camélinat est nommé directeur de la monnaie et fait graver sur les pièces une nouvelle devise : « Travail. Garantie nationale. ».

Arrive la débâcle. Les Versaillais triomphent. Camélinat se bat jusqu’au bout. Il se lie d’amitié avec Jules Vallès, futur auteur de l’Insurgé. La répression ne le rattrape pas, il s’exile à Londres comme de nombreux communards. Il y exerce son métier de bronzier et y fréquente le cercle des expatriés, nombreux à Londres. La Réaction le condamne en 1872 à la déportation. Il ne sera gracié que 7 ans plus tard, puis rentre en France en 1880.

Dans un mouvement socialiste naissant, Camélinat prend toute sa place et participe à la naissance de la SFIO tout en reprenant ses activités syndicales des ouvriers bronziers dont il organise une grande grève en 1882.

En 1885, il est candidat à la chambre des députés, sur une liste républicaine large comprenant également la candidature de Georges Clemenceau. Camélinat est élu. Cette élection considérée par Engels comme un grand événement.

A l’Assemblée, militant infatigable, le député se bat pour la réforme de la Constitution, l’indemnisation des accidents du travail, la gratuité de la justice, la limitation du travail des enfants. Il porte également une des premières tentatives de Loi de Séparation de l’Église et de l’État. Le député-militant soutient depuis la Tribune les mineurs de Decazeville. Victime du manque d’unité de la famille socialiste, il est battu successivement aux législatives de 1889,1893,1898,1902 et 1906.

Il prend alors sa part dans le processus d’unification des socialiste français, notamment en participant à la naissance de la SFIO. Président en avril 1905 du premier Congrès de la nouvelle maison, il en devient le trésorier. Partisan de l’Union Sacrée en 1914, démissionnant de son poste de trésorier en 1916, Camélinat se rallie ensuite aux partisans de la scission au Congrès de Tours.

Le voilà communiste.

« Camélinat le Communard » devient ainsi une légende du PCF.

Transmettant les actions de l’Humanité qui sont les siennes, au PCF ainsi que celles qu’il détenait au nom de la SFIO, il favorise le passage du quotidien sous l’autorité du Parti. Ainsi né la légende : « Camélinat apporte l’Humanité au PCF ».

Légende qui n’a depuis jamais été démenti.

Juin 1924, Camélinat est candidat à l’élection présidentielle. Premier candidat communiste de l’histoire, l’ancien communard est battu par Gaston Doumergue de seulement 21 voix.

Battu par Alexandre Millerand aux élections sénatoriales de 1925, Camélinat le rouge quitte la vie politique et devient président de l’Association des anciens combattants et amis de la Commune de Paris. Il meurt en 1932.

Cent ans après sa candidature à l’élection présidentielle, Camélinat reste une figure importante du Parti Communiste Français, et de la gauche en général. Ouvrier devenu homme politique, militant devenu candidat, Camélinat représente ce qui fait la fierté du mouvement socialiste français.

Peu connu du grand public, son image reste pourtant indissociable d’une des plus belles et des plus importantes périodes de l’histoire de France : La Commune.

Vive la Commune.

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La victoire électorale du Rassemblement national et après ?

La victoire électorale du Rassemblement national et après ?

La victoire du Rassemblement National à l’élection française au parlement européen était annoncée par les instituts de sondage. Mais nous refusons de croire aux évènements catastrophiques qui nous attendent. Nous faisons comme s’ils n’allaient jamais se produire, jusqu’à ce qu’ils surviennent et nous sidèrent.

Photo : Libération

Voilà qui est fait.

La liste du Rassemblement national conduite par Jordan Bardella a devancé largement toutes les autres le 9 juin 2024, en recueillant 31,4% des suffrages, loin devant la liste soutenue, (pour ne pas dire conduite par procuration) par Emmanuel Macron qui n’en recueille pas la moitié, ou celle de Place publique – Parti socialiste et de la France insoumise qui font une performance encore inférieure.

Ce n’est pas la première fois que le Rassemblement national est en tête des résultats aux élections européennes; en 2019, il l’avait déjà emporté avec un peu plus de 23% des suffrages, devançant de peu la liste de la majorité présidentielle et toutes les listes de gauche. L’écart était beaucoup moins important qu’aujourd’hui, mais la défaite du président, élu moins de 2 ans auparavant, n’en était pas moins un sérieux avertissement.

Et puis, en 2022, sans faire alliance avec aucun autre parti et malgré la concurrence du nouveau parti lancé par Éric Zemmour, le Rassemblement national fit entrer 89 députés à l’Assemblée nationale, dans le cadre d’un scrutin de circonscription uninominal à deux tours qui ne lui était en principe pas favorable. Auparavant, le Front national, ancêtre du Rassemblement national, n’avait quasiment pas été représenté au Parlement à l’exception de la mandature ouverte en 1986, élue au scrutin proportionnel par la volonté de François Mitterrand, une décision dans laquelle le souci louable d’assurer une représentation plus démocratique de la population à l’Assemblée nationale rejoignait celui de limiter la défaite annoncée du parti socialiste.

Nous n’allons pas refaire ici l’analyse détaillée du résultat de l’élection au Parlement européen de dimanche dernier. La carte que chacun a pu voir dans les médias est beaucoup plus parlante que tous les discours : la couleur marron, généralement associée par les cartographes au Rassemblement national, couvre tout le pays. Seules subsistent quelques petites taches correspondant aux grandes agglomérations urbaines où la liste Renaissance, celle du Parti socialiste et celle de la France insoumise arrivent en tête.

Ces cartes ont l’avantage d’être très lisibles et frappantes. Elles ont aussi un inconvénient, c’est qu’elles ne font pas apparaître que le premier parti de France reste celui des abstentionnistes, avec près de 50% des inscrits, le parti de ceux qui ne font pas plus crédit au RN qu’aux autres partis politiques.

La réponse d’Emmanuel Macron, préparée à l’avance sans avoir été rendue publique, n’a pas tardé. Il a prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale et convoqué de nouvelles élections législatives le 30 juin et le 7 juillet 2024.

Les spéculations vont bon train sur les raisons de cette décision, souvent qualifiée de pari. Les supporters du président le trouvent courageux et ceux qui ne le soutiennent pas -ils sont plus nombreux- le qualifient de risqué, voire de suicidaire. Beaucoup de députés macronistes voient avec effroi arriver plus tôt que prévu la fin de leur carrière parlementaire.

Pour E. Macron, il s’agit d’essayer de faire vivre le clivage qu’il veut imposer depuis 2017 entre « progressistes et nationalistes », les deux camps qu’il voulait constituer après avoir fait disparaître le vieux clivage entre la droite et la gauche. Il n’y est pas parvenu, pas plus qu’il n’est parvenu à donner un contour politique précis au macronisme qui après sept ans de pouvoir, n’est pas autre chose que la politique économique et sociale de la droite française matinée de quelques réformes « sociétales » qui divisent autant la droite que la gauche. Le projet de loi sur la fin de vie, dont le débat est interrompu par la dissolution, en est un exemple. Par son nouveau « quitte ou double », il veut une fois de plus obliger tous les partis à se positionner soit dans le camp dont il veut être le leader, celui de ceux qui combattent l’extrême droite nationaliste, soit dans celui des complices de Le Pen. Ce faisant, loin d’affaiblir le RN il le renforce en le plaçant plus que jamais au centre de la vie politique française et il affaiblit encore plus sa propre position.

L’opposition de gauche, dont la faiblesse a été confirmée par ces élections, est encore plus divisée qu’en 2022 et cherche le moyen de refaire la nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES), qui avait permis à ses composantes d’échapper au désastre lors de la dernière élection législative de 2022. Chacun fait mine de poser ses conditions. Raphaël Glucksmann qui n’existe que grâce à l’inconsistance du Parti socialiste et ne dispose d’aucune base politique réelle, en a énuméré cinq lundi soir sur France 2, qui visaient toutes à interdire un accord électoral avec la France insoumise. Les Verts, forts de leurs 5%, proposaient dix piliers pour soutenir un éventuel accord. Au cours de la nuit, les négociateurs des quatre partis les plus importants de la gauche ont adopté une déclaration en faveur de la présentation d’un seul candidat de gauche par circonscription, dans laquelle aucune des conditions des uns et des autres ne figure, qui renvoie à (un peu) plus tard la définition du programme commun à ces formations. Pour y parvenir, il faudra éviter les nombreuses questions qui fâchent et s’entendre sur un programme minimum.

Au-delà des déclarations, toutes plus unitaires les unes que les autres, pour lutter contre le fascisme, il faudra s’accorder sur la répartition des circonscriptions. Elle était très favorable à la France insoumise en 2022. Le rapport de force électoral a changé et les partenaires de LFI exigeront un rééquilibrage. Les quelques jours qui viennent seront donc compliqués.

  • Comment en sommes-nous arrivés là ?

L’arrogance du président de la République, son inexpérience, sa conviction d’avoir toujours raison seul contre tous, son exercice de la fonction présidentielle comme l’acteur de théâtre qu’il aurait rêvé d’être, sa désinvolture qui le conduit à dire une chose et son contraire d’un jour à l’autre sur des sujets sensibles touchant aux relations internationales de la France, sa tendance à faire la leçon à tous ses interlocuteurs (son dernier discours sur l’Europe à la Sorbonne dura plus de deux heures !), tout cela a sans doute joué un rôle dans la descente aux abimes du parti présidentiel et de son chef et dans l’ascension du Rassemblement national. Mais un rôle secondaire.

Les résultats du 9 juin résultent essentiellement :

De l’incompréhension persistante de la signification du vote en faveur du Rassemblement national par E. Macron et son parti, comme par ses prédécesseurs.

Ils l’ont toujours considéré comme le vote de protestation de citoyens mal informés, incapables de s’adapter à la marche du monde, et ne l’ont jamais pris au sérieux. Ils n’y ont pas vu l’expression raisonnée du rejet du système économique et institutionnel responsable de leurs malheurs par un nombre croissant de citoyens. Le vote pour le RN n’a pas été compris comme le mouvement par lequel une partie de la population tournait le dos à des responsables politiques qui se disaient eux-mêmes impuissants à régler les problèmes, à modifier les rapports de forces internationaux et européens, tout en conduisant une politique favorable aux plus riches. Aux yeux des dirigeants, le vote RN ne pouvait être qu’une erreur passagère qui serait corrigée en expliquant mieux la politique mise en œuvre (refrain entendu après chaque défaite électorale).

Mais le vote pour le RN n’était pas une erreur commise par des Français ayant mal compris la bonne politique du gouvernement insuffisamment expliquée ; c’était une demande de modification d’une politique sociale et économique injuste et dont les résultats désastreux sont constatés par tous (désindustrialisation, disparition des services publics, endettement massif…).

L’utilisation répétée du Front puis du Rassemblement national comme un épouvantail pour obtenir le vote des Français, au nom de la défense des valeurs de la République, avant d’accabler ceux qui ont voté pour faire barrage au RN de mesures défavorables, est la seconde explication.

Emmanuel Macron a bénéficié du réflexe de « front républicain » lors de sa première élection en 2017 pour l’emporter malgré un score de premier tour assez faible (24% des voix). Il a dramatisé cet enjeu encore plus en 2022 sachant que la position relative de Marine Le Pen s’était améliorée par rapport à leur première confrontation. Il s’apprête à rejouer cette partition après avoir décidé de la dissolution de l’Assemblée nationale. Mais il sous-estime l’usure de cet argument, surtout qu’à peine réélu en 2022, Emmanuel Macron a imposé, notamment, la remise en cause des régimes des retraites à coups de recours à l’article 49-3 de la constitution et de répression policière. Avec la même hargne, il a imposé la réduction drastique de l’indemnisation des chômeurs à des partenaires sociaux qui n’en voulaient pas. A chaque fois, son discours fut le même : j’ai été élu sur un programme, je le mets en œuvre ! Comme s’il n’avait pas été élu aussi par ceux qui voulaient éviter l’élection de Marine Le Pen, et acceptaient pour un temps d’oublier leurs désaccords avec le programme d’E Macron! Ce mépris répété des électeurs qui croyaient, quelles que soient leurs convictions, à la légitimité du vote républicain, a fini par ruiner cette conviction et rompre ce barrage.

La diabolisation du RN, présenté comme un parti fasciste, finit par produire l’inverse de l’effet recherché. Je ne trouve pas le RN sympathique, je ne partage nullement ses orientations et ne voterai jamais pour ce parti. Mais le RN n’est pas un parti fasciste. Il respecte les institutions de la République, participe aux élections comme les autres partis et se soumet à leur verdict ; il ne déchaine pas la violence de milices, dont il ne dispose d’ailleurs pas, contre ses opposants. Il n’y a pas de squadristes ou de SA défilant dans nos rues. Le RN défend un programme que je n’aime pas, mais il a le droit de le faire dans un régime démocratique qui garantit la libre expression et la confrontation des idées, aussi longtemps que sont respectées les personnes et que l’ordre public n’est pas troublé.  Les tentatives d’isoler le RN de la société à coup de condamnations morales ont échoué. Elles pèsent peu dans une société qui n’accorde plus beaucoup de place à la morale et aux principes, en dépit de l’invocation abstraite incessante des « valeurs de la République ». Elle n’empêche pas que la liberté soit rognée et le pouvoir de l’autorité administrative sans cesse étendu ; la fraternité, elle, a été remplacée par la bienveillance. Quant à l’égalité, elle a disparu au profit de la lutte contre les discriminations qui s’accommode très bien de l’accroissement des inégalités.  

Si l’appel à faire barrage au fascisme est l’argument principal des élections du 30 juin et du 7 juillet, l’échec est assuré. On ne gagne pas une élection en s’opposant à un autre parti, mais en proposant une alternative.

Le populisme n’est pas une spécificité française, mais les institutions de la cinquième République et la présidentialisation sans cesse renforcée de l’exercice du pouvoir depuis 1962, lui donnent un caractère spécifique. C’est par sa participation régulière à l’élection présidentielle que le RN est devenu un parti national. Il est resté longtemps sans forces sur le territoire, avec une implantation locale limitée. Pourtant il pouvait, et peut aujourd’hui plus que jamais, se présenter comme un candidat potentiel à l’exercice du pouvoir susceptible de s’emparer de la présidence de la République puis en s’appuyant sur la dynamique de cette élection, de la majorité à l’Assemblée nationale. L’importance des pouvoirs dont dispose le président de la République (présidence du conseil des ministres, pouvoir de nomination étendu, direction réelle du pouvoir exécutif, etc.) donnerait en effet la capacité à Marine Le Pen si elle devenait présidente de la République et si elle pouvait s’appuyer sur une majorité parlementaire, de transformer assez profondément la composition et le fonctionnement de l’administration de l’État. L’absence de contre-pouvoir au président de la République, présenté depuis 1958 comme un gage d’efficacité de l’exécutif, apparaîtrait enfin pour ce qu’il est vraiment, un déni de démocratie.

La France n’est pas le seul pays d’Europe dans lequel un parti populiste de droite existe, mais dans aucun autre pays il ne réalise un score aussi important qu’en France.

Il faut le dire, avec ou sans Marine Le Pen, nous ne vivons pas dans une véritable démocratie. Le parlement est muselé et lorsqu’il dispose d’une majorité, le président peut faire décider ce qu’il veut. Lorsque le peuple s’exprime par referendum, comme en 2005 sur le projet de constitution européenne, le parlement, à l’instigation de l’exécutif, ratifie le traité rejeté par le peuple souverain. Il n’y a plus de domaine réservé du président de la République, tout lui est réservé, des choix de politique énergétique à l’envoi de troupes à l’étranger, en passant par celui des morts méritant d’être panthéonisés ou le dispositif de sécurité pour les Jeux Olympiques.

Cette confiscation du pouvoir par le président de la République est inadmissible du point de vue de la démocratie, paralysante pour le pays et profondément inefficace.

  • Et maintenant ?

On peut imaginer des dizaines de scénarios sur les événements des semaines à venir. Comme je n’ai aucun don pour prévoir l’avenir, je m’en tiendrai à quelques observations prudentes.

Les résultats électoraux de dimanche dernier ne tombent pas du ciel. Ils expriment des rapports de force installés dans le pays et qui ne se modifieront pas par le seul effet d’une dramaturgie de la situation voulue par le président de la République. Bien sûr, le nombre de députés élus sous l’étiquette du Rassemblement national le 7 juillet prochain dépendra de l’existence effective de candidature unique à gauche ; de la façon dont la droite s’organisera en vue de cette échéance, macronie comprise ; de la mobilisation de l’électorat dont une partie sera déjà en vacances d’été, etc. Mais dans tous les cas de figure, la représentation du Rassemblement national sortira renforcée de ce scrutin. Les spécialistes de politique font tourner leurs modèles et présentent des résultats parfois très élevés pour ce parti. Mais la situation est inédite et les projections restent sujettes à caution tant les conditions de cette courte campagne restent inconnues.

Cette élection législative précipitée n’apportera pas de solution à la crise institutionnelle à laquelle Emmanuel Macron est confronté.

Le macronisme est une fiction politique apparue dans des conditions exceptionnelles : Un président sortant complètement discrédité, n’étant plus en mesure de se présenter ; le parti socialiste qui avait permis à François Hollande d’accéder à la présidence de la République détruit par la politique suivie pendant les cinq ans de son mandat qui explose et disparaît presque ; le principal parti de droite après le choix de la candidature de François Fillon qui ne réussit pas à se qualifier face à Emmanuel Macron, notamment en raison de « l’affaire Pénélope ». Une partie de la classe dominante considérait que son rêve d’administrer le pays comme une entreprise du CAC 40 était enfin à portée de main avec ce jeune technocrate parlant couramment le langage du management et ne jurant que par la disparition des partis politiques traditionnels. Les arrivistes nombreux, de droite et de gauche, se rallièrent à cette candidature inattendue qui leur offrait de belles opportunités, comme on dit dans les annonces de recrutement.

Emmanuel Macron se fit élire en prétendant qu’il allait faire la révolution, il n’avait pas précisé laquelle. Après avoir promis la disruption, la transformation de la société « bottom-up » pour transformer la France en « start-up nation », il instaura un mode d’exercice du pouvoir plus centralisé que jamais, ignorant tous les pouvoirs intermédiaires, les élus locaux, les syndicats, et finalement le pays tout entier. Le Journal officiel peut témoigner du fait que, depuis 2017, la France a beaucoup progressé en matière de production de pages de lois bavardes et de décrets d’application interminables, de plans produits à jets continus sans jamais connaître de mise en œuvre véritable et sans qu’aucun bilan n’en soit jamais tiré. L’essentiel fut d’alimenter la machine médiatique quotidienne qui distille les dossiers de presse qu’elle reçoit et répercute les « annonces » qui tiennent lieu de politique, que tout le monde aura oubliées dès le lendemain.

Il ne restera rien de tout cela, si ce n’est un pays encore plus divisé et démoralisé qu’il ne l’était en 2017. Le parti d’Emmanuel Macron disparaîtra avec lui ; l’héritage est déjà en train d’être partagé.

E Macron ne sortira pas renforcé des élections anticipées qu’il a provoquées. Il est seul à ne pas avoir compris que son sort était scellé et que le roi était nu. Il est trop étourdi par son propre bavardage pour cela. Il ne dispose pas de majorité au Parlement. Il en aura encore moins après le 7 juillet, même si ce scrutin ne débouchera pas forcément sur une cohabitation Macron-Bardella. La deuxième partie du mandat d’E. Macron sera une agonie et non une renaissance.

La gauche ne gagnera pas les prochaines élections législatives, aussi unie soit-elle, pour la bonne raison qu’elle est très minoritaire dans le pays pour le moment, et n’est capable d’obtenir les suffrages que d’un bon tiers de l’électorat.

Elle ne peut dans l’immédiat que sauver le plus de meubles possibles par un accord électoral nécessaire, mobiliser autant que possible ses électeurs et empêcher l’extrême droite d’avoir la majorité absolue.

Dans l’adversité, elle peut cependant trouver le chemin de la reconstruction pour remporter d’autres succès plus tard.

La première condition de la reconstruction sera que les partis de gauche cessent de chercher le leader, le candidat idéal capable de gagner l’élection présidentielle, le vrai chef qui aura une réponse à chaque question, qui saura diriger la France avec fermeté. Le candidat de la gauche devrait être l’inverse de cela, un candidat qui précisera les limites de son pouvoir, de son intervention dans le fonctionnement de l’État, comment il respectera la représentation parlementaire, comment il permettra aux citoyens et aux corps intermédiaires de participer à la vie démocratique. La gauche doit se désintoxiquer du présidentialisme et contribuer à en guérir les Français.

Elle devra aussi travailler à un programme qui ne soit pas un catalogue de propositions techniques précises, un quiz des réponses à apporter aux demandes des différents lobbies dans l’espoir d’en additionner les voix.

Son programme devrait répondre aux questions principales que se pose la majorité des français :

  • Comment assurer à tous les Français un revenu leur permettant de se loger et de vivre dignement pendant leur formation, leur vie professionnelle et lorsqu’ils sont à la retraite et comment préserver les régimes sociaux de solidarité ? (Quelle politique économique, budgétaire et fiscale, quelle place redonner aux partenaire sociaux dans la gestion des dispositifs mutualisés, quelle démocratie sociale ?)
  • Quelles mesures et moyens permettront de faire fonctionner correctement les services publics de santé, d’éducation, de sécurité publique  ? (Quelle organisation et quel statut des services publics ; quels modes de financement ; quelles règles de coexistence et de concurrence entre les modes de gestion privés et publics des services publics)
  • Comment démocratiser le système politique français sans renvoyer à une hypothétique convention constituante qui aura pour tâche de modifier de fond en comble notre système institutionnel ? (Identifier les principales une mesure permettant de modifier le fonctionnement de la 5e République sans réviser la constitution et les modifications constitutionnelles susceptibles d’être adoptées de manière relativement consensuelle)
  • La souveraineté est la possibilité pour un État de garantir l’exercice des libertés par la loi sur un territoire donné. Quelle politique la gauche défendra-t-elle pour conjuguer la coopération européenne nécessaire et la préservation de la souveraineté nationale garantie par la constitution?
  • Les grandes orientations de la politique étrangère : Quelle politique de réduction des tensions internationales ? Quels objectifs de la politique de développement et de coopération ? Quelle industrie d’armement et quelle politique internationale en faveur du désarmement? Quelle armée française et/ou européenne  ?
  • Comment assurer le succès de la transition écologique nécessaire sans développer une bureaucratie galopante et en favorisant au maximum les initiatives locales plutôt que les solutions uniformes définies au niveau des administrations centrales et en répartissant justement les coûts de ce changement du mode de production été de consommation ?

Il s’agit de définir une démarche plutôt que d’élaborer un catalogue de recettes de gestion de gauche du pays; de proposer une orientation plutôt qu’une liste d’engagements assortie d’un calendrier d’exécution. Nous avons assez d’expérience pour savoir que les mesures techniques imaginées dans la perspective de l’élection suivante buttent, lorsqu’elles doivent être mises en œuvre, sur une multitude de difficultés imprévues, ce qui est normal. Certaines pourront être reconsidérées, modifiées ou abandonnées, sans que cela soit une trahison quelconque. C’est pourquoi ce qui doit être proposé c’est un cap, une ligne directrice à laquelle chacune des décisions prises dans l’exercice du pouvoir puisse être comparée, pour mesurer dans quelle mesure elle contribue à la réalisation des objectifs fixés ou au contraire elle s’en écarte.

Un programme ne devrait pas être la somme des propositions faites par les différentes organisations qui le soutiennent, l’addition des signes envoyés à son électorat de prédilection, mais un texte ne dépassant pas une trentaine de pages, qui puisse être lu par tout le monde et dont on se dise après l’avoir lu qu’il dresse le portrait du monde dans lequel on aimerait vivre.

Le programme du Conseil national de la résistance, auquel il est très souvent fait référence, ne faisait que quelques pages et ne comportait aucun détail technique précis sur les conditions de la mise en œuvre des orientations qu’il proposait. C’est ce qui a fait sa force. C’est pourquoi il a débouché sur la mise en place des éléments essentiels du système social qui permet encore à la majorité d’entre nous de vivre convenablement.

Il ne s’agit plus de mettre en avant telle ou telle radicalité, de rendre les angles plus aigus, les divisions plus profondes qu’elles ne le sont dans une société très éclatée. Au contraire, il faut chercher à rassembler bien au-delà de ce qui définit la gauche rabougrie qui subsiste aujourd’hui et qui ne pourra changer d’échelle et de place dans la société que si elle reprend un dialogue avec l’ensemble des français.

Le 11 juin 2024

Jean-François Collin

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La leçon de Jean Zay

La leçon de Jean Zay

Il est des hommes dont le destin brisé hante l’Histoire. Des hommes dont la lumière s’est éteinte trop tôt. Jean Zay était de ceux-là. Son ascension fut fulgurante. on action intense et efficace. Sa fin tragique. Son souvenir brûlant. Portrait d’un homme qui voua sa vie à la République jusqu’à en mourir, et leçon pour une Gauche en quête de repères.

Il est des hommes dont le destin brisé hante l’Histoire. Des hommes dont la lumière s’est éteinte trop tôt. Des hommes dont l’ombre plane encore sur une patrie vacillante. Des martyrs républicains que les livres d’histoire ont longtemps occultés. Jean Zay était de ceux-là. Député à 27 ans. Secrétaire d’État en 1931. Ministre en 1932. Assassiné en 1940. L’ascension de Jean Zay fut fulgurante. Sa carrière brillante. Son action intense et efficace. Sa fin tragique. Son souvenir brûlant. Portrait d’un homme qui voua sa vie à la République jusqu’à en mourir, et leçon pour une Gauche en quête de repères.

Un engagement Républicain et intellectuel

Né à Orléans en 1904, d’un père juif Alsacien et d’une mère institutrice protestante, Jean Zay est très vite influencé par les idées républicaines. Bachelier brillant, le voilà d’abord devenu journaliste puis avocat au barreau d’Orléans à seulement 24 ans. C’est à la même époque qu’il entre au Parti Radical, alors parti le plus puissant à Gauche, foncièrement laïque, républicain et patriote. Il est élu député du Loiret en 1932. Il y côtoie Pierre Mendès-France. Les deux hommes se lient rapidement d’une amitié aussi solide que la haine qu’ils inspirent de la part de leurs adversaires politiques. Farouchement patriote et antifasciste, Jean Zay, partisan de l’union à gauche parvient à rallier à sa cause Édouard Herriot et la majorité du Parti Radical lors du Congrès de 1935, dont il est le rapporteur. Le Front Populaire est né.

Porté par la vague, Jean Zay est réélu député en Mai 1936. Le 4 juin de la même année, il est nommé ministre de l’Éducation Nationale et des Beaux-Arts. À 32 ans, il devient le plus jeune ministre de la IIIe République. Ministre sous cinq gouvernements successifs, il détient le record absolu à ce poste sous la IIIe République, soit trente-neuf mois.

Le Grand Ministère

À la tête du ministère de l’Éducation Nationale, auquel furent rattachés le Secrétariat d’État de la Jeunesse et des Sports, ainsi que celui de la Recherche, Jean Zay tente de mener une politique ambitieuse mais parfois contrariée, que ce soit par la frilosité de ses amis ou par l’opposition conservatrice du Sénat. Par la Loi du 9 août 1936, il porte l’obligation de scolarité à 14 ans, contre 13 ans auparavant. Son action est guidée par l’ambition de démocratiser le système éducatif français, dans la continuité des Lois Ferry. En effet, si depuis la Loi du 28 Mars 1882, l’école de la République est gratuite et obligatoire, elle n’est pas accessible à tous. Jean Zay exprime sa vision en ces termes : »La justice sociale n’exige-telle point que, quel que soit le point de départ, chacun puisse aller dans la direction choisie aussi loin et aussi haut que ses aptitudes le lui permettront ? » (Exposé des motifs du projet de réforme de l’enseignement le 5 mars 1937)

Ce projet ambitieux, qui préfigure notre système éducatif organisé en trois degrés, ne voit pas le jour du fait de l’opposition du Sénat, mais sera repris en partie à la Libération.

Bloqué par le Parlement dans ses velléités de réformes, Jean Zay légifère par décrets ; il développe alors les activités dirigées, réorganise les directions, donne au premier et au second degré un programme identique, met en place les loisirs dirigés dans le secondaire, encourage Célestin Freynet, développe les bourses d’études, crée les cantines scolaires, met en place des classes de 6e d’orientation, et encourage par circulaire ministérielle l’enseignement de l’espéranto dans le cadre d’activités socio-éducatives.

Dans Souvenirs et Solitude, Jean Zay explique ainsi le sens de ses réformes : « Il s’agissait, là comme ailleurs, d’éveiller les aptitudes et la curiosité des élèves, d’ouvrir plus largement à la vie le travail scolaire, de familiariser l’enfant avec les spectacles de la nature et de la société, de lui faire connaître l’histoire et la géographie locale, et de remplacer, comme dit Montaigne, le savoir appris par le savoir compris. »

Jean Zay expérimente d’ailleurs l’Éducation Physique et Sportive à l’école, dont il veut faire un outil d’émancipation et de libération de l’individu. Comme Secrétaire d’État à la Recherche, il participe à la fondation du CNRS en octobre 1939. À l’aide de Jean Perrin, il développe le Palais de la Découverte, construit pour l’Exposition internationale de 1937. En 1938, il imagine un projet de réforme pour la haute fonction publique, conscient qu’il faut démocratiser l’accès aux postes les plus hauts, par un recrutement dans le cadre d’une formation publique, ouverte à toutes les classes sociales et non plus à l’intérieur d’une élite fermée. C’est ainsi qu’il crée l’ENA, dont la naissance effective aura lieu à la Libération, le projet s’étant une fois de plus heurté au refus des sénateurs.

Ministre des Beaux-Arts, Jean Zay a pour ambition de rendre la culture accessible à tous. Il rénove la Comédie française, en nommant Edouard Bourdet administrateur, entouré de quatre metteurs en scène novateurs : Gaston Baty, Jacques Copeau, Charles Dullin et Louis Jouvet. Le Ministre Zay participe à la création des grands musées parmi lesquels le musée de l’Homme ou le musée d’Arts Modernes.

Jean Zay prévoit aussi un plan de soutien au cinéma par la création de la Cinémathèque Française. Pour lutter contre l’influence fasciste de la Mostra de Venise, il crée le Festival de Cannes dont la première édition prévue en 1939 ne peut avoir lieu pour cause de déclaration de guerre. Il est également à l’origine d’un projet de loi visant à soutenir les auteurs, mais ce projet se heurte aux éditeurs. Jean Zay crée également les bibliobus.

La cinémathèque française

Laïque et sensible à la question de la neutralité, le Ministre Zay, promulgue deux circulaires importantes :

–     l’une du 31 décembre 1936 portant sur l’absence d’agitation politique dans les établissements scolaires;

–     l’autre, du 15 mai 1937 interdisant le prosélytisme religieux, loi qui précise que : « L’enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements ».

Volontariste et résolument moderne, l’œuvre législative de Jean Zay a profondément marqué le Front Populaire. Il a déjà accompli beaucoup en moins de quatre ans, construit une œuvre politique et définit des orientations dont la majorité sont demeurées et ont été confortées dans le futur. Mais le grand ministre n’est pas allé jusqu’au au bout de ces immenses ambitions de construction et de réformes en matière culturelle et d’éducation, stoppé en plein vol par la défaite et l’occupation.

« Je vous Zay »

De gauche, républicain, laïc, franc-maçon d’origine juive, Jean Zay fut, dès le commencement de sa carrière politique la cible d’attaques incessantes de l’extrême-droite. Anti-Munichois farouche, partisan inconditionnel d’une intervention de soutien aux Républicains espagnols, il est régulièrement attaqué par tout ce que la France compte d’élus et de plumes antisémites. De Jouhandeau à Maurras, de Céline aux journaux tels Gringoire ou l’Action Française, tous tirent à vue sur le « juif Zay ». Céline écrit en 1937 dans l’École des Cadavres : « Vous savez sans doute que sous le haut patronage du négrite juif Zay, la Sorbonne n’est plus qu’un ghetto. Tout le monde le sait » et d’ajouter un peu plus loin un jeu de mot aussi terrible qu’immortel : « Je vous Zay ».

Marcel Jouhandeau, lui, écrit dans Le Péril Juif « Monsieur Jean Zay, un juif, a entre les mains l’avenir vivant de ce pays ». Quand l’extrême-droite n’attaque pas le « Juif Zay », elle prend pour cible celui qu’elle considère comme un mauvais patriote, prenant comme prétexte un pamphlet de jeunesse intitulé Le Drapeau (texte antimilitariste) écrit en 1924 et publié dans un journal pacifiste. Ce texte, qui n’est qu’un pastiche, sera tout au long de la vie de Jean Zay et même après sa mort, utilisé contre lui par les thuriféraires de la revanche.

La République assassinée

Survient la guerre. En tant que membre du gouvernement, Jean Zay n’est pas mobilisable. Il démissionne pourtant de son poste de ministre et s’engage dès la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939. Sous-lieutenant, il rejoint Bordeaux en juin 1940 avec l’autorisation de ses supérieurs, afin de participer aux sessions gouvernementales. Le 20 juin, il s’embarque sur le paquebot Massilia en compagnie notamment de Pierre Mendès-France et Georges Mandel. Au total ce sont vingt-sept parlementaires qui rejoignent le Maroc, dans le but d’y continuer le combat. Le 15 juin, trahi par le gouvernement en exil, Jean Zay est arrêté à Casablanca pour désertion devant l’ennemi. Le 20 août 1940, il est incarcéré à la prison de Clermont-Ferrand.

Les revanchards réclament sa tête, et à travers lui celle de la République. Les campagnes de haine repartent de plus belle, le collaborateur Henriot réclamant sa mort par voie de presse. Jean Zay comparait devant le tribunal militaire de Clermont-Ferrand le 4 octobre 1940. Il y est condamné à la déportation à vie ainsi qu’à la dégradation militaire.

Cette condamnation, qui rappelle celle de Dreyfus, transpire la haine et la revanche. Jean Zay est enfermé à la prison de Riom, prisonnier politique qui n’en a pas le statut, il y reçoit régulièrement sa femme Madeleine et ses deux filles, Catherine et Hélène. Refusant de s’évader, sans doute pour protéger sa famille d’éventuelles représailles, et sûr de son destin, il trouve refuge dans l’écriture.

Il consigne ses idées pour le futur, ses réflexions sur sa condition de prisonnier et sur la guerre. Particulièrement sévère vis-à-vis du commandement militaire, à l’image de Marc Bloch et son Étrange défaite. Ce livre, brillant, sans concession, lucide sur le bilan du front populaire est publié à la libération sous le titre Souvenirs et Solitude. Ses dernières lignes, écrites la veille de son exécution, témoigne de son extrême optimisme : « Je pars plein de bonne humeur et de force. Je n’ai jamais été si sûr de mon destin et de ma route. J’ai le cœur et la conscience tranquilles. Je n’ai aucune peur. J’attendrai comme je le dois.

Le 20 juin 1944, trois miliciens se présentent à la prison de Riom. Après avoir extrait Jean Zay de sa cellule, lui ayant laissé entendre qu’ils appartenaient à un réseau de résistance devant le conduire dans le maquis, ils l’abattent à Molles dans l’Allier. Jean Zay n’avait pas 40 ans.

Ainsi se brise le destin de celui dont Mendès-France dira plus tard, qu’il était voué à une grande carrière politique après-guerre. Son corps n’est retrouvé qu’en septembre 1946 par des chasseurs dans une forêt près de Cusset. Enterré dans la fosse commune de la ville de Cusset, son corps est exhumé en 1947. Son assassin, le milicien Charles Develle est condamné aux travaux forcés à perpétuité en 1953. Jean Zay est réhabilité à titre posthume le 5 juillet 1945 par la cour d’appel de Riom. Il est inhumé à Orléans le 15 mai 1948.

Entre ici, Jean Zay.

Coincée entre les Gaullistes et le martyr des 75 000 fusillés, l’œuvre de Jean Zay est absente des commémorations qui suivent la Libération. Son œuvre est vaillamment défendue par ses filles et quelques amis, parmi lesquels l’historien Antoine Prost. Jusqu’au 27 mai 2015. Ce jour-là, accompagnant Geneviève Anthonioz-De Gaulle et Germaine Tillon, Jean Zay entre au Panthéon. Soixante et onze ans après son assassinat, au Grand Ministre, la Patrie est enfin reconnaissante. Une reconnaissance pour la gauche aussi. Et pour son œuvre durant la courte expérience du Front Populaire, pendant laquelle elle a démontré sa capacité à « Faire » et à innover, en respectant les valeurs de la République.

Et pour cette gauche, il s’agit là d’une leçon universelle : quand elle veut, elle peut.

 

Bibliographie indicative :

Jean ZAY, Écrits de prison 1940-1944, Paris, Belin, 2014.
Jean ZAY, Souvenirs et Solitude, Paris, Belin, 2017.
Olivier LOUBES, Jean Zay, l’inconnu de la République, Paris,Armand Colin, 2012.
Antoine PROST, Jean Zay et la gauche du radicalisme, Paris, Presse de Sciences- Po, 2003.
Gérard BOULANGER, L’affaire Jean Zay, La République assassinée, Paris, Calmann-Lévy, 2003.

Cécilien GREGOIRE

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