La gauche entre régression néolibérale et obsession identitaire

La gauche entre régression néolibérale et obsession identitaire

Alors que des forces du NFP cherchent à convaincre le président de la République de nommer un Premier ministre de gauche, David Cayla propose une analyse dure mais lucide de la situation électorale après les législatives 2024. Entre une gauche prête à accompagner le néolibéralisme et l’autre qui ne jure que par les affects, une voie est possible.

Les élections législatives de juillet dernier peuvent être interprétées de deux manières. La première est de considérer qu’après les échecs de 2017 et 2022, la création du NFP et l’union des partis de gauche derrière un programme commun lui ont permis de devenir la première force politique représentée à l’Assemblée nationale. Ce serait une victoire à laquelle le Président aurait dû « se soumettre » en nommant un Premier ministre issu du NFP.

Cette interprétation du résultat des dernières législatives est pourtant contestable. En effet, la victoire de la gauche doit beaucoup à la stratégie du front républicain qui a mécaniquement affaibli la représentation du Rassemblement national. Pour avoir une vision plus juste du poids réel des partis de gauche dans l’opinion, il faudrait plutôt regarder les scores du premier tour et les comparer avec ceux des élections précédentes.

Figure 1 : Évolution des rapports de force politiques au premier tour des élections législatives depuis 1993 en % des bulletins exprimés

 

La Figure 1 met en évidence deux phénomènes majeurs. Le premier est l’extraordinaire croissance de l’extrême droite depuis l’accession d’Emmanuel Macron au pouvoir. Alors qu’ils plafonnaient aux alentours de 12 à 15% depuis 1993 – l’année 2007 faisant exception – les partis d’extrême droite ont plus que doublé leur score dans la période récente. Ils sont ainsi devenus la première force politique du pays, obtenant cinq points de plus que la gauche et deux points de plus que l’addition de la droite et des macronistes.

Le second phénomène frappant est l’effondrement électoral structurel de la gauche. En 1993, cette dernière avait subi une défaite historique alors que son score était bien meilleur que celui qu’elle obtient aujourd’hui. Certes, l’expansion du bloc central a mécaniquement affaibli son poids électoral. Mais la politique d’Emmanuel Macron s’est beaucoup déportée à droite depuis 2017. Pourtant, les partis de gauche en ont très peu profité puisque leur score en 2024 était pratiquement le même que celui de 2022… et à peine 2,22 points supérieurs à celui de 2017.

Outre le fait que les forces de gauche ne progressent pas sur le plan électoral, on peut observer trois autres phénomènes apparus lors des derniers scrutins. Premièrement, l’exercice du pouvoir a affaibli le bloc central macroniste sans le faire s’effondrer ; deuxièmement, la droite classique s’est faite progressivement cannibalisée par l’extrême droite et le bloc central sans disparaître pour autant ; enfin, l’extrême gauche a pratiquement disparu des scrutins.

 

 

Pourquoi la gauche échoue-t-elle ?

Le niveau électoral très faible de la gauche dans son ensemble et son absence de progression réelle depuis 2017 impose une certaine lucidité. Contrairement à ce qu’affirment ses responsables, le NFP n’a jamais été en mesure de prendre le pouvoir. Plus grave, la seule force politique qui profite d’être dans l’opposition est l’extrême droite.

Faire un tel constat d’échec impose de ne pas en faire porter la responsabilité sur des facteurs externes. Il est tentant, et d’une certaine façon légitime, de dénoncer le rôle ambigu de la presse et des réseaux sociaux dans la montée de l’extrême droite. C’est d’autant plus tentant que la France n’est pas isolée et que l’extrême droite progresse dans la plupart des pays du monde. Néanmoins, une vision trop mécanique du rôle des médias est assez vaine. Si Vincent Bolloré et son empire médiatique ont obtenu l’influence qu’ils ont aujourd’hui, ce n’est pas simplement grâce au talent de leurs journalistes et animateurs. C’est aussi parce que ces médias rencontrent une opinion qui est prête à les écouter et à adhérer à leurs messages, chose que la gauche parvient de moins en moins à faire.

Pourquoi échoue-t-elle à convaincre ? En premier lieu, parce qu’elle a déçu. À ce titre, on ne peut faire l’économie d’une analyse lucide du mandat catastrophique de François Hollande. Car cet échec n’est pas un accident. Il a été préparé par d’autres échecs, celui de Lionel Jospin, et ceux de François Mitterrand avant lui.

Pour comprendre pourquoi la gauche subit systématiquement une lourde défaite après avoir exercé le pouvoir, il convient de revenir au contenu des politiques menées et sur l’ambiguïté de son discours et de ses pratiques. Le NFP prétend incarner les classes populaires, mais la sociologie de son électorat n’a cessé de s’en éloigner. Celle-ci est aujourd’hui essentiellement composé des catégories moyennes déclassées et diplômées qui habitent dans les métropoles et les centres-villes. Si elle parvient à subsister dans certains quartiers populaires urbains, elle a totalement disparu des campagnes et des petites villes au profit de l’extrême droite. Longtemps présente dans le nord industriel, elle en est progressivement balayée. À ce titre, l’échec de Fabien Roussel et l’élection très difficile de François Ruffin en juillet dernier dans leurs circonscriptions respectives témoignent du fait que l’éviction de la gauche de ses bastions historiques se poursuit et que le décalage entre la gauche parlementaire et les populations qu’elle entend représenter s’approfondit.

 

 

Une gauche néolibérale dépassée

La gauche n’a pas fait fuir les ouvriers sans raison. Elle a, aux yeux de nombre d’entre eux, accompagné, si ce n’est activement participé, au démantèlement des infrastructures industrielles du pays. Les chiffres sont assez éloquents. La France est l’un des pays d’Europe qui s’est le plus désindustrialisé. Entre 2000 et 2023, son secteur manufacturier a perdu 22,5% de ses emplois. Or, cette évolution est en grande partie la conséquence d’une dynamique de spécialisation au sein de l’Union européenne. Les zones centrales situées près des ports de la Mer du Nord bénéficient d’un positionnement géographique privilégié qui leur permet d’attirer les usines et l’emploi, tandis que les zones géographiquement éloignées, telles que le Portugal (-26,5%), la Finlande (-24%), ou la Grèce (-17,5%) ont vu leur activité industrielle s’effondrer[1]. Cette dynamique de polarisation protège l’activité manufacturière des pays situés dans le cœur industriel de l’Europe tels que l’Allemagne (+0%) et les pays à bas coûts salariaux qui lui sont proches (Pologne +1,7%), mais est dévastatrice pour les pays qui en sont éloignés[2].

Pourquoi accuser la gauche de complicité ? Principalement parce que c’est elle qui est à l’origine des grandes décisions qui ont accéléré la désindustrialisation française. À ce titre, le « tournant de la rigueur » de 1983, mais surtout la mise en place du marché unique européen par Jacques Delors lorsqu’il était président de la Commission européenne (1985-1995) furent des étapes décisives dans la conversion de la gauche au néolibéralisme. Le marché unique organise un double processus de concurrence. En permettant la libre circulation interne du capital, il met les différents territoires européens en compétition directe les uns avec les autres pour attirer les investissements productifs et les emplois. En supprimant le contrôle des flux de capitaux vis-à-vis des pays tiers, une mesure imposée par les autorités allemandes à Delors,[3] il a fait entrer l’UE de plain-pied dans la mondialisation. Conjuguée à la disparition progressive des droits de douane, cette dernière décision a engendré l’accélération des délocalisations vers les pays à bas coût.

Avec l’instauration du marché unique et la création de l’euro, l’industrie française a donc été prise en tenaille entre la concurrence des pays en voie de développement et celle des autres pays européens disposants d’avantages géographiques spécifiques. Les grandes entreprises industrielles françaises, y compris Renault dans laquelle l’État disposait de participations, se sont développées à l’international en investissant massivement à l’étranger. Or, à aucun moment, les responsables de gauche n’ont contesté cette logique néolibérale. Lors du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen, la grande majorité des partis de gauche ont appelé au vote « oui ». Aujourd’hui encore, ils sont largement silencieux sur le contenu des projets de la Commission qui visent à renforcer la fluidité du Grand marché, en créant par exemple l’union des marchés de capitaux promettant de faire disparaître les régulations nationales de l’épargne et des marchés financiers. Tout cela contraste avec les déplorations opportunes d’un manque « d’Europe sociale » et la critique des paradis fiscaux. En effet, si certains pays européens maintiennent des salaires faibles et attirent les entreprises avec une fiscalité presque inexistante, c’est bien parce que la gauche a organisé le libre-échange et la libre circulation du capital. De fait, François Hollande n’a eu de cesse de dénoncer le protectionnisme comme « la pire des réponses »[4].

Le mandat Hollande est la conséquence de cette conversion au néolibéralisme. Partant du principe qu’il n’est pas possible de changer les règles européennes, la politique économique de la France s’est fourvoyée dans une vaine politique de l’offre visant à rendre son territoire plus attractif. Cette stratégie poussa les gouvernements Ayrault, puis Valls, à multiplier les cadeaux fiscaux aux entreprises et à engager la réforme du droit du travail, via la loi El-Khomri de 2016. Le « Pacte de responsabilité » de 2014, a ainsi engendré une baisse de 40 milliards des prélèvements sociaux et fiscaux au profit des entreprises.

En renonçant à agir sur le cadre dans lequel l’économie français est enferrée, une partie de la gauche française a annoncé la politique économique que poursuivra Emmanuel Macron. Le pire est que non seulement cette stratégie n’a pas permis d’enrayer la désindustrialisation, mais elle a tari les recettes fiscales, contraignant l’État à raboter ses dépenses, notamment celles qui permettent de faire fonctionner les services publics.

 

 

L’impasse de la gauche identitaire

Face à l’échec de la gauche néolibérale, une autre gauche s’est levée en déployant un discours plus radical que celui porté par une social-démocratie discréditée. Incarnée par Jean-Luc Mélenchon lors de la campagne de 2017, cette gauche s’est d’abord montrée critique vis-à-vis des institutions européennes, puis son discours s’est infléchi en adoptant une rhétorique plus englobante inspirée des travaux de la philosophe Chantal Mouffe[5]. Le point principal de la proposition de Mouffe, le « populisme de gauche », est d’abandonner la lutte des classes comme axe central de l’action politique au profit d’une stratégie d’agrégation de luttes censées mieux refléter les préoccupations de la jeunesse et des classes urbaines : les combats sociétaux et féministes, l’antiracisme, l’écologie, la condition animale…

Un autre aspect de cette stratégie est qu’elle part du principe que le néolibéralisme est en crise et que la priorité ne doit donc pas être d’engager un combat contre lui mais contre l’autre force concurrente, le « populisme de droite ». « Dans les années à venir, j’en suis persuadée, c’est entre populisme de droite et populisme de gauche que passera l’axe central du conflit politique, écrit Chantal Mouffe dans l’introduction de son ouvrage. Aussi, c’est en construisant un ‘‘peuple’’ et en mobilisant les affects communs pour faire naître une volonté commune d’égalité et de justice sociale que l’on pourra combattre efficacement les politiques xénophobes défendues par les partis populistes de droite ».

Comment, concrètement, « construire un peuple » ? Pour Mouffe, cela passe par la mobilisation des affects et par un tribun dont le charisme peut transcender les contradictions qui traversent les mobilisations militantes. Cette mobilisation des affects implique de déplacer le combat politique du terrain de l’argumentation rationnelle vers celui des principes moraux et des valeurs culturelles. Il faudrait ainsi mettre en avant la « bataille culturelle », chère à Antonio Gramsci, au détriment de la « bataille des idées ». Le problème est que lorsqu’on entend se battre sur le front culturel, on ne cherche plus à convaincre mais à se placer sur le terrain des valeurs. Une illustration de cette stratégie a été donnée lors de l’élection européenne de juin 2024. En affichant un soutien indéfectible à la cause palestinienne, la France insoumise ne s’est pas engagée sur le champ de l’argumentation, mais sur celui des affects et des valeurs. De fait, il n’y avait guère de propositions crédibles pour mettre fin au conflit à Gaza dans le programme proposé par LFI.

Parce qu’elle met l’accent sur les questions culturelles, cette gauche peine à développer un véritable discours économique et donc à combattre le néolibéralisme. Le plus souvent, elle ne propose pas de mesures précises visant à agir sur les structures de l’économie, mais entend mettre l’État au service d’un vaste programme de redistribution : taxer les riches et les grandes entreprises au profit des jeunes et des classes populaires. Le paradoxe est que si ce discours répond aux attentes des populations les plus défavorisées, il s’avère en profond décalage avec les angoisses des milieux ouvriers qui subissent la concurrence intra- et extra-européenne et craignent pour leur emploi.

Comment qualifier cette gauche ? Elle est, au fond, « identitaire » au sens où elle entend rassembler ses partisans et ses militants derrière des combats d’identité. Ainsi, à l’instar du site créé par Théo Delemazure, elle est prompte à labéliser des postures ou des politiques comme étant « de droite » ou « de gauche », comme si la question la plus importante n’était pas celle de savoir si une mesure est pertinente ou non, si elle participe à la construction d’un projet de société cohérent et désirable, mais si elle peut ou non être rangée dans le camp de ce qui constitue culturellement la gauche.

En fin de compte, le choix proposé aujourd’hui aux électeurs par les partis de gauche se décline en deux grands menus : le premier est celui de la gauche gestionnaire, héritière un peu honteuse des années hollande et qui est persuadée qu’on ne peut agir qu’à la marge sur les structures de l’économie. Elle entend gérer au mieux les contradictions du capitalisme néolibéral sans le remettre en question. Le second menu est celui concocté par la France insoumise et les mouvements qui incarnent les luttes écologiques et sociétales. Cette gauche-là prétend reconstruire la société à partir de combats culturels et de valeurs, mais sans s’intéresser au fonctionnement de l’économie contemporaine et aux contraintes qu’elle impose à l’exercice du pouvoir.

Malheureusement, on ne peut que faire le constat que ces deux menus peinent à convaincre et n’empêchent pas la progression électorale de l’extrême droite. Il faudrait donc inventer une troisième gauche, centrée sur les questions productives et économiques, et qui parvienne à s’adresser aux électeurs des classes populaires qui sont aujourd’hui tentés par l’abstention ou le vote RN. Cette gauche peine encore à émerger.

Références

[1] Sur les origines géographiques des phénomènes de polarisation industrielle lire : David Cayla (2019), « Crise de l’euro et divergences économiques : les conséquences du marché unique pour l’unité européenne », en ligne.

[2] Source : Main-d’œuvre dans l’industrie – données annuelles, Eurostat. Consulté le 30/10/2024.

[3] Lire à ce sujet l’excellent livre de Rawi Abdelal Capital Rules: The Construction of Global Finance, Harvard University Press, 2007, pages 10 et 11.

[4] « Le protectionnisme, « pire des réponses », dit Hollande au Chili », Reuters, 22/01/2017, un propos à nouveau martelé un mois plus tard à Belfort.

[5] Chantal Mouffe, Pour un populisme de gauche, Albin Michel, 2018.

 

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

A lire aussi…

Lire aussi...

La grande farce des responsabilités

La grande farce des responsabilités

Dans le calme de la fin de semaine, je me suis interrogé : quelque observateur attentif du train-train politique français aurait-il fait le compte, du nombre de fois ces derniers jours, que le mot responsabilité a été prononcé, revendiqué, rejeté ? Bafoué en réalité, ce mot plein de sens, en a été vidé.

Rappelons clairement de quoi on parle. La responsabilité, du latin respondere : répondre, est l’obligation qu’a une personne de répondre de ses actes, de les assumer, d’en supporter les conséquences du fait de sa charge, de sa position. Au risque d’insister : la responsabilité n’est donc pas une faculté, il s’agit d’une obligation. Quelle qu’en soit la nature, juridique, morale voire politique, la responsabilité engage ceux qui décident de l’endosser, elle les oblige. C’est une évidence sans doute. Mais ça va mieux en le disant.

Aussi, ce début de mois décembre m’est apparu comme une grande farce. La grande farce des responsabilités, telle une mauvaise pièce de théâtre mettant en scène une compagnie en déroute, inconsciente de ce que les gradins se sont progressivement, et impitoyablement vidés. Si seulement ce n’était qu’une farce. La réalité, c’est que cette mauvaise pièce n’est rien d’autre que l’actualité politique française. Que la compagnie en déroute représente l’essentiel du personnel politique de ce pays. Que c’est nous enfin, spectateurs effarés et égarés, qui avons quitté la salle.

Pour la deuxième fois dans l’histoire de la Ve République, un gouvernement a été censuré. Un évènement historique qui aura essentiellement, à mes yeux, cristallisé et révélé un très fort climat d’irresponsabilité. Celle je crois du Premier ministre Barnier qui, malgré sa volonté sans doute authentique de servir, s’est doublement fourvoyé. D’abord en croyant pouvoir négocier avec l’extrême droite, indifférente à toute autre considération que sa seule ascension vers le pouvoir, et en contradiction flagrante avec la logique du front républicain ayant présidé aux dernières élections législatives. Ensuite, en participant à la mascarade démocratique consistant à ostraciser le Nouveau Front populaire et l’ensemble de ses revendications, bloc politique pourtant arrivé en tête de ces élections – faut-il le rappeler ?

Celle de la droite plus largement, dénaturée par un courant dont l’égarement idéologique n’est un secret pour personne. Pour cette droite, s’il est désormais de bon ton de légiférer sous la tutelle du Rassemblement national, la perspective de s’exercer au compromis avec ne serait-ce que le Parti socialiste est une « ligne rouge ». Comprenez, c’est une question de responsabilité. Et que dire de La France insoumise qui, non contente de refuser elle aussi tout compromis – alors même qu’après avoir fait tomber le gouvernement Barnier, désormais, tout l’y oblige – défend encore son projet absurde de destitution du président de la République[1].

Si la France n’a aucun intérêt à voir son président destitué, Emmanuel Macron pour sa part, a tout intérêt à faire un sérieux examen de conscience. Dans sa dernière allocution télévisée, le président constatait lucidement que « certains sont tentés de [le] rendre responsable de cette situation ». Drôle d’idée ! Il semblerait surtout que nombreux sont ceux qui n’ont pas oublié sa responsabilité dans une décision en particulier, « cette décision [qui] n’a pas été comprise » selon sa formule, teintée soit dit en passant d’un paternalisme insolent. Depuis le 9 juin 2024 au soir et la dissolution de l’Assemblée nationale décidée dans une solitude absolument vertigineuse, il se trouve que l’endettement s’est envolé et le Parlement divisé comme jamais. Le tout dans un contexte européen et international dans lequel la France ne peut d’aucune façon se payer le luxe de rester à l’écart.

Aussi, le jeu dangereux, ayant consisté ces derniers temps pour les dirigeants et élus de ce pays, dans le rejet et renvoi systématique de leurs responsabilités n’a que trop duré. Cette grande farce doit désormais cesser. Le président de la République, au premier chef comptable à la Nation de la crise majeure que nous traversons, doit donner l’exemple. Or un début judicieux, serait d’enfin se plier aux principes démocratiques en tenant compte des derniers suffrages exprimés. Ceux-ci commandent le compromis. Non pas en postures et discours, mais en actes. L’amorce d’un changement pourrait se dégager des actuelles rencontres entre l’Élysée et les partis de gauche ayant accepté de s’y présenter.

Du moins, on doit l’espérer, car il y va de leur responsabilité.

Références

[1] Sur le détail de cette procédure voir : https://www.leclubdesjuristes.com/politique/article-68-la-procedure-de-destitution-du-president-de-la-republique-comment-ca-marche-6800/.

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

A lire aussi…

Lire aussi...

Mayotte, la grande oubliée de la République

Mayotte, la grande oubliée de la République

Mayotte, département d’Outre-mer français, est aujourd’hui confrontée à l’une des pires crises de son histoire depuis l’obtention, par référendum, de son statut de département de plein-droit le 31 mars 2011.

L’archipel souffre d’un sous-investissement en infrastructures et services publics, accentuant les crises. Dès lors, les différents gouvernements tentent, par petites annonces, de répondre au cas par cas aux demandes des élus locaux, sans pour autant définir un cap et une vision pour ce territoire. Les mahoraises et les mahorais sont, de fait, exclus de la communauté nationale. Se pose alors la question de l’intégration de ce territoire au sein de la République et de la réelle volonté de l’État d’en faire une partie intégrante de la communauté de destins de notre pays.

 

À cela s’ajoute le défi de l’immigration, dont est issue 50% de la population. Mayotte se situe à environ 70 km par la mer de l’île comorienne d’Anjouan, et ce court passage maritime est traversé par des embarcations de fortune. Ces traversées dangereuses sont fréquentes malgré les risques d’accidents et de naufrages. La moitié de la population totale de Mayotte est estimée être d’origine étrangère, principalement comorienne. Ces flux migratoires, combinés à une croissance démographique importante, mettent sous pression les infrastructures locales, notamment les services de santé et d’éducation, et posent des défis sociaux et économiques majeurs pour l’île.

 

Mayotte est le département le plus pauvre de France, avec un PIB par habitant bien inférieur à celui de la métropole ou même d’autres départements d’outre-mer. Le chômage, notamment chez les jeunes, y est très élevé (37% de la population active !), et 75% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, c’est cinq fois plus que dans l’Hexagone. Cette situation économique difficile renforce le sentiment d’exclusion et d’inégalité, car les Mahorais perçoivent un fossé entre leur niveau de vie et celui des autres départements français.

 

L’archipel est soumis à des régimes juridiques et sociaux particuliers qui diffèrent du droit français appliqué dans l’Hexagone. Les droits sociaux, comme les allocations familiales ou les retraites, sont moins élevés qu’en métropole et les lois françaises y sont appliquées progressivement, avec des retards. Par exemple, l’application du Code civil et du Code de la Sécurité sociale y est partielle, ce qui crée un sentiment d’inégalité. Le droit local, inspiré des coutumes religieuses parfois archaïques, persiste également, même s’il a été restreint pour s’aligner davantage avec le droit français.

 

Depuis 2016, Mayotte fait face à une grave pénurie en eau, l’île étant particulièrement soumise aux aléas climatiques, notamment aux pluies qui permettent de régénérer l’eau en surface. Mais l’île fait aussi face aux sous-investissements de son réseau de distribution en eau et à l’augmentation de la consommation qui accentue les difficultés. Par ailleurs, les infrastructures d’eau potable sont vieillissantes et ne couvrent pas tous les besoins de la population. Les installations de traitement de l’eau et les réservoirs de stockage sont souvent insuffisants. De plus, des pertes importantes d’eau sont causées par des fuites dans le réseau de distribution, aggravant la pénurie.

 

Face à la crise de l’eau, des mesures temporaires, comme la distribution de bouteilles d’eau ou la mise en place de points d’eau, ont été mises en place. Les autorités locales et nationales envisagent des projets à long terme, tels que le renforcement des infrastructures de distribution, l’augmentation des capacités de stockage et le développement de solutions de dessalement de l’eau de mer. Cependant, ces solutions nécessitent des investissements conséquents – que le gouvernement français ne semble pas réaliser, qui ne pourront pas résoudre immédiatement la situation actuelle.

Cette crise ne s’arrête pas à la problématique de l’eau potable. Tous les services publics souffrent. Les écoles sont saturées, les hôpitaux sont sous-équipés et le réseau de transport est quasi inexistant. Cela ne fait que renforcer le sentiment d’exclusion ressenti par les Mahorais, qui se considèrent comme des citoyens de seconde zone.

L’éducation est l’immense défi pour l’avenir de Mayotte. Le sous-effectif d’enseignants est un problème majeur. Mayotte a du mal à recruter et à retenir des enseignants qualifiés, en partie en raison de l’éloignement et des conditions de travail difficiles. Les enseignants affectés à Mayotte viennent souvent en mission temporaire et repartent au bout de quelques années, ce qui entraîne une forte rotation du personnel. Cette instabilité ne permet pas d’assurer un suivi pédagogique stable pour les élèves.

A cette situation s’ajoute l’état catastrophique des infrastructures scolaires. Beaucoup d’écoles manquent d’aménagements indispensables : certaines salles de classe sont des bâtiments précaires, souvent insalubres, sans climatisation, et mal adaptées aux besoins des élèves et des enseignants. Les écoles manquent aussi d’équipements pédagogiques essentiels, comme des manuels scolaires, des équipements informatiques et du matériel pour les activités sportives et culturelles.

Le manque d’infrastructures pousse également certaines écoles à pratiquer le système de rotation, où les élèves alternent entre le matin et l’après-midi pour permettre à tous d’accéder aux cours. Cette situation est une rupture d’égalité inadmissible avec les écoliers de l’Hexagone. Améliorer la situation des écoles à Mayotte est crucial pour le développement de l’île et pour offrir aux jeunes Mahorais les mêmes chances de réussite que les autres enfants français. Des actions fortes et une réelle volonté politique de la part de l’État sont indispensables pour améliorer les infrastructures, recruter et stabiliser les enseignants.

L’accès à la santé – droit fondamental et pilier essentiel de notre République – est lui aussi mis à mal à Mayotte. Le département qui ne dispose que d’un seul hôpital public, le CHM de Mamoudzou, manque de services spécialisés. Le personnel hospitalier est très insuffisant. Beaucoup de praticiens sont à Mayotte en contrat temporaire – situation qui met à mal la continuité des soins pour les Mahorais. Les patients doivent parfois être transportés vers la Réunion ou l’Hexagone, déclenchant un coût considérable pour les familles.

Avec un taux de natalité parmi les plus élevés de France, la demande en soins maternels et pédiatriques est considérable. Le CHM doit gérer un grand nombre d’accouchements avec un effectif souvent limité, et les suivis postnataux sont parfois inadéquats. Les services de néonatologie sont régulièrement débordés, mettant en danger la santé des nouveau-nés.

Mayotte est dans une situation sanitaire et sociale catastrophique et l’État regarde ailleurs. Où est la promesse républicaine d’égalité ? Accepterions-nous une telle situation au sein d’un autre département ?

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

A lire aussi…

Lire aussi...

Contrainte ou consentement, quelques réflexions sur la définition pénale du viol

Contrainte ou consentement, quelques réflexions sur la définition pénale du viol

Ce 25 novembre, et 25e journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, est l’occasion de revenir sur l’opposition entre la France et l’Union européenne en matière de criminalisation du viol.

Dès la fin de l’année 2023, lors des négociations autour de l’adoption de la directive européenne sur la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique, la définition pénale française du viol a fait débat. La transcription dans le débat public de cette question a toutefois entrainé une simplification exacerbée des enjeux, de sorte qu’en préalable, il est nécessaire de revenir sur plusieurs points.

En premier lieu : non, l’opposition de la diplomatie française à la définition du viol posée par la directive ne signifiait pas que la France est opposée à la criminalisation du viol.

L’inadaptation relative du droit à la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes et à la protection des droits des femmes est une des manifestations de la domination masculine. On peut ici, en veillant à ne pas verser dans l’anachronisme, citer le code civil de 1804, faisant de l’épouse l’éternelle mineure de son époux, qui se traduit encore aujourd’hui par la persistance de la notion de bon père de famille dans les pratiques juridiques, ou encore de l’utilisation de la communauté de vie pour déduire un devoir conjugal permettant le prononcé de divorce aux torts exclusifs de l’épouse en cas de refus prolongé de relations sexuelles[1]  ; mais nous pouvons aussi mentionner la pénalisation de l’avortement jusqu’en 1975, les inégalités patrimoniales favorisées par les stratégies notariales autour des successions, ou encore la – trop – récente criminalisation du viol, conjuguée au phénomène de la correctionnalisation.

Pour autant, en France, et grâce au militantisme acharné de Gisèle Halimi et du mouvement féministe, le viol est bien un crime, prévu par les articles 222-23 et s. du code pénal. Il est assorti de circonstances aggravantes, limitativement énumérées, prenant en particulier en considération la vulnérabilité de la victime, le sexe, et l’âge.

Lorsque la diplomatie française s’oppose à l’article 5 de la directive relative à la criminalisation du viol, elle ne rejette pas la criminalisation du viol mais bien l’insertion du viol dans la catégorie des euro-crimes, relevant de la compétence de l’Union européenne. Sans verser ici dans un exposé plus complet de droit européen, il est utile de préciser que la compétence de l’Union européenne est fondée sur la subsidiarité, c’est-à-dire sur le choix du niveau le plus efficace pour agir. 

Ajoutons aussi que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme impose aux États parties de criminaliser le viol et de mettre en œuvre les moyens adéquats pour poursuivre les auteurs de violences sexuelles et prévenir la réitération de ces violences, et ce y compris si cela requiert des investigations transfrontalières. 

En conclusion, il apparait que la diplomatie française manifestait davantage une opposition à l’insertion du viol dans la catégorie des eurocrimes. La définition de la directive axée sur le consentement a également fait naître des réserves. La définition française du viol est-elle incompatible avec la prise en compte du consentement ?


Le consentement, quid ?

En droit, le consentement est une notion avant tout civiliste. Il s’agit, dans une relation d’égalité entre des particuliers, de protéger l’intégrité du consentement de chaque partie dans les actes juridiques qui naissent de leurs rapports. Lorsque le consentement est vicié, l’acte juridique est considéré comme nul et non avenu. L’approche est bien celle du droit civil fondée sur l’égalité des individus : le code civil cherche à garantir cette égalité et prévoit des mécanismes permettant de protéger la partie faible, notamment afin de s’assurer de son consentement. 

En droit pénal, l’approche est radicalement différente. Le droit pénal n’oppose pas la victime à l’auteur d’une infraction : elle oppose le ministère public, c’est-à-dire l’ensemble de la société, à celui ou celle qui commet une contravention, un délit ou un crime. Il s’agit de réparer le trouble à l’ordre public qui en découle et de protéger la société de la réitération. Il s’agit aussi de garantir la sécurité de chacun et chacune en pénalisant les comportements antisociaux, intentionnellement préjudiciables. 

Dans cette approche, la victime est partie civile, c’est-à-dire qu’elle est tierce à la procédure. Elle n’est pas positionnée sur le même plan que l’auteur ou que le ministère public. Procéduralement, l’égalité n’est pas possible. En revanche, il est tout à fait loisible à la victime de poursuivre également au civil l’auteur afin d’obtenir réparation de son préjudice. 

Ajoutons à ceci que commettre une infraction pénale requiert trois éléments cumulatifs : un élément légal (la pénalisation), un élément matériel (la commission) et un élément intentionnel (la volonté). Il en résulte que l’infraction pénale est fondée sur le comportement de l’auteur. Pas de la victime. 

A cet égard, le premier alinéa de l’article 36 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d’Istanbul, dispose que les Parties contractantes ont l’obligation d’ériger en infraction pénale la commission intentionnelle de violences sexuelles, y compris et spécifiquement le viol, constitué lorsqu’il y a pénétration non consentie.

Trois éléments sont donc mis en exergue par l’article 36 : la nécessité de pénaliser le viol et les violences sexuelles, la dimension intentionnelle de l’infraction s’agissant du comportement de l’auteur, et la qualification du viol et des violences sexuelles par le non-consentement. Il est précisé ensuite que « le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes. ».

La lettre de la convention d’Istanbul encadre la définition du consentement, considérant qu’il doit être donné positivement et qu’il est évalué en fonction du contexte. Une telle rédaction ne limite donc pas le consentement à l’expression d’un accord libre, en appréhendant également la manifestation du consentement ou de son absence par l’examen des circonstances. 


La définition pénale du viol – contrainte, violence, menace ou surprise – n’exclut pas en soi l’examen du consentement

En droit français, le viol est le crime par lequel son auteur pénètre ou tente de pénétrer la victime, par contrainte, violence, menace ou surprise. Contrainte, violence, menace ou surprise : les quatre critères constitutifs recouvrent un champ large. Aucun d’entre eux n’est limité à la commission de violences physiques : la violence peut être psychologique, la contrainte peut être morale, la menace désigne par définition la mise en œuvre d’une coercition par l’usage de procédés faisant craindre un péril pour la victime ou ses proches. Enfin, la surprise peut être caractérisée notamment quand la victime ne peut consentir à la pénétration qui lui est imposée, qu’elle soit ou non d’ailleurs en état de sidération ou de dissociation traumatique. 

Parmi ces critères, la contrainte et la surprise peuvent permettre, en l’absence de violences physiques, de prendre en compte l’absence de consentement de la victime, et ce même si le mot consentement n’apparaît pas nommément. Il pourrait être utile de compléter la définition de la contrainte par l’adjonction de l’environnement coercitif : toutefois, dans leur office, les juges du fond sont déjà libres de soulever la coercition. 

En clair : il ne s’agit pas ici de dire que la définition pénale du viol ne requiert pas d’améliorations. Toutefois, il est inexact juridiquement d’affirmer que l’interprétation du viol exclut le consentement. De même, il n’y avait pas d’incompatibilité irréductible entre l’article 5 de la directive définissant le viol par l’absence de consentement et la définition française du viol : sinon, comment la France aurait-elle pu ratifier la Convention d’Istanbul sans que n’en découlent les modifications législatives adéquates ?

La loi peut beaucoup, mais elle ne peut pas tout. Dans sa mise en œuvre, l’intention du législateur et la jurisprudence permettent également d’en dessiner les contours. Et dans leur office, les juges utilisent déjà la notion de consentement lorsqu’ils ont à se prononcer sur des violences sexuelles et sur des viols. Ils et elles ne le font d’ailleurs pas toujours en faveur des victimes, dans un contentieux souvent réduit à la peau de chagrin des paroles des victimes contre les dénégations des auteurs, où les preuves sont souvent trop rares. Dans un contentieux massif, où les moyens manquent cruellement. Dans un contentieux qui s’étire infiniment dans le temps pour de trop nombreuses victimes.


Ne faisons pas de la définition pénale du viol l’alpha et l’oméga de la prise en charge défaillante des victimes : la responsabilité du service public de la justice

Nul.le ne prétend, et encore moins les militant.e.s féministes, que le viol est poursuivi et condamné à la hauteur de ce que les hommes infligent aux femmes, à la hauteur de la négation de leur humanité, à la hauteur de la douleur et des traumatismes qui en résultent.

Toutes les victimes de viol n’ont pas accès à la justice, loin s’en faut, soit parce qu’elles ne la saisissent pas, soit parce que leur plainte est classée sans suite, soit parce que le viol infligé est correctionnalisé.

C’est d’ailleurs pour cette raison que les délais de prescription ont été allongés. De surcroît, l’engorgement de la justice a abouti à la mise en place des Cours criminelles départementales. Généralisées le 1er janvier 2023, les Cours criminelles départementales constituent une juridiction destinée de facto au contentieux des violences sexuelles et en particulier du viol. Elles ont été installées afin de mettre un frein à la pratique des correctionnalisations, et dans l’objectif affiché de réduire les délais de jugement.

A ce sujet, plusieurs points soulèvent des questions qui mériteraient de figurer davantage dans le débat public eu égard à l’impact qu’elles produisent déjà sur les affaires et en conséquence sur les victimes.

Premièrement, l’obligation de formation des magistrats au contentieux des violences sexuelles et à la prise en charge des victimes a été instaurée par la loi en 2014. Or, les juges des cours criminelles départementales sont pour l’essentiel des magistrats et avocats honoraires (à la retraite), qui n’ont donc pas bénéficié d’une telle formation dans leur formation initiale. Ils n’ont pas plus été formés spécifiquement au contentieux des violences sexuelles, alors même que la poursuite des auteurs présumés de viol constitue l’immense majorité du contentieux des cours criminelles départementales.

En second lieu, il n’est pas certain que les cours criminelles départementales répondent à l’impératif de pédagogie nécessaire dans la lutte contre les violences sexuelles et la prévention de la récidive, alors même que le temps consacré à l’audience est réduit au moins de moitié par rapport aux cours d’assises.

En troisième lieu, les délais croissants d’audiencement s’approchent de plus en plus de ceux en vigueur pour les viols jugés aux Assises, à rebours des engagements pris lors du lancement de l’expérimentation ayant mené à la généralisation.

Notre service public de la justice a la responsabilité immense d’une part de répondre aux attentes que placent entre ses mains les victimes de violences sexuelles ; et d’autre part de protéger la société en condamnant les auteurs. Or, il n’est pas à la hauteur. Les ressources ne suivent pas.

Face à un contentieux aussi massif, face aux multiples manifestations de la haine des hommes, face au continuum des violences patriarcales, il n’y a pas assez d’effectifs de police, il n’y a pas assez de moyens dédiés à la lutte contre les violences sexuelles en général et à la poursuite et à l’investigation en particulier, il n’y a pas assez de juges d’instruction, il n’y a pas assez d’audiences, il n’y a pas assez non plus de place en détention provisoire ni dans les centres pénitentiaires. Et il n’y a pas que des « pas assez », il y a aussi des « trop » : trop de viols bien sûr, mais aussi trop de confrontations directes imposées comme seule méthode d’enquête, trop de classements sans suite, trop de non-lieux, trop de temps qui passe entre le viol, le signalement et le point final de la procédure.


Ces « pas assez », ces « trop », il ne faut pas y consentir. Et parce que nous n’y consentons pas, nous ne voulons pas que le débat sur le consentement masque la responsabilité immense des pouvoirs publics s’agissant de la protection insuffisante des femmes et des enfants face au viol. 

Nous ne voulons pas que les classements sans suite se trouvent excusés ou justifiés par l’absence du mot consentement dans la définition pénale du viol, alors que les professionnel.le.s de la justice disposent de tous les outils législatifs nécessaires pour condamner les violeurs à la hauteur de ce qu’ils infligent à leurs victimes.

Nous ne voulons pas que les victimes de viol aient le moindre doute sur la réalité des violences subies, qu’elles aient ou non dit « non ». Parce que nous les croyons.

Dès lors, au-delà du débat autour de l’insertion du mot « consentement » à l’article 222-23 du code pénal, il semble pertinent de réfléchir de manière rigoureuse à la place de la victime dans le procès pénal. C’est d’ailleurs ce que la Fondation des Femmes et de nombreuses associations féministes invitent le gouvernement et les parlementaires à faire dans le cadre de son plaidoyer pour une loi-cadre intégrale visant à lutter contre les violences sexuelles.

Les leviers sont nombreux : actes d’enquête dans un délai d’un mois après le dépôt de plainte, motivation suffisante des classements sans suite, information régulière des victimes et de leurs avocats tout au long de la procédure, y compris en post-sentenciel, garantie de l’éloignement de leur agresseur présumé pendant la procédure, protection effective contre les menaces susceptibles d’être proférées par l’entourage du mis en cause, enregistrement audiovisuel de la plainte afin d’éviter d’avoir à revivre le récit du viol, ouverture du droit d’appel à la partie civile, extension du principe de prescription glissante aux victimes majeures, possibilité du cumul des circonstances aggravantes, amélioration du régime desdites circonstances avec l’ajout du guet-apens et de la soumission chimique, etc.

Finalement, il semble que le débat sur le consentement procède d’une crainte : celle que la volonté et la parole des femmes soient ignorées et méprisées par la justice. 

Cette crainte trouve d’ailleurs son origine – voire sa confirmation – à travers les statistiques de condamnation des auteurs de violences sexuelles. Or, ne procède-t-elle pas avant tout de la place secondaire laissée à la victime dans le cadre du procès pénal ? Du coût de la justice ? Des multiples entraves sur le chemin de la dénonciation des violences ?

Alors, ne faisons pas à un mot le procès du viol. Faisons du service public de la justice le fer de lance contre l’impunité des agresseurs.

Références

[1] Cela est d’autant plus paradoxal que ces décisions sont incohérentes avec le droit pénal. Une telle distorsion s’explique peut-être par le caractère relativement récent de la criminalisation du viol par conjoint (2006) et de la reconnaissance de la conjugalité comme circonstance aggravante (2010).

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

A lire aussi…

Lire aussi...

« Favoriser la mixite sociale et scolaire » Entretien avec la sénatrice Colombe Brossel

« Favoriser la mixite sociale et scolaire » Entretien avec la sénatrice Colombe Brossel

Autrice d’une proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire, Colombe Brossel l’a présentée et défendue au Sénat. Si le texte a été rejeté par la droite sénatoriale, reste que son combat doit être entendu face à une dynamique de plus en plus criante : la ségrégation de l’école, publique mais surtout privée.

LTR : Jusqu’il y a quelques années, le ministère de l’Education nationale refusait de rendre publiques l’IPS, indice de position sociale, des collèges et écoles. En juillet 2022, le tribunal administratif de Paris l’a enjoint à fournir ces documents à un journaliste qui les lui demandait. Ce fut finalement chose faite en octobre 2022. On y découvre qu’au collège, les inégalités sont criantes à la fois entre les établissements publics et privés, mais également entre les établissements publics. Est-ce à partir de ce constat que vous avez décidé de déposer votre proposition de loi ?

 

CB: Vous faites bien de le rappeler, la publication des IPS n’a pas été une volonté totalement manifeste du ministère de l’Éducation Nationale puisqu’il a fallu un jugement du tribunal administratif sur le sujet. Cette publication a eu un mérite : illustrer ce que l’on savait toutes et tous comme élu.es de nos territoires, soit de façon très instinctive, soit de façon plus étayée. Moi par exemple, j’ai été adjointe aux affaires scolaires à Paris, donc j’avais déjà une bonne visibilité des différences qui pouvaient exister d’un collège à un autre. Mais là, ça a eu le mérité d’objectiver la situation nationale, avec un indicateur qui, certes n’est pas parfait, mais a le mérite d’exister. La publication des IPS a mis en lumière une chose : les phénomènes de ségrégation ne sont pas exclusivement parisiens et ne concernent pas que les grandes métropoles, mais toute la France.

La PPL est donc en effet la fille de la publication des IPS, car finalement, elle part de ce constat objectif et objectivé, mais aussi de toutes les politiques publiques qui sont mises en place par les collectivités territoriales pour favoriser la mixité sociale et scolaire. La PPL revient à se demander comment donner des outils à l’ensemble des élus locaux pour mettre en œuvre des politiques publiques à l’échelle de leur territoire.

 

LTR : La situation est surtout catastrophique entre les écoles privées et publiques. Car si d’importantes disparités existent aussi dans le public, en 2021, 18,3% des élèves du secteur privé sous contrat étaient de milieu défavorisé contre 42,6% des élèves du secteur public. Comme vous l’avez précisé dans votre intervention au Sénat, la situation empire d’année en année. 

Le sujet est double : l’objectivation et les dynamiques. Ce sont deux sujets qui accroissent les inégalités et la ségrégation. Après, je reste fermement persuadée qu’on ne peut pas travailler sur les questions de mixité sociale et scolaire sans, au préalable, 1. S’occuper de mixité sociale et scolaire – il n’y en a pas un qui est le supplément d’âme de l’autre, c’est bien en travaillant sur les deux que l’on arrive en profondeur à travailler sur les résultats scolaires, mais aussi sur le climat scolaire, la capacité des enfants à vivre ensemble, à élargir leurs horizons – et 2. Se dire que ce n’est qu’une question de public ou de privé.

Je suis élue parisienne, je sais bien vous donner la liste des collèges publics qui sont à moins de 300m l’un de l’autre avec des IPS radicalement différents. Cela veut dire qu’il y a des dynamiques à enclencher pour rétablir de la mixité sociale et scolaire. Une fois que nous avons dit ça, on ne peut pas omettre la question de l’enseignement privé sous contrat qui, pour le coup, montre que si nous ne mettons pas un frein, il y aura dans 10 ans à Paris, plus d’élèves scolarisés dans les collèges privés que dans les collèges publics. Donc, à l’évidence, il faut travailler sur les deux leviers. C’est ce qu’on a proposé dans notre texte au Sénat.

 

LTR : Pour répondre aux critiques faites à la suite de la publication des IPS des établissements scolaires, le ministre Pap Ndiaye avait annoncé vouloir faire de la mixité sociale sa priorité. Il a en ce sens signé un protocole non-contraignant avec l’enseignement catholique. La ministre Anne Genetet l’a d’ailleurs rappelé lors de l’examen de votre proposition de loi. Pensez-vous que cela puisse avoir des effets conséquents ?

CB : Nous n’avons aucune nouvelle du protocole, à part voir défiler des ministres qui nous disent « on vous donnera des nouvelles de la mise en œuvre du protocole ». J’ai entendu Nicole Belloubet nous dire « ne vous inquiétez pas, on vous fera un point d’étape sur la mise en œuvre du protocole » bon, au revoir Nicole Belloubet, bonjour Anne Genetet qui nous a dit la même chose. Moi je suis comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois.

On est pour l’instant sur un protocole non-contraignant. J’ai entendu toutes les bonnes raisons qui ont été données, notamment par le secrétariat de l’enseignement catholique, sur le fait qu’ils avaient extrêmement envie de participer à l’effort national, mais que c’était très compliqué pour eux. Je pense fondamentalement que la question de la mixité sociale et scolaire n’est pas une question de contrainte, mais de politique publique. Faire de la politique publique, c’est mettre de la régulation. On voudrait nous expliquer qu’au nom de « il ne faut pas relancer la guerre scolaire », on est dans un système de concurrence libre et non-faussée. Or, cette concurrence n’est, ni libre, ni non-faussée. L’enseignement privé et sous contrat ne peut pas être exonéré de régulation et de règles.

 

LTR : Vous qui êtes élue du 19ème arrondissement, avez-vous un état des lieux de la mixité sociale et scolaire dans cet arrondissement ? Diffère-t-il des autres ? 

Pour rappel, en 2013 le ministre socialiste de l’Éducation nationale Vincent Peillon inscrit pour la première fois la notion de mixité sociale dans le code de l’éducation. A la fin du mandat de François Hollande, les premières expérimentations en matière de mixité sociale et scolaire voient le jour lorsque Najat Vallaud Belkacem devient ministre de l’Éducation Nationale. À l’époque, Paris est l’académie la plus ségréguée de France, donc c’est un sujet dont on ne pouvait pas s’exonérer. On décide de mettre en place dans 3 binômes d’établissements – 2 dans le 18e et 1 dans le 19e – une expérimentation de collèges multi-secteurs avec des modalités différentes. Dans le 18e on a un exemple un peu paroxystique avec des collèges très proches géographiquement et très ségrégués (de manières différentes), ou nous avons fait 1 seul et même secteur afin de mélanger tous les élèves. Ce n’était pas simple du tout à mettre en place, en particulier avec la communauté éducative, mais ça a produit des résultats, notamment scolaires.

Dans le 19e, on a une modalité un peu particulière puisqu’on rapproche dans un secteur commun 2 collèges d’une même rue, ils n’ont pas des écarts aussi importants que les collèges du 18e, mais on les met dans un secteur commun avec ce qu’on appelle le choix régulé : les parents émettent une préférence et un algorithme régule l’affectation. Là, nous n’avons pas une réduction notable d’écart entre ces collèges, en revanche nous faisons revenir, de fait, tous les élèves qui disparaissaient entre le CM2 et la 6e et qui n’arrivaient pas dans le collège public. C’est-à-dire, pour être transparente, ceux qui partaient dans le privé. Cette opération a pour vertu de faire cesser le contournement de la carte scolaire. Si après tout, la politique publique ne sert pas à ça, je ne sais pas à quoi elle sert. Elle redonne confiance dans le collège public de secteur.

À Paris, au-delà de ces dispositifs, on a continué, pas sous la forme de secteur multi-collèges, mais sur un travail sur la carte scolaire, y compris en intégrant les sectorisations en « tâche de léopard ». La sectorisation peut ne pas être un carré, il peut y avoir différentes poches qui ne sont pas collées les unes aux autres. Cela implique des investissements, notamment sur les transports. À Toulouse, quand ils détruisent le collège en cœur de quartier politique de la ville et qu’ils emmènent les gamins dans un collège de centre-ville, alors il y a une gratuité des transports scolaires qui est mise en œuvre.

 

LTR : Votre PPL entend garantir la mixité sociale en contraignant l’État à en contrôler l’effectivité dans les établissements publics et privés sous contrat. Mais, concrètement, aurait-il des moyens de sanction en cas de manquement à ces obligations ? 

CB : On commençait par une contrainte positive, c’est-à-dire qu’on rehaussait le niveau de la loi : dans le code de l’éducation, il est écrit depuis 2013 qu’il faut « veiller » à la mixité sociale et scolaire. Nous proposions dans la PPL de la « garantir », donc on change d’échelle. On déclinait dans le code de l’éducation toutes les obligations qui en découlaient et ce, à tous les échelons des collectivités territoriales.

Maintenant qu’on a évoqué la contrainte positive, il faut trouver les moyens de garantir cette mixité. Donc il faut se doter d’outils. C’est à partir de là qu’on a proposé de donner une base légale aux IPS et d’obliger à ce que ces informations soient transmises tous les ans aux différents élus et établissements concernés. Si demain, la ministre ou son administration décide qu’il n’y a plus de calcul des IPS, tout ça peut disparaître du jour au lendemain. Alors c’est bien d’avoir obtenu la publication par le tribunal administratif, mais si l’administration décide de ne plus objectiver ce sujet, alors il n’y a plus d’objectivation. C’est pour ça que ça nous semblait important de donner une base légale aux IPS, qu’elle ne se fonde pas uniquement sur une jurisprudence.

De la même façon, on proposait de donner une base légale à Affelnet, qui existe au niveau national. Si ça n’est pas dans la loi, si le ministère décide pour une raison ou une autre de revenir à tout autre chose, il n’y aura plus de dispositif d’affectation, y compris sa variante permettant d’intégrer des critères de mixité sociale et scolaire.

Il y avait aussi l’idée d’un moratoire de 3 ans qui interdisait de faire dans un même mouvement, une ouverture dans le privé sur un niveau donné, quand dans le même bassin de recrutement, était fermée une classe du même niveau dans le public, pour éviter les phénomènes de contournements et de mise en concurrence.

La 3e partie de la PPL était la plus polémique avec la droite sénatoriale, il s’agissait de considérer que la loi s’appliquait à tous, et que donc si loi existe et qu’on fournit les outils de politiques publiques, alors la loi doit s’appliquer au privé et l’on doit adosser le financement public considérable de l’enseignement privé sous contrat au respect de la loi.

 

LTR : Suite à la publication des IPS et à l’affaire Stanislas dernièrement, derrière la question du financement public des écoles privées (qui est à hauteur de 76%), se pose la question de la contrepartie que ces écoles sous contrat doivent à la République.

CB : Il y a bien sur la question du respect des valeurs de la République, d’autant plus depuis l’affaire Stanislas où un climat latent d’homophobie était révélé, ce qui n’est pas rien. Il y a aussi le respect des objectifs de mixité sociale et scolaire.

Un exemple : il y a quelques mois, nous avons reçu au Sénat le secrétaire général de l’enseignement catholique. Je l’ai interrogé sur le fait que le réseau des écoles catholiques privées sous contrat percevait une partie d’argent public dédiée à certaines politiques publiques comme celle de la réduction du nombre d’enfants par classe. On aboutissait à des résultats extrêmement divergents entre écoles publiques et privées. En Bretagne par exemple, tu avais une application à 90% dans le réseau des écoles publiques de cette politique, tandis que dans le privé, la différence était considérable.

Le secrétaire général de l’enseignement catholique m’a répondu « oui, mais il peut y avoir des écoles dans lesquelles finalement, il n’y a pas tellement d’intérêt à ce que l’on soit moins de 25 par classe ». Soit, mais dans ce cas-là, l’argent n’a pas à être perçu. Le rapport de la Cour des comptes montrait bien justement à quel point l’enseignement privé sous contrat est rarement contrôlé, que ce soit du point de vue administratif, financier ou du respect de l’allocation des moyens.

 

Depuis l’affaire Stanislas, ne faut-il pas relancer le débat sur la guerre scolaire, être plus radical dans l’énoncé de nos propos ? L’échec scolaire étant aujourd’hui l’un des vecteurs essentiels du vote RN, ne serait-ce pas un moyen de montrer que la gauche prend la question scolaire à bras le corps ?

Moi j’avais 7 ans en 1984, donc je n’ai défilé ni dans un sens, ni dans un autre. On est 2024 là, moi mon sujet c’est de faire de la politique en 2024, pas en 1984. Donc, on peut bien m’accuser sur tous les bancs de la droite de vouloir raviver la guerre scolaire, je me sens assez peu concernée par cette expression, car le sujet aujourd’hui c’est : « comment on arrive à faire en sorte que les gamins dans ce pays puissent grandir et apprendre ensemble ? ». Je ne sais pas si c’est radical ou pas, mais c’est en soit un projet de société qui mérite de se sortir les mains des poches, y compris dans le contexte que vous décrivez.

Il n’y a pas un parent de ce pays qui n’a pas envie de la réussite de ses enfants. En revanche, aujourd’hui, on est dans un pays où ce qui conditionne le plus la réussite scolaire, c’est l’origine sociale des parents. Par ailleurs, ce qui nous différencie de 1984, c’est que les écarts se creusent. Donc le sujet politique, c’est de réussir à stopper cette mécanique infernale. En plus, on a une chance folle : 15 années de science de l’éducation viennent étayer ce que l’on dit. Ce qui me rend le plus dingue dans les débats que l’on a, c’est qu’on se fait taxer de dogmatisme idéologique, alors qu’au contraire nous nous reposons sur des enquêtes scientifiques.

Des classes hétérogènes sont des classes qui font réussir tout le monde. Elles font mieux réussir ceux qui réussissaient moins bien, en gros les enfants scolairement et socialement les plus fragiles, issus des familles les plus défavorisées, et elles n’altèrent en rien la réussite de ceux qui réussissaient le mieux. C’est du gagnant-gagnant ! Ça produit en plus de ça, des compétences psycho-sociales pour tous.

Dans un pays où tu arriverais à faire progresser le niveau scolaire et à lutter contre les déterminismes sociaux pour une partie de la population, et par ailleurs à développer les compétences psychosociales de tous, normalement c’est un pays qui va bien. Certainement c’est radical si j’en vois la force des réactions à droite. Mais ça n’est jamais posé, peut-être parce que j’ai été adjointe en charge de l’éducation, ni comme un jugement de valeur, ni comme une volonté de rallumer la guerre scolaire. L’enseignement privé sous contrat, il existe. J’ai des camarades ou des amis qui considèrent qu’il faudrait rayer d’un trait de plume son existence. Je n’en fais pas partie. Il y a aujourd’hui plusieurs millions d’enfants qui y sont scolarisés.

En revanche la loi doit s’appliquer à tous et on ne peut pas avoir un système qui désavantage l’école publique. Ce n’est pas de l’idéologie, ce ne sont pas de grands mots, ça se fonde sur des enquêtes détaillées. Par exemple sur l’académie de Paris que je connais bien, on fermait une classe dans le public pour un delta de dix élèves, on la fermait dans le privé pour un delta de vingt-cinq élèves. Ça, ce n’est pas de la concurrence libre et non faussée.

Le financement public est un levier pour ça, parce qu’il est à hauteur de 76%. C’est pour cela qu’on demande une contrepartie à ce financement public. Des écarts qui se creusent, un enseignement privé qui quelque part se spécialise dans l’accueil des populations qui vont de toute façon réussir à l’école, cela tire tout l’enseignement public vers le bas. Pour autant, ça n’exonère pas de travailler sur la mixité au sein de l’enseignement public.

 

LTR : La Haute-Garonne a mis en place un dispositif innovant en remodelant la sectorisation, en intégrant des publics défavorisés et excentrés dans des secteurs du centre de Toulouse. Est-ce possible de le faire au niveau national ?

CB: Ce qui est passionnant dans l’expérience de la Haute-Garonne, c’est qu’au-delà de ce dont on a beaucoup parlé (la destruction de collèges en bas de tours, la reconstruction dans des espaces plus mixtes, les déplacements en bus des public défavorisés vers le centre), les politiques publiques ne se sont pas arrêtées là ! Tous les ans, la re-sectorisation est retravaillée, en utilisant de la sectorisation en tâche de léopard, en n’hésitant pas à casser des formes trop rectangulaires. Il y a l’élément fondateur mais derrière il y a aussi dix ans de travail. Résultat, aujourd’hui les résultats scolaires des élèves concernés sont meilleurs, et la mixité sociale et scolaire est largement améliorée.

C’est en ça que le travail est vraiment intéressant, c’est qu’au-delà de l’élément de départ qui forcément marque un peu les esprits, c’est la démarche dans la durée qui est absolument passionnante. Ils n’ont jamais rien lâché.

Il y a plein de villes, plein de départements qui font des choses : et ça fonctionne ! Pendant la construction de ma PPL on a rencontré plein de gens, et tous nous ont présenté des systèmes qui permettent davantage de mixité sociale et scolaire. L’objectif, c’est de pouvoir conforter ceux qui font des choses et donner des outils à ce qui n’en font pas encore pour le faire. Dans les paroles des élus de droite on nous a beaucoup accusés de centralisme, de dirigisme et de dogmatisme, alors que l’objectif de la PPL était clairement l’inverse : les solutions partent du terrain, il faut donner des outils au terrain pour que soient mises en œuvre des solutions.

Je ne pense malgré tout pas que nous n’aurions pas eu un débat comme ça il y a cinq ou dix ans. Pas un seul élu de droite n’a contesté le constat, à savoir l’accroissement des inégalités sociales à l’école. Tous ont commencé leur propos par « oui, il y a un problème ». La grande vertu de la publication des IPS, c’est qu’on ne peut plus contester la réalité, nier le sujet de l’accroissement de la ségrégation. Quand Gabriel Attal est devenu ministre de l’Éducation nationale en 2023, il avait balayé nos questions sur la mixité sociale à l’école en disant « circulez y a rien à voir ».

Donc il y a déjà une évolution positive. Bon, c’est un peu facile de dire qu’on est d’accord sur le constat ma,is pas les solutions, d’autant plus lorsqu’en face aucune solution n’est proposée. Dans dix ans, si rien n’est fait, il y aura plus d’un collégien sur deux qui sera scolarisé dans le privé à Paris. Mais au moins, il y a un constat qui est posé et un débat qui n’est pas esquivé. Et désormais un texte législatif existe et propose des solutions.

 

LTR : La Courneuve n’a que des établissements en REP+. Stéphane Troussel, président du département de Seine-Saint-Denis, avait proposé une solution complètement balayée, celle de fusionner les académies de Créteil et de Paris. A la Courneuve on ne peut pas détruire un collège et le reconstruire là où une autre population vit, puisqu’on a la même population dans toute la ville. Comment faire dans ce cas-là ?

CB : La Seine-Saint-Denis vient de sortir un grand plan qui consiste à mettre de gros moyens dans les collèges. En réalité, la Seine-Saint-Denis non plus n’est pas homogène, et tous les quartiers de toutes les villes ne se ressemblent pas et pour autant on y retrouve de la ségrégation. Il faut donc utiliser les mêmes leviers, même si les résultats seront de moindre ampleur. On va se dire les choses franchement, une partie des enfants de Seine-Saint-Denis, des villes limitrophes à Paris, sont scolarisés dans le privé à Paris.

Faisons en sorte que ces enfants des villes limitrophes trouvent dans leur ville des conditions de travail et d’épanouissement que leurs parents recherchent à Paris. Par ailleurs il y a un sujet spécifique à la Seine-Saint-Denis de sous-dotation chronique dans le champ éducatif de la part de l’État, c’est là où les professeurs sont les moins bien payés, où il n’y a pas d’infirmiers scolaires, etc. Il faut quand même agir sur les mêmes leviers.

 

LTR : Comme on pouvait s’y attendre, la droite sénatoriale a rejeté ta proposition de loi. Quelles suites comptes-tu donner à ce texte, et plus largement à ce combat ?

CB : On ne va rien lâcher sur le sujet. L’un des objectifs c’est surtout de ne pas laisser considérer que cette PPL étant battue, on devrait passer à autre chose. Ce sujet existe, il n’existe peut-être plus au Sénat, mais il existe dans la société, dans la tête des parents, des enseignants, des maires. Pas que de gauche !

Quand on a fait tout notre travail de préparation de la PPL, on a rencontré le Maire UDI de la ville de Vendôme. Confronté dans sa ville aux problèmes de ségrégation, il a fermé une école en plein cœur d’un quartier prioritaire de la ville, a redispatché les enfants sur les autres écoles, et de mémoire il avait six secteurs scolaires, il passe à quatre. Ce maire fait de la mixité sociale et scolaire. Donc le débat continue à exister, et doit continuer à exister. On va continuer à la faire vivre, pour montrer qu’il y a des solutions crédibles.

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

A lire aussi…

Lire aussi...

Mariage dès 9 ans en Irak : Quand la loi de Dieu s’impose, les droits des femmes reculent

Mariage dès 9 ans en Irak : Quand la loi de Dieu s’impose, les droits des femmes reculent

Un vent de régression souffle sur l’Irak, et ce sont les droits des femmes qui risquent d’être emportés. Le Parlement irakien s’apprête à débattre d’un projet d’amendement qui, sous couvert de liberté religieuse, pourrait permettre aux autorités islamiques de régenter des pans entiers de la vie familiale. Adopté, cet amendement autoriserait le mariage des filles dès l’âge de neuf ans en vertu de la loi islamique.

Crédits photo : Ahmad Al-Rubaye – AFP

Oui, neuf ans. Comment ne pas voir dans ce projet un recul vertigineux ? En 1959, l’Irak adoptait la loi 188, considérée comme l’une des plus progressistes du Moyen-Orient. Elle garantissait des protections pour les femmes, établissait des règles d’héritage égalitaires et permettait aux femmes de divorcer. Ce texte était alors un phare de modernité. Aujourd’hui, ces acquis sont attaqués de toutes parts par des forces qui se drapent dans la religion pour mieux asseoir leur domination politique.

La coalisation chiite au pouvoir s’obstine à faire passer cet amendement depuis de nombreuses années, mais il semble selon les experts que cette fois, elle y parviendra, notamment grâce au soutien des autorités religieuses sunnites.

Les divisions religieuses, si elles ont provoqué au fil des siècles guerres et massacres, s’estompent dès lors qu’il est question de violer les droits des femmes. 

Avec cet amendement, les Irakiens auraient la possibilité de choisir entre les autorités religieuses et l’Etat pour légiférer sur des questions comme l’héritage, le divorce, la garde des enfants, mais aussi le mariage. Permettre de choisir entre loi civile et loi religieuse en matière familiale n’est pas une liberté. Sous la loi islamique, les droits des femmes s’effondrent : mariage dès 9 ans, interdiction de divorcer, inégalités flagrantes en matière d’héritage. Paré des atours de la liberté, ce « choix » n’est qu’une façade : dans une société patriarcale, les femmes subiront la pression sociale et familiale les pressant de se soumettre à la loi religieuse. Selon une formule bien connue d’Henri Lacordaire, député d’extrême-gauche de la Constituante[1] de 1848, « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur », et l’on pourrait ajouter entre l’homme et la femme, « c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». La loi civile protège bien davantage que la loi des pairs et des pères.

En fragmentant la justice, en fragmentant le droit familial, cette mesure détruit l’égalité devant la loi et sacrifie les plus vulnérables. L’État abdique son rôle de garant des droits fondamentaux et laisse le patriarcat sanctifié dicter ses règles.

Les femmes adultes ne seraient, du reste, pas épargnées. Finie la possibilité de divorcer, adieu à la garde des enfants ou aux droits successoraux. Ce projet, porté par une coalition de partis chiites conservateurs, n’est rien de moins qu’une tentative de renvoyer les femmes irakiennes à l’époque où leur seul rôle social se limitait à servir leur mari et leur famille. Sous couvert de piété, c’est une entreprise méthodique de dépossession des droits élémentaires. Mais peut-être se risquerait-on à dire que la piété ne peut qu’entrainer, lorsqu’elle est politisée, qu’une entreprise méthodique de dépossession des droits élémentaires.

Cette mesure réactionnaire n’est que le prolongement d’une politique répressive et régressive des conservateurs chiites. En avril dernier, ont été criminalisées les relations homosexuelles et les interventions médicales pour les personnes transgenres, marquant une autre étape dans leur croisade (sans mauvais jeu de mot) contre les libertés individuelles. Leur stratégie est claire : utiliser la religion pour saper les droits, diviser la société et asseoir leur pouvoir.

Le danger est immense. Si cet amendement est finalement adopté, il enverra un message désastreux : celui qu’il est acceptable, au XXIe siècle, de sacrifier les femmes et les filles sur l’autel de la loi religieuse.

Références

[1] Et pourtant moine ! Dans un temps, celui de la révolution de 1848, où républicanisme et catholicisme n’étaient pas encore devenus des ennemis. 

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

A lire aussi…

Lire aussi...

Situation au Soudan : Nous ne pouvons pas continuer à baisser les yeux