
Pour un Régime agricole complémentaire
L’annonce par Ursula von der Leyen de la finalisation de l’accord de libre-échange avec le Mercosur a sonné comme un affaiblissement politique de la France après sept années de présidence Macron. Pour autant, cette signature ne contrevient pas aux attributions de la Commission Européenne. Si l’accord est ratifié par le Parlement européen, il n’aura pas besoin d’être validé par l’Assemblée nationale et la France n’aura pas la possibilité de s’y opposer. La suppression des droits de douanes sur les produits agricoles venant du Mercosur et l’augmentation des quotas d’importation de viande bovine, s’appliqueront.
Peut-on protéger nos agriculteurs ?
Une fois ratifiés, les traités commerciaux s’imposent au sein du marché unique et donc à la France. Néanmoins, des marges de manœuvre existent pour les autorités françaises. La France, pays contributeur net au budget européen (ce qui signifie qu’elle verse davantage d’argent à l’UE qu’elle n’en reçoit) pourrait obtenir des avancés pratiques lui permettant de limiter les effets destructeurs des accords de libre-échange pour son agriculture.
Cette protection implique de sortir une partie de l’agriculture du marché unique. En effet, même si l’Union Européenne est responsable de l’organisation du marché unique, le fait est qu’elle ne définit pas clairement ce qu’est une marchandise. C’est là que se situe une faille que la France pourrait exploiter.
L’agriculture est incontestablement une activité marchande. Les agriculteurs sont en concurrence et produisent des biens qui ont vocation à être vendus selon le principe de l’offre et de la demande. Pour autant, il existe, dans d’autres secteurs, des exceptions au principe marchand. Certains biens et services échappent aux règles du marché unique en raison de leur caractère spécifique – c’est le cas de l’industrie de défense et de la culture (édition, cinéma, spectacle vivant, etc.) – ou parce qu’ils contribuent à la mise en œuvre d’un service public (secteur pharmaceutique, transport public…)
En élargissant à une partie de la production agricole ce principe d’exception, il serait possible de déroger aux règles actuelles. Une telle exemption pourrait être négociée au nom du principe de souveraineté alimentaire et en faisant de l’alimentation un service public. La France pourrait ainsi définir un secteur agricole non-marchand, le Régime agricole complémentaire (RAC) lui permettant d’organiser un véritable service public de l’alimentation.
Pour assurer la souveraineté alimentaire, instituer une agriculture non-marchande
Le RAC serait, comme son nom l’indique, un régime complémentaire réservé à la production agricole vivrière. Les produits agricoles émanant du RAC seraient vendus exclusivement au secteur public à des prix régulés ; ils ne seraient donc plus soumis aux règles de la concurrence. Les producteurs de ce secteur devraient répondre à des normes spécifiques convenues en amont avec les représentants des agriculteurs. Leurs ventes seraient garanties à la manière de ce qui existait du temps de la PAC, avant les réformes des années 1990.
L’objectif de la création de ce second secteur n’est évidemment pas d’imposer un modèle unique à toute la profession mais de le proposer aux agriculteurs volontaires. Ce régime serait limité aux produits agricoles vivriers et ne concernerait pas la production de produits agricoles industriels (textile, biocarburant…) ou de boissons alcoolisées. Cette filière aurait pour fonction d’assurer la souveraineté alimentaire des Français. Sa reconnaissance dans le droit européen pourrait faire l’objet de négociations au sein de l’UE. En effet, il ne s’agit pas de sortir des traités européens mais de créer une nouvelle filière agricole non marchande au nom de la préservation d’une agriculture paysanne à vocation vivrière.
À côté de ce secteur, une agriculture marchande fonctionnant sous le régime habituel subsisterait. Cette dernière resterait soumise aux règles du marché unique et aux traités commerciaux. Le secteur agricole conventionnel pourrait commercer avec l’étranger et bénéficierait des fonds de la PAC comme actuellement. Les outils de traçabilité des produits agricoles à usage alimentaire permettraient de distinguer clairement les productions des deux secteurs.
Que ferait l’État de ces produits agricoles ?
Deux options sont possibles pour la distribution. Une première option serait d’imposer aux transformateurs et aux distributeurs de racheter de manière prioritaire la production agricole non marchande. Mais cette option ne serait pas conforme au droit européen puisqu’elle donnerait un avantage décisif à la production agricole du RAC au détriment de la production émanant du secteur agricole marchand.
Une autre solution serait d’organiser une filière publique de production et de transformation. La production agricole du RAC serait ainsi orientée vers la restauration collective des écoles et des administrations publiques. Cette option est possible dans le cadre du droit actuel, la production non marchande pouvant alimenter un secteur de distribution non marchand. C’est ce qui se passe, par exemple, dans le secteur du médicament dont les prix sont régulés et qui alimente les hôpitaux et pharmacies.
En cas d’excès de production au sein du RAC, une partie de la production agricole pourrait être réorientée au profit de l’aide alimentaire et des associations caritatives au service des ménages. L’État pourrait également créer un système de distribution non marchand à destination des populations vulnérables. Enfin, en cas d’excédent persistant, une partie de la production pourrait être déclassée et reversée dans le secteur marchand au prix de marché, comme cela se passe parfois pour la filière bio.
S’appuyer sur les régions
Nous avons présenté le Régime agricole complémentaire en partant de l’idée d’organiser une filière agricole non marchande autour de l’État central. Pour autant, il pourrait être plus intéressant d’organiser le RAC par l’intermédiaire des régions. Cette forme de décentralisation encadrée par des règles communes permettrait d’inclure des normes de production fondée sur des savoirs-faires locaux et d’organiser des filières territoriales de transformation et de distribution.
Un système de RAC régionaux fonctionnerait à la manière des TER : des marchés séparés et organisés selon des cahiers des charges spécifiques, mais en connexion les uns avec les autres. Ainsi, les filières de distribution pourraient valoriser certains produits au sein d’autres RAC dans le cadre d’accords régionaux.
Engager le débat à gauche puis avec la société
Certains à gauche défendent un projet concurrent, la Sécurité sociale de l’alimentation. Une proposition de loi du groupe des Écologistes à l’Assemblée nationale a été déposée en ce sens le 12 février.[1].
Ce dispositif pose de nombreux problèmes pratiques qui fait qu’il a très peu de chances d’être mis en place concrètement. En effet, c’est un projet qui :
- Augmenterait les cotisations sociales de 100 à 200 euros par mois, entrainant une forte baisse du salaire net, ce qui est difficilement acceptable par nos concitoyens ;
- Ne prend pas suffisamment en compte le rôle de l’industrie de transformation dans les processus de conventionnement. Or, les Français achètent majoritairement des produits transformés. La consommation de produits bruts nécessite de savoir et de pouvoir les cuisiner. Même si on peut, à juste titre, considérer que cela serait bénéfique tant pour la santé que pour l’environnement, il est difficile d’imposer un retour à la cuisine pour de nombreuses familles qui n’en ont pas forcément le temps et les moyens.
- Nécessite de fortes subventions publiques.
Pour conclure, soulignons que le Régime agricole complémentaire est conçu comme un système contractuel et non comme une étatisation de l’agriculture. Les agriculteurs souhaitant participer à ce régime resteraient indépendants et pourraient librement le quitter. L’objectif de ce dispositif est avant tout d’assurer des débouchés et de garantir des prix décents pour la production vivrière de l’agriculture.
Cette proposition entend démontrer qu’il est possible de créer une filière agricole non marchande en contrepartie d’un cahier des charges négocié avec les agriculteurs mais ambitieux sur les plans alimentaire et écologique. Le droit applicable à ce régime correspondrait à celui du régime des services d’intérêt général qui autorise des subventions spécifiques et une régulation des prix.
Références
[1] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/dossiers/experimentation_securite_sociale_alimentation
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