Réformer les contrôles d’identité pour une police républicaine au service de la population

Alors que le lien entre la population et la police s’est tendu depuis plusieurs années, la sénatrice socialiste de Seine-Saint-Denis Corinne Narassiguin défendra une proposition de loi visant à rétablir ce lien essentiel pour la cohésion nationale.

Le 15 mai prochain, sera débattue dans la niche socialiste au Sénat, ma proposition de loi tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population.

Membre de la mission d’information du Sénat relative aux émeutes survenues à compter du 23 juin 2023 après la mort de Nahel Merzouk, j’ai pu constater, à travers les nombreuses auditions, la relation dégradée entre notre police et une partie de la population.

La multiplication des petites frustrations ou petits incidents comme des contrôles d’identité réguliers qui font partie du quotidien de ces jeunes, diminue la confiance dans la police et alimente un fort sentiment d’injustice et de relégation.

Je suis sénatrice du département de la Seine-Saint-Denis, premier département d’accueil des populations immigrées en France. Ces jeunes qui se font régulièrement contrôler sont nombreux dans mon département, je ne veux pas que la première interaction qu’ils aient dans leur vie avec la police soit un contrôle d’identité. Je ne veux pas qu’ils aient cette vision de la République. A force de considérer des jeunes comme des délinquants, ils le deviennent.

L’année dernière, le Conseil d’État a reconnu l’existence de pratiques de contrôles d’identité discriminatoires qui ne peuvent être regardées comme se réduisant à des cas isolés. Plusieurs études documentées ont également établi ces cas de contrôles discriminatoires. En janvier 2017, le Défenseur des Droits dévoilait déjà dans une enquête que les jeunes hommes entre 18 et 25 ans perçus comme noirs ou arabes connaissent une probabilité vingt fois plus élevée que le reste de la population de subir un contrôle. 

Le 19 février dernier, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a regretté l’absence de mesures prises par la France pour la mise en place d’un dispositif efficace de traçabilité des contrôles d’identité par les forces de l’ordre. 

Dans un rapport de la Cour des comptes publié le 6 décembre 2023, la Cour a apporté pour la première fois une estimation du nombre de contrôles d’identité réalisés chaque année par la police et la gendarmerie : 47 millions, dont 32 millions réalisés sur la voie publique. Mais combien de personnes exactement font partie de ces 32 millions de contrôles ? Là est la question.

Toutes les études convergent vers le même constat : en France, les personnes issues des « minorités visibles » sont contrôlées bien plus fréquemment que les autres.

En novembre 2005, Bouna Traoré et Zyed Benna rentrent d’un match de foot et décèdent dans un transformateur électrique après avoir pris la fuite par crainte d’un contrôle policier. Suite à cela, la France a été confrontée à un épisode important de violences urbaines. Le contrôle policier a été l’étincelle qui a suscité la colère dans de nombreux quartiers et a eu un impact sur la sécurité de la société française toute entière.

Ces contrôles sont un problème pour les jeunes puisqu’ils sont souvent vécus comme des humiliations violentes et créent un fort ressentiment. Il n’est pas acceptable dans notre République qu’un citoyen pense qu’il est contrôlé uniquement car “il n’a pas l’air français”.

Mais ces contrôles sont également un problème pour les forces de l’ordre puisque ces pratiques contribuent à altérer la relation de confiance, indispensable, entre toutes les composantes de la population et la police, et derrière cette dernière les institutions publiques qu’elle représente. L’ancienne directrice de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), Agnès Thibault-Lecuivre, a d’ailleurs plaidé il y a quelques mois pour la modification de la loi sur les contrôles d’identité car « on met les policiers en danger en leur demandant d’appliquer une loi d’une complexité rare ».

Selon une étude du Défenseur des Droits publiée le 27 février 2024, près de deux policiers et gendarmes interrogés sur cinq (39,2 %) jugent les contrôles d’identité « peu voire pas efficaces » pour garantir la sécurité d’un territoire. Ce chiffre élevé est le signe d’une perte de sens de cette mission voire du côté contre-productif de cet acte pour beaucoup d’agents de la force publique. Toujours selon cette étude du Défenseur des Droits confiée au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), les policiers et gendarmes sont très peu à être d’accord avec l’affirmation selon laquelle « on peut globalement faire confiance aux citoyens pour se comporter comme il faut » (23,8% des policiers et 34,3% des gendarmes).

Le lien de confiance semble donc rompu des deux côtés entre la police et la population. Cette relation de défiance qui s’instaure peu à peu met à mal notre vivre-ensemble, le contrat social qui fonde notre République et qui repose sur la liberté et l’égalité.

Aussi, j’ai décidé l’année dernière de déposer une proposition de loi visant à instaurer le récépissé de contrôle d’identité. C’était une promesse du quinquennat de François Hollande, et son renoncement était une erreur.

Après plusieurs mois d’auditions d’associations, d’institutions et de professionnels, j’ai décidé d’aller plus loin dans la réforme de cette pratique des contrôles d’identités. La proposition de loi comporte donc trois dispositions principales :

  • Elle instaure un dispositif d’enregistrement et de traçabilité des contrôles d’identité, c’est-à-dire l’attestation de contrôle d’identité.
  • Elle réforme les contrôles dits administratifs en supprimant la possibilité de pouvoir contrôler « toute personne, quel que soit son comportement » et en autorisant les contrôles administratifs uniquement pour assurer la sécurité d’un événement, d’une manifestation ou d’un rassemblement exposé à un risque d’atteinte grave à l’ordre public.
  • Elle rend obligatoire l’enregistrement vidéo des contrôles d’identité via les « caméras piétons ».

J’espère sincèrement que cette traçabilité permettra à la fois de mettre fin aux contrôles au faciès mais aussi de sécuriser les forces de l’ordre dans la pratique de leur métier en leur assurant une meilleure transparence.

Il y a peu de suspens quant à la position de la droite au Sénat sur le sujet, mais je considère qu’il est urgent de provoquer le débat pour mettre fin à une pratique discriminatoire et inefficace. En 2017, Emmanuel Macron avait reconnu pendant sa campagne électorale qu’il y avait « beaucoup trop de contrôles d’identité, avec de la vraie discrimination ». 

Aussi, je compte sur un débat à la hauteur de l’enjeu, et cela pour une police respectable et respectée, gardiens de la paix plutôt que forces de l’ordre, au service des citoyens et de l’Etat de droit. Pour revenir à l’idée même que nous nous faisons de la République.

Par Corinne Narassiguin

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