La course à l’intelligence artificielle entre les grandes puissances : une nouvelle Guerre Froide ?

Édito

La course à l’intelligence artificielle entre les grandes puissances : une nouvelle Guerre Froide ?

L’intelligence artificielle (IA), autrefois cantonnée au domaine de la science-fiction, occupe désormais le centre d’une compétition effrénée entre les principales puissances mondiales. Cette quête de la suprématie en matière d’IA n’est pas sans rappeller la Guerre Froide du 20e siècle, avec ses rivalités technologiques, ses enjeux allant de la supériorité militaire à la domination économique, en passant par l’influence géopolitique mondiale.

L’intelligence artificielle (IA), autrefois cantonnée au domaine de la science-fiction, occupe désormais le centre d’une compétition effrénée entre les principales puissances mondiales. Cette quête de la suprématie en matière d’IA n’est pas sans rappeller la Guerre Froide du 20e siècle, avec ses rivalités technologiques, ses enjeux allant de la supériorité militaire à la domination économique, en passant par l’influence géopolitique mondiale.

Un exemple frappant de cette compétition se manifeste dans la bataille pour la domination de la 5G, une technologie de communication ultrarapide qui constitue un élément essentiel de l’infrastructure de l’IA. Les États-Unis ont encouragé des entreprises comme Qualcomm à développer rapidement la 5G afin de préserver leur avantage technologique, tandis que la Chine, avec des géants de la technologie tels que Huawei, a également réalisé d’énormes investissements, alimentant ainsi la rivalité entre ces deux nations, avec Taiwan au centre de ces enjeux géopolitiques.

La Chine, les États-Unis et d’autres acteurs privés majeurs investissent massivement dans la recherche et le développement de l’IA, cherchant à dominer ce secteur stratégique promettant de transformer non seulement l’économie mondiale, mais également la manière dont nous vivons, travaillons et nous défendons. La question cruciale est de savoir si cette course à l’IA peut être gérée de manière pacifique ou si elle évoluera vers une nouvelle forme de conflit.

L’idée que les États-Unis pourraient chercher à épuiser la Chine dans une course technologique, de manière similaire à la stratégie employée pendant la Guerre Froide contre l’URSS dans la course à l’armement, est une perspective à ne pas négliger. Dans la période de la Guerre Froide, les États-Unis et l’Union soviétique se sont engagés dans une compétition sans fin pour développer et acquérir des armes toujours plus sophistiquées. Cette course aux armements a finalement contribué à l’épuisement de l’Union soviétique et a joué un rôle dans son effondrement ultérieur.

Pourtant, n’est-il pas dans l’intérêt des pays intéressés de trouver des moyens de coopérer plutôt que de s’engager dans une rivalité destructrice ?

La communauté internationale doit jouer un rôle essentiel dans la gestion de cette course à l’IA. Des normes et des protocoles internationaux doivent être établis pour garantir une utilisation éthique et responsable de l’IA. La transparence, la sécurité des données et la protection de la vie privée sont des principes fondamentaux qui ne doivent en aucun cas être compromis dans cette quête de suprématie. En fin de compte, la course à l’IA peut représenter une opportunité pour les nations de collaborer, de partager leurs connaissances et de s’engager dans une compétition constructive. Contrairement à la Guerre Froide qui s’est achevée par un équilibre stable plutôt que par une confrontation directe, la course à l’IA peut déboucher sur des avancées technologiques bénéfiques pour l’humanité, à condition que les acteurs mondiaux fassent preuve de sagesse et de coopération.

La question n’est donc pas de savoir si une nouvelle Guerre Froide est inévitable, mais plutôt si nous, en tant que société mondiale, sommes prêts à travailler ensemble pour façonner l’avenir de l’IA de manière éthique, responsable et bénéfique pour tous. La réponse à cette question déterminera si la course à l’IA sera une marche vers un avenir meilleur ou une course vers l’incertitude.

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L’intelligence artificielle supplantera-t-elle les femmes au travail ?

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L’intelligence artificielle supplantera-t-elle les femmes au travail ?

L’emploi féminin semble être plus vulnérable face à l’IA que l’emploi masculin, suscitant des préoccupations légitimes quant à l’égalité des sexes sur le marché du travail.
Les conséquences potentielles de l’intelligence artificielle sur l’emploi en général

Au cours de la prochaine décennie, l’impact de l’intelligence artificielle générative (ChatGPT…) sur l’emploi sera significatif et diversifié. Selon les dernières estimations de l’Organisation internationale du Travail (OIT), l’automatisation pourrait potentiellement affecter jusqu’à 50% des emplois existants dans certaines régions du monde. Cette automatisation touchera principalement les emplois impliquant des tâches routinières et répétitives, comme la saisie de données et certaines tâches de production. Toutefois, il est important de noter que l’IA ne se limite pas à la suppression d’emplois, car elle offrira également de nouvelles opportunités. L’OIT estime que d’ici 2030, l’IA pourrait créer jusqu’à 12 millions d’emplois supplémentaires dans les domaines de la gestion de données, de la cybersécurité, et de la maintenance des systèmes d’IA. Toujours selon l’OIT, les implications potentielles de l’IA générative sont toutefois susceptibles de varier considérablement entre les sexes, avec une probabilité de perturbation de l’emploi féminin plus de deux fois supérieure à celle des hommes. Un constat partagé par le cabinet de conseil en stratégie McKinsey qui indique dans une étude parue l’été dernier que, d’ici la fin des années 2020, un tiers des heures de travail aux États-Unis pourraient être automatisées, avec 1,5 fois plus de femmes que d’hommes exposées à l’impact de l’intelligence artificielle. Pour rester pertinents sur le marché du travail, les travailleurs devront s’adapter en acquérant des compétences en numératie(1), en informatique et en résolution de problèmes. Cependant, la manière dont ces changements affecteront les travailleurs dépendra également des politiques gouvernementales et des stratégies des entreprises pour gérer les transitions.

La vulnérabilité des emplois occupés par les femmes

Les emplois traditionnellement occupés par des femmes sont donc les plus exposés à l’automatisation et à l’IA, une réalité confirmée par les données en France et partout dans le monde occidental. Cette vulnérabilité résulte en grande partie de la concentration des femmes dans des secteurs historiquement moins rémunérés et plus susceptibles d’être automatisés. Par exemple, en France, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), près de 30 % des femmes occupaient des emplois à temps partiel en 2019, contre seulement 7 % des hommes. Cette disparité dans les types de contrats contribue souvent à la précarité financière des femmes, car les emplois à temps partiel sont généralement moins bien rémunérés et moins stables. De plus, les inégalités salariales persistent en France, avec un écart moyen de rémunération d’environ 25 % en 2020, selon Eurostat. Autrement dit, les femmes gagnent en moyenne 25 % de moins que les hommes pour un travail équivalent. Ces disparités salariales exacerbent la fragilité financière des femmes. De surcroît, les femmes sont davantage susceptibles d’occuper des emplois précaires en France, notamment des contrats à durée déterminée (CDD) ou des emplois temporaires. En 2020, l’INSEE a observé que 88 % des emplois à temps partiel étaient occupés par des femmes, et elles étaient plus nombreuses que les hommes à travailler en CDD. Les femmes sont également fréquemment concentrées dans des secteurs à faible rémunération, tels que les services à la personne et le commerce de détail. Selon l’Observatoire des Inégalités, 84 % des employés dans le secteur de la santé et de l’action sociale sont des femmes, avec des salaires moyens inférieurs à ceux des hommes dans ce domaine. Plusieurs universités renommées s’emploient activement à examiner les interactions entre le genre, l’IA et l’emploi. Par exemple, l’Université de Californie à Berkeley, par le biais de son Centre for Technology, Society & Policy, s’est penché sur l’intersection complexe entre l’IA, le genre et le marché du travail, utilisant des données empiriques pour identifier les écarts de participation et les déséquilibres de rémunération. Leurs recommandations politiques visent à favoriser une plus grande égalité entre les sexes.

L’obstacle des biais de genre dans les données d’entraînement

Un autre facteur crucial à considérer lorsqu’il s’agit de l’impact de l’IA sur l’emploi des femmes est le risque de biais de genre inhérent aux données d’entraînement des systèmes d’IA. Dans ce contexte, les biais font référence à des préjugés ou à des distorsions systématiques qui se manifestent dans les données en raison de discriminations passées ou de stéréotypes de genre. Si ces données contiennent des préjugés existants liés au genre, les systèmes d’IA peuvent perpétuer ces biais et renforcer les inégalités sur le lieu de travail. Les exemples de biais de genre dans les données ne manquent pas. En France, une étude réalisée par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a révélé que les femmes étaient sous-représentées dans les médias, avec seulement 38 % des expert·es interviewé·es dans les émissions d’information en 2018. Cette sous-représentation se traduit par une absence de voix féminines dans la production d’informations et peut influencer la manière dont les systèmes d’IA comprennent et interprètent le rôle des femmes dans la société. Cathy O’Neil, mathématicienne et auteure de « Algorithmes, la bombe à retardement » met en garde contre les conséquences des biais de genre dans les systèmes d’IA. Pour elle, « dans le monde de l’IA, les biais sont comme des miroirs réfléchissant les inégalités profondément enracinées de notre société. Les algorithmes renforcent souvent les préjugés existants au lieu de les atténuer, ce qui peut avoir un impact disproportionné sur les groupes déjà marginalisés. » Autrement dit, lorsque des données historiques sont utilisées pour former des algorithmes de prise de décision, les discriminations passées peuvent être perpétuées, ce qui peut avoir un impact disproportionné sur les femmes et les minorités. Prenons l’exemple d’un algorithme de recrutement qui se base sur des données historiques où les femmes ont été sous-représentées dans certaines professions. Cet algorithme pourrait continuer à favoriser les hommes pour ces emplois, même si les femmes sont tout aussi qualifiées. Non seulement cela perpétue les inégalités existantes sur le marché du travail, mais cela renforce également les stéréotypes de genre qui limitent les opportunités professionnelles des femmes. Il est donc impératif de mettre en place des mécanismes de correction des biais dans le développement des systèmes d’IA. Il est essentiel de veiller à ce que les données utilisées pour l’entraînement soient plus représentatives de la diversité de la main-d’œuvre. Cette approche contribuera à créer des systèmes d’IA plus équitables et à atténuer les inégalités de genre dans le monde du travail.

Le manque de compétences techniques et de formation des femmes

Une autre raison majeure pour laquelle l’emploi des femmes est plus vulnérable à l’IA réside dans le déséquilibre des compétences techniques. On l’a vu, les emplois qui résisteront le mieux à l’automatisation exigent souvent des compétences avancées en informatique, en programmation, en analyse de données et en intelligence artificielle. Malheureusement, les femmes sont encore sous-représentées dans ces domaines, ce qui limite leurs opportunités d’emploi dans des postes liés à l’IA. En France, par exemple, selon le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, les femmes étaient largement sous-représentées dans les filières dites STEM(2) en 2020, ne représentant que 27 % des étudiant·es en informatique et 36 % en mathématiques. Cette disparité dans l’accès à l’éducation et à la formation dans des domaines techniques a un impact direct sur la capacité des femmes à accéder à des emplois liés à l’IA, qui requièrent souvent des compétences spécialisées. Pourtant, encourager davantage de femmes à poursuivre des carrières en STEM est essentiel pour réduire cette disparité. L’exemple de la France avec ses initiatives telles que « Elles codent » montre comment des programmes visant à encourager les femmes à s’engager dans les domaines scientifiques et technologiques peuvent avoir un impact positif. Ces initiatives offrent des bourses, des mentorats et des opportunités de formation aux femmes pour les aider à acquérir les compétences nécessaires et à s’épanouir dans ces carrières.

L’influence des normes sociales et culturelles sur les inégalités de genre

Les inégalités de genre dans le domaine de l’intelligence artificielle et de l’emploi résultent aussi des normes sociales et culturelles qui façonnent les attentes et les choix des individus en fonction de leur genre, influençant ainsi les carrières et les opportunités professionnelles. Pendant longtemps, la société a eu des attentes traditionnelles concernant les rôles de genre. Les femmes étaient souvent associées à des responsabilités domestiques, de soins et de soutien, tandis que les hommes étaient considérés comme les principaux pourvoyeurs financiers de la famille. Une étude réalisée par le Pew Research Center a révélé que 50% des Américains estiment que les femmes sont moins bien adaptées aux emplois en technologie. Ces stéréotypes ont influencé les choix de carrière et les aspirations professionnelles des individus. Par exemple, les filles étaient souvent encouragées à poursuivre des emplois dans des secteurs axés sur les soins, tels que l’enseignement, les soins de santé ou le travail social, tandis que les garçons étaient orientés vers des domaines tels que l’ingénierie, la technologie ou les affaires. Ces attentes traditionnelles ont eu un impact significatif sur les choix de carrière et de formation des femmes. Les carrières liées à l’IA et à la technologie sont souvent perçues comme masculines, ce qui peut décourager les femmes de s’engager dans ces domaines. Les données actuelles montrent que les femmes occupent moins de 20% des postes de cadres supérieurs dans les entreprises de technologie aux États-Unis et qu’elles occupent seulement 15% des postes de chercheurs en IA à l’université.

Quelles solutions pertinentes mettre en place ?

L’éducation et la sensibilisation jouent un rôle crucial dans la lutte contre les inégalités de genre dans le domaine de l’IA. Il est impératif de sensibiliser les femmes dès leur plus jeune âge aux opportunités offertes par cette technologie. Les programmes éducatifs, les ateliers et les initiatives de mentorat jouent un rôle central dans cet effort, nécessitant une collaboration entre les écoles, les universités et les entreprises pour encourager davantage de femmes à étudier des domaines liés à l’IA. Cela peut être accompli en mettant en place des programmes de bourses et en fournissant un soutien financier. La lutte contre les biais de genre dans les systèmes d’IA requiert des actions réglementaires volontaristes. Les gouvernements et les institutions doivent élaborer des politiques exigeant la transparence et l’équité tout au long du cycle de vie de l’IA. Cela implique la collecte de données démographiques pour identifier les biais, la création de comités de révision indépendants pour évaluer les systèmes d’IA, et l’établissement de sanctions pour les entreprises ne respectant pas ces normes. Les politiques visant à promouvoir la diversité et l’inclusion au sein des entreprises technologiques doivent également être encouragées et renforcées. Pour atténuer l’impact de l’IA sur l’emploi des femmes, il est essentiel de diversifier les opportunités professionnelles dans le domaine technologique. Cela signifie encourager les femmes à poursuivre des carrières en tant que développeuses de logiciels ou d’algorithmes, mais aussi en tant que leaders, chercheuses, éducatrices et créatrices. Les entreprises peuvent mettre en œuvre des politiques de promotion interne favorisant la diversité aux postes de direction, tandis que les établissements d’enseignement supérieur peuvent développer des programmes encourageant les femmes à explorer divers domaines technologiques. En outre, les employeurs et les gouvernements devraient investir dans des programmes de formation continue pour aider les femmes à acquérir des compétences techniques tout au long de leur carrière. Cela pourrait inclure des programmes de reconversion pour celles qui souhaitent se diriger vers des emplois liés à l’IA, ainsi que des cours de formation en ligne accessibles à tous. Enfin, pour réduire les inégalités, il est crucial de remettre en question les normes sociales et culturelles qui limitent les choix en fonction du genre. Il est essentiel de mettre en avant des modèles de rôle féminins positifs et d’assurer une visibilité accrue des femmes dans ces domaines pour démontrer que les opportunités professionnelles liées à l’IA sont accessibles à tous, indépendamment du genre.

En conclusion, l’essor de l’intelligence artificielle comporte des défis importants pour l’emploi des femmes. Les emplois traditionnellement féminins sont souvent plus vulnérables à l’automatisation, et les femmes sont sous-représentées dans les domaines techniques cruciaux pour l’IA. Les biais de genre dans les données d’entraînement des IA peuvent également perpétuer les inégalités. Pour atténuer ces problèmes, il est essentiel de promouvoir l’éducation et la sensibilisation, d’exiger la transparence et l’équité dans l’utilisation de l’IA, et de renforcer la diversification des carrières technologiques pour les femmes. Les politiques de promotion de la diversité et de l’inclusion sont également cruciales. En résumé, une action coordonnée est nécessaire pour garantir que l’IA bénéficie à tous, quel que soit le genre, et pour créer un avenir professionnel équitable et stable pour les femmes.

Références

(1)Numératie : capacité à utiliser, appliquer, interpréter et communiquer des informations et des idées mathématiques.

(2)STEM est un acronyme en anglais qui désigne les disciplines liées à la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques. Ces domaines englobent un large éventail de matières et de professions qui sont liées à la résolution de problèmes, à la création de technologies, à l’innovation et à la compréhension des phénomènes scientifiques et mathématiques. Encourager plus de femmes à poursuivre des carrières dans les domaines STEM est important pour favoriser la diversité et l’égalité des sexes dans ces secteurs.

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En vers et contre tous : la gauche suicidaire

Le Retour de la question stratégique

En vers et contre tous : la gauche suicidaire

 La crise existentielle que traverse la NUPES a fait sombrer la gauche dans une culture de l’invective qui dessert son discours et ses causes. Il est urgent de s’en éloigner et de redonner de la hauteur au débat.

Les cadres de la gauche se sont retrouvés pour la traditionnelle fête de l’Huma, un an après la signature de l’accord de la NUPES, en oubliant faire-part et politesses dans le coffre de la camionnette. La distribution d’anathèmes a donné à voir un triste spectacle fait de provocations et d’incidents nombreux sur les réseaux sociaux. Médias et détracteurs s’en sont donné à cœur joie. Une fois de plus, la gauche n’en finit pas de solder ses comptes, animée par l’approche des prochaines échéances électorales, notamment européennes. Difficile de comprendre ce goût morbide et immodéré pour la polémique outrancière qui fait maintenant office de marque de fabrique. Avant d’en venir aux faits, rappelons qu’il faut toujours savoir être dur avec ceux qu’on aime, d’autant plus lorsqu’ils aspirent à l’honneur suprême de gouverner.

Les passions tristes

La gauche se complait dans le spectacle, c’est un symptôme qui a pris les traits d’une pathologie. Il ne s’agit pas des effets de communication qu’elle maitrise parfaitement mais des luttes d’influences intestines qu’elle s’inflige. Chacun fait gonfler sa bulle en cherchant le courant le plus ascendant, renonçant à construire tout cadre de travail pérenne et collectif. Comment le camp du goût des autres peut-il tomber si bas dans la haine d’autrui ? Les déclarations sur le steak, les merguez vegan, la « kiffrance » et les chants anti-Roussel sont les signes sévères d’une impuissance structurelle, d’un délitement des liens et d’un dialogue qui s’opère sous le seul angle du rapport de force. Mais si la gauche est tant accro aux projecteurs, c’est parce qu’elle a été privée de la grande scène depuis longtemps. En sombrant toujours plus dans les luttes fratricides, elle montre à l’heure actuelle qu’elle est tout au plus un pouvoir de nuisance pour les puissants qui gouvernent. De fait, la gauche passe son temps à écoper son propre navire, cherchant à endiguer les tsunamis anti-sociaux et libéraux du camp d’en face. Lorsqu’elle cherche à proposer, elle souffle sans vent des mesures peu crédibles, loin du courage de la nuance.

Pourtant, lorsque la politique a émergé sur les réseaux sociaux, elle a cru y voir une chance d’y redorer son blason et de s’inscrire dans le quotidien de madame et monsieur tout le monde. Il n’en fut rien. Mais, il serait trop sévère d’engager l’unique responsabilité de la gauche tant ce phénomène reste complexe à expliquer. Par la suite, la politique a ancré puis nourri une culture du clash et de la violence qui parvenait à être relativement contenue à la télévision. Le mirage de la démocratisation n’a été qu’un masque agité par les géants du numérique pour gagner les marchés nationaux.

Il est maintenant temps de faire preuve de clarté : faire de la politique en 280 caractères, c’est renoncer à tout idéal de débat sain ; c’est lâcher les chiens de la vindicte sans aucune retenue ; c’est agir par mimétisme et opportunisme, autrement dit sous les hospices des pires défauts que la politique peut offrir. Pire, y prendre goût sonne comme une sentence. Ceux qui s’y prêtent entrent dans la case des influenceurs tranquilles, des as du clavier, dans la petite cour de récréation où de toute évidence, le vrai pouvoir n’est pas. Car les ouailles du commentariat (Nicolas Truong, La société du commentaire, Editions de l’Aube, 2022) ne sont que les aliénés d’un système économique qu’ils prétendent combattre, pendant que leurs adversaires empochent les profits qu’ils leur fournissent. Il n’en a pas toujours été ainsi. François Mitterrand (quoiqu’on pense de l’homme) savait contrôler sa parole et la manier avec habileté car il était convaincu de son destin et tenu par sa responsabilité de leader de la gauche. A juste titre, il disait que « la dictature des micros est aussi celle des idiots. » Si aujourd’hui la gauche n’en fait rien, c’est surement parce qu’elle se sait trop éloignée de l’exercice du pouvoir, et que l’inconséquence semble être une stratégie payante dans un soucis du moindre mal. Pour autant, nos dirigeants ne se rendent pas compte que ce système médiatique qu’ils croient les servir les broie un à un et finit toujours par se retourner contre eux.

Plus la route sera longue, plus la victoire sera grande

La gauche est dans une position frustrante, persuadée d’une force qu’elle ne possède pas encore. Du haut de ses défaites au pouvoir et dans l’opposition, elle doit reconstruire lentement. L’espoir ne pourra renaître que par un travail agile et sérieux de pénitence sur le terrain. La gauche ne soldera sa dette auprès des électeurs que par de longues années de travail silencieux, loin de ses addictions et de ses tares. Un sevrage salvateur qui doit pousser les prochaines générations à ne rien faire comme ses aînés. Il faudra s’assurer d’un contrôle minutieux de la communication, d’une parole réfléchie qui cherche les mots permettant au débat de s’élever toujours plus haut, d’un goût de l’engagement local à toute épreuve. Bref, réinventer la façon de faire de la politique. Il faudra fuir les vents réactionnaires et l’ultra-moralisme, dévaloriser les commentaires à chaud et donner toute leur importance aux faits. En somme, aller à contre-courant de l’engrenage médiatique.

Dans la société du spectacle, la palabre est plus visible que l’action car elle est le gagne-pain des paresseux. Dès lors, la mise en place d’un cordon sanitaire prônant la qualité au détriment de la quantité pourrait sembler payant. Redoublons d’effort pour agir plus et parler moins, voilà un vrai défi et une lutte de haut lieu à mener. La gauche doit décider de concert de ne plus jouer le jeu médiatique auquel elle prétend s’opposer. Elle peut imposer son propre tempo, boycotter les plateaux, revendiquer le débat sain et montrer l’exemple à ses adversaires.

Le mal à la racine

Un tel diagnostic cache en réalité un mal plus profond. Si la communication n’est plus un moyen de parvenir à un consensus démocratique et de mener un débat contradictoire serein, c’est tout simplement parce que le peuple français en a été privé depuis 1958. La société du commentaire n’est pas une mauvaise herbe qui a poussé en un jour. Son poids en France est renforcé par un régime politique qui n’a pas su évoluer en même temps que la société. Les instruments constitutionnels dont dispose l’exécutif permettent à ce dernier de gouverner contre la volonté générale, la bataille des retraites en est dorénavant un cas d’école.

De ce fait, la seule mesure de gauche qui vaille pour l’avenir est celle de la réforme des institutions. Il n’est pas envisageable de mettre en œuvre un programme à marche forcée sans le soutien du peuple. Nombreux sont ceux qui ignorent que le Parlement français, avant d’être puni et muselé par la Constitution du 4 octobre, fut l’élément central de la IIIe et de la IV Républiques. Dès lors, sans arène politique digne de ce nom, chacun frappe de toute ses forces dans la caisse de résonnance médiatique, cherchant le mot qui lui permettra d’exister. Si les médias sont coupables, c’est le système politique qui est responsable, à nous de le changer. Penser une révision constitutionnelle précise et sérieuse, voilà une piste qui pourrait enfin permettre d’élever le niveau.

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Elise Van Beneden : « Anticor est un bien commun dont les citoyens doivent s’emparer »

Entretiens

Elise Van Beneden : « Anticor est un bien commun dont les citoyens doivent s’emparer »

Le vendredi 23 juin dernier, le tribunal administratif de Paris a annulé l’agrément de l’association Anticor créée en 2002 pour lutter contre la corruption et rétablir l’éthique en politique. Une annulation qui constitue selon l’association à « une atteinte grave à la démocratie, ainsi qu’aux libertés associatives ». Où en est Anticor trois mois après la perte de son agrément ? Pour en savoir plus, LTR a rencontré sa présidente, Elise Van Beneden, et son vice-président Paul Cassia.
Le Temps des Ruptures : Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste l’agrément que l’association Anticor a perdu et quelles sont les implications de cette perte pour votre organisation ?
Paul Cassia :

L’agrément anticorruption est le rouage qui manquait à la machine judiciaire pénale. En France, quand on est victime d’un délit, on va porter plainte au commissariat, mais en réalité, en faisant cela, on porte plainte entre les mains du procureur de la République qui est en charge de poursuivre les auteurs présumés d’infractions pénales. En France, le procureur de la République bénéficie de l’opportunité des poursuites ce qui signifie qu’il peut classer sans suite des affaires pénales. Cela ne pose aucun problème en soi, car la victime d’une infraction peut saisir le juge d’instruction si elle souhaite que la procédure continue. Mais en matière de corruption, si nous sommes tous victimes dans les faits, aucun citoyen ne peut se prétendre victime devant un tribunal : le simple citoyen n’a pas d’intérêt à agir contre un élu susceptible d’avoir commis une atteinte à la probité publique. Autre caractéristique du système pénal français : les procureurs de la République, bien qu’ayant le statut de magistrats, ne sont pas indépendants du pouvoir exécutif, car leur carrière – leur nomination, leur évolution, d’éventuelles sanctions – dépend du ministère de la Justice. Et c’est là que la machine se grippe : ceux qui ont le pouvoir de classer sans suite peuvent voir leur carrière réduite à néant s’ils s’attaquent à des proches du gouvernement ou du parti politique en place. C’est le nœud du problème. Cette situation est à l’origine d’un risque intolérable d’impunité. C’est à cause de ce risque que la Justice en 2010, puis le Parlement en 2013, ont donné un pouvoir important à des associations citoyennes, celui de contourner la décision d’un procureur de classer sans suite une affaire politico-financière, en se constituant partie civile. Pour se constituer partie civile, il faut être titulaire du fameux agrément que le Ministère de la Justice rechigne à nous octroyer. La constitution de partie civile consiste à saisir un juge d’instruction, qui est constitutionnellement indépendant donc armé pour au besoin enquêter sur une personnalité politique. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas subir de pression, mais il ne peut pas perdre son travail pour avoir simplement mis en cause untel ou untel. L’agrément est une arme puissante, citoyenne et démocratique, contre les abus de pouvoir et l’impunité des puissants, ce qui implique évidemment qu’elle doit être maniée avec précaution et discernement. Nous avons perdu cet agrément, pas parce que nous avons manqué de discernement mais parce qu’il a été mal rédigé par son auteur, l’ancien premier ministre Jean Castex. Cela ne nous empêche pas de porter plainte mais cela signifie que nous ne pouvons plus, dorénavant, contourner la décision de classement sans suites d’un procureur. Nous ne pouvons plus nous constituer partie civile. Cela nous fait revenir aux années 2000, dans un contexte où nous ne pouvions pas pallier l’inertie du parquet. 

Le Temps des Ruptures : Vous avez déjà failli perdre votre agrément en 2021. Quelles sont les actions que vous avez mises en place après cette première alerte et pourquoi n’ont-elles pas fonctionné ?
Elise Van Beneden :

L’agrément est octroyé par le Ministère de la Justice pour une durée de trois ans. Nous l’avons obtenu sans problème en 2015 et en 2018. Mais en 2021, la procédure d’agrément a été longue et épuisante. L’association a été mise en cause par le gouvernement car elle refusait de lui donner le nom de ses donateurs, alors même que la CNIL le lui interdisait. Elle a également été mise en cause en interne par des administrateurs sur le motif de manque de démocratie interne. Tout cela est faux bien-sûr, mais ces accusations, amplement médiatisées par leurs auteurs, nous ont mis en difficulté. Toutefois, on dit toujours à Anticor que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Le fait est que ces quelques mois de bataille nous ont rendus plus forts. Ils ont fait connaître notre petite association au grand public. Ce petit club de juristes passionnés qu’était Anticor est devenu un contre-pouvoir. Peut-être l’étions nous déjà, mais nous n’en avions pas encore conscience. À travers cette épreuve, nous avons vu s’élever une voix citoyenne puissante. Nous avons aussi compris que pour mener nos combats, nous ne devions avoir aucune faille, pour ne donner prise à aucune critique quelle qu’elle soit. Nous avons donc revu nos fonctionnements, modifié nos statuts, encadré davantage notre vie démocratique, limité les dons des personnes physiques, ceux des personnes morales de droit privé comme de droit public ayant toujours été interdits. Anticor est devenue inattaquable et nous faisons très attention à ce que cela perdure. 

Le Temps des Ruptures : Comment cette décision affecte-t-elle la capacité d’Anticor à agir en justice dans les affaires de corruption actuelles ou futures ?
Paul Cassia :

La perte de notre agrément ne met pas en danger l’existence même des procédures dans lesquelles Anticor a porté plainte ou s’est constituée partie civile. En revanche, elle remet en cause la participation d’Anticor dans de futures procédures puisque sans agrément, il n’est pas possible d’être partie civile. Concrètement, cela nous empêche de demander aux juges d’instruction de faire des actes d’enquête, d’auditionner telle ou telle personne, de remettre aux juges des informations qui nous viennent de lanceurs d’alerte dont nous gardons l’identité secrète. Les procédures suivent leurs cours, mais sans victime pour représenter la voix des citoyens. Cela nous empêche également de jouer un rôle de partie civile à l’audience. En effet, un des aspects de notre travail consiste à plaider à l’audience, faire entendre une voix différente de celle du procureur, qui défend le respect de la loi, et des avocats, qui défendent les personnes mises en cause. Par exemple, lorsqu’un maire a placé un de ses proches à un poste communal, nous expliquons en quoi ce comportement brise le pacte républicain, abîme la confiance des citoyens en leurs élus. Nous expliquons que les citoyens attendent que leurs représentants prennent des décisions dans l’intérêt de la commune et non dans l’intérêt de leurs proches. Nous expliquons que les abus de pouvoir, les baronnies locales, détruisent le vivre ensemble. Nous parlons aussi pour ceux qui auraient dû obtenir ces postes, du fait de leur mérite et du fait que ces traitements de faveur créent des injustices. Nous tenons aussi un discours plus systémique en expliquant que l’égalité d’accès aux emplois publics est un droit qui a longtemps été protégé par l’organisation de concours républicains. Qu’aujourd’hui, par l’effet d’un recours excessif au procédé du contrat, cette égalité d’accès est menacée. Nous plaidons pour les citoyens, pour le bien commun, nous expliquons ce que la corruption abîme, ce qu’elle détruit, les préjudices qu’elle cause au quotidien. 

Le Temps des Ruptures : Pouvez-vous nous donner un aperçu des affaires spécifiques dans lesquelles Anticor est actuellement impliquée et comment cette décision pourrait influencer leur développement ?
Elise Van Beneden :

Il serait trop long de lister toutes les affaires dans lesquelles Anticor est plaignante ou partie civile, nous en avons actuellement 159 au niveau national et 2 à 8 dans chacun de nos 82 groupes locaux. Il y a toutefois des cas de figure différents que nous pouvons expliquer. Dans certains dossiers, nous avons porté plainte, le dossier est actuellement entre les mains d’un procureur de la République. Il peut ouvrir une enquête préliminaire à l’issue de laquelle il peut décider de saisir directement le tribunal correctionnel, ou alors de saisir un juge d’instruction s’il estime que des investigations complémentaires doivent être menées ou, enfin, il peut décider de classer sans suite. Dans cette ultime hypothèse, Anticor ne pourra plus rien faire pour s’opposer au classement sans suite. Le risque est donc que des dossiers politico-financiers connaissent un enterrement de première classe, quand bien même des éléments sérieux auraient justifié que la Justice poursuive les auteurs présumés d’infractions pénales graves.  Dans d’autres dossiers, nous nous sommes déjà constitués partie civile, ce qui signifie qu’un juge d’instruction est déjà saisi. Dans ce cas, seul notre rôle de partie civile est remis en cause, pas l’existence de la procédure. La procédure va continuer, le juge d’instruction va enquêter, à charge et à décharge et rendre une décision. Anticor ne pourra ni apporter des éléments au juge, ni plaider à l’audience, ce qui revient à imposer le silence aux citoyens dans des procédures qui les concernent au plus haut point. Pour les futurs dossiers, tout dépendra de la volonté du gouvernement de renouveler notre agrément afin qu’Anticor puisse continuer à aiguiller la Justice. Nous attendons actuellement une décision suite au dépôt de notre dossier le 23 juin dernier. Si la loi vient un jour à couper le cordon ombilical entre le parquet et le ministère, l’action des associations ne sera peut-être plus nécessaire, mais pour l’instant, elle est essentielle. 

Le Temps des Ruptures : Quel est le contexte politique et juridique qui entoure cette décision, et comment percevez-vous le rôle des associations anticorruption en France ?
Paul Cassia :

Le contexte est très particulier puisque les associations citoyennes de lutte contre la corruption doivent solliciter l’octroi de leur agrément auprès du Ministère de la Justice, c’est-à-dire auprès de l’exécutif. Or, l’exécutif peut se trouver embarrassé ou directement visé par les actions d’une association comme Anticor, ce qui est normal puisque la corruption est un abus de pouvoir. C’est donc dans les lieux de pouvoir que les abus de pouvoir sont possibles et qu’il faut les combattre. Justement, Anticor est partie civile contre plusieurs membres du gouvernement, dont le Garde des Sceaux devant la Cour de justice de la République et contre le secrétaire général de l’Élysée, qui est le « bras droit » d’Emmanuel Macron. Ces affaires mettent en cause des personnes qui comptent parmi les personnages les plus puissants de l’État. Il est donc parfaitement paradoxal qu’une association comme Anticor soit contrainte d’obtenir l’autorisation du gouvernement pour mener à bien ses actions. Il existe des critères pour octroyer l’agrément bien-sûr, mais ces critères sont très vagues et la tentation de l’arbitraire, forte. Le coût de la corruption a été chiffré par la Parlement européen en 2016, à 120 milliards d’euros par an uniquement en France. Il y a d’un côté une reconnaissance officielle de la gravité de la situation, et de l’autre côté, un gouvernement qui accumule les affaires politico-financières et a le pouvoir de faire taire une association comme Anticor, et le fait ! Cela signifie que la lutte anticorruption est entièrement verrouillée par le gouvernement qui peut ne pas adopter de plan pluriannuel de lutte contre la corruption, comme c’est actuellement le cas, sous-financer la Justice anticorruption, ce qui est encore le cas, sanctionner un procureur qui voudrait poursuivre un personnage politique proche du pouvoir, ou encore lier les mains des citoyens qui voudraient saisir un juge indépendant. Cette situation politique est désastreuse et doit mener à une réforme ambitieuse. Parmi toutes les mesures qui font l’objet d’un plaidoyer en accès libre sur le site internet d’Anticor, deux sont particulièrement urgentes. D’abord, il faut augmenter drastiquement les moyens financiers et humains de la Justice en matière de lutte contre la corruption et contre toutes les formes de délinquance économique et financière. Ensuite, il faut libérer les associations anticorruption d’un arbitraire possible du gouvernement en confiant le pouvoir d’octroyer l’agrément à une autorité indépendante comme le Défenseur des Droits. 

Le Temps des Ruptures : Quelles sont les prochaines étapes pour le retour de l’agrément d’Anticor ?
Elise Van Beneden :

Elles sont au nombre de deux. D’une part, nous avons demandé en juin 2023 le renouvellement de notre agrément, et nous attendons la réponse de la Première ministre qui a quatre mois pour prendre sa décision, soit d’ici la fin du mois. D’autre part, nous avons contesté devant le juge d’appel l’annulation de notre agrément de 2021 par le tribunal administratif de Paris le 23 juin 2023. Nous attendons une décision provisoire du juge d’appel d’ici à la fin du mois d’octobre 2023 et une décision définitive en 2024. Dans ce procès, la partie défenderesse officielle est le gouvernement. Mais celui-ci ne défend que mollement notre agrément. Il fait le service minimum ce qui interroge sur la volonté de l’exécutif de voir Anticor continuer ses actions. Nous en revenons toujours au même paradoxe : la volonté officielle de lutter contre la corruption, qui est un fléau pour la démocratie et le désir non assumé du gouvernement de « débrancher » Anticor. Nous attendons de la Première ministre qu’elle joue objectivement le jeu de l’Etat de droit, car les associations de lutte en faveur de la probité publique – au demeurant peu nombreuses – sont devenues d’indispensables contre-pouvoirs citoyens. En représentant l’intérêt général, elles permettent d’éviter que des scandales politiques soient enterrés. Dans ce contexte peu favorable à Anticor, il revient aux citoyens de soutenir l’association, car nous sommes tous, collectivement victimes de la corruption. Nous payons tous les effets de la corruption, en payant plus d’impôts, en bénéficiant de moins de services publics, en subissant des injustices. Anticor est un bien commun dont les citoyens doivent s’emparer en adhérant, en la soutenant, en disant haut et fort qu’ils veulent, eux aussi, une République exemplaire.

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Justice et intelligence artificielle : l’équation du futur

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Justice et intelligence artificielle : l’équation du futur

Au cours de ce siècle, l’utilisation massive des algorithmes va bousculer de nombreux secteurs d’activité, jusqu’au marché de l’emploi. A court terme, le secteur juridique, qui devrait être l’un des plus touchés par la généralisation et le perfectionnement de l’intelligence artificielle, va vivre un véritable moment de bascule historique. Avec une capacité de traitement des données démultipliée, on assiste déjà à une révolution des pratiques dans ce secteur, ainsi qu’à l’apparition de nouveaux métiers. La legaltech, comme on l’appelle désormais, s’organise aussi en France. Elle profite de l’engouement pour l’innovation numérique, alors que les moyens alloués à la Justice sont toujours insuffisants. La France dispose ainsi de trois fois moins de juges par habitant qu’en Allemagne. Dans ce contexte, quel avenir réserve l’intelligence artificielle à la justice ? Comment assurer sa neutralité de traitement ? A l’avenir, doit-on redouter ou souhaiter être jugé par un algorithme ?
Le capitalisme numérique bouscule le secteur juridique

En France, les premiers services juridiques en ligne sont récents : ils ont été créés en 2014 par des startups dont le but est principalement d’apporter une réponse rapide et personnalisée à une question juridique. Depuis, ces services n’ont eu de cesse de se développer, au même rythme que celui des technologies et des algorithmes qui permettent désormais un traitement de masse et une exploitation fine des données juridiques. La justice prédictive, qui repose sur l’exploitation de données et de statistiques basées sur des décisions de justice, est en plein développement grâce à l’intelligence artificielle. Les avantages de cette nouvelle forme de justice sont nombreux. Elle apporte une aide précieuse et facilite le travail des juges, dans un contexte de raréfaction des moyens et d’engorgement des tribunaux. Elle permettrait aussi d’uniformiser le droit et donc de renforcer le principe d’égalité des citoyens devant le droit. Par contre, la justice prédictive n’encourage pas la prise en compte des situations particulières, ni l’émergence de jurisprudences qu’elle risque d’uniformiser. C’est ce que démontre une étude réalisée en 2016 par des chercheurs anglais et américains : « un juge humain prend en considération certains éléments que la machine ne traite pas, issus de son intuition et de sa propre sensibilité. » Pire, la justice prédictive est accusée de porter atteinte à certains droits fondamentaux, comme le droit au respect de la vie privée, la liberté d’expression, la protection des données, ou encore au principe de non-discrimination comme on le verra plus tard.

Cette prise en compte de l’innovation technologique au service des représentants de la loi, mais aussi des justiciables, c’est la promesse de la startup Doctrine, première plateforme d’information juridique dans l’hexagone. A l’origine de sa création en 2016, un simple constat : la difficulté, même pour les professionnels du droit d’accéder simplement aux sources du droit et en particulier à la jurisprudence. Avec le temps, la plateforme a mis en ligne des millions de décisions de justice, avant de créer un moteur de recherche puis d’autres produits permettant d’accéder facilement à l’ensemble des sources du droit. Malgré son développement rapide, son utilisation fait encore débat aujourd’hui parmi les avocats et les magistrats. Après des accusations de typosquatting en 2018, et la supposée utilisation d’adresses mails très ressemblantes à celles de professionnels ou de sociétés existantes pour récupérer des décisions de justice auprès des greffes de différentes juridictions, le Conseil national des barreaux et le Barreau de Paris ont déposé plainte en 2019 contre la startup. A l’origine de leur courroux : l’utilisation des données personnelles des avocats — manipulées à leur insu selon eux — et la constitution d’un fichier dans lequel il est possible de retrouver toutes les décisions de justice et le nom des clients, même ceux dont la procédure est toujours en cours.

Ce débat rejoint au fond celui sur la protection des données personnelles, dans un contexte de fort développement du capitalisme numérique. Jusqu’en 2018, leur utilisation reposait sur un consentement plus ou moins tacite entre l’utilisateur et l’entreprise qui souhaitait les utiliser. Mais les différents scandales associés à leur exploitation ont fait prendre conscience aux utilisateurs que leurs données personnelles font l’objet d’un commerce, très rentable pour certains. Devant la pression citoyenne, l’Union européenne (UE) a créé il y a cinq ans le Règlement général sur la protection des données, plus connu sous l’acronyme RGPD. Ce nouveau règlement s’inscrit dans la continuité de la loi française Informatique et Libertés datant de 1978 renforçant le contrôle par les citoyens de l’utilisation de leurs données. Son premier atout : il harmonise les règles en Europe en offrant un cadre juridique unique aux professionnels. De plus, il permet de développer leurs activités numériques au sein de l’UE en se fondant sur la confiance des utilisateurs. Enfin, en plus du « consentement explicite », les autorités de protection des données peuvent prononcer des sanctions à hauteur de 20 millions d’euros ou équivalentes à 4% du chiffre d’affaires mondial de la société visée et, pour les pousser à agir fermement, elles pourront être saisies par des plaintes collectives. Mais le RGPD, s’il cadre fortement l’utilisation de nos données personnelles, ne les interdit pas : il autorise toute entreprise à les collecter et les utiliser si elle y trouve un « intérêt légitime » (économique, structurel…) et que la poursuite de cet intérêt ne porte pas une « atteinte disproportionnée » aux intérêts des personnes concernées. Depuis la création du RGPD, 5 milliards d’euros d’amendes ont été prononcés par les différentes autorités européennes de protection des données. Très efficace pour inciter les petites entreprises à se mettre en conformité avec la loi, le règlement se révèle toutefois moins efficace concernant les géants de la Tech. En mai dernier, Méta, la maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp a été condamnée à une amende record de 1,2 milliard d’euros par le CNIL irlandais.

Schumpeter au pays des algorithmes

Depuis 2016, Ross travaille pour le cabinet d’avocats américain Baker & Hostetler. Il a plus de 900 collègues qui lui demandent de l’assister dans leur travail au quotidien. Surdoué — il est capable de traiter un milliard de documents par seconde — il est spécialisé dans l’étude des faillites d’entreprises. Ross n’est pas un employé comme les autres, c’est un “avocat robot” doté d’une intelligence artificielle développée par la société IBM, à partir de la célèbre technologie Watson. Son efficacité est telle qu’il vient concurrencer directement les jeunes avocats chargés jusqu’à présent d’assister leurs collègues et de rechercher les documents liés aux questions légales qui se posent. D’autres solutions encore plus efficaces que celles développées par IBM feront leur apparition dans les prochaines années, au fur et à mesure que la technologie se développera et que les algorithmes peaufineront leur apprentissage. D’ailleurs, le modèle GPT-4 développé par OpenAI a réussi au printemps dernier l’examen du barreau aux États-Unis, démontrant que l’IA peut aujourd’hui rivaliser avec les avocats humains. L’intelligence artificielle a réussi 76 % des questions à choix multiples, contre environ 50 % pour le modèle d’IA précédent, surpassant de plus de 7 % le résultat d’un candidat humain moyen.

Avec l’intelligence artificielle, des métiers disparaîtront, des nouveaux feront leur apparition, comme ceux récemment créés pour accompagner le développement de ces nouvelles plateformes : juristes codeurs, juristes data ou encore juristes privacy. Une nouvelle fois, c’est le principe de destruction créatrice si cher à Joseph Schumpeter, célèbre économiste américain du début du XXème siècle, qui fait la démonstration de sa pertinence. Selon lui, les cycles économiques et industriels s’expliquent par le progrès technique et les innovations qui en découlent. De nouveaux emplois viennent ainsi remplacer les anciens devenus obsolètes. C’est ce phénomène que l’on observe actuellement dans le secteur juridique avec l’intelligence artificielle. Un nouveau cycle économique restructurant se met en place et les bouleversements en cours, mais aussi ceux à venir, risquent de s’accélérer. Même si les conséquences de l’automatisation et de l’utilisation de l’intelligence artificielle sur l’emploi sont encore mal connues, quasiment tous les secteurs de l’économie devraient être bousculés par leur généralisation. Selon une étude réalisée par Citygroup réalisée sur la base des données de la Banque mondiale, 57% des emplois de l’OCDE sont menacés. Dans des pays comme l’Inde ou la Chine, ce sont respectivement 69% et 77% des emplois qui risquent d’être automatisés. Sur l’exemple du secteur juridique, d’autres connaissent déjà des changements notables, comme le secteur médical avec une mise en application de l’intelligence artificielle pour établir des diagnostics plus efficaces, ou encore le secteur bancaire et financier avec des algorithmes capables de gérer en masse des ordres d’achat et de vente d’actions de manière automatisée.

Le biais, talon d’Achille de l’intelligence artificielle

Si le secteur juridique doit être l’un des premiers touchés par les bouleversements liés à l’utilisation massive de l’intelligence artificielle, comment être certain que celle-ci se fera sans aggraver les inégalités et reproduire les discriminations déjà présentes dans nos sociétés et, par ricochet, dans les décisions de justice ?

La première à avoir alerté sur les dangers de la surexploitation des données pour nourrir les algorithmes est la mathématicienne Cathy O’Neil. Elle démontre dans son livre “Algorithmes, la bombe à retardement” comment ils exacerbent les inégalités dans notre société. En cause : les biais algorithmiques. Ces derniers apparaissent quand les données utilisées pour entraîner l’intelligence artificielle reflètent les valeurs implicites des humains qui les collectent, les sélectionnent et les utilisent. Autrement dit, les algorithmes ne nous libéreraient pas d’idéologies racistes ou homophobes, d’opinions nocives ou de préjugés sexistes… Au contraire, elles nous y enfermeraient ! Dans ce contexte, quelle valeur apportée à la justice prédictive qui utilise des algorithmes ? Surtout que des précédents existent déjà. En 2016, une enquête de l’ONG ProPublica a mis en évidence l’existence d’un biais raciste dans l’algorithme utilisé par la société Northpointe qui se base sur les réponses à 137 questions d’un prévenu pour évaluer son risque de récidive. Ses concepteurs affirmaient pourtant ne pas prendre directement en compte ce « critère ». Toujours selon l’ONG, le logiciel avait largement surévalué le risque de récidive des Afro-Américains, qui se sont vus attribuer un risque deux fois plus important que les Blancs. A l’origine de cette situation, un codage mathématique reposant sur une interprétation des données et des choix qui sont eux bien humains.

Alors, comment se prémunir de ces biais ? Quelle stratégie la legaltech peut-elle mettre en place pour rendre vraiment neutre la technologie ? Cathy O’Neil semble avoir trouvé la solution. Elle milite depuis longtemps pour la réalisation d’audits algorithmiques indépendants. Elle a même fondé son propre cabinet spécialisé dans ce domaine.

L’intelligence artificielle requiert une réglementation adaptée aux enjeux d’éthique liée à son utilisation. C’est dans ce cadre que la Commission européenne a proposé en 2021 le premier cadre réglementaire la concernant. Elle propose que des systèmes d’IA qui peuvent être utilisés dans différentes applications soient analysés et classés en fonction du risque qu’ils présentent pour les utilisateurs ; les différents niveaux de risque impliquant un degré différent de réglementation. Le 14 juin dernier, les députés européens ont adopté leur position de négociation sur la loi sur l’IA. Les négociations vont maintenant commencer avec les pays de l’Union au sein du Conseil sur la forme finale de la loi. Ce cadre réglementaire fait suite à la publication en 2018 d’une une charte éthique européenne sur l’utilisation de l’IA dans les systèmes juridiques. Celle-ci est composée de cinq principes fondamentaux : assurer une conception et une mise en œuvre des outils et des services d’intelligence artificielle qui soient compatibles avec les droits fondamentaux, prévenir spécifiquement la création ou le renforcement de discriminations entre individus ou groupes d’individus, utiliser des sources certifiées et des données intangibles, rendre accessibles et compréhensibles les méthodologies de traitement des données et, enfin, bannir une approche prescriptive et permettre à l’usager d’être un acteur éclairé et maître de ses choix. Aux USA, où les enjeux liés à l’intelligence artificielle font l’objet d’un intérêt croissant, deux projets de loi bipartisans distincts sur l’intelligence artificielle ont été présentés en juin dernier. Le premier a pour but d’obliger le gouvernement américain à faire preuve d’une transparence totale lorsqu’il utilise l’intelligence artificielle pour interagir avec les citoyens. Cette loi leur permettrait également de faire appel de toute décision prise par l’intelligence artificielle. Le second projet de loi vise quant à lui à créer un nouveau bureau chargé de veiller à ce que les USA restent compétitifs dans la course aux nouvelles technologies, notamment par rapport à la Chine, son grand rival dans ce domaine. D’autres solutions existent également pour lutter contre les biais algorithmiques : l’adoption de principes éthiques qui restent malgré tout difficilement codables ; l’invention d’un serment d’Hippocrate réservés aux datascientists qui prendrait la forme d’un code de conduite comprenant des principes moraux incontournables, etc.

Demain, des « juges-robots » ?

Une fois débarrassés de leurs biais, les algorithmes pourraient-ils modifier la façon dont la justice est rendue dans nos démocraties ? Dans quel contexte sociétal s’inscrirait une utilisation massive de l’intelligence artificielle au service du droit ? Verrons-nous émerger des « juges-robots » pour rendre la justice ? Autant de questions qui posent avant tout celle de la puissance d’exécution et de traitement des ordinateurs actuels.  

A moyen terme, pour nous aider, l’intelligence artificielle devra tout d’abord pouvoir traiter beaucoup de données en un temps record, bien plus rapidement qu’elle ne réussit à le faire actuellement, à l’image de notre cerveau, qui dispose d’une puissance de calcul de 1 zettaflop, ce qui lui permet de réaliser 1 000 milliards de milliards d’opérations par seconde ! Dans un ordinateur, le processeur est la pièce équivalente à notre cerveau. C’est lui qui effectue tous les calculs. Pour y arriver, il travaille sur les données stockées en mémoire, et tout ce que l’on voit à l’écran, sur le réseau ou sur le disque dur, constitue le résultat de ces travaux. Jusqu’à très récemment, les ordinateurs savaient traiter beaucoup de données mais pas suffisamment pour rivaliser avec notre cerveau. Pour obtenir une puissance de calcul inégalée, certains États comme la Chine ou des entreprises comme Google, Intel ou IBM se sont alors tournées vers les supercalculateurs comme Frontier, le plus puissant au monde, qui traite plus d’un milliard de milliards d’opérations par seconde. Mais pour beaucoup d’ingénieurs et d’informaticiens, l’avenir est désormais aux ordinateurs qui utilisent les propriétés quantiques de la matière pour repousser encore plus leurs capacités d’analyse et de traitement. L’informatique quantique repose notamment sur l’un des principes de la physique quantique appelé superposition. Selon cette mécanique, un objet peut avoir deux états en même temps. Ainsi, une pièce de monnaie peut être à la fois pile et face, alors que dans le monde « classique », elle ne peut être que l’un ou l’autre à la fois. Cet ordinateur quantique serait capable de réaliser des opérations sans équivalent et de faire plusieurs calculs à la fois, contrairement aux ordinateurs actuels qui doivent les réaliser les uns après les autres, aussi rapides soient-ils. Ces nouveaux ordinateurs pourraient bien révolutionner de nombreux secteurs industriels en permettant de passer d’une intelligence artificielle faible — celle que nous connaissons finalement actuellement — à une intelligence artificielle plus forte, capable de raisonner presque comme un humain. Les métiers d’avocats, de magistrats et de juges devraient alors disparaître, dépassés par les capacités d’exécution des algorithmes du futur. Il n’est donc pas impossible qu’à long terme des « avocats-robots » défendent leurs clients face à des « juges-robots » dans des tribunaux qui ont évolué vers un format digital. Dystopique ? Sans doute. C’est pourtant la voie empruntée par l’Estonie dont le gouvernement a développé une intelligence artificielle capable de rendre de façon autonome des jugements dans des délits mineurs, dont les dommages sont inférieurs à 7.000 euros. Comment ? Tout simplement grâce à une plateforme en ligne dédiée sur laquelle chaque partie renseigne les données nécessaires aux algorithmes du logiciel pour rendre leur verdict, comme les informations personnelles ou les preuves éventuelles.

En conclusion, l’essor de l’intelligence artificielle dans le secteur juridique est incontestable, apportant des avantages significatifs en termes d’efficacité et d’accessibilité à la justice. Cependant, les préoccupations concernant les biais algorithmiques et la protection des données personnelles exigent une réglementation rigoureuse et des audits indépendants pour garantir l’équité et la neutralité. À long terme, l’idée de « juges-robots » pourrait devenir une réalité, mais elle devra être abordée avec précaution pour préserver les valeurs essentielles de notre système judiciaire. En somme, l’avenir de la justice sera le fruit d’un équilibre entre la technologie et les principes éthiques.

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Fin de vie : quitte à légiférer, ne le faisons pas à moitié

Cet article revient sur les divers débats des dernières décennies autour de la fin de vie. Alors que le gouvernement souhaite prochainement légiférer en la matière, il propose que le futur « modèle français » de la fin de vie ne se limite pas à l’assistance au suicide et autorise l’euthanasie. Il revient également sur la place centrale du médecin dans l’accompagnement vers la fin de vie.

« Nous sommes tous concernés, par essence, par la fin de vie. »

Emmanuel Macron, le 3 avril 2023 lors de la remise du rapport de la convention citoyenne sur la fin de vie.(1)

Voilà. C’est avec cette idée, ancrée en chacun d’entre nous, qu’Emmanuel Macron a mis (pour de bon) la fin de vie à l’agenda politique. Si le sujet est maintenant au cœur du débat public, il faut souligner que ce n’est pas la première fois qu’il anime notre vie politique. Depuis 2016 et la loi « Claeys-Leonetti »(2), qui régit la prise en charge de la fin de vie en France, les propositions de loi et rapports sur le sujet vont bon train. Rien qu’au cours de la dernière législature, c’est ni plus ni moins que 4 propositions de loi  (3)(4)(5)(6)  qui ont été déposées afin de légaliser l’aide active à mourir (3 à l’Assemblée nationale et 1 au Sénat). De l’autre côté, les sondages soulignent depuis plusieurs années que les Français et Françaises souhaitent que l’aide active à mourir soit mise en place dans notre pays. En février 2022, ils étaient 94% à être favorable à la légalisation de l’euthanasie(7). 89% en ce qui concerne l’assistance au suicide(7). Ce soutien massif des Français et des Françaises à la mise en place de l’aide active à mourir ne date, par ailleurs, pas d’hier. Depuis 2010, l’ensemble des enquêtes de l’IFOP sur la fin de vie ont toujours obtenu plus de 90% de réponse favorable à la légalisation de l’euthanasie(7). Seul le dernier sondage de l’institut sur le sujet, datant d’avril 2023, a donné des résultats plus mesurés, avec 70% des sondés en faveur de l’instauration de l’aide active à mourir(8). Quoi qu’il en soit, on ne peut que constater qu’à minima deux tiers des Français et Françaises souhaitent que la loi évolue en la matière.

C’est donc très logiquement que nous sommes désormais passés à une nouvelle étape. Celle de l’action. Notre législation concernant la fin de vie va évoluer dans les prochains mois. Tout le monde, citoyens, professionnels de santé et responsables politiques, sait que l’heure est venue que nous passions un cap sur le sujet. Emmanuel Macron lui-même, malgré ses réticences personnelles, a compris qu’il était vain de garder plus longtemps ce sujet sous le tapis. Sous la houlette de Claire Thoury(9), la Convention citoyenne pour la fin de vie a tenu ses promesses. Par la délibération, l’échange et l’écoute, cette dernière a rendu un avis clair et précis qui guide dorénavant tous les débats sur le sujet : oui, il faut mettre en place une aide active à mourir. Comprenant que « cette production citoyenne n’est pas un énième rapport »(9) sur la fin de vie, le Président de la République a annoncé qu’un projet de loi allait être proposé à la « fin de l’été 2023 »(1). Ce dernier a pour objectif de construire le « modèle français » de la fin de vie(1), un modèle qui serait encadré par « des lignes rouges » à ne pas franchir(1).

C’est dans ce contexte particulier que cette note se positionne. Il est inutile de débattre à nouveau du bien-fondé ou non, de l’aspect éthique ou immoral de la légalisation de l’aide active à mourir. Ce débat a déjà eu lieu, à de multiples reprises, et a été tranché de longue date dans les consciences de nos concitoyens. L’idée n’est pas « de dire que certains ont tort et que d’autres ont raison »(10) ou qu’ « un consensus absolu »(10) existe sur le sujet. Simplement, il apparaît important de rappeler qu’un avis plus que majoritaire existe dans notre société sur ce point et qu’il doit être respecté.

Inutile également de revenir sur le sujet (pourtant ô combien important) des investissements massifs que nous devons réaliser en matière de soins palliatifs pour que la France dispose d’un système palliatif digne de ce nom. Pour comprendre la gravité de la situation, un simple rappel des chiffres suffit. Fin 2021, 21 départements français ne disposaient toujours pas du moindre service de soins palliatifs(11). A la même période, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFASP) estimait que, faute de moyens, seulement 30% des patients qui en avaient besoin ont effectivement eu accès à des soins palliatifs(12). Nous ne parlons même pas des lacunes abyssales qui existent en matière de culture et de recherche médicale sur le sujet ou en matière de déploiement des soins palliatifs hors de l’hôpital, en EHPAD ou à domicile. Alors que 82% des Français et Françaises souhaitent mourir chez eux(13), ces divers points ne pourront être indéfiniment ignorés sur l’autel de la sainte rigueur budgétaire de Bercy. Si le Président a annoncé la mise en place prochaine d’« un plan décennal national pour la prise en charge de la douleur et le développement des soins palliatifs, avec les investissements qui s’imposent »(1), il est plus qu’incertain que ce dernier advienne demain. Alors que le Gouvernement souhaite réaliser 15 Milliards d’euros d’économies sur le prochain budget(14), le moins que l’on puisse dire, c’est que le doute est permis. Dans ce monde novlanguien où la macronie dit tout et son contraire, nous sommes loin de voir advenir le modèle de soins palliatifs que nous appelons de nos vœux.

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, le débat public sur la fin de vie se cristallise autour des conditions, critères et principes sur lesquels va se construire ce fameux « modèle français » de la fin de vie. Plusieurs points cruciaux, pour les personnes prises en charge comme pour les soignants, n’ont aujourd’hui pas été tranchés. Afin d’éviter de reproduire les erreurs du passé et permettre qu’advienne une loi qui fasse (autant que possible) consensus, nous avons besoin d’un modèle cohérent et global. Ce dernier doit permettre à chacun d’imaginer de manière apaisée sa fin de vie, sans pour autant que les soins qui y sont associés soient sources de mal-être pour les professionnels de santé. Face aux craintes multiples et légitimes qui existent sur ce sujet, ce texte souhaite proposer un modèle fondé avant tout sur l’humain et répond clairement aux interrogations concrètes concernant le futur modèle de l’aide active à mourir à la française. Car, quitte à légiférer, autant le faire vraiment et correctement.

Partir de l’existant et élargir le public concerné

Pour imaginer un nouveau modèle, mieux vaut connaître l’actuel. En l’occurrence, l’actuel « modèle français » de la fin de vie, c’est celui des lois Leonetti(15) et Claeys-Leonetti(2). Adoptées en 2005 et 2016, ces deux lois ont permis l’instauration des principaux mécanismes en vigueur en matière de fin de vie dans notre pays. Création des directives anticipées (DA)(16) et de la personne de confiance(17), clarification des conditions de l’arrêt des traitements au titre du refus de l’obstination déraisonnable(18), mise en place d’une procédure de « sédation profonde et continue jusqu’au décès »(19) (SPCJD) accessible à toute personne dont le pronostic vital est engagé à court terme… Indéniablement, ces lois ont représenté de véritables avancées pour une fin de vie plus digne, apaisée et accompagnée en France. Reconnaître l’importance de ces lois est primordial. Demain, l’expérience et la pratique de ce modèle ne devra pas être reniée. C’est en partant de l’existant que pourra advenir une prise en charge équilibrée qui ne reproduit pas les problèmes actuels sur le sujet.

Car oui, s’il ne faut pas jeter l’opprobre sur les lois Leonetti et Claeys-Leonetti, il est nécessaire de constater les limites de ces deux textes. La première de ces limites, qui en induit d’autres, est qu’elles sont méconnues par la plupart de nos concitoyens. Puisque ces deux lois sont inconnues du grand public, les mécanismes qu’elles instaurent le sont également. Ainsi, selon une enquête d’octobre 2022 du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV)(20), seuls 18% des Français et des Françaises es connaissent les DA (33 % pour les plus de 65 ans) et moins de 8 % de nos compatriotes les ont rédigées ! Problème, les DA sont un élément central de notre modèle actuel. Dans les cas où le patient est inconscient (donc incapable de stipuler lui-même sa volonté concernant la prise en charge de sa fin de vie), ce sont les DA qui font autorité, ces dernières ayant un caractère contraignant pour le corps médical. Or, en l’absence de DA, les soignants et les proches du patient se retrouvent dans une situation délicate où les opinions de chacun peuvent s’affronter, au détriment de l’intérêt du patient. Le cas de Vincent Lambert en est l’exemple parfait(21). N’ayant pas écrit ses DA ou désigné de personne de confiance, il s’est retrouvé au milieu d’une terrible querelle entre ses proches et a vu ses jours être éternisés plus que de raison. Devant le cas de l’ancien infirmier, resté près de 11 ans dans un état végétatif, il est évident que la méconnaissance de l’existence des DA par les Français et les Françaises représente un défaut majeur du modèle actuel.

Pour remédier à ce problème, et face aux échecs des différentes campagnes de communication qui ont été impulsées sur le sujet, il est nécessaire que soit instauré une dynamique d’échanges obligatoire sur le sujet entre soignants et patients. D’abord à caractère incitatif avant 18 ans, ces échanges sur les DA deviendraient, selon le modèle ici proposé, obligatoire après 18 ans pour tous les professionnels de santé si aucunes DA n’ont été rédigé par le patient pris en charge. Afin que les soignants sachent facilement si une personne a rédigé ses DA, un système de poinçonnage sur la carte vitale serait instauré. Ce poinçonnage serait réalisé par l’Assurance maladie pour toute nouvelle carte vitale transmise après la rédaction des DA ou par le soignant au moment du recueil par ce dernier de la DA (avec un outil de poinçonnage transmis là aussi par l’Assurance maladie).

Concernant l’échange à proprement parler, ce dernier suivrait la logique suivante :

  1. Après chaque prise en charge et demande de la carte vitale, les démarches suivantes doivent être entreprises :
  • Si l’absence de DA est constatée par le médecin traitant du patient, alors ce dernier est dans l’obligation de démarrer une discussion avec la personne concernée afin qu’elle exprime ses DA. Une fois exprimée, le médecin inscrit ces dernières dans le Dossier Médical Partagé (correspond à Mon espace Santé) du patient avec ce dernier. Dans ces cas de figure, il serait possible que l’inscription dans le Dossier Médical Partagé soit déléguée à un personnel administratif après l’échange(22)
  • Si l’absence de DA est constatée par un autre professionnel de santé ou un médecin généraliste qui n’est pas le médecin traitant du patient, alors il n’est pas obligé de récolter ses DA mais peut le faire s’il le souhaite. Cependant, si le soignant concerné ne souhaite pas réaliser cette procédure de dialogue, il est dans l’obligation de référer au médecin traitant du patient l’absence de DA pour ce dernier afin qu’il sache qu’il s’agit d’un sujet devant être aborder lors de leur prochain rendez-vous.
    • Si le patient en question ne dispose pas de médecin traitant, alors tout médecin généraliste qui le prend en charge se voit dans l’obligation de récolter ses DA. Les autres professionnels de santé, quant à eux, ne sont soumis à aucune obligation dans ce type de situation.
  • À la suite de la rédaction des DA, une procédure de rappel est lancée par l’Assurance maladie dans chaque CPAM. Sur un modèle très similaire à celui de l’Etablissement français du sang(23), les personnes concernées sont ainsi recontactées tous les 5 ans par les services de l’Etat pour s’assurer que ces dernières ont toujours les mêmes volontés concernant leurs DA.
  1. Enfin, si un individu n’a toujours pas de DA après ses 25 ans (ce qui serait exceptionnel vu le dispositif ici imaginé), alors la plateforme de rappel de l’Assurance maladie que nous venons de présenter a pour mission de contacter ce dernier, à intervalles réguliers, afin de récolter ses DA.

Par le biais de cette procédure simple, opérationnelle et obligatoire, nous nous donnons les moyens d’atteindre un objectif ambitieux mais nécessaire : s’approcher des 100% de Français et de Françaises ayant rédigé leurs DA.

Outre cette importante limite concernant les DA, un autre point sensible pose problème. Il s’agit du public concerné par la législation actuelle. Aujourd’hui, la loi autorise la SPCJD uniquement pour les personnes touchées par « une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme »(2) lorsque ces dernières « présente[nt] une souffrance réfractaire aux traitements »(2) ou lorsque la dégradation rapide de leurs états de santé provoque ou va provoquer « une souffrance insupportable »(2). S’il est louable d’avoir inscrit dans la loi l’idée de préserver les individus d’une « souffrance insupportable »(2), il apparaît immoral de limiter cette volonté aux seules personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme. Aujourd’hui, notre pays fait face à une situation où des personnes souffrant de maladies incurables et qui vont connaître une forte dégradation de leurs états de santé ne peuvent avoir accès à une SPCJD. Les personnes souffrant de maladies invalidantes et incurables de type neurodégénératives ou cancéreuses(24) sont ainsi mises de côté par notre législation. Presque cyniquement, elles sont ainsi obligées d’endurer, pendant plusieurs mois ou années, des douleurs toujours plus insupportables ; de subir la dégradation constante de leur état de santé pour que, finalement, à la toute fin, la puissance publique accepte de bien vouloir les soulager. Laisser ces personnes dans ces situations et leur refuser d’éviter ces souffrances est anormal. Chacun est libre de choisir, une fois la maladie incurable constatée, s’il souhaite continuer à vivre ou si, au contraire, il souhaite partir et s’épargner des souffrances futures.

Pour cette raison, il est indispensable que la prochaine législation en la matière supprime l’obligation du pronostic vital engagé à court terme. Les personnes dont le pronostic vital est engagé à moyen terme ont le droit d’accéder à une fin de vie digne et accompagnée. Rien ne justifie de soulager les uns et de ne pas soulager les autres. Quand la maladie conduit inéluctablement à la mort, rien ne justifie d’attendre le dernier moment pour répondre aux désirs des personnes concernées. Quand la maladie fait souffrir et que l’on ne peut la soigner, répondre aux demandes des malades est la seule chose qui compte véritablement. Car, quitte à légiférer, autant le faire pour répondre aux désirs des personnes dont les jours sont comptés.

Quitte à légiférer, autant aller jusqu’au bout : l’euthanasie plutôt que l’assistance au suicide

Comme nous l’avons dit, la mise en place d’une aide active à mourir va avoir lieu en France. Si débat il n’y a pas sur ce point, cela est loin d’être le cas concernant la nature de cette aide. 2 possibilités existent aujourd’hui : l’assistance au suicide et l’euthanasie. L’assistance au suicide consiste en une prise en charge médical de la fin de vie du patient mais, dans ce cas de figure, l’administration de la solution létale est réalisée par le patient lui-même. C’est donc le patient qui met fin à ses jours. L’euthanasie consiste, elle, en la même chose à la seule différence que l’administration de la solution létale est faite par une personne tierce, en l’occurrence un soignant. Le patient consent donc à sa mort mais n’est pas celui qui se la donne. Entre assistance au suicide et euthanasie, ce sont donc deux approches de la fin de vie qui s’affrontent : faut-il aller au bout de la logique d’assistance et permettre aux personnes de « déléguer » leur suicide à une autre personne ou bien faut-il que l’individu conserve une part de responsabilité et soit donc celui qui se tue.

Face à ce dilemme, le présent modèle fait le choix de l’euthanasie.

Pourquoi ?

D’abord parce que l’euthanasie permet de répondre à toutes les situations dans lesquelles un droit à la fin de vie peut être invoqué. En effet, les personnes inconscientes, paralysées ou en incapacité de s’administrer elles-mêmes un produit létal ne peuvent pratiquer une assistance au suicide. De facto, ces cas conduisent à la mise en place de procédures d’exception autorisant l’euthanasie pour les personnes concernées(25). Faire le choix de l’assistance au suicide, c’est décidé d’instaurer une législation où du flou peut apparaître concernant le fait de savoir si tel ou tel cas est sujet à une assistance au suicide ou à une euthanasie. Face à cela, nous préférons un modèle simple et lisible de tous : l’euthanasie.

Ensuite car l’euthanasie est ce qui se rapproche le plus de la logique de SPCJD. Si le recours à la SPCJD est aujourd’hui très rare, la légalisation de l’euthanasie s’inscrit dans la continuité du cadre actuel. En effet, pour la SPCJD comme pour l’euthanasie, ce sont les soignants qui administrent la solution qui provoquent le décès(26). Cette continuité permettra au nouveau « modèle français » de la fin de vie de s’appuyer sur les apprentissages et pratiques déjà emmagasinés avec la SPCJD. Les connaissances et la formation en soins palliatifs accusant un fort retard dans notre pays, il est primordial que le futur modèle de la fin de vie ne conduise pas à une approche trop différente de celle actuelle.

Faire le choix de l’euthanasie, c’est donc faire le choix de la continuité des savoir-être et des savoir-faire qui se sont développé ces dernières années dans notre pays. Faire le choix de l’assistance au suicide c’est, au contraire, prendre le risque de lancer les soignants dans un tout nouveau type de procédure. Faire ce choix, c’est prendre le risque que des erreurs, des mauvaises pratiques émergent au début du nouveau « modèle français » de la fin de vie. Pour éviter cela, la légalisation de l’euthanasie nous semble préférable. La légalisation de l’euthanasie est également le meilleur moyen de répondre à une crainte majeur des soignants : celle d’outrepasser le cadre défini par la loi(11). C’est ce qui se passe aujourd’hui avec la loi Claeys-Leonetti et qui explique, en partie, la faible utilisation de la SPCJD. La frontière entre la SPCJD et l’euthanasie étant perçue comme floue, les soignants ont aujourd’hui une vraie crainte de dépasser le cadre légal et donc de faire l’objet de poursuites judiciaires. Avec l’euthanasie, les soins terminaux dispensés par les professionnels de santé deviennent lisibles et ne peuvent être sujet à interprétation. Conséquence, les soignants seront mieux protégés et pourront soulager efficacement les patients.

Enfin (et surtout), si nous prônons l’euthanasie plutôt que l’assistance au suicide, c’est pour une idée simple : quitte à mettre en place une aide active à mourir, autant aller jusqu’au bout de la démarche. Sur ce point, une explication s’impose.

L’aide active à mourir répond à un idéal moral, celui de soulager les personnes en fin de vie de toutes leurs souffrances afin qu’ils puissent partir de façon apaisée. Or, si l’assistance au suicide permet d’abréger les souffrances physiques de la personne concernée, il ne répond en rien à celles psychologiques qui peuvent naître lors d’une telle épreuve. En obligeant les personnes à s’administrer elle-même une solution létale, l’assistance au suicide fait le choix de ne pas les accompagner jusqu’au bout et les laissent seules face à leurs souffrances morales autour du fait « de se donner la mort ». Pour le dire crument, les personnes souffrant de maladies incurables et qui souhaitent user de l’aide active à mourir plutôt que des formes « classiques » du suicide le font justement pour ne pas avoir à se retrouver, psychologiquement et moralement, devant les souffrances importantes liés au fait de mettre fin à ses jours. Sauter dans le vide de « la vie après la mort » est vertigineux, effrayant et angoissant. C’est l’inconnu qui nous attend, l’endroit d’où l’on ne revient pas. Toutes et tous nous savons combien l’arrivée de la mort peut être éprouvante et combien être apaisé moralement à la fin de son existence est un objectif hardi auquel il n’est pas facile d’avoir accès. C’est pour cette raison que nous ne pouvons-nous satisfaire d’une solution qui ne soulage pas psychologiquement les personnes prises en charge(27), surtout que 77% des Français et des Françaises souhaitent être soulagés sur ce point lors de leurs fins de vie(20). Au contraire, l’euthanasie, en déléguant l’administration de la solution létale à un soignant qualifié, permet aux personnes concernées de ne plus avoir à porter (totalement du moins) le poids de se donner la mort. Avec l’euthanasie, nous allons au bout des choses en réduisant, autant que possible, les souffrances psychologiques des patients qui vivent leurs derniers souffles. Avec l’euthanasie, nous cherchons à soulager les personnes qui vont mourir sur tous les plans.

Mais si nous cherchons à épargner les patients en fin de vie de leurs souffrances, il est également nécessaire de ne pas créer des souffrances et du mal-être chez les soignants. Aujourd’hui, l’aide active à mourir fait consensus dans le corps médical. Problème, elle fait consensus contre elle. Ce rejet est particulièrement fort au sein de la famille des soins palliatifs. Selon une étude d’opinion commandée par la SFASP en septembre 2022, 85% des acteurs français du soins palliatifs déclarent être défavorables à l’idée de provoquer intentionnellement la mort d’un patient(28). Dans le cadre de cette enquête, 34% des soignants énonçaient également qu’ils démissionneraient s’ils devaient demain réaliser une injection létale à un patient et 35% qu’ils feraient usage de la clause de conscience pour ne pas avoir à pratiquer un tel soin(28),(29). Il existe donc un réel risque que l’évolution de la loi en la matière provoque une cassure profonde entre les citoyens et les professionnels de santé. Alors qu’il nous faut redoubler d’efforts pour doter notre pays d’un système de soins palliatifs dignes de ce nom, cette menace ne doit pas être ignorée. Quand seul 6% des médecins et infirmiers se disent prêt à réaliser l’euthanasie d’un patient(28), il est nécessaire de réfléchir à une solution qui évite que soignants et personnes en fin de vie aient des aspirations contradictoires. Ce n’est pas en construisant sur de la discorde que nous pourrons faire advenir le modèle de la fin de vie apaisée que nous appelons de nos vœux. L’identité du soignant en charge de ces soins ultimes est donc primordiale.

Le soignant qui nous accompagne jusqu’à la fin, c’est celui dont on est le plus proche : la place centrale du médecin traitant

Face à cette question, une réponse s’impose : une fin de vie apaisée allant de pair avec la présence de ses proches, il faut que le soignant administrant la solution létale soit également proche du patient. C’est pour cette raison que le médecin traitant est le soignant le plus à même de réaliser ce soin ultime.

Le modèle ici présenté fait du médecin traitant sa pierre angulaire. C’est lui qui, idéalement, aborde le sujet de la fin de vie et récolte les DA de la personne concernée. C’est lui qui, du fait de la régularité de ses échanges avec le patient, a la capacité de bien le connaître, notamment concernant ses convictions et aspirations autour de la fin de vie. Enfin, c’est lui qui, du fait de sa connaissance de la personne concernée et de ses souffrances, est le plus capable de le comprendre et donc, comme le souhaite les proches d’un patient faisant face à des « souffrances insupportables », de souhaiter abréger ses souffrances. Il est donc raisonnable de penser qu’il s’agit de la personne la mieux placée pour pratiquer, avec humanité et apaisement, le dernier soin de son patient.

La fin de vie est un moment particulier dans lequel l’entourage compte grandement. Pour le patient, savoir qu’un professionnel de santé qu’il connaît de longues dates s’occupent de sa mort est un élément d’une grande importance. Pour le médecin traitant, sans pour autant penser qu’il s’agit d’un acte « facile » ou « banal », il est le professionnel de santé pour lequel ce type de lien sera le moins douloureux. En connaissant son patient et la souffrance qu’il endure, le médecin traitant est le professionnel de santé le plus en capacité de comprendre, au plus profond de son être, qu’il ne tue pas quelqu’un mais qu’il le libère. C’est par ce lien de proximité entre soignants et patients que le présent modèle créer de l’apaisement autour des actes d’euthanasie. C’est également grâce à ce lien que les médecins traitants pourront demain avoir une bonne perception de l’environnement familial et humain qui entoure le patient afin d’éviter des « dérives »(30).

Dans le détail, la prise en charge des soins terminaux serait donc réalisée par le médecin traitant de la personne concernée. Ces actes médicaux pourront être réalisés au domicile du patient (particulièrement pour les pronostics vitaux engagés à moyen terme) mais également en soin palliatif (particulièrement pour les pronostics vitaux engagés à court terme). Afin de respecter les convictions de chacun, une clause de conscience sera à la disposition des médecins généralistes qui ne souhaitent pas pratiquer l’euthanasie. Sur un modèle similaire à l’IVG, l’application de cette clause serait conditionnée à l’information préalable du patient par le médecin lui-même de l’activation de cette clause de conscience par ce dernier(31). À la suite de cette information, le médecin traitant aura également l’obligation de référer à l’Assurance Maladie qu’il fait valoir sa clause de conscience. Cela conduit à l’ouverture d’une procédure par la CPAM du département en question. Cette dernière vise à ce que la puissance publique (par le biais du système de rappel téléphonique et de mailing dont nous avons parlé précédemment) puisse proposer un autre professionnel de santé au patient concernée. Cette démarche doit permettre à ce dernier de choisir qui lui donne la mort et d’entreprendre, s’il le souhaite, des démarches afin de mieux connaître le soignant en question.

Cependant, si le médecin traitant est, par principe, le professionnel de santé privilégié pour réaliser l’euthanasie des patients qui le souhaitent, il n’est pas le seul que la nouvelle législation autoriserait à pratiquer ce type de soins. Dans notre modèle, l’ensemble des soignants disposant d’un statut de médecin (qu’il soit généraliste ou spécialisé) ont également la possibilité de pratiquer l’euthanasie, tout comme les infirmières en pratique avancée (IPA) lorsqu’un suivi régulier existe entre elles et le patient(32). Ainsi, les patients qui le souhaitent peuvent, à tout moment, écrire un courrier à leur CPAM ou réaliser une démarche en ligne (sur Mon espace santé) pour demander que le soignant en charge de leur décès ne soit pas leur médecin généraliste. Dans ces cas de figure, après étude de la compatibilité statutaire du soignant concerné par cette demande, une demande de confirmation d’acceptation de la demande est envoyée au professionnel de santé afin que ce dernier confirme qu’il accepte cette tâche. C’est uniquement une fois la confirmation transmise par le soignant à sa CPAM (par courrier) ou à l’Assurance maladie (sur Mon espace santé) que le professionnel de santé référent pour la fin de vie de la personne concernée change.

Enfin, afin de compléter ce dispositif, le présent modèle prévoit une procédure d’urgence. Cette dernière doit permettre, dans les cas où le pronostic vital est engagé à court terme et qu’un imprévu dans la prise en charge de l’euthanasie du patient est constatée(33), alors le patient ou sa personne de confiance (si le patient est inconscient) dispose de la possibilité de désigner rapidement un nouveau soignant en charge de l’euthanasie de la personne concernée. Cette désignation d’urgence est matérialisée par un accord signé par le professionnel de santé et le patient (ou son représentant) et se fait alors sans validation de la part de l’Assurance maladie(34). Dans ce type de situation, on peut notamment imaginer que c’est le médecin chargé du service palliatif où la personne est accueillie qui s’occupe de l’administration des soins terminaux de l’individu en question.

 

Massification des directives anticipées ; élargissement du public pouvant accéder à des solutions létales en cas de pronostic vital engagé ; euthanasie plutôt que l’assistance au suicide ; administration de l’aide active à mourir par un soignant proche du patient… Voici les principales lignes que ce modèle propose afin qu’émerge, demain, une vraie logique de fin de vie apaisée et accompagnée dans notre pays.

 

Alors que le débat parlementaire sur le futur « modèle français » de la fin de vie approche, espérons que les solutions ici apportées servent de guide à toutes celles et ceux qui souhaitent qu’advienne un idéal humaniste, empathique et tendre de la prise en charge de la fin de vie en France.

Notes et références :

(1)(2023, April 3). Fin de vie: ce quil faut retenir du discours dEmmanuel Macron après les conclusions de la convention citoyenne. https://www.francetvinfo.fr/societe/euthanasie/fin-de-vie-ce-qu-il-faut-retenir-du-discours-d-emmanuel-macron-apres-les-conclusions-de-la-convention-citoyenne_5749568.html

(2)Loi N° 2016-87 DU 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (1). Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (1) – Légifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000031970253

(3)Proposition de Loi N°3755. Assemblée nationale. (2021, January 21). https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3755_proposition-loi  

(4)Proposition de Loi N°288. Assemblée nationale (2017, October 17). https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b0288_proposition-loi

(5)Proposition de Loi N°288. Assemblée nationale (2017, December 20). https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b0288_proposition-loi

(6)Droit à mourir dans la dignité. Sénat (2020, November 17). https://www.senat.fr/leg/ppl20-131.html

(7)Le regard des Français sur la fin de vie. Ifop (2022, October). https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2022/10/119480-Resultats-VF.pdf

(8)Les Français et la convention sur la fin de vie. Ifop (2023, April 3). https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-la-convention-citoyenne-sur-la-fin-de-vie-ifop-journal-du-dimanche/

(9)Claire Thoury est une grande spécialiste des questions d’engagement en France, spécialement en ce qui concerne l’engagement de la jeunesse. Ancienne déléguée générale d’Animafac (2017-2021), elle préside le Mouvement associatif depuis le mois d’avril 2021 et est membre du Conseil Économique Social et Environnemental (CESE). C’est dans le cadre de ces fonctions au CESE qu’elle a présidé le Comité de gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie.

(10)(2023, February 4). Convention Citoyenne pour la fin de vie: pas un énième rapport avec une quête de consensus absolu, selon La Présidente du comité de gouvernance.

https://www.francetvinfo.fr/societe/euthanasie/convention-citoyenne-pour-la-fin-de-vie-pas-un-enieme-rapport-avec-une-quete-de-consensus-absolu-selon-la-presidente-du-comite-de-gouvernance_5639969.html

(11)L’essentiel sur la mission d’évaluation de la loi du 2 février 2016… Assemblée nationale. (2023, March). https://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/601078/5780872/version/1/file/Synth%C3%A8se+de+l%27%C3%A9valuation+de+la+loi+Claeys-Leonetti+vdef.pdf

(12)Rapport d’information pour des Soins Palliatifs accessibles … Sénat. (2021, September 29). https://www.senat.fr/rap/r20-866/r20-866-syn.pdf

(13)L’Obs. (2013, March 18). 81% des Français veulent mourir Chez Eux… https://www.nouvelobs.com/societe/20130318.OBS2277/81-des-francais-veulent-mourir-chez-eux.html#:~:text=SEL%20AHMET%2FSIPA)-,…,de%20la%20fin%20de%20vie.&text=S’il%20est%20encore%20impossible,moins%20en%20choisir%20le%20lieu

(14)Rioux, P. (2023, August 23). Bouclier tarifaire, niches fiscales, taxes, franchises médicales… Les pistes du gouvernement pour faire 15 milliards d’économies dans le budget 2024. La Dépêche. https://www.ladepeche.fr/2023/08/23/budget-2024-les-pistes-de-lexecutif-pour-faire-15-milliards-deconomies-11409323.php

(15)Loi n° 2005-370 DU 22 Avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie (1). Legifrance. (2005, April 22). https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000446240/

(16)Les Directives Anticipées. Parlons Fin de Vie. (2023, July 21). https://www.parlons-fin-de-vie.fr/je-minteresse-a-la-fin-de-vie/les-directives-anticipees

(17)La personne de confiance. Parlons Fin de Vie. (2023a, July 21). https://www.parlons-fin-de-vie.fr/je-minteresse-a-la-fin-de-vie/personne-de-confiance/

(18)L’acharnement thérapeutique. Parlons Fin de Vie. (2023b, July 21). https://www.parlons-fin-de-vie.fr/je-minteresse-a-la-fin-de-vie/lobstination-deraisonnable/

(19)La sédation profonde. Parlons Fin de Vie. (2023b, July 21). https://www.parlons-fin-de-vie.fr/je-minteresse-a-la-fin-de-vie/la-sedation-profonde-et-continue-jusquau-deces/

(20)Les Français et la fin de vie: état des Connaissances et attentes des citoyens. Parlons Fin de Vie. (2023, July 21). https://www.parlons-fin-de-vie.fr/je-minteresse-a-la-fin-de-vie/les-francais-et-la-fin-de-vie/

(21)Favereau, E. (2019, July 11). L’affaire Vincent Lambert en Sept chapitres. Libération. https://www.liberation.fr/france/2019/07/11/l-affaire-vincent-lambert-en-sept-chapitres_1738587/

(22)Afin d’éviter une surcharge de travail pour le médecin

(23)A ce titre, l’idée est ici de réaliser des opérations de mailing et d’appels téléphonique par des équipes spécifiquement missionnées pour réaliser cette activité

(24)Voici une liste non-exhaustives des principales maladies dont nous parlons ici : maladies d’Alzheimer, syndrome Parkinsonien, la démence à corps de Lewy, la Sclérose Latérale Amyotrophique (communément appelé maladie de Charcot), la sclérose en plaques, la neurofibromatose de type 2, le syndrome Cérébelleux, la chorée de Huntington, l’ataxie de Friedich, les cancers incurables, les paralysies partielles ou totales consécutives à un AVC, à des troubles neurovasculaires ou à un accident, les polypathologies du grand âge

(25)Les cas dont nous parlons ici, s’ils ne sont pas majoritaires, sont assez fréquents

(26)De manière directe pour l’euthanasie et indirecte pour la SPCJD

(27)L’exemple de l’Oregon est très intéressant sur ce point. Dans cet Etat américain où l’assistance au suicide est légale, on constate que le non-accompagnement des patients amène finalement un tiers des personnes concernés à renoncer, au dernier moment, à s’administrer la solution létale. Un autre tiers des patients disposant d’une autorisation de l’assistance au suicide font le choix de ne pas se procurer le produit létal auquel ils ont le droit. Ces chiffres peuvent conduire à plusieurs interprétations. Pour ma part, je considère que le tiers de personne reculant finalement à se tuer prouve bien la difficulté et souffrance qui existe chez les personnes concernées à devoir réaliser le geste ultime. Ils souhaitent mettre fin à leur jour, ne plus souffrir mais n’ont pas le « force » de se donner la mort. Concernant le tiers de personne n’allant pas récupérer le produit létal, ces cas montrent bien l’importance d’avoir une procédure qui s’étale dans le temps où les patients concernés doivent répéter à plusieurs reprises leurs volontés de mourir. La procédure aujourd’hui déjà en place pour la SPCJD inclue cette notion, elle devra être étendu en cas de légalisation de l’euthanasie.

Pour plus d’informations concernant les chiffres ici avancées : https://videos.assemblee-nationale.fr/video.12768882_63ce90a63fd32.nouveaux-droits-en-faveur-des-malades-et-des-personnes-en-fin-de-vie–auditions-diverses-23-janvier-2023 et https://www.oregon.gov/oha/PH/PROVIDERPARTNERRESOURCES/EVALUATIONRESEARCH/DEATHWITHDIGNITYACT/Documents/year23.pdf

(28)Fin de vie: Soignants et bénévoles refusent d’être les acteurs de la mort administré Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP). (2022, July 13). https://sfap.org/actualite/fin-de-vie-soignants-et-benevoles-refusent-d-etre-les-acteurs-de-la-mort-administree

(29)Intéressant par ailleurs de souligner que les soignants interrogés dans le cadre de cette enquête réfutent à 83% l’idée que l’euthanasie soit un soin

(30)En parlant des dérives, on parle ici principalement des cas où les personnes expriment la volonté de mettre fin à leurs vies afin de ne pas être une charge pour leurs entourages ou bien car ils font le sujet d’une influence en ce sens par une ou plusieurs personnes de son entourage. Il ne faudrait pas non plus que la réalisation d’une aide active à mourir soit demandée par défaut de l’accès à une suivi et accompagnement médical de qualité. Les différentes dérives que le « futur modèle » français de la fin de vie devra éviter sont notamment mentionné dans l’avis de réserve exprimée par certains membres du CCNE dans le cadre de son rapport sur le sujet de la fin de vie.
Vous pouvez le consulter à l’aide du lien suivant : https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2022-09/Avis%20139%20Enjeux%20%C3%A9thiques%20relatifs%20aux%20situations%20de%20fin%20de%20vie%20-%20autonomie%20et%20solidarit%C3%A9.pdf

Cette mise en garde a également été présenté plus largement par Annabel Desgrées Du Loû lors d’une des auditions de la mission d’évaluation de la loi dite « Claeys-Leonetti ». Vous pouvez la visionner avec le lien suivant : https://videos.assemblee-nationale.fr/video.12768882_63ce90a63fd32.nouveaux-droits-en-faveur-des-malades-et-des-personnes-en-fin-de-vie–auditions-diverses-23-janvier-2023

(31)Cette sensibilisation du patient serait attestée par la signature d’une décharge commune entre lui et son médecin

(32)Notamment dans le cas d’infirmiers à domicile

(33)En l’occurrence, l’idée est de prévoir les cas où les professionnels de santé prévus pour cet acte font défaut

(34)Il sert de protection juridique pour le médecin ayant accepté de prendre le relais.

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Depuis ses débuts en 2018, la série télévisée « Yellowstone », qui vient d’achever sa cinquième saison devant plus de 8 millions de téléspectateurs, est devenue un incontournable du paysage médiatique américain. Cependant, ce qui rend cette série vraiment captivante, c’est sa complexité politique. À première vue, « Yellowstone » peut sembler représenter un point de vue conservateur en raison de certains sujets abordés et de la personnalité virile de ses héros. Cependant, une analyse plus approfondie révèle une série qui transcende les catégories politiques traditionnelles pour offrir un portrait nuancé, mais réaliste, des divisions politiques aux États-Unis. Cette série, qui s’inscrit dans la tradition du western moderne, explore les conflits politiques et culturels dans le décor des vastes étendues du Montana, tout en remettant en question les stéréotypes et en invitant à une réflexion plus profonde sur l’Amérique contemporaine.

Une lutte acharnée pour les ressources et le contrôle des terres

Au cœur de « Yellowstone », se trouve une bataille épique pour les ressources et le contrôle du Yellowstone Dutton Ranch, un thème central qui éclaire les complexités politiques de la série. Le personnage de John Dutton, incarné magistralement par Kevin Costner, est le patriarche incontesté de la famille Dutton et incarne une vision classique de la propriété privée et de la tradition. Sa détermination à maintenir le ranch familial, coûte que coûte, est un reflet des valeurs souvent associées à la droite américaine. Il représente l’archétype du propriétaire foncier traditionnel qui défend avec acharnement ses droits de propriété et résiste aux pressions extérieures. Cependant, la série ne se contente pas de présenter John Dutton comme le héros incontesté de cette lutte pour les ressources. Le personnage de Thomas Rainwater, un chef amérindien, apporte une perspective complexe et nuancée à ce conflit. Rainwater incarne une voix en faveur de la préservation de l’environnement et des droits des peuples autochtones, illustrant ainsi les tensions entre la conservation des ressources naturelles et la protection de l’environnement. Une préoccupation que ne partage pas John Dutton, lui qui ira jusqu’à faire sauter à la dynamite un flanc de montagne pour détourner le cours d’une rivière et ainsi empêcher un autre rival, le californien Dan Jenkins, développeur immobilier, d’y avoir accès. En présentant ces deux perspectives « Yellowstone » engage le spectateur dans une réflexion plus profonde sur des enjeux complexes et actuels, tout en évitant de prendre clairement position en faveur de l’un ou l’autre de ces conflits politiques.

La politique locale et la nécessité du compromis

Au cœur de « Yellowstone », les interactions complexes entre la famille Dutton et les autorités locales sont longuement explorées. Cette dynamique politique met en lumière les dilemmes auxquels sont confrontés les responsables politiques locaux qui doivent jongler entre la préservation de la stabilité de la région et les intérêts privés, parfois en étant contraints de faire des compromis difficiles. L’un des personnages clefs de cette thématique est le gouverneur Lynelle Perry, un personnage politique influent, obligée de choisir entre les demandes de John Dutton, , et celles de Thomas Rainwater, le chef amérindien,. Cette situation reflète la réalité politique des régions rurales américaines, où les responsables politiques sont souvent pris entre le désir de favoriser le développement économique local, la protection de l’environnement et les droits des peuples autochtones. La série montre également l’influence significative des entreprises et les lobbys sur la politique locale. le personnage de Dan Jenkins qui tente d’exploiter les terres du ranch pour ses propres intérêts en est un bon exemple. Les relations entre les acteurs économiques, les responsables politiques locaux et les propriétaires fonciers créent un paysage politique complexe où les enjeux économiques, environnementaux et politiques sont étroitement entrelacés.

Le nationalisme et la famille, deux thèmes au coeur de la série

Dans « Yellowstone », deux sujets essentiels se démarquent, chacun apportant une dimension profonde à l’histoire et à la caractérisation des personnages : le nationalisme et la famille. Au cœur de l’intrigue, le nationalisme et le patriotisme américains sont incarnés de manière puissante par certains protagonistes. Ils défendent ardemment leurs valeurs et leur mode de vie, tout en percevant les menaces extérieures comme des atteintes à l’intégrité de l’Amérique et de leur propre vision de la nation. John Dutton, en particulier, incarne ce sentiment. En tant que patriarche du Yellowstone Dutton Ranch, il est prêt à utiliser des moyens légaux et illégaux pour protéger sa terre, sa famille et ses traditions. Cette disposition à tout sacrifier pour défendre ce qu’il considère comme sa patrie personnelle peut être interprétée comme une réflexion sur les divisions politiques aux États-Unis, où le nationalisme peut être utilisé pour justifier des actions extrêmes au nom de la protection de l’identité culturelle et territoriale. Cependant, « Yellowstone » ne se contente pas de glorifier le nationalisme. La série présente également les opposants de John Dutton comme ayant des motivations valables pour leurs actions. Thomas Rainwater lutte pour la justice et les droits de sa communauté, tout en plaidant pour la préservation de l’environnement. Ces personnages ne sont pas dépeints comme des ennemis dénués de raisons valables, mais comme des acteurs engagés qui ont eux aussi une vision profondément patriotique de l’Amérique, mais qui diffère de celle de John Dutton.

La famille et sa place au sein de la société est également un thème abordé. Pour John, la famille est bien plus qu’une simple unité sociale ; elle est le fondement de son identité et de ses convictions. Son attachement profond à ses enfants – même s’il est incapable de le leur montrer – et à la préservation du ranch familial est un élément clé de son caractère. Son obsession de la famille se manifeste parfois de manière extrême, car il est prêt à tout pour protéger son héritage et ses proches, allant même jusqu’à recourir à la violence lorsque cela est nécessaire. Cette vision de la famille en tant que pilier sacré de la vie du patriarche évoque des valeurs conservatrices traditionnelles souvent associées à la droite, tout en ajoutant une dimension personnelle puissante à son personnage. Le conflit entre la protection de la famille et les défis extérieurs est un autre thème récurrent de la série, offrant une réflexion sur l’importance de la famille dans le contexte complexe de la politique et de la société contemporaine.

Un virilisme assumé ?

« Yellowstone » présente un virilisme omniprésent parmi ses personnages masculins, créant ainsi un élément distinctif de la série. Les hommes forts, durs et déterminés, tels que John Dutton et son fils Kayce, sont des figures centrales de la série. Ce virilisme peut sembler, à première vue, rappeler l’archétype traditionnellement associé à la droite politique, où la force physique et la détermination sont valorisées comme des qualités masculines idéales. Située dans les vastes étendues du Montana, où les règles de la frontière semblent encore prévaloir, la série ne fait pas non plus mystère de l’importance des armes à feu dans la vie quotidienne de ses personnages masculins. Elles deviennent des symboles phalliques de pouvoir, de contrôle et de protection dans cet environnement brut et impitoyable. Les conflits sont souvent résolus par la force, que ce soit dans des confrontations violentes entre personnages ou dans la défense du Yellowstone Dutton Ranch. Cette omniprésence des armes à feu et de la violence physique souligne l’aspect sauvage du monde de « Yellowstone », tout en suscitant des réflexions sur la culture des armes aux États-Unis, un sujet politique brûlant dans la société contemporaine. La série pousse ainsi les spectateurs à s’interroger sur la place des armes dans la vie américaine et sur les conséquences de cette culture de la violence sur la politique et la société. Mais « Yellowstone » va au-delà des stéréotypes en présentant une diversité de personnages, chacun avec sa propre interprétation de la masculinité. Par exemple, Jamie Dutton, l’un des fils de John, est un avocat qui adopte une approche plus intellectuelle, progressiste et moins physique de la vie, remettant en question l’idée que la masculinité doit nécessairement être associée à la force physique. Cela reflète la manière dont la série déconstruit les stéréotypes de genre et explore différentes facettes de la masculinité. Un aspect encore plus puissant de cette dynamique est la présence de personnages féminins forts et complexes qui défient les stéréotypes de genre. Beth Dutton, la seule fille de John, incarne une féminité forte et indépendante. Elle est une femme d’affaires avisée, capable de rivaliser intellectuellement et émotionnellement avec n’importe quel homme de la série. Elle incarne la puissance féminine dans un monde souvent dominé par des hommes forts. Monica Dutton, la femme de Kayce, joue également un rôle significatif dans la déconstruction des stéréotypes de genre au sein de la série. Issue d’une culture amérindienne, elle apporte une perspective unique dans « Yellowstone ». Son caractère indépendant et déterminé s’inscrit dans la tradition de sa propre culture, où les femmes sont souvent des piliers de force au sein de leur communauté. Monica est une enseignante dévouée, cherchant à transmettre la sagesse de ses ancêtres aux jeunes générations, tout en équilibrant les défis de sa vie de famille. Son personnage défie le stéréotype de la femme passive et dépendante, montrant que la force féminine ne se limite pas à une seule perspective culturelle ou ethnique. Sa présence met en évidence l’importance de la diversité dans la représentation des femmes à l’écran et renforce l’idée que les qualités traditionnellement associées à la masculinité peuvent également être valorisées chez les femmes. En présentant cette diversité de personnages masculins et féminins, « Yellowstone » dépeint une vision plus complexe et nuancée de l’identité et de la masculinité, montrant que la force et la détermination ne sont pas l’apanage exclusif d’une orientation politique ou d’un genre. Cette représentation met en évidence l’importance de la diversité et de la nuance dans la caractérisation des personnages, contribuant ainsi à enrichir la profondeur de la série sur le plan politique et socioculturel.

La représentation de la diversité culturelle

La diversité culturelle dans « Yellowstone » dépasse largement le simple décor de l’intrigue et les personnages. Elle constitue un élément fondamental qui enrichit la profondeur de la série et lui confère une dimension politique et culturelle cruciale. Au cœur de cette diversité se trouve la nation amérindienne Broken Rock, dont les interactions complexes avec les Dutton et le ranch forment un pilier central de la série. Cette représentation authentique d’une communauté autochtone est d’une importance capitale, car elle permet à « Yellowstone » de refléter la véritable mosaïque culturelle de la région du Montana. Les coutumes, les croyances et les traditions des Amérindiens sont présentées de manière respectueuse et fidèle, offrant ainsi au public un aperçu authentique de la richesse culturelle de ces communautés. Cela contribue à sensibiliser les téléspectateurs aux aspects culturels et historiques souvent négligés de la société américaine. Mais « Yellowstone » ne s’arrête pas à la simple représentation culturelle. La série aborde également de manière subtile les blessures historiques et les injustices que les peuples autochtones ont endurées aux États-Unis, en mettant en avant les conflits et les tensions entre la nation Broken Rock et les Dutton. Ces tensions sont le reflet de réalités profondes liées à la colonisation et à la perte de terres, des tragédies historiques qui ont profondément marqué les communautés autochtones. En donnant une voix à la nation amérindienne à travers des personnages tels que Thomas Rainwater et Monica Dutton, « Yellowstone » confronte le public à l’héritage colonial de l’Amérique et à ses répercussions actuelles sur les peuples autochtones. Cela incite les téléspectateurs à réfléchir à l’importance de reconnaître et de rectifier ces injustices historiques, tout en mettant en lumière la nécessité de lutter pour la justice et la réconciliation. Ainsi, la représentation de la diversité culturelle dans « Yellowstone » constitue un vecteur d’éducation et de sensibilisation, offrant une plateforme pour explorer les questions politiques et culturelles cruciales qui persistent dans la société américaine contemporaine.

Une série sur les divisions politiques au sein du peuple américain

L’une des grandes forces de « Yellowstone » réside donc bien dans sa capacité à mettre en lumière les divisions politiques profondes qui traversent la société américaine contemporaine. La série offre un tableau riche et nuancé en présentant une variété d’opinions et de motivations politiques parmi ses personnages principaux. Cette approche permet aux spectateurs de plonger au cœur de la complexité des questions politiques auxquelles sont actuellement confrontés les États-Unis, tout en illustrant les conflits entre conservateurs et progressistes. La famille Dutton elle-même incarne ces divisions internes. John et ses enfants représentent un éventail de points de vue politiques, allant du conservatisme intransigeant à l’ouverture aux idées progressistes, certes dans une moindre mesure. Cette divergence d’opinions au sein de la famille reflète la réalité des différences politiques qui existent au sein de nombreux foyers américains. De plus, la série introduit des personnages extérieurs à la famille Dutton qui incarnent des perspectives politiques diamétralement opposées. L’approche de la série est d’autant plus puissante qu’elle évite de diaboliser les personnages ou les opinions opposées. Elle présente les motivations de chacun de manière crédible, montrant que les acteurs politiques ont des raisons valables pour leurs actions, même si elles diffèrent. Cette approche humanise les personnages et les opinions divergentes, invitant ainsi les spectateurs à réfléchir aux causes et aux conséquences de ces divisions politiques. « Yellowstone » ne peut être pleinement appréciée sans la prise en compte de son contexte temporel, qui correspond en grande partie à l’ère de la présidence de Donald Trump. La série offre un éclairage intéressant sur les conflits politiques qui ont caractérisé cette période, même si elle ne prend pas explicitement position sur la politique américaine contemporaine. L’ascension de Donald Trump à la présidence en 2016 a polarisé la société américaine, divisant le pays sur une série de questions allant de l’immigration à l’environnement en passant par l’économie. Ces divisions politiques ont souvent été marquées par un discours polarisant, caractérisé par des affrontements verbaux virulents et des luttes pour le contrôle du pouvoir. « Yellowstone » capture avec intelligence cet environnement politique tendu. Les luttes pour le contrôle des ressources naturelles, les conflits entre les propriétaires fonciers et les intérêts commerciaux, ainsi que les tensions entre les conservateurs et les progressistes, évoquent les débats politiques d’aujourd’hui et reflètent la réalité politique et socioculturelle des États-Unis à l’ère de Trump, alors que ce dernier souhaite se représenter à l’élection présidentielle de 2024.

En fin de compte, « Yellowstone » offre une exploration complexe de la politique, de la famille et de la société américaine contemporaine. Elle suscite des questions essentielles sur les valeurs, les compromis et les divisions qui façonnent l’Amérique d’aujourd’hui. Cette série captivante invite les spectateurs à réfléchir non seulement aux enjeux politiques, mais aussi à la manière dont la politique interagit avec les aspects les plus intimes de nos vies. Elle nous rappelle ainsi le pouvoir de la fiction pour éclairer et explorer les complexités du monde réel qui nous entoure. « Yellowstone » transcende également les clivages politiques et réunit les Américains de tous bords. Des études ont montré que son audience est divisée presque à parts égales entre les démocrates et les républicains. Comme l’a souligné Keith Cox, président de Paramount Network : « Juste parce que ça se passe dans le Montana et qu’il y a des éleveurs, les gens disent que c’est une série pour la droite républicaine. Mais maintenant, on s’aperçoit que c’est une série pour tout le monde. » Cette capacité à unir un public diversifié reflète l’attrait universel de la série et son pouvoir de transcender les lignes partisanes pour engager des conversations importantes sur l’Amérique contemporaine.

Les 4 premières saisons de Yellowstone sont disponibles sur la plateforme Paramount+.

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Victor Jara, de la chanson aux chants

Culture

Victor Jara, de la chanson aux chants

Il y a 50 ans, retenu prisonnier par les milices pinochetistes, Victor Jara mourrait en martyr du socialisme. Les doigts brisés ou tranchés, abattu de plusieurs dizaines de balles de fusils, il fut l’une des innombrables victimes de la fureur contre-révolutionnaire à l’œuvre au mois de septembre 1973 au Chili. Poète et chanteur des classes laborieuses et des peuples opprimés, sa mort ne fut pas anodine. Elle caractérisa le fascisme qui était en train de se mettre en place, qui cherchait à écraser son opposition politiquement mais aussi culturellement. Elle fit s’éteindre la voix et la plume d’un artiste majeur du XXème siècle.

Fils de paysans modestes et mélomanes, il entama très jeune un travail en profondeur sur le folklore chilien. On ne pourrait résumer plus simplement ce qui allait naître sous le nom de Nueva Canción. Une musique populaire, assumant sa dimension politique, combinant le juste et le beau. Cette affirmation culturelle et sociale de l’Amérique du Sud hispanophone permit à deux des trois substrats du continent de se reconnaître : les héritages amérindiens et catalans, longtemps effacés à l’ombre de la domination castillane. Aboutissement musical du bolivarisme, la Nueva Canción était aussi une protestation contre la mainmise commerciale de l’industrie du disque nord-américain. Les instruments, le langage, les motifs, les arrangements, les paroles, la mélancolie, étaient anciens et modernes en même temps. Anciens dans l’écho qu’ils provoquaient et dans les origines des chanteurs et des auditeurs, modernes dans ses objectifs et ses capacités d’expression.

Ce bouillonnement culturel qui traversait l’Amérique latine des années 60 eut plusieurs figures de proue, et si Jara n’était pas le premier chilien à l’incarner, l’honneur en revient à la chanteuse Violetta Parra, il est celui dont le destin tragique est passé à la postérité. Dès 1961, il participa à des tournées internationales, tant à l’Ouest qu’à l’Est, pour chanter le Sud et ses identités plurielles. Membre de divers groupes de musique, ayant fondé le collectif, toujours en activité, Quilapayun, future voix des exilés chiliens, Jara avait fait le choix d’un engagement militant actif.

Membre dévoué du Parti Communiste Chilien, autant internationaliste que patriote, il s’engagea contre la guerre du Vietnam et l’impérialisme américain au nom du droit à vivre en paix, nom d’une de ses chansons les plus diffusées, El Derecho de Vivir en Paz. Partisan de la Unidad Popular, il se mit à son service, réarrangeant les paroles de Venceremos pour en faire l’hymne de la coalition à l’approche des législatives de 1973. Présent dans tous les événements de la révolution démocratique, dans les universités, dans les usines, en manifestation, il incarnait tout ce que la bourgeoisie fascisée avait juré d’abattre : le partage des richesses, le respect des amérindiens, le conflit assumé avec l’hégémonie états-unienne.

Les circonstances de sa mort, obscurcies par le régime qui voulait le faire disparaître, mythifiées par ses admirateurs qui voulaient le faire survivre, furent tragiques, comme évoqué plus haut. La suite ne fut guère plus humaine. Son corps fut exposé dans un stade où les opposants au coup d’Etat étaient emprisonnés.

La Nueva Cancion et la gauche chilienne, orphelines d’une de leurs figures tutélaires, ne tardèrent pas à honorer sa mémoire. Quiliapayun, en France pour la fête de l’Huma au moment du coup d’Etat, y resta en exil et contribua à propager ses chansons, de même que son ami Sergio Ortega, compositeur d’El Pueblo Unido Jamas Sera Vencido et de Venceremos, qui dirigea en exil l’école de musique de Pantin.

Si la présence, en France, de nombreux exilés chiliens peut expliquer la mémoire particulièrement entretenue du coup d’Etat de septembre 1973 et la notoriété dont jouissent Jara et les chansons de la Nueva Cancion dans notre pays, il n’y a pas que ces raisons conjoncturelles pour l’expliquer. Le destin de Jara et les paroles de ses chansons ont une dimension universelle, celle de la lutte contre l’injustice, de la liberté d’expression, de l’engagement jusqu’au bout.

Ses chansons sont devenues des chants, régulièrement repris lors des mouvements de protestation chilien, comme en 2019 quand des milliers de manifestants ont chanté en chœur El Derecho de Vivir en Paz.

Caminando caminando,

Voy buscando libertad

Ojalá encuentre camino

Para seguir caminando(1)

En marchant, en marchant,

Je cherche la liberté

Pourvu que je trouve le chemin

Pour continuer à marcher

Malheureusement, le chemin qu’a trouvé Jara fut celui des milices pinochetistes. Ses héritiers doivent le poursuivre sans lui.

Références

(1)Caminando, caminando, 1970, album Canto Libre

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Suzanne Valadon n’était-elle que l’amante de Toulouse Lautrec ?

Culture

Suzanne Valadon n’était-elle que l’amante de Toulouse Lautrec ?

Cet article revient sur le parcours et les oeuvres d’une artiste majeure et longtemps méconnue, Suzanne Valadon.
Qui était Suzanne Valadon ?

Les femmes artistes ont souvent été laissées sur le côté et effacées de la mémoire collective : tel est le cas de Suzanne Valadon. On a davantage retenu les noms des hommes de son entourage (Degas, Toulouse-Lautrec, ou encore son fils Maurice Utrillo).

De son vrai prénom, Marie-Clémentine, Suzanne est née en 1865, et est originaire d’un petit village en Haute-Vienne. Elle s’installe à Paris (Montmartre) en 1870, et enchaîne les petits boulots, après avoir suivi une formation religieuse.

Elle devient rapidement modèle (après s’être essayée au cirque) et pose pour des peintres connus (Toulouse-Lautrec, Renoir, etc.) : c’est ainsi qu’elle observe les techniques, qu’elle se forme à la peinture. Elle n’a jamais eu accès aux grandes écoles d’art : les femmes en étaient majoritairement exclues à cette époque. Ce n’est qu’en 1897 qu’elles sont autorisées à passer les examens d’entrée à l’Ecole et Beaux-arts et l’Académie des Beaux-arts a longtemps limité le nombre de femmes à 15 (jusqu’en 1793)(1).

Les peintres pour lesquels elle pose, deviennent rapidement des inspirations à part entière : c’est le cas de Toulouse-Lautrec, avec qui elle entretient par la suite une relation amoureuse, ou encore de Degas, ami proche, qui possèdera nombreuses de ses œuvres. Une fois sa vie de modèle derrière elle, Suzanne Valadon continue néanmoins de s’inspirer des hommes de son entourage, comme son fils ou son mari, André Utter (qu’elle représente, à ses côtés, sur le tableau Adam et Eve, tableau transgressif pour l’époque), ou encore de ses nombreuses conquêtes.

Suzanne Valadon revendique par ailleurs une vie sexuelle en dehors des conventions classiques, comme le mariage (rappelons que nous sommes à la fin du 19ème siècle !). Sa transgression va plus loin : elle défraye la chronique avec ses tableaux représentant des corps nus, qu’elle peint au prisme du réel, sans les enjoliver. Suzanne Valadon est, ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui, une féministe.

Suzanne Valadon connaît de son vivant, le succès : elle expose régulièrement au Salon des Indépendants, au Salon de l’Automne, ou encore à la Galerie Bernheim-Jeune. Elle rejoint également la Société des Femmes artistes en 1933(2), quelques années avant de s’éteindre. Pourtant sa postérité dans la mémoire collective n’égalera jamais celle de Toulouse-Lautrec ou Utrillo

Peindre les corps, au prisme du réel

La spécialité de Suzanne Valadon (mais non pas son unique talent) est de peindre le nu, des autoportraits comme Autoportrait aux seins nus, 1931, et des nus de femmes et d’hommes. Pour l’époque, c’est transgressif : elle est une des premières femmes à le faire, c’est également une nouveauté de représenter les hommes nus. Surtout, elle ose ne pas lisser les corps, ils apparaissent tels qu’ils sont, marqués par le temps qui passe, par les évènements d’une vie. Les poils féminins, tout comme les sexes, ne sont en rien camouflés. Elle peint les corps, au prisme du réel. 3 œuvres de l’artiste sont profondément marquantes(3):

Tableau Vénus noire, 1919 (Centre Pompidou)

Exposée au Centre Pompidou, cette huile sur toile est particulièrement impressionnante : elle représente une femme nue, de couleur, qui se couvre le sexe. Il a été courant pour les artistes de peindre des personnes non occidentales : on peut penser à Gauguin, lors de sa découverte de Tahiti. Pour autant, de nombreuses peintures pourraient être qualifiées de « colonialiste » mettant en scène les corps de façon « exotique ». Ici, Vénus noire impressionne, par sa grandeur, son regard, et la sensation de réel renvoyée par le tableau.

Tableau Joy of life, 1911 (Metropolitan Museum of Art)

Exposée au Metropolitan Museum of Art, ce tableau a presque des airs de peinture religieuse. Ce qui l’éloigne de ce registre, est la présence d’un homme nu sur la droite et des attributs féminins qui sont mis en avant plutôt que cachés.

Tableau tireuse de cartes (1912, Musée de Montmartre)

Exposée au Musée de Montmartre, ce tableau représente une scène d’oracle (inspirée peut-être de ses essais au cirque ?), avec une dame qui tire les cartes à une femme nue allongée sur son canapé. Un point de lumière éclaire la poitrine de cette femme. Les attributs, le sexe, les poils, ne sont encore une fois pas dissimulés.

Ou retrouvez ses œuvres ?

Pour mesurer le talent de cette artiste, vous pouvez retrouver certaines de ses œuvres en France : au Musée de Montmartre à Paris (rue Cortot), où vous pouvez également visiter son atelier de l’époque ; au Centre Pompidou-Paris, telles que la Vénus noire. Une exposition spéciale lui était dédiée au Centre Pompidou-Metz, et a pris fin le 11 septembre 2023.

Références

(1)Dates clés de l’histoire des femmes et de l’art à retrouver ici : https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Musees/Les-musees-en-France/Les-collections-des-musees-de-France/Decouvrir-les-collections/Les-femmes-artistes-sortent-de-leur-reserve/Informations-complementaires/Dates-cles#:~:text=1881%20%3A%20L’Union%20des%20femmes,arts%20et%20accro%C3%AEtre%20leur%20visibilit%C3%A9.

(2) La Société des Femmes Artistes est une association créée en 1931, et qui prendra fin en 1938. Elle organise des salons pour exposer annuellement les œuvres de femmes.

(3) La selection de ces trois œuvres est le choix de l’autrice. D’autres tableaux de Suzanne Valadon restent à découvrir pour mesurer l’entiéreté de son talent.

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L’autre 11 septembre, 50 ans du coup d’État militaire au Chili

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L’autre 11 septembre, 50 ans du coup d’État militaire au Chili

Le 11 septembre 1973, dans la capitale chilienne Santiago du Chili, les forces armées du Général Augusto Pinochet bombardent le Palais présidentiel “La Moneda” dans lequel est retranché le président socialiste Salvador Allende avec sa garde rapprochée. Plus tôt dans la nuit, les putschistes se sont emparés de Valparaiso, ville côtière située à une centaine de kilomètres de la capitale. Alors que l’armée menée par le Général Pinochet propose au président l’exil en assurant sa protection et celle de sa famille, Salvador Allende refuse. Il décide alors de transmettre un message radiophonique au peuple chilien et met fin à ses jours à l’aide d’un fusil dans un salon du Palais présidentiel.

Le 11 septembre 1973, dans la capitale chilienne Santiago du Chili, les forces armées du Général Augusto Pinochet bombardent le Palais présidentiel “La Moneda” dans lequel est retranché le président socialiste Salvador Allende avec sa garde rapprochée. Plus tôt dans la nuit, les putschistes se sont emparés de Valparaiso, ville côtière située à une centaine de kilomètres de la capitale. Alors que l’armée menée par le Général Pinochet propose au président l’exil en assurant sa protection et celle de sa famille, Salvador Allende refuse. Il décide alors de transmettre un message radiophonique au peuple chilien et met fin à ses jours à l’aide d’un fusil dans un salon du Palais présidentiel.

“Travailleurs : j’ai confiance au Chili et à son destin. D’autres hommes espèrent plutôt le moment gris et amer où la trahison s’imposerait. Allez de l’avant sachant que bientôt s’ouvriront de grandes avenues où passera l’homme libre pour construire une société meilleure. Vive le Chili, vive le peuple, vive les travailleurs ! Ce sont mes dernières paroles, j’ai la certitude que le sacrifice ne sera pas vain et qu’au moins ce sera une punition morale pour la lâcheté et la trahison.”

 Si de multiples théories sur  les causes de sa mort se sont vite répandues, la Cour de cassation chilienne a confirmé la thèse du suicide dans une décision rendue le 6 janvier 2014, soit plus de quarante ans après le coup d’État militaire.(1)

Ce 11 septembre 1973, en début d’après-midi, l’armée a pris le pouvoir par la force, le Chili bascule dans une dictature sanglante qui dura près de 17 années jusqu’en 1990.

Issu d’un milieu bourgeois et descendant d’une famille basque, Salvador Allende s’engage très vite en politique et participe en 1933 à l’âge de 25 ans à la création du Parti socialiste chilien dont il deviendra le secrétaire général. Brillant parlementaire, président du Sénat et ministre, il est élu à la présidence de la République chilienne le 24 septembre 1970 après plusieurs tentatives en 1958 et 1964. Les idées marxistes arrivent pour la première fois dans le monde au pouvoir dans un cadre démocratique. La classe ouvrière, les paysans et la jeunesse voient l’espoir de réels changements pour une société plus juste et solidaire. Salvador Allende instaure le gouvernement d’Unité populaire avec lequel il ambitionne d’endiguer la crise économique et sociale que traverse le pays. Très rapidement et sous l’impulsion d’une action viscéralement du côté des plus précaires, le Chili engage de grandes réformes économiques en nationalisant plusieurs secteurs stratégiques dont celui des mines de cuivre. Le pays en est le 4ème producteur mondial avec 685 000 tonnes extraites en 1970 et deuxième exportateur.(2) Par un amendement constitutionnel (Ley 17450)(3) voté à l’unanimité le 11 juillet 1971, le Chili consacre le droit inaliénable de l’État à disposer des ressources naturelles. Cette nationalisation, entrée en vigueur dès le lundi 12 juillet 1971, a fortement aggravé les relations déjà tendues avec les États-Unis puisque ce dernier contrôlait plusieurs mines de cuivre. S’ensuit alors un long combat judiciaire entre l’État chilien et les États-Unis sur l’indemnisation qui accentuera la défiance, déjà forte, des Américains envers le gouvernement socialiste. D’autres réformes visant à améliorer les conditions de vie des travailleuses et des travailleurs ont été adoptées notamment grâce au développement d’une véritable politique de syndicalisation afin de créer de véritables droits sociaux face au pouvoir économique. C’est ainsi que les Chiliens voient leurs salaires augmentés, les prix gelés et la retraite à 60 ans instaurée. Dans le domaine de la santé, plusieurs actes médicaux sont rendus gratuits dont les accouchements.(4)

Malgré toutes ces initiatives, la crise économique et financière que traverse le Chili n’est pas enrayée par les réformes structurelles portées par le gouvernement socialiste. Les États-Unis, qui voient leurs intérêts directement menacés, ont soutenu ce mouvement d’opposition et encouragé la prise du pouvoir par le Général Pinochet. À l’aube du coup d’État militaire, la gauche chilienne se divise entre ceux qui souhaitent freiner les réformes et discuter avec l’opposition et ceux qui prônent un approfondissement des réformes économiques et sociales engagées depuis 1970. Néanmoins, les difficultés économiques subies par le Chili lors des 3 années de la présidence d’Allende ne peuvent faire oublier les avancées sociales permises par le gouvernement d’Unité populaire, au premier rang desquelles l’enracinement des principes démocratiques et le respect des libertés publiques. C’est ainsi qu’aucune violation des droits humains ne sera connue au Chili jusqu’au coup d’État.(5)

Ce 11 septembre 1973, au matin, le Chili tombe aux mains des putschistes et sombre dans une dictature sanguinaire. Les forces armées, pourtant réputées légalistes(6) dans ce pays, installent une junte militaire dirigée par quatre officiers avec à leur tête Augusto Pinochet, nommé quelques mois plus tôt commandant en chef de l’armée par le président Salvador Allende dont ce dernier avait toute la confiance pour assurer la sécurité du Chili. Dès lors, une terrible répression des opposants politiques est mise en place : le stade de Santiago est réquisitionné pour servir de prison pour 40 000 hommes et les arrestations se multiplient à travers tout le pays. Le  Rapport de la commission nationale sur l’emprisonnement et la torture publié en novembre 2004, dit Rapport Valech, indique que plus de 33 000 personnes ont été arrêtées arbitrairement dont 27 255 d’entre-elles pour des raisons politiques durant le coup d’État. Ce sont près de 3 200 personnes qui seront tuées ou portées disparues. Les chiffres divergent selon les sources : entre 250 000 et 1 million de chiliens s’exileront entre 1973 et 1989. Le régime dictatorial met en place un système de torture des plus cruels : utilisation des rats, de l’électricité, de l’eau, violences physiques – dont des viols, et sévices sur les familles des prisonniers.(7)

Installée au pouvoir, la junte militaire mène une politique néolibérale, inspirée des Chicago Boys(8) et toujours soutenue par les États-Unis. Dans deux documents déclassifiés par l’État américain en août 2023, on y apprend que Agustín Edwards Eastman, probablement l’homme le plus riche du Chili et propriétaire du journal conservateur El Mercurio aurait rencontré le président des États-Unis Richard Nixon(9) quelques jours après l’élection de Salvador Allende après quoi le chef d’État américain aurait demandé à bloquer l’économie chilienne. C’est ainsi que plusieurs entreprises publiques sont privatisées et que le régime instaure la retraite par capitalisation.(10) Dans le même temps, les budgets de l’éducation et des affaires sociales sont considérablement baissés. Grâce à ce tournant économique, le régime de Pinochet a véritablement créé une économie de rente où un petit nombre d’entreprises s’enrichit grâce à l’exploitation des ressources naturelles du pays et ce système perdure encore aujourd’hui. 1% des Chiliens s’approprient 33 % des revenus du pays.(11)

En 1978, après de multiples condamnations internationales, notamment émanant de l’Organisation des Nations unies (ONU), le régime dictatorial organise un plébiscite dans des conditions obscures et fait adopter plusieurs lois d’amnistie afin de protéger les auteurs des crimes perpétrés lors du coup d’État. Le gouvernement chilien libère alors quelques prisonniers politiques dont le secrétaire général du Parti communiste chilien et sénateur Luis Corvalan. Dans un contexte de crise économique dans une société où les droits humains sont encore bafoués, l’espoir renaît peu à peu lorsqu’en novembre 1988 est organisé un référendum afin de prolonger jusqu’en 1997 le dictateur Pinochet au poste de président de la République. Après une campagne où les oppositions se sont organisées et rassemblées, le résultat est sans appel : 3 967 569 (55,99%) chiliens votent non. Le dictateur Pinochet quitte alors la présidence du Chili mais reste commandant en chef des forces armées jusqu’en 1998 et obtient un siège de sénateur à vie dont l’immunité le protégera. Le Chili enclenche alors une longue transition démocratique qui se traduit par l’organisation d’une élection présidentielle en 1989 durant laquelle Patricio Aylwin est élu président de la République. Son mandat est marqué par une forte croissance économique – de l’ordre de 10% par an, et le retour aux principes démocratiques d’un État de droit.

Plus de 30 ans après le retour à la démocratie, le Chili porte toujours aujourd’hui les stigmates de cette période où les libertés publiques ont été bafouées et des crimes infâmes commis. Depuis 2021 et l’élection de Gabriel Boric, ancien syndicaliste étudiant, le pays renoue avec un récit social où la défense des classes populaires prime sur les intérêts économiques d’une minorité. Néanmoins, l’échec de la proposition de nouvelle constitution progressiste lors d’un référendum en septembre 2022 avec plus de 61% de votes contre, le Chili se heurte aux fantômes de son passé. Cette proposition de constitution visait notamment à rompre avec celle héritée de l’ère Pinochet et portait l’ambition d’un nouveau souffle démocratique en renforçant la liberté d’expression. Il s’agissait d’un texte composé de 387 articles répartis en 11 chapitres, ce qui en aurait fait la plus longue constitution au monde.

Face au rejet massif, le président Boric s’est engagé à construire un nouveau processus constitutionnel en appelant toutes les forces politiques à y contribuer. Le fantôme d’Augusto Pinochet règne encore sur la  société chilienne où les conservatismes sont encore très puissants. Les constituants devront donc réconcilier un peuple fracturé qui n’a pas encore tourné la page d’une période dont la transparence n’a vraisemblablement pas été totalement établie.

Pour aller plus loin :

“Chili, par la raison ou par la force” réalisé par Lucie Pastor et Paul Le Grouyer, (Fr., 2022, 90 min) : https://www.arte.tv/fr/videos/112851-000-A/chili-par-la-raison-ou-par-la-force/

“Allende, c’est une idée qu’on assassine”, écrit pas Thomas Huchon, 2010.

“Des femmes contre Pinochet – Odile Loubet et les résistantes de l’ombre (Chili 1973-1990)” écrit pas Samuel Laurent Xu avec la collaboration de Gaspard Marcacci Thiéry, 2023.

 

 

Références

(1)Le Monde avec AFP, « Chili : la Cour suprême conclut au suicide de Salvador Allende », Le Monde, 7/01/2014.

(2)KALFON Pierre, « Après la nationalisation du cuivre : les négociations avec les États-Unis seront difficiles », Le Monde Archives, 14/07/1971.

(3) Ley 17450, Reforma de la Constitution politica del Estado, Ministerio de Minería, Biblioteca del Congreso Nacional de Chile, Promulgación:15/07/1971.

(4) Radio Canada, “Il y a 50 ans, Salvador Allende devenait président du Chili”, 2/11/1970.

(5) PALIERAKI Eugenia, « Crise et fin de la démocratie », Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe, 29/09/22.

(6) COMPAGNON Olivier. « Chili, 11 septembre 1973. Un tournant du xxe siècle latino-américain, un événement-monde », Revue internationale et stratégique, vol. 91, no. 3, 2013, pp. 97-105.

(7) FERNANDEZ Marc et RAMPAL Jean-Christophe, Pinochet : un dictateur modèle, Paris, Hachette, 2003, 279 p.

(8) Il s’agit d’un groupe d’économistes chiliens formé aux États-Unis dans les années 60, opposé au président Salvador Allende et soutien actif de la dictature d’Augusto Pinochet.

(9) Sankari Lina, “Le Chili exige la vérité sur le rôle des États-Unis dans le coup d’État de 1973”, L’Humanité, 29/08/2023.

(10) THOMAS Gérard, “Pinochet, seize ans de dictature”, Libération Archives, 14/11/1998.

(11) Programa de las Naciones Unidas para el Desarrollo, « Desiguales. Orígenes, cambios y desafíos de la brecha social en Chile », 9/05/2018.

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