Sans mixité sociale à l’école, la promesse républicaine ne peut pas être tenue

La Cité

Sans mixité sociale à l’école, la promesse républicaine ne peut pas être tenue

Les collèges et les lycées privés concentrent en leur sein les élèves les plus favorisés : une ségrégation s’opère sous nos yeux, mettant à mal le contrat social républicain. Pierre Ouzoulias, sénateur communiste des Hauts-de-Seine déplore l’insuffisance des actions, purement « cosmétiques » du ministère de l’Education nationale.

Un fiasco. Telle est, en substance, la façon dont nous pouvons résumer les annonces formulées par Pap Ndiaye en matière de mixité sociale dans les écoles privées.

Prévu depuis plusieurs mois, reporté à plusieurs reprises au grand dam des journalistes qui n’en finissaient plus de jongler avec leurs agendas, ce plan de lutte contre le séparatisme scolaire était attendu par tous ceux qui avaient pris au sérieux les intentions affichées par le ministre de l’Éducation nationale. Il faut dire que le locataire de la rue de Grenelle s’était fortement exprimé, arguant lors d’une séance au Sénat que ce sujet constituait « une priorité de son ministère (…). Les élèves défavorisés représentant 42 % des élèves dans le public, contre 18 % dans le privé. ».  

Si ce phénomène n’est pas nouveau, celui-ci a toujours été rendu opaque par des personnes qui avaient intérêt à poursuivre l’écriture de la fable selon laquelle notre système éducatif demeure parfaitement égalitaire. Et comme les conséquences d’une illusion ne sont pas illusoires, certains se sont réfugiés dans le confort de récits individuels pour mieux se détourner du mouvement de fond qui se jouait au profit des établissements scolaires privés.

La réalité a fini par s’imposer à tous avec la publication des indices de position sociale (IPS) en octobre 2022. Calculé selon une méthodologie établie par les services statistiques de l’éducation nationale en fonction des catégories socioprofessionnelles des deux parents, de leurs diplômes, des conditions de vie, du capital, des pratiques culturelles et de l’implication des parents dans la scolarité de leur enfant, l’IPS est un outil pertinent pour appréhender la composition sociologique de nos écoles. Or, depuis que ces données ont été rendues publiques, nous savons que dans la France entière, hexagonale et ultra-marine, les collèges et les lycées privés concentrent en leur sein les élèves les plus favorisés, et ce dans des proportions parfois très importantes. La fracture est encore plus nette s’agissant de l’écart entre les lycées d’enseignement général et les lycées professionnels.

Dans mon département, les Hauts-de-Seine, cette dualité s’exprime de manière paroxystique. Les 15 collèges à l’IPS le plus faible sont des établissements publics, tandis que les 15 collèges à l’IPS le plus élevé sont des établissements privés. Les proportions sont quasiment équivalentes pour les lycées, puisque, dans les 20 établissements à l’IPS le plus élevé, on dénombre 16 établissements privés, ainsi qu’un établissement public basé à Neuilly sur Seine, soit dans une ville qui cultive une endogamie sociale peu propice à la mixité. À l’inverse, il faut déplorer que parmi les 20 lycées à l’IPS le plus faible, 19 soient des établissements publics.

Plus que des chiffres, ces statistiques traduisent une réalité politique terrifiante : une ségrégation scolaire se déroule sous nos yeux, laquelle met gravement en cause notre contrat social républicain. Au fond, nous courrons le risque de voir deux jeunesses grandir sans jamais se rencontrer, séparées parce que l’une est mieux née que l’autre. Je ne résiste pas à l’envie de citer les propos de Pierre Waldeck-Rousseau lorsque celui-ci luttait contre les congrégations en sa qualité de président du Conseil. Prononcé en 1900, ce discours semblera d’une grande acuité à l’esprit de celles et ceux qui ont pris la mesure de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui :

« (…) deux jeunesses moins séparées encore par leur condition sociale que par l’éducation qu’elles reçoivent, grandissent sans se connaître, jusqu’au jour où elles se rencontrent si dissemblables qu’elles risquent de ne plus se comprendre. Peu à peu se préparent ainsi deux sociétés différentes — l’une, de plus en plus démocratique, emportée par le large courant de la Révolution, et l’autre, de plus en plus imbue de doctrines qu’on pouvait croire ne pas avoir survécu au grand mouvement du XVIIIe siècle — et destinées à se heurter».

Sommes-nous revenus au début du XX siècle ? Comparaison n’est pas raison et je ne me risquerais pas à un anachronisme, aussi séduisant soit-il. Pour autant, est-ce que le gouvernement a décidé de lutter efficacement contre le séparatisme scolaire qui est le nôtre aujourd’hui ? Hélas, non.

En effet, force est d’admettre que le protocole signé entre Pap Ndiaye et le secrétariat général de l’enseignement catholique (SGEC) apparait, au mieux, comme de la très mauvaise cosmétique. Tout juste est-il demandé aux établissements privés de jouer le jeu de la mixité sociale sans qu’aucun objectif contraignant ne leur soit assigné, alors même que ces établissements sont financés à hauteur de 73 % par la puissance publique. Pouvait-il en être autrement ? Je ne l’ai jamais cru, étant donné que le SGEC se savait soutenu par Emmanuel Macron lui-même. N’oublions pas que le macronisme repose sur une anthropologie profondément darwinienne. La société doit appartenir aux vainqueurs de la compétition inhérente au néolibéralisme. À ce titre, les institutions républicaines sont perçues comme des obstacles à la privatisation du monde. Rien de surprenant donc à ce que le Président de la République s’oppose avec véhémence à tout ce qui pourrait contrecarrer un système qu’il chérit tant.

Il faut cependant savoir gré au ministre Pap Ndiaye d’avoir porté sur la place publique un débat que son prédécesseur avait soigneusement évité. Défendre l’école républicaine c’est d’abord dénoncer la ségrégation scolaire qui ruine son projet. C’est pour cette raison qu’en avril dernier, j’ai déposé une proposition de loi visant à conditionner les subventions accordées aux établissements privés sous contrat à des critères de mixité sociale. En d’autres termes, si une école privée ne joue pas le jeu de la mixité sociale, alors les subventions publiques qui lui sont attribuées seront réduites et reversées à l’école publique. A contrario, il n’est pas question d’augmenter les subsides des écoles privées qui s’en sortiraient un peu mieux en la matière. L’idée n’est pas de récompenser les plus vertueux, mais bel et bien de châtier ceux qui concourent à l’expression du séparatisme scolaire.

Ce texte, travaillé de concert avec le Comité National d’Action Laïque (CNAL), a connu une résonance médiatique inespérée. Sans doute parce que depuis de très nombreuses années, la gauche est restée bien silencieuse à ce propos. D’un côté, certains ont peur de relancer la guerre scolaire déclenchée par la réforme Savary, quand d’autres craignent de se retrouver face à leurs propres contradictions. J’entends aussi quelques camarades profondément hostiles à l’école privée refuser de légiférer contre cette dernière au motif que cela reviendrait à conforter son existence.

À ceux-là, je réponds que je suis un enfant de la Révolution française, de 1848, de la Commune de Paris, de Jaurès et du Front populaire. À ceux-là, je réponds que je suis un farouche partisan de la République laïque et sociale et donc, par conséquent, un opposant au dualisme scolaire tel qu’il se pratique dans notre pays. L’école publique est la seule chère à mon cœur. Je peux admettre l’existence de l’école privée, mais certainement pas si celle-ci se trouve financée par la République.

Très attaché à cet idéal, je n’en demeure pas moins lucide sur le rapport de force préexistant à la bataille culturelle et politique que nous devons mener sur ce sujet. Avouons-le : l’école privée et ses thuriféraires sont déjà très bien installés. Ils mènent une guerre scolaire que nous sommes en train de perdre. Nous pouvons chanter toute la journée qu’il faudrait abroger les lois Debré et Carle que cela ne changerait rien à l’affaire. Notre stratégie a échoué. La masse est silencieuse, voire indifférente ou hostile, tandis que de notre côté, nous ne parvenons plus à mobiliser nos troupes, poussant ainsi certains d’entre nous à renoncer à ce noble combat de la famille laïque. Jean-Luc Mélenchon, républicain convaincu et premier candidat de la gauche lors des dernières élections présidentielles, n’a-t-il pas affirmé lui-même dans un entretien publié dans La Croix au mois de mars 2022 qu’« abroger la loi Debré n’est pas d’actualité. Ce serait créer le chaos dans tout le pays, car la relève publique n’existe pas. Et je ne veux pas d’une guerre scolaire (…) La bataille rangée entre cléricaux et républicains est dépassée. »

Voilà où nous en étions avant le lancement du débat sur la mixité sociale au sein de l’école privée. Mais depuis le dépôt de ma proposition de loi, les lignes bougent à nouveau. Des forces laïques se mettent en mouvement. Je pense bien entendu au CNAL, mais aussi à l’Union des familles laïques (UFAL) qui vient d’apporter un soutien officiel à mon texte. Des femmes et des hommes politiques de tous les horizons nous rejoignent. La presse et les médias s’intéressent à la cause. Et, à force de maïeutique, chacun se retrouve à rediscuter de la pertinence du dualisme scolaire tel qu’il s’exerce en France. De manière assez inattendue, nous avons également été soutenus de façon indirecte par la Cour des comptes. En effet, dans un rapport remis la semaine dernière, les magistrats de la rue Cambon, qui n’ont pas été tendres avec l’école privée, préconisent de prendre en considération la composition sociale et le niveau scolaire des élèves accueillis pour déterminer la participation financière de l’État. C’est dire !

Notre stratégie fonctionne. Ce qui a été perdu hier peut être regagné demain, à condition que nous nous en donnions les moyens. L’école publique doit redevenir le nouvel horizon d’attente de l’utopie républicaine.

Pierre Ouzoulias

Sénateur communiste des Hauts-de-Seine

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À tort ou à raison, certains jours ont vocation à figurer comme des dates importantes de notre histoire politique et sociale. S’il n’est pas question pour moi de sombrer dans l’histoire évènementielle, je pense néanmoins que le mardi 7 mars devra être marqué d’une pierre blanche. Retour sur une belle journée pour la démocratie sociale et une triste nuit pour la démocratie parlementaire.

Article disponible également ici : https://blogs.mediapart.fr/pierre-ouzoulias/blog/080323/sombre-nuit-pour-la-democratie-parlementaire

Tout avait commencé par une mobilisation sociale historique. Des millions de personnes ont défilé dans les rues, partout en France, dans l’Hexagone et dans les territoires ultra-marins, pour dire non à la réforme des retraites défendue par Emmanuel Macron, son gouvernement et les Républicains. Au cœur de la manifestation parisienne, j’ai vu des femmes et des hommes déterminés à se battre pour obtenir le retrait d’un projet de loi qui va contraindre des millions de travailleuses et de travailleurs à travailler deux ans plus. J’ai également discuté avec des primomanifestants, ulcérés par le coup de force intenté par le gouvernement contre les velléités exprimées par le peuple.

Pour tout vous dire, cela faisait bien longtemps que je n’avais pas ressenti une telle puissance dans nos rangs, nous qui sommes, il faut l’admettre, trop souvent relégués du côté des vaincus de l’Histoire. Je n’ai pas la prétention de parler au nom de tous les parlementaires de gauche, mais je pense que ce soulèvement populaire nous a donné énormément de force pour mener la bataille au Parlement. Dans ces occasions, nous ne sommes pas 15, 50, ou 75 dans l’hémicycle. Nous sommes des millions. Nous sommes un peuple uni. 

Hélas, ce moment historique a rapidement été gâché par des pratiques politiciennes avilissantes pour notre démocratie parlementaire.

À l’Assemblée nationale d’abord, où le Garde des sceaux n’a rien trouvé de mieux à faire que d’asséner deux bras d’honneur en direction d’Olivier Marleix, président du groupe Les Républicains, sous prétexte que ce dernier lui aurait manqué de respect, en lui rappelant simplement sa mise en examen. Il aura fallu une suspension de séance, puis les remontrances de la Présidente de l’Assemblée nationale pour que Monsieur Dupont-Moretti daigne s’excuser pour ce geste indigne de sa fonction, lequel aurait certainement contraint le ministre à démissionner séance tenante dans n’importe quelle autre démocratie parlementaire.

Puis le pire s’est produit au Sénat en pleine nuit, durant l’examen de l’article 7 de la réforme des retraites, celui-là même qui intronise le recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans.

Depuis le début des discussions entourant ce projet de loi, nous autres sénateurs communistes, socialistes et écologistes, nous nous battons pied à pied, jour et nuit, pour obtenir le retrait de ce texte et obliger le gouvernement à révéler ses véritables intentions politiques. Nous avions bien entendu identifié que l’un des points d’orgue de cette bataille figurait à l’article 7 du projet de loi et c’est pourquoi nous avions déposé beaucoup d’amendements sur ce sujet, tous concernant le fond de cette réforme, dans le strict respect du règlement du Sénat. Par exemple, nous voulions nous exprimer dans le détail sur les ravages que cette réforme allait faire sur un grand nombre de profession. J’avais prévu pour ma part de mettre en lumière les immenses difficultés rencontrées par les professeurs, les chercheurs, les enseignants-chercheurs et les doctorantes et les doctorants.

Mais il en était trop pour la droite sénatoriale, déterminée à finir le sale boulot entamé par le gouvernement avec l’emploi de l’article 47-1 de la Constitution, lequel limite le temps du débat parlementaire. C’est ainsi que vers 1 h du matin, Bruno Retailleau, en accord avec Gérard Larcher, demanda l’application de l’article 38 du règlement du Sénat (jamais appliqué depuis son intronisation) pour clôturer les explications de vote sur les amendements de suppression, afin d’accélérer la discussion. Un seul orateur par groupe put alors prendre la parole. Nous avons évidemment protesté contre ce coup de force et notre Présidente de groupe, Éliane Assassi, a eu raison de dire que ces agissements témoignaient, au fond, de la faiblesse qui gagnait les rangs de la majorité sénatoriale.

Ce maniement autoritaire du règlement n’était que le premier acte d’une pièce savamment mise en scène par les Républicains et le Gouvernement. Profitant de la suspension de séance qui a suivi l’usage de l’article 38 du règlement, la commission des affaires sociales — dirigée par les Républicains — a pris soin de déposer un amendement de rédaction globale de l’article 7. Pourquoi agir ainsi ? Tout simplement pour faire tomber le millier d’amendements restant à débattre à l’article 7, lesquels devenaient forcément caducs, puisqu’ils ne correspondaient plus au texte en discussion dans l’hémicycle.

Fort heureusement, nos collaborateurs, dont je salue ici l’immense travail et l’intense dévouement, avaient anticipé ce scénario, ce qui leur a permis, en pleine nuit, de déposer des sous-amendements sur le nouvel article 7 issu de la commission des affaires sociales.

Avec les autres groupes de gauche, nous avons ainsi proposé 4000 sous-amendements. 4000 sous-amendements qui furent étudiés et jugés irrecevables en… 45 minutes par la commission des affaires sociales. Les Françaises et les Français ont la réputation d’être parmi les travailleurs les plus productifs du monde, mais il est peu dire qu’ils font pâle figure face à la commission des affaires sociales du Sénat ! Voyez plutôt : 4000 sous-amendements examinés en 45 minutes, cela revient à dire que la commission a traité 88 amendements par minute. Chapeau l’artiste !

Bien évidemment, en réalité, aucun de nos sous-amendements n’a été sérieusement examiné. Les Républicains ont tout simplement renvoyé nos propositions dans les abysses, trop déterminés à en finir avec une discussion qui les dérange.

Dans ces conditions, il n’était plus question pour nous de siéger dans l’hémicycle et donner quitus à ce qui ressemblait à un simulacre de démocratie. C’est suite à notre départ, ainsi que de celui des sénateurs socialistes et écologistes, que la séance a été levée, à 3 h 30 du matin. Les discussions vont reprendre aujourd’hui, à l’article 7, pour lequel il reste 75 amendements à examiner.

N’en déplaise aux défenseurs de cette réforme, notre détermination demeure intacte. Nous ne lâcherons rien, même si les Républicains et le gouvernement, unis dans une même majorité, font de nouveau usage des outils du parlementarisme rationalisé. Nous sommes soudés et je dois dire que je suis honoré de figurer dans cette page de notre histoire aux côtés de mes valeureux collègues que j’aimerais citer ici : Éliane Assassi, Présidente de notre groupe, Cathy Apourceau-Poly, Jérémy Bacchi, Éric Bocquet, Céline Brulin, Laurence Cohen, Cécile Cukierman, Fabien Gay, Michelle Gréaume, Gérard Lahellec, Pierre Laurent, Marie-Noëlle Lienemann, Pascal Savoldelli et Marie-Claude Varaillas.

Si le gouvernement et les Républicains n’ont pas été dignes de notre démocratie parlementaire, nous ferons toujours en sorte d’être dignes des aspirations exprimées par les millions de personnes qui manifestent depuis plusieurs semaines.

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