Le Nouveau Front Populaire doit devenir le camp de la concorde nationale

Le Nouveau Front Populaire doit devenir le camp de la concorde nationale

La situation politique inédite dans laquelle nous nous trouvons, celle de la constitution de trois blocs sans majorité à l’Assemblée nationale, nécessite de ralentir et de s’accorder, chose difficile s’il en est dans le brouhaha ambiant, un temps de réflexion et d’analyse. Mettre fin au cocktail explosif entre bataille identitaire et réseaux sociaux, rompre avec l’impuissance publique qui mine le pays depuis 40 ans, renouer avec des politiques ambitieuses de cohésion sociale. Tel pourrait être le sens d’une gauche qui assumerait de nouveau être le camp d’une concorde nationale retrouvée.

Une Assemblée tripartite : résultat du rejet du RN

Alors que l’ensemble des sondages réalisés dans l’entre-deux tours donnait le Rassemblement national en tête (voire en situation de majorité relative ou absolue) c’est bien le Nouveau Front Populaire qui s’est imposé lors de ces élections législatives anticipées. Avec 182 députés, il devance Ensemble (168 sièges) et le Rassemblement national et ses alliés « ciottistes » (143 sièges, soit un gain de 54 sièges depuis 2022) F

Si le Nouveau Front Populaire s’impose, il reste en revanche très loin de la majorité absolue (289 sièges) tandis que la composition de l’Assemblée entérine la tripartition du paysage politique. Ce que le politiste Pierre Martin observait dès 2018 dans la majorité des démocratie occidentales.

Le nouveau système partisan qui se dessine sous nos yeux semble effectivement prendre la forme d’une structure tripolaire composée d’une droite conservatrice-identitaire (parfaitement incarnée par l’alliance Ciotti-RN), d’une gauche démocrate-écosocialiste et d’un centre libéral-mondialisateur[1].

S’il s’agit d’une tendance de fond qui travaille l’ensemble des systèmes partisans occidentaux, la situation reste inédite dans le cas de la Ve République française peu habituée aux logiques de coalition.

Il faut en revanche garder en tête que le résultat de ce second tour n’est dû qu’aux désistements de candidats NFP et macronistes afin d’éviter un Rassemblement national majoritaire à l’Assemblée. Le front républicain a fonctionné mais force est de constater qu’il se délite peu à peu et que le barrage est de moins en moins efficace.

A tel point que le politiste Jean-Yves Dormagen, considère qu’il s’agit désormais « d’une coalition électorale de barrage plus faible, plus incertaine, allant de l’électorat de gauche jusqu’à une partie des modérés[2] » et non d’un véritable front comme cela avait pu être le cas auparavant.

Et si le Nouveau Front Populaire arrive en tête en nombre de sièges, le Rassemblement national reste la première force en pourcentage des voix. Voilà pourquoi il est difficile de donner tort à Marine le Pen lorsqu’elle évoque, pour son propre camp, l’image d’une marée qui n’a pas fini de monter.

Reste à savoir ce que peut le Nouveau Front Populaire, et la gauche de manière générale, pour que le pire ne se produise pas. 

 

Le premier enjeu pour la gauche : le combat informationnel pour desserrer l’étau identitaire

Nul ne peut ignorer que le chaos qui survient en ce lendemain d’élections vient de loin et n’est pas simplement la conséquence de décisions irresponsables de la part du chef de l’Etat.  Il est avant tout le résultat de la séquence historique dans laquelle nous sommes plongés depuis les années 1980 : à savoir la montée irrémédiable des contestations suite au démantèlement des anciens cadres de régulations de la société par la mondialisation néolibérale.

Chaque sujet humain, pour se construire en tant qu’individu, est fondamentalement dépendant de sa reconnaissance par ses pairs et par la société. Le problème étant qu’avec la destruction des anciens cadres de régulation, c’est l’ensemble des processus de reconnaissance qui sont remis en cause : panne de l’ascenseur social, précarisation des différentes formes d’emploi, délabrement du système de santé et de l’école publique, disparition des services publics, ségrégation urbaine.

Et cette disparition des relations de reconnaissance débouche sur des expériences de mépris et d’humiliation qui ne sont pas sans conséquences sur la capacité d’une société à assurer l’intégration sociale de ses membres. Voilà pourquoi, à la place du lien social tel qu’il pouvait se constituer auparavant, nous assistons désormais dans nos sociétés contemporaines à un « déchirement du social ».

Il en résulte une situation de vulnérabilité et d’insécurité généralisée pour des pans entiers de la société (ceux que l’on désigne tour à tour comme les perdants de la mondialisation, les déclassés, la France des oubliés, etc…). Se forme alors peu à peu ce que Christopher Lash appelle « une société de survie » « composés d’individus désindividués, aux egos fragilisés, infantilisés, insécurisés, plébiscitant des leaders forts pour incarner inconsciemment la figure du « père » émasculé[3] ». Si bien que face à cette évolution, les besoins exprimés par les citoyens se matérialisent moins par une demande d’émancipation face à une société jugée trop corsetée et traditionnelle (comme c’était le cas lors de la révolte de mai 68) que par une demande de protection et de sécurité.

Ayant parfaitement saisi cette demande de protection, les droites et les extrêmes droites ont mis en place une dialectique redoutable : celle consistant à exacerber les paniques morales des déclassés à travers tout un réseau d’entrepreneur du chaos (influenceurs, médias Bollorés) et à incarner de l’autre une réponse politique à ce besoin d’autorité voire d’apaisement national (il n’y a qu’à voir le mot d’ordre du Rassemblement national sur certaines de ses affiches : « la France apaisée »)

Exit le débat d’idées entre des orientations politiques différentes[4], bienvenue dans le monde de la bataille identitaire et de la fragmentation nationale.

Les adeptes de la culture du clash et de l’enfermement communautaire peuvent par ailleurs compter sur des réseaux sociaux qui fonctionnent comme autant de démultiplicateurs de cette bataille des identités.

Leur modèle économique et algorithmique favorise l’entre-soi en ne présentant jamais que des contenus qui nous ressemblent ou avec lesquels nous sommes d’accord. Pire encore, ils favorisent l’étouffement des désaccords au sein de sa propre « communauté » : « sur les réseaux sociaux, on craint paradoxalement moins le camp adverse que les puristes de son propre camp, qui exercent une redoutable police de la pensée »[5]. Les réseaux sociaux ne sont rien d’autre que des ghettos 2.0.

Il en résulte « brutalisation, polarisation, instrumentalisation économique et politique de la violence et de la colère, déflagration des liens, explosion du réel, atomisation des socles communs.[6]»

Si les médias plus traditionnels (presses papiers et en ligne, radios, chaînes TV) assurent encore un rôle de régulateur de ces affects volontairement exacerbés par les réseaux sociaux, il leur est de plus en plus difficile d’assumer cette fonction. On se souvient par exemple en 2002 de l’affaire « Papy Voise » (ce retraité passé à tabac et dont la maison avait été incendiée) et de ses répercussions sur l’élection présidentielle. L’emballement médiatique de TF1, France 2 et LCI à propos de cette affaire (favorisant largement le sentiment d’insécurité) a régulièrement été analysé comme l’une des causes de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour.

Plus proche de nous, le drame de Crépol (cet adolescent poignardé à mort lors d’une fête de village) a été instrumentalisé par la droite et l’extrême droite afin de prouver le lien selon eux inextricable entre délinquance et immigration. Et ce, quelques mois après les émeutes de juin qui avaient aussi participé à la droitisation dont témoignaient les instituts de sondage à l’été 2023. Les chaînes d’information en continu (Cnews en tête) ont repris en boucle cette « démonstration identitaire » jusqu’à contaminer les journaux télévisés traditionnels.

Les milliardaires Vincent Bolloré, Daniel Kretinsky et Pierre-Edouard Sterin ont d’ailleurs bien compris ce rôle de régulateur des médias traditionnels. Comment expliquer autrement leurs volontés de rachat de médias dont la rentabilité économique fait souvent défaut. De même que Jordan Bardella qui affirmait encore il y a peu que l’une de ses premières mesures en tant que Premier ministre serait de privatiser les chaînes publiques d’information.  

Face à ce cocktail explosif que représente la fusion de la bataille identitaire, des réseaux sociaux et des médias, les gauches sont fondamentalement désarmées et ne peuvent pas gagner.

Les quelques partis à gauche ayant adapté leur stratégie médiatique à cette nouvelle donne identitaire et radicaliser leur communication finissent lentement de se discréditer : la France insoumise est désormais considérée comme une plus grande menace pour la démocratie que le Rassemblement national[7] et comme un parti qui attise la violence. Quant aux partis ayant refusé cette brutalisation du débat public, leur existence médiatique est somme toute assez relative.  

Desserrer l’étau identitaire nécessite de changer drastiquement les règles du jeu médiatique et de réglementer les plateformes et réseaux sociaux : voilà pourquoi le premier combat de la gauche est désormais le combat informationnel.

De nombreuses propositions peuvent être émises dans ce sens. Tant dans la régulation des médias (inscription dans la Constitution d’un droit à l’information et de son corollaire la liberté de la presse ; renforcement du contrôle du Parlement sur les nominations à la tête de l’audiovisuel public ; adoption d’une loi anti-concentration, renforcement de la protection du secret des sources des journalistes, etc…) que dans la régulation des réseaux sociaux (contrôle du rythme des likes, retweets et partages, remise en cause des rentes publicitaires des GAFAM, etc…)[8].

Dans le contexte actuel d’absence de majorité à l’Assemblée nationale, cette lutte pour la régulation médiatique au nom de l’apaisement du débat public, et plus largement de la liberté d’informer, est un des rares combats pour lesquels un compromis est possible entre les partis du Nouveau Front populaire, des députés centristes et de centre-droit. Nul doute également que la société civile est amenée à jouer un grand rôle dans cette lutte.

La fragmentation de la société française n’est pas un horizon irrémédiable. La France n’est pas Twitter comme le dit si bien Denis Maillard et l’image que nous renvoient les réseaux sociaux et les journaux télévisés n’est pas un calque exact de l’état d’esprit des Français (c’est en tout cas l’une des leçons que l’on doit tirer de ces élections législatives)

Lorsqu’éclatent les émeutes urbaines suites à la mort de Nahel Merzouk à l’été 2023, « le discours médiatique a instantanément opposé les « anti-flics » aux « anti-banlieues ». Or l’enquête réalisée par le think tank Destin commun montre qu’une grande majorité de Français ne se situait dans aucun des deux camps : « parmi ceux qui s’inquiétaient de l’hostilité envers les jeunes des quartiers, 80 % étaient aussi inquiets de l’hostilité envers la police, et réciproquement »[9].

La situation est peu ou prou la même en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, « trois mois après le début de la guerre, parmi les 66 % de Français qui se déclaraient inquiets pour la population palestinienne, 79 % exprimaient aussi de l’inquiétude pour la population israélienne »[10].

Certes la division et la fragmentation nationales sont vécues comme telles par une majorité de citoyens : « 75 % des Français jugent que notre pays est divisé et 56 % considèrent même que nos différences sont trop importantes pour que nous puissions continuer à avancer ensemble »[11]. Mais cette situation n’appelle rien d’autre qu’un renforcement de l’intervention des pouvoirs publics afin de retrouver le chemin de la cohésion nationale. Encore faut-il en avoir les moyens et les capacités.

 

Ne pas trahir l’espoir : le nécessaire combat capacitaire

S’engager dans la voie de ce combat informationnel est une nécessité à (très) court-terme mais cela ne peut en aucun cas être l’unique terrain de lutte. Les insécurités, peurs et angoisses vécues par des pans entiers de la population, exacerbées par les réseaux sociaux, n’en sont pas moins réelles. La société de survie, des égos meurtries et des humiliations n’a pas attendu l’avènement de Twitter et de TikTok pour exister.

La dérégulation économique et financière, la compression des salaires, le recul des services publics, la ségrégation urbaine, le développement des avantages fiscaux au profit du capital et des dirigeants des multinationales sont des réalités indéniables.

Et répondre à l’ensemble de ces défis nécessite, avant toute de chose, de disposer de marges de manœuvre. Chose plus simple à dire qu’à faire. Ces fameux pouvoirs publics subissent depuis les années 1980 un affaiblissement continu de leurs capacités d’intervention. Un affaiblissement autant externe qu’interne.

D’une part, l’entrée dans la mondialisation néolibérale n’a pu se faire qu’en dessaisissant les pouvoirs publics (l’Etat au premier titre) d’un certain nombre de prérogatives et de compétences au profit d’institutions internationales par nature libérales (FMI, Banque mondiale, OCDE, Union européenne).

La social-démocratie a notamment, et dès les années 1980, fait le « pari faustien » (selon l’expression du politiste Remi Lefebvre) de la construction européenne : renoncer à la régulation nationale pour retrouver d’hypothétiques marges de manœuvre au niveau européen. Or aucune marge nouvelle n’est apparue. Pire, l’Union européenne a légitimé les dérégulations économiques et financières[12].

Une situation par ailleurs parfaitement résumée par le sénateur de Charente-Maritime Mickaël Vallet dans un article publié par le Temps des Ruptures : « La structuration des institutions européennes pousse systématiquement (au sens littéral) à une politique libérale, alors que la mondialisation des échanges nécessiterait que les peuples conservent la maîtrise de leur choix face au marché pour pouvoir en tirer un bénéfice réel et que cette nouvelle étape dans l’histoire de l’humanité ne se résume pas à la délocalisation industrielle et à la concurrence entre des travailleurs du même continent.[13]»

D’autre part, cette entrée a été concomitante d’un démantèlement interne des pouvoirs publics. Les différentes vagues de décentralisation que l’on nous a vendues comme un remède à l’éloignement des décisions publiques et au cancer bureaucratique français ne se sont jamais réalisées qu’au profit d’élites et de notables locaux. Elles ont participé au désengagement de l’Etat et au recul des services publics. La décentralisation s’est faite sans le peuple[14].

Quant à l’Etat lui-même, à force de réductions des effectifs de fonctionnaires (enseignants, policiers, personnels de santé, etc..), de règlementations technocratiques absurdes et d’empilement de strates administratives, son action sur la société est devenue brouillonne et peu ambitieuse. Le lien de confiance qui l’unissait auparavant aux citoyens s’est peu à peu distendu.

« On peut s’interroger dès lors sur les conditions de possibilité d’une véritable politique de gauche ou arriver à la conclusion qu’elle implique des choix très radicaux et des ruptures auxquelles beaucoup de dirigeants de gauche ne sont pas prêt à consentir.[15]»

La gauche doit être une réponse à l’impuissance publique organisée depuis maintenant plus de 40 ans. Sans cela, lever l’espoir de grandes transformations sociales et écologiques ne servira à rien sauf à alimenter le ressentiment national.


Nouveau récit, nouveau modèle : la reconquête républicaine

Retrouver « au royaume morcelé du moi-je, le sens et la force du nous[16] » nécessite enfin de retrouver le chemin d’un nouveau récit, susceptible de mettre à bas la mythologie de la guerre civile que les entrepreneurs du chaos entretiennent tout aussi bien que l’apathie démocratique qui sévit dans l’Hexagone.

L’idée républicaine peut jouer ce rôle, si et seulement si, est mis un terme au faux consensus qui règne à son encontre. Manquant de rigueur dans l’analyse et dans le verbe, les faux républicains de la droite macroniste et de l’extrême droite ont réduit le projet républicain à une simple défense des droits civils, lui faisant faire un bon en arrière d’une bonne centaine d’années.

Ce faisant ils méprisent l’ensemble des combats menés au cours du XXe siècle pour la reconnaissance de droits sociaux (le droit du travail, la sécurité sociale, le droit à la retraite) et entrent en contradiction avec la Constitution de la Ve République (qui reconnaît dans son article 1er le caractère social de la République française)

« La gauche « sociale » celle de Louis Blanc, de Jaurès, de Blum, du Conseil national de la Résistance, est la force politique authentiquement porteuse d’un projet républicain qui suppose que les effets inégalitaires du marché soient maîtrisés, que certains biens essentiels à l’autonomie comme l’éducation et la santé demeurent accessibles à tous comme un droit et non pas réservés à ceux qui peuvent les payer.[17]»

Supposant une conception de la liberté comme « non domination », le projet républicain ne demande d’ailleurs qu’à être approfondi par l’intégration des luttes contre les différentes formes de discrimination[18] et du combat écologique (c’est tout le sens des travaux de Serge Audier sur l’éco-républicanisme).

Tel pourrait être en tout cas le sens d’une gauche qui ne se résigne pas à voir la bataille identitaire fracturer un peu plus le pays et qui assumerait de nouveau être le camp d’une concorde et d’une cohésion nationales retrouvées.

Références

[1] Selon la typologie mise en place par Pierre Martin dans son ouvrage Crise mondiale et systèmes partisans, Presses de Sciences Po, 2018,

[2] https://legrandcontinent.eu/fr/2024/07/08/legislatives-comment-la-mecanique-du-barrage-a-fonctionne/

[3] Asma Mhalla, Algorithmes sous tension : La Fièvre en trois équations technopolitiques

à résoudre, Fondation Jean Jaurès

[4] On observe d’ailleurs une réduction drastique du spectre des idées économiques et sociales représentées sur la place publique depuis les années 1980.

[5] Denis Maillard, De Baron noir à La Fièvre : portrait du conseiller en scénariste, Fondation Jean Jaurès

[6] Asma Mhalla, Algorithmes sous tension : La Fièvre en trois équations technopolitiques

à résoudre, Fondation Jean Jaurès

[7] https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/lfi-considere-comme-plus-dangereux-pour-la-democratie-que-le-rn-selon-un-sondage_6113646.html

[8] Voir à ce sujet Dominique Boullier, Comment sortir de l’emprise des réseaux sociaux, éditions du Passeur, 2020

[9] Denis Maillard, De Baron noir à La Fièvre : portrait du conseiller en scénariste, Fondation Jean Jaurès

[10] Idem

[11] Idem

[12] Voir à ce propos mon article sur la construction européenne : https://letempsdesruptures.fr/index.php/2024/05/22/une-certaine-idee-de-leurope/

[13] https://letempsdesruptures.fr/index.php/2024/06/17/du-resultat-des-europeennes-la-double-pression-2/

[14] Voir à ce sujet Aurélien Bernier, L’illusion localiste, l’arnaque de la décentralisation dans un monde globalisé, les éditions utopia, 2020.

[15] Rémi Lefebvre, Faut-il désespérer de la gauche, éditions textuel, 2022, p.44

[16] Régis Debray, Le moment fraternité, Gallimard, 2009

[17] https://aoc.media/analyse/2024/07/01/larc-republicain-une-mise-au-point/

[18] Voir à ce sujet les thèses de Philip Pettit.

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Marx et Veblen permettent de comprendre les crises écologiques davantage que le Club de Rome et Latour

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Docteur en Économie, Vincent Ortiz vient de publier aux Éditions du Cerf un ouvrage intitulé : L’ère de la pénurie : Capitalisme de rente, sabotage et limites planétaires, dans lequel il revient sur la manière dont un certain nombre de discours écologistes centrés sur l’épuisement des ressources naturelles viennent paradoxalement favoriser l’explosion des profits des multinationales pétrolières. Nous l’avons rencontré pour en savoir plus sur ce constat qui peut sembler contre-intuitif.

Photo : Pablo Porlan

Pouvez-vous revenir sur ce que vous appelez le coup de maître des sept sœurs et le revirement idéologique des compagnies pétrolières à la suite du choc pétrolier de 1973 ?

Les “sept sœurs”, c’est le surnom des sept principales multinationales occidentales qui se sont partagées le marché pétrolier mondial après la Seconde guerre mondiale : Exxon, Chevron, Mobil, Shell, British Petroleum, Texaco et Gulf Oil. Et leur « coup de maître », c’est ce qui induit un basculement dans la manière dont le pétrole est distribué dans le monde occidental : en 1973, les principaux groupes pétroliers se coalisent en un cartel visant à renchérir les prix, et à mettre fin à une ère de pétrole à bas coût qui garantissait une croissance confortable au monde occidental.

Durant la seconde partie du XXe siècle, elles se sont partagé les anciennes colonies britanniques, françaises et hollandaises jusqu’à être progressivement expropriées par un certain nombre de gouvernements, notamment au Moyen-Orient. Au début des années 1970, elles ne parviennent plus à maintenir leur hégémonie sur ces anciens potentats européens, et même des pays qui demeurent clairement dans l’orbite occidentale, tels que l’Arabie Saoudite ou l’Iran en 1973, finissent par nationaliser leurs ressources pétrolières. Cela signe le déclin de ces compagnies sur le marché mondial.

Or, le grand paradoxe que l’on observe, c’est que les entreprises occidentales, pourtant délestés de la plupart de leurs actifs au Moyen-Orient, connaissent une explosion de leurs profits. Explosion qui s’explique en grande partie par les accords de cartel passés avec ces pays qui avaient récemment nationalisé leurs ressources, afin de restreindre artificiellement l’extraction et la distribution de l’or noir dans le monde. Ce que les multinationales occidentales perdaient en termes de contrôle du marché pétrolier, elles le regagnaient largement par la hausse des prix que la nouvelle configuration géopolitique permettait (des États pétroliers souverains étant un atout non négligeable pour imposer un cartel mondial !).

Ce « coup de maître » a eu des implications fondamentales dans la manière dont les « sept soeurs » ont appréhendé la finitude des ressources, et ont cherché à imposer leur vision à l’opinion. Avant les années 1970, les entreprises pétrolières américaines ont intérêt à maintenir le mythe d’une forme d’abondance du pétrole sur leur territoire, puisqu’elles bénéficient de subventions étasuniennes et d’un certain nombre de mesures protectionnistes (contre la promesse d’une intensification de la production nationale). Or, à partir du moment où les prix mondiaux explosent, ces mesures protectionnistes et ces subventions leur deviennent inutiles. En revanche, il leur faut pérenniser ce cartel et cette hausse artificielle des prix, et pour ce faire il leur apparaît plus avantageux de propager une vision nouvelle : celle de la rareté géologique des ressources pétrolières. On comprend ce revirement : les prix augmentent ? C’est tout simplement que les ressources sont rares !

Avant 1973, ce qui prédomine dans les publications scientifiques et para-scientifiques contrôlées de près ou de loin par les “sept sœurs”, c’est non seulement l’idée d’une abondance, mais également d’une quantité illimitée d’or noir présente de par le monde et ce, pour deux raisons principales.

Tout d’abord, se propage le mythe d’une abondance de pétrole conventionnel, sous forme liquide, parce qu’à l’époque, on exploite une série de champs qui sont, de fait, abondants en pétrole conventionnel.

D’autre part, ces thèses reposent sur l’idée que, grâce aux progrès technologiques, on va pouvoir remettre en cause la distinction entre pétrole conventionnel et non conventionnel (qu’on trouve notamment à l’état de sables bitumineux, dans les fonds marins ou sous forme de gaz de schiste). L’idée qui est défendue par les multinationales occidentales est que des investissements constants dans la recherche vont permettre à terme d’exploiter ce pétrole non conventionnel avec une rentabilité équivalente à celle du pétrole liquide conventionnel. Elles défendent donc un point de vue cornucopien (du terme “corne d’abondance” en latin) qui correspond au Zeitgeist (esprit du temps) optimiste des années 1960 : le niveau de vie va continuer d’augmenter, ainsi que la disponibilité et la variété des biens de consommation. Une vision coïncide avec un élargissement réel de la classe moyenne en Occident.

Pour analyser le tournant qui s’opère, je me suis intéressé à un géologue qui s’appelle King Hubbert, qui a travaillé pour Shell avant d’être licencié en 1956 pour avoir alerté sur le fait que les réserves de pétrole conventionnel étaient bien moins abondantes que ce que l’on pensait. Il estimait qu’il y restait entre 250 et 300 milliards de barils de pétrole à extraire aux États-Unis, alors que l’industrie pétrolière prévoyait le double.

Ce qui est alors significatif, c’est le revirement de l’industrie pétrolière par rapport à ce chercheur qui a d’abord été conspué et réduit au silence, avant d’être soutenu par les multinationales de l’or noir, qui confèrent un écho national à ses travaux. Et de recevoir en 1977 le « prix Rockefeller », dont on sait ce que la famille doit au marché du pétrole ! Ce chercheur est proche du Club de Rome : il est cité dans le rapport Meadows, ainsi que dans les ouvrages de Herman Daly, économiste de référence du Club. Il n’est donc pas exagéré de dire que les géants pétroliers ont accompagné la vision pessimiste de la finitude des ressources que l’on trouve dans The Limits to Growth, le « Rapport Meadows » paru en 1972.

 

Parmi les premiers à alerter sur l’impossibilité d’une croissance infinie dans un monde fini, il y a effectivement les membres du club de Rome et auteurs du rapport Meadows. Vous pointez néanmoins le fait que ces membres entretiennent des rapports étroits avec les élites économiques, voire y appartiennent. Vous analysez notamment les convergences idéologiques entre ces deux groupes en apparence diamétralement opposés à la lumière d’intérêts de classe partagés qui les conduisent à écarter de leurs analyses, plus ou moins volontairement, toute prise en compte de l’inégale répartition des ressources. Pouvez-vous revenir sur les différentes caractéristiques de ces convergences à la fois sociologiques et idéologiques ?

Dans l’historiographie du Club de Rome, l’idée qui a longtemps dominé est celle d’un groupe de chercheurs dont les découvertes étaient incompatibles avec l’ordre capitaliste et sa mutation néolibérale. Et il est vrai que la « classe capitaliste », pour la majorité de ses représentants, n’a pas réservé un accueil chaleureux au Club de Rome.

Pour la majorité seulement : je me suis intéressé à cette fraction des élites économiques, à la fois pétrolières, gazières et industrielles, qui a soutenu le Club de Rome. Celui-ci, rappelons-le, a été fondé par un ex-cadre dirigeant de Fiat, assumait sa volonté de se rapprocher des puissances d’argent, parlait de la multinationale comme « l’une des inventions les plus remarquables du XXe siècle », et souhaitait substituer à la conscience de classe ce qu’il nommait une « conscience émergente de l’espèce » (étant entendu que les enjeux environnementaux étaient pour lui globaux et non restreints à un seul groupe social).

Il ne faudrait donc ni partir du postulat que le Club de Rome était un groupe de capitalistes cherchant à mettre au pas la classe ouvrière – comme certains marxistes, dont David Harvey, l’ont suggéré – ni adopter le point de vue hagiographique le présentant comme un rassemblement confidentiel de scientifiques qui auraient, contre vents et marées, défendu et imposé des idées marginales dans le débat.

Le Club de Rome n’était ni confidentiel ni marginal : il a rapidement bénéficié d’une audience considérable, son discours a percolé dans les classes dirigeantes occidentales. Qu’il ait eu l’oreille d’un président des Etats-Unis, d’un président de la Commission européenne, d’un sous-secrétaire général de l’ONU ou de plusieurs économistes de la Banque Mondiale n’est pas tout à fait anodin.

Je renvoie au livre récent de Fabrice Nicolino qui s’appelle Le grand sabotage climatique et qui dresse un portrait acide de Maurice Strong, membre du Club de Rome. Ce sous-secrétaire général de l’ONU pendant plusieurs décennies est l’organisateur du premier « sommet de la Terre ». Il était actionnaire de plus d’une dizaine de multinationales pétro-gazières dans le monde, affairiste dans un nombre incalculable de pays, et propriétaire de plusieurs milliers d’hectares aux Etats-Unis – sur lesquels il est entré en conflit avec des populations locales. Il soutient immédiatement le « Rapport Meadows », et fait partie des hommes de pouvoir qui ont permis aux thèses du Club de Rome de connaître un si grand impact.

Sans remettre en cause la validité scientifique de la plupart des conclusions du Club de Rome, on peut s’intéresser à l’atout qu’elles ont constitué pour un capitalisme néolibéral émergent, qui avait besoin de conférer un supplément d’âme à un régime structurellement en récession (le choc de 1973 signe la fin de la croissance et du plein-emploi !). Les dirigeants politiques ont pu s’appuyer sur la vision du monde du « Rapport Meadows » pour justifier la hausse des prix et ne pas avoir à s’en prendre aux multinationales pétrolières qui en étaient pourtant responsables – ce fut le cas du président Jimmy Carter, par exemple. Les dirigeants pétroliers eux-mêmes ont cherché à naturaliser la hausse des prix dont ils étaient à l’origine, suggérant que les limites géologiques (mises en avant par le Club de Rome) en étaient la cause. Il y a une coïncidence chronologique entre le « Rapport Meadows » du Club de Rome, qui paraît en 1972, et le choc pétrolier de 1973, qui a donné lieu à ce rapprochement, à l’origine « contingent », avant de devenir de plus en plus « nécessaire »…

Un paradoxe mérite que l’on s’y attarde : les multinationales du pétrole, c’est aujourd’hui bien établi, ont tout fait pour masquer l’origine humaine du changement climatique et censurer les études sur le dépassement des frontières planétaires (notamment au sujet des émissions de gaz à effet de serre). Mais d’un autre côté, elles ont opéré en 1973 un rapprochement stratégique avec le Club de Rome pour mettre en avant la thématique des limites planétaires, notamment des limites géologiques du pétrole. Cela dit quelque chose de l’ambivalence politique des limites planétaires et de leurs implications, qui peuvent être malthusiennes. Je mentionne cet adjectif, car la grande majorité des membres du Club de Rome revendiquent alors l’héritage de Malthus : c’est le cas des auteurs du « Rapport Meadows », de leur économiste Herman Daly et de leurs compagnons de route les plus célèbres.

En vertu de leurs présupposés malthusiens, donc, les membres du Club de Rome ont interprété la crise énergétique des années 1970 comme le produit de la finitude des ressources. Ils ont fermé les yeux sur les opérations de cartel des multinationales, qui se livraient pourtant à une véritable opération de sabotage pour faire monter les prix.

 

Qu’est-ce donc que ce que vous appelez l’économie politique du sabotage ? Et pourquoi cette pratique se constitue-t-elle comme un système selon vous ?

Le « sabotage » est une notion qui vient de Veblen, un économiste que les écologistes citent aujourd’hui volontiers pour ses travaux sur la « consommation ostentatoire ». Il entend par là cette forme de consommation qui vise à satisfaire une volonté de distinction au sein des classes moyennes et supérieures, qui se manifeste par l’affichage de signes extérieurs de richesse. C’est un prisme pertinent pour critiquer la consommation superflue et le gaspillage à laquelle elle conduit, à l’heure de la catastrophe environnementale.

C’est à une autre partie de son oeuvre que je m’intéresse : non pas celle où il analyse cette « surconsommation » ostentatoire, mais celle où il se penche sur une forme de « sous-consommation ». Veblen défend qu’une société dans laquelle l’ensemble des besoins sont comblés est une incapable de générer du profit. Le profit capitaliste est rendu possible par deux leviers : l’accroissement artificiel des besoins (la consommation ostentatoire en fait partie), ou la restriction volontaire et artificielle de la production (le « sabotage »).

La définition qu’il donne du sabotage est vaste, puisqu’il le caractérise comme la « restriction consciente de l’efficacité ». Son postulat est qu’avec les moyens technologiques du XXe siècle, il n’y a rien en théorie qui prévienne la satisfaction intégrale des besoins de l’Humanité. Néanmoins, pour continuer à générer du profit, les entreprises capitalistes doivent procéder à une restriction de l’extraction, de la production et de la distribution.

Je me suis principalement intéressé au sabotage énergétique, qui constitue un cas d’école pour la théorie de Veblen, puisque le coût d’extraction, de raffinage et de distribution du pétrole conventionnel est extrêmement faible. Et il est abondant une bonne partie du XXe siècle : le défi des multinationales occidentales a donc été de générer artificiellement sa rareté pour pouvoir en augmenter le prix.

Le sabotage est une pratique qui émerge donc spontanément dans un secteur où le capital est fortement concentré, et possède le pouvoir d’agir sur les cours à sa guise. Ce fut longtemps le cas pour l’or noir : le monopole pétrolier de David Rockefeller a été démantelé au début du XXe siècle en plusieurs géants pétroliers, dont chacun appartenait à un membre de la famille Rockefeller, ce qui n’a pas rendu trop difficile les pratiques de « sabotage ».

La déconcentration du capital d’un secteur peut être compensée par une capacité accrue à la coordination des acteurs. Pour continuer sur l’exemple du pétrole, la multiplication des acteurs dans la seconde moitié du XXe siècle, qui découle en partie de l’expropriation des capitaux occidentaux au Moyen-Orient, n’a pas entamé la capacité du secteur à se cartelliser. Bien au contraire : la mainmise des États de l’OPEP sur les régions pétrolifères a vraisemblablement aidé à la coordination, et permis de mener une hausse des prix totalement décorrélée des coûts de production. On rejoint ici un ensemble de réflexions sur le rôle de l’État dans la structuration des marchés, bien loin des fables libérales…

 

Vous vous appuyez notamment sur l’ouvrage The spoils of war d’Andrew Cockburn en vue de nous offrir un exemple du sabotage par restriction qualitative, qui représente l’une des deux formes majeures de “diminution consciente de l’efficacité de la production”, pour paraphraser Veblen.

Dans ce cas précis, le gouvernement étasunien favorise l’affaiblissement de ces capacités de défense engagé par les lobbys de l’armement en vue de maximiser leurs profits.

Ce n’est pas sans rappeler les quotas d’importation accordés en 1973 à des multinationales pétrolières qui participent notamment à un cartel visant à accroître les prix du pétrole en coopération avec des pays imposant un embargo aux Etats-Unis, au détriment de la population étasunienne. Puisque les gouvernements semblent jouer contre leur propre camp dans ces deux cas, peut-on considérer que cette économie politique du sabotage est corrélée à une insertion de plus en plus importante, au sein de différents appareils d’État, d’ “élites dénationalisées” (pour reprendre le concept établi par Susan Strange) ? C’est-à-dire d’élites s’appuyant sur des institutions internationales pour gagner en légitimité dans le champ politique national ?

Pour la première partie de la question, je pense que la guerre est le meilleur exemple pour comprendre les pratiques de sabotage. Prenons le cas de l’Europe de la première moitié du XXe siècle. En Grande-Bretagne notamment, les entreprises de l’armement qui étaient déficientes au commencement de la Première Guerre Mondiale ont été mises sous tutelle de l’État et ont vu, à partir de ce moment, leur production décuplée. Certains historiens, comme Clara Mattei, autrice du remarquable The Capital Order – How Economists Invented Austerity and Paved the Way to Fascism, mettent en lumière un lien direct entre l’étatisation de ces entreprises, l’accroissement de la production qu’elle permet et… la montée en puissance des mouvements socialistes. Ceux-ci affirment en effet que les capitaux privés sont inaptes à organiser la production pour l’intérêt général et se comportent de manière parasitaire : l’évolution positive des secteurs mis sous la tutelle de l’État semble leur donner raison. Si le mouvement ouvrier européen est si fort en 1918, et déclenche une série de grèves et d’insurrections sur tout le continent, c’est aussi parce que l’ineffectivité du mode de production capitaliste (et la prédominance des pratiques de « sabotage ») a clairement été démontré au cours de la guerre.

Cette tension entre profits à court terme, qui implique une forme continue de « sabotage », et hégémonie à long terme, qui implique une industrie fonctionnelle en matière de défense, est considérable aux Etats-Unis. L’ouvrage The Spoils of War, qui s’intéresse à l’administration Bush, met en évidence un conflit permanent entre les officiers du Pentagone d’une part, les entreprises de l’armement de l’autre. Les premiers cherchent à conquérir une victoire durable sur le terrain moyen-oriental tout en préservant la vie de leurs soldats : cela requiert une aviation « low-tech », capable de survoler le sol et d’atterrir rapidement. C’est un problème pour l’industrie privée : les avions A-10 (qui répondent à ces caractéristiques) sont assez rudimentaires, et il leur est impossible de les vendre à des coûts élevés. C’est la raison pour laquelle elle cherche à gonfler artificiellement ses carnets de commande en promouvant le F-35, joyau technologique dont le prix dépasse les 100 millions de dollars et… est contre-productif pour l’armée américaine. Il est en effet conçu pour voler à une hauteur très élevée et procéder à des bombardements massifs : rien qui permette de remporter une victoire durable au sol, ainsi que le déplorent les officiers du Pentagone.

Il y a une tension fondamentale entre ces deux aspects, qui explique en grande partie pourquoi les guerres étasuniennes sont aussi longues, douloureuses, et pourquoi aucune d’entre elles n’a réellement été gagnée sur le long terme. On peut analyser ces défaites successives sous le prisme du déclin de l’hégémonie américaine – qui est réel -, mais aussi sous d’après la perspective du maintien des profits de l’industrie privée de la Défense. Sa rentabilité est étroitement corrélée à une forme de « sabotage » compris au sens de Veblen : « restriction consciente de l’efficacité ». Notons au passage que les producteurs d’armes ne sont pas les seuls à s’enrichir lors des conflits, et à profiter de ces « guerres sans fins », néfastes pour l’hégémonie américaine. Étroitement corrélés à leurs profits, il y a ceux du secteur des matières premières, et notamment du pétrole, dont le cours explose toutes les fois que les tensions s’accroissent avec le Moyen-Orient – je renvoie aux travaux de Jonathan Nitzan et Shimshon Bichler, que je cite dans mon livre, qui ont une analyse très originale et convaincante du sujet.

Peut-on pour autant parler d’élites “dénationalisées” ? Le concept est intéressant puisqu’il y a clairement une contradiction entre les intérêts bien compris des Etats-Unis comme entité géopolitique (défendus par les « réalistes » qui œuvrent au maintien de cette hégémonie de manière à la fois pragmatique et cynique, raison pour laquelle ils s’opposent souvent aux va-t’en-guerre néo-conservateurs, à l’instar de Kissinger qui déplorait l’accroissement des tensions avec la Russie ou la Chine) et les intérêts des multinationales, qui n’ont aucune vision de long terme et profitent de conflits néfastes à l’hégémonie américaine.

            Mais d’un autre côté, les détenteurs de capitaux privés aux Etats-Unis ont conscience du rôle central de l’État dans leur capacité d’accumulation. Sans la prédominance militaire des États-Unis, sans l’hégémonie du dollar, leurs profits s’effondreraient. Ils sont donc prêts à une forme de pragmatisme et de restriction temporaire de leurs profits pour consolider l’hégémonie américaine lorsque c’est nécessaire. La tension existe mais l’État américain ne perd pas la main. Il dispose toujours d’un pouvoir coercitif sur ces entreprises. À mon sens, il faut garder à l’esprit que les élites ne sont jamais totalement « dénationalisées ». Du moins dans les pays « dominants », où les élites nationales savent trop bien ce qu’elles doivent à leur État. Le concept « d’élites dénationalisées » s’applique davantage aux pays « dominés » ou « périphériques », où l’on trouve une classe dominante que l’on peut qualifier de “compradore”, au service d’une accumulation étrangère de capital.

 

Le titre de votre dernier chapitre évoque justement la séparation entre centre et périphérie de l’empire que l’on retrouve dans les travaux de Fernand Braudel puis Emmanuel Wallerstein sur l’économie-monde d’une part et de l’autre, Robert Cox et la conception néo-gramscienne des relations internationales. Sont-ce des filiations intellectuelles que vous reconnaissez ?

Absolument. Les fractures entre centre et périphérie me semblent fondamentales pour appréhender les relations internationales, à rebours d’un discours qui voudrait que le monde se soit horizontalisé, que les grandes puissances ou les grands empires aient disparu (que l’on trouve par exemple chez un Bertrand Badie). Cox comme Wallerstein analysent de manière chirurgicale les mécanismes de sujétion d’une partie du monde par rapport à une autre. Chez l’un comme chez l’autre, on trouve une théorie de l’hégémonie qui ne se réduit pas à la domination militaire, et dans laquelle l’usage de la force militaire est même le signe d’une crise. Wallerstein est sensible aux effets de long terme générés par la dépendance économique, tandis que Cox y ajoute une dimension culturelle et institutionnelle. De leur lecture, on ressort avec une vision à la fois marxiste et « réaliste » (même si Cox aurait rejeté ce terme) des relations internationales.

Cette articulation entre un capitalisme tendanciellement impérialiste, protégé par des institutions étatiques, constitue d’ailleurs l’un des grands points aveugles du mouvement écologiste contemporain. Je parle de son versant le plus institutionnel comme le plus radical. Si les partis écologistes européens prennent conscience, depuis l’invasion de l’Ukraine, de la nécessité de penser les relations internationales, ils le font sous un angle néo-conservateur que n’aurait pas renié George W. Bush, avec une dichotomie entre États autoritaires et démocratiques dignes d’un mauvais Western. Une vision marxiste permet de penser cette opposition comme un conflit entre super-puissances capitalistes, dominées par des intérêts fossiles – les États-Unis, pas moins que la Russie, sont un géant du pétrole, du gaz et du charbon !

Chez les écologistes plus radicaux, le problème est différent. Pour des raisons bien compréhensibles, ils considèrent l’État comme l’ennemi à abattre, dont ils ne connaissent que trop le bras répressif et le rôle de gardien des intérêts dominants. Une question demeure : étant entendu que des victoires en matière environnementale sont impensables sans contester le mode de production dominant, au sein duquel on trouve les grandes entreprises internationales, est-il envisageable que celles-ci se laissent dépouiller sans appeler la puissance publique à la rescousse ? Est-il envisageable, quelle que soit l’échelle dont on parle, d’initier une rupture avec le capitalisme néolibéral sans provoquer une réaction coercitive des principaux États qui en sont les gardiens ? Et comment leur résister, si ce n’est… en leur opposant une autre puissance étatique ?

 

Vous mentionnez l’impasse d’une écologie néo-malthusienne, quelle est-elle ? Vous ciblez ici les décroissants ?

Les impensés de l’écologie néo-malthusienne sont effectivement les mêmes que ceux de la plupart des théories décroissantes (j’exclus celle, marxiste, d’André Gorz) : les rapports de production et les antagonismes de classe.

Ils sont liés au fait que l’écologie néo-malthusienne et la plupart des « décroissants » raisonnent implicitement avec le postulat de la souveraineté du consommateur d’une part, sur la base d’une situation de concurrence parfaite de l’autre. Les ressources sont rares et limitées, disent-ils, alors que la voracité du système économique, qui découle d’un insatiable besoin de consommation, est sans limites. Par rapport aux limites (et aux frontières) planétaires, l’humanité se livre donc à une forme de surconsommation. Et les phénomènes contemporains d’inflation et de pénuries semblent conforter cette vision des choses.

Il faut adopter une posture critique à l’égard de ces postulats. S’il est indéniable que l’on pille les ressources planétaires à un rythme alarmant d’un point de vue géologique, il n’en va pas de même d’un point de vue socio-économique. Dans le premier cas, on observe à l’évidence une forme de surconsommation ; dans le second cas, une forme de sous-consommation (on a d’ailleurs qualifié d' »économistes de la sous-consommation » des penseurs aussi divers que Veblen, Keynes et Marx). Les ressources et les biens sont en effet mis à la disposition des consommateurs trop lentement par rapport à ce que les structures économiques permettraient si elles étaient différentes.

Pourquoi ? Il y a de multiples raisons à cette sous-consommation. Si l’on prend un point de vue veblénien, elle découle du pouvoir de marché des entreprises dominantes, qui restreignent la production pour faire monter les prix. En ce sens, notre système est caractérisé par un degré élevé de « sabotage ». Si l’on prend un point de vue inspiré de Keynes ou de Marx, la sous-consommation découle d’une faible demande, elle-même produit de bas salaires.

Les postulats néo-malthusiens s’effondrent : il n’y a pas de souveraineté du consommateur, le système productif n’est pas captif d’une insatiable demande – au contraire, il la restreint par de bas salaires. Il n’y a pas de concurrence pure et parfaite : les entreprises ne cherchent pas systématiquement à maximiser leur production pour satisfaire la demande, mais peuvent la restreindre pour causer une hausse des prix.

            Corollaire de la vision du monde des néo-malthusiens et de la plupart des « décroissant » : ils considèrent que le système économique et l’ensemble de ses agents tendent vers la croissance. Et on ne compte pas les dénonciations de la « croissance » au sein de l’écologie institutionnelle ou radicale, qui percolent beaucoup à gauche. Cette posture neutralise les critiques du capitalisme comme régime qui tend structurellement vers une croissance atone. Elle empêche de penser la question de la croissance en termes de rapports de pouvoir. Et pourtant, la croissance est un enjeu de pouvoir.

Un régime capitaliste à faible croissance est corrélé à un taux élevé de chômage et défavorise structurellement les travailleurs. Pour inverser ce rapport défavorable au travail, un régime de forte croissance – fût-il temporaire, fût-ce pour tendre vers une société de post-croissance – est nécessaire.

Un dernier mot sur le néo-malthusianisme : l’une de ses grandes victoires est d’avoir imposé l’idée que les guerres contemporaines étaient, de près ou de loin, des conflits pour l’accaparement de ressources rares. Or il est douteux que les derniers conflits énergétiques ou pétroliers aient été livrés pour cette raison. Depuis des décennies, les États-Unis justifient leur ingérence au Moyen-Orient par le spectre de la finitude des ressources énergétiques et du pic pétrolier. Qu’une version particulièrement alarmiste de ce dernier ait été promue par l’administration Bush n’est pas anodin : la hantise d’un épuisement de pétrole justifiait l’invasion d’un pays pétrolifère. Non seulement cette crainte était exagérée, mais surtout la guerre d’Irak n’a pas eu pour effet d’accroître l’extraction de pétrole par les entreprises occidentales : le chaos généré par le conflit en a au contraire bouleversé les voies d’approvisionnement. D’où cette hausse faramineuse des prix du pétrole que l’on observe dans la décennie 2000.

Nitzan et Bichler, que je citais plus haut dans votre question sur les élites dénationalisées, mettent en évidence une corrélation serrée entre hausse des profits pétroliers américains et résurgence de conflits au Moyen-Orient : l’accroissement des tensions avec un géant pétrolier conduit à une pénurie d’or noir (davantage perçue que réelle), qui provoque hausse des prix et des profits. N’y a-t-il pas là l’une des clefs d’un certain nombre de conflits contemporains ? Ne s’agit-il pas d’une modalité indirecte de « sabotage » ? Le postulat néo-malthusien d’États super-extractivistes en quête de ressources rares empêche de poser la question.

 

Au-delà de cette alliance idéologique objective entre capitalisme de rente et écologie néo-malthusienne, avez-vous pu observer des situations dans lesquelles des entreprises pétrolières vont jusqu’à appuyer plus directement (de manière financière ou autre) des actions de sabotage de la part de groupes écologistes ?

            Je n’ai pas observé d’instances dans lesquelles des lobbys pétroliers ou capitalistes auraient favorisé des formes de sabotages « écologistes ». Peut-être parce que ces mouvements ne sont pas suffisamment importants pour peser sur les flux mondiaux. Peut-être également parce que le mouvement écologiste a été suffisamment habile et conscient pour les prévenir.

          Il n’est cependant pas interdit de s’intéresser aux tentatives d’instrumentalisation de groupes écologistes par les grands intérêts fossiles. Les élections présidentielles de 2021 en Équateur offrent un cas intéressant pour la science politique – mais pas exceptionnel dans le panorama latino-américain. On y a vu une candidature à la fois « indigéniste », écologiste, critique de la croissance et de l’extractivisme et… néolibérale. Le candidat Yaku Pérez critiquait l’État équatorien de manière virulente pour sa politique minière et pétrolière, flirtant avec les discours libéraux de dénonciation de l’emprise étatique sur la mine et le pétrole. Cette ambivalence des mouvements « anti-extractivistes » a été analysée avec brio par Maëlle Mariette et Franck Poupeau dans Le monde diplomatique (dans un article intitulé « A bas la mine ou à bas l’État ? »).

 

On ne peut qu’être d’accord avec vous au sujet du mirage fabriqué de toute pièce par Bruno Latour autour d’une prétendue classe écologique qui se constituerait d’elle-même. A rebours de cette “conscience écologique”, des écologistes tels qu’Andreas Malm mettent l’accent sur la nécessité de réactualiser la conscience de classe en mettant en lumière le fait que les 1% les plus riches ont une empreinte carbone 175 fois plus élevée que celle des 10% les plus pauvres. L’incapacité patente de cette écologie néo-malthusienne à rompre avec les logiques capitalistes ne vient-elle finalement pas redonner toute sa légitimité au concept de lutte des classes comme grille d’analyse pertinente en vue de penser la transition énergétique ?

Difficile d’entrevoir une issue aux problèmes actuels si on perd la boussole de la lutte des classes. L’articulation avec les enjeux environnementaux n’a bien sûr rien d’évident, ni de systématique. Il ne suffit pas de dire « fin du monde, fin du mois, même combat », pour qu’une jonction se réalise. Et a contrario, il faut prendre au sérieux l’hypothèse d’un « capitalisme vert », qui ne changerait pas grand-chose au désastre climatique, mais imposerait une série de régulations qui nuiraient d’abord aux plus pauvres et aux petites entreprises, favorisant la dynamique de renforcement et de concentration du « grand capital » (une perspective entrevue de manière prémonitoire par André Gorz dans un article intitulé « leur écologie et la nôtre », paru en 1974). La « taxe carbone », à laquelle on doit l’un des mouvements sociaux plus massifs de l’ère contemporaine, relève d’une logique similaire.

Bref : l’écologie n’est pas populaire par essence. Elle peut s’hybrider avec le libéralisme économique de mille manières, que j’explore dans mon livre. Mais si on prend au sérieux la transition énergétique, il faut la considérer sous l’angle des rapports de production, qu’il est nécessaire de bouleverser pour tendre vers une société écologiquement viable. Et il faut désigner ses adversaires : le capital fossile, mais aussi l’ensemble du capital dont la rentabilité implique une dévastation de l’environnement.

Le meilleur moyen de ne pas le faire est de nier ou brouiller ces antagonismes de classe, au nom de la nouvelle donne que constituerait le désastre climatique. C’était déjà la démarche du Club de Rome, qui évoquait la « problématique mondiale » de l’environnement (contre la vision étriquée des marxistes, qui pensaient en termes de classes). C’est celle de Bruno Latour et de ses épigones, qui, au nom du « Nouveau Régime Climatique », déclare que la lutte des classes appartient au passé. On comprend le présupposé : l’humanité n’a jamais affronté un défi aussi existentiel, qui menace sa survie même, et cela rebat les cartes. La nouvelle ligne de clivage se situe désormais entre ceux qui souhaitent contribuer à l’habitabilité de la terre (la « classe écologique » de Latour) et les autres, en abandonnant toute référence aux rapports de production.

Cette vision des choses est trompeuse : j’ébauche, dans mon livre, plusieurs scénarios possibles pour le capitalisme à l’ère des limites et des frontières planétaires. Et je tente de démontrer que tout épuisement d’une ressource, tout désastre, est aussi l’occasion d’une accumulation de capital. La raréfaction des ressources énergétiques renforce mécaniquement le pouvoir de marché de ceux qui sont en situation de les rationner. La multiplication des catastrophes météorologiques est l’occasion pour des secteurs gigantesques de la finance de continuer à croître via des mécanismes d’assurance et de réassurance, etc. Les antagonismes de classe ne disparaissent pas, ils se reconfigurent.

Quelques mots sur Bruno Latour, puisque vous l’évoquez, coqueluche de l’écologie institutionnelle, dont le décès a donné à une sanctification médiatico-intellectuelle sans précédent. On pense à la création du « Fonds Latour » de Sciences po, doté de plusieurs millions d’euros ; ou aux déclarations de Marine Tondellier selon laquelle la tâche de son mouvement est de créer cette « classe écologique » mentionnée par Latour. C’est à la fois proprement incompréhensible – les écrits de Latour constituent une série d’obstacle à l’appréhension des enjeux environnementaux – et très compréhensible si on prend en compte sa fonction idéologique.

Rappelons que Latour émerge d’abord d’une épistémologie « constructiviste », consistant à questionner l’universalité des conclusions des sciences naturelles et sociales. À ramener la vérité à une question de perspective, certaines étant simplement défendues par davantage d’agents que d’autres. Avec une radicalité étonnante (il va jusqu’à écrire que « rien ne distingue Pasteur, Shakespeare ou la NASA » (Pasteur) dans leur capacité à effectuer des prédictions). Ce n’est pas forcément inintéressant, mais c’est problématique si l’on considère que l’une des tâches majeures de l’écologie, aujourd’hui, est de lutter contre un climatoscepticisme fondé sur le déni de la science. Latour avait parfaitement conscience de cette tension, puisqu’il va jusqu’à écrire, en 2010 : « Avouons que nous sommes tous climatosceptiques. En tout cas, moi je le suis » (Cogitamus. Six lettres sur les humanités scientifiques). Sans jamais chercher à la résoudre.

À cette épistémologie constructiviste se mêle l’idée que la dévastation environnementale est causée par l’hubris de la science occidentale qui, pleine de certitudes arrogantes, a voulu réduire l’ensemble du vivant sous sa coupe. Par contraste avec les modes de pensée pré-modernes qui se seraient caractérisés par leur pluralisme et leur respect de la biosphère – Latour se fonde sur les travaux de Philippe Descola. Un moyen pratique de ne pas incriminer un mode de production (le capitalisme) en pointant du doigt un mode de pensée (le cartésianisme).

La science occidentale n’étant pas universellement valable, les modes de pensée pré-modernes étant plus respectueux de la biosphère, c’est très logiquement que Latour les réhabilite. Et il flirte en permanence avec un registre proprement animiste, ou panthéiste. Latour est un défenseur du courant dit « nouveau matérialisme », en opposition au « matérialisme historique » issu du marxisme. Ce dernier est fondé sur la centralité des rapports sociaux (et spécifiquement des rapports de production), considérés comme particulièrement déterminants pour comprendre le réel. Le « nouveau matérialisme » refuse ce postulat (qualifié de « socialiste ») : pour ses défenseurs, les rapports sociaux n’ont pas davantage de puissance d’agir que les déterminants physiques ou biologiques. Il faut lire (si on a du temps à perdre !) Face à Gaïa pour voir les absurdités auxquels cela le conduit : dans un passage particulièrement laborieux, Latour s’échine à prêter une « agentivité » au fleuve Mississippi, analogue à celle d’un groupe social. Derrière cette ontologie « plate » (les être humains n’ont pas une puissance d’agir supérieure à celle des animaux non humains et des agents non-humains), on trouve une célébration du cosmos (« Gaïa ») avant l’Anthropocène, qui s’autorégulerait selon des mécanismes vertueux si l’homme ne l’avait mis en coupe réglée.

Si l’on résume : le problème écologique vient d’un mode de pensée cartésien, manifestation d’une hubris dont la souveraineté politique est le stade suprême. Et non du capitalisme ou d’un quelconque mode de production. Et le salut réside dans une remise en cause de la centralité de l’homme sur le cosmos – aux modalités mystérieuses -, que Latour mentionne en parlant du « devenir termite » de l’humanité. Ce charabia est à ce jour la manière la plus sophistiquée pour tenter de nier que les enjeux environnementaux se lisent à travers le prisme des classes sociales.

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Adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne : une fausse bonne idée

Depuis le déclenchement de la guerre, le processus d’adhésion de l’Ukraine s’est accéléré. Pourtant, alors que nous faisons déjà face à une crise agricole, l’entrée de l’Ukraine aurait des effets désastreux pour plusieurs filières.

Depuis le déclenchement de la guerre provoquée par l’invasion russe, le processus d’adhésion de l’Ukraine s’est accéléré sous l’impulsion de nombreux chefs d’État et de gouvernement européens. Le 28 février 2022, le président Volodymyr Zelensky a officialisé la volonté de son pays d’entrer dans l’Union européenne. Cette initiative, très largement soutenue par l’opinion publique, marque un lent et long processus qui pourrait s’étaler sur les quinze prochaines années avant que soit actée cette éventuelle adhésion.

Alors que notre pays est frappé par une crise agricole, l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne aujourd’hui aurait des effets désastreux pour certaines filières. Il va de soi que les coûts de production de nos modèles agricoles ne sont pas égaux et que la mise en concurrence de ceux-ci avec les exportations ukrainiennes fragiliserait inexorablement les agriculteurs français – déjà mis à mal par la mondialisation à laquelle ils doivent faire face depuis des années. Avant l’invasion russe, l’Ukraine était le 4ème pays agricole mondial, 1er exportateur d’huile de tournesol, 4ème de maïs et d’orge et se plaçait 5ème dans l’exportation de blé.(1)

Le destin des agriculteurs est intrinsèquement lié à la politique agricole commune (PAC) pilotée par l’Union européenne. Si ce dispositif fait débat et est amené à évoluer, en l’état actuel de son fonctionnement, plus l’on a de surface agricole, plus on reçoit de fonds. L’argent perçu bénéficie donc aux plus grandes surfaces, dont l’Ukraine ferait partie si elle venait à entrer dans l’Union européenne. Les dix plus grandes entreprises agricoles ukrainiennes contrôlent 70% du marché national.(2) Cela affecterait la compétitivité de certaines exploitations agricoles des Etats membres : le budget de la PAC exploserait au bénéfice de ces grands groupes, qui alimenteraient le marché européen de produits agricoles à bas coûts. Les Etats européens devront donc faire face à cette mise en concurrence qui pourrait être fatale à de nombreux pans de l’agriculture française.

Par ailleurs, il paraît difficile d’harmoniser les normes environnementales européennes avec celles en vigueur en Ukraine. Une adhésion aurait ainsi plutôt tendance à tirer ces normes vers le bas, ce qui serait désastreux pour la biodiversité et pour la santé des consommateurs. En effet, les obligations européennes en matière d’usage des pesticides sont très éloignées de celles mises en place par l’Ukraine sur sa production.

Les exportations agricoles ukrainiennes actuelles vers l’UE ont déjà fragilisé notre économie : entre 2021 et 2023, elles ont bondi de près de 176%. Selon les Echos, les importations de volaille ont augmenté de 50 % en 2023 par rapport à 2022. Le prix du poulet produit en Ukraine, au kilo, est de 3€ en moyenne. Il est de 7€ en France. Voilà à quoi doivent aujourd’hui faire face les agriculteurs français.

À l’heure où la France doit concentrer tous ses efforts à retrouver le chemin d’une souveraineté agricole et alimentaire, l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne peut donc apparaître comme une fausse bonne idée.

Références

(1)Benjamin Laurent, “Mobilisation des agriculteurs : les produits ukrainiens sont-ils une « concurrence déloyale » à l’agriculture européenne ?”, Géo, 2 février 2024.

(2) Stefan Lehne, « A Reluctant Magnet: Navigating the EU’s Absorption Capacity », 21 septembre 2023.

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Dans un rapport mis en ligne lundi 12 février, Viginum, le service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères révèle l’existence d’un réseau (Portal Kombat) constitué de 193 sites internet relayant de fausses informations et visant à déstabiliser la population ukrainienne mais également des Etats comme la France ou l’Allemagne.

Entre septembre et décembre 2023 Viginum a mené des analyses approfondies d’un réseau regroupant des sites d’informations diffusant des contenus pro-russes, certains ouvertement politiques et d’autres plus anodins.

Baptisé « Portal Kombat » en raison de sa « stratégie informationnelle offensive », le réseau regroupe pas moins de 193 sites actifs pour certains depuis 2013 (et pour les plus récents juin 2023) dont l’activité vise explicitement les Etats occidentaux affichant leur soutien à l’Ukraine depuis l’invasion russe. Comme l’indique le rapport de Viginum[1], ces sites ne diffusent aucun contenu original et fonctionnent comme des relais de publications issues majoritairement de trois sources : les comptes de réseaux sociaux russes et pro-russes, les agences de presses russes et les sites officiels d’institutions ou d’acteurs locaux.

Le principal objectif poursuivi par « Portal Kombat » est de présenter une image positive de « l’opération militaire spéciale » menée par la Russie en Ukraine et, dans le cas français à travers pravda-fr[.]com, de « polariser les échanges et le débat public numérique francophone »[2]. Plusieurs techniques sont également utilisées afin d’élargir au maximum l’audience des 193 sites : la sélection des sources pro-russes selon les localités visées, l’automatisation de la diffusion des contenus et l’optimisation du référencement sur les différents moteurs de recherche.

Considérées comme de potentielles cellules dormantes pouvant redoubler d’activité lors des nombreuses élections prévues en 2024 en Europe et dans le monde, Paris et Berlin ont communiqué ensemble sur le sujet ce lundi 12 février lors de la réunion à la Celle-Saint-Cloud du format Weimar[3].

Références

[1] https://www.sgdsn.gouv.fr/files/files/20240212_NP_SGDSN_VIGINUM_RAPPORT-RESEAU-PORTAL-KOMBAT_VF.pdf

[2] Toujours selon le rapport de Viginum

[3] Le « triangle de Weimar », est le nom de la plateforme d’échange entre la France, l’Allemagne et la Pologne. Crée en 1991 pour soutenir l’adhésion de la Pologne à l’Otan, le triangle de Weimar est désormais un outil diplomatique plus large et est actuellement utilisé par les trois pays pour contrer efficacement les attaques russes de désinformation et les tentatives d’ingérences.

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Les parlementaires norvégiens ont autorisé le 9 janvier la prospection minière des grands fonds marins. Si le royaume crée un précédent en matière d’exploitation minière sous-marine, cette décision est loin de faire l’unanimité de la communauté internationale

Le mardi 9 janvier, les parlementaires norvégiens ont voté en faveur de l’exploration minière d’une partie de ses grands fonds marins. C’est l’archipel arctique de Svalbard qui fera l’objet des premières explorations : plus de 280 000 kilomètres carrés.

La Norvège devient ainsi l’un des premiers Etats au monde à autoriser ces explorations qui ont pour objectif final de faire du pays l’un des grands producteurs mondiaux de minerais. Le Royaume espère à moyen-terme être un maillon essentiel du commerce mondial de cuivre, manganèse, colbalt, zinc ou encore de lithium. Autant de métaux stratégiques nécessaires à la production de nombreux appareils électroniques mais également à la transition énergétique : « Nous avons besoin de minéraux (car) nous devons mener une transition verte sous la forme de cellules et de panneaux solaires, de voitures électriques, de téléphones mobiles », explique la députée travailliste Marianne Sivertsen Naess, cité dans les Echos(1).

Au-delà des enjeux commerciaux, la Norvège souhaite ainsi réduire sa dépendance (qui est d’ailleurs commune à l’ensemble des pays européens) vis-à-vis de la Russie et de la Chine en métaux stratégiques. L’exploitation des métaux stratégiques que contiennent les grands fonds marins répond, selon le Premier ministre Jonas Gahr Støre, constituerait un atout indénaible pour l’industrie norvégienne.

Une autorisation parlementaire sur fond de contestation

Loin de faire l’unanimité, l’autorisation de la prospection minière des grands fonds marins a entraîné des manifestations de militants internationaux et d’associations environnementales. L’extraction des minerais pourrait avoir des répercussions irréversibles sur des habitats naturels et des espèces encore peu connus mais possiblement essentiels pour l’écosystème. Le risque est également grand d’endiguer la capacité d’absorption du plus grand réservoir mondial de carbone qu’est l’océan. 

Selon Forde Pleym, à la tête de l’entité norvégienne de Greenpeace, cité par Les Echos « la Norvège risque de créer un précédent », qui permettra « à d’autres pays de faire de même ».

Deux mois auparavant, de nombreux parlementaires européens avaient également interpellé les députés norvégiens sur la dangerosité de l’extraction des minerais des fonds marins en rappelant notamment les travaux du Conseil consultatif des académies européennes des sciences (EASAC, ce dernier ayant alerté les responsables politiques sur ce sujet dès l’été 2023)

Une mobilisation de la France et du Royaume-Uni pour la tenue d’un moratoire international

Si la Norvège crée un précédent à l’exploitation des grands fonds marins, d’autre pays (24 au total) militent à l’inverse pour l’organisation d’un moratoire international. C’est le cas notamment de la France et du Royaume-Uni qui ont affirmé leur opposition ferme à tout projet d’exploitation minière sous-marine.

Le contexte est néanmoins marqué par l’accroissement des pressions pour l’ouverture des droits d’exploitation. L’Autorité internationale des fonds marins, organisation onusienne en charge de ces de la régulation de ces activités dans les eaux internationales doit par ailleurs se réunir en 2024 et statuer sur un possible premier code minier mis au vote pour 2025.

Références

(1)https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-norvege-lance-la-prospection-miniere-de-ses-fonds-marins-2045453

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A travers l’alliance européenne sur les petits réacteurs nucléaires modulaires (annoncée pour début 2024), le plan France 2030 ou encore le partenariat stratégique entre des start-ups britanniques et françaises sur le nucléaire de 4e génération, c’est bien un tournant de la stratégie européenne en matière de nucléaire qui semble se dessiner.

Le mardi 16 janvier un partenariat stratégique visant à accélérer le développement des technologies nucléaires de 4e génération (les réacteurs nucléaires avancés : en anglais advanced modular reactors, AMR) a été annoncé par les starts-up NAAREA et Newcleo. Elles ont déclaré au Figaro, Euractiv et l’AFP que ce partenariat concerne « le déploiement industriel, technologique scientifique et réglementaire » des AMR.

Ces réacteurs nucléaires avancés (AMR) rassemblent les technologies utilisant le combustible nucléaire usagé des filières existantes. Ils font partie de la famille des petits réacteurs nucléaires modulaires (small modular reactors, SMR, en anglais).

Comme indiqué à Euractiv, le Français NAAREA est spécialisé dans le développement d’un micro-générateur nucléaire « à neutrons rapides et sels fondus disposant d’une puissance électrique de 40 MW et d’une puissance de production de chaleur de 80 MW. Un prototype non nucléaire, c’est-à-dire non alimenté en combustible, est prévu pour 2026, tandis que le premier avec combustible est prévu à l’horizon 2030 »(1).

Le Britannique Newcleo quant à lui se focalise sur le développement de mini-réacteurs à neutrons rapides refroidi au plomb : l’un de 30 MW et l’autre de 200 MW. Le prototypage de ces deux mini-réacteurs est également prévu pour la deuxième partie des années 2020.

4 domaines de collaboration entre NAAREA et Newcleo

NAAREA et Newcleo ont défini quatre domaines de collaboration : le cycle du combustible, le financement des infrastructures liées au cycle, la recherche et le développement industriel. Les équipes des deux start-ups travaillent déjà ensemble sur le volet recherche.

David Briggs, directeur général adjoint de NAAREA indique que ce partenariat sera l’occasion de travailler à l’harmonisation des règles européennes en matière de sureté nucléaire. Il annonce également que ce partenariat prendra forme au sein d’une coopération plus large avec la Plateforme Technologique pour l’Energie Nucléaire Durable (acronyme anglais : SNETP)

A moyen-terme : créer des synergies à l’échelle européenne

Ce partenariat poursuit des objectifs directement opérationnels (comme celui de trouver dès 2024 des sites d’implantation pour leur prototype ou sécuriser l’approvisionnement et l’accès à la matière fissile) mais également des objectifs de moyen-long terme : créer des synergies à l’échelle européenne et intégrer à la dynamique de travail l’ensemble des start-ups de 4e génération.

Afin de répondre à ces objectifs David Briggs et Ludovic Vandendriesch (DG France de Newcleo) organiserons des comités de pilotage mensuels. Selon le premier « Le timing répond à la fois à l’urgence environnementale et à la nécessité de faire émerger des projets européens de 4e génération pour avoir des solutions face à la compétition chinoise ou américaine ».

Un partenariat favorisé par le plan d’investissements France 2030

NAAREA et Newclo sont toutes deux lauréates de l’appel à projets « Réacteurs nucléaires innovants », partie intégrante du plan d’investissement France 2030 dont les montants consacrés à la filière nucléaire s’élèvent à 1 milliard d’euros.

Les deux start-ups souhaitent néanmoins pouvoir bénéficier de financements européens à moyen-terme. L’alliance européenne sur les SMR pourrait selon elles favoriser la naissance d’un projet d’intérêt commun européen (PIIEC) sur le sujet, comme c’est déjà le cas sur celui des batteries. Comme précisé dans leur communiqué de presse, le partenariat entre NAAREA et Newclo s’inscrit effectivement dans la trajectoire prévue par la future alliance européenne sur les SMR.

Les SMR disposent d’avantages certains : capacité de déploiement sur des terrains variés (urbains, industriels, militaires, etc…), production d’électricité mais également de chaleur à usage industriel ou urbain, production d’hydrogène bas carbone voire dessalement « compétitif et durable de l’eau »(2), flexibilité de la production d’électricité, production à coût plus faible et plus rapide que les grands réacteurs…

L’alliance européenne sur le nucléaire

Annoncée pour début 2024 par le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton lors du World Nuclear Exhibition (WNE) et avant lui par le commissaire à l’Energie, Kadri Simson, l’alliance européenne sur les SMR poursuit comme objectif d’unifier l’ensemble des acteurs industriels du secteur autour du développement des réacteurs nucléaires du futur.

Seront pris en compte aussi bien les SMR de 3e génération que les AMR de 4e génération (génération sur laquelle travaille NAAREA et Newclo).

Selon Euractiv, l’alliance se développera autour de 7 groupes de travail :

  • « Développement », intégrant clients, vendeurs et développeurs ;
  • « Acceptabilité sociale », réunissant société civile, comité économique et social européen et ONGs ;
  • « Financement », avec les États membres et les développeurs ;
  • « Cycle du combustible », avec également États membres et développeurs ;
  • « Main-d’œuvre et compétences », réunissant les acteurs de la chaîne d’approvisionnement, de production et de vente ;
  • « Recherche », réunissant les acteurs de la recherche et du développement, de l’industrie et de l’octroi de licences ;
  • « Sécurité », dont les membres sont encore à définir.

L’administration de l’alliance sera prise en charge par un conseil comprenant les Etat membres le Groupe des régulateurs européens de la sûreté nucléaire (ENSREG). Le pilotage des travaux sera quant à lui assuré par Nuclear Europe et la Plateforme Technologique pour l’Energie Nucléaire Durable (SNETP).

La réussite de cette alliance est néanmoins conditionnée à l’évolution de la réglementation européenne en matière de nucléaire. Une condition qui semble partie pour être remplie. Les eurodéputés ont effectivement adopté à la mi-décembre une résolution(3) en faveur du développement des petits réacteurs nucléaires en Europe. Signe d’un changement de positionnement sur le nucléaire au sein des instances de l’union

Références

(1)https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/exclusif-cooperation-franco-britannique-inedite-sur-le-nucleaire-de-4e-generation/

(2) https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/large-soutien-du-parlement-europeen-pour-les-petits-reacteurs-nucleaires/

(3) https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2023-0456_EN.html

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Le choc des souverainetés, nouvel horizon du XXIe siècle ?

Le choc des souverainetés, nouvel horizon du XXIe siècle ?

Ce n’est pas au choc des civilisations de Samuel Huntington auquel nous devrions nous attendre au cours du XXIe siècle mais bien à un choc des souverainetés. C’est en tout cas la thèse défendue par Pascal Lorot, le président de l’institut Choiseul, dans son ouvrage « Le choc des souverainetés (1)» .

Pas de démondialisation en vue mais bien une nouvelle étape de la mondialisation. La pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine confirment des tendances à l’œuvre depuis longtemps mais que nous ne pouvions auparavant observer qu’à partir de signaux faibles. « Depuis plusieurs années, en effet, la mondialisation, à la fois comme école de pensée et phénomène économique, a cessé d’être dominante. Relocalisations d’usine, recherche de production industrielle, circuits courts, localisme économique sont en vogue »(2).

Nous assistons peu à peu, et selon Pascal Lorot, à un réveil des souverainetés qui se manifeste sur l’ensemble de la planète. Aux Etats-Unis d’abord, où la croyance en leur « Destinée manifeste » n’a rien perdu de sa superbe et qui, face aux appétits chinois, traitent désormais leurs alliés européens et asiatiques en vassaux. En Chine, qui dernièrement a interdit l’exportation de technologies d’extraction et de séparation des terres rares (et se montre de plus en plus agressive vis-à-vis de ses voisins). En Russie avec bien évidemment l’agression de l’Ukraine. Mais les trois grands ne sont pas les seuls concernés.

L’Arabie saoudite se conçoit de plus en plus comme la marraine d’un monde arabe émancipé de la tutelle américaine. La Turquie néo-ottomane d’Erdogan assoit peu à peu son emprise sur la Méditerranée orientale, la Transcaucasie et le Proche-Orient. L’Iran, par l’intermédiaire de son stratège le général Soleimani mort en 2020, a étendu son influence en Irak, en Syrie, au Liban et s’affirme comme une puissance régionale sur laquelle il faut désormais compter.

L’Europe n’échappe pas à la règle. Le Brexit d’abord et le projet « Global Britain » imaginé par l’ancien premier ministre Boris Johnson ouvre la voie. L’Allemagne ensuite, dont le chancelier Olaf Scholz proclame l’avènement d’un « changement d’époque », jette désormais son dévolue sur l’Est de l’Europe et souhaite devenir le centre névralgique d’une Union européenne élargie à une trentaine de membres. La Pologne et la Hongrie rompent quant à elles avec le progressisme et les valeurs européennes pour célébrer leurs spécificités nationales et la défense de la civilisation occidentale face au « déferlement de hordes de barbares ».

L’abandon de la souveraineté des Etats européens

Plus que pour toute autre partie du monde, le choc des souverainetés qui se profile représente un défi pour l’Union européenne. Ayant parfaitement intégré les logiques qui prévalaient lors de la dernière phase de la mondialisation (entamée dès les années 1970 et dont les maîtres mots étaient libération des capitaux, financiarisation de l’économie, dérégulation du commerce international et désindustrialisation) rares sont les outils qui lui restent pour appréhender les défis qui se posent désormais à elle. Certes l’agression de l’Ukraine a réveillé quelques esprits européens mais l’atmosphère idéologique qui prévaut dans les institutions de l’union ne fait guère la part belle au concept de souveraineté.

Ce désamour est avant tout le fruit d’une histoire. Celle d’élites occidentales biberonnées au nomadisme et au sans-frontiérisme promus par les héritiers revendiqués de Deleuze et Foucault. Et Pascal Lorot de citer Christopher Lash « Les nouvelles élites sociales ne se sentent chez elles qu’en transit, sur le chemin d’une conférence de haut niveau, de l’inauguration d’un gala d’un nouveau magasin franchisé, de l’ouverture d’un festival international de cinéma, ou d’une station touristique encore vierge. Leur vision du monde est essentiellement celle d’un touriste – perspective qui a peu de chances d’encourager un amour passionné pour la démocratie(3) ».

Mais c’est également le fruit d’une stratégie bien rodée d’américanisation des classes dirigeantes européennes et de leur conversion à l’American way of life. Nombreux sont les think tanks américains encore présents sur le continent et assurant la formation idéologique des futurs décideurs économiques, politiques, associatifs, etc. Le plus emblématique d’entre eux est sans doute la French-American Foundation (FAF) qui envoie chaque année sur le territoire américain une promotion de jeunes européens prometteurs pour les former au mode de pensée et aux intérêts de l’Oncle Sam. Une fois de retour sur leur terre natale, ces « young leaders » constituent de formidables relais des positions américaines comme ce fut le cas lors du rachat de la division d’Alstom par General Electric en 2014(4).

Ainsi ouvert aux quatre vents par ses propres dirigeants, l’Europe est selon Pascal Lorot le seul ensemble régional dépendant de tous les autres : de la Chine pour les biens et marchandises, de l’Inde pour les techniciens et les informaticiens, des Etats-Unis pour les nouvelles technologies et jusqu’il y a peu de la Russie pour l’énergie.

Parmi les exemples étudiés dans son ouvrage, l’auteur s’attarde sur un problème franco-français mais symptomatique d’une situation qui tient de l’auto-sabordage : le parc nucléaire hexagonal. Sous le poids conjoint de stratégies d’influence étrangères (allemandes notamment) et d’écologistes inconséquents, le parc nucléaire français a vu ses capacités réduites, ses investissements diminués, ses compétences et savoir-faire délaissés. Si bien que la relance de la production nucléaire annoncée par le gouvernement en 2022 va nécessiter l’embauche de 10 000 à 15 000 personnes chaque année jusqu’en 2030. Dans un monde cherchant à s’émanciper du pétrole et du gaz, et où les programmes de nucléaires civils se multiplient sur l’ensemble des continents, ce désarmement industriel tient du paradoxe le plus total.

Un paradoxe qui s’épanouit dans beaucoup d’autres domaines (agriculture avec la signature d’un ensemble de traités de libre-échange, automobiles avec des constructeurs européens dépassés par l’arrivée sur le marché de véhicules électriques américains et chinois, etc…). Ce qui fait douter l’auteur de l’ouvrage quant à notre « aptitude à affronter les bouleversements à venir. En l’absence d’une volonté réelle de défendre et promouvoir les attributs de leur souveraineté, la France et l’Europe ne pourront s’adapter aux événements chaotiques qui se profilent à l’horizon ».

Le chaos qui vient

Si la pandémie de Covid-19 est sans conteste une crise sanitaire elle est tout autant une crise géostratégique et la manifestation la plus concrète d’une réalité qui s’impose désormais à nous : la mondialisation n’est plus l’occidentalisation du monde.

La précédente étape de la mondialisation, incarnée économiquement par la liberté totale de circulation des capitaux et politiquement par l’imposition de gré ou de force des valeurs occidentales, a été rendue obsolète par la guerre douanière et commerciale que se livrent désormais les Etats-Unis et la Chine pour l’hégémonie mondiale. La vieille lune néo-libérale d’un monde pacifié par les vertus d’un capitalisme débridé a vécu.

Se font désormais face deux nations-empires : l’empire millénaire chinois (après la parenthèse qu’ont représenté les deux derniers siècles d’humiliation occidentale débutée avec les guerres de l’Opium) et l’empire américain. Leur compétition étendue à l’ensemble des domaines de la vie humaine (économique, culturel, politique, diplomatique, etc…) fait craindre leur chute dans le « piège de Thucydide » : « la survenue d’un affrontement difficilement évitable entre une puissance dominante et sa rivale émergente »(5).  

Les motifs d’affrontement ne manquent pas. Taïwan est certainement le plus visible de tous. Principal producteur mondial de semi-conducteurs et démocratie libérale, son indépendance est à la fois un affront aux yeux du pouvoir chinois et une nécessité pour les Etats-Unis. Engagés dès 1979 avec le Taiwan Relations Act dans la défense de l’île, l’oncle Sam serait tenu d’intervenir si la Chine envahissait Taïwan.

L’Union européenne et la France ont vu leurs marges de manœuvre diplomatique se réduire à peau de chagrin avec le conflit russo-ukrainien. L’Hexagone, comme l’indique Pascal Lorot, a proposé en 2006 un projet de sécurité croisé de l’Ukraine par l’intermédiaire de l’OTAN et de la Russie assurant la neutralité et l’indépendance du pays. Si l’idée est accueillie favorablement par Moscou, Washington la rejette catégoriquement et œuvre à l’intégration de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN. Plus encore, la maison blanche favorise la constitution d’un front panturc (par l’intégration des républiques turcophones d’Asie centrale au territoire d’Ankara) et à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne afin d’affaiblir tout autant l’Europe que la Russie.

Confiante dans sa suprématie diplomatico-militaire, elle refonde désormais sa suprématie économique par le subventionnement massif des produits « made in USA », l’extraterritorialité de son droit et l’imposition d’un nouvel ordre international protectionniste. Et Pascal Lorot de citer le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire : « Le véritable risque européen, c’est le décrochage technologique, industriel et économique, qui laisserait le champ libre aux Etats-Unis et à la Chine ».

On regrette néanmoins que l’auteur ne s’attarde que trop peu sur la crise climatique qui représente sans l’ombre d’un doute un vecteur de chaos international et un défi immense pour l’Humanité..

Les nouvelles frontières de la souveraineté

En août 2022, Joe Biden signe le Chips and Science Act permettant le soutien de l’industrie américaine de la tech à hauteur de 280 milliards de dollars (52,7 milliards pour les semi-conducteurs). La réplique américaine à l’ascension chinoise en matière de nouvelles technologies est donc sans appel.

Pour ce qui est de l’Europe et de la France, Pascal Lorot montre combien le retard est grand : « l’Union européenne investit cinq fois moins que les Etats-Unis dans la R&D privée, elle y consacre 40 milliards d’euros par an, contre 200 milliards outre-Atlantique et 64 milliards dans l’empire du Milieu où ce montant croît de 15% chaque année. Quant aux start-ups du Vieux Continent, elles ont attiré trois fois moins de financements que celles d’Amérique du Nord dans la période post-Covid ». Pas de « techno-puissance » pour l’Europe.

Des pistes visant à combler ce retard sont néanmoins avancées. D’abord l’impératif de garantir la sécurité des infrastructures et services de stockages de données sensibles (à l’image du cloud souverain Numspot(6)).

Ensuite l’adoption d’alternatives européennes aux solutions américaines et chinoises. Et là-dessus le législateur a une place importante : par la promotion de normes plus rigoureuses en matière de réversibilité, d’interopérabilité et de portabilité des données, les acteurs européens se retrouveraient de facto mieux positionnés sur un marché hautement concurrentiel mais peu soucieux de la protection des utilisateurs(7).

Enfin, à travers une meilleure coordination entre la recherche et les investissements, la stratégie européenne et française gagnerait à se concentrer sur les technologies essentielles à la souveraineté et pour lesquelles un leadership est encore possible.

Le législateur peut effectivement favoriser l’émergence d’un écosystème technologique souverain : à l’échelle française par exemple en faisant de la commande publique un levier pour les technologies européennes. A l’échelle européenne en élargissant le traitement différencié d’opérateurs de pays tiers (déjà mis en œuvre pour les services publics, les postes, les transports et la défense) aux infrastructures numériques et aux technologies critiques (IA, semi-conducteurs, technologies quantiques et nucléaires, etc…).

Bien que devant être radicalement questionnée, la haute intensité technologique de nos sociétés contemporaines (et leur transition vers des économies décarbonées) fait des métaux précieux et terres rares un enjeu de souveraineté à part entière. Pascal Lorot cite avec raison les mots de Guillaume Pitron, récompensé par le prix du meilleur livre d’économie en 2018 « Tous les pans les plus stratégiques des économies du futur, toutes les technologies qui décupleront nos capacités de calcul et moderniseront notre façon de consommer de l’énergie, le moindre de nos gestes quotidiens et même nos grands choix collectifs vont se révéler tributaires des métaux rares(8) ».

Deux difficultés apparaissent dans ce secteur : d’une part, la demande mondiale en métaux stratégiques ou critiques connaît une forte augmentation en raison de la croissance démographique et du développement économique des pays émergents (mais également du développement de nouvelles filières industrielles liées à la transition numérique et écologique). D’autre part, le marché, par les hasards de la géographie, est fortement oligopolistique. Afrique du Sud, Australie, Brésil, Canada, Chine, Etats-Unis, Kazakhstan, Russie, Chili et Pérou concentrent la majorité des ressources connues. La République démocratique du Congo dispose quant à elle de 50% des réserves de cobalt, 80% des réserves de coltan.

Mais au-delà des hasards de la géographie, la situation oligopolistique du marché des métaux stratégiques et critiques tient également à la stratégie bien rodée d’un acteur désormais incontournable : la Chine. A travers une diplomatie minière parfaitement structurée sur l’ensemble des continents depuis plus de vingt ans, des géants miniers et un marché intérieur en pleine croissance, l’empire du Milieu est pleinement hégémonique. Il détient 95% des opérations sur les terres rares, 60% pour le cobalt et le lithium, 40% pour le cuivre. « De ce fait, la Chine est en capacité de fixer les prix du marché sur les terres rares et de nombreux métaux : elle représente par exemple 58% de la production mondiale d’acier ».Au-delà d’une stratégie minière hexagonale à renouveler selon l’auteur (qui appelle à inventer la mine du XXIe siècle en France, pays européen disposant d’un potentiel minier important pour le lithium dans le Massif central, pour le tungstène dans les Pyrénées, pour le nickel dont 20% des réserves mondiales sont en Nouvelle-Calédonie) l’enjeu est celui de la sécurisation de nos approvisionnements en reconstituant nos stocks stratégiques et en déployant une véritable diplomatie des métaux.

L’augmentation drastique des capacités de recyclage des métaux stratégiques et critiques constitue également un volet indispensable d’une stratégie souveraine. De bons exemples existent déjà, à l’image de l’entreprise Aubert&Duval à l’origine d’EcoTitanium (filière de recyclage de titane intégrée de qualité aéronautique européenne).

On regrette néanmoins que peu de mots soient consacrés à l’émergence de technologies alternatives. La coopération efficace entre le CNRS et l’entreprise Tiamat est par exemple à l’origine de la batterie au sodium (dont les qualités sont remarquables : temps de recharge dix fois plus rapide que les batteries au lithium et durée de vie d’une dizaine d’année contre 3 à 4 pour celles au lithium). Ces nouvelles batteries pourront alimenter les véhicules électriques pour des trajets urbains (de 0 à 200km) mais également jouer un rôle clé pour le stockage des énergies éolienne et solaire. Par ailleurs, le sodium étant beaucoup plus abondant et présent un peu partout sur la planète (et son extraction étant plus écologique que le lithium) son utilisation réduit les risques de tension géopolitique(9).

Les mers, loin d’être un espace secondaire, constituent l’un des domaines où ce choc des souverainetés est déjà à l’œuvre. 90% du commerce mondial transite par bateau et 99% des flux de données passent par des câbles sous-marins. Les sols et sous-sols marins sont, quant à eux, potentiellement riches en métaux (pour le territoire français : sulfures polymétalliques et encroûtements cobaltifères du côté de la Polynésie française et nodules polymétalliques dans les eaux de l’atoll de Clipperton)(10).

La France occupe par ailleurs une place spécifique dans cette lutte maritime. Disposant de 11 millions de km2 de mer territoriale, de zone économique exclusive (ZEE) et de plateau continental, l’Hexagone est à la tête du deuxième domaine maritime mondial (derrière les Etats-Unis). Reste que le manque de moyens navals et aériens limite considérablement la capacité de la France à faire respecter sa pleine souveraineté sur ces espaces maritimes et protéger les ressources halieutiques et les minerais des capacités prédatrices de certains Etats comme la Chine.

Quant à l’espace et à sa privatisation grandissante sous le poids d’acteurs privés comme SpaceX, l’Europe comble peu à peu son retard vis-à-vis de la Chine et des Etats-Unis. 2024 voit le lancement d’Iris 2, constellation de connectivité souveraine visant à « assurer la continuité de l’accès à l’internet haut débit en cas d’effondrement ou de saturation des réseaux terrestres. Apporter de la résilience en cas de cyberattaques. Doter les armées et les Etats d’un outil souverain de communication sécurisée en cas de crise »(11). Sur la période 2023-2027, l’Union européenne compte mobiliser 2,4 milliards d’euros (750 millions d’euros supplémentaires sont apportés par l’Agence spatiale européenne).

Enfin, Pascal Lorot revient sur l’importance d’anticiper les futures ruptures technologiques. Avec l’annonce d’un Plan Quantique doté de 1,8 milliards d’euros et concernant l’ensemble des technologies quantiques (capteurs, simulateurs, ordinateurs, communications), un tissu de start-up dynamiques et une recherche publique de pointe, la France a de réels atouts à faire valoir. Il serait en revanche malheureux de nous endormir sur nos lauriers. Les dépenses intérieures de recherche et développement de l’Etat sont désormais inférieures à la moyenne de l’OCDE et nous sommes passés de la sixième à la neuvième place depuis 2005 en matière de publications scientifiques dans le domaine médical.

Refonder une stratégie gagnante

La question que l’on se pose nécessairement à la lecture de cet ouvrage est celle de savoir si la France est toujours une nation souveraine. Après l’analyse des défis qui l’attendent et des moyens à sa disposition, on peut effectivement en douter. La désindustrialisation et la dégradation du parc nucléaire hexagonal, toutes deux fruits de choix politiques plus que critiquables, le déficit chronique de la balance commerciale, le chômage de masse, les investissements trop faibles dans la recherche & développement sont à l’origine d’un déclassement national qu’il est difficile de nier.

L’heure est donc selon Pascal Lorot à l’identification de priorités : si la souveraineté s’étend désormais à des domaines de plus en plus larges, trois piliers conditionnent l’existence d’une nation et fonde sa souveraineté : l’industrie, l’agriculture, la défense. Pour chacun de ces piliers, l’auteur trace les contours d’une souveraineté retrouvée.

La voie de la réindustrialisation :
  1. Une fiscalité attractive pour l’industrie (suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés, fusion de la CFE et de la taxe foncière, etc…)
  2. Le développement du nombre d’ETI (entreprises de taille intermédiaire) en France. L’Hexagone compte 5000 ETI (40% d’entre elles concernent le secteur industriel) contre 13 000 en Allemagne. Malgré leur faible nombre, elles représentent 39% du PIB national et constituent des entreprises fortement créatrices de richesses et d’emplois dans les territoires sur lesquels elles s’implantent.
  3. La modernisation du parc industriel avec le lancement d’un programme « Industrie du futur II » afin de combler le retard des PMI (petites et moyennes entreprises) en matière de robotisation des procédés, de numérisation des équipements, d’intégration des solutions de décarbonation.
  4. La décarbonation des activités industrielles en prolongeant le Plan de relance à la décarbonation des procédés industriels mais également en amplifiant les politiques de soutien à la chaleur décarbonée et au recyclage.
  5. La montée en compétences de l’industrie (continuer la montée en puissance de l’apprentissage, créer des passerelles efficaces au sein des écoles de la deuxième chance vers la formation professionnelle en alternance, etc…). On remarque néanmoins que la formation continue des salariés est un point aveugle de l’ouvrage.
  6. La dynamisation de la R&D (sanctuarisation du Crédit d’impôts recherche et dynamisation du Crédit d’impôt innovation, développement des partenariats entre les structures de recherche publique et les entreprises industrielles).
  7. La transition énergétique et écologique du secteur logistique (verdissement des véhicules, construction d’entrepôts neutres en carbone, développement du multimodal…).
Sur le chemin de l’agro-écologie française et européenne :
  1. La diversification et la sécurisation des approvisionnements (mettre fin notamment à la dépendance aux fertilisants extra-européens).
  2. Une stratégie européenne « Farm to Fork » repensée (la limitation des dépendances stratégiques en matière agricole nécessitera selon Pascal Lorot d’augmenter la production agricole européenne et non de la diminuer).
  3. Des conséquences du réchauffement climatique anticipées (mettre en œuvre une stratégie d’adaptation et de transformation des cultures d’ici 2050 en identifiant les cultures viables en fonction des zones géographiques et des modifications climatiques attendues).
  4. Un cadre règlementaire juste et adapté (renforcement des contrôles et de la traçabilité des produits alimentaires importés de pays tiers, 8 à 12% ne respectent pas les normes européennes de production).

Pour une analyse complète des enjeux de l’indépendance agricole, voir la note de David Cayla :  https://letempsdesruptures.fr/index.php/2022/11/01/proposition-pour-un-nouveau-modele-agricole/ 

La défense, troisième pilier de la souveraineté nationale

La base industrielle et technologique de défense (BITD) dispose d’un écosystème particulièrement dynamique (une dizaine de grands groupes, 4000 PME dont 450 PME stratégiques, 20 milliards de chiffre d’affaires et 200 000 emplois, 10% de l’emploi industrielles dans des régions comme la Bretagne, le Centre-Val-de-Loire ou la Nouvelle Aquitaine) et d’investissements budgétaires importants notamment dans le cadre de la loi de programmation militaire 2019-2025. Néanmoins, en raison de l’augmentation des tensions géopolitiques et du retour de conflits symétriques (entre Etats) la BITD doit être en mesure de répondre très rapidement aux besoins à court terme de l’armée française. Dans ce contexte, deux défis se posent à elle :

  1. La pénurie de main d’œuvre. L’industrie de défense est une industrie « de main-d’oeuvre (soudeur, électrotechnicien, etc.) et de haute technologie (data scientist, ingénieur, etc.)(12)». Nombre de métiers et compétences qui la composent sont en tension. Pascal Lorot plaide par conséquent pour la relance de filières de formation sur des compétences critiques (soudage, chaudronnerie) et la mise en place d’une réserve militaire opérationnelle de l’industrie de défense (comme c’est le cas chez notre voisin britannique). Cette dernière permettrait une mise à disposition dans les deux sens des compétences industrielles et militaires.
  2. Le financement de la BITD (avec la réallocation d’une partie de l’épargne de long terme des particuliers vers des sociétés de la BITD. Néanmoins, le Conseil constitutionnel vient de retoquer le gouvernement qui souhaitait flécher une partie du livret A dans ce sens).

Les limites posées à la souveraineté

L’une des limites identifiées par l’auteur est d’ordre idéologique : le mythe du couple franco-allemand est un frein au retour de la souveraineté économique dans de nombreux secteurs. La France n’est en aucun cas un partenaire privilégié par l’Allemagne dans ses relations avec les Etats de l’Union. Et si des projets communs existent, des désaccords stratégiques se font régulièrement jour. Sur le marché européen de l’énergie (et la préférence française pour le nucléaire), sur la politique étrangère et les relations avec l’OTAN, etc…

Première puissance économique de l’Union, l’Allemagne redevient un acteur géopolitique : « 100 milliards d’euros sur la table destinés à bâtir la première armée conventionnelle du continent, à prendre la tête du pilier européen de l’OTAN  […] et à déployer une stratégie qui fait basculer le centre de gravité de l’Europe vers l’est. Sur le plan économique comme sur le plan militaire, l’Allemagne met tout en œuvre pour créer une zone d’influence pangermanique qui marginalise, voire exclut, la péninsule européenne (France, Espagne, Portugal, Italie du Sud »(13).

Au-delà de l’Allemagne, l’allié américain joue souvent contre l’unité de l’Union avec la complicité régulière des pays de l’Est. Pour preuve la Pologne qui décide dès 2012 de faire appel au groupe américain Westinghouse pour construire sa première centrale nucléaire. Ou encore l’Initiative des trois mers (ITM) prise par la Pologne et la Croatie regroupant 12 Etats d’Europe de l’Est et réaffirmant l’alignement sur les positions américaines.

Il y a également, et Pascal Lorot a raison de le souligner, une divergence culturelle qui se creuse entre l’Ouest et l’Est de l’Union : les pays anciennement dans le giron de l’URSS reprochent désormais à l’UE d’avoir rompu avec ses racines chrétiennes.

Alors peut-on parler de souveraineté européenne ? Nous ne pouvons qu’être d’accord avec l’auteur quand il affirme que sur le plan théorique cette idée est un non-sens. Il n’existe pas de nation européenne ni de peuple européen qui se reconnaissent comme tels. Et à l’heure où les identités nationales (voire régionales) au cœur de l’Union se réaffirment (comme partout ailleurs) il serait bien candide de le croire.

Mais cela ne veut pas dire que nous devions renoncer à toute ambition européenne. Nombreux sont les sujets sur lesquels la France ne peut prétendre à une action unilatérale. Identifier quels sont ces sujets est le premier pas d’une construction européenne plus pragmatique. Ainsi Pascal Lorot, cite tour à tour l’industrie de défense, l’industrie du futur et le numérique, l’intelligence artificielle, les énergies renouvelables, etc.

L’Union a su d’ailleurs mettre en place divers instruments permettant de soutenir des secteurs critiques de l’économie européenne. A l’instar du secteur des semi-conducteurs. Des instruments européens tels que les Projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) et des engagements financiers (Horizon Europe, Next Generation EU, Fonds européen de souveraineté) démontrent selon l’auteur que les prémisses d’une politique industrielle se font jour.

La structuration du marché commun par une approche ambitieuse des normes (avec notamment la nouvelle stratégie de normalisation de l’UE) constitue également un levier essentiel du renouveau industriel européen. 

Enfin, la dédollarisation du monde qui s’annonce avec la montée en puissance de la Chine et de nouvelles puissances régionales (Inde, Brésil, Afrique du Sud, Iran, Arabie Saoudite, Turquie, Russie, etc…) pourrait permettre à l’UE et à la France de retrouver des marges de manœuvre importantes dans les échanges internationaux.

Pas de poursuite donc pour Pascal Lorot, d’une souveraineté européenne chimérique mais la possibilité d’une autonomie stratégique grâce au recentrement de l’UE sur des enjeux vitaux pour son avenir.

Le sursaut souverain et l’ère de la géoéconomie

Loin d’être une idée dépassée, la souveraineté est au cœur de l’histoire politique et constitutionnelle de la France. A juste titre est rappelé le préambule de la Constitution de 1958 : « Le Peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789 ; confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 ».

Mais ses contours ont changé. Limitée d’abord aux impératifs de défense, le choc pétrolier de 1973 élargit son cadre pour lui faire englober les enjeux énergétiques (et la constitution d’un programme nucléaire civil ambitieux). L’émergence d’un monde où la conflictualité ne concerne plus uniquement l’Etat mais bien l’ensemble des acteurs économiques transforme également les frontières de la souveraineté : désormais les entreprises connaissent des besoins croissants de sécurisation des chaînes d’approvisionnement et logistiques et sont parties prenantes de la conflictualité entre Etats. La montée de l’insécurité dans le détroit de Bab-el-Manded suite au conflit israélo-palestinien le démontre suffisamment : les porte-conteneurs des compagnies maritimes comme CMA-CGM refusent désormais de remonter le canal de Suez et reprennent la route du Cap de Bonne Espérance.

Ce glissement d’une souveraineté purement étatique et limitée aux enjeux de défense à une souveraineté économique impliquant l’ensemble des acteurs économiques signe selon Pascal Lorot « l’ouverture d’une ère nouvelle, celle de la géoéconomie, qui est la toile de fond des rapports entre acteurs au XXIe siècle ».

L’auteur définit la géoéconomie comme étant « l’analyse des stratégies d’ordre économique et commercial, décidées par les Etats dans le cadre de politiques visant à protéger leur économie nationale ou certains pans bien identifiées de celle-ci, à acquérir la maîtrise de technologies clés et/ou à conquérir certains segments du marché mondial relatifs à la production ou la commercialisation d’un produit ou d’une gamme de produits sensibles, en ce que leur possession ou leur contrôle confère à son détenteur – Etat ou entreprise « nationale » – un élément de puissance et de rayonnement international et concourt au renforcement de son potentiel économique et social ».

Désormais, et bien qu’il existe toujours des conflits traditionnels à l’image de la guerre en Ukraine, les conflictualités économiques se multiplient et les Etats s’opposent pour l’obtention de parts de marché, de ruptures technologiques, d’obtention de brevets etc.

Nous divergeons en revanche avec l’auteur sur un point. Loin d’être un phénomène nouveau, la géoéconomie n’est à notre sens que la nouvelle forme d’une guerre économique qui n’a jamais cessée et est aussi vieille que l’histoire de l’Humanité.

Salvateurs sont à ce titre les travaux menés par l’Ecole de Guerre Economique et son centre de recherche le CR451. Son directeur adjoint, Arnaud de Morgny, définit la guerre économique comme « la confrontation entre parties pour capter, contrôler des ressources, accaparer des richesses, accroître sa puissance par l’économie. Elle plonge ses racines dans l’histoire de l’Humanité. La construction des empires par le recours à l’esclavage et la violence qui en découle est une des matrices majeures de l’Histoire humaine.(14) »

Sa réalité n’a été recouverte qu’à partir des révolutions industrielles et l’avènement de pensées économiques libérales qui ont cru voir dans le marché et le doux commerce un levier de pacification des sociétés. Ces penseurs ont volontairement oublié la dimension violente de toute conflictualité économique.

Ainsi la guerre économique (qu’Arnaud de Morgny définit également par ses moyens y compris illégaux : manipulation, chantage, pressions juridiques, etc…) n’est pas une spécificité des temps de guerre (blocus, destruction d’infrastructures économiques…) mais bien une permanence des relations commerciales. Le terme de guerre est utilisé car les Etats interviennent directement dans le conflit via la fourniture d’informations sur les concurrents, la situation du marché ou la pression exercée sur certains acteurs ; ou indirectement en communiquant par exemple sur la qualité des produits du pays.  Ainsi « La guerre économique est une réalité devenue permanente, la guerre cinétique ou militaire un pic d’affrontement »(15).

L’Ecole de Guerre Economique et Pascal Lorot s’accordent néanmoins sur deux points :  le rapport Martre en 1994 a permis une première prise de conscience des enjeux de la conflictualité économique. Les entreprises sont par ailleurs amenées à jouer un rôle de plus en plus grand dans la guerre économique en étant plus attentives aux enjeux géopolitiques (conflits régionaux, sécurisation des approvisionnements et flux logistiques, etc…), et en élargissant le spectre de leurs modalités d’action (influence, diplomatie économique, contre-espionnage, etc…) y compris à leur corps défendant.

Ne pas assumer ce rôle c’est risquer de perdre des parts de marché, des brevets, des technologies critiques au bénéfice des entreprises américaines, chinoises, turques, russes, sud-coréennes qui ont déjà intégré la profonde pénétration des enjeux de souverainetés politiques et économiques et collaborent étroitement avec leurs gouvernements respectifs.

Le développement de cette nouvelle forme de « diplomatie d’entreprise » en soutien des grandes orientations de l’Etat ne peut en revanche se justifier que sous une condition spécifique : la soumission de ces grandes orientations politico-économiques à la souveraineté populaire.

Apparaissant en filigrane dans la fin de l’ouvrage de Pascal Lorot, mais jamais véritablement mentionnée, la souveraineté populaire n’est que l’autre nom de la décision démocratique quant aux choix, également économiques, de la nation.

Sans souveraineté populaire, la défense de la souveraineté nationale en matière économique n’est plus que la nostalgie des anciennes formes de capitalisme national et de paternalisme économique. Elle n’est que l’autre nom de la « renationalisation » des élites économiques.

Ce simple changement d’élites, au-delà d’être injustifiable, est de toute façon inconcevable au vu du degré de méfiance vis-à-vis d’elles qui touchent désormais l’ensemble des démocraties occidentales et au premier titre la France(16).  

Reste à savoir comment peut se manifester cette souveraineté populaire. Il y a bien évidemment son volet politique.

Répondre à la crise démocratique qui touche les sociétés occidentales est une condition sine qua non pour engager les grandes transitions (notamment énergétique et écologique) nécessaires pour relever les défis du XXIe siècle (et au premier titre la crise climatique). La crise des gilets jaunes, et avant elle des bonnets rouges, a suffisamment démontré l’importance d’associer les citoyens aux grandes orientations politiques du pays.

Mais il y a également son volet économique. Les bouleversements économiques majeurs entraînés par la double révolution numérique et écologique(17) et la recherche d’une autonomie stratégique retrouvée transforment tout à la fois le sens, le contenu et l’organisation du travail. Ils posent, comme jamais auparavant, les questions du « que faut-il produire ? » et « comment faut-il produire ? ». Deux questions qui ne peuvent pas trouver de réponses par simple décret ministériel ou par la projection de graphiques dans les salles de direction des entreprises.

Les travaux d’Alain Supiot, professeur émérite au collège de France, sont à cet égard particulièrement enrichissants. Loin de devoir son rang de première puissance économique aux diverses réformes libérales du marché du travail, l’Allemagne doit selon lui une grande partie de son efficacité économique au modèle social qu’elle a peu à peu instauré au cours du XXe siècle et dont l’un des piliers n’est autre que la codétermination dans les entreprises.

Selon ce modèle de démocratie économique, théorisé notamment par Hugo Sinzheimer (père du droit du travail moderne), et mis en place à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les dirigeants « exercent leurs fonctions sous le double contrôle des représentants des travailleurs et des actionnaires, réunis au sein d’un conseil de surveillance (Aufsichrat). Les actionnaires y ont le droit du dernier mot, mais les travailleurs ont quant à eux leur propre assemblée représentative, le conseil d’établissement (Betriebsrat), qui est présidé par l’un des leurs (et non par l’employeur comme en France) et qui dispose d’un droit de veto sur certaines décisions »(18).

Cette codétermination s’est révélée particulièrement efficace pour endiguer les effets de la phase néolibérale de la mondialisation sur le tissu économique allemand. Moins financiarisées, moins soumises à la pression de la rentabilité à court-terme, les entreprises d’outre-Rhin ont mieux résisté à la dérégulation du commerce international. Dans une époque où autonomie stratégique et souveraineté économique reprennent des couleurs, cet exemple est sans aucun doute à méditer.    

Dans un registre plus éclectique, et volontiers provocateur, Otto Bauer, l’un des grands théoriciens de l’austromarxisme et homme politique autrichien de l’entre-deux guerres, peut également nous donner matière à penser(19). Otto Bauer est, au sortir de la Première Guerre Mondiale, Secrétaire d’Etat des Affaires Etrangères et Président de la Commission de socialisation à l’Assemblée nationale d’un pays confronté à de lourds enjeux d’autodétermination nationale, de conflictualité sociale et de modernisation économique.

Pour chaque grand secteur économique du pays, Otto Bauer se livre à une analyse non dogmatique des moyens de transformation du tissu productif, de démocratie économique et d’autonomie stratégique. Bien sûr son analyse est datée et applicable uniquement à l’Autriche de 1919, mais par-delà ses aspects directement opérationnels elle démontre que la participation des citoyens aux grandes orientations économiques du pays est l’une des conditions essentielles de la souveraineté nationale.

A l’heure de refermer l’ouvrage de Pascal Lorot, et si on regrette que l’analyse s’attarde trop peu sur les évolutions en matière d’organisation des entreprises qu’implique le retour de la souveraineté économique, reste à l’esprit la grande finesse argumentative de l’auteur. Dessinant tour à tour chacune des particularités de ce choc des souverainetés qui prend forme sous nos yeux, Pascal Lorot réussit le tour de force de rendre un peu plus compréhensible un monde contemporain où règnent complexité, ambiguïté et incertitude.

Références

(1)L’auteur définit le choc des souverainetés comme une « locution qui décrit une situation où la légitime poursuite par les Etats de leurs intérêts propres crée les conditions d’une entrée mutuelle en conflit ».

(2)Guillaume Vuillemey, Le Temps de la démondialisation, Seuil, octobre 2022

(3) Christopher Lash, La Révolte des élites et la trahision de la démocratie, Flammarion, janvier 2010

(4) Jean-Michel Quatrepoint, « Des missionnaires aux mercenaires », monde-diplomatique.fr, novembre 2016

(5) Graham Allison, Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide ?, Odile Jacob, février 2019. Cité par Pascal Lorot.

(6)Initiative lancée en 2022 par Docaposte, Dassault Systèmes, Bouygues Telecom et la Banque des Territoires

(7) La réversibilité correspond à la capacité à restituer à leur propriétaire les documents conservés ainsi que les données nécessaires pour garantir l’intégrité et l’authenticité des documents de façon sécurisée. La portabilité des données concerne notamment la possibilité et la capacité à exporter des données à caractère personnel recueillies et stockées numériquement. L’interopérabilité des données est la capacité d’un système d’information à communiquer avec d’autres systèmes d’information existants ou futurs. Elle permet de créer une certaine synchronisation entre les différents systèmes informatiques.

(8) Guillaume Pitron, La Guerre des métaux rares. La Face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, janvier 2018.

(9) Cet exemple précis n’aurait en revanche pas pu être avancé par l’auteur, la commercialisation par l’entreprise Tiamat débute en octobre 2023 et l’ouvrage de Pascal Lorot a été publié au cours de l’été de la même année.

(10) La connaissance de la constitution des sols et sous-sols marins restent encore très parcellaire et une exploitation de ces ressources, au-delà des considérations écologiques, représente un coût financier et un enjeu technique trop importants pour être réalisable à court-terme.

(11) Véronique Guillemard, « L’Europe lance Iris 2, sa constellation de connectivité souveraine », lefigaro.fr, 17 novembre 2022.

(12) Pascal Lorot, Le choc des souverainetés, Débats publics, 2023, p.143

(13) Ibid., p.155

(14)https://www.marianne.net/agora/entretiens-et-debats/ne-pas-connaitre-lexistence-de-la-guerre economique-est-le-meilleur-moyen-de-la-perdre

(15) Idem

(16) Pascal Lorot en est d’ailleurs bien conscient et cite l’analyste de la CIA Martin Gurri « Les élites françaises […] se tiennent difficilement au sommet de la pyramide. Elles avaient autrefois l’autorité suprême dans un système national qui donnait aux puissants un pouvoir supérieur à celui que la plupart des démocraties tolèrent. A présent, elles sont assiégées par les manifestants et ne savent pas ce qui les attend. Les élites françaises ont, au sens propre, créé le public français, l’ont provoqué par leur aveuglement total et l’ont conduit à son état de malheur actuel. Elles n’ont jamais su que de telles personnes existaient, car celles-ci étaient invisibles du haut de la pyramide ». La révolte du public : entretien exclusif avec Martin Gurri, l’analyste de la CIA, qui annonçait la crise des Gilets jaunes dès 2014, Atlantico, mars 2019.  

(17) Selon Jean-Marc Vittori, réaliser la transition écologique et énergétique de notre économie nécessite des bouleversements d’une telle ampleur qu’ils auront un effet sur l’appareil productif comparable à la mise en place d’une économie de guerre. Jean-Marc Vittori, Pourquoi la transition énergétique sera une vraie guerre, Les Echos, 29 novembre 2023.

(18) https://esprit.presse.fr/article/alain-supiot/de-la-citoyennete-economique-41384#_ftnref1

(19) Voir à ce sujet Otto Bauer, la marche au socialisme, Librairie du Parti Socialiste et de l’Humanité, 1919.

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La décision de l’Union Européenne d’établir un cadre réglementaire pour l’intelligence artificielle représente un tournant dans l’histoire de la gouvernance technologique. Cet accord, résultat d’échanges approfondis entre les États membres et le Parlement européen, revêt une importance capitale pour définir les contours d’une utilisation responsable et éthique de l’IA au sein du continent. Ce processus réglementaire novateur cherche à élaborer des lignes directrices claires et exhaustives, établissant ainsi des normes en matière de développement, de déploiement et d’utilisation des technologies d’IA. Il vise à créer un cadre réglementaire robuste, offrant un équilibre délicat entre l’encouragement de l’innovation et la protection contre les éventuels abus ou dérives de cette technologie émergente. L’objectif fondamental de cet accord est de garantir que l’IA soit développée et utilisée de manière responsable, éthique et transparente. Il s’agit d’une initiative pionnière qui place l’Union Européenne en tête de file sur la scène mondiale en matière de régulation de l’intelligence artificielle, affirmant ainsi son engagement à façonner un avenir numérique équilibré et sécurisé pour ses citoyens et ses entreprises.

Bases réglementaires et contrôles

Au cœur de cet accord se trouvent les principes des réglementations déjà établies par l’Union Européenne en matière de sécurité des produits. Ces fondations réglementaires servent de base pour encadrer le développement et l’utilisation de l’intelligence artificielle, offrant un cadre robuste pour contrôler son déploiement. Des directives spécifiques sont mises en place, notamment pour réguler les IA dites « génératives ». Ces systèmes, capables de générer du contenu artistique ou textuel, font l’objet d’une attention particulière. Les règles imposées visent un contrôle rigoureux, garantissant la qualité des données utilisées dans leur fonctionnement. Cela vise à prévenir tout usage abusif ou toute violation des droits d’auteur lors de la création de contenu par ces IA. La nécessité d’une identification précise des créations artificielles, en particulier pour les systèmes les plus avancés, est au cœur de ces règles. Cette identification claire et transparente est cruciale pour distinguer les productions générées par des algorithmes d’une manière indiscernable de la création humaine. Cette mesure a pour objectif de renforcer la transparence et de prévenir toute manipulation ou utilisation frauduleuse de ces contenus créés par des IA.

Focus sur les systèmes à « Haut Risque »

L’accent particulier de cet accord se porte sur les systèmes d’intelligence artificielle considérés comme étant à « haut risque », déployés dans des secteurs vitaux tels que les infrastructures critiques, l’éducation, les ressources humaines ou encore la sécurité publique. Ces domaines sensibles nécessitent une réglementation spécifique pour garantir une utilisation appropriée de l’IA et minimiser les risques potentiels. Pour ces systèmes à haut risque, une série d’obligations strictes sera imposée. Parmi celles-ci, le contrôle humain joue un rôle crucial. Il s’agit de s’assurer qu’une supervision humaine est présente lors des opérations effectuées par ces systèmes d’IA. Cette présence humaine permet de garantir une prise de décision éclairée et éthique, réduisant ainsi les risques liés à une autonomie totale des algorithmes. En outre, l’accord prévoit l’établissement de processus de documentation technique approfondie. Cette mesure est essentielle pour assurer la traçabilité des décisions prises par les systèmes d’IA. Une documentation complète permettra une analyse approfondie des fonctionnements et des décisions prises par ces systèmes, offrant ainsi une transparence accrue et facilitant l’évaluation des risques.

La mise en place de mécanismes de gestion du risque constitue également une composante fondamentale de cet accord. Ces mécanismes visent à identifier, évaluer et gérer activement les risques potentiels associés à l’utilisation de l’IA dans ces domaines critiques. Il s’agit d’une démarche proactive pour anticiper et contrôler les éventuelles conséquences indésirables résultant de l’utilisation de ces technologies. Dans l’ensemble, ces mesures visent à instaurer un cadre rigoureux pour une utilisation responsable et sécurisée de l’intelligence artificielle dans des secteurs où les enjeux sont considérables. L’objectif ultime est d’éviter les dérives potentielles et d’assurer que l’IA est déployée de manière à bénéficier à ces domaines sensibles tout en minimisant les risques associés à son utilisation.

Office Européen de l’IA et mécanismes de surveillance

L’accord sur l’intelligence artificielle prévoit la mise en place d’un organe dédié, l’office européen de l’IA, intégré au sein de la Commission européenne. Ce bureau sera spécifiquement chargé de surveiller, d’évaluer et de réguler l’application des règles établies dans le cadre de cet accord. Son rôle principal sera d’assurer la conformité des entreprises et des acteurs impliqués dans le développement et l’utilisation de l’IA avec les normes établies. Cet office jouira d’un pouvoir significatif en matière de surveillance et de sanction. Il sera habilité à appliquer des amendes proportionnelles aux infractions constatées, avec une possibilité de sanctions financières pouvant atteindre jusqu’à 7 % du chiffre d’affaires des entreprises en infraction. Cette mesure dissuasive vise à inciter les entreprises à respecter scrupuleusement les directives réglementaires établies, renforçant ainsi les mécanismes de surveillance et de dissuasion dans le domaine de l’IA. Dans le cadre de ces contrôles, des interdictions spécifiques seront mises en place, principalement dirigées contre les applications ou les usages de l’IA contraires aux valeurs fondamentales de l’Union Européenne. Les systèmes de notation citoyenne ou de surveillance de masse, jugés incompatibles avec les principes éthiques et les droits fondamentaux européens, seront particulièrement ciblés par ces interdictions.

Réactions et enjeux

Cette avancée significative vers une régulation de l’intelligence artificielle n’a pas manqué de susciter des réactions, notamment au sein du secteur technologique lui-même. Certaines voix émises évoquent des réserves quant à l’équilibre à trouver entre la rapidité dans la mise en place des directives et la qualité des dispositions réglementaires. Ces voix critiques mettent en lumière l’importance cruciale d’approfondir certains aspects spécifiques du texte réglementaire. Elles insistent sur la nécessité de développer des détails et des spécifications supplémentaires pour garantir une régulation équilibrée et efficace de l’IA. L’enjeu majeur ici réside dans la volonté de trouver un juste milieu entre la nécessité de réglementer pour assurer la sécurité et l’éthique dans l’utilisation de l’IA, tout en évitant de freiner l’innovation et le développement des technologies émergentes. Ces critiques soulignent également l’importance de ne pas entraver la dynamique d’innovation des entreprises en imposant des réglementations excessivement restrictives. Il est essentiel de créer un environnement réglementaire propice à l’essor continu de l’IA, tout en garantissant un cadre éthique et responsable pour son déploiement.

En conclusion, cet accord  marque une étape fondamentale dans la manière dont l’intelligence artificielle sera encadrée et utilisée en Europe. Il représente un engagement solennel de l’Union Européenne à établir des normes régulatrices qui pourraient servir de référence à l’échelle mondiale. Ce cadre réglementaire offre une base essentielle pour promouvoir une utilisation responsable et éthique de l’IA. Cependant, ce n’est que le début d’un processus continu. L’adaptation constante des réglementations à l’évolution rapide du paysage technologique demeure essentielle. Un dialogue continu entre les parties prenantes, incluant les entreprises, les chercheurs, les décideurs politiques et la société civile, est crucial pour affiner ces réglementations. Il s’agit d’assurer une approche équilibrée qui favorise l’innovation tout en garantissant des normes éthiques et sécuritaires pour l’utilisation de l’IA. L’importance de ce dialogue réside dans sa capacité à répondre aux nouveaux défis et opportunités que présente l’IA. Ce processus continu permettra de s’adapter aux évolutions technologiques rapides et d’anticiper les risques potentiels, tout en consolidant les bénéfices que peut apporter l’IA à la société dans son ensemble.

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L’intelligence artificielle supplantera-t-elle les femmes au travail ?

Le Retour de la question stratégique

L’intelligence artificielle supplantera-t-elle les femmes au travail ?

L’emploi féminin semble être plus vulnérable face à l’IA que l’emploi masculin, suscitant des préoccupations légitimes quant à l’égalité des sexes sur le marché du travail.
Les conséquences potentielles de l’intelligence artificielle sur l’emploi en général

Au cours de la prochaine décennie, l’impact de l’intelligence artificielle générative (ChatGPT…) sur l’emploi sera significatif et diversifié. Selon les dernières estimations de l’Organisation internationale du Travail (OIT), l’automatisation pourrait potentiellement affecter jusqu’à 50% des emplois existants dans certaines régions du monde. Cette automatisation touchera principalement les emplois impliquant des tâches routinières et répétitives, comme la saisie de données et certaines tâches de production. Toutefois, il est important de noter que l’IA ne se limite pas à la suppression d’emplois, car elle offrira également de nouvelles opportunités. L’OIT estime que d’ici 2030, l’IA pourrait créer jusqu’à 12 millions d’emplois supplémentaires dans les domaines de la gestion de données, de la cybersécurité, et de la maintenance des systèmes d’IA. Toujours selon l’OIT, les implications potentielles de l’IA générative sont toutefois susceptibles de varier considérablement entre les sexes, avec une probabilité de perturbation de l’emploi féminin plus de deux fois supérieure à celle des hommes. Un constat partagé par le cabinet de conseil en stratégie McKinsey qui indique dans une étude parue l’été dernier que, d’ici la fin des années 2020, un tiers des heures de travail aux États-Unis pourraient être automatisées, avec 1,5 fois plus de femmes que d’hommes exposées à l’impact de l’intelligence artificielle. Pour rester pertinents sur le marché du travail, les travailleurs devront s’adapter en acquérant des compétences en numératie(1), en informatique et en résolution de problèmes. Cependant, la manière dont ces changements affecteront les travailleurs dépendra également des politiques gouvernementales et des stratégies des entreprises pour gérer les transitions.

La vulnérabilité des emplois occupés par les femmes

Les emplois traditionnellement occupés par des femmes sont donc les plus exposés à l’automatisation et à l’IA, une réalité confirmée par les données en France et partout dans le monde occidental. Cette vulnérabilité résulte en grande partie de la concentration des femmes dans des secteurs historiquement moins rémunérés et plus susceptibles d’être automatisés. Par exemple, en France, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), près de 30 % des femmes occupaient des emplois à temps partiel en 2019, contre seulement 7 % des hommes. Cette disparité dans les types de contrats contribue souvent à la précarité financière des femmes, car les emplois à temps partiel sont généralement moins bien rémunérés et moins stables. De plus, les inégalités salariales persistent en France, avec un écart moyen de rémunération d’environ 25 % en 2020, selon Eurostat. Autrement dit, les femmes gagnent en moyenne 25 % de moins que les hommes pour un travail équivalent. Ces disparités salariales exacerbent la fragilité financière des femmes. De surcroît, les femmes sont davantage susceptibles d’occuper des emplois précaires en France, notamment des contrats à durée déterminée (CDD) ou des emplois temporaires. En 2020, l’INSEE a observé que 88 % des emplois à temps partiel étaient occupés par des femmes, et elles étaient plus nombreuses que les hommes à travailler en CDD. Les femmes sont également fréquemment concentrées dans des secteurs à faible rémunération, tels que les services à la personne et le commerce de détail. Selon l’Observatoire des Inégalités, 84 % des employés dans le secteur de la santé et de l’action sociale sont des femmes, avec des salaires moyens inférieurs à ceux des hommes dans ce domaine. Plusieurs universités renommées s’emploient activement à examiner les interactions entre le genre, l’IA et l’emploi. Par exemple, l’Université de Californie à Berkeley, par le biais de son Centre for Technology, Society & Policy, s’est penché sur l’intersection complexe entre l’IA, le genre et le marché du travail, utilisant des données empiriques pour identifier les écarts de participation et les déséquilibres de rémunération. Leurs recommandations politiques visent à favoriser une plus grande égalité entre les sexes.

L’obstacle des biais de genre dans les données d’entraînement

Un autre facteur crucial à considérer lorsqu’il s’agit de l’impact de l’IA sur l’emploi des femmes est le risque de biais de genre inhérent aux données d’entraînement des systèmes d’IA. Dans ce contexte, les biais font référence à des préjugés ou à des distorsions systématiques qui se manifestent dans les données en raison de discriminations passées ou de stéréotypes de genre. Si ces données contiennent des préjugés existants liés au genre, les systèmes d’IA peuvent perpétuer ces biais et renforcer les inégalités sur le lieu de travail. Les exemples de biais de genre dans les données ne manquent pas. En France, une étude réalisée par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a révélé que les femmes étaient sous-représentées dans les médias, avec seulement 38 % des expert·es interviewé·es dans les émissions d’information en 2018. Cette sous-représentation se traduit par une absence de voix féminines dans la production d’informations et peut influencer la manière dont les systèmes d’IA comprennent et interprètent le rôle des femmes dans la société. Cathy O’Neil, mathématicienne et auteure de « Algorithmes, la bombe à retardement » met en garde contre les conséquences des biais de genre dans les systèmes d’IA. Pour elle, « dans le monde de l’IA, les biais sont comme des miroirs réfléchissant les inégalités profondément enracinées de notre société. Les algorithmes renforcent souvent les préjugés existants au lieu de les atténuer, ce qui peut avoir un impact disproportionné sur les groupes déjà marginalisés. » Autrement dit, lorsque des données historiques sont utilisées pour former des algorithmes de prise de décision, les discriminations passées peuvent être perpétuées, ce qui peut avoir un impact disproportionné sur les femmes et les minorités. Prenons l’exemple d’un algorithme de recrutement qui se base sur des données historiques où les femmes ont été sous-représentées dans certaines professions. Cet algorithme pourrait continuer à favoriser les hommes pour ces emplois, même si les femmes sont tout aussi qualifiées. Non seulement cela perpétue les inégalités existantes sur le marché du travail, mais cela renforce également les stéréotypes de genre qui limitent les opportunités professionnelles des femmes. Il est donc impératif de mettre en place des mécanismes de correction des biais dans le développement des systèmes d’IA. Il est essentiel de veiller à ce que les données utilisées pour l’entraînement soient plus représentatives de la diversité de la main-d’œuvre. Cette approche contribuera à créer des systèmes d’IA plus équitables et à atténuer les inégalités de genre dans le monde du travail.

Le manque de compétences techniques et de formation des femmes

Une autre raison majeure pour laquelle l’emploi des femmes est plus vulnérable à l’IA réside dans le déséquilibre des compétences techniques. On l’a vu, les emplois qui résisteront le mieux à l’automatisation exigent souvent des compétences avancées en informatique, en programmation, en analyse de données et en intelligence artificielle. Malheureusement, les femmes sont encore sous-représentées dans ces domaines, ce qui limite leurs opportunités d’emploi dans des postes liés à l’IA. En France, par exemple, selon le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, les femmes étaient largement sous-représentées dans les filières dites STEM(2) en 2020, ne représentant que 27 % des étudiant·es en informatique et 36 % en mathématiques. Cette disparité dans l’accès à l’éducation et à la formation dans des domaines techniques a un impact direct sur la capacité des femmes à accéder à des emplois liés à l’IA, qui requièrent souvent des compétences spécialisées. Pourtant, encourager davantage de femmes à poursuivre des carrières en STEM est essentiel pour réduire cette disparité. L’exemple de la France avec ses initiatives telles que « Elles codent » montre comment des programmes visant à encourager les femmes à s’engager dans les domaines scientifiques et technologiques peuvent avoir un impact positif. Ces initiatives offrent des bourses, des mentorats et des opportunités de formation aux femmes pour les aider à acquérir les compétences nécessaires et à s’épanouir dans ces carrières.

L’influence des normes sociales et culturelles sur les inégalités de genre

Les inégalités de genre dans le domaine de l’intelligence artificielle et de l’emploi résultent aussi des normes sociales et culturelles qui façonnent les attentes et les choix des individus en fonction de leur genre, influençant ainsi les carrières et les opportunités professionnelles. Pendant longtemps, la société a eu des attentes traditionnelles concernant les rôles de genre. Les femmes étaient souvent associées à des responsabilités domestiques, de soins et de soutien, tandis que les hommes étaient considérés comme les principaux pourvoyeurs financiers de la famille. Une étude réalisée par le Pew Research Center a révélé que 50% des Américains estiment que les femmes sont moins bien adaptées aux emplois en technologie. Ces stéréotypes ont influencé les choix de carrière et les aspirations professionnelles des individus. Par exemple, les filles étaient souvent encouragées à poursuivre des emplois dans des secteurs axés sur les soins, tels que l’enseignement, les soins de santé ou le travail social, tandis que les garçons étaient orientés vers des domaines tels que l’ingénierie, la technologie ou les affaires. Ces attentes traditionnelles ont eu un impact significatif sur les choix de carrière et de formation des femmes. Les carrières liées à l’IA et à la technologie sont souvent perçues comme masculines, ce qui peut décourager les femmes de s’engager dans ces domaines. Les données actuelles montrent que les femmes occupent moins de 20% des postes de cadres supérieurs dans les entreprises de technologie aux États-Unis et qu’elles occupent seulement 15% des postes de chercheurs en IA à l’université.

Quelles solutions pertinentes mettre en place ?

L’éducation et la sensibilisation jouent un rôle crucial dans la lutte contre les inégalités de genre dans le domaine de l’IA. Il est impératif de sensibiliser les femmes dès leur plus jeune âge aux opportunités offertes par cette technologie. Les programmes éducatifs, les ateliers et les initiatives de mentorat jouent un rôle central dans cet effort, nécessitant une collaboration entre les écoles, les universités et les entreprises pour encourager davantage de femmes à étudier des domaines liés à l’IA. Cela peut être accompli en mettant en place des programmes de bourses et en fournissant un soutien financier. La lutte contre les biais de genre dans les systèmes d’IA requiert des actions réglementaires volontaristes. Les gouvernements et les institutions doivent élaborer des politiques exigeant la transparence et l’équité tout au long du cycle de vie de l’IA. Cela implique la collecte de données démographiques pour identifier les biais, la création de comités de révision indépendants pour évaluer les systèmes d’IA, et l’établissement de sanctions pour les entreprises ne respectant pas ces normes. Les politiques visant à promouvoir la diversité et l’inclusion au sein des entreprises technologiques doivent également être encouragées et renforcées. Pour atténuer l’impact de l’IA sur l’emploi des femmes, il est essentiel de diversifier les opportunités professionnelles dans le domaine technologique. Cela signifie encourager les femmes à poursuivre des carrières en tant que développeuses de logiciels ou d’algorithmes, mais aussi en tant que leaders, chercheuses, éducatrices et créatrices. Les entreprises peuvent mettre en œuvre des politiques de promotion interne favorisant la diversité aux postes de direction, tandis que les établissements d’enseignement supérieur peuvent développer des programmes encourageant les femmes à explorer divers domaines technologiques. En outre, les employeurs et les gouvernements devraient investir dans des programmes de formation continue pour aider les femmes à acquérir des compétences techniques tout au long de leur carrière. Cela pourrait inclure des programmes de reconversion pour celles qui souhaitent se diriger vers des emplois liés à l’IA, ainsi que des cours de formation en ligne accessibles à tous. Enfin, pour réduire les inégalités, il est crucial de remettre en question les normes sociales et culturelles qui limitent les choix en fonction du genre. Il est essentiel de mettre en avant des modèles de rôle féminins positifs et d’assurer une visibilité accrue des femmes dans ces domaines pour démontrer que les opportunités professionnelles liées à l’IA sont accessibles à tous, indépendamment du genre.

En conclusion, l’essor de l’intelligence artificielle comporte des défis importants pour l’emploi des femmes. Les emplois traditionnellement féminins sont souvent plus vulnérables à l’automatisation, et les femmes sont sous-représentées dans les domaines techniques cruciaux pour l’IA. Les biais de genre dans les données d’entraînement des IA peuvent également perpétuer les inégalités. Pour atténuer ces problèmes, il est essentiel de promouvoir l’éducation et la sensibilisation, d’exiger la transparence et l’équité dans l’utilisation de l’IA, et de renforcer la diversification des carrières technologiques pour les femmes. Les politiques de promotion de la diversité et de l’inclusion sont également cruciales. En résumé, une action coordonnée est nécessaire pour garantir que l’IA bénéficie à tous, quel que soit le genre, et pour créer un avenir professionnel équitable et stable pour les femmes.

Références

(1)Numératie : capacité à utiliser, appliquer, interpréter et communiquer des informations et des idées mathématiques.

(2)STEM est un acronyme en anglais qui désigne les disciplines liées à la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques. Ces domaines englobent un large éventail de matières et de professions qui sont liées à la résolution de problèmes, à la création de technologies, à l’innovation et à la compréhension des phénomènes scientifiques et mathématiques. Encourager plus de femmes à poursuivre des carrières dans les domaines STEM est important pour favoriser la diversité et l’égalité des sexes dans ces secteurs.

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En vers et contre tous : la gauche suicidaire

Le Retour de la question stratégique

En vers et contre tous : la gauche suicidaire

 La crise existentielle que traverse la NUPES a fait sombrer la gauche dans une culture de l’invective qui dessert son discours et ses causes. Il est urgent de s’en éloigner et de redonner de la hauteur au débat.

Les cadres de la gauche se sont retrouvés pour la traditionnelle fête de l’Huma, un an après la signature de l’accord de la NUPES, en oubliant faire-part et politesses dans le coffre de la camionnette. La distribution d’anathèmes a donné à voir un triste spectacle fait de provocations et d’incidents nombreux sur les réseaux sociaux. Médias et détracteurs s’en sont donné à cœur joie. Une fois de plus, la gauche n’en finit pas de solder ses comptes, animée par l’approche des prochaines échéances électorales, notamment européennes. Difficile de comprendre ce goût morbide et immodéré pour la polémique outrancière qui fait maintenant office de marque de fabrique. Avant d’en venir aux faits, rappelons qu’il faut toujours savoir être dur avec ceux qu’on aime, d’autant plus lorsqu’ils aspirent à l’honneur suprême de gouverner.

Les passions tristes

La gauche se complait dans le spectacle, c’est un symptôme qui a pris les traits d’une pathologie. Il ne s’agit pas des effets de communication qu’elle maitrise parfaitement mais des luttes d’influences intestines qu’elle s’inflige. Chacun fait gonfler sa bulle en cherchant le courant le plus ascendant, renonçant à construire tout cadre de travail pérenne et collectif. Comment le camp du goût des autres peut-il tomber si bas dans la haine d’autrui ? Les déclarations sur le steak, les merguez vegan, la « kiffrance » et les chants anti-Roussel sont les signes sévères d’une impuissance structurelle, d’un délitement des liens et d’un dialogue qui s’opère sous le seul angle du rapport de force. Mais si la gauche est tant accro aux projecteurs, c’est parce qu’elle a été privée de la grande scène depuis longtemps. En sombrant toujours plus dans les luttes fratricides, elle montre à l’heure actuelle qu’elle est tout au plus un pouvoir de nuisance pour les puissants qui gouvernent. De fait, la gauche passe son temps à écoper son propre navire, cherchant à endiguer les tsunamis anti-sociaux et libéraux du camp d’en face. Lorsqu’elle cherche à proposer, elle souffle sans vent des mesures peu crédibles, loin du courage de la nuance.

Pourtant, lorsque la politique a émergé sur les réseaux sociaux, elle a cru y voir une chance d’y redorer son blason et de s’inscrire dans le quotidien de madame et monsieur tout le monde. Il n’en fut rien. Mais, il serait trop sévère d’engager l’unique responsabilité de la gauche tant ce phénomène reste complexe à expliquer. Par la suite, la politique a ancré puis nourri une culture du clash et de la violence qui parvenait à être relativement contenue à la télévision. Le mirage de la démocratisation n’a été qu’un masque agité par les géants du numérique pour gagner les marchés nationaux.

Il est maintenant temps de faire preuve de clarté : faire de la politique en 280 caractères, c’est renoncer à tout idéal de débat sain ; c’est lâcher les chiens de la vindicte sans aucune retenue ; c’est agir par mimétisme et opportunisme, autrement dit sous les hospices des pires défauts que la politique peut offrir. Pire, y prendre goût sonne comme une sentence. Ceux qui s’y prêtent entrent dans la case des influenceurs tranquilles, des as du clavier, dans la petite cour de récréation où de toute évidence, le vrai pouvoir n’est pas. Car les ouailles du commentariat (Nicolas Truong, La société du commentaire, Editions de l’Aube, 2022) ne sont que les aliénés d’un système économique qu’ils prétendent combattre, pendant que leurs adversaires empochent les profits qu’ils leur fournissent. Il n’en a pas toujours été ainsi. François Mitterrand (quoiqu’on pense de l’homme) savait contrôler sa parole et la manier avec habileté car il était convaincu de son destin et tenu par sa responsabilité de leader de la gauche. A juste titre, il disait que « la dictature des micros est aussi celle des idiots. » Si aujourd’hui la gauche n’en fait rien, c’est surement parce qu’elle se sait trop éloignée de l’exercice du pouvoir, et que l’inconséquence semble être une stratégie payante dans un soucis du moindre mal. Pour autant, nos dirigeants ne se rendent pas compte que ce système médiatique qu’ils croient les servir les broie un à un et finit toujours par se retourner contre eux.

Plus la route sera longue, plus la victoire sera grande

La gauche est dans une position frustrante, persuadée d’une force qu’elle ne possède pas encore. Du haut de ses défaites au pouvoir et dans l’opposition, elle doit reconstruire lentement. L’espoir ne pourra renaître que par un travail agile et sérieux de pénitence sur le terrain. La gauche ne soldera sa dette auprès des électeurs que par de longues années de travail silencieux, loin de ses addictions et de ses tares. Un sevrage salvateur qui doit pousser les prochaines générations à ne rien faire comme ses aînés. Il faudra s’assurer d’un contrôle minutieux de la communication, d’une parole réfléchie qui cherche les mots permettant au débat de s’élever toujours plus haut, d’un goût de l’engagement local à toute épreuve. Bref, réinventer la façon de faire de la politique. Il faudra fuir les vents réactionnaires et l’ultra-moralisme, dévaloriser les commentaires à chaud et donner toute leur importance aux faits. En somme, aller à contre-courant de l’engrenage médiatique.

Dans la société du spectacle, la palabre est plus visible que l’action car elle est le gagne-pain des paresseux. Dès lors, la mise en place d’un cordon sanitaire prônant la qualité au détriment de la quantité pourrait sembler payant. Redoublons d’effort pour agir plus et parler moins, voilà un vrai défi et une lutte de haut lieu à mener. La gauche doit décider de concert de ne plus jouer le jeu médiatique auquel elle prétend s’opposer. Elle peut imposer son propre tempo, boycotter les plateaux, revendiquer le débat sain et montrer l’exemple à ses adversaires.

Le mal à la racine

Un tel diagnostic cache en réalité un mal plus profond. Si la communication n’est plus un moyen de parvenir à un consensus démocratique et de mener un débat contradictoire serein, c’est tout simplement parce que le peuple français en a été privé depuis 1958. La société du commentaire n’est pas une mauvaise herbe qui a poussé en un jour. Son poids en France est renforcé par un régime politique qui n’a pas su évoluer en même temps que la société. Les instruments constitutionnels dont dispose l’exécutif permettent à ce dernier de gouverner contre la volonté générale, la bataille des retraites en est dorénavant un cas d’école.

De ce fait, la seule mesure de gauche qui vaille pour l’avenir est celle de la réforme des institutions. Il n’est pas envisageable de mettre en œuvre un programme à marche forcée sans le soutien du peuple. Nombreux sont ceux qui ignorent que le Parlement français, avant d’être puni et muselé par la Constitution du 4 octobre, fut l’élément central de la IIIe et de la IV Républiques. Dès lors, sans arène politique digne de ce nom, chacun frappe de toute ses forces dans la caisse de résonnance médiatique, cherchant le mot qui lui permettra d’exister. Si les médias sont coupables, c’est le système politique qui est responsable, à nous de le changer. Penser une révision constitutionnelle précise et sérieuse, voilà une piste qui pourrait enfin permettre d’élever le niveau.

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