Le Retour de la question stratégique

En vers et contre tous : la gauche suicidaire

 La crise existentielle que traverse la NUPES a fait sombrer la gauche dans une culture de l’invective qui dessert son discours et ses causes. Il est urgent de s’en éloigner et de redonner de la hauteur au débat.

Les cadres de la gauche se sont retrouvés pour la traditionnelle fête de l’Huma, un an après la signature de l’accord de la NUPES, en oubliant faire-part et politesses dans le coffre de la camionnette. La distribution d’anathèmes a donné à voir un triste spectacle fait de provocations et d’incidents nombreux sur les réseaux sociaux. Médias et détracteurs s’en sont donné à cœur joie. Une fois de plus, la gauche n’en finit pas de solder ses comptes, animée par l’approche des prochaines échéances électorales, notamment européennes. Difficile de comprendre ce goût morbide et immodéré pour la polémique outrancière qui fait maintenant office de marque de fabrique. Avant d’en venir aux faits, rappelons qu’il faut toujours savoir être dur avec ceux qu’on aime, d’autant plus lorsqu’ils aspirent à l’honneur suprême de gouverner.

Les passions tristes

La gauche se complait dans le spectacle, c’est un symptôme qui a pris les traits d’une pathologie. Il ne s’agit pas des effets de communication qu’elle maitrise parfaitement mais des luttes d’influences intestines qu’elle s’inflige. Chacun fait gonfler sa bulle en cherchant le courant le plus ascendant, renonçant à construire tout cadre de travail pérenne et collectif. Comment le camp du goût des autres peut-il tomber si bas dans la haine d’autrui ? Les déclarations sur le steak, les merguez vegan, la « kiffrance » et les chants anti-Roussel sont les signes sévères d’une impuissance structurelle, d’un délitement des liens et d’un dialogue qui s’opère sous le seul angle du rapport de force. Mais si la gauche est tant accro aux projecteurs, c’est parce qu’elle a été privée de la grande scène depuis longtemps. En sombrant toujours plus dans les luttes fratricides, elle montre à l’heure actuelle qu’elle est tout au plus un pouvoir de nuisance pour les puissants qui gouvernent. De fait, la gauche passe son temps à écoper son propre navire, cherchant à endiguer les tsunamis anti-sociaux et libéraux du camp d’en face. Lorsqu’elle cherche à proposer, elle souffle sans vent des mesures peu crédibles, loin du courage de la nuance.

Pourtant, lorsque la politique a émergé sur les réseaux sociaux, elle a cru y voir une chance d’y redorer son blason et de s’inscrire dans le quotidien de madame et monsieur tout le monde. Il n’en fut rien. Mais, il serait trop sévère d’engager l’unique responsabilité de la gauche tant ce phénomène reste complexe à expliquer. Par la suite, la politique a ancré puis nourri une culture du clash et de la violence qui parvenait à être relativement contenue à la télévision. Le mirage de la démocratisation n’a été qu’un masque agité par les géants du numérique pour gagner les marchés nationaux.

Il est maintenant temps de faire preuve de clarté : faire de la politique en 280 caractères, c’est renoncer à tout idéal de débat sain ; c’est lâcher les chiens de la vindicte sans aucune retenue ; c’est agir par mimétisme et opportunisme, autrement dit sous les hospices des pires défauts que la politique peut offrir. Pire, y prendre goût sonne comme une sentence. Ceux qui s’y prêtent entrent dans la case des influenceurs tranquilles, des as du clavier, dans la petite cour de récréation où de toute évidence, le vrai pouvoir n’est pas. Car les ouailles du commentariat (Nicolas Truong, La société du commentaire, Editions de l’Aube, 2022) ne sont que les aliénés d’un système économique qu’ils prétendent combattre, pendant que leurs adversaires empochent les profits qu’ils leur fournissent. Il n’en a pas toujours été ainsi. François Mitterrand (quoiqu’on pense de l’homme) savait contrôler sa parole et la manier avec habileté car il était convaincu de son destin et tenu par sa responsabilité de leader de la gauche. A juste titre, il disait que « la dictature des micros est aussi celle des idiots. » Si aujourd’hui la gauche n’en fait rien, c’est surement parce qu’elle se sait trop éloignée de l’exercice du pouvoir, et que l’inconséquence semble être une stratégie payante dans un soucis du moindre mal. Pour autant, nos dirigeants ne se rendent pas compte que ce système médiatique qu’ils croient les servir les broie un à un et finit toujours par se retourner contre eux.

Plus la route sera longue, plus la victoire sera grande

La gauche est dans une position frustrante, persuadée d’une force qu’elle ne possède pas encore. Du haut de ses défaites au pouvoir et dans l’opposition, elle doit reconstruire lentement. L’espoir ne pourra renaître que par un travail agile et sérieux de pénitence sur le terrain. La gauche ne soldera sa dette auprès des électeurs que par de longues années de travail silencieux, loin de ses addictions et de ses tares. Un sevrage salvateur qui doit pousser les prochaines générations à ne rien faire comme ses aînés. Il faudra s’assurer d’un contrôle minutieux de la communication, d’une parole réfléchie qui cherche les mots permettant au débat de s’élever toujours plus haut, d’un goût de l’engagement local à toute épreuve. Bref, réinventer la façon de faire de la politique. Il faudra fuir les vents réactionnaires et l’ultra-moralisme, dévaloriser les commentaires à chaud et donner toute leur importance aux faits. En somme, aller à contre-courant de l’engrenage médiatique.

Dans la société du spectacle, la palabre est plus visible que l’action car elle est le gagne-pain des paresseux. Dès lors, la mise en place d’un cordon sanitaire prônant la qualité au détriment de la quantité pourrait sembler payant. Redoublons d’effort pour agir plus et parler moins, voilà un vrai défi et une lutte de haut lieu à mener. La gauche doit décider de concert de ne plus jouer le jeu médiatique auquel elle prétend s’opposer. Elle peut imposer son propre tempo, boycotter les plateaux, revendiquer le débat sain et montrer l’exemple à ses adversaires.

Le mal à la racine

Un tel diagnostic cache en réalité un mal plus profond. Si la communication n’est plus un moyen de parvenir à un consensus démocratique et de mener un débat contradictoire serein, c’est tout simplement parce que le peuple français en a été privé depuis 1958. La société du commentaire n’est pas une mauvaise herbe qui a poussé en un jour. Son poids en France est renforcé par un régime politique qui n’a pas su évoluer en même temps que la société. Les instruments constitutionnels dont dispose l’exécutif permettent à ce dernier de gouverner contre la volonté générale, la bataille des retraites en est dorénavant un cas d’école.

De ce fait, la seule mesure de gauche qui vaille pour l’avenir est celle de la réforme des institutions. Il n’est pas envisageable de mettre en œuvre un programme à marche forcée sans le soutien du peuple. Nombreux sont ceux qui ignorent que le Parlement français, avant d’être puni et muselé par la Constitution du 4 octobre, fut l’élément central de la IIIe et de la IV Républiques. Dès lors, sans arène politique digne de ce nom, chacun frappe de toute ses forces dans la caisse de résonnance médiatique, cherchant le mot qui lui permettra d’exister. Si les médias sont coupables, c’est le système politique qui est responsable, à nous de le changer. Penser une révision constitutionnelle précise et sérieuse, voilà une piste qui pourrait enfin permettre d’élever le niveau.

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