Faux départ, un roman de Marion Messina

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Faux départ, un roman de Marion Messina

Une histoire d’amour tragique, où les rêves d’ascension sociale et artistique d’Aurélie, jeune étudiante issue des classes populaires, et d’Alejandro, dandy colombien se rêvant en nouveau Garcia Marquez, se retrouvent brisés dans le glacis d’une société française empêtrée dans le consumérisme, le conformisme et la précarité.

Une histoire d’amour tragique, où les rêves d’ascension sociale et artistique d’Aurélie, jeune étudiante issue des classes populaires, et d’Alejandro, dandy colombien se rêvant en nouveau Garcia Marquez, se retrouvent brisés dans le glacis d’une société française empêtrée dans le consumérisme, le conformisme et la précarité. Les deux amants, malgré leurs origines sociales opposées, trouveront dans leur passion impossible un moyen de se réfugier de leurs propres échecs personnels et affectifs. Ils la vivront comme une armure contre la toxicité des relations sociales régies par l’aiguillon de la jouissance immédiate et du désir de posséder. Inévitablement, cette société liquide, pour reprendre l’expression de Zygmunt Bauman, finit par dissoudre leur relation fusionnelle, confrontés à la peur de s’engager et à construire un lien solide et définitif.

Ce roman d’initiation moderne, dans l’ambiance Houellebecquienne de la France du XXIe siècle est un hymne à l’amour sonnant comme un puissant cri de révolte contre un monde où règne mépris, exclusion et un individualisme qui cache une profonde aversion à l’idée de prendre le risque de s’accomplir dans la vertu et la grandeur. Marion Messina parvient ainsi à toucher le lecteur au cœur, en trempant froidement sa plume dans les plaies des existences contemporaines, non sans une certaine candeur romantique.

Ce livre, le premier espérons-le d’une longue série, fait ainsi violemment écho à la détresse contemporaine d’une jeunesse plongée dans l’incertitude du confinement. Il est en effet difficile de ne pas se reconnaître dans les mines blafardes, défigurée par l’anxiété, la fatigue et le mauvais mascara de personnages décidément très attachant : nous ne serions tous pas un peu des Aurélie et Alejandro ?

Mais l’auteur n’oublie pas d’égratigner une minorité de profiteurs de la crise, à travers le portrait au vitriol d’une jeunesse bourgeoise, traînant sa vulgarité et son ignorance dans ses appartements recouverts de moulures et des écoles de commerces de seconde zone où s’enseigne la bêtise. Inégalités, violence au travail, difficulté de se loger et appât du gain : le romantisme espéré de Marion Messina se mèle d’un naturalisme impitoyable qui offre une description puissante de la crise économique et sociale que subit la population française.

Marion Messina, avec Édouard Louis et Tom Connan s’inscrit ainsi dans une nouvelle génération d’écrivains français qui osent enfin délaisser l’esthétique et le sentimentalisme pour se réapproprier le réel, dans la veine de la tradition littéraire française la plus prolifique. Une renaissance salutaire qui laisse espérer un retour des écrivains et des artistes du côté des gens ordinaires.

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Fin de l’histoire pour le souverainisme québécois ?

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Fin de l’histoire pour le souverainisme québécois ?

Le 24 juillet 1967 à Montréal. En déplacement au Canada, Charles de Gaulle se présente au balcon de l’hôtel de ville. En conclusion d’un discours sur l’amitié entre la France et le Canada français, il se fend d’une phrase qui fait désormais partie de l’histoire : « Vive le Québec libre! ». Cette saillie intervient à un moment charnière de l’histoire des francophones d’Amérique du Nord : le basculement vers le souverainisme.

Dans les années 1960, le souhait d’émancipation politique de la génération du baby-boom provoque une période d’ébullition politique mondiale : le Printemps de Prague, l’accélération de la décolonisation, les révoltes estudiantines, la diffusion du pacifisme, du féminisme et de l’antiracisme en sont les principales manifestations … La lutte des classes, en Europe, n’apparaît plus comme l’unique moteur de l’histoire, l’autorité de l’Église catholique vacille, et les peuples du tiers monde infligent à l’impérialisme américain sa première défaite.

Dans ce contexte politique de rupture, un peuple, celui des Canadiens français, entre en pleine métamorphose. Depuis leur abandon par la France au XVIIIème siècle, ils vivent comme une société distincte et minoritaire. Leur histoire mouvementée commence par la déportation du peuple Acadien. Après la victoire britannique lors de la Guerre de Sept Ans et la cession des colonies françaises d’Amérique du Nord, les francophones d’Acadie ont été déportés en France ou en Louisiane par les Britanniques. Au XIXème siècle, une révolte française menée par le mouvement des patriotes s’est achevée par leur pendaison. Coupée de ses liens avec la métropole, la société canadienne-française s’était repliée sur elle-même, autour d’une Eglise catholique rendue toute puissante. Cependant, l’emprise politique et culturelle du cléricalisme décline à partir des années 1960, avant de disparaitre. La période de « grande noirceur », caractérisée par la domination politique du premier ministre québécois conservateur et clérical Maurice Duplessis, laisse place à partir de 1960, date de la victoire du libéral Jean Lesage, à la révolution tranquille, une période de rupture où la société québécoise se modernise à grande vitesse, avec l’édification de son Etat-Providence.

La naissance d’une conscience nationale

La société évolue, sans pour autant que la domination des Canadiens britannique ne disparaisse. Si le clivage entre anglophones protestants et francophones catholiques s’évanouit avec la sécularisation de la société, la bourgeoisie reste anglophone et le prolétariat francophone. Dans ce terreau fertile, le marxisme-léninisme, farouchement combattu par l’Église, parvient à déployer ses thèses, notamment avec l’arrivée de la littérature anticolonialiste au Québec. Les Canadiens français prennent conscience de leur statut de peuple inféodé. Le nationalisme, la fierté d’être une Nation culturellement distincte, ne peut plus suffire, au moment où le peuple québécois exige la reprise en main de son destin.

Par l’émancipation, le peuple québécois entend non seulement sortir de la tutelle cléricale et se libérer du risque social, mais aussi devenir souverain, être maître d’un « chez lui » qui reste à définir…La société canadienne française ne se construit pas territorialement, mais linguistiquement et culturellement : alors que les francophones sont présents partout au Canada, le mouvement souverainiste cherche à définir un « chez nous », qui sera le Québec, province majoritairement francophone, dotée d’un gouvernement, d’une administration, d’un éventail large de compétences pour se diriger vers la souveraineté. Désormais, le terme de « Québécois » remplace celui de « Canadien français » : les francophones, minoritaires au Canada, deviennent majoritaires dans la province québécoise.

Au moment où Charles de Gaulle prononce son fameux discours, cette réflexion reste confinée aux cercles souverainistes encore minoritaires. Paradoxalement, les protestations du gouver- nement canadien et le scandale diplomatique qui s’en suit donne une existence mondiale au nom de « Québec ». Jusqu’en Chine, des idéogrammes sont associés pour écrire ce mot nouveau.

Dans la foulée de ce choc politique, le mouvement souverainiste s’agrandit, l’idée d’une nation québécoise progresse. Un an après, en 1968, les souverainistes de différentes obédiences, nationalistes ou anciennement libérales, s’unissent dans le Parti Québécois (PQ). La même année, un essai paraît, Nègres blancs d’Amérique, dans lequel Pierre Vallières, journaliste et écrivain souverainiste, dénonce la domination économique des conglomérats anglo-saxons sur les francophones, auxquels a été interdit l’accès aux postes de direction. Aux élections québécoises de 1970, le Parti Québécois arrive deuxième en nombre de votes. Les plus radicaux, acquis aux thèses anticolonialistes, avaient fondé en 1963 le Front de Libération du Québec (FLQ). S’inspirant des mouvements anticolonialistes d’Afrique, d’Algérie en particulier, ils souhaitent qu’une insurrection populaire balaye l’administration canadienne-britannique, considérée comme colonisatrice. Combattus comme organisation terroriste par le Canada, ils passent à l’action violente en octobre 1970.

L’attaché commercial du gouvernement britannique, puis le ministre du travail du Québec sont enlevés. Le FLQ envoie un manifeste à tous les médias, et réclame qu’il soit diffusé à la radio et dans la presse, ainsi que la levée d’un impôt révolutionnaire volontaire et l’autorisation de quitter le Canada pour Cuba. Les médias obtempèrent, et le manifeste est diffusé. Le gouvernement du Canada, mené par Pierre-Eliott Trudeau profite de cet évènement pour s’attaquer non pas seulement aux éléments radicaux du FLQ mais à tout le mouvement souverainiste y compris l’immense majorité pacifiste.

En 1968, les souverainistes de différentes obédiences, nationalistes ou anciennement libérales, s’unissent dans le Parti Québécois (PQ).

Une loi de guerre est votée, qui permet à l’armée canadienne de se déployer dans tout le Québec, deux ans après que le gouvernement canadien avait déclaré que le Québec n’était pas sous occupation.

Les locaux du Parti Québécois sont perquisitionnés, ses militants fichés, certains sont même arrêtés malgré leur absence de lien avec le FLQ. Se sentant considérée comme un ennemi de l’intérieur, une partie du peuple québécois se soulève, faisant éclater des émeutes. L’affaire tourne au drame quand le ministre du travail est retrouvé mort, dans le coffre d’une voiture, entrainant l’arrestation rapide des « felquistes » (membres du FLQ). Si les actions du FLQ sont unanimement condamnées, la mémoire retient surtout la surréaction canadienne, l’occupation militaire et le fichage d’opposants politiques pacifiques. Encore aujourd’hui, les souverainistes québécois déplorent que le gouvernement canadien ne se soit jamais repenti, bien que l’excuse mémorielle soit une activité récurrente du Canada dirigé par Justin Trudeau, le fils de Pierre-Eliott Trudeau.

Loin d’affaiblir le mouvement souverainiste, les événements d’octobre confirment ce qu’il professe depuis une dizaine d’années : le gouvernement du Canada méprise le Québec. Les élections québécoises de 1976 donnent la vic- toire au Parti Québécois de René Lévesque, notamment grâce à l’adhésion de la classe ouvrière au souverainisme : les syndicats soutiennent largement le Parti Québécois, dont la puissante Fédération des Travailleurs du Québec, qui avait été victime du fichage politique consécutif à octobre 70. Le Mouvement social et le mouvement souverainiste se confondent dans leur lutte contre la domination du capitalisme anglo-saxon. Cette première mandature souverainiste est l’occasion de lois emblématiques, comme la loi 101, qui fait du français la seule langue officielle du Québec. Les administrations et entreprises du Québec sont désormais obligées de communiquer exclusivement en français, d’adopter un nom français, et d’adopter des campagnes publicitaires en français. La reconquête de l’espace public par le peuple québecois, à travers la langue de Molière, est à l’œuvre, après une période de recul du français, isolé, comme assiégé par tout un continent anglophone. Mais ce projet de souveraineté butte, en 1980, sur l’échec d’un premier référendum d’indépendance. Le gouvernement de René Lévesque avait proposé que le Québec adopte le principe de souveraineté-association, où le pouvoir politique serait rapatrié d’Ottawa, tout en conservant un régime d’association économique et de monnaie unique. La campagne du PQ ne parviendra pas à convaincre les Québécois, qui re- jettent par 60% des voix le projet de Lévesque.

Déclin du souverainisme, retour du nationalisme de droite

Ainsi, le mouvement souverainiste, foncièrement social-démocrate, est pris dans les mêmes impasses que la social-démocratie européenne. Arrivé au pouvoir, il participe à la progression néolibérale des années 1980-1990, du fait de la domination du PQ par son aile droite, attachée à l’indépendance mais économiquement libérale.

La question économique est évacuée, la question linguistique et identitaire prend définitivement le pas sur la question sociale, et les débats se cristallisent autour de la constitution canadienne. En 1981, le gouvernement canadien souhaite donner au Canada une constitution écrite par les Canadiens, celle en vigueur ayant été écrite par les Britanniques. Les désaccords persistants entre les provinces, qui veulent un pouvoir fédéral décentralisé, et le gouvernement du Canada, plus centralisateur, sont réglés dans la nuit du 4 novembre 1981 par les neuf premiers ministres provinciaux anglophones et le premier ministre du Canada, Pierre-Eliott Trudeau. René Lévesque, exclu des négociations, refuse de signer l’accord, indique le rejet du Québec, entériné malgré le refus de la signature du Québec.

Deux projets de réforme de la constitution pour inclure le Québec échouent. Le premier échoue en 1987, les premiers ministres provinciaux n’arrivant pas à s’entendre. Pour essayer de dépasser les désaccords entre premiers ministres, le gouvernement du Canada passe directement au référendum en 1992. Celui-ci propose de reconnaître le Québec comme une société distincte, sans étendre les pouvoirs des provinces. Il est rejeté au Québec mais aussi dans l’Ouest du Canada, traduisant l’impossibilité du Canada de reconnaître la spécificité de la société québécoise : les Québécois trouvaient que cet accord ne leur confiait pas suffisamment de latitude sur leur orientation politique, l’Ouest du Canada refusait quant à lui le concept de société distincte. La société francophone du Québec bascule durablement dans le souverainisme. Les indépendantistes remportent les élections 1994, et provoquent immédiatement un référendum.

Le second référendum de 1995 se joue à un cheveu, avec une victoire du non à l’indépen- dance de seulement 1% d’avance sur le oui. Les manœuvres politiques du Canada destinée à renverser le référendum en faveur de l’union, en utilisant des moyens contestés et contestables, sont fructueuses : la campagne pour le non, surfinancée, organise d’immenses rassemblements aux frais du contribuable. Si 60% des francophones votent en faveur de la souveraineté, la totalité des anglophones et 80% des allophones (ceux dont la langue maternelle n’est ni l’anglais, ni le français) s’y opposent, entraînant son échec. La division du camp fédéraliste (opposé à la souveraineté), et l’union du camp souverainiste garantissent tout de même une majorité solide pour gouverner le Québec. Mais incapable d’incarner une alternative au néolibéralisme, les parties souverainistes échouent définitivement à fédérer le peuple québécois autour d’un nouveau projet politique et social. Cette défaite, puis l’incapacité à s’en relever affaiblissent durablement le mouvement souverainiste.

Ainsi, les années 2000 sont celles de la division du camp souverainiste. Reprochant au Parti Québécois son tournant néolibéral, et acquis au multiculturalisme, le parti de gauche radicale Québec Solidaire (QS) progresse. Ce parti, qui professe officiellement le souverainisme, attire en réalité des votes d’une population métropolitaine et multiculturelle nettement moins sensible à cette question.

De leur coté, les plus radicaux, en faveur de l’indépendance quittent le Parti Québécois à la fin de la décennie 2000 pour fonder un parti résolument indépendantiste, Option Nationale. Celui-ci a fusionné avec Québec Solidaire, mais son chef historique, Jean-Martin Aussant, est rapidement revenu au Parti Québécois… En ce qui concerne les élections fédérales cana- diennes, le Bloc Québécois, qui avait dominé la vie politique fédérale au Québec depuis 1994, s’effondre en 2011 lorsque les éléments plus à gauche du mouvement souverainiste, lassés par le centrisme économique du parti, votent massivement pour le parti multiculturel social-démocrate canadien, le Nouveau Parti Démocrate. Si au niveau provincial, le Parti Québécois retrouve le pouvoir en 2012, il le perd deux ans plus tard, en raison de son incapacité à faire adopter une loi sur la laïcité.

Cinquante ans après la fondation du Parti Québécois, le projet souverainiste a fait son temps et se retrouve enterré par un nationalisme ayant fait allégeance au libéralisme économique, avec l’arrivée au pouvoir de François Legault.

Avec une base électorale vieillissante, incapable de porter durablement un projet souverainiste, déserté par les jeunes, le Parti Québécois connait une déroute électorale en 2018. Ne conservant que ses bastions de l’est du Québec, il est désormais relégué à la quatrième place en nombre de sièges, derrière Québec Solidaire. La lassitude à l’égard du Parti Libéral profite à la formation nationaliste et droitière « Coalition Avenir Québec » (CAQ), dirigée par François Légault, homme d’affaires et ancien membre du Parti Québécois, élu lors des élections de 2018.

M. Legault a fait adopter une loi sur la laïcité, interdisant notamment le port de signes religieux par les fonctionnaires du gouvernement du Québec, dénoncée dans le reste du Canada, où domine une conception multiculturelle hostile à tout discours considérant la religion avec circonspection. Champion d’une société québécoise sécularisée, acquise au capitalisme mais globalement hostile à l’immigration, M. Legault réussit à capter toute la dimension identitaire du souverainisme.

Dès lors, l’avenir du mouvement souverainiste québécois, concurrencé à la fois par un nationalisme identitaire et par une gauche radicale multiculturelle semble peu prometteur.

Comment retrouver l’équilibre fondateur du Parti Québécois, être en accord avec les aspirations du peuple, qu’elles soient économiques, culturelles ou politiques ? Le mouvement souverainiste québécois semble intensément divisé : si certains soulignent la nécessité de renouer avec les travailleurs, les syndicats et les classes populaires, d’autres franges, au contraire, voient dans le souverainisme un moyen de construire un Québec plus compétitif et libéral. En outre, se pose la question de l’identité québécoise dans un monde globalisé et multiculturel, certains soulignant la nécessité de rompre avec la dimension ethnique du souverainisme québécois afin d’embrasser un projet plus inclusif.

Vers un nouveau souffle pour le souverainisme ?

Existe-t-il à nouveau, aujourd’hui, un contexte qui serait propice au déclenchement du processus souverainiste ? Le multiculturalisme anglo-saxon, de plus en plus opposé à l’universalisme francophone, semble être un terrain favorable. Tout comme la presse américaine s’oppose avec sentimentalisme et cris d’orfraie à la laïcité française, la presse canadienne n’hésite pas à qualifier les Québécois de racistes dès lors qu’ils votent une loi interdisant le port de signes religieux pour les fonctionnaires du gouvernement du Québec. Il est tout à fait possible qu’un désaccord éclate entre le gouvernement canadien et le Québec sur un sujet aussi central que la laïcité : Justin Trudeau pourrait parfaitement contester la loi québécoise devant les tribunaux. Dans cette situation, quelle serait la réaction de la société québécoise ? Il est possible qu’un affrontement entre les conceptions multiculturelle anglo- saxonne et universaliste franco québécoise fasse refleurir l’élan du souverainisme sur les rives du Saint-Laurent.

Pour autant, une telle stratégie ne saurait suffire, la droite nationaliste québécoise ayant d’ores et déjà démontré son habileté à instrumentaliser la défense de la culture québécoise. Plus que jamais, le lien avec la question sociale fait défaut au mouvement souverainiste, particulièrement dans sa pratique du pouvoir. La République laïque et sociale, résistant au capitalisme de marché en pratiquant la cogestion et l’Etat-providence, à l’emprise des clergés, est le projet politique abouti du souverainisme. En garantissant à tous de quoi vivre, elle permettrait l’émancipation collective par l’autonomisation du peuple des tutelles économiques et cléricales. Néanmoins, ce projet est en porte-à- faux avec le mantra classique des souverainistes, « la souveraineté ne se fait pas à gauche ni à droite, elle se fait devant », et des multi- culturalistes, qui voient dans la laïcité un facteur d’oppression contre les minorités. En fin de compte, le multiculturalisme et le souverainisme dominant semblent être empêtrés dans le consensus libéral mou. A l’inverse, une nouvelle étape du souverainisme consisterait, face à l’unanimisme ambiant, à incarner un bloc politique et social facilement identifiable autour d’un projet politique d’opposition au néolibéralisme. Face aux partisans de la fin de l’Histoire, il lui reste maintenant à réassumer un rapport de force politique et social.

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Le Congrès de Tours, de 1920 à nos jours

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Le Congrès de Tours, de 1920 à nos jours

Entretien avec Guillaume Roubaud-Quashie
Par Mathilde Nutarelli Guillaume Roubaud-Quashie est directeur de la revue du Parti communiste Cause Commune et docteur en Histoire, spécialisé sur les questions de mouvements de jeunesse et d’Histoire du communisme. Cet entretien est l’occasion pour lui de revenir sur le Congrès de Tours et les changements qu’il a induit dans le paysage de la gauche française, de 1920 à nos jours. 
D’abord, qu’est-ce que le Congrès de Tours ?

C’est le dix-huitième congrès de la SFIO, la section française de l’Internationale ouvrière, qui prend ce nom en 1905. Les socialistes s’y retrouvent pour régler deux questions. La première, c’est la guerre. Il s’agit d’en tirer des leçons et de régler les questions par rapport à l’attitude des socialistes pendant celle-ci. La deuxième, c’est le positionnement qu’il s’agit de construire après la guerre, notamment par rapport à la Révolution bolchévique et aux pistes qu’elle ouvre.

Comment expliquer cette scission au sein du mouve- ment ouvrier ?

Il y a deux explications : la guerre et la révolution d’Octobre. La guerre d’abord : le parti socialiste d’avant-guerre s’est mobilisé très fortement dans la parole et l’expression écrite pour empêcher la guerre. C’est une démarche qui déborde les frontières de la France. Les congrès de l’Internationale socialiste sont de plus en plus centrés sur l’enjeu de la guerre, soutenant, par-delà les débats, que si celle-ci advenait, les socialistes devraient se mobiliser pour l’empêcher. Or, en 1914, après l’assassinat de Jaurès par Raoul Villain, les socialistes entrent dans l’Union sacrée. Il n’y a pas d’hostilité à la guerre, il y a une participation à sa conduite. Ils entrent au gouvernement, y compris des grandes figures plus radicales comme Jules Guesde, qui devient ministre d’État. A mesure que la guerre se prolonge, l’opposition socialiste à cette ligne politique ne va cesser de grandir. Il y a des socialistes dans les tranchées qui trouvent intolérable que des socialistes soient responsables de leur sort. Le Congrès de Tours n’est pas un Congrès comme on les connaît aujourd’hui. C’est un Congrès de tendances : les chefs de tendance parlent très longtemps. Léon Blum fait un long discours et quand il est amené à se prononcer sur la question de la guerre, c’est à ce moment précis qu’il y a le plus d’animation. En gros, ceux qui condamnent l’Union sacrée sont ceux qui veulent rejoindre l’Internationale communiste. Et ceux qui y étaient favorables ne vont pas la rejoindre. Nuançons tout de même : une partie non favorable à l’Union sacrée se retrouve du côté de Blum. En effet, il y a deux questions : celle de la guerre mais aussi celle du rapport à l’Internationale communiste, cette perspective nouvelle. Pour ses partisans français, la Révolution bolchévique est vue comme une Commune qui a réussi ; on n’est plus dans l’ordre du projet rêvé, mais d’une démarche réelle, mainte- nue plus de 72 jours. Ce succès est d’autant plus important dans une période de relative défaite des socialistes français. Ceux-ci se montrent pourtant très fiers en général, se vivant comme les héritiers du riche siècle révolutionnaire français mais là, une certaine modestie les gagne face à cette expérience réussie de la Révolution bolchevique.

Comment le Congrès de Tours a changé l’histoire de la gauche ?

C’est une question difficile, parce que Tours est certes une rupture réelle forte, mais c’est devenu une rupture symbolique encore plus forte. Dans les faits, c’est un moment dans une reconfiguration générale du mouvement ouvrier, mais ça n’est pas le moment qui détermine tout. En effet, il y avait déjà eu des recompositions avant. À la fin de la Première Guerre mondiale, les majoritaires de guerre, c’est-à-dire les partisans de l’Union sacrée, sont déjà battus au sein de la SFIO. C’est ainsi que quelqu’un comme Paul Faure se retrouve Secrétaire général de la SFIO, alors qu’il n’était pas un partisan acharné de l’Union sacrée ; et que Marcel Cachin devient le directeur de l’Humanité. Des figures majeures du socialisme français, comme Albert Thomas, qui était ministre pendant la Première Guerre mondiale, sont déjà marginalisées dans la SFIO. Il y a donc des reclassements dès la fin de la Première Guerre mondiale.

Cela continue après le Congrès de Tours. La plupart de ceux qui y votent l’adhésion à l’Internationale communiste vont finalement se retrouver en-dehors du parti communiste assez vite dans les années qui suivent. Le Congrès de Tours c’est une alliance, un compromis, entre des gens qui ont des points de vue un peu différents. Il peut y avoir aussi une part de malentendus chez certains. L’Internationale communiste, en tout cas Lénine, pense que la révolution communiste appelle, au XXème siècle, des modifications fondamentales par rapport à certaines orientations qui avaient pu être développées par les partis sociaux-démocrates d’avant-guerre. Ils insistent beaucoup sur la nécessité de la novation, de la nouveauté, d’adapter les partis aux situations nouvelles. Pour autant, ceux qui adhèrent à l’Internationale communiste ne sont pas toujours dans la rupture novatrice. Ils sont parfois, au contraire, dans la fidélité à un idéal qui apparaît avoir été trahi par les hommes de l’Union sacrée, ce n’est donc pas extrêmement simple. Et puis il y a cette idée nouvelle que porte Lénine d’un parti mondial. Ce qui constitue une rupture avec l’idée d’une structure de concertation comme cela avait existé avec la IIème Internationale socialiste. Chaque parti pouvait avoir des stratégies différentes et ils se rencontraient de temps en temps pour en discuter.

Le Congrès de Tours est certes une rupture réelle forte, mais c’est devenu une rupture symbolique encore plus forte.

Là, il y a l’idée qu’une révolution est à faire au niveau mondial et que partant, il faut réfléchir au niveau mondial et agir au niveau mondial. Cette idée-là n’est pas profondément vécue, crue, retenue, par une partie des socialistes qui adhèrent à l’Internationale communiste. Cela va donc créer des difficultés.
Si on se place à l’échelle du siècle, il faut dire que l’addition entre socialistes et communistes ne fait pas la gauche. C’est important de le rappeler, parce qu’avec un imaginaire qui est forgé dans l’après 1945 et dans les années 1970, où socialistes et communistes dominent la gauche, on a l’impression que la gauche est composée uniquement par eux. Ce n’est pas le cas en 1920, ce sont les radicaux qui constituent encore la principale force de gauche, et cela va durer jusqu’en 1936.
Et puis il ne faut pas oublier qu’il y a toujours un émiette- ment à gauche, que la création de la SFIO n’avait pas complètement éliminé et qui demeure après la création de la SFIC. Cette séparation en deux courants en réalité est encore une vision simplifiée parce qu’à l’échelle de l’entre-deux- guerres beaucoup de partis et de mouvements apparaissent. Le mouvement ouvrier lui- même ne se résume pas à ces deux forces-là.
De ce point de vue, Tours n’est pas une grande fracture définitive. Cependant, il est vrai que cette séparation en deux forces politiques va reconfigurer complètement le paysage du pôle qui souhaite une société non capitaliste, parce qu’ils sont amenés à se définir les uns contre les autres. Cela est très net du côté de la SFIO de l’entre-deux-guerres, où l’on voit une volonté de se démarquer.
En ce qui concerne les relations entre ces deux pôles, tout a été fait. D’un côté, il y a eu des hostilités extrêmes. Le moment le plus radical, c’est bien sûr la Seconde Guerre mondiale, puisque le décret Sérol, écrit par un socialiste, est un des textes utilisés pour condamner à mort les communistes pendant la guerre. Il y a d’autres moments, du côté des communistes, à la fin des années 1920, où ils ne se désistent plus pour le candidat de gauche le mieux placé, par exemple. On retrouve aussi ces hostilités pendant la Guerre Froide, quand Guy Mollet dit “les communistes ne sont pas à gauche, ils sont à l’Est”, ce qui les amène à s’allier avec d’autres forces politiques, parfois de droite.
Mais en même temps, il y a aussi des éléments d’alliance. C’est le cas lors du Front Populaire, le Programme Commun dans les années 70, la gauche plurielle dans les années 90. À la Libération, le travail se fait en commun pour porter une nouvelle constitution.
Mais malgré ces moments de rapprochement, il n’y a jamais de retour en arrière. On parle plusieurs fois de “Congrès de Tours à l’envers”. Notamment à la Libération, il y a le projet d’un “POF” (parti ouvrier français). C’est le nom d’un des premiers partis socialistes, créé en 1882 par Jules Guesde. À la Libération, il y a l’idée de fusionner la SFIO et le parti communiste pour donner naissance à un parti ouvrier français uni. Cela ne prend pas, pour plusieurs raisons. L’une d’elles est qu’à la Libération, les communistes sont majoritaires face aux socialistes. Ces derniers ont donc peur d’être mis en minorité par les communistes dans cette structure-là. L’idée récurrente du Congrès de Tours à l’envers revient souvent dans l’histoire des relations PC/PS, mais en réalité jamais cette perspective n’a pu aboutir.

Il y a aussi des éléments d’alliance. C’est le cas lors du Front Populaire, le Programme Commun dans les années 70, la gauche plurielle dans les années 90.

Cela a d’autant moins de chances d’aboutir aujourd’hui. Le PS est peut-être celui qui a le plus changé par rapport à 1920. L’ambition de construire un système non capitaliste est aujourd’hui quelque chose d’assez lointain pour ce parti, et cela depuis plusieurs décennies. Sur une base idéologique, ils se sont beaucoup éloignés de 1920. Cela me paraît donc assez difficile de concevoir un rapprochement organisationnel.

Quels liens demeurent entre le PCF de 1920 et aujourd’hui ? Que reste-t-il ?

On pourrait dire plusieurs choses. Si on voulait pousser un peu, on dirait qu’il reste le nom. Mais ce n’est pas le cas parce qu’en 1920 le Congrès de Tours ne crée pas le parti communiste. C’était pourtant une des conditions fixées par l’Internationale. Lénine est d’accord pour récupérer d’anciens socialistes mais il met des conditions d’adhésion pour que le parti qui sorte ne soit pas le même qu’avant. Parmi ces conditions, il y a l’idée que le parti change de nom et s’appelle “communiste”. Cette condition n’est pas retenue à Tours, il s’appelle encore Parti Socialiste : Parti Socialiste Section française de l’Internationale Communiste. On ne peut donc pas vraiment dire qu’il “reste” le nom… Plus sérieusement, le projet fondamental a quand même une certaine stabilité. L’idée que le capitalisme est un mode de production inopérant, inadapté et cruel qu’il s’agit de remplacer par un mode de production communiste est présente dès avant Tours et demeure aujourd’hui au PCF. C’est un élément fondamental.

Ce qui demeure aussi, c’est l’idée que l’organisation de ceux qui sont décidés à défendre leurs intérêts est nécessaire. Il y a eu des débats tout au long de ce siècle autour de la question du parti, faut-il un parti ou non, vertical, horizontal, une association, mouvement..? C’est quelque chose qui demeure aussi. On pourrait dire qu’entre 1920 et aujourd’hui, il y a beaucoup de choses qui demeurent tout de même : la perspective communiste est toujours jugée pertinente et le parti également.

La composition sociale a, elle, beaucoup changé. En 1920, il y a une pyramide inversée dans la SFIO par rapport à la société : plus vous montez les échelons, moins il y a de militants issus de milieux populaires. Le PC au milieu des années 1920 a donné une place inédite aux travailleurs issus des milieux populaires. Ça s’est atténué dans la période récente mais ça n’a pas disparu. Le PCF conserve une diversité sociologique notable par rapport aux autres forces politiques. Cette singularité-là était moins nette dans la SFIO de 1920, par exemple.

Evidemment, quand on lit les débats du Congrès de Tours, on lit chez les partisans de l’adhésion, la confiance, l’admiration face à l’Est. Tout cela a nécessairement beaucoup changé depuis… Le regard est forcément différent dans le PCF aujourd’hui, non pas par rapport à 1917, qui reste une des plus grandes révolutions de l’Histoire humaine, mais par rapport à l’expérience soviétique.

Aujourd’hui faut-il dépasser le débat entre réformisme et révolution ?

La tradition historiographique et politique veut que Tours permette la séparation entre réformistes et révolutionnaires. C’est encore la thèse défendue par beaucoup d’historiens, y compris des historiens que j’estime beaucoup comme Jacques Girault et Jean-Louis Robert qui viennent de publier un nouvel ouvrage, au Temps des cerises, sur le Congrès de Tours et qui sont spécialistes de cette question. Ces définitions me mettent parfois un peu mal à l’aise parce qu’elles peuvent enfermer, rigidifier ou stabiliser des positionnements politiques à l’échelle de décennies, de siècles, masquant par-là de grandes différences.

Est-ce que “réformiste” veut dire Léon Blum ou est-ce que cela veut dire Manuel Valls ? Cela m’ennuie de mettre dans la même catégorie des per- sonnes qui tiennent des positionnements politiques très différents. Surtout que l’on a une difficulté avec Léon Blum ou d’autres, car eux-mêmes se revendiquent révolutionnaires à Tours. Ce n’est pas une question très simple de ce point de vue-là. Pour ce qui est des révolutionnaires, ce n’est pas très simple non plus. On ne peut pas considérer comme révolutionnaires les seuls partisans d’une insurrection armée comme en 1789. Ce n’est plus la position de ceux qui se revendiquent comme révolutionnaires. Engels lui-même le disait, notamment dans sa fameuse préface de 1895 à La lutte des classes en France, dans laquelle il expliquait que le temps des barricades était révolu, du moins en tendance. Ou, plus exactement : s’il n’est pas révolu dans tous les cas et partout, il n’est pas la seule voie pos- sible pour le changement de société.

Il y a eu des tentatives de dépassement de cette opposition à plusieurs reprises. Cela existait déjà avant la scission de Tours : une formule de Jean Jaurès que l’historien Jean-Paul Scot a puissamment mise en lumière parle de “réformisme révolutionnaire”. En outre, d’une certaine manière, ce que les communistes ont mis en œuvre dans le siècle écoulé, c’est aussi une série de réformes à vocation ou à inspiration révolutionnaire. Malgré tout, si on regarde les choses avec une perspective sur le siècle, on doit continuer à séparer, ce qui marche très bien pour aujourd’hui, ceux qui aspirent à un changement profond, structurel, de la société et ceux qui pensent qu’il s’agirait de s’accommoder de modifications marginale. Je ne dis pas que c’était la position des socialistes de 1920, mais en tout cas il me semble que c’est la position d’un nombre substantiel d’animateurs de la social-démocratie depuis quelques décennies. Il me paraît difficile de ce point de vue de faire converger aujourd’hui ce qui au contraire a plutôt divergé fortement dans les dernières décennies. PC/PS, mais en réalité jamais cette perspective n’a pu aboutir.

Après la Guerre d’Algérie, de nouvelles perspectives s’ouvrent.

Pourquoi ces éloignements puis de nouveaux rapprochements entre socialistes et communistes ?

Après 1920, on vient de se quitter. La plaie est encore chaude. Or l’Internationale communiste va prendre les communistes à revers et leur demander de se rapprocher des socialistes : c’est l’appel au “front unique”. Cela ne marche pas très bien. D’ailleurs, ça ne dure pas si longtemps. Ce qui domine pendant l’entre-deux-guerres, c’est l’opposition. Il y a par exemple deux cortèges distincts lors de la panthéonisation de Jaurès. Pourquoi parle-t-on de rappro- chements ? La grande raison, c’est Hitler. La position retenue à la fin des années 1920, c’est la tactique dite “classe contre classe”, qui a mené à se démarquer de tous ceux qui pourraient “illusionner les masses” à l’approche de cette deuxième vague révolutionnaire que les communistes espèrent. Mais elle n’advient pas. Au contraire, c’est le fascisme qui semble gagner la partie, puisque même en Allemagne c’est Hitler qui rafle la mise. Au sein de l’Internationale communiste, l’idée de l’alliance anti fasciste grandit. Notamment en France, avec Maurice Thorez. Au sein de la SFIO, les débats ne sont pas forcément simples non plus mais le rapprochement se fait. Cela rappelle la Défense républicaine lors de l’affaire Dreyfus. Une partie des socialistes propose au PC de former un “bloc marxiste”, ce que les communistes refusent par- ce qu’il s’agit de sauvegarder la République et pas de faire la révolution. Ils insistent donc pour avoir les radicaux dans la coalition.

Ce rapprochement est précaire, le programme du Front Popu- laire tient sur une page. Dès que des événements compliqués s’installent, comme la guerre d’Espagne, cela ne tient plus, parce que les éléments de différences sont déjà très grands. Les divergences sont suffisamment fortes pour rendre la coalition précaire. Pendant la guerre, c’est compliqué pour les socialistes parce que leur Secrétaire Général, Paul Faure, est à Vichy. Ceux qui résistent le font de diverses manières : on trouve des résistants socialistes dans plusieurs organisations. Certains agissent avec les communistes et on en retrouvera pour participer à l’opération POF au lendemain de la guerre. Une des figures importantes de la SFIO demeure Léon Blum. Or, il se trouve qu’il n’est pas du tout pour une fusion, il a des divergences fortes avec les communistes. Il le dit toute sa vie, notamment dans A l’Échelle Humaine. Cela n’empêche toutefois pas un travail commun pendant un certain temps.

La Guerre Froide crée un mur entre les socialistes et les communistes ; les guerres coloniales n’ont pas arrangé la chose. Après la Guerre d’Algérie, de nouvelles perspectives s’ouvrent. D’autant qu’il y a le retentissant échec du candidat socialiste Defferre en 1969 qui ouvre la voie du rapproche- ment du Programme Commun. La séparation a lieu en 1984 face à la politique de “rigueur”.

Les alliances sont toujours assez précaires, mais la logique générale est là : face à un enne- mi commun et pour répondre à l’exigence électorale majoritaire, les alliances se nouent ; elles peuvent même se nouer avec des ambitions moins défensives (battre la droite, faire rempart au fascisme) et plus positives (construire le socialisme et l’unité de la classe ouvrière) ; les divergences sont toutefois substantielles et rendent ces alliances instables.

Les deux partis issus du Congrès de Tours sont aujourd’hui en difficulté (nombre d’adhérents, scores aux dernières élections présidentielles et européennes, défiance dans les partis…), les schémas politiques semblent muter (populisme, défiance, abstention).

Selon vous, ces deux partis (ou juste le PCF) ont-ils réussi à s’adapter et à suivre les évolutions de la société, 100 ans après ?

On a envie de répondre oui et non. Oui dans la mesure où le PCF fait chaque année beaucoup de nouvelles adhésions, où comme force organisée, il compte encore des dizaines de milliers de cotisants, des milliers d’élus… C’est une force qui est importante, si on regarde dans le XXIème siècle des structures comme les jeunes communistes qui continuent à avoir une certaine vitalité, même si c’est un peu plus difficile ces dernières années. Cela montre qu’il a encore un écho dans la société.

Du côté des socialistes, ils ont longtemps eu, jusqu’au début du XXIème siècle en tout cas, un ancrage assez important. Dans le milieu étudiant, par exemple, il ne faut pas sous- estimer l’importance des socialistes au sein des structures syndicales, tout comme le mouvement des Jeunes Socialistes, qui était plus petit mais qui avait quand même une certaine audience. Si l’on veut faire un portrait croisé, on pourrait dire deux choses. D’une part, la composition sociale du PS a beaucoup changé depuis 1920. Par le passé, il y avait un côté pyramidal, avec des ouvriers et des instituteurs à la base et puis des notables au fur et à mesure que l’on montait. Aujourd’hui, les élus, les collaborateurs d’élus, les gens qui vivent et n’ont fait que vivre de la politique ont pris une place très considérable à l’intérieur du parti socialiste depuis déjà plusieurs décennies. Aujourd’hui, on voit que le PS dans beaucoup de villes a perdu de son épaisseur militante en assez peu de temps et le spectre social qu’il couvre s’est réduit.

Du point de vue du parti communiste, il y a trois phénomènes. Quand on va dans une réunion communiste, on y trouve des générations du Programme Commun, nombreuses avec une variété sociale très grande. Après, on constate un “trou Mitterrand”, et puis il y a des gens de mon âge [30-35 ans] ou un peu plus jeunes que moi. Cela veut dire qu’il y a deux phénomènes différents, de vieillissement d’un côté et de de renouvellement de l’autre. Parmi les jeunes qui rejoignent le PCF aujourd’hui, il y a moins de jeunes ouvriers qu’il y a 50 ans. Mais souvent ils ont un rapport direct ou indirect (fa- milial) avec les milieux populaires, dans le cadre de trajectoires ascendantes.

À l’heure où la question des frontières et du souverainisme se pose de manière plus pressante, à droite comme à gauche, pensez- vous que l’Internationalisme ait encore un rôle à jouer ?

C’est pour moi de l’ordre de l’évidence absolue. Nous sommes en plein phénomène mondial avec la Covid-19, il est évident que les problèmes aux- quels nous sommes confrontés dépassent l’échelle nationale. La coordination de ceux qui ont intérêt au changement doit se faire à l’échelle internationale. Mais international ne veut pas dire mondial. Cela veut dire que dans cette construction, l’échelle nationale garde une importance. Le débat public ne se mène pas bien à une échelle intercontinentale. Beaucoup de choses se forment au niveau national. L’échelle nationale reste importante si nous voulons mobiliser le plus grand nombre.

L’enjeu local est un enjeu très important également. Cela n’empêche pas d’estimer que face à des phénomènes mondiaux, il ne faut pas négliger l’échelle internationale de pensée et d’action.

À l’occasion du centenaire du PCF, nous n’avons pas manqué de montrer notre tradition internationaliste, jusqu’à aujourd’hui. Nous avons sollicité des dizaines de partis dans le monde entier qui, du Vietnam au Brésil en passant par l’Algérie, ont répondu présent. Sur le fond, il y a une mise en concurrence des peuples pour des questions de profits, comment croire que cela n’appelle pas de réponses coordonnées ? C’est ce qu’essaient de camoufler les forces d’extrême droite en disant aux travailleurs français qu’ils seraient ennemis des travailleurs étrangers quand les mêmes structures capitalistes prospèrent sur leur dos à eux tous.

Nous constatons, avec Fabien Roussel, un parti communiste qui se ressaisit de certaines questions : l’autorité républicaine, la laïcité, le patriotisme, le souverainisme, la nation.

Vivons-nous au sein du parti communiste un changement, une tendance à se réapproprier ces questions ? Assistons-nous à un retour du parti communiste version Georges Marchais ?

Le “parti communiste version Marchais”, c’est le PCF pendant 22 ans et c’est très loin d’être un bloc, y compris sur les questions que vous évoquez. Il y a sans doute une tension depuis toujours autour d’enjeux comme la laïcité. C’est un vec- teur de l’émancipation et ce sont les communistes qui sont à l’origine de l’inscription du terme « laïcité » dans la Consti- tution à la Libération, grâce à Étienne Fajon.

Mais il y a également la néces- sité de l’unité de la classe ; il ne s’agit pas de s’acharner à mener un combat antireligieux qui empêcherait de faire l’unité des travailleurs. Ce sont les vers d’Aragon : “celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas”. Cette tension entre un objectif laïque et la nécessité profonde de faire l’unité des travailleurs traverse sans doute l’histoire du parti communiste.

Ensuite, sur l’autorité. L’autorité oui, mais ajouter seulement l’adjectif “républicain” ne suffit pas à la transformer en autorité juste. L’autorité peut être particulièrement injuste et on ne saurait s’y soumettre par principe. Quand les mineurs de 1948 se mobilisent, ils ont face à eux l’armée. Comprenez bien qu’ensuite, les communistes ne défilent pas pour demander plus d’autorité à tout prix et quel que soit celui qui la détient. Pour autant, on ne peut pas tellement dire que les com- munistes français soient pro- fondément marqués par une empreinte anarchisante. Ils sont force de critiques mais aussi de proposition, de construction d’un autre ordre. Pour ce qui est de la Nation, de la place à accorder à l’Europe, de l’échelon juste de mobilisation populaire, il y a eu des dé- bats et il en demeure sans doute mais, au total, s’il y a des évolutions, je ne vois pas de passage du noir au blanc.

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Revenir à la théorie de l'Etat social
L’ouverture d’un nouveau cycle contestataire, observable depuis quelques années à travers le mouvement des Gilets jaunes, les manifestations pour le climat et la montée en puissance des revendications féministes, replace sur le devant de la scène les affrontements idéologiques entre partisans des luttes sociales et partisans des luttes culturelles. Plutôt que de s’en tenir à cette alternative stérile, le présent article vise à identifier un lieu (l’Etat social) et des moyens stratégiques permettant d’articuler ces luttes autour d’objectifs communs et d’une pensée de la bifurcation historique.
Faire face à la multiplication des luttes…

Au cours du mois de janvier dernier, Gérard Noiriel et Stéphane Beaud ont publié un article dans Le Monde diplomatique intitulé « Impasse des politiques identitaires ». Le constat qui y est développé n’est pas neuf : l’émergence des nouveaux mouvements sociaux, dès les années 1960, et la chute de l’URSS, ont conduit certains intellectuels de gauche à abandonner la vieille lutte des classes comme conflit central des sociétés occidentales modernes et à faire leurs adieux au Prolétariat. Loin d’être anodin, ce choix est, à leurs yeux, responsable des échecs successifs du camp de l’émancipation tant au niveau électoral qu’idéologique. Des articles, en forme de réponses, ont par la suite été publiés sur les sites de Mediapart et Regards, prenant le contre-pied de la position de Gérard Noiriel et Stéphane Beaud : c’est cette fois-ci l’impasse des politiques sociales qui y est surlignée.

Face à la prolifération de luttes irréductibles les unes aux autres (mouvement de protestation des minorités sexuelles, montée en puissance des nouvelles luttes féministes et antiracistes, institutionnalisation des luttes écologiques, luttes sociales atypiques etc.) chaque acteur politique est sommé de choisir pour « qui » il milite.

Cette opposition sans cesse reconduite, et largement surjouée, entre « l’attention au « social » et la préoccupation du « sociétal» est surtout représentative d’une gauche partisane aussi bien que mouvementiste qui ne sait plus comment inventer un langage commun, une grammaire partagée de la lutte. Plutôt que de tenter de raccorder stratégiquement tous les combats émancipateurs, certains préfèrent céder à la tentation du repli tactique sur un sujet unique, quelqu’il soit, qui serait naturellement plus légitime que les autres dans la lutte contre l’exploitation et la domination.

À l’inverse, une pensée de la bifurcation (c’est-à-dire d’une transformation historique qui ne s’accomplit pas en faisant sauter tout l’édifice institutionnel mais plutôt en identifiant les paramètres sociaux et politiques qui produiront un changement majeur dans la société) devrait dépasser ces vieilles querelles intestines en rappelant que la stricte séparation entre luttes sociales et luttes culturelles n’a jamais été qu’analytique et ne renvoie pas à la réalité des combats quotidiens. Chaque lutte « sociétale » comporte en son sein des éléments matérialistes et relatifs à la redistribution et à l’organisation de la production. Il en est ainsi lorsque les luttes féministes ciblent le mode de production patriarcal, la dévalorisation des métiers à prédominance féminine, ou plus récemment la lutte contre la précarité menstruelle. Il en est également ainsi lorsque les luttes antiracistes ciblent la division internationale du travail entre « centre » et « périphérie » de l’économie-monde capitaliste, les discriminations à l’embauche, etc. Et, jusqu’à preuve du contraire, il n’existe pas de lutte dépourvue de revendications culturelles : la lutte des classes est également un combat pour la reconnaissance d’un monde ouvrier qui possède son identité propre, ses symboles et ses rituels. Redistribution et reconnaissance sont « des dimensions de la justice que l’on peut trouver dans tous les mouvements sociaux ».

L’état social est le lieu par excellence où peuvent se former des alliances et des combinaisons.

Une autre erreur, largement véhiculée lors des affrontements par médias interposés entre « partisans du social » et « partisans du culturel », consiste à se focaliser sur le moment subjectif du politique (celui de la construction du sujet politique) et à négliger fortement les dimensions matérielles et institutionnelles – en somme les conditions historiques – sans lesquelles aucune lutte politique n’est représentable. Or, force est de constater qu’ici aussi quelque chose a changé. La séquence historique qui s’ouvre directement après la Seconde Guerre Mondiale et se poursuit jusque dans les années 1970 était marquée par l’assujettissement des individus à des structures politiques et sociales traditionnelles jugées répressives et qui s’incarnaient parfaitement dans la métaphore de la « cage d’acier » que l’on trouve chez Max Weber. La fonction des luttes pour l’émancipation consistait alors à libérer cette subjectivité. C’est l’objet même de l’événement Mai 68. A l’inverse, la séquence historique actuelle, qui s’ouvre dès les années 1980 et se confond avec l’avènement du néolibéralisme, est marquée par l’état de vulnérabilité dans lequel les individus sont plongés. L’heure est à l’insécurité généralisée : l’école ne joue plus son rôle d’ascenseur social ; le com- promis social des Trente Glorieuses a volé en éclats ; la crise sanitaire frappe durement les plus fragiles d’entre nous et met en lumière l’état de délabrement de notre système de santé ; la crise écologique menace jusqu’à la possibilité de la vie humaine. En lieu et place de la cage d’acier de Max Weber ce sont désormais les « ruines » de Walter Benjamin. Si bien que face à cette évolution des dimensions matérielles et institutionnelles, la fonction des luttes pour l’émancipation doit moins se situer dans une « libération » des subjectivités, comme c’était le cas auparavant, que dans une réponse au besoin de protection exprimé par les citoyens.

Une fois cette étape franchie, une pensée de la bifurcation doit moins redéfinir une unicité a priori des sujets politiques, ou choisir parmi eux, qu’identifier le lieu où ces luttes pourront s’ar- ticuler en situation (conjoncturellement) afin de répondre au chaos néolibéral. Cet épicentre politique est l’État social.

… et identifier un lieu d’articulation conjoncturel : l’État social

Un préjugé tenace consiste à ne voir en l’État social rien d’autre qu’un système d’assurance et/ou d’assistance évoluant entre un « modèle bismarckien » de protection des travailleurs (directement inspiré des politiques sociales mises en place par le chancelier Bismarck à la fin du XIXe siècle en Allemagne) et un « modèle beveridgien » d’assistance universelle (Beveridge est l’auteur en 1942 d’un rapport établissant les prémisses du Welfare-State anglo-saxon). Loin d’être anodin, ce préjugé est avant tout une opération idéologique visant à distinguer entre d’un côté les « actifs » disposant des capacités nécessaires pour s’assurer et les « inactifs » qui relèvent de l’assistance. À l’inverse, nous comprenons l’État social comme une institution authentiquement politique. Ses fondations reposent sur trois piliers : (1) la sécurité sociale (santé, chômage, retraites, al- locations familiales) ; (2) les services publics, qui visent l’égal accès à une vie digne (énergie, transport) et émancipée (culture, éducation) ; (3) le droit du travail qui définit le statut des travailleurs et garantit leur protection. À ces trois piliers, il faut ajouter les trois leviers politiques accessibles à l’institution qu’est l’État social : (1) la régulation keynésienne de la monnaie et de l’investissement ; (2) la redistribution via les cotisations et l’impôt progressif ; (3) la concertation sociale à travers notamment la gestion paritaire de la sécurité sociale. Le but poursuivi par l’État social est ambitieux : protéger les supports d’existence qui conditionnent l’émancipation des individus (santé, éducation, culture etc.) et la production économique (via l’institution de la cotisation- salaire) d’une logique marchande qui souhaite tout recouvrir.

Bien sûr, l’État social n’est pas un bloc homogène, et l’élever au rang de monument historique intouchable serait une erreur : sa construction peut être proprement libérale (pays anglo-saxons) ou conservatrice (Allemagne, France, Italie etc.). Il ne peut non plus constituer le terrain unique de l’action politique et chaque lutte doit avoir la possibilité de développer en parallèle des stratégies décalées et locales de subversion et de contestation. Pourtant, il est, d’un point de vue non pas programmatique mais stratégique, le lieu par excellence où peuvent se former des alliances et des combinaisons. Cela pour deux raisons :

1/ l’État social offre la stabilité et le référentiel commun nécessaires à l’action politique. Il contient déjà en germe une nouvelle logique émancipatrice en tant qu’il pose en permanence la question des objectifs de la vie en société et, à travers ses trois institutions (services publics, droit du travail et sécurité sociale), tente d’élever les relations sociales vers un plus haut degré de perfection.

2/ Il contient les équilibres sociaux fondamentaux de la société qui se constituent et se cristallisent dans le temps long de la vie politique. Les ordonnances du 4 et du 19 octobre 1945, puis du 17 mars 1947, portant création de la Sécurité sociale sont avant tout le fruit d’un compromis historique (agonistique) entre des intérêts largement divergents : patronat, médecins, mutuelles, hauts-fonctionnaires, classe ouvrière.

Naturellement, les sceptiques de tous bords ne manqueront pas de relativiser la capacité des nouvelles luttes à converger avec les anciennes autour d’une reconstruction de l’Etat social. Certains considèrent en effet que les nouveaux mouvements sociaux ne sont qu’une contamination libérale du projet d’émancipation. D’autres, que l’État, pour social qu’il soit, n’est qu’un ensemble de mécanismes de domination structurelle.

Aux premiers, nous répondons que l’ambiguïté de l’évolution historique de ces nouvelles luttes (féminisme, antiracisme etc…) tient plus à la séquence historique de leur naissance et de leur développement. Celle-ci se caractérise en effet par un net recul du mouvement ouvrier (qui avait d’ailleurs lui-même décidé de considérer ces luttes culturelles comme subalternes), éloignant d’autant la perspective d’une transformation rapide et radicale de l’ensemble de la société et favorisant le développement de stratégies minoritaires et particularistes.

Aux seconds, nous répondons qu’en ne voyant en l’État et la citoyenneté sociale qu’un ensemble de dominations structurelles, certains acteurs de ces nouvelles luttes tombent dans une conception dystopique de la société qui ne serait rien d’autre qu’une cage de fer entièrement vouée à l’oppression des femmes, des minorités ethniques et de l’environnement. En faisant cela, il succombe à ce qu’on a désormais coutume d’appeler la tentation « esthétique » de la politique . Plus encore, ils nient le mouvement même de ces luttes qui se sont stratégiquement constituées comme des tentatives de reconfiguration des divisions institutionnelles (privé/public ; nature/culture ; économie/politique).

À la convergence au sein d’un sujet unique et homogène il s’agit donc d’opposer l’articulation stratégique, et historiquement située, au sein d’une même poussée émancipatrice dont le lieu de réalisation serait l’État social. Reste que cela ne peut pas prendre la forme d’une simple défense des « acquis sociaux ».

Il s’agit de réhabiliter le travail comme valeur sociale fondamentale des sociétés contemporaines.

Pour constituer le bloc social, construire l’État social du XXIe siècle…

Nous ne cherchons pas ici à formuler des propositions concrètes. D’une part, parce que le propos est stratégique et non programmatique. D’autre part, parce que les dynamiques de re- construction de l’État social dépendront en grande partie non pas de pures joutes intellectuelles, mais bien des protestations sociales et politiques telles qu’elles existent actuellement, telles qu’elles se transforment et telles qu’elles se manifesteront à l’avenir. Maintenant, pour passer des principes généraux à des perspectives concrètes il est d’ores et déjà possible de formuler des pistes de réflexion et repérer des leviers d’action mobilisables.

Sur la lutte écologique d’abord. Lier État social et protection de l’environnement constitue sans aucun doute le meilleur moyen de conjurer le sort électoral qui veut que « l’écologisation » de la gauche aille de pair avec son éloignement des classes populaires. Par ailleurs, les outils relevant des prérogatives du premier pour lutter contre la crise bioclimatique ne manquent pas : la lutte contre l’habitat indigne et celle contre les passoires énergétiques peuvent se conjuguer sans trop de difficultés et œuvrer en commun en faveur de logements bien chauffés et bien isolés ; la socialisation de la monnaie peut représenter un instrument important de la transition écologique ; l’octroi de statuts de sujets de droit aux non-humains (animaux, forêts, rivières, etc.) permettrait de les protéger d’une marchandisation rampante. Ce ne sont là que quelques exemples.

Sur les luttes féministes ensuite. Le régime français de citoyenneté sociale est traversé par des tensions entre familialisme et individualisme et reste en partie prisonnier d’une répartition genrée des obligations familiales. Les droits sociaux ne peuvent plus être pensés comme au sortir de la Seconde Guerre mondiale ; ils doivent faire l’objet d’une refonte à l’aune de la reconnaissance du Care et de la citoyenneté sociale des femmes. La mise en place de structures d’accueil et d’équipements (crèches, de soins etc…) constitue certainement une mesure qui aiderait à sceller une « nouvelle alliance entre émancipation et protection sociale » et qui permettrait, selon Nancy Fraser, d’ouvrir la porte à un nouveau féminisme socialiste.

Sur les luttes antiracistes enfin. Avec la floraison de concepts comme celui de « privilège blanc » le risque est grand de tomber dans un militantisme performatif et déclaratif, une « forme politisée de développement personnel » (selon les mots du militant panafricaniste Joao Gabriel). À l’inverse, l’État social permet de recentrer le combat sur une approche en termes de droits et sur l’enjeu politique, à la fois essentiel et plus radical, d’une lutte matérielle et symbolique pour l’accès de toutes et tous à la justice sociale. Il permet de travailler non pas seulement sur les subjectivités politiques, largement évanescentes dans le contexte actuel, mais bien sur l’architecture institutionnelle et matérielle, sur les failles du système.

Naturellement, la reconstruction de l’État social doit également se faire dans le sens d’une reconfiguration des relations capital/travail. Il ne s’agit plus de se limiter à une simple réforme des mécanismes de redistribution mais bien de réhabiliter le travail comme valeur sociale fondamentale des sociétés contemporaines, de l’émanciper du règne de la marchandise (ici encore les propositions sont nombreuses : État employeur en dernier ressort, péréquation interentreprises, salaire à vie, etc.), de retrouver le chemin de la démocratie économique.

Reste à répondre au questionnement stratégique par excellence : quelles forces politiques (et sociologiques) sont en mesure de porter un tel projet, et comment ? L’apogée de l’État social n’a été possible qu’à travers l’hégémonie social-démocrate. Cette dernière, bien qu’ayant résisté dans les premiers temps du néolibéralisme, est désormais à terre. Sa reconversion partisane d’un « régime keynésien » à un « régime de marché » lui a été fatale. Reste une position : accepter le pluralisme stratégique. Et une forme politique pour l’incarner : un nouveau Front populaire.

… et accepter le pluralisme stratégique

Le pluralisme stratégique consiste à admettre d’une part, qu’une stratégie majoritaire doit se constituer dans une dialectique permanente entre État et mouvements sociaux ; d’autre part, qu’elle doit être complétée par une stratégie hégémonique constitutionnelle. L’une et l’autre correspondent respectivement aux deux axes développés plus haut (logique émancipatrice de l’État social et compromis historique).

Nombreuses sont les tentatives de rupture avec le néolibéralisme, en France comme à l’international, qui ont échoué en raison d’une désarticulation, rapide ou lente, entre le mouvement d’en haut et le mouvement d’en bas. Sans mouvements sociaux, l’État et l’appareil gouvernemental tendent à réduire drastiquement leur fonction de transformation sociale. Sans logique institutionnelle, les mouvements sociaux sont condamnés à l’impuissance. La stratégie majoritaire doit donc maintenir ce lien conflictuel. Et cela passe par la formation d’un nouveau Front populaire : c’est-à-dire d’une alliance entre les classes populaires et le pôle « cadriste » de la classe capitaliste contre le pôle « propriétaire » de cette dernière. Par le passé, chaque fois qu’une telle combinaison a été réalisée, une hégémonie social-démocrate a pu voir le jour. C’est le cas, comme le rappelle Edouard Delruelle, lors du New Deal aux États- Unis, lors du Front populaire en 1936, avec l’État social en 1945. C’est le cas également dans les régimes communistes qui émergent de la Révolution d’Octobre grâce à l’alliance des ouvriers, des paysans et des soldats avec les intellectuels. La stratégie majoritaire à gauche doit donc viser, comme le dit François Ruffin, l’alliance des « prolos » et des « intellos ».

Naturellement cela ne sera pas suffisant. On peut estimer sans se tromper que les résistances seront nombreuses et acharnées. Il faut dès lors compléter cette stratégie majoritaire de Front populaire par une stratégie (hégémonique-constitutionnelle) qui permette de pousser la frange « rationnelle » de la classe capitaliste à un compromis agonistique (comme l’a été celui de 1945 qui fut à l’origine de la Sécurité sociale) qui se fasse dans un sens favorable aux classes populaires. En somme, il s’agit de formuler un nouveau Pacte social et écologique en concordance avec les aspirations de la société contemporaine et qui puisse répondre aux enjeux auxquels elle fait face.

Bien sûr, certains objecteront qu’une alternative crédible à la société actuelle doit pouvoir être représentée via la définition d’un sujet unifié de la lutte, et qu’à travers le constat de la multiplicité des acteurs toute possibilité de définir un grand sujet collectif (Peuple, Prolétariat, Multitude etc.) a été liquidée. À ce niveau précis de la réflexion, la critique doit être relativisée. Un nouveau sujet se dégage effectivement. Il n’a rien à voir avec celui du marxisme orthodoxe ni avec celui du populisme de gauche qui sont, par essence, extérieurs à l’appareil d’État et aux institutions. Le deuxième volet de cet article, qui sera publié dans le prochain numéro de la revue, abordera cette question.

Sans logique institutionnelle, les mouvements sociaux sont condamnés à l’impuissance.

 

Références

Cet article doit beaucoup aux travaux d’Edouard Delruelle, Philosophie de l’Etat social, Ed Kimé, 2020 ; de Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, La Découverte, 2011 ; et Franck Fischback, Qu’est-ce qu’un gouvernement socialiste ? Lux, 2017

André Gorz, Addio conflitto centrale, in Giancarlo Bo- setti, Sinistra punto zero, Rome, Donzelli, 1993.

Roger Martelli, À propos de Beaud et Noiriel : l’enfermement identitaire n’est pas le lot de quelques-uns, Regards, 14 janvier 2021.

Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnais- sance et redistribution, trad E ? Ferrasese, La Décou- verte, 2011, p.45

Karl Polanyi, dans son maître ouvrage The Great Trans- formation, démontre que, lorsque les sociétés connaissent des perturbations importantes, des moments d’instabilité de la droite radicale et de l’extrême droite, il s’agit donc pour la gauche de représenter une autre forme de protection : républicaine, sociale, environnementale.

Voir à ce propos Franck Fischback, Qu’est-ce qu’un gouvernement socialiste, Lux, Humanité, 2017.

Voir Martine Bulard, La Sécurité sociale, une assistance ou un droit ? Le Monde diplomatique, avril 2017.

Thèse que l’on retrouve chez Jean-Claude Michea, no- tamment dans Le complexe d’Orphée. La gauche, les gens or- dinaires et la religion du progrès, Climats, 2011.

Voilà pourquoi Nancy Fraser préfère parler des « liaisons dangereuses » de l’émancipation avec la marchandisation. Liaisons qui caractérisent parfaitement le cycle du « néolibéralisme-progressiste » ouvert dans les années 1970.

Le concept de citoyenneté sociale apparaît pour la première fois dans l’ouvrage de Thomas Humphrey Marshall Citizenship and Social class en 1949 et peut se définir comme l’ensemble des droits et des devoirs associés aux trois piliers de l’Etat social : sécurité sociale, services publics, droit du travail.

Voir à ce propos Alain Grandjean, Nicolas Dufrêne, Une monnaie écologique, Editions Odile Jacob, 2020.

Le Care comprend des activités directement « soi- gnantes » (soins médicaux et paramédicaux, crèches, prise en charge des personnes âgées etc.) et implicitement « soignantes » (éducation, assistance sociale, protection de l’environnement). Voir son article After the Family Wage: Gender Equity and the Welfare State, in Political Theory, 22 (4), pp. 591-618. Il ne s’agit pas ici de résumer les luttes féministes au Care.

Voir à ce propos Robert Castel, La fin du travail, un mythe démobilisateur, Le Monde diplomatique, septembre 1998. Voir également Alain Supiot, Le travail n’est pas une marchandise : Contenu et sens du travail au xxie siècle : Leçon de clôture prononcée le 22 mai 2019. Paris. Collège de France, 2019

Voir à ce sujet Fabien Escalona, La reconversion partisane de la social-démocratie européenne. Du régime social-démocrate keynésien au régime social-démocrate de marché, Dalloz, 2018.

C’est ce qu’Etienne Balibar appelle le théorème de Machiavel : « C’est dans la mesure où les luttes de classes (qui forment le noyau ou – à d’autres égards – le modèle d’un ensemble de mouvements sociaux) conduisent la « communauté » au point de rupture qu’elles contraignent le pouvoir d’Etat à l’inventivité institutionnelle, à laquelle elles fournissent en retour une matière non pas simplement « sociale » mais proprement politique ». L’Europe, la guerre. Réflexions sur la médiation européenne, 2005, p.127.

Le concept de « classe cadriste » a été théorisé par Jacques Bidet pour décrire les groupes sociaux disposant des compétences organisationnelles nécessaires aux fonctionnements des sociétés contemporaines (fonctionnaires, universitaires, professeurs, intellectuels)

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Le populisme de Podemos : mirage politique ou solution démocratique ?

Le Retour de la question stratégique

Le populisme de Podemos : mirage politique ou solution démocratique ?

Par Lluis de Ndal, traduction par Rafael Karoubi rebours des clichés qui sont diffusés à l’encontre du populisme, Podemos a agi, d’une certaine manière, comme une force de régénération pour la démocratie espagnole, contribuant à l’assainir et à restaurer sa légitimité après une rupture entre institutions et citoyens, enclenchée lors de la dépression économique de 2008 et du mouvement des Indignés du 15 mai 2011 (15-M) dont la principale revendication se résumait en cette phrase : « Démocratie réelle maintenant! ». Neuf ans après ce mouvement de protestation et six ans après l’émergence de Podemos, force est de constater que le système politique espagnol est plus démocratique qu’auparavant et que la participation électorale a repris des couleurs : au lieu d’affaiblir les institutions démocratiques, comme le dénoncent ses détracteurs, Podemos les a en réalité renforcées.
Podemos, un parti populiste ?

Avant toute chose, il convient de définir la notion de populisme et d’identifier, ce faisant, l’identité politique de Podemos. La nature du populisme fait l’objet de discussions. Plusieurs théoriciens le définissent comme une idéologie, à l’instar du libéralisme ou du marxisme, mais avec une vision de la politique qui se caractérise par un certain simplisme. Son idée centrale est de considérer la politique comme une lutte manichéenne entre les forces du bien (le peuple) et celles du mal (les élites) exacerbant une conflictualité verbale dont le monde médiatique fait son miel. Ainsi, le populisme pourrait réunir des hommes politiques aux horizons idéologiques antagonistes, Marine le Pen et Jean-Luc Mélenchon, dans la mesure où il ne se caractériserait pas par un socle de convictions cohérent, mais bien par un discours qui en appelle au peuple contre les élites.

Dans quelle mesure pouvons-nous considérer que Podemos se rapproche de cette définition proposée pour décrire le populisme ? Plusieurs observateurs, notamment le politologue Cas Mudde, ont suggéré que Pablo Iglesias, le principal fondateur du mouvement, pensait réellement que la politique se limitait à une simple lutte entre un peuple pur et une élite corrompue. Cette interprétation de la pensée d’Iglesias est pour le moins simpliste, dans la mesure où ce dernier a pour idéologie de référence le marxisme-léninisme : deux détails, passés sous le radar de la plupart des observateurs, attestent de l’adhésion d’Iglesias à cette tradition politique. Premièrement, le secrétaire général de Podemos est un grand admirateur de Lénine, auquel il se référait souvent dans ses conférences avant la création de Podemos. Deuxièmement, il interpréta la crise de 2008 comme un moment « léniniste », c’est-à-dire comme une opportunité pour le communisme espagnol de récupérer le contrôle de l’opposition, voire même le pouvoir, par la voie électorale après sa perte de crédit politique au terme de la transition démocratique post franquiste (1975-1982). À cet égard, le populisme est interprété par Iglesias comme un moyen stratégique, pour ne pas dire opportuniste, d’accéder au pouvoir. Un état d’esprit qu’il résuma en ces termes : « lors de la Révolution russe, le chauve, ce génie, n’a pas parlé au peuple de marxisme, mais lui a promis ce qu’il attendait : du pain et la paix ». Le cas de Íñigo Errejón, principal théoricien de Podemos à ses débuts est différent et plus intéressant. À travers l’étude des expériences latino-américaines, la « marée rose » des années 2000-2010, Errejón a développé une fascination pour le populisme tel que l’ont développé Hugo Chavez (Venezuela), Evo Morales (Bolivie) et Rafael Correa (Équateur). Dans sa thèse universitaire, il souligne la capacité hors du commun qu’ont ces hommes à incarner les désirs de démocratie et de dignité de leurs peuples respectifs. Errejón est aussi un disciple enthousiaste de l’argentin Ernesto Laclau, l’un des principaux théoriciens du populisme du gauche. Inspiré par la posture néo-structuraliste de ce dernier, Errejón entend la politique exclusivement comme une construction discursive d’identité populaire à travers l’opposition antagonique entre le«eux» et le«nous».

L’un des aspects les plus polémiques de la théorie laclausienne, qui a eu néanmoins une très grande influence sur les idées de Errejón, est le rôle central du leader en politique. Le théoricien argentin développe dans son ouvrage principal, La Raison populiste, l’idée selon laquelle la construction d’un « peuple », objectif du populisme, requiert l’identification affective d’un groupe significatif d’individus envers un leader, à travers un processus qui rappelle le développement du pouvoir charismatique que décrit Max Weber. La figure du chef est ainsi nécessaire pour incarner la volonté du peuple et garantir l’articulation entre les différents groupes sociaux communautaires qui le composent. De façon pour le moins idéaliste, Errejón a tenté d’appliquer strictement le modèle de Laclau pour construire Podemos. Ainsi, au cours du congrès fondateur de Podemos, Errejón s’érige en principal défenseur d’un modèle organisationnel centralisé autour d’un leader dont l’action doit être libérée des contrepouvoirs. S’inspirant ici aussi de Laclau, Errejón critique à plusieurs reprises dans la revue de sciences politiques Viento sur les corps intermédiaires, qu’il dépeint comme des entraves à l’expression de la volonté populaire qui s’incarne dans la figure du leader.

La principale victime de la dérive plébiscitaire du populisme de Podemos n’est nul autre qu’Inigo Errejon lui-même.

Les limites de ce principe d’organisation sont bien connues. Comme il est fréquent dans les partis populistes, Pablo Iglesias a utilisé des mécanismes plébiscitaires pour légitimer ses propres décisions, provoquant un départ massif de militants qui avaient initialement cru à la construction d’un mouvement basé sur les principes de la démocratie directe auxquels aspirait le 15-M.
Ironiquement, la principale victime de la dérive plébiscitaire du populisme de Podemos n’est nul autre qu’Íñigo Errejón lui-même, qui a perdu tout pouvoir de décision après avoir été défait par Iglesias à l’issue de diverses polémiques internes. Malgré le fait qu’Errejón ait pu compter sur le soutien de plusieurs « notables » et intellectuels au sein du parti, Iglesias a réussi à imposer sa volonté au terme d’un processus démocratique schmittien « d’acclamation populaire », à travers des plébiscites organisés sans transparence sur internet. Errejón, après avoir défendu l’utilité d’un leader charismatique pour remobiliser les masses mécontentes, n’a pu que constater à quel point celles-ci fournissaient un appui inconditionnel au chef incon testé du parti.

Cependant, dans un geste qui l’honore, Errejón a fini par donner raison à ceux qui critiquaient ce modèle organisationnel au motif qu’il manquait de contre-pouvoirs. Il est cependant curieux de constater que Chantal Mouffe, théoricienne du populisme dont il est très proche, dans son récent manifeste Pour un populisme de gauche n’a pas pris la peine de remettre en cause le modèle organisationnel qu’elle a cothéorisé avec son condisciple. En outre, elle omet de dénoncer la nette dérive autoritaire de certaines expériences politique de la gauche populiste sud- américaine : la dissolution du chavisme dans la dictature clownesque de Nicolás Maduro constitue une vérité peu commode pour ceux qui ne jurent que par le populisme de gauche pour briser l’hégémonie néolibérale.

Les succès inattendus de Po- demos

Malgré cette critique, il faut bien reconnaître que l’essor de Podemos a globalement été source de progrès pour la dé- mocratie espagnole : à la différence du madurisme, le parti violet n’a en aucun cas érodé les institutions représentatives. Pablo Iglesias n’a par ailleurs jamais pu prendre la tête de l’État : à son apogée en décembre 2015, son parti réunissait 20,6 % des voix, un chiffre considérable mais insuffisant pour se hisser au-delà de la troisième place. Il était donc bien loin de la promesse de conquérir le ciel « par assaut » comme il a pu le proclamer en paraphrasant Marx. Lors des élections générales de 2019, Podemos s’est effondré à 13% des voix, chutant à la quatrième position, dépassé par le parti d’extrême droite VOX.

Podemos a finalement abandonné ses présupposés populistes qui faisaient passer le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) pour un représentant de la caste ennemie du peuple, pour parier sur la constitution d’un gouvernement de coalition – le premier depuis 1936- dirigé par le socialiste Pedro Sanchez. Malgré l’échec de la stratégie populiste pour conquérir l’État – ou grâce à son échec – Podemos a contribué de façon notable à revitaliser la démocratie espagnole, pour deux principales raisons. Tout d’abord, le parti de gauche radicale a forcé le PSOE à revenir au centre-gauche après que ce dernier se soit aligné sur la troisième voie (la recette blairiste/clintonienne) de la libéralisation économique et de l’austérité budgétaire. Au cours des négociations de gouvernement, Podemos a également réussi à arracher au PSOE plusieurs concessions de caractère progressiste telles que l’augmentation du salaire minimum et une forme de revenu minimum d’insertion. La formation de Pablo Iglesias a ainsi fait pression sur le PSOE afin qu’il redevienne un parti plus sensible aux intérêts des classes populaires.

Le second acquis de Podemos, sans doute le plus significatif, a été de canaliser institutionnellement la conflictualité politique contre l’austérité, la dégradation des services publics et les inégalités, qui s’était exprimé dans la rue sans trouver de débouché politique. Il convient de rappeler que la plupart des activistes du 15-M préféraient agir sur les conséquences des lois, par des actes de désobéissance civile, que d’obtenir un changement de celles-là. Les mouvements protestataires déçus débouchent par ailleurs très souvent sur des périodes de violence lorsqu’ils ne trouvent pas de traduction institutionnelle, comme en témoignent la dérive émeutière d’une partie de l’indépendantisme catalan depuis 2019, suite à l’échec de la déclaration d’indépendance de 2017. Au contraire, le 15-M a pu être apaisé par l’apparition d’un parti politique, qui, malgré ses pratiques internes autoritaires, a connu un certain succès en tant que représentant des demandes matérielles des indignés. Cependant, ces avancées sociales déçoivent probablement une grande partie du mouvement social espagnol, et surtout Podemos, dans la mesure où elles sont encore insuffisantes pour attaquer les fondements du pouvoir économique et la répartition des richesses… À ce sujet, Pablo Iglesias a confié être « horrifié » face à la perspective d’un apaisement des espérances révolutionnaires du 15-M. Cependant, en prenant compte l’état dans lequel se trouvait le système politique espagnol avant le mouvement des Indignés, incarné par deux partis politiques néolibéraux – le PSOE et le PP – le fait d’avoir fait entrer la lutte contre les politiques d’austérité dans l’agenda institutionnelle est une victoire qui ne saurait être minorée. En dernière analyse, comme le souligne le professeur de sciences politiques Jan Werner Muller, l’essor de Podemos est bien plus le signe d’une résilience et d’une capacité de régénération du système politique espagnol représentatif né de la Transition que la manifestation de son crépuscule.

Un futur incertain

Cependant, l’heure n’est certainement pas à la fête pour Podemos. Réduit électoralement et désormais associé à l’élite gouvernementale, le parti de Pablo Iglesias aura le plus grand mal à figurer comme le représentant des intérêts des classes populaires à l’heure où l’extrême droite connaît une croissance importante en Espagne. Il est désormais probable qu’une grande partie du vote protestataire soit absorbé par VOX, si jamais ce dernier réussit la transition opérée par le FN en se représentant comme le parti des ouvriers « perdants de la mondialisation ». Concrètement, l’abandon de ses postulats ultralibéraux et sa volonté de construire un syndicat vont dans cette direction. La question est désormais de savoir si VOX réussira à parasiter durablement le système politique espagnol en attirant le vote ouvrier, ou si la coalition PSOE – Podemos parviendra à éviter une telle situation en se maintenant comme le principal représentant des intérêts des classes populaires.

Podemos a réussi à canaliser institutionnellement la conflictualité politique contre l’austérité.

Références

El Diarrio.es, Podemos o el leninismo inteligente, Salvador Mestre Zaragoza

Podemos, sur que nous pouvons ! EditionsIndigènes

Íñigo Errejón, La lucha por la hegemonía durante el primer gobierno del MAS en Bolivia (2006- 2009): un análisis discursivo, Universidad Complutense de Madrid 4. Ernesto Laclau, La Razon Populista, Siglo XXI

Íñigo Errejon, Viento Sur, construccion de identidades populares / construir pueblo, cc Chantal Mouffe

C. Schimtt, La théorie du partisan, Champs

Cette tendance est toujours soutenue par l’aile droite du parti incarnée par Felipe González, président du gouvernement de 1982 à 1995.

JW Muller, Italy, the brith side of populism ? The New York Review

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La République sociale a-t-elle encore les outils pour convaincre ?

Le Retour de la question stratégique

La République sociale a-t-elle encore les outils pour convaincre ?

Parler de la République aux jeunes d’aujourd’hui, notamment aux jeunes de gauche, se révèle être un exercice bien périlleux pour qui ose s’y risquer. Biberonnés à des concepts hors-sol, enveloppés dans leurs certitudes, bien à l’abri du monde et de leurs propres contradictions, nombreux sont ceux qui, aux prémices de leur politisation, décident de prendre leurs distances avec le projet républicain. Trop anachronique, trop connotée, trop conservatrice ou trop autoritaire, la République est la cible de toutes les attaques. Pourtant, et c’est l’objet de cet article, les lignes de fracture qui scindent actuellement la jeunesse de gauche ne font que préfigurer les affrontements idéologiques de demain. 
Une jeunesse de gauche orpheline

C’était il y a quelques mois. Charlie Hebdo commandait à l’IFOP une enquête pour connaître le rapport des Français au “blasphème”, aux caricatures et à la liberté d’expression. Les résultats, publiés à l’occasion de l’ouverture du procès des attentats de janvier 2015, nous permettent de brosser un portrait pour le moins troublant du rapport que les jeunes Français entretiennent avec la République et ses valeurs. On y apprend ainsi que 47% des répondants âgés de moins de 25 ans comprennent l’indignation suscitée par la publication des caricatures du prophète de l’islam, ils ne sont que 23% parmi les 35 ans et plus. De la même manière, alors que le pourcentage de Français de 25 à 34 ans qui déclarent faire passer leurs convictions religieuses avant les valeurs de la République est de 25%, il monte à 37% pour les moins de 25 ans. Plus troublant encore, 27% des répondants qui se disent proches de La France Insoumise vont dans le sens de cette affirmation, contre 24% des sympathisants du Rassemblement national. Enfin, un autre rapport de l’IFOP, commandé par le Comité Laïcité République en novembre dernier, semble confirmer la tendance. Alors que 79% des Français de 35 ans et plus se disent favorables « au droit des enseignants de montrer des caricatures aux élèves », ce chiffre dégringole à 58% pour les moins de 25 ans. Une partie de la jeunesse et une partie de la gauche renouent donc actuellement avec une forme d’obscurantisme, ménagent les grandes susceptibilités des petits dévots, et s’accommodent très bien des écarts aux lois de la République. Il faut se rendre à l’évidence, l’idéal d’émancipation ne fait plus nécessairement vibrer la jeunesse de gauche.

Comme la nature a horreur du vide politique, les terres idéologiques abandonnées par la jeunesse de gauche seront bientôt réinvesties par la droite conservatrice et l’extrême-droite. Estimer que la nation, la souveraineté, la République, la lutte des classes ou l’État sont des idées réactionnaires et conservatrices, c’est faire un magnifique cadeau aux authentiques réactionnaires que compte ce pays. Peut-être faudrait-il d’ailleurs rappeler à ceux qui nourrissent le fantasme d’une convergence entre les républicains et l’extrême-droite que l’engagement des premiers, notamment à gauche, naît bien souvent de la volonté de contrer l’expansion des seconds. C’est une bataille silencieuse que mène la gauche républicaine pour éviter que les signifiants mentionnés ci-dessus ne finissent par être définitivement hégémonisés par une extrême-droite qui change d’identité politique comme on change de chemise. On comprend donc aisément pourquoi les procès en fascisme adressés à des personnes qui pensent être des soupapes de sécurité ne favorisent en rien le débat à gauche.

On pourrait aisément retracer l’historique de cette prise de distance entre une partie de la gauche et la République. La perte de crédibilité totale de la social-démocratie française sur les questions sociales, la dislocation de l’électorat traditionnel de la gauche ainsi que l’abandon de la lutte des classes comme paradigme structu- rant sont autant de renoncements qui ont conduit une partie de la jeunesse à chercher un nouvel horizon politique. Gageons aussi qu’un certain soft-power américain, couplé à l’importation en France de cycles de studies anglo-saxons (gender studies, black studies etc.) auront achevé le processus de ringardisation idéologique des républicains sociaux. Le salut de la gauche viendra-t-il de ces théories-là ? On peut le penser. Peut-être permettront-elles de renouveler la matrice idéologique de la gauche et de l’armer intellectuellement pour affronter les enjeux qui nous sont contemporains. Mais s’il est communément accepté dans cette jeunesse que le salut de la gauche viendra d’une autre terre, pourquoi ne pourrait-on pas imaginer que ce dernier puisse jaillir d’un autre temps, d’une autre tradition politique ? Peut-être nous faut-il aujourd’hui réintroduire un peu de complexité dans l’offre politique en nous octroyant le droit de redécouvrir des penseurs et des pensées que certains ont peut-être voulu enterrer alors que leurs corps était encore chaud. Après tout, le rôle de la jeunesse n’est-il pas de questionner, voire de refuser, les clivages dans lesquels elle s’insère ? En ce sens, et ce de manière assez contre-intuitive, convoquer la République aujourd’hui c’est faire preuve d’une précieuse inventivité politique et idéologique. C’est créer un espace de lutte politique à l’abri des logiques identitaires, de gauche comme de droite, comme des logiques néolibérales dont les faiblesses ne sont plus à prouver.

Le projet républicain peut-il néanmoins répondre au besoin de rupture et de radicalité qui semble caractériser la jeunesse de gauche ? Il nous faut ici dissiper un malentendu. Non, les républicains ne sont pas des centristes, ils ne se contentent pas d’agréger les idées molles que nos gouvernements respectifs se passent de main en main depuis les années 1980. Une tendance politique le fait déjà très bien, elle s’appelle le macronisme. On pourrait dire des républicains qu’ils sont centraux, et c’est là toute la différence. C’est parce qu’ils sont attachés au primat du politique sur l’individuel, à l’unité de la polis, qu’ils se retrouvent au centre de cette chose publique qui fonde notre système politique. C’est parce qu’ils placent le curseur au niveau de cette propriété émergente qui apparaît au-delà des dissensus, et que l’on nomme le peuple, qu’ils peuvent mettre en oeuvre un projet de transformation radical de la société, notamment sur la question sociale. Le républicain, c’est celui qui envisage la Nation comme l’espace privilégié de la solidarité et qui, au sein de cet espace, refuse toutes les assignations à résidence, qu’elles soient socio-économiques ou communautaires. Pour le dire clairement : la République ne peut être autre chose qu’une République sociale. Comment pourrait-on se satisfaire d’une situation dans laquelle 8,3% de la population d’un pays se trouve sous le seuil de pauvreté, dans lequel il faut en moyenne six générations pour qu’un descendant de famille pauvre atteigne le revenu moyen ?

La radicalité naît de ce qui nous lie, et c’est cette communauté de destin-là qui rend tout déterminisme social insupportable.

Empowerment ou émancipation ?

Les manifestations qui se sont tenues en juin dernier pour dénoncer le racisme et les “vio- lences policières”, et auxquelles a participé un fragment de la jeunesse de gauche, ont révélé l’ampleur du malentendu sur la nature de l’universalisme français. Ce dernier, considéré comme un concept archaïque, un bandeau que l’on se mettrait volontairement sur les yeux afin de devenir aveugles aux différences, a été ringardisé au profit d’une lecture communautaire du monde. Alors que cette lecture tentait d’hégémoniser l’antiracisme à gauche, les républicains, il faut bien le reconnaître, n’ont pas tous été au rendez-vous. Ils auraient pu rappeler quelques principes assez simples pour être entendus, notamment de la jeunesse. Tout d’abord que l’universalisme est en effet un idéal mais que, contrairement aux reproches qui lui sont adressés, cela constitue sa plus grande force et non sa principale faiblesse. Celui qui est capable de bâtir un modèle de référence, s’il est honnête, s’engage nécessairement à prendre en compte tout ce qui s’écarte de cet idéal. Mais celui dont l’horizon politique est un repli communautaire généralisé, quel modèle de société peut-il opposer aux discriminations ?

L’universalisme ne rend pas non plus les habitants de ce pays aveugles, il les invite simplement à ne pas réduire, essentialiser et enfermer leurs concitoyens dans un quelconque statut minoritaire. Anatomiquement, on ne peut pas s’empêcher de voir. Politiquement, par contre, on peut choisir le sens donné à ce que l’on voit, et on peut donc éviter de réduire la complexité d’un être et la complexité des rapports de domination qui peuvent s’abattre sur lui à une seule et simple variable : ici, la couleur de peau.

A l’inverse, et c’est en ça que l’on aurait tout à fait pu apporter une réponse universaliste aux enjeux soulevés par les manifestations de juin dernier, chaque discrimination, lorsqu’elle est avérée, constitue une assignation à résidence identitaire.

Convoquer la République aujourd’hui c’est faire preuve d’une précieuse inventivité politique et idéologique.

Chaque mot, chaque comportement, chaque acte qui viendrait ramener un individu à sa condition de naissance et qui viendrait donc le placer à la marge de la communauté de citoyens entre en contradiction directe avec le projet universaliste. On ne peut pas sérieusement attendre d’une partie du peuple qu’elle s’émancipe si ses conditions d’existence la ramènent inlassablement à ce qui la différencie du reste de la communauté nationale. Néanmoins, encore faut-il savoir au nom de quoi la lutte contre ces discriminations doit être menée. Deux solutions semblent s’offrir à nous : la logique d’empowerment, qui crée un espace de lutte au sein de la communauté en question, ou la logique d’émancipation qui mène la lutte au nom de ce que nous avons en commun, à savoir une certaine vision de notre humanité commune et un attachement tout particulier à la dignité humaine. En d’autres termes, la gauche doit pouvoir résoudre la tension qui naît en son sein entre un droit à l’indifférence auquel elle est traditionnellement attachée et un droit à la différence qui séduit une part croissante de ses forces vives. Ces débats ne se limitent pas qu’à une question de langage ou de mots, c’est toute la grammaire de la gauche, voire de la société dans son intégralité, qui est ici en jeu. Il faut donc l’admettre, les républicains courent le risque de devenir une espèce en voie de disparition dans la faune de gauche. Cette régression n’est pas uniquement imputable à des facteurs exogènes. Si elle veut survivre, cette gauche-là doit être capable d’opérer un exercice réflexif. A chaque fois qu’elle refuse un débat en étant convaincue de la supériorité des arguments qu’elle avance, à chaque fois qu’elle singe la position de ses adversaires pour la disqualifier, elle perd un peu plus de terrain et elle prend le risque de devenir totalement archaïque. Les nouveaux paradigmes qui émergent à gauche, et que l’on pourrait qualifier d’identitaires ou d’intersectionnels, devraient pourtant permettre une saine mise à jour du logiciel républicain qui lui éviterait ainsi de s’enfermer dans son propre « safe-space », ce qui serait tout de même un comble. Les guerres fratricides sont un grand invariable dans l’histoire de la gauche et il faut savoir les accepter pour ce qu’elles sont : des moments de lutte pour l’hégémonie idéologique avec tout ce qu’ils peuvent comporter de stimulant comme de stérile. Tout une partie de la jeunesse de gauche se politise actuellement dans une relation de face-à-face, non pas avec la droite mais avec ses frères ennemis.

Le risque pour elle serait de réduire son identité politique à cette opposition-là. Non, le fait de ne pas embrasser les luttes, le langage et les tropismes des social justice warriors ne constituent pas une identité politique en soi et il y a fort à parier que les républicains auront plus à gagner en renouant avec le peuple qu’en s’abandonnant à de vaines querelles.

République sociale et réseaux sociaux

Pour renouer avec les jeunes, les républicains doivent donc se mettre à jour et, plus important encore, se donner à voir. Un espace en particulier revêt une importance capitale : Internet. On sous-estime encore très largement le rôle des réseaux sociaux dans la politisation de la jeune génération. Assemblant des fragments de pensées glanés de-ci de-là, cette dernière s’autorise une grande plasticité idéologique. Elle n’a pas peur de s’aventurer aux marges, d’hybrider, de garder ce qui lui plaît idéologiquement et d’ignorer ce qui la heurte. Ainsi, le paysage politique français verra-t-il peut-être émerger, d’ici quelques années, une armée de ventôsiens ou d’usulâtres (du nom des YouTubeurs politiques Tatiana Ventôse et Usul) qui aura été biberonnée au commentaire politique sur Internet. A ceux-là, à ces orphelins des grandes machines à produire de la politisation, il faut rappeler que l’option républicaine de gauche est valable, voire mieux, qu’elle est viable. Ce qui valait ci-dessus pour les idées, vaut ici pour les espaces. Bouder Internet, le considérer comme un espace trop interlope, ne fera qu’aggraver la marginalisation des républicains. De surcroît, l’extrême -droite et les identitaires de gauche, eux, ont déjà compris l’importance de ce média qui ne comporte quasiment aucune barrière à l’entrée. Devant leur caméra, derrière leur clavier, et dans le plus grand des silences, ils sont en train de modeler une partie du paysage politique à venir.

C’est pour investir cet espace laissé vacant par mes semblables idéologiques que j’ai décidé, il y a un peu plus de deux ans déjà, d’ouvrir une petite chaîne YouTube répondant au doux nom de Contre Courant. J’avais alors l’impression d’être porté par des courants contradictoires : repoussé à droite par une certaine gauche, repoussé à gauche par une certaine droite. J’étais tour à tour le gauchiste du quartier, le crypto-fasciste du village. Je débordais idéologiquement, j’étais condamné à la marge. Je réalisais alors que ce que j’étais politiquement devenu, un néo-chevènementiste diront certains, je le devais en grande partie à Internet.

Et contre les dévots, qu’ils soient jeunes ou vieux, contre les communautaires de gauche comme de droite, contre ceux-là, il faudra faire front.

Je les revois, ces longues soirées passées à ingurgiter les rediffusions de mes émissions politiques préférées. YouTube a constitué le principal levier de ma politisation. Ce site, et j’ai presque honte de l’avouer, a été ma principale ressource. Facile, me direz-vous, lorsqu’on ne jouit d’aucune autre ressource pour se bâtir une colonne vertébrale idéologique. Il y a deux ans je suis donc arrivé à la conclusion qu’il m’appartenait peut-être de rendre à cette plateforme ce qu’elle m’avait donné. J’étudiais à ce moment-là dans un Institut d’Études Politiques et je découvrais que la politique pouvait être morne, qu’elle pouvait abandonner cette belle ambition, celle de “changer la vie”, pour lui substituer des discussions d’alcôves et un entre-soi mortifère. Cet avant-goût de la culture politique légitime m’a convaincu d’une chose : en politique, il ne faut pas craindre l’interlope, il faut s’aventurer aux marges ou accepter de mourir. Ma marge à moi est en partie composée de jeunes : 40% des internautes qui regardent mes vidéos ont entre 18 et 24 ans. Cette jeunesse-là à une appétence pour le savoir et le débat. Elle n’a pas de centre de gravité poli- tique fixe. En un mot, cette jeunesse-là est orpheline. Il nous appartient de lui rendre le monde intelligible, de lui décrire les forces politiques en présence, de lui proposer des catégories d’analyse. Nous avons le devoir de parier sur son intelligence. La reconquête politique ne se fera pas sans elle, elle ne se fera pas unique- ment avec des congrès, des universités d’été et des petits pin’s. Il faut s’insinuer dans son intimité, lui donner à lire, lui donner à voir, lui donner à penser. En attendant, le réel enjeu aujourd’hui, c’est celui de la création du désir et de l’attente en politique.

Et s’il était déjà trop tard ? Que se passerait-il si la plaie était trop profonde, la distance trop grande ? Et si les gauches étaient devenues irréconciliables ? Nous disions plus haut qu’il était contre-productif de s’engouffrer dans de vaines querelles fratricides. Peut-être faudra-t-il à un moment accepter qu’il est tout autant contre-productif de continuer à tendre la main à une jeunesse qui ne partage plus les mêmes références et les mêmes valeurs. Une jeunesse qui n’évolue plus dans le même monde idéologique. La destruction se devra alors d’être créatrice et de porter en son sein les germes d’un renouveau. Il faudra détourner le regard et aller parler à ceux qui ne votent plus, aux apathiques comme aux déçus. Et contre les dévots, qu’ils soient jeunes ou vieux, contre les communautaires, de gauche comme de droite, contre ceux- là, il faudra faire front.

Pour renouer avec les jeunes, la République sociale doit se mettre à jour et se donner à voir. Un espace revêt une importance capitale : internet.

Références

https://www.ifop.com/publication/droit-au-blaspheme-caricatures-liberte-dexpression-les-francais- sont-ils-encore-charlie/

https://www.ifop.com/publication/le-rapport-a-la-laicite-a-lheure-de-la-lutte-contre-lislamisme-et-le- projet-de-loi-contre-les-separatismes/

https://www.inegalites.fr/evolution_pauvrete_annuelle

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L'État et les grandes transitions

Le modèle agricole français : entre crise et renouveau

Par Inès Heeren La crise du coronavirus a révélé les faiblesses de nombreux secteurs. Le monde agricole agroalimentaire s’est retrouvé sur le devant de la scène avec des rayons de supermarchés dévalisés, un appel aux citoyens à aller « aux champs », du lait jeté quotidiennement…Face à ces défaillances, de nombreuses questions se soulèvent. Nous interrogeons Romain Dureau, agroéconomiste et cofondateur d’un laboratoire d’idées au service de la transformation écologique, de l’agriculture et de l’alimentation : Urgence Transformation Agricole et Agroalimentaire (UTAA). 
Comment expliquez-vous les failles du système agricole et alimentaire français révélées par la crise sanitaire ?

La crise sanitaire a effectivement été davantage un révélateur qu’un déclencheur. Basiquement, le coronavirus a été le grain de sable qui s’est immiscé dans les rouages déjà abimés des marchés agricoles dérégulés. La première faille majeure mise en évidence lors du premier confinement de mars à mai 2020 est la forte dépendance de notre agriculture à la main d’œuvre étrangère, qui représente environ 40% du travail saisonnier. La France, « puis- sance agricole » selon les libéraux, a connu le ridicule de voir son Ministre de l’Agriculture de l’époque, Didier Guillaume, en appeler à « l’armée des ombres » (sic) pour rejoindre les rangs des travailleurs agricoles. L’agriculture française connaissait un manque important de main d’œuvre du fait de la fermeture des frontières aux travailleurs étrangers. Etonnant ? Pas vraiment. Du fait de leur forte saisonnalité, certaines productions, telles que l’arboriculture et le maraîchage, sont très gourmandes en main d’œuvre, principalement lors des travaux de taille et de récolte. Dans la logique de compression des coûts, l’agriculture française a compté de plus en plus sur une main d’œuvre venue de pays étrangers plus susceptible d’accepter des emplois peu rémunérés et aux conditions d’activité difficiles. Depuis quelques années, le recours au travail détaché, véritable dumping social organisé par l’Union Européenne, a augmenté : les travailleurs détachés étaient 67 601 en 2017 (contre 26 000 en 2016), principalement en viticulture, en maraichage et arboriculture, mais aussi en grandes cultures et production ovine, en moindre mesure. Cet épisode doit nous conduire à nous interroger sur ce manque structurel de main d’œuvre agricole : augmentation du travail saisonnier, journées harassantes pour de nombreux chefs d’exploitation… Cette question est complexe, mais l’une des réponses clés est la suivante : pour donner « envie d’agriculture », il faut changer de modèle, et proposer des conditions de travail, de rémunération et de vie en milieu rural bien plus attractives.

La deuxième faille majeure (re)mise en lumière par la crise sanitaire est la forte dépendance de notre agriculture et de notre alimentation aux marchés internationaux. D’un côté, l’agriculture française est dépendante des exportations à destination d’autres pays européens mais également de pays tiers. Ainsi, les productions qui sont fortement intégrées sur les marchés internationaux et destinées à l’export, telles que les vins (30% de la production exportée) et spiritueux, les cé- réales (50% du blé exporté) ou les produits laitiers (10% de la production exportée), se sont retrouvées confrontée à la perte de débouchés ou la diminution de la demande mondiale. C’est le cas de la poudre de lait exportée en Chine ou encore du porc et des broutards exportés en Italie. D’un autre côté, nous sommes également dépendants des importations pour plusieurs produits alimentaires de base. Un rapport d’information du Sénat en date de mai 2019 estime que nous importons environ 20% de notre alimentation. Cela concerne principalement les fruits et légumes (50% sont importés, pour un coût de 2,5 à 3 milliards d’euros), la viande de porc (25% importés), la volaille (34%), la viande bovine (environ 30%), la viande bovine (50%) mais aussi les aliments pour les animaux d’élevage (3 millions de tonnes de soja importés d’Amérique latine chaque année). Nous ne parlons pas là de produits annexes, mais de produits de consommation quotidienne. Cette dépendance aux importations pose enfin la question de la traçabilité de la production. Il est estimé que 10 à 25% des importations ne respecteraient pas les normes sociales, sanitaires et environnementales françaises. Nous voyons aujourd’hui le danger que représente cette dépendance aux marchés internationaux sciemment organisée : notre souveraineté alimentaire – comprendre : pour les denrées alimentaires de consommation quotidienne – a été perdue du fait de choix politiques contraires à l’intérêt fondamental de la Nation.

Face à ces limites, sommes-nous en mesure d’agir à l’échelle nationale ? Est-ce que l’Union européenne représente une barrière ou un levier face à l’urgence de la transformation de notre modèle agricole ?

Comme sur beaucoup de sujets, la doxa libérale nous dit que la question des politiques agricoles et alimentaires prend place à l’échelle européenne voire internationale. Ce n’est pas faux, tant les politiques commerciales et agricoles européennes ont façonné l’agriculture française à partir de la deuxième moitié du XXe siècle. Si la question de la sécurité alimentaire relève bien d’un enjeu planétaire, des marges de manœuvre existent au niveau national, notamment en actionnant des leviers divers et non négligeables : les politiques de développement rural et d’aménagement du territoire, la commande publique, la recherche agronomique, l’enseignement et la formation agricoles mais aussi l’accompagnement des projets de transition agroécologique. Toutefois, il est vrai que les règles européennes et de l’OMC limitent fortement la possibilité d’agir sur les deux causes fondamentales de l’industrialisation et de la mondialisation de l’agriculture : la Politique Agricole Commune (PAC) et les poli- tiques commerciales européennes (auxquelles nous pourrions rajouter les poli- tiques monétaires). Tant le fonctionnement actuel de l’Union Européenne que les choix politiques qui sont les siens représentent autant de barrières à la transformation de l’agriculture. Le corolaire de ce constat est qu’un changement profond de ces politiques agricoles et commerciales serait un levier assez puissant pour ré orienter l’agriculture.

La nouvelle réforme de la PAC 2021-2027, qui est encore en discussion, sans révolutionner l’essentiel, semble lentement mais surement s’orienter vers une forme de renationalisation d’un certain nombre de choix politiques relevant de la mise en œuvre de la PAC. Dans ce contexte de libre-échange généralisé, beaucoup redoutent, à juste titre, une forme de « PAC à
la carte » qui n’aurait pour effet que d’augmenter la concurrence entre les agricultures européennes, certains pays continuant
la course au productivisme, et d’autres augmentant leurs exigences environnementales et sociales. Ce risque de dumping est réel, mais il n’est pas nouveau et ne concerne pas uniquement le marché unique européen, mais également les marchés internationaux, auxquels notre agriculture est fortement intégrée. Si la réforme 2021-2027 de la PAC donnait plus de marges de manœuvre aux Etats, un gouvernement déterminé à conduire une politique de souveraineté alimentaire sera certainement avantagé, à condition, en parallèle, d’assumer la mise en œuvre de protections à l’échelle nationale face aux importations qui respondent pas aux modes de production que nous souhaitons pour l’Humanité. En somme, si la reprise en main de politiques agricoles à l’échelle nationale peut redonner des marges de manœuvre aux Etats, cela ne peut pas se faire positivement si nous ne reprenons pas également la main sur nos politiques commerciales. Cela n’interdit évidemment pas de proposer des alternatives à l’échelle européenne, mais nous savons la difficulté de telles négociations et le culte du « consensus » qui, concession par concession, nous a conduit à l’impasse. Ne nous interdisons pas d’agir maintenant à l’échelle nationale, car l’agriculture française se meurt à petit feu.

SI LA QUESTION DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE RELÈVE BIEN D’UN ENJEU PLANÉTAIRE, DES MARGES DE MANOEUVRE EXISTENT AU NIVEAU NATIONAL.

Votre laboratoire d’idée UTAA prône la relocalisation et le protectionnisme. De quelle manière les accords libéraux de l’Union européenne et sa volonté de s’insérer dans le marché mondial impact le monde agricole ? Doit-on, et si oui comment peut-on, sortir de la logique de libre-échange et s’orienter vers celle de la souveraineté alimentaire ?

Comprenons déjà comment les agricultures européennes se sont retrouvées si fortement intégrées aux marchés internationaux. Lorsque la PAC a été mise en œuvre à partir de 1962, elle avait pour objectif d’augmenter la production agricole du continent, qui était alors déficitaire et importateur pour des produits alimentaires de base. L’Europe se rassemblait autour d’un projet commun de souveraineté alimentaire. Devenant de plus en plus excédentaire à partir des années 1970, l’agriculture européenne a éloigné le continent des risques de pénurie et de famines. Cependant, la surproduction croissante de produits alimentaires fait courir le risque d’un effondrement des prix payés aux producteurs, et donc la mise en danger du tissu productif. Pour éviter cela, d’une part, l’Union européenne a mis en place des mécanismes de gestion de l’offre (quotas, par exemple), et d’autre part, l’UE a trouvé de nouveaux débouchés sur les marchés internationaux, en subventionnant les exportations.

Puis, dans les années 1990, face aux coûts importants de ces mécanismes de régulation des marchés et espérant profiter d’une demande alimentaire mondiale croissante, l’Union européenne a supprimé ces régulations et fortement libéralisé son marché agricole.

Le problème d’aligner les prix du marché intérieur sur les prix des marchés internationaux, qui ne représentent pourtant que 15% des échanges de produits agricoles, est d’imposer des prix qui sont ceux d’excédents agricoles, dont les pays veulent se débarrasser à bas prix à l’export. L’UE est le seul espace économique du monde à ne pas distinguer son marché intérieur des marchés internationaux par des mesures protectrices. La question posée par la dérégulation et la mondialisation des échanges de produits agricoles est également celle de la capacité intrinsèque des marchés à se réguler. Un consensus semble émerger entre agroéconomistes pour acter que les fluctuations des prix sur les marchés agricoles ne sont pas seulement la conséquence de facteurs exogènes (climat, ravageurs, etc.) mais également de facteurs endogènes à leur fonctionnement. Notamment, les cycles de productions agricoles sont longs, et les délais dans l’ajustement entre l’offre et la demande en produits alimentaires sont responsables de cycles de variation des prix sur les marchés plus ou moins chaotiques selon les produits. S’ils sont d’accord sur l’analyse du fonctionnement des marchés, les avis des économistes divergent en revanche quant aux solutions à apporter. Certains pensent que les marchés agricoles se réguleront d’eux-mêmes dès lors que de nouveaux outils qui leur sont propres, comme les assurances ou les marchés à termes, permettront de corriger cette instabilité endogène. D’autres, dont je suis et dont nous sommes avec UTAA, défendent plutôt une intervention plus directe de l’Etat dans la régulation des volumes produits et des prix, et donc la protection du marché intérieur face à des importations qui constituent, entre autres choses, une concurrence déloyale de notre agriculture en ne respectant pas les mêmes normes sociales et environnementales de production.

Il y a de très nombreuses raisons qui plaident pour une reprise en main par l’Etat de la régulation des marchés agricoles. Au-delà des défaillances « naturelles » des marchés agricoles que j’ai présentées, nous considérons que l’agriculture et l’alimentation relèvent de l’intérêt général : l’alimentation est un droit fondamental de toute personne humaine. Il est alors important que l’agriculture et l’alimentation soient pleinement présentes dans le champ démocratique : la souveraineté alimentaire est le droit des paysans et des peuples à décider de ce qu’ils veulent produire, en quelles quantités et de quelles manières ils veulent le produire. Cette démocratisation de l’alimentation nécessite que l’Etat assure la régulation des marchés, que ce soit des volumes produits, afin d’éviter les surproductions, ou des prix payés aux producteurs pour garantir un revenu décent et stable. La volatilité des prix est l’une des principales causes actuelles de la course au productivisme, avec tous les dégâts environnementaux que cela implique.

L’agriculture est critiquée pour son impact environnemental, émissions de gaz à effet de serre, dégradation de la biodiversité et du sol… Un modèle agroécologique est-il viable selon vous en France ? Comment peut-on réorienter notre système agricole, l’Etat a-t-il un rôle à jouer ? Com- ment cette évolution s’inscrirait elle dans le temps ?

La France est riche d’une grande diversité de territoires et de conditions agronomiques. Cela lui permet d’envisager la production diversifiée de nombreux produits agricoles, au moins à l’échelle nationale si ce n’est à l’échelle régionale. Cette richesse n’a été que trop peu valorisée au cours des 30 der- nières années du fait de la logique des « avantages comparatifs » : chaque pays doit se spécialiser dans les productions pour lesquels il dispose d’avantages naturels par rapport aux autres productions et aux autres pays. Cette logique libérale se heurte aujourd’hui aux réalités sociales et environnementales, et va à l’encontre du principe de souveraineté alimentaire. A l’inverse, la France pourrait valoriser cette richesse en produisant la quasi-totalité des produits agricoles de base ; cette diversification, et notamment le recouplage entre les activités d’agriculture et d’élevage (que l’on appelle polyculture-élevage), est le fondement des systèmes agroécologiques. En cela, un modèle agroécologique est bénéfique sur le plan environnemental, possible techniquement et agronomiquement, mais également souhaitable du point de vue de notre souveraineté alimentaire. Un tel modèle cessera, par exemple, d’importer du soja OGM brésilien pour nourrir les animaux d’élevage français et européen, mais augmentera la production de protéines végétales à destination de l’alimentation humaine et animale. Un tel modèle cessera le dumping lié aux exportations d’importants excédents de blé à bas coût, indirectement mais for- tement subventionnés par la PAC, en Afrique de l’Ouest, avec des conséquences dramatiques sur les productions vivrières de ces pays.

J’ai mentionné précédemment d’un côté les leviers que l’Etat pouvait mobiliser, et de l’autre comment l’Union européenne pourrait réformer ses politiques agricoles pour soutenir un modèle agroécologique. Le soutien à la transformation agroécologique suppose de rompre avec la logique libérale des avantages comparatifs afin de privilégier la diversification des productions et la coopération internationale autant que de besoin. Cette agriculture écologique est une agriculture paysanne, qui valorise les connaissances et les savoir- faire des agriculteurs et des éleveurs, de concert avec les techniciens, les ingénieurs et les chercheurs. Cette transition suppose la création de centaines de milliers d’emplois dans l’agriculture et dans l’artisanat agroalimentaire, d’où l’importance de revoir profondément les objectifs et modes d’attribution des subventions de la PAC. Cela se planifie afin de mettre en cohérence un calendrier de sortie des pesticides, la reconstruction d’écosystèmes agricoles stables et diversifiés, la formation et l’installation de nombreux nouveaux paysans, etc. Il y a cependant urgence : d’ici 5 à 10 ans, nous aurons perdu la moitié des exploitants agricoles actuellement en activité. C’est donc une transition rapide qu’il nous faut opérer ; elle pourrait être soutenue, d’une part, grâce à la réorientation des subventions européennes, et d’autre part, par une intervention de l’Etat pour désendetter les paysans et adapter rapidement les structures agraires à cette nouvelle agriculture (partage du foncier, notamment).

IL Y A DE TRÈS NOMBREUSES RAISONS QUI PLAIDENT POUR UNE REPRISE EN MAIN PAR L’ETAT DE LA RÉGULATION DES MARCHÉS AGRICOLES.

Comment peut-on relocaliser et repartager la valeur ajoutée sur les filières agricoles ? Est-ce qu’un juste prix aux producteurs signifie une hausse des prix pour les consommateurs ?

La mondialisation des systèmes alimentaires a été rendue possible par le faible coût de l’énergie permettant le transport d’intrants et de matières premières agricoles sur des longues distances. Les effets pervers de cette mondialisation sont connus : perte de souveraineté alimentaire au Nord comme au Sud, chômage de masse, développement du productivisme agricole et déforestation, émissions croissantes de gaz à effet de serre.

Il est estimé que le système ali- mentaire mondial est responsable d’environ 50% des émissions de GES. La relocalisation de notre alimentation est autant un enjeu environnemental que démocratique. Ce projet rencontrera notamment l’opposition des grandes indus- tries agroalimentaires transnationales, qui sont aussi bien implantées au Nord qu’au Sud, et qui sont en situation d’oligopoles sur les marchés. Stratégiquement, nous devrons organiser la relocalisation et surtout la ré-atomisation de l’agroalimentaire français. Le rapport de négociation des prix entre les paysans et l’agroalimentaire doit être strictement encadré par la loi, avec la mise en place d’un coefficient multiplicateur limitant les marges des intermédiaires. La mise en place d’un prix minimum garanti rémunérateur (qui n’est ni plus ni moins que la traduction concrète de l’interdiction de vente à perte), l’encadrement des marges des intermédiaires, ainsi que la protection aux frontières contre les importations déloyales sont autant d’outils pour assurer le partage de la valeur ajoutée au sein des filières.

La question des prix payés par le consommateur est le grand argument avancé par les libéraux et par les défenseurs d’une agriculture industrielle cherchant encore à augmenter la productivité du travail et de la terre, faisant fi des graves problématiques environnementales et agronomiques sous-jacentes. L’existence de prix alimentaires faibles est la condition pour que le reste de l’économie (industrie et services) puisse maintenir les bas salaires à des niveaux parfois insuffisants pour vivre correctement. Ainsi, sans hausse générale des salaires, il apparaît que la hausse du prix de l’alimentation sera dramatique pour de nombreux ménages modestes, y compris en France, où déjà 12% de la population, soit 6 millions de nos concitoyens, sont en situation de précarité alimentaire. En cela, l’idée d’une Sécurité sociale de l’alimentation fait son chemin, et pourrait constituer une solution intéressante, notamment pour les produits tels que les fruits et légumes bio. Toutefois, il est notable que la forte volatilité des prix sur les marchés agricoles (des matières premières) ne conduit pas à une telle volatilité des prix sur les marchés alimentaires, qui sont, eux, plutôt stables. On parle souvent d’asymétrie dans la transmission des prix pour décrire ce phénomène : une variation des prix payés aux producteurs ne se transmet pas jusqu’au consommateur. De plus, en observant la composition des prix alimentaires, nous remarquons que pour de nombreux produits de première nécessité, comme le pain par exemple, la part du prix payé par le consommateur qui revient au producteur de blé est très faible, le reste du prix correspondant aux intermédiaires. Par exemple, un doublement du prix payé au producteur pour le blé tendre destiné à la fabrication de pain n’occasionnerait, à supposer que cette hausse soit totalement transmise au consommateur, qu’une hausse minime du prix de la baguette (+1,575€/mois pour l’achat d’une baguette de 250g par jour).

Cette diversification, et notamment le recoupage entre les activités d’agriculture et d’élevage est le fondement des systèmes agroécologiques.

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La décentralisation et l’aménagement du territoire : comment remédier à l’échec écologique ?

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La décentralisation et l’aménagement du territoire : comment remédier à l’échec écologique ?

Conçu comme un remède au malaise démocratique et à un aménagement vertical et peu harmonieux du territoire, la décentralisation n’est pas exempte de critiques : confiscation de la parole citoyenne, bétonisation accrue, artificialisation des sols accélérée au bénéfice des intérêts des entreprises du CAC40… Repenser les relations entre Etat, collectivités territoriales et citoyens s’avère nécessaire pour remédier à l’échec écologique. 
Une décentralisation qui met fin à l’aménagement du territoire d’Etat

La France a longtemps développé un système alliant liberté locale et planification centrale, avant que cet édifice administratif original ne soit réformé du fait de ses contradictions. Malgré une dimension centralisatrice marquée, la IIIème République est à l’origine des premiers textes instituant la libre administration des collectivités territoriales : la charte communale de 1884 proclame que « le conseil municipal règle par délibération les affaires de la commune » consacrant ainsi un intérêt public communal. Cette « clause générale de compétence » est l’une des premières et des plus importantes libertés locales, dans la mesure où elle garantit la libre administration là où se présente un « intérêt communal, justifiant la création de services publics communaux et l’octroi de subventions ». En outre, la loi de 1871 consacre un « intérêt départemental » sur lequel les conseils généraux ont capacité à délibérer, anticipant la clause générale de compétence des communes.

Néanmoins, cette libre administration a été nuancée par l’affirmation d’une autorité préfectorale forte, garantissant une représentation du gouvernement et un respect de la loi à l’échelle départementale. Ainsi, la libre administration des territoires s’accompagne en France, depuis 1945, d’une planification nationale plus ou moins forte selon les époques, destinée à créer un urbanisme plus harmonieux et conforme aux attentes de l’État. La France s’est dotée d’instruments exceptionnels en ce sens, notamment sous les mandats gaullistes. Charles de Gaulle affirma lui-même que « la construction, la voirie, les écoles, les hôpitaux, l’implantation d’usine, les chantiers, les stades, les espaces verts, la circulation requièrent des plans unifiés et des règles communes ». L’aménagement est donc mis en œuvre à travers plusieurs dispositifs:

1. Par l’autorité du Préfet, chargé de l’urbanisme, de l’équipement et de l’aménagement, maitrisant les droits des sols, ce qui lui permettait de signer les permis de construire.

2. Par les schémas directeurs, organisés par la DATAR, organisme directement sous contrôle du Premier Ministre guidant la nature des aménagements via un processus de zonages : ici apparaissent les ZUP et les ZAC, qui organisent rationnellement le territoire en fonction des besoins de l’Etat. Cette situation est contestée au sortir du gaullisme : la tutelle du préfet sur les collectivités territoriales n’est plus acceptée par un pouvoir local, qui, dépossédé de sa capacité à produire des actes réglementaires, n’avait qu’un rôle finalement secondaire dans des domaines fondamentaux de l’économie d’après-guerre : le logement, l’aménagement et l’urbanisme. Les lois Defferre de 1982-1983, en réduisant le pouvoir des préfets aux profits des élus, désormais soumis au contrôle réglementaire a posteriori, enclenchent une révolution qui modifie profondément l’organisation territoriale de notre pays.

LA FIN DE L’AMÉNAGEMENT ANARCHIQUE PASSE PAR UNE RÉHABILITATION DU RÔLE DE L’ETAT.

Tout d’abord, les communes acquièrent des compétences élargies en termes d’urbanisme et d’aménagement, qu’il s’agisse de l’élaboration de la règle générale, à travers le plan local d’urbanisme (PLU), ou de délivrance d’autorisations individuelles, comme les permis de construire. Elles deviennent également compétentes pour la gestion de grands services publics locaux, notamment en matière de voirie, logement, adduction et assainissement des eaux, dont l’organisation est souvent partagée avec d’autres communes via les syndicats à vocation unique (SIVU). Les échecs de certains projets urbanistiques lancés par l’Etat, tels que les Grands ensembles, ont progressivement discrédité une action centralisée en matière d’urbanisme et légitimé le processus de décentralisation en la matière.

En outre, la loi Defferre transmet des blocs de compétences aux collectivités territoriales, accompagnés des moyens financiers nécessaires à leur exercice, en vertu du principe de compensation. La commune prend ainsi en charge les écoles, le département les collèges et l’action sociale (notamment la gestion du RSA), la région les lycées, la formation professionnelle et le développement économique. Ces blocs de compétences ont pour objectif de créer une gestion du service public plus cohérente par rapport au territoire dans lequel ils s’inscrivent : il n’était pas rare, du temps de la gestion du « tout Etat », que les élus aient à contenter le préfet pour assurer, par exemple, la rénovation de leur école communale, ce qui posait problème au niveau de leur indépendance politique.

Ainsi, la décentralisation est une réussite en termes d’amélioration de la libre administration locale. Mais la liberté a son revers de médaille : l’aménagement du territoire peu cohérent qui en est issu a considérablement endommagé les espaces naturels français, accru les inégalités territoriales et copieusement enrichi les entreprises du CAC 40.

Bétonisation de la France, recul de la biodiversité : les travers de la décentralisation

La libéralisation de l’aménagement du territoire, via la décentralisation, a ouvert la porte à l’omniprésence du capital privé sur les décisions des collectivités territoriales, affaiblissant la démocratie locale. Depuis les années 1980, la France subit une lame de fond néolibérale caractérisée par l’accroissement de la prédation du capital, notamment des grands groupes du CAC 40, sur la société en général et la décision politique en particulier. Cette vague a su s’engouffrer dans les failles que portaient les lois de décentralisation. L’aspect le plus négatif en est indéniablement l’accélération du rythme de l’artificialisation des sols. Ce processus atteint en France une proportion considérablement et réellement inquiétante : 5,2 % des sols sont artificialisés dans notre pays, contre 4% de moyenne dans l’Union Européenne, alors que la densité de population française est moins élevée. La surface commerciale y est également très conséquente, atteignant 1,2 mètres carrés par habitant, avec des effets particulièrement délétères pour le commerce de centre-ville. Ce processus s’accélère en dépit de la prise de conscience du recul de la biodiversité et de l’effondrement du vivant : chaque année, 60 000 hectares, soit l’équivalent de plus de la métropole de Lyon, sont coulés dans le béton, pour y établir en général un urbanisme très critiqué, essentiellement fait de zones commerciales et de voies rapides.

Les causes de cette dérive sont bien connues. Tout d’abord, le transfert des capacités d’aménagement de l’Etat en direction des collectivités territoriales, commune et leurs maires en premier lieu, notamment par la compétence en droit des sols, a entrainé la signature de milliers de permis de construire sans qu’une régulation exigeante ne se présente. Dès lors ont émergé les ZAC, symboles de la Vème République, « d’une France hideuse » bétonnée, remplaçant inexorablement le petit commerce des centres villes en déshérence ; entrainant, en conséquence, une dépendance accrue par rap- port à l’automobile, dont les Gilets Jaunes démontrent l’incompatibilité avec l’accomplissement d’exigences sociales et environnementales.

A fortiori, ce processus délétère a été accéléré par la dimension concurrentielle de l’économie de marché, incitant chaque maire à aménager au plus vite et au moins cher, afin d’attirer des entreprises et des emplois au détriment du voisinage, notamment pour bénéficier de surplus de recettes fiscales. En effet, l’autonomie financière des collectivités territoriales leur permet d’en déterminer partiellement le montant et l’assiette. A la concurrence pour l’attraction des investissements, s’est donc ajoutée celle pour les impôts locaux, au risque d’entrainer une gestion malsaine des affaires locales. La libéralisation de l’attribution des permis de construire, mais aussi de la gestion de l’adduction d’eau, a fait la fortune des entreprises du CAC 40, notamment dans le secteur du BTP et de services collectifs, où les majors françaises sont les plus puissantes du monde.

L’artificialisation des sols a également profité au secteur de la grande distribution, jusqu’à multiplier par 6 la surface commerciale en 30 ans. Le BTP n’est pas en reste : les promoteurs immobiliers vendent désormais aux communes des « ensembles urbains » comprenant également la construction d’équipements sportifs, culturels et de logements sociaux dans un urbanisme largement standardisé.

L’ARTIFICIALISATION DES SOLS S’ACCÉLÈRE MALGRÉ LA PRISE DE CONSCIENCE DU RECUL DE LA BIODIVERSITÉ.

Les kilomètres d’autoroutes inutiles, comme par l’exemple l’A65 entre Pau et Langon, se comptent en centaines, alors que s’étendent les zones d’activités et les zones commerciales improductives au détriment des espaces agricoles et naturels.

Ainsi, les collectivités territoriales se targuent d’être les premiers investisseurs de France (80% du total des investissements dans le pays), tout en finançant des projets peu productifs en soi et inutiles pour le futur de l’économie française. Peut-on raisonnablement imaginer qu’il ne soit pas préférable d’investir dans la construction d’un énième supermarché que dans les nouvelles technologies vertes ? Pourtant, les entreprises des services collectifs et du BTP française profitent de l’appétit de certains élus et de marchés peu concurrentiels pour bénéficier de rendements sur actions des plus élevés et des ressources propres nécessaires pour « superformer » le marché à l’international, en remportant notamment des marchés publics.

Un Etat organisant son impuissance écologique

L’artificialisation des sols repart à la hausse après un ralentissement en 2016. Comment expliquer l’accélération de cette tendance, malgré la prise de conscience grandissante des enjeux écologiques ? Tout d’abord, le déclin de l’action de l’Etat a considérablement renforcé le rôle des groupes privés. Avant 1982, le préfet, par l’intermédiaire de la Direction Départemental de l’équipement et des territoires (DDE/DDT) déterminait le plan d’occupation des sols (POS) et délivrait les permis de construire. Cette politique s’accompagnait d’un zonage territorial, destiné à répartir les nouveaux quartiers de logements sociaux, les aires sportives, les zones commerciales etc.

Le préfet organisait ainsi la construction du logement social, en mobilisant un promoteur public, la SIC, et un promoteur bénéficiant de prêts bonifiés, GFF, pour construire du logement privé bon marché. L’Etat perdant son monopole dans la construction de quartier d’habitat social, cette situation n’avait plus lieu d’être après la décentralisation.

Ainsi, ont émergé des promoteurs privés sous le contrôle de l’économie financières, tels que Kaufmann and Broad, BNP Paribas Real Estate, Bouygues Immobiliers qui se sont progressivement substitués à l’action publique pour la construction de logements sociaux et d’équipements collectifs. Ces entreprises, suivant une bonne logique capitaliste, ont tenté de remporter des marchés publics peu concurrentiels en proposant des bâtis standardisés, peu durables, étrangers à toute considération architecturale en termes de respect du patrimoine local ; faisant une « France hideuse » mais rapide et peu couteuse à construire. Un procédé d’autant plus redoutable qu’il est difficile pour les élus de résister aux sirènes du « vite fait, mal fait » pour un moindre coût, dans la mesure où la baisse des dotations de fonctionnement les oblige à chercher à augmenter leurs ressources par des investissements douteux.

UNE AGENCE NATIONALE DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES RENOUVELÉE EST ENVISAGEABLE.

Ces entreprises exercent ainsi une influence considérable sur les directions d’aménagements et les maires, qui logiquement, prennent l’ascendant sur la décision locale, au risque de développer des logiques problématiques de conflits d’intérêts. Il suffit de se rendre dans un salon d’élus pour comprendre que le démarchage par les grandes entreprises est une réalité quotidienne dans la vie des collectivités territoriales. Dans ces congrès, les groupes de services collectifs (Veolia, Suez, Guy Dauphin) du BTP (Eiffage, Bouygues) et de la concession (Vinci) y côtoient des élus et des directions d’aménagements, où des relations d’influences se tissent. Il n’est ainsi pas rare de voir certains directeurs généraux de services ou de l’aménagement des communes intégrer un poste bien rémunéré dans l’une de ces entreprises pour service rendu…Une logique de prébende qui n’a pas sa place en démocratie. Les marchés publics discutables de délivrance de permis de construire, sont l’une des principales sources de corruption en France, et tout promoteur avouera au cours de sa carrière, avoir « fait passer au moins une valise ».

Mais l’effet pernicieux de cette logique est indéniablement la concentration du pouvoir au- tour du maire et de ses services techniques, notamment dans le domaine de l’aménagement. Le premier édile est en général roi dans son conseil municipal, toute récalcitrance au sein d’une majorité signe, en général, un arrêt de mort politique. Les décisions prises par les services techniques, aménagement en premier lieu, ne sont pas toujours transparentes, tout particulièrement pour les administrés, dont le droit de regard sur la gestion municipale est habituellement très limité. Les Conseils de quartier sont en général noyautés par des élus locaux, qui les réduisent en officines de la mairie. Les membres des Conseils Citoyens se plaignent de leur faible capacité d’influence et de décision, ce qui explique qu’ils soient désertés par la population et essentiellement composés de professionnels en politique de la ville : à titre d’exemple, le Conseil citoyen du quartier « la Dame Blanche » (Garches les Gonesse) n’est composé que de 14 membres pour les 20 000 habitants que compte ce quartier prioritaire de la ville (QPV).

Il ne s’agit pas là de faire le procès des élus locaux, dont le rôle pour la bonne tenue de la démocratie en France est essentiel. Par ailleurs, il arrive souvent que les élus refusent le permis de construire pour lutter contre l’artificialisation des sols, comme cela a été le cas à Dolus d’Oléron contre un projet d’implantation de Mac Donald’s.

Néanmoins, ces oppositions sont souvent cassées par les tribunaux administratifs, dans la mesure où une commune ne peut refuser de valider un permis de construire sans motivation réelle et sérieuse (TA de Poitiers, Dolus d’Oléron c/ Mac Donald’s, 2018). Si les possibilités pour les collectivités territoriales d’œuvrer à un monde plus juste et durable existent, elles sont néanmoins entravées par une organisation juridique et administrative de la France qui n’a pas su se réformer suffisamment.

Des propositions pour un aménagement plus rationnel du territoire

La fin de l’aménagement anarchique et du cortège d’inégalités et de destructions environnementales qu’il engendre passent par une réhabilitation de rôle de l’Etat, un renforcement de la réglementation en la matière et un approfondissement du contrôle des élus par les citoyens. Une série de mesures sont envisageables en ce sens.

1/ Renforcer le rôle de l’Etat dans l’aménagement du territoire. Tout d’abord, la France dispose d’une grande tradition de planification urbaine par les politiques d’aménagement du territoire. Les instruments existent, mais ont été vidés de leur substance, faute de moyens, mais aussi à cause d’un nouveau cadre juridique qui réduit leurs prérogatives.

A cet effet, il semble nécessaire de revenir à la tradition d’aménagement du territoire, en renforçant le rôle de l’Agence nationale de la co- hésion des territoires (ANCT) et de la doter de plus fortes prérogatives. Le contrôle a posteriori via le déféré préfectoral des PLU, POS et des permis de construire ne suffit pas, les préfectures n’ayant plus les moyens de vérifier la validité de tous les actes administratifs des collectivités territoriales. Une Agence nationale de la cohésion des territoires renouvelée, établissant un contrôle a priori sur les plans locaux d’urbanisme et les plans d’occupation des sols, via les agents des DDE et des DDT, est tout à fait envisageable : en matière d’aménagement du territoire, la codécision entre les maires, porteurs de l’intérêt local, et l’Etat, porteur de l’intérêt général, auquel incombe la mission de préserver l’environnement est plus souhaitable que l’exclusivité d’un seul de ces acteurs sur le sujet. L’Agence nationale de la cohésion des territoires devra disposer des moyens nécessaires à son action (bureau d’études, cabinet d’urbanisme) et déconcentrer ses agents directement vers les 101 préfectures qui composent le France, d’où ils établiront une délimitation plus stricte des zones constructibles ou non.

La fonction publique emploie 1 millions de cadres, la majorité en région parisienne. Si les enquêtes d’opinion témoignent d’un désenchantement croissant des cadres pour la mégapole parisienne, quels arguments pourraient être opposés à un transfert massif d’agents vers la province ? En matière d’organisation de l’administration d’Etat, l’égalité entre les territoires doit primer : il est donc temps de convertir les principes de la Loi ATR (1992) « La République est décentralisée et déconcentrée » en actes.

2/ Renforcer la réglementation des constructions. Ce processus de « replanification » de l’aménagement du territoire gagnerait à s’accompagner d’une réglementation plus forte limitant immédiatement le rouleau compresseur de l’artificialisation des sols. Plusieurs solutions gagneraient à s’imposer. Tout d’abord, un moratoire sur les nouvelles constructions : les entrepreneurs doivent se contenter du bâti déjà considérable, 6% du sol français en 2020 contre 2% en 1970, afin de faire cesser la compétition délétère aux investissements et aux impôts entre les collectivités au détriment de l’environnement et du petit commerce des centres villes. En outre, un plafonnement des mètres carrés commerciaux des villes de banlieue en un ratio raisonnable par rapport au nombre d’habitants des communes apparaît nécessaire. Les maires seraient ainsi déchargés d’une responsabilité écrasante qui pèse sur leur fonction et pourraient se concentrer sur des dispositifs plus prioritaires, tel que la réalisation de la péréquation et la réduction de la dépendance à l’automobile.

3/ Retrouver une démocratie locale digne de ce nom. Aucune amélioration de la décentralisation ne pourrait être opérante sans une prise en compte de la voix des citoyens dans le procesus de décisions. Plusieurs propositions réalistes sont envisageables en ce sens.

1. Réformer les EPCI : il est inacceptable qu’une grande partie des prérogatives des communes soient organisées à l’échelle des établissements publics de coopération intercommunaux (EPCI) dont les représentants ne sont pas élus, et dont l’existence est en général ignorée des citoyens. Une réforme constitutionnelle s’impose pour convertir les EPCI en collectivités territoriales, ce qui permettrait d’élire leur conseil et accroitre, ce faisant, leur contrôle démocratique. Dans le cas contraire, ces EPCI n’auraient pas vocation à poursuivre leur existence.

2. Renforcer les instances participatives existantes : soulignons ainsi que les Conseils de quartier et les Conseils citoyens doivent cesser d’être des succursales invisibles de majorités politiques où se morfondent une poignée de responsables associatifs.La moindre des choses serait de leur permettre d’imposer une question à l’ordre du jour de chaque conseil municipal. En outre, peut être imaginée une « Assemblée des conseils citoyens et de conseils de quartiers », disposant du pouvoir d’organiser une consultation sur un sujet relevant des compétences locales tous les deux ans. L’état actuel des consultations n’est certainement pas satisfaisant : les barrières à l’entrée pour l’organisation d’un référendum local sont trop importantes. Le seuil d’acceptabilité peut-être redescendu de 1/5 du corps électoral à 1/10, avec obligation pour le maire de se plier à l’organisation en cas de réunion d’un nombre suffisant de signatures. Plusieurs autres idées gagnent à être étudiées :

2.1– Expérimenter, conformément à l’article 72-4 de la Constitution, dans certaines collectivités, un nouveau mode de scrutin permettant de répondre davantage aux attentes des citoyens, tels que le jugement majoritaire, proposé par Chloé Ridel.

2.2- Donner au maire, ou à un nombre suffisant de citoyens inscrits sur les listes électorales, le droit de se prononcer par référendum pour un projet urbanistique requérant plus de 0,5 hectare d’artificialisation des sols. Trop souvent, les collectivités territoriales n’ont pas leur mot à dire sur des projets qui ne concernent pas leur bloc de compétence, ce faisant, l’enthousiasme des maires et des élus sur leur fonction en pâtit. Il semble donc nécessaire de rétablir la clause générale de compétence et de défendre les libertés locales comme acquis de la République.

La préservation de l’environnement et la réduction des inégalités territoriales appellent par conséquent un nouveau contrat entre collectivités territoriales, Etat et citoyens afin de définir démocratiquement des règles contraignantes pour limiter l’artificialisation des sols et sauver la biodiversité de son effondrement. Sans cela, l’aménagement du territoire restera une réalité anarchique, davantage motivée par la concurrence fiscale et l’appât du gain de certain d’élus dont les intérêts convergent avec ceux du CAC 40.

LA RÉDUCTION DES INÉGALITÉS TERRITORIALES APPELLE PAR CONSÉQUENT UN NOUVEAU CONTRAT ENTRE COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, ETAT ET CITOYENS.

Références

Chloé Ridel, Ma solution pour la France : le jugement majoritaire, L’Obs, 19/03/2019

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Retrouver la voix du peuple : le tirage au sort, un outil démocratique adéquat ?

La Cité

Retrouver la voix du peuple : le tirage au sort, un outil démocratique adéquat ?

Par Ella Michelleti. À l’heure où la confiance se réduit comme peau de chagrin, où le fossé des inégalités s’élargit au point de causer des fractures brutales au sein de la communauté nationale, l’urgence pour le peuple est de se réapproprier un espace dans le champ politique et décisionnel. Plusieurs outils peuvent être mis en oeuvre, y compris celui du tirage au sort, afin de favoriser une meilleure participation et une meilleure représentativité des citoyens. Mais renforcer l’engagement des Français en utilisant le hasard est-il pertinent ? 
Une défiance politique généralisée

Comme le vote, le tirage au sort en politique est un moyen de désigner des citoyens pour occuper une fonction (législative, exécutive, judiciaire…) pour une durée et des missions déterminées. Le vecteur « hasard » est donné en maître, si bien qu’il impose, de facto, une dépersonnalisation de la politique. L’idée qui sur- git parfois dans les médias est celle d’une assemblée ou d’une partie de celle-ci qui serait tirée au sort. En France, en 2016, Arnaud Montebourg proposait par exemple un tirage au sort de cent citoyens pour siéger au Sénat pour « reconstruire la confiance détruite ». En effet, la crise de la démocratie représentative est on ne peut plus éclatante depuis quelques années. D’après le baromètre de la confiance politique du CEVIPOF publié en janvier 2019 et qui analyse le point de vue des Français sur la décennie 2009-2019 : « L’état d’esprit sombre qui caractérise la décennie passée entache aussi le rapport à la politique. Ce rapport est fait d’intérêt pour la politique mais surtout de méfiance et de dégoût […] Les responsables politiques, de gauche comme de droite, sont perçus comme indifférents, éloignés et corrompus. » Plusieurs chiffres attirent l’attention dans ce baromètre : 79 % des sondés émettent une opinion négative envers le monde politique, 85 % estiment que les responsables politiques ne se préoccupent pas d’eux et 74 % perçoivent le personnel politique comme corrompu.

En 2018, la crise des Gilets jaunes est venue confirmer avec fracas cette fracture entre ceux qui ont la main sur les affaires publiques et ceux qui sont contraints de rester dans une posture passive, entre l’élite au pouvoir et le peuple exclu du champ décisionnel. Or, comme l’affirmait justement Saint-Just : « Si vous voulez la république, attachez-vous au peuple et ne faites rien que pour lui. » Un constat qui a poussé le géographe Christophe Guilluy à déclarer dans la Revue des Deux Mondes : « Notre modèle de société n’est plus viable ». La crise actuelle, révélée de façon éclatante à partir de l’Acte I du 17 novembre 2018, s’inscrit d’ailleurs dans une tradition plus large de contestation de la démocratie représentative, dans la droite ligne de l’héritage des Sans-culottes.

EN 2018, LA CRISE DES GILETS JAUNES EST VENUE CONFIRMER LA FRACTURE ENTRE L’ÉLITE AU POUVOIR ET LE PEUPLE EXCLU DU CHAMP DÉCISIONNEL.

À ce titre, le politologue Gérard Grunberg cite le discours de Robespierre du 29 juillet 1792 : « La source de tous nos maux […] c’est l’indépendance absolue où les représentants se sont mis eux-mêmes à l’égard de la nation sans l’avoir consultée […] Ils n’étaient, de leur aveu même, que les mandataires du peuple et ils se sont faits souverains. »

Il n’existe pas une seule et bonne solution pour résoudre cette crise de la démocratie représentative. Ce qui ressort, pour les Gilets jaunes aujourd’hui comme pour les Sans-culottes hier, c’est une volonté de représenter le peuple entier. Dès lors, plusieurs outils peuvent assurer une prise de parole concrète des citoyens. Le tirage au sort en est un.

Aux origines du tirage au sort

L’histoire du tirage du sort se confond en partie avec celle de la démocratie athénienne. L’hypothèse, soutenue par l’historien Fustel de Coulanges, d’un outil qui serait une « révélation de la volonté divine » , a primé un certain temps. Initialement, le tirage au sort n’avait pas pour but de donner des chances égales aux citoyens athéniens éclairés et libres, mais de s’en remettre aux dieux pour décider du choix des plus aptes à exercer la chose publique. Cette conception « religieuse » a été remise en cause à partir du Xe siècle à Athènes comme à Rome. Comme le relèvent le politiste Yves Sintomer et l’historienne Liliane Lopez-Rabatel, « selon Aristote, ‘‘la voie du sort pour la désignation des magistrats est une institution démocra- tique. Le principe de l’élection, au contraire, est oligarchique’’ ».

En outre, rappelons que seuls 15 % (entre 40 000 et 45 000) des 300 000 Athéniens jouissaient d’un statut de citoyen. Étaient exclus les esclaves, les étrangers (barbares) et les femmes. Le dispositif de tirage au sort pour les magistrats (archontes), le tribunal populaire (l’hélié) et le Conseil (la boulê) qui préparaient les lois votées à l’Assemblée (l’ecclésia) se faisait à une échelle quantitative restreinte. En revanche, au Vème siècle, afin respecter l’égalité des citoyens, les membres de la boulê changeaient tous les mois.

Depuis, et bien que des expériences aient été observées notamment dans les républiques italiennes de la fin du Moyen Âge, aucun pays dans le monde n’a mis en place un système intégralement stochocratique au niveau national. Pour autant, le tirage au sort est régulièrement utilisé par des partis politiques afin de donner une place à la parole des citoyens et légitimer leurs actions et propositions. Jean-Luc Mélenchon en a usé en 2017 lors de la Convention de la France insoumise, à la condition que cette dernière soit paritaire. À l’étranger, on se souvient également de l’expérience de l’Islande qui, en 2009, alors que le pays était traversé par une crise majeure, avait permis à mille personnes d’être tirées au sort « pour dégager les valeurs sur lesquelles devrait se refonder le pays ». Cinq ans plus tard, ce pays avait aussi utilisé le tirage au sort pour que soixante-six citoyens islandais travaillent avec trente-trois responsables politiques sur la question du mariage homosexuel.

Un procédé qui n’est pas exempt de critiques

En France, les arguments de ceux qui soutiennent ce procédé sont multiples. Tout d’abord – et c’est l’un des buts mis en exergue pour soutenir le tirage au sort –, il permettrait une meilleure représentativité de la société française. L’argument semble évident quand on se penche sur la constitution de l’Assemblée nationale élue en 2017. Si on note une augmentation du nombre de jeunes et aussi de femmes députées (244 contre 155 en 2012), il s’agit toujours de profils aisés. Près de 70 % des élus LREM sont issus des classes supérieures. Les ouvriers ne passent quasiment jamais la porte de l’hémicycle alors qu’ils représentent 19,6 % de l’emploi total selon l’INSEE en 2019. Par ailleurs, il contribuerait à « déprofessionnaliser » la politique et à freiner les « carrières » au profit d’investissements désintéressés. Souvent taxée de concept abstrait, l’égalité des chances retrouverait une certaine épaisseur puisque personne n’aurait ni plus ni moins de chances qu’un autre d’accéder à l’hémicycle.

Cependant, le principe même du tirage au sort sans conditions porte en germe plusieurs interrogations : quelle place pour les compétences des tirés au sort ? Quid d’une potentielle responsabilité ? Enfin, comment l’articuler à une vie démocratique reposant sur la confrontation entre des cultures politiques distinctes ?

En premier lieu, la tendance générale à la complexification de la loi entrave son accessibilité et sa compréhension par les citoyens. La faible intensité démocratique de nos sociétés conduit à généraliser l’expertise et la technocratie : il serait difficile d’imaginer que les tirés au sort ne produisent autre chose que des évolutions cosmétiques sans une profonde remise à plat de la fabrique de la loi. La Convention citoyenne sur le climat est, à cet égard, symptomatique, d’un processus où, malgré la présence des tirés au sort, l’initiative reste entre les mains de la haute bureaucratie établie. Par ailleurs, comme le rappelle Dimitri Courant, le tirage au sort peut également être un procédé utilisé par les responsables politiques pour distinguer les bonnes des mauvaises pratiques politiques. Entre d’un côté, une démocratie directe policée, se déroulant dans un cadre choisi par le pouvoir en place, et de l’autre une démocratie sauvage faite de manifestations intempestives.

On peut également s’interroger sur la figure même du tiré au sort. Ce dernier est-il un politique comme les autres ? Contrairement aux politiques de carrière, il ne serait pas rodé à l’exercice grisant du pouvoir, celui qui donne envie d’en avoir toujours plus. Mais ce raisonnement a ses limites. Être un citoyen dit « ordinaire » ne garantit pas d’être imperméable aux chants des sirènes.

LE TIRAGE AU SORT PEUT AUSSI ÊTRE UTILISÉ PAR LES RESPONSABLES POLITIQUES POUR DISTINGUER LES BONNES DES MAUVAISES PRATIQUES POLITIQUES.

Bien entendu, on ne saurait nier que les élites au pouvoir depuis des décennies apparaissent comme plus corruptibles (et davantage corrompues) car elles ont tout intérêt à maintenir un système à leur avantage.

Les citoyens tirés au sort, de leur côté, partiraient donc avec un quotient de « corruptibilité » bien moindre voire nul. Cela ne présage néanmoins en rien qu’ils restent insensibles. Sans aller jus- qu’à faire nôtres les propos de Kant, pour qui « la possession du pouvoir corrompt inévitablement la raison », on ne peut pas plus faire preuve de crédulité. Jérôme Barthélémy, professeur à l’ESSEC, rappelle, en s’appuyant sur plusieurs expériences scientifiques, que le pouvoir tend à changer tout homme qui en possède et que plus l’individu possède du pouvoir, moins il fait attention aux autres. Cela ne remet pas en cause le bien-fondé potentiel du tirage au sort mais contribue néanmoins à nuancer le schéma manichéen qu’on retrouve dans l’opinion publique : des responsables politiques voués à la voracité du pouvoir face à des citoyens « ordinaires » dont l’intégrité serait irréprochable.

Le tirage au sort pourrait par ailleurs renforcer l’esprit de consensus et entrer en contradiction avec une démocratie dont l’activité est rythmée par la confrontation entre des cultures politiques (socialisme, conservatisme, libéralisme etc…) produisant des représentations de la vie humaine largement distinctes. Le risque est grand également de voir ce procédé participer d’une délégitimation des corps intermédiaires (partis politiques, syndicats, associations etc.) déjà réduits à peau de chagrin.

Le tirage au sort n’a donc rien d’une solution miracle ; il nécessite un travail poussé, en amont, sur la question des compétences, de la responsabilité, et sur la propre volonté des citoyens vis-à-vis de l’engagement. Mais rien n’empêcherait de le combiner avec d’autres modes d’action. Il y a notamment beaucoup à faire du côté de la culture référendaire. Les élites politiques mondialisées en usent avec parcimonie car elles craignent tout simplement les électeurs et des résultats qui leur infligeraient un revers politique (cf. référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen). La vie politique française tend à tourner en vase clos autour des seules élections présidentielles (la faute au fonctionnement de la Ve République depuis la réforme du quinquennat mais pas seulement) alors que, sur bien des sujets (l’organisation des pouvoirs publics, le programme économique, social et environnemental, la ratification des traités), l’opinion des électeurs pourrait être demandée. De même, l’usage du terme « populisme », dégainé automatiquement pour invalider désormais toute revendication populaire marquée, conduit à se montrer trop frileux sur les demandes de « ceux d’en bas ». Le référendum embarrasse les dirigeants, les met face à leurs contradictions. Dans une interview à Marianne, Raul Magni Berton, professeur de science politique à Sciences Po Grenoble plaide pour un RIC à la Suisse. Selon lui, « le modèle suisse est le plus pur car il en- globe tous les sujets en permettant une révision constitutionnelle ». Puis, il ajoute que le RIC a, d’après une étude, « le même effet que d’amener à un diplôme les personnes ayant arrêté l’école à la fin de la scolarité obligatoire » et qu’il augmente « considérablement la connaissance politique » parmi la population. C’est aussi pour ces raisons qu’il faut œuvrer à sa concrétisation. La démocratie représentative, insuffisante pour assurer une digne mise en valeur de la parole du peuple, en a grandement besoin.

Ainsi, que cela soit par tirage au sort, RIC, élections ou manifestations, le but reste le même : le bien commun. Une réelle émancipation collective et un véritable coup d’accélérateur afin de promouvoir une République sociale ne peuvent passer que par l’articulation de tous ces outils. La reprise en main de son destin par le peuple en dépend.

Références

Sciences Po, CEVIPOF, Baromètre de la confiance politique.
Christophe Guilluy : « Notre modèle de société n’est plus viable », La Revue des Deux Mondes, Valérie Toranian, 25 mars 2019, https://www.revuedesdeuxmondes.fr/christophe-guilluy-notre-modele-de-societe-nest-plus-viable/
 N.-D.

Fustel de Coulanges, La Cité antique, Paris, Champ classiques, 2009, livre III, chapitre X, p. 256.
López-Rabatel, L. & Sintomer, Y. (2019), « Introduction. L’histoire du tirage au sort en politique : instruments, pratiques, théories » Participations », Hors-série (HS). https://doi.org/10.3917/parti.hs01.0009

Harivel, M., « Le tirage au sort dans la République de Venise », Mélanges de la Casa de Velázquez [En ligne], http://journals.openedition.org/mcv/11720 ; DOI : https://doi.org/10.4000/mcv.11720

Yves Sintomer, « Tirage au sort et démocratie délibérative, une piste pour renouveler la politique au XXIe siècle ? », La Vie des idées, 5 juin 2012.

Dimitri Courant, Yves Sintomer (dir.) (2019), « Le tirage au sort au XXIe siècle », dossier spécial, Participations, vol. 23, n°1.
Jérôme Barthélémy, quels sont les effets du pouvoir sur les gens ?, Xerfi Canal, 4 janvier 2016

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