Le républicanisme est-il une alternative au néolibéralisme ? Quelques considérations depuis l’Espagne

Le Retour de la question stratégique

Le républicanisme est-il une alternative au néolibéralisme ? Quelques considérations depuis l’Espagne

L’histoire républicaine se lie des deux côtés des Pyrénées à celle de la gauche, dans toutes ses composantes, socialiste, communiste, libertaire, dont chacun constitue à sa manière de rêver d’une République en rupture avec l’ordre néolibéral dominant, ou régnerait la démocratie directe et la justice sociale. Rôle de l’Etat, besoin ou non de centralisation ou de fédéralisme : les débats internes au républicanisme se ressemblent de l’autre côté des Pyrénées. Et si un regard vers une histoire républicaine étrangère mais si proche, nous permettait de mieux comprendre et percevoir l’histoire et l’identité de notre République ?

Barcelone, Image par Walkerssk de Pixabay
Le grand arbre du républicanisme ne contient pas seulement des branches à sève populaire
Le républicanisme est issu d’une longue tradition intellectuelle qui naît en Grèce antique. La République, telle qu’elle est définie par Aristote, est une forme d’organisation de la société destinée à réaliser l’intérêt général et le bien commun. Elle est l’antinomie du despotisme, par le fait qu’elle soit régie par les lois, qui s’appliquent de la même manière sur tous les citoyens à travers le principe d’isonomie. Tous les citoyens, quelle que soit leur condition so­ciale, sont, en République, égaux devant la loi. La vision de la République d’Aristote, aujourd’hui reprise par les républicains conservateurs, pose de sérieuses difficultés : tout d’abord, elle ignore superbement la question de la répartition des richesses, or, il est aujourd’hui communément admis que les citoyens ne sont pas également protégés par la justice en fonction de leur classe sociale. A fortiori, elle autorise le transfert complet de souveraineté à une élite aristocratique, pourvue que celle-ci œuvre pour l’intérêt général et le respect des lois. Ainsi, la République théorisée par Aristote se fonde sur une vision idéaliste, pour ne pas dire naïve, de la société. Comme l’a souligné Platon dans la République, pourtant défenseur du gouvernement « des meilleurs », le devenir d’une aristocratie qui se laisse happer par les plaisirs du confort marchand en temps de paix rime inévitablement avec une corruption de l’oligarchie, destructrice pour la société. Comme l’a souligné Rousseau, il est difficilement possible pour un Etat qui se voit confier les pleins pouvoirs pour protéger les droits des citoyens, en édifiant un Léviathan, de ne déboucher sur autre chose qu’une tyrannie. En opposition au risque despotique inhérent à la République de Hobbes, Rousseau, à travers sa théorie du contrat social, pose les bases d’un idéal républicain-démocratique, fondé sur le pouvoir du peuple, dans lequel s’incarnent les espoirs et les rêves du camp progressiste depuis lors. Cette contradiction entre un républicanisme démocratique populaire, et un républicanisme élitiste et conservateur se retrouve encore aujourd’hui. La tentative des républicains progressistes, en premier lieu Rousseau, est de la dépasser en créant une République fondée sur la volonté générale, où la souveraineté serait transmise au peuple, sans que l’Etat et ses élites ne disparaissent. Le premier républicanisme aspire prioritairement à l’ordre, et est fondamentalement lié à l’État. Il s’incarne particulièrement dans la Ve République française, mais aussi dans les débuts de la IIIe République, et même la République fédérale des États-Unis d’Amérique. Sa référence cardinale reste la République romaine, caractérisée par une forte verticalité, une concentration et centralisation des pouvoirs assumées et théorisées, bien que nuancées par le système de la balance des pouvoirs issue de la pensée de Montesquieu. Ses dérives les plus caricaturales se trouvent en France, dans une aristocratie républicaine vieillissante, fruit pourri de la Ve République, mais aussi en Espagne incarnée dans une non moins ridicule institution monarchique issue de la Constitution post franquiste de 1978. Du point de vue de la philosophie classique, il n’est pas erroné d’associer une monarchie à un régime républicain. Rousseau affirmait lui-même qu’une monarchie pouvait être républicaine, pourvue qu’elle fût organisée par les lois et pour l’intérêt général. Dans le cas de l’Espagne, le monarque est garant de la stabilité du pays et ratifie les lois, pour cette raison, la rachitique frange cultivée de la droite espagnole se revendique d’une certaine forme d’idée républicaine qu’elle voit mieux incarnée par le régime monarchique. Dans un discours face au Roi Felipe VI, la très conservatrice députée du Parti Populaire (PP) Cayetana Alvarez de Toledo a qualifié les opposants au trône de « faux républicains ». Le républicanisme conservateur s’accommode ainsi de l’existence d’un roi, ce qui revient à accepter implicitement l’inégalité des citoyens devant la Loi. Il expurge ainsi la République de son contenu démocratique pour une vision de l’intérêt général qui ne renvoie à rien autre, selon la droite, qu’à la préservation de l’ordre existant, néolibéral de surcroit. Le second est un républicanisme démocratique et populaire défendu en France par les jacobins, dans la lignée de Rousseau, aux Etats Unis par les républi­cains démocrates dirigés par Jefferson et Madison, proclamés citoyens français par l’Assemblée législative de 1792. En Espagne, la quasi-intégralité du mouvement républicain s’inscrit également dans cette lignée. Avec pour objectif la participation démocratique du peuple à travers des institutions municipales et législatives, et pour modèle la République athénienne… En France, la Révolution a opposé une République fondée sur la participation populaire à travers des clubs à un régime dont l’objectif d’ordre serait inchangé, qu’il fût républicain ou monarchiste. Cette opposition a été caricaturée dans l’historiographie officielle et révisionniste par la lutte entre Jacobins centralisateur et étatistes, et Girondins dont les prétendues valeurs démocratiques et décentralisatrices sont vantées par la doxa intellectuelle dominante, de Emmanuel Macron à Michel Onfray, dans l’unique but de décrédibiliser un camp, celui du Jacobinisme. S’il est vrai que les Jacobins constituaient un mouvement composite et hétérogène, où cohabitaient des visions différentes du niveau de centralisation du pouvoir, le véritable fondateur du centralisme français ne fût pas Robespierre et son Comité de Salut public, mais bien l’Empire autoritaire de Napoléon Bonaparte, digne successeur de la Monarchie absolue Louis-quatorzienne. Malheureusement, le malentendu associant Jacobinisme avec centralisation à outrance s’est généralisé, jusqu’à traverser les Pyrénées : en Espagne, le Jacobinisme est considéré comme une forme d’insulte politique, la centralisation politique ne faisant pas recette chez une gauche qui s’arqueboute sur le système des Communautés Autonomes. Cependant, le républicanisme espagnol, profondément ancré à gauche, défend majoritairement une approche du pouvoir décentralisée, qui semble connaitre une nouvelle jeunesse, au moment où la famille monarchique à la tête du pays est fragilisée par des scandales de corruption, et où la gauche semble enfin avoir fait sa mue intellectuelle en se réappropriant l’idée de peuple. Longtemps moribonde et confinée à des cercles politiques minoritaires et radicaux, l’idée républicaine semble, à la suite de deux grandes entrées du peuple dans l’histoire : le mouvement des indignés (2011) et du conflit poli- tique catalan (2017), avoir fait une réapparition spectaculaire.
Le républicanisme espagnol contemporain s’inscrit davantage dans une perspective libertaire.
Mouvement indépendantiste catalan, affaiblissement de la monarchie, gauche au pouvoir : un nouveau moment républicain en Espagne ?
En Catalogne, le retour de la tradition révolution- naire républicaine, à travers le mouvement indépendantiste, a permis d’étendre le débat au reste du pays. Ainsi, la proposition républicaine est énergiquement portée par l’ex vice-président Pablo Iglesias, qui, par son action, a donné de nouveaux contours au socialisme républicain. La résurrection de l’idée républicaine en Catalogne ne saurait nous surprendre : plusieurs sondages montrent que le mouvement républicain espagnol est profondément ancré dans les régions périphériques (Catalogne, Pays basque) où plus de 80 % de la population est hostile à la monarchie. Comment l’expliquer ? Le mouvement catalan semble s’inscrire dans l’essence du républicanisme ibérique : la mobilisation populaire. De l’autre côté des Pyrénées, depuis la fin du XIXe siècle, la République a toujours été envisagée comme une tentative de relocalisation de la démocratie avec un idéal fortement municipaliste et fédéraliste, succombant parfois aux tentations libertaires. Porté par les périphéries contre le centre, son aspiration fondamentale est de mettre en échec l’État espagnol pour consacrer un nouveau régime politique de nature fédérale voire confédérale. Le mouvement républicain se glisse dans les inter- stices des mouvements anti-libéraux et décentrali- sateurs présents sur l’ensemble du territoire espagnol, de l’Andalousie en passant par la Galice et le Pays basque voire par l’arc méditerranéen : les sondages montrent que le soutien républicain est plus fort dans ces espaces géographiques qui voient dans les élites madrilènes un symbole du tournant néolibéral du pouvoir central. L’objectif est toujours le même sur tout le territoire espagnol : l’instauration de mécanismes de démocratie directe, favorisant le développement d’un pouvoir qui soit véritablement populaire et qui permette d’établir des institutions politiques stables sur un territoire plus petit à travers la création de communes ou de régions disposant d’une souveraineté dans les domaines législatifs, fiscaux et économiques. Le mouvement souverainiste catalan, s’est ainsi réapproprié les codes du sentiment républicain espagnol : ses principes sont l’instauration d’une démocratie directe, d’une assemblée constituante et d’une plus grande autonomie fiscale. La voie réformiste a été rapidement abandonnée au profit d’une voie indépendantiste radicale, à la suite du refus d’un statut d’autonomie de la Catalogne par le pou- voir législatif central en 2006 et par le pouvoir judiciaire en 2010. A fortiori, le mouvement catalan s’est réapproprié un discours de lutte contre le néolibéralisme, axé à gauche, au moment où l’Etat espagnol, gouverné par la droite, s’acharnait à appliquer les coupes budgétaires ordonnées par la Troïka. Néanmoins, le sentiment indépendantiste n’a pas seulement percé du fait du rejet du néolibéralisme, mais également du fait des énormes mobilisations populaires qui ont précédé et suivi le référendum du 1er octobre 2017. Le mouvement républicain catalan est riche d’une société civile extrêmement mobilisée autour d’organisations de référence : l’Assemblée nationale catalane et Omnium, des entités qui ont réalisé une immense campagne mettant en avant la République comme moyen de défendre les droits sociaux. La tentative de processus constituant en Catalogne s’est aussi manifestée par une politisation et par la création d’organisations populaires de masse, ayant permis de mobiliser des secteurs sociaux éloignés de la politique. De paisibles retraités se sont ainsi transformés en activistes menant des actions audacieuses de désobéissance civile telles que les blocages des routes, les occupations de collèges électoraux et les grèves. À l’instar des gilets jaunes, la répression policière contre ce mouvement s’est déchaînée avec une rare intensité dans une société démocratique. À travers le mouvement catalan, l’histoire d’un républicanisme d’inspiration populaire et opposé à l’Etat central ressort. Celle-ci commence dès le début du XIXe siècle.
L’idée d’un républicanisme socialiste commence réellement à émerger dès 1855.
Un Républicanisme qui s’enracine dans la lutte contre l’État monarchique
Ainsi la perspective républicaine est donc imprégnée d’une conception de la société profondément égalitaire, opposée à l’ordre aristocratique de l’Ancien Régime. En Espagne, les classes dominantes, caractérisées par leur religiosité et leur adhésion au patriarcat, sont le fruit d’une alliance entre l’aristocratie et la bourgeoisie conservatrice sur laquelle s’est refondée le capitalisme, notamment après le retour à une monarchie autoritaire à la suite des échecs des divers soulèvements libéraux qui ont émaillés le XIXe siècle. Particulièrement réactionnaire, La monarchie espagnole s’était construite à partir de la centralisation du pouvoir au sein de l’Etat et sur la réduction des pouvoirs des bourgeoisies urbaines, notamment à travers l’élimination progressive des « fueros », des formes de parlements locaux, qui décidaient pour leur ville, de la levée de l’impôt. Cependant, la monarchie s’est trouvée fragilisée à la suite de l’invasion française du pays, ayant débouché en 1812 sur une guerre d’indépendance, consécutive à un effondrement de l’État, ainsi qu’à la fuite du roi. La guerre de libération nationale qui s’en est suivie a donc été livrée par le peuple qui partage, à ce moment précis, les aspirations progressistes et libérales de la bourgeoisie de l’époque. Celle-ci s’est organisée en 1812 autour d’une constitution libérale, dite de Cadiz « la Pepa », censée préparer le retour du roi dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle, similaire à celle de 1791. Conscient des dynamiques à l’oeuvre lors de la Révolution française 20 ans plus tôt, le très conservateur roi Fernando VII a bloqué toute tentative de réforme avant de déchainer la répression contre les réformistes et les rédacteurs de la Pepa, qui acquièrent, dès lors, la conviction qu’un changement ne peut advenir que par l’insurrection. Le XIXème siècle espagnol est ainsi le théâtre d’un affrontement entre libéraux exaltés, essentiellement composés de militaires révolutionnaires, dont certains prennent pour exemple un rêve républicain inspiré de la confédéra­tion helvétique et des États-Unis. Ainsi, une nouvelle révolution éclate en 1820 et débouche sur trois années de libéralisation de la monarchie avant un retour au conservatisme. Les libéraux retentent un coup de force en 1831 sous la houlette du politicien Torrijos, dont l’exécution, à la suite de son échec, a été immortalisée par le peintre Antonio Gisbert Perez. L’incapacité de l’élite conser- vatrice à moderniser le pays, mais aussi l’apparition de la classe ouvrière comme force politique, poussent certains libéraux à se radicaliser sur la gauche, et à considérer l’option républicaine. C’est le cas notamment en Catalogne, région qui apparait comme le berceau du mouvement ouvrier espagnol et du républicanisme radical. En 1842, la révolte barcelonaise contre le traité de libre-échange avec l’Angleterre est écrasée par un bombardement de l’armée. Mais l’idée d’un républicanisme socialiste commence à émerger dès 1855, année de la première grève générale de l’histoire du pays, qui se concentre encore une fois en Catalogne. Un an auparavant, la monarchie espagnole avait été déstabilisée par une insurrection libérale, où s’est distingué un homme politique, en raison de la radicalité de ses propositions : le catalan Pi Margall. Juriste de formation, Pi Margall a théorisé dans la continuité de la révolution un système républicain radical, inspiré de la contractualisation rousseauiste et d’une critique radicale de la centralisation inspirée des théories proudhoniennes. Il plaide ainsi pour un retour des fueros, des assemblées législatives permettant aux villes de disposer de leurs propres constitutions afin de légiférer dans des domaines étendus. Tous les républicains de gauche en Espagne se réfèrent à cet homme et se revendiquent encore de sa personne : des indépendantistes catalans aux anarchistes. Son fédéralisme intégral est basé sur la mise en place de pactes de cogestion de la sphère économique, avec pour principaux objectifs, la réforme agraire, la libre association en coopérative et les cogestions ouvriers-patronat dans les grandes entreprises. Marx et Engels considéraient ainsi Pi Margall, en 1873, comme l’unique dirigeant socialiste d’Europe Occidentale : « Pi était de tous les républicains officiels, l’unique socialiste, l’unique qui comprenait la nécessité de ce que la République s’appuie sur les ouvriers ». Premier président de la République (1873), premier Président du parti républicain démocratique fédéral, l’action politique de Pi Margall s’inscrit ainsi dans le vaste mouvement politique républicain dont l’histoire commence à partir de la guerre d’indépendance espagnole (1812) contre la France napoléonienne.
1873 : le moment Républicain
La Révolution de 1868 a un rôle tout autre dans l’histoire de l’Espagne. Elle donne lieu à six années, communément appelées « el sexenio liberal », caractérisée par une grande libéralisation politique, et une instabilité sociale ayant fini par donner naissance en 1873 à la Première République espagnole. Empêtrée dans des scandales de corruption, incapable de satisfaire la demande sociale d’une ré- forme agraire, la maison des Bourbons et sa reine, Isabel II, finissent par chuter en 1868, en perdant même l’appui des conservateurs. Les secteurs mo- dérés de l’armée profitent du vide du pouvoir pour organiser un putsch de palais, destiné à instaurer un nouveau roi, Amadeo de Savoie, à la tête d’une monarchie constitutionnelle. Cependant, les libéraux modérés perdent rapidement l’appui social dont ils jouissaient initialement, du fait de leur manque d’entrain à réaliser une réforme agraire. Au contraire, ils finissent par consolider l’ordre conservateur en désarmant les milices municipales qui ont facilité le renversement du pouvoir, et en privatisant des terres communales au bénéfice de la bourgeoisie. La création d’une nouvelle classe latifundiaire, et l’incapacité à faire face à la crise de l’Empire colonial, mis à mal à Cuba par une guérilla nationaliste naissante, sapent les derniers soutiens du régime monarchique constitutionnel. Dans un contexte de grande instabilité politique, où se déchire le camp libéral-conservateur dans la Guerre Carliste, les républicains dits « exaltés » prennent le pouvoir en profitant d’une révolte contre le service militaire et les impôts indirects : le 11 février 1873, le roi Amadeo renonce au trône, la Ie République est proclamée. Elle ne dure pas un an.
L’échec de la République
L’analyse de l’échec de la Ie République soulève la problématique ancienne de la connexion entre la tête de l’État et le mouvement révolutionnaire. Cette dimension n’avait pas été ignorée par le premier président républicain d’Espagne, Pi Margall. Ainsi, son républicanisme n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de la Ie République française. La république est théorisée ici comme “la conséquence de la souveraineté du peuple”, Pi Margall ajoute cependant que celle-ci ne peut s’établir que par un mode confédéral, avec pour finalité de « diviser et subdiviser le pouvoir afin de le réduire progressivement ». On retrouve ici un rêve rousseauiste, difficilement applicable selon l’aveu même du philosophe, d’une démocratie radicale organisée dans des républiques cantonales. Cette ambition a été reprise par l’Américain Thomas Jefferson, qui écrivait « là où chaque homme prend part à la direction de la République de district, ou d’un niveau supérieur, et sent qu’il prend part au gouvernement des choses, pas seulement le jour des élections, chaque année, sinon chaque jour […] préféra se faire arracher le coeur du corps que de se faire confisquer le pouvoir par un Bonaparte ou un César », dans lequel Pi Margall voit un modèle à suivre. Malgré ces proclamations de bonnes intentions, la Ie République échoue, sans durer plus d’un an : les quatre présidents qui s’y succédent, en premier lieu Pi Margall et Figueres restent très légalistes : alors que la réforme agraire patine, les républicains souhaitent créer des milices pour accélérer les réformes et demandent le soutien d’un Comité de Salut Public. La faible réaction de l’État républicain face aux demandes populaires achève de le couper de sa base, qui se radicalise dans l’anarchisme en proclamant la pleine souveraineté municipale, la journée de huit heures et l’impôt progressif : la Révolution cantonale éclate en juillet 1873 par le soulèvement de plusieurs villes du pays, et leur organisation selon un système politique proche de celui mis en oeuvre par la Commune de Paris. Alors que les républicains se déchirent autour de la Révolution cantonale, la droite conservatrice se ré-organise et conspire avec les carlistes pour faire tomber la République, et préparer, avec les secteurs les plus réactionnaires de l’armée, le retour des Bourbons. Tétanisé par une base à laquelle il refuse de s’unir, Pi Margall démissionne, la Ie République débouche sur une dictature militaire qui finit par réprimer le cantonalisme andalou et valencien sans faire de même pour le carlisme. L’histoire de la Ie République s’achève ainsi tragiquement, par un coup d’État militaire en 1874, 62 ans avant le coup d’État fasciste qui a renversé la Seconde République, puis par une réinstauration des bourbons. La déception des milieux populaires vis-à-vis de l’État finît par alimenter l’anarchisme, particulièrement actif en Espagne jusqu’en 1939. Ainsi, le républicanisme espagnol s’est davantage nourri dans son histoire du fédéralisme américain et du cantonalisme suisse que de l’étatisme français, en raison de l’hostilité à une centralisation considérée comme un instrument authentique d’une monarchie conservatrice. Pour cette raison, le républicanisme espagnol semble s’ancrer davantage sur des territoires, voir des terroirs, avec une forte tradition de lutte démocratique et sociale, tels que le Pays basque, la Catalogne et la Galice, que dans une capitale regroupant la tête des institutions de l’État : l’intérêt que suscite le confédéralisme démocratique en Espagne en est un symptôme révélateur.
Rousseau, à travers sa théorie du Contrat social, pose les bases d’un idéal républicain-démocratique.
Quelle leçon tirer de l’expérience républicaine en Espagne ?
Le républicanisme espagnol prend le risque d’ignorer l’importance de l’État-nation dans la construction de la démocratie. La difficulté de Podemos à prendre position pour l’unité nationale après la tentative d’indépendance catalane s’explique par cette difficulté, très ibérique, à concevoir l’État autrement que comme un instrument d’oppression. Par conséquent, et à la différence du républicanisme français, le républicanisme espagnol contemporain s’inscrit davantage dans une perspective libertaire : à son commencement même, comme le signale Xavier Domenech dans son ouvrage fleuve Un haz de naciones, le républicanisme est théorisé en Espagne comme un moyen de promouvoir le pouvoir des périphéries face au centre : Pi Margall, premier président de la Ie République, premier théoricien de républicanisme en Espagne et dirigeant politique de premier plan, d’origine catalane, tente en 1873 de structurer un bloc politique sensible à la permanence des institutions démocratiques locales. Il anticipe ainsi la généralité de Catalogne et la communauté autonome basque, institutions d’inspirations républicaines, disposant pour la seconde d’une autonomie financière totale et d’une autonomie fiscale très avancée. Son gouvernement perçoit lui-même l’impôt et un pourcentage négocié avec le gouvernement central est versé à l’État espagnol. Ainsi, l’on comprend rapidement pourquoi le Républicanisme parvient à s’articuler davantage en Espagne qu’en France avec les revendications des nouveaux mouvements sociaux : démocratie directe, contrôle de la vie politique par les citoyens et respect des identités régionales. La République s’inscrit dans une longue lignée de résistances citoyennes contre un Etat central monarchiste, elle est aujourd’hui aisément revendiquée par les nouveaux mouvements sociaux, tels que le féminisme, puissant en Espagne, qui a toujours considéré le républicanisme comme un levier d’émancipation contre une monarchie foncièrement patriarcale : « les tyrans de toutes espèces, des rois aux maris agissent de la même manière ». Mais ce républicanisme d’inspiration libertaire peine cependant à porter un projet d’Etat, qui lui est pourtant indissociable, comme l’a magistralement souligné Rousseau : « Cette personne publique qui se forme par l’union de toutes les autres prenait autrefois le nom de Cité, prend maintenant le nom de République, lequel est appelé Etat quand il est passif, Souverain quand il est actif » (Du Contrat Social). L’échec du mouvement socialiste ibérique, et le triomphe du fascisme catholique de Franco dans la Péninsule dans les années 1930, sont responsables d’un retard économique et social qui n’est pas sans rapport avec la séculaire hostilité larvée du mouvement social espagnol envers l’Etat, duquel les ouvriers, maintes fois réprimés par lui, n’attendaient plus rien. Un cercle vicieux se dessine : l’État, rejeté par les ouvriers, est confisqué par le camp conservateur qui ne fait qu’accroître son caractère anti-populaire, et par conséquent, l’hostilité de la classe ouvrière à son encontre. A la différence de la situation espagnole, l’idée républicaine souffre, en France, d’être associée à un pouvoir d’Etat qui démontre chaque jour un nouveau degré de violence et d’incompétence. Odieusement récupérée par des politiciens de la pire espèce, notamment pour affubler leurs sinistres organisations, la République peine à se détacher en tant qu’idée du pouvoir de l’Etat et des classes dominantes. Pourtant, originellement, elle incarnait la volonté d’auto-organisation et d’émancipation du peuple. Pour cette raison, le détour par un républicanisme qui n’a pas été souillé par de trop longues années de pouvoir au service de néolibéralisme ne saurait être que revigorante pour ceux qui plaident pour la réarticulation de l’idée républicaine avec les revendications démocratiques du temps présent. Le désordre actuel, la multiplication de mouvements sociaux parfois déroutant et la revendication d’une plus grande participation citoyenne cachent en vérité la volonté de construire un nouvel ordre sur les ruines de l’ancien fraichement abattu, et cette fois fondé sur la justice. Souhaitons ainsi, que des ruines de la monarchie républicaine, puisse naitre une véritable république participative, démocratique et sociale.
En Catalogne, le retour de la tradition révolutionnaire républicaine a permis d’étendre le débat au reste du pays.

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Madrid : une campagne électorale délétère

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Madrid : une campagne électorale délétère

Par Rafael Karoubi Menaces de mort, banalisation de l’extrême droite, violence de rue, escalade verbale sur les réseaux sociaux… le climat de tension de la campagne électorale madrilène témoigne d’une polarisation grandissante des sociétés démocratiques ébranlées par la Covid et en voie d’implosion. Retour sur une expérience politique qui n’aurait jamais dû voir le jour. Achevée par une victoire de la droite, cette campagne est aussi symptomatique des erreurs d’une gauche qui s’est trop focalisée sur une rhétorique antifasciste peu porteuse.

Organisé par la radio ONDACERO le 23 avril 2021, le débat de la campagne électorale pour le parlement régional madrilène aurait pu être l’occasion d’un échange argumenté d’idées pour un vote crucial, la région de Madrid, première économie d’Espagne, étant compétente sur deux domaines larges, notamment ceux des politiques de santé et de la gestion des hôpitaux… Il n’en fut rien. À peine commencé, il tourna court après une altercation entre le candidat de Unidas Podemos (UP) Pablo Iglesias, et la représentante du parti d’extrême droite Vox, Rocio Monasterio, au sujet de lettres de menaces de mort accompagnées de balle de fusil adressé au propre Iglesias et à des ministres de gauche.

Pour comprendre comment la politique espagnole a pu arriver à de telles extrémités, il est nécessaire de revenir au commencement d’une campagne électorale sale, pour ne pas dire abjecte, qui s’est déroulée à partir du plus fort de la pandémie, comme une tragédie en plusieurs actes, avec pour commencement la radicalisation de la droite.

Acte 1 : une droite hors de contrôle

Depuis le 10 novembre 2019, la victoire du parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) emmené par Pedro Sanchez aux élections, et la mise en place d’un gouvernement de coalition avec UP, les trois partis politiques de droite, les conservateurs du parti populaire (PP), les libéraux de Ciudadanos et l’extrême droite (Vox) ne cessent de remettre en cause la légitimité du pouvoir, du fait de la présence en son sein de ministre dits « communistes », c’est-à-dire appartenant aux parties de Pablo Iglesias, et du soutien parlementaire apporté par la gauche indépendantiste à la nouvelle équipe. Ces accusations scandaleuses en légitimité contre un gouvernement démocratiquement élu se sont répétées lors de la crise du coronavirus, à l’initiative de Vox.

De l’autre côté des Pyrénées, aucun moment d’unité nationale derrière le gouvernement pour affronter une crise historique ne put avoir lieu. À peine un mois et demi après le début du confinement, Vox envoya ses soutiens, mélange hétéroclite entre une grande bourgeoisie conservatrice, une petite bourgeoisie commerçante précarisée et les traditionnels matons néofascistes, défiler en voiture (!) contre les mesures sanitaires. Le 23 mai 2020, 6000 véhicules inondèrent les principales artères de Madrid de drapeaux espagnols et d’une grande quantité de pollution. Mais le plus grotesque vînt indéniablement deux semaines auparavant, dans le quartier Salamanque, sorte de 16e arrondissement madrilène, dont les habitants bravèrent le confinement pour manifester contre le confinement, la présence de UP dans le gouvernement et contre ce qu’ils appellent la « dictature communiste » mise en place par Pedro Sanchez et sa Ministre de l’Économie, Nadia Calvino, économiste issue de la Commission européenne. Toujours avec Vox à la manoeuvre, ces manifestations témoignent de la rupture profonde entre la frange la plus réactionnaire de la bourgeoisie espagnole et le gouvernement de gauche. S’ensuivit une escalade haineuse et dangereuse : pendant deux mois, des manifestants ont harcelé quotidiennement la famille de Pablo Iglesias, à l’entrée de son domicile, malgré un important dispositif policier de protection.

Mais une telle dérive n’aurait été possible sans la complaisance, même le soutien, des partis de droite traditionnels, PP et Ciudadanos, envers le discours fascisant du parti. Avant même que la formation d’extrême droite n’eut été représentée au parlement, leurs leaders respectifs, Pablo Casado et Albert Rivera, s’unirent dans des poses viriles à Santiago Abascal, président de Vox, à l’occasion d’une photo lourde de sens, prise après une manifestation organisée communément à Madrid, Place Colon, par les trois partis pour protester contre le gouvernement de Pedro Sanchez, le 10 février 2019. Deux mois auparavant, en décembre 2018, ces mêmes partis ont blanchis l’extrémisme de droite en associant un gouvernement régional de coalition en Andalousie.

Cependant, confronté à deux échecs aux élections générales et à une chute vertigineuse dans les sondages, Pablo Casado finit par sentir le risque que l’extrême droite lui dérobât le contrôle du camp conservateur espagnol. Dans un discours qui l’honore, il condamna fermement l’extrême droite au moment où celle-ci venait de déposer une motion de censure contre le gouvernement de gauche alors que commençait la deuxième vague de l’épidémie… En outre, confronté à des résultats électoraux désastreux à la suite de la funeste « photo de Colon », notamment dans son berceau électoral de Catalogne, Ciudadanos finit par prendre ses distances avec Vox en rompant début 2021 un accord électoral passé un an plus tôt dans la ville de Murcie, pour soutenir une liste dirigée par le parti socialiste. Mais les partis de droite dits « démocratiques » ne se remirent jamais de leur péché originel que furent leur premier accord électoral avec l’extrême droite en 2018 : banalisée, adoubée par des partis conventionnels, celle-ci ne tardait pas à exercer une influence grandissante sur la droite du PP, elle aussi attirée par le succès de certaines formules de droite radicale à travers l’Europe et les États-Unis…La « trumpisation » du parti ne faisait que commencer.

Acte 2 : la droite déclenche des élections salles à Madrid

Furieuse de la rupture de l’accord de Murcie où son parti était impliqué, la fantasque présidente de la communauté autonome de Madrid, Isabel Diaz Ayuso, décida de convoquer de nouvelles élections dans l’espoir de faire disparaître son rival et partenaire centriste, avec lequel elle se partageait auparavant le contrôle du gouvernement. Cette femme, qui s’était illustrée dans son parti par un travail de Community manageuse qui lui donna l’occasion d’organiser le compte Twitter de « pecas », le chien officiel du PP, a développé avec talent une communication tapageuse et outrancière, destinée à chasser sur les terres de l’extrême droite.

Avec pour slogan phare « socialisme ou liberté », rapidement remplacé par « communisme ou liberté », Diaz Ayuso donna le ton d’une campagne extrêmement agressive, destinée à exploiter le ressentiment d’un pays ravagé par les inégalités, enfoncé dans un marasme économique que la population peine affronter du fait de l’absence de solidarité sociale due au néolibéralisme. Ayuso se présenta ainsi comme la défenseuse d’une liberté mise à mal par les restrictions sanitaires imposées par le gouvernement de gauche. La stratégie fût habile : la promesse de garantir l’ouverture des bars et restaurants a séduit de nombreux jeunes qui voient dans ces secteurs l’unique porte de sortie du chômage de masse, a fortiori, elle lui permit, à travers cette prétendue défense de la « liberté », d’opposer à la gauche une vision ultralibérale de la société. Madrid est vantée par la droite comme une terre libre, libre de restrictions, mais aussi…d’impôts : la région, qu’elle gouverne depuis 26 ans exerce ainsi une concurrence fiscale déloyale contre le reste de l’Espagne, en profitant des ressources qui lui confèrent son statut de ville mondiale et la présence de sièges sociaux de grandes sociétés pour réduire au minimum la fiscalité sur les entreprises sur laquelle elle est compétente. Cette politique, pratiquement négationniste sur le plan de la pandémie, ultralibéral économie, rappelant en version allégée la doctrine de Jair Bolsonaro, était mobilisée par la droite dans l’objectif de diaboliser la gauche en la présentant comme une menace communiste contre les libertés afin de remobiliser l’électorat conservateur et libéral.

Le résultat calamiteux de cette politique, qui a fait de Madrid, avec près de 15 000 morts, l’un des territoires les plus affectés d’Europe par la pandémie, n’a en aucun cas découragé l’électorat de la présidente, qui réussit à minimiser son échec en mêlant les choix sanitaires à des considérations politiques passionnées et exacerbées.

Acte 3 : Pablo Iglesias, chevalier contre le fascisme

Le moment a stupéfait la classe politique espagnole. Depuis son bureau ministériel, le fondateur de Podemos et vice-président du gouvernement Pablo Iglesias, la main posée en avant sur son bureau, annonça sa démission fracassante du gouvernement pour concourir aux élections madrilènes, afin d’empêcher, selon ses propres mots, « l’ultra droite » et le « fascisme » de gouverner la région capitale. Là aussi, les mots choisis par Iglesias témoignent d’une volonté d’affrontement, qui est cependant sans commune mesure avec l’hyper violence déployé par la droite la plus radicalisée. Alors que la droite traditionnelle agite le fantôme du communisme, Vox ne promet ni plus ni moins son exclusion de la vie politique et l’interdiction de son parti, et envoie ses militants et réaliser une campagne de haine sur les réseaux sociaux. L’escalade ne fit que commencer : le 7 avril, en guise de provocation, la formation d’extrême droite décida de lancer sa campagne dans le quartier ouvrier de Vallecas, bastion de la gauche radicale. Le meeting, organisé dans la dénommée « Place Rouge » fut violemment perturbé par des militants antifascistes, chauffés à blanc par l’équipe d’Iglesias, qui lancèrent des projectiles sur les partisans ainsi que sur les agents de police présents.

Certains matons d’Abascal décidèrent de rompre le cordon policier de protection, le risque de bagarre générale obligea la police à intervenir de façon très musclée, laissant tout de même dans les deux camps 35 personnes blessées. La non condamnation des violences de la part de Pablo Iglesias et de Santiago Abascal envenima encore davantage la campagne qui prit un air hystérique. Alors que les meetings de Vox furent systématiquement perturbés par des boycotts antifascistes, les hommes politiques de gauche commencèrent à recevoir des lettres de menaces de mort, agrémentées de mise en scène douteuse : Pablo Iglesias reçut quatre balles, qui étaient aussi destinés, selon l’expéditeur, à sa femme et ses parents. Le second courrier était dirigé à la Ministre des Finances socialistes, la très modérée Maria Jesus Montero, se vit adressée la pointe ensanglantée d’un couteau par un individu lui reprochant vraisemblablement la hausse des impôts… Les élections madrilènes inaugurèrent ainsi une nouvelle mode de la politique espagnole, celle de l’envoi de lettres de menaces de mort à des hommes et femmes politiques pour leur signifier un désaccord en période électorale. Les dernières victimes de ces pratiques furent la même Ayuso ainsi que l’ancien président socialiste du gouvernement Jose Luis Zapatero.

Acte 4 : la fin du débat démocratique

Le plus choquant, dans toute cette histoire électorale, reste néanmoins l’absence de condamnation de la part de certains responsables politiques, venant notamment de la droite radicalisée. Lors d’un débat organisé par la radio Ondacero, alors qu’Iglesias exigeait à Monasterio une condamnation sans ambages des menaces de mort, celle-ci lui opposa ses doutes sur la véracité des courriers, dénonça sa non-condamnation des violences à Vallecas, avant de conclure en ces termes : « si vous êtes courageux, barrez-vous d’ici ». Face au tollé, les partis de gauche décidèrent de cesser tout débat avec Vox, désormais qualifié de « fasciste », même de « nazi », mettant fin à tout autre projet de confrontation télévisée. Fait hallucinant, les équipes de Vox se félicitèrent d’une telle issue et saluèrent la sortie d’Iglesias du débat : « nous t’avons viré du débat, nous allons bientôt te virer de la politique espagnole », pouvait-on lire sur le compte Twitter du parti.

À cet égard, les réseaux sociaux s’illustrèrent une nouvelle fois comme le triste terrain d’expression d’opinions haineuses et d’une violence verbale décomplexée : entre promesse de « passer Pablo Iglesias à la mort-aux-rats », et montage grimant Ayuso en nazi, le visionnage de Facebook et de Twitter faisait réellement froid dans le dos. Comme si le pays tentait de répéter sur le mode d’une sinistre farce la guerre civile qui le ravagea 80 ans plus tôt. Mais le comble de l’ignominie fut certainement atteint par Vox, dont les équipes diffusèrent un photomontage immonde sur Instagram mettant en scène un mineur isolé, arborant une cagoule masquant mal sa peau foncée, en compagnie d’une femme du quatrième âge, indiquant qu’il recevait 10 fois plus d’argent de l’État que celle-ci. Cette image, qui a fait l’objet de poursuites judiciaires, résuma à elle seule l’esprit d’une campagne électorale amère : propagande outrancière à grand renfort de publication sur les réseaux sociaux, mensonges, haine et désinformation.

Indéniablement, cette pitoyable campagne électorale témoigne d’une aggravation des fragilités des démocraties à la suite de la pandémie. Elle laissera une trace indélébile sur la suite de la politique espagnole.

La crise sanitaire semble avoir ainsi aggravé les tendances mortifères à l’œuvre depuis une décennie : exposition grandissante des individus aux réseaux sociaux (où n’importe quelle opinion caricaturale peut se faire vérité), disqualification de la pensée et du débat démocratique dans une débauche grossière d’invectives. Et bien sûr, aggravation sidérante des inégalités suscitant la haine, le ressentiment et la rancœur contre un État qui n’est pas parvenu à protéger sa population de la pandémie sans la priver de ses libertés. La politique de demain risque de se dépêtrer difficilement de la violence et de la saleté, dans lesquelles l’extrême droite s’épanouit toujours plus aisément que la gauche.

Conclusion

Ainsi, sans grande surprise, ces élections aux airs de mauvaise farce se sont achevées par un triomphe électoral de la droite. En réunissant 44 % des votes, le Parti Populaire renforce son contrôle sur la communauté autonome de Madrid, et absorbe la quasi intégralité des électeurs libéraux de Ciudadanos qui disparaît ainsi du panorama politique. L’extrême droite stagne à 9 %, alors que la gauche, notamment le Parti Socialiste, connaît un score particulièrement décevant. S’il est encore trop tôt pour analyser les ressorts sociologiques d’un tel résultat, des premières conclusions peuvent être tirées.

Sans l’ombre d’un doute, la campagne anti confinement de Isabel Diaz Ayuso a porté ses fruits : le vote massif pour cette candidate ultralibérale témoigne d’une exaspération grandissante de la population face à la dureté des mesures sanitaires imposées depuis un an. La présidente de la communauté autonome de Madrid a su instrumentaliser habilement ce ressentiment pour se présenter comme l’opposante numéro un contre le gouvernement de Pedro Sanchez. Ainsi, la volonté de renverser la table, « le dégagisme » de la classe politique au pouvoir a encore frappé, mais cette fois-ci contre la gauche : indéniablement, des postures politiques plus radicales et peu conformistes permettent de remporter une élection, quel que soit le bord politique. Cependant, la victoire du PP doit être relativisé : le parti conservateur contrôlait la région depuis 26 ans, où il a déjà réalisé des scores bien supérieurs.

Ainsi, le clivage gauche-droite n’a pas disparu. Cependant, il doit composer avec l’explosion du discours populiste qui crée une grande fluctuation de l’électorat. La disparition brutale de Ciudadanos et l’effondrement du Parti Socialiste après sa renaissance sont à cet égard révélateur de l’instabilité politique croissante des citoyens. En conséquence, une communication habile semble parfois plus efficace que l’affirmation d’un logiciel idéologique pour gagner dans les urnes. Dans ce domaine, Isabel Diaz Ayuso a été particulièrement redoutable.

La gauche a subi une défaite lourde, qui appelle une profonde réflexion. Le Parti Socialiste a vu son score fondre de 28 à 17 %. La présence de Pablo Iglesias à la tête de la liste de Podemos n’a pas permis à la formation de gauche radicale d’améliorer substantiellement son résultat, qui est passé de 5,6 à 7,1 % des votes. La surprise de la soirée est indéniablement la montée en puissance du partie municipalité de gauche Mas Madrid (MM), lancé deux ans auparavant par Inigo Errejon, qui a dépassé le Parti Socialiste en augmentant son score de 14 à 17,1 %. Les partis de gauche qui ont préféré centrer leur campagne sur un prétendu « danger fasciste » plutôt que sur des propositions concrètes pour les habitants de la région de Madrid ont été sanctionnés. Au contraire, la démarche citoyenneniste et municipalité de MM, qui a placé à la tête d’une liste de novice en politique une anesthésiste activiste pour l’hôpital public, est apparu davantage en phase avec les préoccupations des habitants de Madrid, ébranlés par la mauvaise gestion de la pandémie par la droite et la difficulté d’accès aux soins en cette période de crise sanitaire. A fortiori, depuis sa conquête de la mairie de Madrid en 2015 (jusqu’en 2019), MM incarne d’une certaine manière le dégagisme contre l’establishment de droite qui contrôle la région depuis 26 ans. La première leçon de ce résultat est donc limpide : la gauche a davantage à gagner en travaillant sur un programme et des propositions qu’en agitant le spectre d’un retour à la terreur d’extrême droite. En outre, il semble tout à fait contre-productif d’entrer en compétition avec les formations de droite dans l’outrance et la violence verbale : le climat délétère de la campagne n’a au final que fait profiter à un parti conservateur outrancier et au populisme d’extrême droite.

Le départ de Pablo Iglesias de Podemos, parti qu’il avait contribué à fonder sept ans plus tôt, marque un point de bascule dans la vie politique espagnole. La droite est désormais galvanisée par sa victoire et va tenter d’accentuer la pression sur un gouvernement de gauche fragilisé. Il est urgent pour Podemos de commencer une recomposition sereine pour que le parti redevienne le porte-voix des gens.

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Le populisme de Podemos : mirage politique ou solution démocratique ?

Le Retour de la question stratégique

Le populisme de Podemos : mirage politique ou solution démocratique ?

Par Lluis de Ndal, traduction par Rafael Karoubi rebours des clichés qui sont diffusés à l’encontre du populisme, Podemos a agi, d’une certaine manière, comme une force de régénération pour la démocratie espagnole, contribuant à l’assainir et à restaurer sa légitimité après une rupture entre institutions et citoyens, enclenchée lors de la dépression économique de 2008 et du mouvement des Indignés du 15 mai 2011 (15-M) dont la principale revendication se résumait en cette phrase : « Démocratie réelle maintenant! ». Neuf ans après ce mouvement de protestation et six ans après l’émergence de Podemos, force est de constater que le système politique espagnol est plus démocratique qu’auparavant et que la participation électorale a repris des couleurs : au lieu d’affaiblir les institutions démocratiques, comme le dénoncent ses détracteurs, Podemos les a en réalité renforcées.
Podemos, un parti populiste ?

Avant toute chose, il convient de définir la notion de populisme et d’identifier, ce faisant, l’identité politique de Podemos. La nature du populisme fait l’objet de discussions. Plusieurs théoriciens le définissent comme une idéologie, à l’instar du libéralisme ou du marxisme, mais avec une vision de la politique qui se caractérise par un certain simplisme. Son idée centrale est de considérer la politique comme une lutte manichéenne entre les forces du bien (le peuple) et celles du mal (les élites) exacerbant une conflictualité verbale dont le monde médiatique fait son miel. Ainsi, le populisme pourrait réunir des hommes politiques aux horizons idéologiques antagonistes, Marine le Pen et Jean-Luc Mélenchon, dans la mesure où il ne se caractériserait pas par un socle de convictions cohérent, mais bien par un discours qui en appelle au peuple contre les élites.

Dans quelle mesure pouvons-nous considérer que Podemos se rapproche de cette définition proposée pour décrire le populisme ? Plusieurs observateurs, notamment le politologue Cas Mudde, ont suggéré que Pablo Iglesias, le principal fondateur du mouvement, pensait réellement que la politique se limitait à une simple lutte entre un peuple pur et une élite corrompue. Cette interprétation de la pensée d’Iglesias est pour le moins simpliste, dans la mesure où ce dernier a pour idéologie de référence le marxisme-léninisme : deux détails, passés sous le radar de la plupart des observateurs, attestent de l’adhésion d’Iglesias à cette tradition politique. Premièrement, le secrétaire général de Podemos est un grand admirateur de Lénine, auquel il se référait souvent dans ses conférences avant la création de Podemos. Deuxièmement, il interpréta la crise de 2008 comme un moment « léniniste », c’est-à-dire comme une opportunité pour le communisme espagnol de récupérer le contrôle de l’opposition, voire même le pouvoir, par la voie électorale après sa perte de crédit politique au terme de la transition démocratique post franquiste (1975-1982). À cet égard, le populisme est interprété par Iglesias comme un moyen stratégique, pour ne pas dire opportuniste, d’accéder au pouvoir. Un état d’esprit qu’il résuma en ces termes : « lors de la Révolution russe, le chauve, ce génie, n’a pas parlé au peuple de marxisme, mais lui a promis ce qu’il attendait : du pain et la paix ». Le cas de Íñigo Errejón, principal théoricien de Podemos à ses débuts est différent et plus intéressant. À travers l’étude des expériences latino-américaines, la « marée rose » des années 2000-2010, Errejón a développé une fascination pour le populisme tel que l’ont développé Hugo Chavez (Venezuela), Evo Morales (Bolivie) et Rafael Correa (Équateur). Dans sa thèse universitaire, il souligne la capacité hors du commun qu’ont ces hommes à incarner les désirs de démocratie et de dignité de leurs peuples respectifs. Errejón est aussi un disciple enthousiaste de l’argentin Ernesto Laclau, l’un des principaux théoriciens du populisme du gauche. Inspiré par la posture néo-structuraliste de ce dernier, Errejón entend la politique exclusivement comme une construction discursive d’identité populaire à travers l’opposition antagonique entre le«eux» et le«nous».

L’un des aspects les plus polémiques de la théorie laclausienne, qui a eu néanmoins une très grande influence sur les idées de Errejón, est le rôle central du leader en politique. Le théoricien argentin développe dans son ouvrage principal, La Raison populiste, l’idée selon laquelle la construction d’un « peuple », objectif du populisme, requiert l’identification affective d’un groupe significatif d’individus envers un leader, à travers un processus qui rappelle le développement du pouvoir charismatique que décrit Max Weber. La figure du chef est ainsi nécessaire pour incarner la volonté du peuple et garantir l’articulation entre les différents groupes sociaux communautaires qui le composent. De façon pour le moins idéaliste, Errejón a tenté d’appliquer strictement le modèle de Laclau pour construire Podemos. Ainsi, au cours du congrès fondateur de Podemos, Errejón s’érige en principal défenseur d’un modèle organisationnel centralisé autour d’un leader dont l’action doit être libérée des contrepouvoirs. S’inspirant ici aussi de Laclau, Errejón critique à plusieurs reprises dans la revue de sciences politiques Viento sur les corps intermédiaires, qu’il dépeint comme des entraves à l’expression de la volonté populaire qui s’incarne dans la figure du leader.

La principale victime de la dérive plébiscitaire du populisme de Podemos n’est nul autre qu’Inigo Errejon lui-même.

Les limites de ce principe d’organisation sont bien connues. Comme il est fréquent dans les partis populistes, Pablo Iglesias a utilisé des mécanismes plébiscitaires pour légitimer ses propres décisions, provoquant un départ massif de militants qui avaient initialement cru à la construction d’un mouvement basé sur les principes de la démocratie directe auxquels aspirait le 15-M.
Ironiquement, la principale victime de la dérive plébiscitaire du populisme de Podemos n’est nul autre qu’Íñigo Errejón lui-même, qui a perdu tout pouvoir de décision après avoir été défait par Iglesias à l’issue de diverses polémiques internes. Malgré le fait qu’Errejón ait pu compter sur le soutien de plusieurs « notables » et intellectuels au sein du parti, Iglesias a réussi à imposer sa volonté au terme d’un processus démocratique schmittien « d’acclamation populaire », à travers des plébiscites organisés sans transparence sur internet. Errejón, après avoir défendu l’utilité d’un leader charismatique pour remobiliser les masses mécontentes, n’a pu que constater à quel point celles-ci fournissaient un appui inconditionnel au chef incon testé du parti.

Cependant, dans un geste qui l’honore, Errejón a fini par donner raison à ceux qui critiquaient ce modèle organisationnel au motif qu’il manquait de contre-pouvoirs. Il est cependant curieux de constater que Chantal Mouffe, théoricienne du populisme dont il est très proche, dans son récent manifeste Pour un populisme de gauche n’a pas pris la peine de remettre en cause le modèle organisationnel qu’elle a cothéorisé avec son condisciple. En outre, elle omet de dénoncer la nette dérive autoritaire de certaines expériences politique de la gauche populiste sud- américaine : la dissolution du chavisme dans la dictature clownesque de Nicolás Maduro constitue une vérité peu commode pour ceux qui ne jurent que par le populisme de gauche pour briser l’hégémonie néolibérale.

Les succès inattendus de Po- demos

Malgré cette critique, il faut bien reconnaître que l’essor de Podemos a globalement été source de progrès pour la dé- mocratie espagnole : à la différence du madurisme, le parti violet n’a en aucun cas érodé les institutions représentatives. Pablo Iglesias n’a par ailleurs jamais pu prendre la tête de l’État : à son apogée en décembre 2015, son parti réunissait 20,6 % des voix, un chiffre considérable mais insuffisant pour se hisser au-delà de la troisième place. Il était donc bien loin de la promesse de conquérir le ciel « par assaut » comme il a pu le proclamer en paraphrasant Marx. Lors des élections générales de 2019, Podemos s’est effondré à 13% des voix, chutant à la quatrième position, dépassé par le parti d’extrême droite VOX.

Podemos a finalement abandonné ses présupposés populistes qui faisaient passer le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) pour un représentant de la caste ennemie du peuple, pour parier sur la constitution d’un gouvernement de coalition – le premier depuis 1936- dirigé par le socialiste Pedro Sanchez. Malgré l’échec de la stratégie populiste pour conquérir l’État – ou grâce à son échec – Podemos a contribué de façon notable à revitaliser la démocratie espagnole, pour deux principales raisons. Tout d’abord, le parti de gauche radicale a forcé le PSOE à revenir au centre-gauche après que ce dernier se soit aligné sur la troisième voie (la recette blairiste/clintonienne) de la libéralisation économique et de l’austérité budgétaire. Au cours des négociations de gouvernement, Podemos a également réussi à arracher au PSOE plusieurs concessions de caractère progressiste telles que l’augmentation du salaire minimum et une forme de revenu minimum d’insertion. La formation de Pablo Iglesias a ainsi fait pression sur le PSOE afin qu’il redevienne un parti plus sensible aux intérêts des classes populaires.

Le second acquis de Podemos, sans doute le plus significatif, a été de canaliser institutionnellement la conflictualité politique contre l’austérité, la dégradation des services publics et les inégalités, qui s’était exprimé dans la rue sans trouver de débouché politique. Il convient de rappeler que la plupart des activistes du 15-M préféraient agir sur les conséquences des lois, par des actes de désobéissance civile, que d’obtenir un changement de celles-là. Les mouvements protestataires déçus débouchent par ailleurs très souvent sur des périodes de violence lorsqu’ils ne trouvent pas de traduction institutionnelle, comme en témoignent la dérive émeutière d’une partie de l’indépendantisme catalan depuis 2019, suite à l’échec de la déclaration d’indépendance de 2017. Au contraire, le 15-M a pu être apaisé par l’apparition d’un parti politique, qui, malgré ses pratiques internes autoritaires, a connu un certain succès en tant que représentant des demandes matérielles des indignés. Cependant, ces avancées sociales déçoivent probablement une grande partie du mouvement social espagnol, et surtout Podemos, dans la mesure où elles sont encore insuffisantes pour attaquer les fondements du pouvoir économique et la répartition des richesses… À ce sujet, Pablo Iglesias a confié être « horrifié » face à la perspective d’un apaisement des espérances révolutionnaires du 15-M. Cependant, en prenant compte l’état dans lequel se trouvait le système politique espagnol avant le mouvement des Indignés, incarné par deux partis politiques néolibéraux – le PSOE et le PP – le fait d’avoir fait entrer la lutte contre les politiques d’austérité dans l’agenda institutionnelle est une victoire qui ne saurait être minorée. En dernière analyse, comme le souligne le professeur de sciences politiques Jan Werner Muller, l’essor de Podemos est bien plus le signe d’une résilience et d’une capacité de régénération du système politique espagnol représentatif né de la Transition que la manifestation de son crépuscule.

Un futur incertain

Cependant, l’heure n’est certainement pas à la fête pour Podemos. Réduit électoralement et désormais associé à l’élite gouvernementale, le parti de Pablo Iglesias aura le plus grand mal à figurer comme le représentant des intérêts des classes populaires à l’heure où l’extrême droite connaît une croissance importante en Espagne. Il est désormais probable qu’une grande partie du vote protestataire soit absorbé par VOX, si jamais ce dernier réussit la transition opérée par le FN en se représentant comme le parti des ouvriers « perdants de la mondialisation ». Concrètement, l’abandon de ses postulats ultralibéraux et sa volonté de construire un syndicat vont dans cette direction. La question est désormais de savoir si VOX réussira à parasiter durablement le système politique espagnol en attirant le vote ouvrier, ou si la coalition PSOE – Podemos parviendra à éviter une telle situation en se maintenant comme le principal représentant des intérêts des classes populaires.

Podemos a réussi à canaliser institutionnellement la conflictualité politique contre l’austérité.

Références

El Diarrio.es, Podemos o el leninismo inteligente, Salvador Mestre Zaragoza

Podemos, sur que nous pouvons ! EditionsIndigènes

Íñigo Errejón, La lucha por la hegemonía durante el primer gobierno del MAS en Bolivia (2006- 2009): un análisis discursivo, Universidad Complutense de Madrid 4. Ernesto Laclau, La Razon Populista, Siglo XXI

Íñigo Errejon, Viento Sur, construccion de identidades populares / construir pueblo, cc Chantal Mouffe

C. Schimtt, La théorie du partisan, Champs

Cette tendance est toujours soutenue par l’aile droite du parti incarnée par Felipe González, président du gouvernement de 1982 à 1995.

JW Muller, Italy, the brith side of populism ? The New York Review

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La décentralisation et l’aménagement du territoire : comment remédier à l’échec écologique ?

L'État et les grandes transitions

La décentralisation et l’aménagement du territoire : comment remédier à l’échec écologique ?

Conçu comme un remède au malaise démocratique et à un aménagement vertical et peu harmonieux du territoire, la décentralisation n’est pas exempte de critiques : confiscation de la parole citoyenne, bétonisation accrue, artificialisation des sols accélérée au bénéfice des intérêts des entreprises du CAC40… Repenser les relations entre Etat, collectivités territoriales et citoyens s’avère nécessaire pour remédier à l’échec écologique. 
Une décentralisation qui met fin à l’aménagement du territoire d’Etat

La France a longtemps développé un système alliant liberté locale et planification centrale, avant que cet édifice administratif original ne soit réformé du fait de ses contradictions. Malgré une dimension centralisatrice marquée, la IIIème République est à l’origine des premiers textes instituant la libre administration des collectivités territoriales : la charte communale de 1884 proclame que « le conseil municipal règle par délibération les affaires de la commune » consacrant ainsi un intérêt public communal. Cette « clause générale de compétence » est l’une des premières et des plus importantes libertés locales, dans la mesure où elle garantit la libre administration là où se présente un « intérêt communal, justifiant la création de services publics communaux et l’octroi de subventions ». En outre, la loi de 1871 consacre un « intérêt départemental » sur lequel les conseils généraux ont capacité à délibérer, anticipant la clause générale de compétence des communes.

Néanmoins, cette libre administration a été nuancée par l’affirmation d’une autorité préfectorale forte, garantissant une représentation du gouvernement et un respect de la loi à l’échelle départementale. Ainsi, la libre administration des territoires s’accompagne en France, depuis 1945, d’une planification nationale plus ou moins forte selon les époques, destinée à créer un urbanisme plus harmonieux et conforme aux attentes de l’État. La France s’est dotée d’instruments exceptionnels en ce sens, notamment sous les mandats gaullistes. Charles de Gaulle affirma lui-même que « la construction, la voirie, les écoles, les hôpitaux, l’implantation d’usine, les chantiers, les stades, les espaces verts, la circulation requièrent des plans unifiés et des règles communes ». L’aménagement est donc mis en œuvre à travers plusieurs dispositifs:

1. Par l’autorité du Préfet, chargé de l’urbanisme, de l’équipement et de l’aménagement, maitrisant les droits des sols, ce qui lui permettait de signer les permis de construire.

2. Par les schémas directeurs, organisés par la DATAR, organisme directement sous contrôle du Premier Ministre guidant la nature des aménagements via un processus de zonages : ici apparaissent les ZUP et les ZAC, qui organisent rationnellement le territoire en fonction des besoins de l’Etat. Cette situation est contestée au sortir du gaullisme : la tutelle du préfet sur les collectivités territoriales n’est plus acceptée par un pouvoir local, qui, dépossédé de sa capacité à produire des actes réglementaires, n’avait qu’un rôle finalement secondaire dans des domaines fondamentaux de l’économie d’après-guerre : le logement, l’aménagement et l’urbanisme. Les lois Defferre de 1982-1983, en réduisant le pouvoir des préfets aux profits des élus, désormais soumis au contrôle réglementaire a posteriori, enclenchent une révolution qui modifie profondément l’organisation territoriale de notre pays.

LA FIN DE L’AMÉNAGEMENT ANARCHIQUE PASSE PAR UNE RÉHABILITATION DU RÔLE DE L’ETAT.

Tout d’abord, les communes acquièrent des compétences élargies en termes d’urbanisme et d’aménagement, qu’il s’agisse de l’élaboration de la règle générale, à travers le plan local d’urbanisme (PLU), ou de délivrance d’autorisations individuelles, comme les permis de construire. Elles deviennent également compétentes pour la gestion de grands services publics locaux, notamment en matière de voirie, logement, adduction et assainissement des eaux, dont l’organisation est souvent partagée avec d’autres communes via les syndicats à vocation unique (SIVU). Les échecs de certains projets urbanistiques lancés par l’Etat, tels que les Grands ensembles, ont progressivement discrédité une action centralisée en matière d’urbanisme et légitimé le processus de décentralisation en la matière.

En outre, la loi Defferre transmet des blocs de compétences aux collectivités territoriales, accompagnés des moyens financiers nécessaires à leur exercice, en vertu du principe de compensation. La commune prend ainsi en charge les écoles, le département les collèges et l’action sociale (notamment la gestion du RSA), la région les lycées, la formation professionnelle et le développement économique. Ces blocs de compétences ont pour objectif de créer une gestion du service public plus cohérente par rapport au territoire dans lequel ils s’inscrivent : il n’était pas rare, du temps de la gestion du « tout Etat », que les élus aient à contenter le préfet pour assurer, par exemple, la rénovation de leur école communale, ce qui posait problème au niveau de leur indépendance politique.

Ainsi, la décentralisation est une réussite en termes d’amélioration de la libre administration locale. Mais la liberté a son revers de médaille : l’aménagement du territoire peu cohérent qui en est issu a considérablement endommagé les espaces naturels français, accru les inégalités territoriales et copieusement enrichi les entreprises du CAC 40.

Bétonisation de la France, recul de la biodiversité : les travers de la décentralisation

La libéralisation de l’aménagement du territoire, via la décentralisation, a ouvert la porte à l’omniprésence du capital privé sur les décisions des collectivités territoriales, affaiblissant la démocratie locale. Depuis les années 1980, la France subit une lame de fond néolibérale caractérisée par l’accroissement de la prédation du capital, notamment des grands groupes du CAC 40, sur la société en général et la décision politique en particulier. Cette vague a su s’engouffrer dans les failles que portaient les lois de décentralisation. L’aspect le plus négatif en est indéniablement l’accélération du rythme de l’artificialisation des sols. Ce processus atteint en France une proportion considérablement et réellement inquiétante : 5,2 % des sols sont artificialisés dans notre pays, contre 4% de moyenne dans l’Union Européenne, alors que la densité de population française est moins élevée. La surface commerciale y est également très conséquente, atteignant 1,2 mètres carrés par habitant, avec des effets particulièrement délétères pour le commerce de centre-ville. Ce processus s’accélère en dépit de la prise de conscience du recul de la biodiversité et de l’effondrement du vivant : chaque année, 60 000 hectares, soit l’équivalent de plus de la métropole de Lyon, sont coulés dans le béton, pour y établir en général un urbanisme très critiqué, essentiellement fait de zones commerciales et de voies rapides.

Les causes de cette dérive sont bien connues. Tout d’abord, le transfert des capacités d’aménagement de l’Etat en direction des collectivités territoriales, commune et leurs maires en premier lieu, notamment par la compétence en droit des sols, a entrainé la signature de milliers de permis de construire sans qu’une régulation exigeante ne se présente. Dès lors ont émergé les ZAC, symboles de la Vème République, « d’une France hideuse » bétonnée, remplaçant inexorablement le petit commerce des centres villes en déshérence ; entrainant, en conséquence, une dépendance accrue par rap- port à l’automobile, dont les Gilets Jaunes démontrent l’incompatibilité avec l’accomplissement d’exigences sociales et environnementales.

A fortiori, ce processus délétère a été accéléré par la dimension concurrentielle de l’économie de marché, incitant chaque maire à aménager au plus vite et au moins cher, afin d’attirer des entreprises et des emplois au détriment du voisinage, notamment pour bénéficier de surplus de recettes fiscales. En effet, l’autonomie financière des collectivités territoriales leur permet d’en déterminer partiellement le montant et l’assiette. A la concurrence pour l’attraction des investissements, s’est donc ajoutée celle pour les impôts locaux, au risque d’entrainer une gestion malsaine des affaires locales. La libéralisation de l’attribution des permis de construire, mais aussi de la gestion de l’adduction d’eau, a fait la fortune des entreprises du CAC 40, notamment dans le secteur du BTP et de services collectifs, où les majors françaises sont les plus puissantes du monde.

L’artificialisation des sols a également profité au secteur de la grande distribution, jusqu’à multiplier par 6 la surface commerciale en 30 ans. Le BTP n’est pas en reste : les promoteurs immobiliers vendent désormais aux communes des « ensembles urbains » comprenant également la construction d’équipements sportifs, culturels et de logements sociaux dans un urbanisme largement standardisé.

L’ARTIFICIALISATION DES SOLS S’ACCÉLÈRE MALGRÉ LA PRISE DE CONSCIENCE DU RECUL DE LA BIODIVERSITÉ.

Les kilomètres d’autoroutes inutiles, comme par l’exemple l’A65 entre Pau et Langon, se comptent en centaines, alors que s’étendent les zones d’activités et les zones commerciales improductives au détriment des espaces agricoles et naturels.

Ainsi, les collectivités territoriales se targuent d’être les premiers investisseurs de France (80% du total des investissements dans le pays), tout en finançant des projets peu productifs en soi et inutiles pour le futur de l’économie française. Peut-on raisonnablement imaginer qu’il ne soit pas préférable d’investir dans la construction d’un énième supermarché que dans les nouvelles technologies vertes ? Pourtant, les entreprises des services collectifs et du BTP française profitent de l’appétit de certains élus et de marchés peu concurrentiels pour bénéficier de rendements sur actions des plus élevés et des ressources propres nécessaires pour « superformer » le marché à l’international, en remportant notamment des marchés publics.

Un Etat organisant son impuissance écologique

L’artificialisation des sols repart à la hausse après un ralentissement en 2016. Comment expliquer l’accélération de cette tendance, malgré la prise de conscience grandissante des enjeux écologiques ? Tout d’abord, le déclin de l’action de l’Etat a considérablement renforcé le rôle des groupes privés. Avant 1982, le préfet, par l’intermédiaire de la Direction Départemental de l’équipement et des territoires (DDE/DDT) déterminait le plan d’occupation des sols (POS) et délivrait les permis de construire. Cette politique s’accompagnait d’un zonage territorial, destiné à répartir les nouveaux quartiers de logements sociaux, les aires sportives, les zones commerciales etc.

Le préfet organisait ainsi la construction du logement social, en mobilisant un promoteur public, la SIC, et un promoteur bénéficiant de prêts bonifiés, GFF, pour construire du logement privé bon marché. L’Etat perdant son monopole dans la construction de quartier d’habitat social, cette situation n’avait plus lieu d’être après la décentralisation.

Ainsi, ont émergé des promoteurs privés sous le contrôle de l’économie financières, tels que Kaufmann and Broad, BNP Paribas Real Estate, Bouygues Immobiliers qui se sont progressivement substitués à l’action publique pour la construction de logements sociaux et d’équipements collectifs. Ces entreprises, suivant une bonne logique capitaliste, ont tenté de remporter des marchés publics peu concurrentiels en proposant des bâtis standardisés, peu durables, étrangers à toute considération architecturale en termes de respect du patrimoine local ; faisant une « France hideuse » mais rapide et peu couteuse à construire. Un procédé d’autant plus redoutable qu’il est difficile pour les élus de résister aux sirènes du « vite fait, mal fait » pour un moindre coût, dans la mesure où la baisse des dotations de fonctionnement les oblige à chercher à augmenter leurs ressources par des investissements douteux.

UNE AGENCE NATIONALE DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES RENOUVELÉE EST ENVISAGEABLE.

Ces entreprises exercent ainsi une influence considérable sur les directions d’aménagements et les maires, qui logiquement, prennent l’ascendant sur la décision locale, au risque de développer des logiques problématiques de conflits d’intérêts. Il suffit de se rendre dans un salon d’élus pour comprendre que le démarchage par les grandes entreprises est une réalité quotidienne dans la vie des collectivités territoriales. Dans ces congrès, les groupes de services collectifs (Veolia, Suez, Guy Dauphin) du BTP (Eiffage, Bouygues) et de la concession (Vinci) y côtoient des élus et des directions d’aménagements, où des relations d’influences se tissent. Il n’est ainsi pas rare de voir certains directeurs généraux de services ou de l’aménagement des communes intégrer un poste bien rémunéré dans l’une de ces entreprises pour service rendu…Une logique de prébende qui n’a pas sa place en démocratie. Les marchés publics discutables de délivrance de permis de construire, sont l’une des principales sources de corruption en France, et tout promoteur avouera au cours de sa carrière, avoir « fait passer au moins une valise ».

Mais l’effet pernicieux de cette logique est indéniablement la concentration du pouvoir au- tour du maire et de ses services techniques, notamment dans le domaine de l’aménagement. Le premier édile est en général roi dans son conseil municipal, toute récalcitrance au sein d’une majorité signe, en général, un arrêt de mort politique. Les décisions prises par les services techniques, aménagement en premier lieu, ne sont pas toujours transparentes, tout particulièrement pour les administrés, dont le droit de regard sur la gestion municipale est habituellement très limité. Les Conseils de quartier sont en général noyautés par des élus locaux, qui les réduisent en officines de la mairie. Les membres des Conseils Citoyens se plaignent de leur faible capacité d’influence et de décision, ce qui explique qu’ils soient désertés par la population et essentiellement composés de professionnels en politique de la ville : à titre d’exemple, le Conseil citoyen du quartier « la Dame Blanche » (Garches les Gonesse) n’est composé que de 14 membres pour les 20 000 habitants que compte ce quartier prioritaire de la ville (QPV).

Il ne s’agit pas là de faire le procès des élus locaux, dont le rôle pour la bonne tenue de la démocratie en France est essentiel. Par ailleurs, il arrive souvent que les élus refusent le permis de construire pour lutter contre l’artificialisation des sols, comme cela a été le cas à Dolus d’Oléron contre un projet d’implantation de Mac Donald’s.

Néanmoins, ces oppositions sont souvent cassées par les tribunaux administratifs, dans la mesure où une commune ne peut refuser de valider un permis de construire sans motivation réelle et sérieuse (TA de Poitiers, Dolus d’Oléron c/ Mac Donald’s, 2018). Si les possibilités pour les collectivités territoriales d’œuvrer à un monde plus juste et durable existent, elles sont néanmoins entravées par une organisation juridique et administrative de la France qui n’a pas su se réformer suffisamment.

Des propositions pour un aménagement plus rationnel du territoire

La fin de l’aménagement anarchique et du cortège d’inégalités et de destructions environnementales qu’il engendre passent par une réhabilitation de rôle de l’Etat, un renforcement de la réglementation en la matière et un approfondissement du contrôle des élus par les citoyens. Une série de mesures sont envisageables en ce sens.

1/ Renforcer le rôle de l’Etat dans l’aménagement du territoire. Tout d’abord, la France dispose d’une grande tradition de planification urbaine par les politiques d’aménagement du territoire. Les instruments existent, mais ont été vidés de leur substance, faute de moyens, mais aussi à cause d’un nouveau cadre juridique qui réduit leurs prérogatives.

A cet effet, il semble nécessaire de revenir à la tradition d’aménagement du territoire, en renforçant le rôle de l’Agence nationale de la co- hésion des territoires (ANCT) et de la doter de plus fortes prérogatives. Le contrôle a posteriori via le déféré préfectoral des PLU, POS et des permis de construire ne suffit pas, les préfectures n’ayant plus les moyens de vérifier la validité de tous les actes administratifs des collectivités territoriales. Une Agence nationale de la cohésion des territoires renouvelée, établissant un contrôle a priori sur les plans locaux d’urbanisme et les plans d’occupation des sols, via les agents des DDE et des DDT, est tout à fait envisageable : en matière d’aménagement du territoire, la codécision entre les maires, porteurs de l’intérêt local, et l’Etat, porteur de l’intérêt général, auquel incombe la mission de préserver l’environnement est plus souhaitable que l’exclusivité d’un seul de ces acteurs sur le sujet. L’Agence nationale de la cohésion des territoires devra disposer des moyens nécessaires à son action (bureau d’études, cabinet d’urbanisme) et déconcentrer ses agents directement vers les 101 préfectures qui composent le France, d’où ils établiront une délimitation plus stricte des zones constructibles ou non.

La fonction publique emploie 1 millions de cadres, la majorité en région parisienne. Si les enquêtes d’opinion témoignent d’un désenchantement croissant des cadres pour la mégapole parisienne, quels arguments pourraient être opposés à un transfert massif d’agents vers la province ? En matière d’organisation de l’administration d’Etat, l’égalité entre les territoires doit primer : il est donc temps de convertir les principes de la Loi ATR (1992) « La République est décentralisée et déconcentrée » en actes.

2/ Renforcer la réglementation des constructions. Ce processus de « replanification » de l’aménagement du territoire gagnerait à s’accompagner d’une réglementation plus forte limitant immédiatement le rouleau compresseur de l’artificialisation des sols. Plusieurs solutions gagneraient à s’imposer. Tout d’abord, un moratoire sur les nouvelles constructions : les entrepreneurs doivent se contenter du bâti déjà considérable, 6% du sol français en 2020 contre 2% en 1970, afin de faire cesser la compétition délétère aux investissements et aux impôts entre les collectivités au détriment de l’environnement et du petit commerce des centres villes. En outre, un plafonnement des mètres carrés commerciaux des villes de banlieue en un ratio raisonnable par rapport au nombre d’habitants des communes apparaît nécessaire. Les maires seraient ainsi déchargés d’une responsabilité écrasante qui pèse sur leur fonction et pourraient se concentrer sur des dispositifs plus prioritaires, tel que la réalisation de la péréquation et la réduction de la dépendance à l’automobile.

3/ Retrouver une démocratie locale digne de ce nom. Aucune amélioration de la décentralisation ne pourrait être opérante sans une prise en compte de la voix des citoyens dans le procesus de décisions. Plusieurs propositions réalistes sont envisageables en ce sens.

1. Réformer les EPCI : il est inacceptable qu’une grande partie des prérogatives des communes soient organisées à l’échelle des établissements publics de coopération intercommunaux (EPCI) dont les représentants ne sont pas élus, et dont l’existence est en général ignorée des citoyens. Une réforme constitutionnelle s’impose pour convertir les EPCI en collectivités territoriales, ce qui permettrait d’élire leur conseil et accroitre, ce faisant, leur contrôle démocratique. Dans le cas contraire, ces EPCI n’auraient pas vocation à poursuivre leur existence.

2. Renforcer les instances participatives existantes : soulignons ainsi que les Conseils de quartier et les Conseils citoyens doivent cesser d’être des succursales invisibles de majorités politiques où se morfondent une poignée de responsables associatifs.La moindre des choses serait de leur permettre d’imposer une question à l’ordre du jour de chaque conseil municipal. En outre, peut être imaginée une « Assemblée des conseils citoyens et de conseils de quartiers », disposant du pouvoir d’organiser une consultation sur un sujet relevant des compétences locales tous les deux ans. L’état actuel des consultations n’est certainement pas satisfaisant : les barrières à l’entrée pour l’organisation d’un référendum local sont trop importantes. Le seuil d’acceptabilité peut-être redescendu de 1/5 du corps électoral à 1/10, avec obligation pour le maire de se plier à l’organisation en cas de réunion d’un nombre suffisant de signatures. Plusieurs autres idées gagnent à être étudiées :

2.1– Expérimenter, conformément à l’article 72-4 de la Constitution, dans certaines collectivités, un nouveau mode de scrutin permettant de répondre davantage aux attentes des citoyens, tels que le jugement majoritaire, proposé par Chloé Ridel.

2.2- Donner au maire, ou à un nombre suffisant de citoyens inscrits sur les listes électorales, le droit de se prononcer par référendum pour un projet urbanistique requérant plus de 0,5 hectare d’artificialisation des sols. Trop souvent, les collectivités territoriales n’ont pas leur mot à dire sur des projets qui ne concernent pas leur bloc de compétence, ce faisant, l’enthousiasme des maires et des élus sur leur fonction en pâtit. Il semble donc nécessaire de rétablir la clause générale de compétence et de défendre les libertés locales comme acquis de la République.

La préservation de l’environnement et la réduction des inégalités territoriales appellent par conséquent un nouveau contrat entre collectivités territoriales, Etat et citoyens afin de définir démocratiquement des règles contraignantes pour limiter l’artificialisation des sols et sauver la biodiversité de son effondrement. Sans cela, l’aménagement du territoire restera une réalité anarchique, davantage motivée par la concurrence fiscale et l’appât du gain de certain d’élus dont les intérêts convergent avec ceux du CAC 40.

LA RÉDUCTION DES INÉGALITÉS TERRITORIALES APPELLE PAR CONSÉQUENT UN NOUVEAU CONTRAT ENTRE COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, ETAT ET CITOYENS.

Références

Chloé Ridel, Ma solution pour la France : le jugement majoritaire, L’Obs, 19/03/2019

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