Les Thibault de Roger Martin du Gard, une photographie sociale de la Belle Epoque

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Une étude familiale et psychologique

C’est avant tout comme roman familial que se présente a priori le cycle de Martin du Gard. On y suit deux familles, les Thibault et les Fontanin. La première compte trois personnages principaux : Oscar Thibault, le père, Antoine Thibault, le fils médecin, et enfin Jacques Thibault, de près de dix ans son cadet, plus rêveur et solitaire. Chez les Fontanin, Thérèse, la femme au mari adultère et fuyant, et ses deux enfants Daniel, du même âge que le benjamin des Thibault, et Jenny, au caractère encore plus asocial que Jacques. L’histoire, au fil des huit livres, se centre de plus en plus sur les Thibault au détriment des Fontanin. Les premiers sont catholiques et les seconds protestants, précision qui passerait pour anecdotique dans la France de 2022 mais qui ne l’était pas au tournant du XXème siècle. Le futur lecteur des Thibaut ne doit pas s’attendre à des aventures romanesques qui emmèneraient nos amis (car oui, après 2400 pages ils nous apparaissent comme tels) dans des situations improbables. Héritier des Balzac et autre Tolstoï, Roger Martin du Gard a à cœur de rendre son récit réaliste. Exit donc les happy end, les combats à l’épée ou les complots politiques. Ce que le lecteur trouvera dans cette saga, c’est une famille bourgeoise somme toute assez ordinaire, c’est ici que réside paradoxalement tout l’intérêt de cette cellule familiale.

Si un terme devait résumer l’étude familiale que nous offre Roger Martin du Gard, ce serait l’atavisme. Défini chez le Robert comme une « hérédité des caractères physiques ou psychologiques », autrement dit des singularités qui se retrouvent chez différents membres d’une même famille, l’atavisme traverse tout le récit. Jacques et Antoine d’abord, que tout semble opposer pendant les deux mille premières pages, se trouvent finalement avoir des similitudes quasi insondables. Il faudra attendre qu’Antoine soit à l’orée de la mort pour s’en rendre compte. Atavisme également entre Oscar Thibault et ses enfants, bien qu’une génération sépare la fratrie du paternel. Importance de la famille, de la transmission et de l’hérédité. Les dernières pages du dernier roman, Epilogue, qui reproduisent le carnet de notes d’Antoine (destiné à Jean-Paul, un personnage dont nous ne voudrions pas gâcher la découverte aux lecteurs et lectrices), aboutissent sur une sorte de parachèvement de l’atavisme des Thibault. Antoine, à la question du sens de la vie, répond finalement ceci :

« Au nom du passé et de l’avenir. Au nom de ton père et de tes fils, au nom du maillon que tu es dans la chaîne… Assurer la continuité… Transmettre ce qu’on a reçu, – le transmettre amélioré, enrichi. Et c’est peut-être ça, notre raison d’être ? »

Une autre focale essentielle des Thibault réside dans la relation, difficile et sinusoïdale, entre les frères Jacques et Antoine. Neuf années les séparent – autant que la différence d’âge entre un frère et une sœur dans une autre œuvre de Roger Martin du Gard, Le lieutenant-colonel de Maumort. Dans les deux-mille-quatre-cents pages, on compte sur les doigts d’une main les moments d’affection chaleureux entre Jacques et son aîné. L’âge, le caractère, le mode de vie ; tout les sépare à première vue. On ressent chez l’un comme chez l’autre cette tristesse, cette frustration de ne pouvoir ouvrir complètement son cœur. Ils ne se comprennent pas, et pourtant s’aiment profondément. Ils ne pensent pas de la même façon, et pourtant pensent souvent à l’autre. Deux frères que tout oppose, mais que des caractères héréditaires, issus du père Thibault, réunissent malgré tout.

Cette ethnologie familiale ne serait pas complète si l’auteur n’avait pas intégré, en dernière instance, l’emprise du père sur ses enfants. Sur toute la famille à vrai dire, les deux frères sont entourés d’une multitude de personnages secondaires qui sentent aussi peser sur eux le poids du père autoritaire. Sa femme étant morte en couche lors de la naissance de Jacques – encore une fois on retrouve exactement le même schéma dans Le lieutenant-colonel de Maumort -, le père règne en unique maître sur toute la maison des Thibault. Autre schéma présent dans ces deux œuvres romanesques, la distance froide et austère entre le père et les enfants. Roger Martin du Gard, au détour d’une pensée de Jacques, confesse ce qui semble en réalité être la sienne : « et Jacques se souvint d’une phrase qu’il avait lue il ne savait plus où : « quand je rencontre deux hommes, l’un âgé et l’autre jeune, qui cheminent côte à côte sans rien trouver à se dire, je sais que c’est un père et son fils. » Derrière l’implacable joug patriarcal se cache, on se rend compte progressivement, une sensibilité enfouie depuis la mort de la mère. Une sensibilité que découvriront, au fil des pages, les deux frères, chacun à leur façon. Tout se tient dans cette géniale fresque familiale, des liens généalogiques à l’évolution psychologique des personnages en relation avec leur parent.

La peinture sociale d’une bourgeoisie à la croisée des chemins

Entre Oscar Thibault et ses enfants, un fossé générationnel se creuse. Après la mort du père, Antoine restera dans la « bonne » bourgeoisie catholique. La croisée des chemins, c’est à nos yeux une révolution anthropologique qui s’opère entre le père et ses enfants, entre une génération et une autre. Le père est austère, conservateur, républicain par défaut plus que par excès ; il construit au fil des années son empire économique et moral sur la bonne société parisienne. À l’inverse, Jacques devient socialiste et Antoine un progressiste modéré, féru de critiques antireligieuses. Autant le premier se révolte contre les valeurs bourgeoises et peut, à ce titre, se targuer d’être sorti des pas de son père, autant le second revendique une certaine forme de continuité. Mais tout en se pensant dans la suite de son paternel, il est en réalité radicalement différent. Il s’insère dans la bourgeoisie parisienne, autant qu’Oscar Thibault, mais l’idéologie bourgeoise évolue. Elle est moins austère, moins sobre, davantage progressiste et surtout, éloignée de la religion.

L’ouverture du premier roman dépeint une haine sans merci de Thibault père, fervent catholique, vis-à-vis des protestants. Savoir que son fils a fricoté avec un « parpaillot » le met hors de lui. La médiation entre les deux familles se fait donc sous une atmosphère de conflit religieux. L’homme choisi pour jouer la conciliation entre le camp catholique et le camp protestant – celui des Fontanin -, c’est justement Antoine. Faire l’entremetteur ne lui pose pas le moindre problème, en tant qu’agnostique, voire athée. Dans notre société contemporaine, détachée pour grande partie du religieux, on ne mesure pas la rupture – et son coût moral – entre la bourgeoisie du XIXe siècle et celle de la « Belle époque », confiante dans le progrès inéluctable du monde moderne. Sur des dizaines de pages, Roger Martin du Gard met en exergue cette confrontation entre un monde austère qui finit et un autre qui s’ouvre, hardi et naïf en même temps. Il laisse débattre deux de ses personnages, Antoine Thibault d’un côté « contre » l’abbé Vécard de l’autre. Arguments de foi contre exposés antireligieux, l’auteur présente Antoine comme sûr de lui, certain de la force de la raison contre le dogme religieux en général et catholique en particulier. Citons un court passage où Antoine s’adresse à l’abbé Vécard : « il y a si peu d’hommes qui attachent plus de prix à la vérité qu’à leur confort ! Et la religion, c’est le comble du confort moral ». Le confort moral, c’est celui d’une bourgeoisie besogneuse et conservatrice dont le nouveau siècle sonne le glas.

De « la fresque sociale à la fresque historique »(1)

Les huit romans des Thibault présentent plusieurs strates d’analyse. Une première, l’atavisme familial, celle immédiatement perceptible qui lie le père, Jacques et Thibault. Puis vient, implicitement, la fresque sociale qui recouvre l’évolution de chaque personnage. Enfin se dessine la dernière strate, en surplomb de tout le reste, et qui vient bousculer l’ordre familial et/ou social : l’histoire avec sa grande hache(2).

L’amorce du XXe siècle voit se développer des idéologies politiques radicales. Après une lutte centenaire entre la République et l’Ancien Régime, gagnée par la première, de nouvelles fractures politiques se font jour. À gauche, incarné ici par Jacques, un socialisme révolutionnaire d’un genre nouveau. Avant la Première Guerre mondiale, l’auteur nous fait suivre à travers le cadet des Thibault les ardeurs révolutionnaires des militants de la IIe Internationale, de la France à l’Allemagne en passant par la Genève de laquelle il s’est épris. Le lecteur passionné de socialisme y trouvera son compte, entre les personnages historiques (Jaurès, Vaillant, Sembat, etc) et les discussions théoriques. Celles-ci torturent Jacques, révolutionnaire mais idéaliste, plus hugolien que léniniste, qui tient en horreur la grande violence. Meynestrel, le chef de la petite bande de socialistes de Genève, marquera d’ailleurs sa différence avec Jacques, en expliquant ceci : « pas d’enfantement sans passer par les grandes douleurs ». Son maximalisme ira d’ailleurs jusqu’à encourager la déflagration mondiale pour détruire l’ordre des nations afin de faire advenir la révolution internationale.

Autre mouvement de pensée qui prend un essor en 1914 : le nationalisme. Ici ce n’est pas l’idée politique, avec ses militants et ses partis, qui est étudiée par Roger Martin du Gard, mais bien plus l’idéologie diffuse qui se propage à l’été 1914 à l’orée de la Première Guerre mondiale. On observe au fil des pages des individus pacifistes, socialistes, anarchistes ou couards, évoluer vers un nationalisme défensif contre « l’agresseur » allemand, assimilé au barbare là où ils se convainquent que la France, elle, symbolise le droit et la civilisation. Le changement est notable chez Antoine, qui justifie progressivement – et, disons-le, avec brio – un devoir moral qui incombe de défendre la patrie. Loin d’être va-t-en-guerre, il se fait à l’idée de partir avec son régiment. Il en ressortira, comme tous les Français, terriblement changé. La guerre, dans ce roman, détruit les convictions enracinées – notamment le pacifisme et l’idée de progrès inéluctable – et les vies toutes tracées.

Les contextes sociaux et historiques, déterminants dans ce cycle de huit romans, modifieront les opinions des personnages. Antoine, pourtant très porté sur sa personne avant le conflit mondial, expliquera dans les dernières pages que la vie consiste à « ne pas se laisser aveugler par l’individuel ». Aphorisme qui résume bien l’œuvre de Roger Martin du Gard.

Références

(1) Guarguilo René, « L’œuvre romanesque », L’École des Lettres, numéro sur Roger Martin du Gard du 1er mars 1999, Paris, éd. l’École des loisirs, p. 8-9.

(2) L’expression vient de Georges Perc.

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Entretien avec Johann Chapoutot (2/2)

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Seconde partie de notre entretien avec l’historien Johann Chapoutot consacrée à « renouer le fil du récit ».

Après avoir parcouru dans la première partie de cet entretien les grands récits de notre histoire, de la chrétienté jusqu’aux idéologies du XXe siècle, viens maintenant le temps de s’interroger sur la sortie des grands récits. 

Pourquoi le monde contemporain ne parvient-il pas à accoucher de récits structurants ? D’où vient cette impression que nous vivons dans un présent perpétuel et sans horizon ? Qu’est-ce que cela dit de notre rapport au monde ?

Tentatives de réponse dans le seconde et dernière partie de ce grand entretien avec Johann Chapoutot, auteur notamment de l’ouvrage Le grand récit, introduction à l’histoire de notre temps

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Décryptage : Connemara, le dernier roman de Nicolas Mathieu

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Après le succès de Nos enfants après eux, Nicolas Mathieu retrouve la France « périphérique ». Avec Connemara, c’est à travers la vie de deux personnages, entre passé et présent : Hélène et Christophe, deux anciens camarades de classe ayant grandi dans la même bourgade, mais séparés par un avenir bien différent.

Leur histoire d’amour sonne comme une revanche sociale : Hélène, invisible aux yeux des autres pendant sa jeunesse, intello de service, est mue par le désir de se venger de cette enfance fade. Christophe, sportif populaire pendant ses années lycée, est lui très vite esseulé par une vie qu’il imaginait moins monotone.

Hélène est un personnage ambivalent : il est facile de l’aimer quand on pense aux épreuves professionnelles traversées, au traitement qui lui est réservé tout au long du roman. Burn out après un passage dans un grand cabinet parisien. Sexisme ordinaire et humiliation dans son nouveau cabinet. Impuissance face aux comportements arrivistes des personnes qui l’entourent. Le tout étant parfaitement incarné par la figure de l’associé du cabinet (son supérieur hiérarchique) dont l’unique obsession se révèle être la somme d’argent opportunément apportée à l’entreprise par une réforme des régions (le roman se passe en 2017) incomprise de tous, et surtout des premiers concernés : les fonctionnaires. 

Ces épisodes ne sont pas sans rappeler la question des transfuges de classe.

Il est également si facile de la détester : le mépris (souvent de classe) dont elle fait preuve envers celles et ceux qui croisent sa route suscite facilement l’indignation chez le lecteur. Mépris d’abord envers Christophe. Mépris ensuite envers ses parents, rapidement désemparé par la réussite scolaire et professionnelle de leur fille. Ce couple, à l’image de la classe (populaire) à laquelle il appartient, tente tant bien que mal de se féliciter d’un parcours qu’il ne comprend pas. Un passage du livre illustre parfaitement les sentiments ambivalents des parents d’Hélène à l’égard de son parcours : la fierté face à sa réussite, mais la peur de la voir partir et devenir une inconnue : « elle pense petite idiote, mon cœur, grande saucisse, ma chérie, pour qui tu te prends, ne t’en vas pas ». Ces épisodes du livre ne sont pas sans rappeler la question des transfuges de classe. 

Nicolas Mathieu nous met face à une question que beaucoup se sont posée : rester ou partir ?

Détestable, Hélène l’est également lorsqu’elle rejette tout ce qui a trait à son origine sociale pour mieux idéaliser celle de son amie d’enfance : Charlotte Brassard, dont elle trouve la vie idyllique et la famille merveilleuse.

Hélène est celle qui a réussi. Belle maison, études prestigieuses, femme active, mère de deux enfants, mari respectable et fortuné, belles voitures, etc.… pour autant, cette femme fait face aux mêmes écueils que la plupart des familles (tous milieux sociaux confondus) : la réussite de son mari prime sur la sienne, engendrant des rapports inégaux au sein du couple quant à l’éducation des enfants et au travail domestique.

Christophe lui, est celui qui est resté. L’autre qui n’a pas su ou pas voulu s’extraire de sa condition. Rester, c’était un choix naturel. Contrairement à Hélène qui a passé son enfance à tout mettre en œuvre pour s’en aller, lui, n’avait rien à aller chercher ailleurs. Son statut de sportif populaire au lycée lui donnait l’assurance d’un avenir agréable. C’est ce rêve de gosse, celui de devenir sportif de haut niveau, qui la peut être amené à ne jamais envisager de partir. Ce rêve, il s’y raccroche sans relâche ce qui peut parfois paraître désespéré : il lui rappelle son statut social d’antan au sein de la commune.

Entre Hélène et Christophe, un trouble perdure. Bien qu’ayant tous les deux grandi dans la petite ville de Cornécourt, plus grand-chose ne les rattache l’un à l’autre. Si ce n’est finalement la volonté d’Hélène d’affirmer sa domination sur tout ce qui l’entoure, et en premier lieu sur Christophe. Bien sûr, Hélène se laisse parfois attendrir par l’ancien sportif, s’attache à lui. Mais ce n’est jamais que pour un temps bien court. Elle ne se satisfait pas d’un homme qu’elle ne trouve pas, socialement, à sa hauteur. Cette sensation atteint son apogée lors d’une scène finale du livre, le mariage du couple d’amis de Christophe.

Tout au long du roman, Nicolas Mathieu nous invite à remettre en question notre propre vision de la réussite au regard de la vie de ces deux personnes. La réussite, Hélène et Christophe l’appréhende d’une manière différente. Il nous met face à une question que beaucoup se sont posée : rester ou partir ? Un roman qui mérite assurément le détour.

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Entretien avec Johann Chapoutot (1/2)

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Pour notre première émission sur La Fabrique, nous lançons une série consacrée à cette question brûlante d’actualité « Comment renouer le fil du récit contemporain ? »

Pour débuter cette série, un entretien en 2 parties avec Johann Chapoutot, historien, auteur du succès de librairie « Le Grand Récit, introduction à l’histoire de notre temps » (éditions PUF).

Qu’est-ce qu’un récit ? Comment les sociétés humaines se racontent-elles des histoires pour affronter la grande question de leur disparition ? Pourquoi les grands récits ont-ils déserté le monde contemporain ? Peut-on encore imaginer de grands récits pour demain ?

Ce sont toutes ces questions auxquelles nous allons tenter d’apporter une réponse avec Johann Chapoutot, dans la première partie de cet entretien.

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Retour de campagne : la part du rêve et l’épreuve du réel

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Il y a quelques années de cela, Alain Juppé utilisait une expression culinaire pour décrire la stratégie électorale qu’il comptait mettre en œuvre et qui aura finalement tenu lieu de feuille de route à Emmanuel Macron : couper les deux bouts de l’omelette… Comprendre par-là : constituer un bloc centriste dont l’assise serait suffisamment large pour forcer les oppositions à se radicaliser jusqu’à se disqualifier elles-mêmes aux yeux des électeurs. Comptant sur le fait que la France « souhaite être gouvernée au centre » comme disait Giscard, il pensait qu’un tel bloc centriste permettrait ensuite de couper ces fameux bouts de l’omelette, comprendre : les forces de droite radicale et de gauche radicale. Pari gagné !

En cinq ans, cette stratégie électorale aura permis à Emmanuel Macron de se qualifier, et de l’emporter, par deux fois. De quoi relativiser l’idée qu’il existerait trois blocs politiques équivalents (gauche, centre, droite), car si trois blocs il y a, force est de constater qu’ils ne sont pas de même taille. Comment le pourraient-ils d’ailleurs ? Certains commentateurs ont l’air de découvrir ces trois blocs comme s’il s’agissait d’un phénomène nouveau, rien de tel. Dans son ouvrage, récemment réédité chez Gallimard, La gauche et la droite : histoire et destin, Marcel Gauchet explique bien que la répartition « topographique » des forces politiques dans l’hémicycle se fait, en France, entre trois blocs et ce depuis le début du XIXe siècle, depuis la Restauration plus exactement. Cette tripartition du champ politique entre la gauche, le centre et la droite, se retrouve tout au long des XIXe et XXe siècle, même si la signification de ce clivage a changé au cours du temps : la gauche de 1936 n’est plus celle de 1830, la droite non plus…

Dans ce paysage, les institutions de la Ve République sont éminemment singulières à cause de l’élection présidentielle au suffrage universel direct : la répartition des forces ne se mesure plus tant à l’intérieur du Parlement qu’à l’occasion de l’élection reine et les blocs politiques se superposent, bien qu’imparfaitement, avec les catégories socio-professionnelles. Or, si l’on excepte De Gaulle dont la stature et le poids historique rendent toute comparaison inadaptée, sur sept présidents de la République, deux sont issus directement du centre, Valéry Giscard d’Estaing et Emmanuel Macron, et deux autres ont été élus avec l’appui non négligeable de ce bloc, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Rappelons d’ailleurs que la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012 doit beaucoup à la défection d’une partie des forces centristes qui, en raison de la droitisation de son discours sur les thèmes identitaires, se sont reportées sur François Hollande.

Seul fait exception dans ce paysage François Mitterrand, qui fut élu sans le soutien des forces centristes, à une époque néanmoins où le poids électoral du PCF assurait la soudure électorale et permettait au PS d’apparaître comme une force centrale à gauche.

La seule prouesse d’Emmanuel Macron finalement est d’avoir su élargir son assise politique de Jean-Pierre Chevènement à Jean-Pierre Raffarin. Or un centre élargi et fort entraine mécaniquement l’affaiblissement de la droite et de la gauche et oblige à radicaliser les clivages pour espérer bousculer le centre qui devient, de fait, le centre de gravité électoral du pays.

Emmanuel Macron agit depuis cinq ans comme un trou-noir pour les forces centrales de gauche comme de droite. Les voix cumulées des candidates LR et PS n’ont pas dépassé en 2022 les 6%, alors même que ces deux partis sont aujourd’hui à la tête de la majorité des villes de France (modulo les victoires écologistes de 2020 dans quelques grandes villes sur fond d’abstention massive et d’alliances avec les autres forces de gauche), de la majorité des départements et des douze régions métropolitaines.

Emmanuel Macron a soudé autour de sa personne un bloc centriste politiquement hétéroclite mais électoralement cohérent qui représente à lui seul désormais le « cercle de la raison » dont les contours ont été élargis de façon inédite.

Or cette image du « cercle de la raison » est un verrou puissant : il départage dans l’esprit de nos concitoyens ceux qui sont perçus comme aptes à exercer le pouvoir de ceux qui ne le sont pas, dans un pays qui reste une puissance sur la scène internationale et où le chef de l’Etat dispose des codes nucléaires. Les Français ne s’y sont pas trompés dimanche 24 avril, en rejetant à plus de 58% Marine Le Pen et le « bloc national » qu’elle formait dans les urnes avec les électeurs d’Éric Zemmour ainsi qu’avec les éléments les plus radicaux de la droite traditionnelle.

Ce verrou est d’autant plus difficile à faire sauter que l’élection du Président au suffrage universel fait primer une perception presque charnelle du candidat sur la réalité du discours et le bienfondé des propositions. Pis, les programmes ne sont, dans ce cadre, que des outils pour étayer une « figure », celle du candidat providentiel. Les propositions doivent permettre de rehausser tel trait saillant que l’on souhaite mettre en exergue ou bien lisser tel autre. On y cherche davantage des « marqueurs » politiques, que de véritables solutions à même de dessiner une vision du monde cohérente.

L’importance accordée dans notre pays au débat d’entre-deux tours est à comprendre sous ce prisme : davantage que de projets c’est la confrontation entre deux personnalités dont on jugera à la fin laquelle est la plus apte à diriger le pays. La stature est tout, le programme pèse peu. Et si Marine Le Pen a échoué pour la seconde fois au second tour, c’est parce que les Français ne les jugent, elle et son équipe, ni dignes, ni aptes à exercer le pouvoir.

Le « cercle de la raison » est un verrou indéboulonnable pour une raison à la fois simple et terrible : la France est un pays riche, bien que des pans entiers de sa population soient paupérisés. On peut dramatiser et radicaliser à outrance les clivages, voir la fracture politique se redoubler d’une véritable fracture géographique entre l’ouest et l’est du pays, les métropoles et les villes moyennes, voire les zones rurales, il n’y fait rien : les Français aiment se donner des frissons mais ils ne veulent pas des extrêmes.

Bien que notre imaginaire politique soit aujourd’hui encore tout entier structuré autour de cet évènement fondateur et mythifié qu’est la grande Révolution, nous ne sommes plus un peuple révolutionnaire depuis plus d’un siècle et demi.

Pour autant, nos concitoyens, biberonnés à l’idéal humaniste et rousseauiste, sont davantage enclins à la révolte que les populations des pays d’Europe du Nord, de l’Allemagne ou encore de l’Italie, où l’esprit « chrétien démocrate » irrigue les représentations politiques. Grande mobilisation contre les retraites, référendum d’initiative citoyenne contre la privatisation d’ADP, « gilets jaunes » : le peuple Français a un besoin irrépressible de se manifester physiquement et de redoubler la démocratie représentative d’une expression directe propre à contraindre ses élus.

Ainsi la pratique qui est faite de notre Constitution (contournement du Parlement, alignement des mandats et des calendriers électoraux pour garantir une majorité au Président élu) et le scrutin majoritaire sont autant de carcans imposés à la volonté populaire.   

Proprement ahurissants et, malheureusement, symptomatiques ont été à cet égard les débats de l’entre-deux tours sur la nature de notre Constitution et l’usage du référendum, durant lesquels des juristes bon-teints et les partisans du Président sortant ont presque théorisé la supériorité des normes constitutionnelles sur le référendum, soit la supériorité du droit positif sur le choix du peuple souverain. La défiance, voire le mépris vis-à-vis du « peuple » perçu comme une foule violente crée un ressentiment terrible qui fracture la nation et donne corps à un clivage peuple / élite dont l’effet s’avère particulièrement délétère.

Osons une hypothèse : les trois dirigeants des trois blocs sortis des urnes en 2022 sont trois dirigeants populistes qui creusent le sillon d’un clivage entre des supposées élites et un peuple pour remporter l’élection. Emmanuel Macron est, à cet égard, le représentant des élites qui, sans le dire, avalisent ce clivage et font bloc pour éviter le grand renversement. Dit autrement, Emmanuel Macron a été élu pour s’assurer que le couvercle reste bien sur la cocotte-minute pendant cinq ans.

Face à cela, les forces de gauche comme de droite, qui ont avalisé ce clivage populiste, sont poussées à la radicalité et ne peuvent prospérer qu’en agitant l’espoir d’un bouleversement réel, d’un renversement. L’extrême droite rêve d’un renversement qui signerait à la fois la fin des élites mondialisées et la fin de l’immigration – c’était le sens du slogan de Marine Le Pen « rendre aux Français leur pouvoir d’achat et leur pays » – et Jean-Luc Mélenchon brosse, lui, plus large : rendre aux Français des institutions démocratiques, les richesses accaparées par quelques-uns, leur souveraineté et engager la transition écologique. Le ressort est identique et conforme aux canons populistes : « reprenez le pouvoir » (« take back control ») à ceux qui vous l’ont injustement dérobé.

Cela fait dix ans et trois élections que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon jouent chacun sur ce registre, dix ans qu’ils échouent. La progression de Marine Le Pen a beau être réelle entre 2017 et 2022, elle cache mal la détermination de nos concitoyens à rester dans un régime modéré. Combien de millions d’électeurs ont, la mort dans l’âme, voté Emmanuel Macron en 2017, en 2022 ? Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon pourraient être dix fois candidats, ils échoueraient dix fois, sauf circonstances exceptionnelles. Un clivage peuple / élite ne peut tourner qu’à l’avantage électoral des classes moyennes supérieures et de la bourgeoisie qui forment un bloc sociologique bien plus cohérent et conscient de ses intérêts de classe qu’un peuple qui hésitera toujours entre l’identité nationale et la question sociale.

Éric Zemmour l’a d’ailleurs justement pointé au début de sa campagne : Marine Le Pen ne peut pas gagner car elle enferme ses partisans dans « un ghetto électoral », comme le PCF de 1969 qui pouvait faire 22% au premier tour mais n’aurait su l’emporter.

La perspective du grand bouleversement créera, à terme, de la frustration parmi nos concitoyens Cette machine à produire de la radicalité n’est pas seulement une machine à perdre, elle est aussi une formidable machine à détruire le consensus démocratique.

Dans un tel contexte et afin de se mettre au travail dès le lendemain des élections législatives, quelles leçons pouvons-nous tirer de cet échec, pourtant attendu, de la gauche ? Au moins trois, bien que la liste ne soit pas exhaustive.

La première : prendre garde à ne pas se laisser enfermer dans un ghetto électoral, celui de la gauche extrême. Si le projet de transformation sociale et écologique est porté par un discours de défiance permanente, il suscitera davantage la méfiance que l’adhésion et ne pourra espérer l’emporter. Nous ne devons pas seulement souhaiter la rupture, nous devons encore la rendre possible et notre responsabilité collective est de la faire advenir en étudiant les leviers d’action qui sont à notre disposition, tous autant qu’ils sont ; en renouant également avec les « fachés mais pas fachos » que le scrutin présidentiel ne mobilise pas, ou si peu.  

La seconde, qui est une réponse à la première : dissoudre le bloc libéral et pour cela parler également à ce qui fut, il y encore peu de temps, l’électorat du parti socialiste. Ce n’est pas se renier ni renoncer à ses convictions que de s’affronter au réel tel qu’il est et non tel que l’on souhaiterait qu’il soit. La gauche est réformiste parce qu’elle veut transformer le monde, et elle doit pour cela partir du monde tel qu’il est, et notamment des contraintes qui, malheureusement, existent. L’essence de la politique réside dans l’affrontement entre volontés antagonistes. Un programme de gauche doit être ambitieux sur tous les points : social, écologique, institutionnel, économique. Il doit également être crédible, applicable en l’état.

Les résultats électoraux de la gauche à Paris sont porteurs d’espoirs, battant en brèche la théorie des deux gauches irréconciliables : Jean-Luc Mélenchon y a dépassé les 30% au premier tour. Sa progression dans des zones acquises à Emmanuel Macron en 2017 est impressionnante, là où Emmanuel Macron a, en 2022, fait le plein dans les arrondissements de droite. Or cet électorat, le fameux électorat de centre-gauche, dit « bobo » et si conspué par la France Insoumise a réaffirmé au détour d’un vote utile pour Jean-Luc Mélenchon, ses convictions de gauche au 1er tour, avant de voter pour Emmanuel Macron au second.

La troisième condition, qui découle de la seconde, est une condition opérationnelle. Un bloc central à gauche doit émerger, ce qui ne veut pas dire un bloc centriste ! Nous devons faire à gauche ce que Macron a fait au centre : créer un pôle de gauche capable d’exercer le pouvoir. La gauche est multipolaire par essence, sa diversité fait sa richesse. Croire qu’une force peut éradiquer les autres, l’emporter et ensuite gouverner est une chimère. Le combat pour la victoire de la gauche est d’abord un combat pour l’unité de la gauche. Cette gauche, écologiste, sociale, républicaine, existe déjà, elle est l’aspiration d’une part immense de nos concitoyens, elle n’attend qu’une étincelle pour s’embraser électoralement.

Cette étincelle ce sera l’émergence d’une force nouvelle, structurée et surtout centrale à gauche. Cette force devra être capable de dialoguer avec toutes ses composantes, capable d’en retenir le meilleur, mais aussi d’assumer les désaccords, d’assumer la pluralité et de lutter pour le compromis. Elle devra également affronter un autre phénomène inquiétant de l’élection que nous venons de vivre : le clivage générationnel. L’élan de la jeunesse est le supplément d’âme de la gauche, mais nous ne pouvons pas tourner le dos à nos anciens. Réparer la France, c’est aussi faire dialoguer les générations plutôt que de bâtir entre elles des clivages stériles.

En 2022, alors qu’elle était condamnée, la gauche s’est levée pour réaffirmer son existence. Le vote utile en faveur d’un Jean-Luc Mélenchon ayant pourtant adopté une ligne radicale est une excellente nouvelle : en se recentrant un peu la gauche peut demain l’emporter. Le comportement de vote des électeurs de Jean-Luc Mélenchon au second tour est aussi une bonne nouvelle : malgré la colère et le dépit, les électeurs de gauche ont choisi de sauver la concorde plutôt que de jeter le pays dans le chaos, un signe de sagesse et de maturité.

Rappelons-nous que la gauche n’existe que par sa capacité à dessiner un horizon désirable – ce que les forces écologistes devraient mieux mesurer – et à paver la voie pour y parvenir. Plus que jamais c’est là ce que réclame notre pays au lendemain d’une élection présidentielle qui laisse dans la bouche de nombreux électeurs un goût de cendres.

Notre tâche est immense et la route vers la victoire sera semée d’embûches, mais comme le dit souvent Jean-Luc Mélenchon en citant Camus : « il faut imaginer Sisyphe heureux. »

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Le socialisme de Blum peut-il nous sauver en 2022 ?

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Entretien avec Milo Lévy-Bruhl

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Le Temps Des Ruptures : En rééditant À l’échelle humaine de Léon Blum et en lui consacrant une très longue préface, vous nous avez replongés dans la pensée et dans les problèmes qu’affrontèrent les socialistes français durant la première moitié du XXe siècle. À travers, quelques questions nous aimerions prolonger votre réflexion pour voir dans quelle mesure l’écho de cette période est susceptible de nous aider face aux défis que cherche à relever le socialisme en ce début de XXIe siècle. L’exercice nous paraît d’autant plus intéressant que nombreux sont ceux qui font aujourd’hui le parallèle entre la situation actuelle et celle des années 30 ou de la reconstruction d’après-guerre.
Milo Lévy-Bruhl :

Je vous remercie de cette proposition dont je ne peux que partager la finalité puisqu’elle est à l’origine de ma propre démarche : méditer le passé pour agir dans le présent. Spontanément, j’aurais cependant tendance à résister aux parallèles historiques que vous indiquez. De telles comparaisons me semblent toujours trop faciles. En isolant un ou quelques éléments du présent et en forçant l’analogie, untel, pessimiste, nous replonge dans les années 30, un autre, optimiste, dans l’épopée réformatrice des dernières années du XIXe siècle, untel phantasme le retour de la guerre civile et tel autre la reconstruction de l’après Libération. Je ne veux pas nier ce que les comparaisons peuvent avoir d’heuristiques mais encore faut-il caractériser précisément ce qu’on compare. Or, c’est souvent l’inverse. La comparaison devient un réflexe qui permet précisément de faire l’économie de l’analyse du présent en le rabattant sur un passé supposément mieux connu. Le seul mérite du procédé est alors de nous apprendre quelque chose sur la disposition d’esprit de celui qui compare.

Cela étant dit, s’il faut discuter le principe même du parallèle historique du point de vue socialiste, je crois qu’une telle discussion aurait le mérite de nous adresser une question, à nous intellectuels et militants d’aujourd’hui. Celle de nous confronter à nos schèmes d’interprétation des dynamiques historiques des sociétés modernes. Lorsque le marxisme était dominant au sein du socialisme, il n’avait pas de difficultés à comparer des périodes historiques distinctes parce que la société moderne dans son ensemble lui apparaissait gouvernée par des cycles capitalistiques qui pouvaient effectivement se répéter. Par exemple, l’enjeu pour les socialistes dans les années 30 en France a été de savoir si la crise économique de 1929 était une crise de croissance du capitalisme comme une autre ou si elle était la crise finale. Ici, la bonne comparaison revêtait une importance primordiale puisqu’elle conditionnait les modalités de l’action. Blum se prête lui aussi à des comparaisons. Selon lui, la Révolution française, par la proclamation des droits de l’Homme et du Citoyen, a symboliquement ouvert une époque nouvelle de l’histoire de l’humanité : celle de l’émancipation, du développement de l’individu. Or, ce choc originel n’a pas encore été totalement digéré et donne lieu à des crises fréquentes qui voient s’affronter héritiers des révolutionnaires et héritiers de la contre-révolution. À la veille du Front Populaire, il compare donc certaines de ces crises – Affaire Dreyfus, après-guerre, etc. – et se demande si celle que connait alors la France est une énième forme de cette lutte, ou si elle signale l’entrée dans une nouvelle phase de la modernité. S’il tient tant à écrire

À l’échelle humaine, c’est d’ailleurs parce que sur le moment il est persuadé que la grande crise, celle qui ne signale plus seulement un énième à-coup de la Révolution de 89 mais les prémices de la révolution socialiste, a commencé en 1940. De ce point de vue, c’est l’absence de tels supports théoriques qui s’accuse aujourd’hui dans la faiblesse de nos comparaisons. La réactivation de nos traditions analytiques me semble donc un préalable à la discussion des ressemblances et des dissemblances entre les crises du capitalisme de l’entre-deux-guerres et celles d’aujourd’hui, entre les pathologies de l’autonomie moderne dont rend compte le fascisme d’entre-deux-guerres et celles d’aujourd’hui.                    

LTR : Dans la préface que vous avez rédigée, vous montrez que la période de la guerre est avant tout pour Blum une épreuve intellectuelle et qu’il en sort avec des conceptions différentes de celles qu’il avait en y entrant, ce qui tendrait à minorer la force de ces traditions analytiques. Pour le dire plus clairement, vous montrez que le marxisme qui est le sien dans l’entre-deux-guerres ne sort pas indemne des évènements.
MLB :

Je ne crois pas qu’il change de conceptions. Disons que les représentations marxistes et celle du « jauréssisme » ont toujours cohabité à l’intérieur de la SFIO, et Blum lui-même essaie, comme tant d’autres, de les harmoniser. Sa vie militante est faite d’une alternance entre majoration marxiste et minoration jauréssienne et inversement. L’enjeu intellectuel de tenir les deux bouts rejoignant un enjeu très politique d’unité de la SFIO dont il s’estime le garant. Mais de ce point de vue, en effet, la SFIO dont Blum est le leader parlementaire dans l’entre-deux-guerres est fortement dominée par le marxisme de tradition guesdiste que représente son Secrétaire Général, Paul Faure. Marxisme qui pèse sur un Blum qui, jusqu’en 1920 s’était montré bien plus jauressien. De ce point de vue, À l’échelle humaine représente le dernier épisode du « moment marxiste » de Léon Blum, un marxisme bien hétérodoxe néanmoins. Mais ce marxisme de la SFIO avait déjà été éprouvé avant-guerre. À l’échelle humaine est comme le chant du cygne du marxisme-guesdiste à la française et il masque une inflexion fondamentale qui se produit dans le socialisme français entre 1930 et 1950. Pour la comprendre, il faut renoncer à penser la période de la guerre comme une période de rupture, ce qui est contraire à notre disposition spontanée, pour apercevoir au contraire les effets de continuité entre les années 30 et l’après-guerre. Il faut considérer les années 30 et l’expérience du Front Populaire comme un lieu d’incubation des politiques mises en place à la Libération. De fait, il y a une continuité historique entre les deux périodes et, à l’arrière-plan de cette continuité, il y a en réalité un problème inédit qui se pose au socialisme français et qui ne fait que s’accentuer des années 30 à l’après-guerre.

Pour saisir cette continuité, il faut repartir du milieu des années 30 et comprendre ce que visait le Front Populaire. Pour les socialistes, la crise de 1929 est considérée comme la crise finale du capitalisme. Autrement dit, la révolution est en approche. Dans ce contexte, hors de question pour eux d’exercer le pouvoir dans les structures bourgeoises de la démocratie parlementaire : le parti entre dans une phase d’attentisme révolutionnaire. Son secrétaire général, Paul Faure, l’explique très clairement en 1934 dans Au seuil d’une Révolution. Pour cette même raison les néo-socialistes, qui eux sont favorables à une collaboration de classe dans le cadre de la République bourgeoisie, sont expulsés du parti. Pourtant, deux ans plus tard, la SFIO a totalement changé d’état d’esprit et amorce un rassemblement populaire qui vise l’accès au pouvoir. Comment expliquer ce revirement ? Avec février 1934, avec l’avancée du fascisme en Allemagne, la SFIO s’est rendue compte qu’il n’y avait pas de passage automatique de la crise du capitalisme au renforcement du prolétariat. C’est le fascisme, point de fuite de sa théorie, et non pas le socialisme qui s’est trouvé renforcé par la paupérisation à laquelle mènent les contradictions du capitalisme. Le Front Populaire vise alors à pallier cette conséquence inattendue. Pour autant, le Front Populaire n’est pas considéré par ses acteurs comme un moment socialiste. Son programme n’est pas présenté comme un programme socialiste, c’est un programme « anti-crise ». Il veut éviter que les ouvriers et les paysans aillent grossir les rangs fascistes. C’est un pis-aller, une politique qui ne peut être et ne doit être que provisoire. L’objectif est seulement de temporiser en attendant la révolution qui vient.  

LTR : Et en 1940, lorsqu’il se met à écrire À l’échelle humaine, Blum pense que la révolution est à l’ordre du jour…
MLB :

Oui, en 1940, malgré le choc que constitue l’invasion de la France, le scénario reste le même. Pour Blum, la classe bourgeoise s’est bel et bien effondrée comme l’anticipaient les socialistes depuis le début des années 30. Ne reste que cette verrue née des dernières phases de radicalisation du capitalisme : le fascisme, sous ses différentes formes. Autrement dit, une fois le fascisme vaincu, ce qui est le but de la guerre, la classe ouvrière organisée se saisira tranquillement de la souveraineté laissée vacante par l’effondrement de la classe bourgeoise. C’est tout à la fois ce qu’explique et ce qu’annonce À l’échelle humaine. Mais les choses ne se passent pas comme attendu. Le fascisme est battu et pourtant la révolution n’a pas lieu. Blum qui analysait si sereinement les évènements de 1940 et annonçait la révolution pour 1945 se trouve, au lendemain de la Libération, franchement démuni. Il ne comprend pas que la révolution n’ait pas eu lieu. Ce à quoi il se confronte, c’est à l’immaturité révolutionnaire de la classe ouvrière organisée et de son parti. Tout d’un coup, un trou se crée entre l’effondrement bourgeois et l’avènement prolétarien que la logique révolutionnaire marxiste-guesdiste n’avait pas anticipé et c’est ce trou qu’il lui faut combler. C’est dans ce contexte inédit que la politique du Front Populaire va changer de fonction. En 1936, elle était provisoire, elle ne visait qu’à entraver la dynamique fasciste en attendant la fin de l’effondrement bourgeois. En 1945, cette même politique peut être reprise et poussée plus loin parce qu’elle n’a plus vocation à être provisoire, mais transitoire. La Sécurité sociale, les nationalisations, les planifications ne visent pas seulement à temporiser en attendant la révolution, mais à préparer la révolution. Dans l’effondrement du marxisme-guesdisme, Blum retrouve la conception de « l’évolution-révolutionnaire » de Jaurès.

LTR : Le sujet des nationalisations est revenu sur le devant de la scène politique ces derniers mois, peut-être qu’en détaillant le changement que vous indiquez dans la conception de leur rôle, on pourrait mieux comprendre l’enjeu de telles politiques pour le socialisme aujourd’hui.
MLB :

Dans le schéma marxiste-guesdiste qui est celui des socialistes au moment du Front Populaire, on ne peut pas prôner les nationalisations autrement que comme des pis-aller provisoires. Pour Guesde, nationaliser c’est « doubler l’État-Gendarme de l’État-Patron ». Une politique socialiste conséquente ne parle donc pas de nationalisations mais de socialisation des moyens de production et d’échange qui ne reviennent pas à l’État mais aux institutions du travail. Au moment du Front Populaire, on insiste donc sur le caractère non socialiste des nationalisations. Dans l’après-guerre, ces scrupules tombent et tout d’un coup, alors que c’est toute la conception de l’État qui est engagée dans le débat, nationalisations et planification intègrent l’éventail des mesures socialistes. Pourquoi ? Dès lors que l’effondrement bourgeois n’a pas suffi, que la Révolution n’est pas advenue et ne semble pas à l’horizon, il faut se remettre au travail, la préparer mais autrement. Les réformes sociales et économiques du Front Populaire sont alors réévaluées et prennent une importance nouvelle. Désormais, elles ne vont plus jouer le rôle de temporisateur mais celui de préparateur de la Révolution. Elles vont libérer du temps pour le prolétariat, elles vont lui offrir des conditions de vie améliorées qui vont lui permettre de se consacrer progressivement à sa tâche, etc. Et à mesure que ces améliorations lui permettront de mieux s’organiser, de développer ses propres institutions, les propriétés et les prérogatives de gestion économique qui avaient été confiées à l’État à la Libération vont lui revenir.

Si je voulais forcer la comparaison, je dirais qu’en 1945 le socialisme français se trouve dans la position du bolchévisme en 1917. La classe antagoniste a été grandement dépossédée, la maîtrise de l’État est quasiment assurée mais les institutions de la société socialiste n’existent pas encore. En Russie, c’est le parti qui va, très mal, remplir le rôle d’agent d’une transition qui n’adviendra jamais. En France, c’est l’État. D’ailleurs, sans qu’il lui soit nécessaire de se le formuler, le Parti Communiste Français reconnait très bien la situation et s’y adapte avec une aisance extraordinaire. Il n’y a pas plus étatistes que les communistes à la Libération. Tant que Maurice Thorez peut s’imaginer transformer les technocrates en agents au service du parti via l’ENA ou les écoles de cadre, il est partant. Pour Blum non plus, le changement de conception n’est pas trop coûteux puisqu’il correspond au schéma socialiste de sa jeunesse, celui de l’évolution-révolutionnaire de Jaurès exposée au Congrès de Toulouse de 1908. À une condition néanmoins, une condition fondamentale : le parti doit toujours garder en tête que cette nouvelle situation ne doit être que transitoire et que les moyens nouveaux dont dispose désormais l’État doivent absolument être au service de la démocratisation de l’économie, de la formation et de la responsabilisation de la classe ouvrière organisée, du développement des institutions socialistes qui viendront progressivement remplacer celle de l’État. Ce n’est pas pour rien que les membres fondateurs du PSA (Parti Socialiste Autonome), puis les dirigeants du premier PSU (Parti Socialiste Unifié), des gens comme Édouard Depreux, qui se revendiquent de Blum, vont passer leur temps dès le début des années 50 à rappeler que le socialisme technocratique ne doit être que transitoire, puis à attaquer la technocratie. Leur grande crainte, c’est que la situation historique transitoire se pérennise, que l’État et la technocratie oublient leur rôle historique. Or, c’est bien ce qui va arriver.

LTR : Comment expliquer l’oubli de ce caractère transitoire de la politique de nationalisation/planification ?
MLB :

Parmi les acteurs socialisants de l’après-guerre – le Parti Communiste Français, la tendance blumiste de la SFIO et la tendance molletiste de la SFIO – il n’y a que pour ces derniers, héritiers du marxisme-guesdiste, que le revirement vis-à-vis de la conception de la révolution et du rapport à l’État est incompréhensible, qu’il est subi et qu’il s’impose sans pouvoir être idéologiquement digéré. Malheureusement, c’est cette tendance qui devient majoritaire dans le Parti dès septembre 1946 et qui le restera longtemps. C’est cette tendance qui redouble de profession de foi marxiste orthodoxe à mesure qu’elle s’en éloigne dans son exercice du pouvoir. Et c’est sa cécité sur l’écart entre son discours et sa pratique qui a profondément désorienté le socialisme français. Sur ce point précis des nationalisations, elle a été révolutionnaire dans le discours et réformiste dans la pratique. Résultat, les nationalisations n’ont été ni provisoires, ni transitoires. Elles se sont installées non pas comme la première phase de la socialisation mais comme une étatisation. Or, quand on gère des étatisations, on ne s’occupe pas de l’organisation de la classe ouvrière, on devient un parti de technocrates. On défend l’étatisation, non plus comme une étape vers la socialisation mais pour des raisons d’efficacité économique, d’outil de régulation des marchés, etc. Et alors, au premier souffle de vent idéologique, à la première déconvenue économique, on perd ses arguments et on commence à regarder les privatisations d’un œil bienveillant. Je pense qu’on ne peut pas comprendre l’histoire du socialisme depuis le Congrès d’Épinay si on n’a pas en tête la position intenable dans laquelle s’était retrouvée la SFIO molletiste depuis la fin de la IVe République. Le Mitterrand qui proclame la rupture avec la société capitaliste est dans le verbiage rhétorique de l’époque et le tournant de 1983 était inscrit dans la trajectoire du socialisme français depuis bien longtemps.

Intuitivement, je pense que beaucoup de gens à gauche sentent cela aujourd’hui puisque la référence qu’ils mobilisent spontanément survole toute cette double séquence – mollettiste et mitterandienne – du socialisme français : c’est le programme du CNR. Or, le programme du CNR c’est le dernier acquis du socialisme à la Blum, et si on en est aujourd’hui à le défendre – ce qui est hautement nécessaire – c’est précisément parce qu’il n’a pas été mené au bout, que les étatisations ne sont pas devenues les socialisations qu’elles auraient dû être. Aujourd’hui, à gauche, le centre de gravité idéologique se trouve entre les gens qui veulent nationaliser et ceux qui ne veulent pas. Les discussions portent sur l’ampleur des nationalisations, c’est-à-dire des étatisations. Et la pandémie, comme la crise climatique, sont venues donner des arguments aux nationalisateurs, mais des arguments centrés sur l’efficacité de l’État comme acteur économique non obnubilé par des enjeux de profitabilité de court terme. Ce qui n’est pas encore la position socialiste d’un Jaurès ou d’un Blum mais cet héritage bâtard des apories du marxisme-guesdisme. Pour un socialiste, la nationalisation au sens d’étatisation ne vaut que comme étape de la socialisation, c’est-à-dire dans la perspective d’une démocratisation générale de l’économie. Donc je dis aux défenseurs actuels de la nationalisation et de la planification : « Messieurs et Mesdames, les radicaux – leur position aujourd’hui est celle des courants de gauche du radicalisme de la IIIème République, encore un effort pour être socialistes ! ».

LTR : Cet oubli du socialisme que vous signalez semble avoir été compensé aujourd’hui par l’avènement d’une autre idéologie : le populisme de gauche. Est-ce que vous y voyez un prolongement du socialisme ou au contraire un signe supplémentaire de son effacement ?
MLB :

Le populisme est une doctrine complexe et il y a un monde entre les premiers textes d’Ernesto Laclau et les derniers de Chantal Mouffe. Laclau, dans ses premiers textes, se confrontait à la question ô combien importante aujourd’hui de savoir qui est l’acteur révolutionnaire du socialisme si le prolétariat ne l’est plus ; soit qu’il ne soit plus révolutionnaire, soit qu’il ne soit plus un acteur politique. Mais tel qu’il a été importé en France entre 2012 et 2017, le populisme de gauche s’inspire plutôt des derniers textes de Mouffe et se présente davantage comme une stratégie électorale, comme une méthode d’accès au pouvoir, que comme une théorie sociale. Avec La France Insoumise, qui s’en revendique explicitement, le populisme de gauche repose sur deux préceptes (je schématise un peu). Le premier est un constat : une oligarchie dirige le pays et utilise l’État pour servir ses intérêts, tout en organisant le maintien de son pouvoir contre le peuple. Le fameux « We are the 99% ». Le deuxième est un objectif : réunir 51% des votants. Pour ma part, je pense évidemment que le constat est faux et surtout que l’objectif, en l’état, est coupable. Mais je vais d’abord essayer d’indiquer les effets de ces préceptes. Si 99% des gens ne sont pas représentés mais que vous ne parvenez pas à réunir 51% des votants, il vous faut une théorie de l’aliénation pour expliquer pourquoi tant de gens ne se rendent pas compte de leur assujettissement. Mais alors si vous postulez une aliénation, vous ne pouvez pas prendre pour argent comptant tous les slogans ou toutes les revendications qui s’expriment dans les 99%. Or, puisque, parallèlement, vous n’arrivez pas réunir à 51% des votants, vous avez fortement intérêt politiquement à soutenir tout ce qui se formule comme revendication politique, avec l’espoir d’élargir votre électorat. C’est le cercle vicieux de la France Insoumise depuis 2012. Je précise ma critique.

Mon premier problème est lié au constat. D’abord, il est empiriquement faux. Ce n’est pas une oligarchie qui gouverne en France. Le macronisme soutient effectivement une dynamique de néo-libéralisation mais les institutions résistent et ces institutions – scolaires, sociales, économiques, etc. – ne sont pas faites pour les 1%. Ensuite, l’idée que le macronisme ne serait que l’instrument d’une oligarchie est en tant que telle une idée fausse. Je sais bien les copinages, les arrangements qui peuvent exister dans certaines sphères mais ce sont des phénomènes secondaires. Le macronisme résulte d’abord d’une vision sociale du monde avant de servir des intérêts. Une vision sociale du monde qui entretient la concurrence plutôt que l’émulation, qui privatise plutôt qu’elle met en commun. Mais une vision du monde qui pour beaucoup de gens, qui n’y ont même souvent aucun intérêt, représente une forme d’émancipation. Même dans sa forme la plus pathologique, par exemple quand Emmanuel Macron dit qu’il faut plus de jeunes français qui aient envie de devenir milliardaires, le macronisme capte une aspiration présente dans les sociétés modernes poussées par des dynamiques d’individualisation. Évidemment, ce qui est glorifié ici c’est une forme pathologique de l’émancipation, c’est-à-dire une aspiration émancipatrice totalement aveugle aux conditions sociales de sa propre possibilité. Mais c’est une aspiration réelle et c’est ce que comprenait le socialisme d’un Blum ou d’un Jaurès. C’est une autre conception, une conception sociale de la liberté et de l’émancipation que ces derniers lui opposaient. À l’idéal d’émancipation individuelle, ils opposaient un idéal d’émancipation collective qui emportait une réalisation plus poussée de l’émancipation individuelle. C’était ça la mission historique du prolétariat : « l’effort immense pour élever, par une forme nouvelle de la propriété, tous les hommes à un niveau supérieur de culture, (…) y compris les grands bourgeois, car nous ne les dépouillerons de leurs privilèges misérables d’aujourd’hui que pour les investir de la justice sociale de demain » disait Jaurès.  

Mon deuxième problème porte sur l’objectif du populisme. Puisqu’il n’est pas au pouvoir alors qu’il se présente comme le représentant des intérêts du peuple, l’oligarchie exceptée, il faut bien que le populisme dénonce une aliénation. Il le fait actuellement sous une forme faible qui surfe parfois avec le complotisme dans le genre critique des modalités de financement et de direction des médias. Pourquoi pas. Mais pourquoi ? En fait, il faut que l’aliénation dénoncée soit faible. Un citoyen qui regarde un peu trop CNews ou C8 peut tout de même plus facilement se désaliéner –  Raquel Garrido aidant – que quelqu’un qui s’est laissé envouter par le fétichisme de la marchandise. À l’inverse, si l’aliénation est trop forte, les mouvements critiques qui s’expriment ne peuvent pas être récupérés parce qu’il faudrait d’abord reconnaître que même lorsque des revendications s’expriment sur un mode critique, les individus aliénés les expriment à travers les catégories du libéralisme, ou dans les catégories du conservatisme, qui est la réaction la plus spontanée au libéralisme. Voilà le fait qui embarrasse le populisme : l’aliénation est très forte, les dispositifs libéraux sont présents dans nos catégories de pensées, dans notre langage, et c’est donc normal que dans un premier temps les critiques qui émergent ne trouvent pas d’autre langage que le langage libéral ou conservateur pour s’articuler. C’est quelque chose que le socialisme français a compris à la fin du XIXe siècle quand il a affronté le « socialisme des imbéciles » qui émergeait en son sein, c’est-à-dire le socialisme qui se branchait sur des critiques conservatrices, sous la forme antisémite notamment, du libéralisme. C’est ce moment-là que le populisme a oublié ou plutôt qu’il doit oublier parce qu’il impliquerait d’accepter que la désaliénation prenne du temps, qu’elle demande des efforts d’éducation, de délibération, que la fameuse « lutte pour l’hégémonie culturelle », même au sens de Gramsci considère les idéologies dans leurs liens avec l’infrastructure socio-économique des sociétés et pas seulement depuis la subjectivité des acteurs. Bref, tout ce qu’il est difficile de reconnaître lorsque l’on vise essentiellement la majorité à la prochaine échéance électorale.

LTR : Est-ce que vous ne réduisez pas ici le populisme à sa stratégie électorale ? La « Révolution citoyenne » que propose la France Insoumise ne s’inscrit-elle pas dans l’héritage révolutionnaire du socialisme de Jaurès et Blum ?
MLB :

L’« évolution-révolutionnaire » de Jaurès n’est pas focalisée sur la conquête électorale et la maîtrise de l’appareil l’État, elle est focalisée sur le développement des institutions socialistes. Ce qu’il faut c’est que les ouvriers organisés développent les institutions du travail qui vont venir remplacer, progressivement, les institutions capitalistes : droits sociaux, syndicats, mutuelles, coopératives, etc. À cette fin, l’État peut-être un moyen. Il peut l’être de deux façons. D’une part, par la loi qui doit mettre les ouvriers en situation légale de pouvoir toujours mieux s’organiser, d’où la réduction du temps de travail journalier et hebdomadaire, d’où les congés payés, les assurances sociales, etc. D’autre part, en soustrayant à la logique de marché certaines entreprises, les plus importantes, et en en confiant la propriété et la gestion aux institutions du travail, c’est le processus de nationalisation-socialisation dont on a parlé précédemment. De ces deux manières, l’État participe de ce qu’on appelle le socialisme par le haut, mouvement qui rencontre le socialisme par le bas des institutions du travail.

A ce titre, l’obsession pour l’élection présidentielle du populisme retombe dans un dualisme ancien que Jaurès avait su dépasser. En France, la gauche traditionnelle oscillait avant Jaurès entre d’une part une conception de la révolution violente, du coup de force, et, d’autre part, une conception de la révolution-légale. Dans un cas, on tente de prendre le pouvoir par les armes à la mode blanquiste, dans l’autre, après avoir obtenu la majorité. Cette deuxième acceptation de la révolution est très présente à gauche et dans une certaine historiographie de la Révolution française qui déshistoricise cette dernière et peine souvent à la comprendre comme le prolongement des dynamiques sociales et politiques de l’Ancien-Régime et des dynamiques intellectuelles du XVIIIe. La France Insoumise réactualise cette conception de la révolution-légale et du grand soir : élection, constituante, etc. Ce faisant, elle prolonge une vision stato-centrée et individualiste. Car l’acteur de cette révolution, c’est le citoyen considéré comme un individu doté d’une partie de la souveraineté. La révolution qui se réalise ici, c’est la somme passagère des souverainetés individuelles et non pas la traduction juridique de dynamiques sociales solidaires préexistantes. Ni le coup de force, ni l’élection et le grand soir, ne correspondent à la conception qu’a Jaurès de la Révolution. Je le cite : « L’esprit révolutionnaire n’est que vanité, déclamation et impuissance, s’il ne tend pas à organiser et à entraîner tout le prolétariat, et si, négligeant la formation de la masse, il se borne à quelques sursauts de minorités aventureuses, de même (…) croire qu’il suffirait d’une surprise électorale et d’un coup de majorité parlementaire pour faire surgir soudainement de la société d’aujourd’hui une société nouvelle, sans que l’idéal collectiviste et communiste ait été au préalable enfoncé dans les esprits, et sans que la pensée socialiste ait commencé à se traduire et à prendre corps dans des institutions gérées par le prolétariat, serait prodigieusement enfantin. »

Derrière cette mécompréhension par le populisme de ce qu’est la Révolution, ce qui se signale c’est une négligence de la sociologie au profit d’une observation du monde social à travers les lunettes de la science politique et des théories contractualistes de la philosophie politique moderne. Mais là-dessus, je me permets de renvoyer à l’entretien sur ce thème que j’ai réalisé avec le philosophe Francesco Callegaro dans Le vent se lève il y a deux ans(1). Mais quand même, je pense que les Insoumis devraient se rendre compte qu’une Constituante dans un pays où la réaction d’extrême-droite est politiquement et idéologiquement quasiment majoritaire – même si elle n’est pas encore hégémonique – n’est pas une perspective très réjouissante pour un socialiste.

LTR : Le populisme français entend aussi mobiliser et politiser des affects pour sortir d’une léthargie libérale. Est-ce que cette méthode n’est pas un remède à la disparition du socialisme que vous regrettez ?
MLB :

Cette notion d’affect est intéressante en ce qu’elle renvoie à des dispositions présentes dans la société qui s’expriment en amont de la normalisation qu’opèrent les institutions politiques. Exiger que toutes les revendications politiques s’expriment dans les termes fixés par les normes policées de la démocratie représentative peut en effet se lire comme une manière de réguler ou d’entraver des formes de politisation. Néanmoins, dans le cas du populisme de gauche, la forme particulière d’emploi des affects pose problème.

Qu’est-ce que l’Insoumission ? C’est une réaction à ce qui est vu comme une radicalisation du libéralisme, ce qu’on appelle souvent « l’offensive néolibérale ». Autrement dit, c’est un affect réactif, ou de résistance, soyons généreux, mais pas un affect organique. En appelant à l’Insoumission vous dites à « l’offensive néolibérale » que vous ne la laisserez pas faire, mais vous ne dites pas ce que vous ferez. Vous vous opposez aux dynamiques sociales qu’accompagne le néolibéralisme mais sans vous mettre dans la disposition de réorienter ces dynamiques vers plus d’émancipation, de justice, de solidarité. En forçant le trait, je dirais qu’il y a quelque chose dans l’Insoumission qui l’apparente à la disposition des luddistes. Or, le socialisme s’est précisément formulé comme un double dépassement du libéralisme d’une part et des simples réactions que le libéralisme suscitait, en ne proposant pas seulement d’entraver le libéralisme mais une organisation sociale différente. À son corps défendant, l’Insoumission est dépendante du néolibéralisme, elle pense qu’elle s’y oppose sans voir qu’elle est son revers.

La proximité peut même être poussée plus loin lorsqu’on observe l’organisation de la sphère de l’Insoumission : direction extrêmement réduite et centralisée, frontière faible entre son dedans et son dehors, management autoritaire révélé par certains épisodes (au moment des européennes ou au Média), etc. on retrouve beaucoup des traits des entreprises néolibérales. Ce n’est à mon avis pas un hasard si le mouvement, comme nouvelle forme d’organisation politique, émerge précisément depuis les années 2010, dans la roue de la radicalisation néo-libérale. Le rapport au chef surtout est pathologique, et ce n’est pas un point de détail. C’est plutôt la clef de voûte de l’Insoumission. Traditionnellement, le parti socialiste faisait un travail de retraduction. Il voyait dans les revendications sociales des symptômes de pathologies et, notamment grâce au travail des intellectuels, au travail des chercheurs en sciences sociales, il objectivait les causes de ces revendications. Il organisait le passage d’une réaction d’individus ou d’un groupe au capitalisme à une régulation de la société en s’appuyant sur ce que le travail intellectuel permettait de clarification de la plainte exprimée dans le mouvement social : des ouvriers manifestent localement pour une augmentation des salaires ; le parti, fort de la maîtrise d’une connaissance intellectuelle des dynamiques de paupérisation capitalistique, va remettre en cause la répartition de la propriété. Dans le passage de la plainte au combat politique, le travail intellectuel produisait un décalage important. Dans la logique populiste, le parti est réductible au chef et le chef n’a pas pour fonction de retraduire mais seulement d’incarner et d’articuler les différentes plaintes qui émanent de la société. Quand Mélenchon dit, dans cette phrase qui a tant fait parler, que le problème ce ne sont pas les musulmans, c’est le financier on a le symptôme du populisme. D’une part, une juxtaposition de deux mouvements sociaux – le combat social classique et le combat antiraciste –  artificiellement, rhétoriquement, réunis, et de l’autre une critique qui s’adresse au financier, une personne, parce qu’elle a fait l’économie d’une montée en théorie qui du financier serait remontée à la finance, de la finance aux mutations du capitalisme, du capitalisme financier aux logiques de pouvoir international, aux évolutions des formes de la propriété, à l’approfondissement du processus d’individualisation moderne, ou que sais-je. Le plus triste dans tout ça, étant surtout l’effet que produit cette structuration de l’Insoumission sur les militants. Il y a une tradition socialiste du rapport au chef qui n’est pas, comme dit Blum, « suppression de la personne, mais subordination et don volontaire ». À titre personnel quand je vois certains cadres de la France Insoumise qui ont compté pour moi et dont, comme dit encore Blum « les supériorités de talent, de culture ou de caractère » me rendaient fier d’être militant, quand je les vois rester silencieux sur les sorties de route de leur chef ou prendre sa défense envers et contre tout, je ne peux pas m’empêcher de me demander : pour un Insoumis, combien de soumissions ? Il ne peut intrinsèquement pas y avoir de socialisme dans un mouvement qui conditionne sa promesse d’émancipation à une aliénation à son chef. Donc je sais bien que la France Insoumise a un programme, qu’il est constructif. Mais la politique de la France Insoumise ne se limite pas au programme qu’elle propose, quoi qu’elle en dise. La socialisation des militants que génère l’Insoumission, les affects qu’elle stimule : tout ça c’est de la politique, et d’une politique qui n’est pas socialiste.  

LTR : Blum a une conception du chef socialiste qui s’articule avec une certaine morale socialiste que devrait incarner et défendre chaque militant socialiste. Pensez-vous que cette vision soit réaliste ?
MLB :

C’est un point difficile à entendre aujourd’hui tant le socialisme moral renvoie désormais aux leçons de morale. Pour Blum, il s’agit évidemment de quelque chose de très différent. La morale que vise Blum se forge dans les groupes d’appartenances lorsqu’ils sont, de par leur place dans l’appareil productif ou leur position au sein de la nation, en position de percevoir à la fois la solidarité entre ses membres inhérente à toute société moderne fondée sur la différenciation et, d’autre part, les injustices qui persistent dans ces mêmes sociétés. C’est l’origine du rôle éminent du prolétariat. Sa place dans le processus de production lui permet de comprendre la solidarité à l’œuvre empiriquement dans les conditions matérielles de développement des sociétés modernes en même temps qu’elle le confronte aux injustices liées à la structure de la propriété. Le prolétariat subit, plus que tout autre, la tension entre solidarité immanente et injustice réelle. C’est ce qui fait de lui l’acteur révolutionnaire, c’est-à-dire l’acteur dont la prise de pouvoir politique est à même de résorber la tension, l’acteur socialiste par excellence. Mais, il n’a pas le monopole de cette double position.

D’une autre manière, chez Blum, même si c’est exprimé plus subtilement, la minorité juive à laquelle il revendique d’appartenir possède elle aussi un point de vue sur le tout. Sa position minoritaire et surtout son rythme différencié d’intégration à la société nationale, lui permet d’entrevoir les solidarités à l’œuvre dans les sociétés modernes, puisqu’elle en fait l’apprentissage en s’y intégrant, mais en même temps l’antisémitisme qu’elle subit lui donne une bonne idée des injustices que génèrent ces mêmes sociétés. La morale socialiste dont parle Blum surgit donc là où la tension entre différenciation et solidarité entre les groupes est trop forte, là où l’écart entre la précarité à laquelle peut mener l’individualisation et l’idéal de justice lié à la sacralisation de ce même individu est trop criant.              

C’est donc une morale diffuse, qui se développe à même l’expérience sociale, toujours en lien avec des positions sociales spécifiques ou des trajectoires de groupe ou d’individus particulières. Une morale que le socialisme a vocation à concentrer, à incarner et à transformer en puissance d’agir politique. Faire en sorte que la solidarité inhérente aux sociétés modernes s’institutionnalise pour permettre la plus grande émancipation individuelle, voilà son but. Ces institutions ce sont évidemment, au premier chef, l’école. Institution dont le rôle est précisément la diffusion d’une réflexivité sur la forme de solidarité propre aux sociétés modernes. Mais ce sont aussi toutes les institutions socio-économiques qui vont permettre d’accompagner les individus dans une émancipation non pathologique, c’est-à-dire qui n’oublie pas qu’elle est permise par une plus grande solidarité. Si les socialistes doivent faire la preuve d’une morale supérieure, c’est par leur volonté d’aller toujours plus loin dans la mise en place des supports collectifs de l’émancipation individuelle.

C’est peut-être sur ce point, celui de l’idéal porté par le socialisme, que l’Insoumission prônée par le populisme s’est le plus décalée. En opposant l’insoumission à une hypothétique soumission, le populisme masque ce qui a été la principale disposition encouragée par les socialistes de Jaurès à Blum : le service. L’idée du service, qu’on retrouve dans le service public, ce n’est pas du tout l’insoumission et pourtant c’est également l’inverse de la soumission. Le service, c’est le dévouement librement consenti à un idéal. C’est cet idéal qui a porté beaucoup de militants socialistes, Blum au premier chef. C’est cet idéal qui a animé beaucoup de serviteurs de l’État ou de la cause : faire preuve d’abnégation, se compter à sa juste mesure, se mettre au service d’un idéal qui implique précisément – c’est le fond de la conscience sociale de soi – qu’une large partie de son action serve la société et en son sein ceux qui, plus que les autres, sont victimes des injustices qui y perdurent.

LTR : Pour conclure, nous souhaiterions revenir sur la vision de Blum concernant la jeunesse : il n’occupe plus de mandat après la Libération pour laisser la place aux plus jeunes, tout en gardant la direction du Populaire. Son plan est-il de former une nouvelle génération de dirigeants socialistes, capables d’amener la France vers l’idéal ? Est-ce une stratégie qui peut porter ses fruits aujourd’hui ?
MLB :

Blum considère au lendemain de la guerre que sa génération a échoué et surtout que les réflexes intellectuels et pratiques qui sont ceux de sa génération ne sont plus adaptés à la situation présente. Il pense que les jeunes militants qui se sont investis dans les réflexions autour du programme du Front Populaire, dans ses aspects les plus novateurs, et qui ont ensuite combattu dans la Résistance, possèdent des qualités intellectuelles et morales qui manquent aux plus anciens et qui permettront de conduire le socialisme dans la nouvelle phase historique qui s’ouvre après la guerre. Il a en tête des hommes comme Daniel Mayer, Jules Moch, Georges Boris, etc. Mais vous comprenez bien qu’il ne s’agit pas ici d’une position de principe en faveur de la jeunesse. Blum a longtemps considéré par exemple que sa génération à lui n’avait pas été préparée par les évènements, que ses propres maîtres – Francis de Pressensé, Marcel Sembat et bien sûr Jaurès – étaient morts trop tôt. À l’échelle humaine est très critique envers les socialistes, lui compris, qui ont mené aux destinées du Parti dans l’entre-deux-guerres. Autrement dit, ce ne sont pas toutes les jeunes générations qui sont prometteuses. Il s’agit toujours d’une analyse historique et d’une adéquation entre les qualités requises à un certain moment de l’histoire du socialisme et les compétences développées par une certaine génération du fait des évènements et dynamiques historiques qu’elle a dû affronter elle-même. De ce point de vue, je pense qu’aujourd’hui aussi une place particulière pourrait revenir à une certaine jeunesse, en ce que les conditions de son développement politique sont différentes de celles de ses aînés.

La génération qui n’en finit plus de disparaître depuis vingt ans est le résultat empirique de la disparition du socialisme. C’est celle qui naît à la politique avec le Congrès d’Épinay. Le Parti Socialiste de l’après Épinay c’est tout de même un leader, François Mitterrand, venu de l’extérieur du socialisme et installé à la tête du parti par une alliance de circonstance entre le courant le plus à droite, représenté par Defferre, et le courant le plus à gauche, représenté par le CERES. Autant dire que le ver est déjà dans le fruit. Malgré les slogans, le socialisme d’un Jaurès ou d’un Blum qui possède une consistance doctrinale véritable n’a que très peu irrigué le Parti Socialiste qui s’est refondé à Épinay. Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, le parti d’Épinay et ses succédanés ont donné deux partis qui revendiquent le socialisme : un libéralisme que représente le quinquennat 2012-2017 et un populisme que représente la France Insoumise. Bien que les deux s’en revendiquent, ni l’un, ni l’autre, n’a à voir avec le socialisme pré-mitterrandien qu’il faudrait raviver aujourd’hui. Le libéralisme du dernier quinquennat a quasiment disparu de la gauche en 2017, ses derniers soutiens ayant trouvé dans le macronisme une voie de reconversion naturelle. Le populisme insoumis est toujours là, mais l’aporie entre son programme d’une part et l’insoumission de l’autre n’en finit plus de se rendre manifeste et le conduirait, même avec une victoire électorale, à l’échec du point de vue du socialisme. L’espoir est donc qu’une nouvelle génération entre en scène après avoir, je l’espère, médité l’échec de ses pères. Elle viendra évidemment des rangs socialistes, insoumis, écologistes mais aussi d’ailleurs, loin des partis. Et vous-mêmes, vous êtes, à votre manière, une partie de cette nouvelle génération et votre revue une incarnation modeste mais symboliquement importante de ce renouveau. Comme disait Blum : « Jaurès aurait aimé votre œuvre ».

 

Entretien réalisé avant l’élection présidentielle 2022

 

Références

(1)Il y a quelques années nous avons essayé, Francesco Callegaro et moi, de pointer les failles du populisme français tout en indiquant la variation de ses formes notamment entre la France et l’Argentine : https://lvsl.fr/le-populisme-est-un-radicalisme-du-centre-entretien-avec-francesco-callegaro/ & https://lvsl.fr/la-relance-de-la-sociologie-est-une-partie-essentielle-dune-nouvelle-strategie-pour-le-socialisme-entretien-avec-francesco-callegaro/ 

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Le Temps des Ruptures : Pour de nombreux commentateurs, la politique étrangère d’Emmanuel Macron renoue avec ce qu’on appelle le « Gaullo-Mitterrandisme », mais qu’est-ce au juste que cette doctrine ? Qui l’a théorisée et comment la définir au XXI siècle ? La France s’en était-elle vraiment écartée depuis quelques années ?
Hubert Védrine : 

C’est moi qui ai, le premier, dans les années 80, proposé l’oxymore « gaullo-mitterrandisme », pour désigner la reprise et la poursuite par le président Mitterrand des fondamentaux de la dissuasion nucléaire selon Charles de Gaulle. Cette expression a été ensuite étendue à la politique étrangère française en général. Elle a été utilisée au sein du Quai d’Orsay par ceux – les néo-conservateurs – qui, tout en prétendant que le néo-conservatisme n’existe pas (c’est même à cela qu’on les reconnaît) ont, depuis la présidence Sarkozy, mené la bataille occidentaliste contre ce gaullo-mitterrandisme présenté comme étant systématiquement anti-américain, anti-israélien, anti-mondialisation, etc., ce qui est évidemment faux. Ce terme désigne tout simplement une politique étrangère qui œuvre à ce que la France, loyale envers ses alliés et ses partenaires, conserve in fine son autonomie de décision, ce qui est de plus en plus difficile. Cela dit, personne ne sait ce que penserait le Général de Gaulle, ou Mitterrand, aujourd’hui ! Quant au président Macron, il a mêlé depuis 2017 dans sa politique étrangère et selon les sujets des approches gaullo-mitterrandienne, mondialistes, européennes, ou autres. En fait il mène une politique … macronienne, enrichie maintenant par cinq ans d’expérience.

LTR : Dans un monde ouvert comme le nôtre, chaque nation doit user des atouts dont elle dispose, quels sont les atouts de la France aujourd’hui pour construire sa politique étrangère et maximiser son influence ?
Hubert Védrine : 

La France a de très nombreux atouts qu’elle ne reconnaît pas et divers handicaps que, par masochisme, elle ne cesse de mettre en avant. Le décrochage économique par rapport à l’Allemagne est, lui, une réalité tangible. Mais la France reste une puissance (et il y a peu de puissances dans le monde, au maximum une quinzaine), une puissance moyenne d’influence mondiale. Chaque mot compte. Ce qui devrait suffire à écarter à la fois la grandiloquence et la déprime.

LTR : La politique étrangère de la France est-elle constante ou bien est-elle sujette au jeu de l’alternance démocratique ?
Hubert Védrine :

Les politiques étrangères des pays sont assez constantes dans la durée car elles découlent de la géographie, de l’histoire et de l’idée que les peuples se font d’eux-mêmes, de ce qu’ils redoutent ou espèrent, ce qui ne change que lentement, même si les rapports de force économiques évoluent plus vite. Mais plus les opinions pèsent dans les démocraties, pas seulement au moment des élections, mais en permanence, voire à chaque minute, plus les ouragans émotionnels médiatiques ou numériques peuvent contraindre ou handicaper des politiques étrangères obligées d’être « réactives ». A tel point que dans la plupart des démocraties, les dirigeants ne cherchent même plus à concevoir et à conduire une vraie politique étrangère, mais se bornent à prendre des « positions » pour satisfaire leur électorat ou calmer l’opinion à l’instant T, d’où une guerre interne, statique et stérile de « positions », ce qui n’a évidemment aucun impact sur les évènements internationaux. Cela les affaiblit beaucoup.

LTR : La France a, pour d’évidentes raisons historiques, été très active au Moyen-Orient. Pourtant on a le sentiment d’un désengagement, non seulement Français mais plus largement occidental, dans la région à la faveur de la recomposition en cours (Syrie, Irak, relations entre Israël et le Golfe, etc…), existe-t-il encore une politique Française structurée au Moyen-Orient ?
Hubert Védrine : 

Il y a en effet une fatigue visible et un désengagement occidental, y compris français, au Proche et, sur la question palestinienne, au Moyen-Orient. Il demeure quand même une politique française sur chaque problème et pays par pays. Mais la cohérence du tableau d’ensemble n’est pas évidente. Cela dit, cette remarque s’applique également aux autres puissances extérieures à cette zone, ainsi qu’aux puissances régionales (dont aucune ne peut l’emporter complètement sur les autres). Seul un compromis durable Iran/Arabie modifierait cette donne.

LTR : Vu d’Europe, l’Afrique est un enjeu essentiel du XXIe siècle pour des raisons démographiques et climatiques. Pourtant le continent peine à se structurer politiquement et reste la proie de certaines puissances dont la politique étrangère peut être qualifiée de néo-colonialiste. On voit par ailleurs l’échec de l’opération Barkhane au Mali (après le succès de l’opération Serval) et les difficultés que nous avons, y compris en zone francophone, à contenir l’emprise chinoise et, désormais, russe. Quelles sont nos marges de manœuvre ? Quels devraient être les piliers de notre politique étrangère en Afrique, au-delà de la seule aide au développement ?
Hubert Védrine : 

On ne peut parler d’Afrique(s) qu’au pluriel. Il y a trop de différences entre les régions et entre chaque pays ! En dépit de ce que ressassent les Européens, Français en tête, l’avenir des pays d’Afrique dépend avant tout des Africains eux-mêmes. Barack Obama avait été courageux de leur rappeler, à Accra, qu’ils ne pouvaient plus attribuer leurs problèmes aux colonisations, très anciennes, ni à l’esclavage (qui a d’ailleurs été, dans la durée, majoritairement d’origine africaine ou arabe) mais à eux-mêmes. Certains pays d’Afrique s’en sortiront très bien, d’autres moins. Nous n’y pouvons pas grand-chose. D’autant que l’aide au développement, abondante depuis des décennies, a été largement détournée ou plus encore gaspillée et qu’en plus il n’est pas certain que l’aide déclenche le développement. Cela se serait vu ! Les pays d’Afrique, sauf les très pauvres, demandent d’ailleurs plutôt des investissements ou l’accès à nos marchés.

 

Une de nos priorités concernant l’Afrique, ou plutôt le préalable, devrait être la cogestion des flux migratoires (nécessaires) entre les pays de départ ou de transit – il faudra qu’ils l’acceptent – et d’arrivée – un Schengen qui fonctionne vraiment – par la fixation annuelle de quotas par métiers. Ce qui nécessitera le démantèlement systématique des réseaux de passeurs qui savent très bien comment tourner et détourner massivement le droit d’asile, lequel doit être absolument préservé mais refocalisé sur sa vraie raison d’être : protéger des gens en danger.

Les Africains continueront bien sûr à jouer de la mondialisation en mettant en concurrence la quinzaine de puissances qui ont des projets et des intérêts en Afrique, et dont la plupart ne leur posent pas de conditions démocratiques ! On ne peut pas s’en étonner, ni leur reprocher ! En plus, vous avez vu que beaucoup d’entre eux n’ont pas condamné la Russie.

LTR : Par conséquent, pensez-vous que nous devrions rester au Mali ou bien quitter le pays ?
Hubert Védrine : 

On ne peut pas rester au Mali, coup d’Etat ou non, Russes ou pas, si le gouvernement de Bamako nous demande de partir. Les Maliens, comme les Guinéens, ont d’ailleurs déjà joué plusieurs fois la carte russe depuis leur indépendance. Grand bien leur fasse !

La France était venue au Mali avec l’Opération Serval, à la demande du Mali, des pays voisins et du Conseil de sécurité, pour empêcher la conquête de Bamako par un nouveau Daesh. Ce qui a été réussi. Nos 57 morts ne le sont pas pour rien. En revanche l’Opération Barkhane ne pouvait éliminer le djihadisme dans tout le Sahel si la France était à peu près seule !

En revanche, il faudrait obtenir de chacun des autres pays du Sahel une réponse claire  à la question : veulent-ils que nous restions pour les aider à lutter contre le djihadisme ? Si oui, on verra dans quelles conditions, mais alors ce sera à eux de régler leurs problèmes avec le Mali.

LTR : Enfin, pensez-vous que la France soit aujourd’hui une nation souveraine en matière de politique étrangère ?
Hubert Védrine :  

Il n’y a plus dans le monde globalisé de nations totalement souveraines au sens autarciques – même pas les Etats-Unis ou la Chine ou la Russie (quoi que croit Poutine) – tant les interdépendances sont fortes. Les pays se tiennent un peu tous par la barbichette, mais il y a quand même des pays qui réussissent à rester plus souverains ou moins dépendants que d’autres ! Voyez l’énergie ou les matières premières ! Au minimum, il faut préserver notre autonomie finale de décision sur les questions vitales et réduire méthodiquement toutes les dépendances que nous avons laissé s’accroître du fait d’une confiance trop naïve dans la mondialisation. Ce qu’a compris l’actuelle Commission et ce que va accélérer pour l’énergie le choc de la guerre en Ukraine qui s’ajoute à la désimbrication en cours, mais qui ne sera jamais totale, des économies chinoises et américaines.

LTR : La crise en Ukraine, qui n’est pas terminée, a été un révélateur : on a vu l’OTAN, pourtant en « état de mort cérébrale » comme le disait il y a peu encore Emmanuel Macron, revivifiée et l’Union Européenne parfaitement inaudible. Certains, en France, s’en désolent : faut-il en conclure que l’OTAN est un élément indépassable de notre politique étrangère ? Ou bien la confirmation que l’OTAN a pour seule vocation de gérer le cas russe ?
Hubert Védrine : 

L’OTAN est depuis sa création une alliance militaire défensive anti-soviétique. Ce n’est donc pas étonnant qu’elle soit aujourd’hui revigorée par la guerre d’invasion russe en Ukraine, à ses frontières. Elle perdurera tant que les pays alliés européens jugeront impensable de la remplacer par quoi que ce soit d’autre, et notamment pas par une défense spécifiquement européenne, à laquelle ils ne croient pas. Mais ce n’est pas non plus le rôle de l’OTAN de définir une stratégie politique par rapport à la Russie. Rappelons-nous la guerre froide. Les dirigeants américains dissuadaient fermement l’URSS mais négociaient quand même avec elle, et ne chargeaient pas l’OTAN de ce volet politique. Donc il n’y a rien à reprocher à l’OTAN, mais il ne faut pas se tromper sur son rôle. Et de toute façon ce n’est pas d’actualité.

LTR : Un mot de la crise ukrainienne : comment en sommes-nous arrivés là en trente ans ? Comment répartiriez-vous les responsabilités entre Russes, Américains – OTAN – et Européens de l’est ? Ne sommes-nous pas en train de pousser définitivement la Russie dans les bras de la Chine ?
Hubert Védrine : 

Je pense en effet que les Occidentaux n’ont pas eu une politique intelligente envers la Russie, du moins au début, pendant le mandat effarant d’Eltsine, ainsi que pendant les deux premiers mandats de Poutine et celui de Medvedev. Je ne suis pas seul : Kissinger, Brezinski et d’autres Américains vétérans de la guerre froide (Kennan, Matlock) pensaient qu’il fallait impliquer, contraindre la Russie, dans un système de sécurité européen et que pour l’Ukraine, un statut de neutralité, à la finlandaise, avec de vraies garanties croisées, aurait été la meilleure solution. Le sommet de l’OTAN en 2008 à Bucarest qui provoquait sans choisir a été une erreur tragique. Mais l’attaque du 24 février balaye ces considérations et définit le nouveau contexte.

LTR : Il y a trente ans, François Mitterrand élaborait et défendait avec Gorbatchev la notion de « maison commune » européenne. L’idée était de ne surtout pas encercler ni humilier la Russie mais de l’arrimer au bloc européen sur une base civilisationnelle. Cette idée, qui visait aussi à contrebalancer l’effet attendu de la réunification Allemande, a été torpillée par les Américains, les Allemands et plus largement les pays de l’est. N’aurait-ce pas été pourtant la meilleure solution pour unifier le continent et donner au projet eurasien – qui est en train de se faire sans nous – une coloration occidentale ?
Hubert Védrine : 

C’est très regrettable que les propositions de François Mitterrand pour une confédération européenne (lancée beaucoup trop tôt, dès le 31 décembre 1989), son intérêt pour la proposition de Gorbatchev d’une « maison commune européenne » (même si elle était très floue), le travail fait par tous les membres de l’OSCE à l’occasion de la Charte de Paris en novembre 1990, l’association de Gorbatchev au G7 de Londres en 1991, n’aient pas été amplifiés avec la Russie, et aient été torpillés. Il aurait fallu reprendre cette vaste question de la sécurité en Europe. L’histoire aurait peut-être pu être différente, si on s’y était pris autrement dès la fin de l’URSS.

Peut-être … Finalement, Poutine a fait un choix tragique pour les Ukrainiens et à terme désastreux pour son pays.

LTR : Le premier semestre de l’année 2022 est marqué par la présidence Française de l’Union, un évènement qui se produit une fois tous les 13,5 ans. Quelle a été selon vous l’évolution de l’influence Française au sein de l’Union Européenne depuis notre dernière présidence de l’UE, sous Nicolas Sarkozy ?
Hubert Védrine : 

L’influence de la France au sein de l’Union Européenne a en effet diminué, c’est incontestable : les causes sont diverses. Le décrochage économique et industriel français par rapport à l’Allemagne (industrie, dette, technologie, commerce extérieur) ; l’élargissement et le recul du français ; la réunification allemande qui a conduit à l’augmentation du nombre de parlementaires allemands au sein du Parlement européen (sans compter leur travail et leur assiduité) ; une pondération différente de voix au Conseil européen, du fait du Traité de Lisbonne qui a renforcé le poids de l’Allemagne.

LTR : Selon vous le départ d’Angela Merkel et l’arrivée d’un nouveau chancelier issu du SPD – et à la tête d’une coalition tripartite SPD, verts, libéraux – est-il l’occasion d’un rééquilibrage des rapports de force au sein de l’UE ? Le « verrou » allemand, notamment sur l’inflation et le mécanisme de stabilité (les 3% de déficit et 70% de dettes) peut-il sauter ?
Hubert Védrine : 

Au point de départ, la politique du nouveau chancelier allemand ne s’annonçait pas très différente de celle de Madame Merkel qui a géré l’immobilisme de façon favorable aux intérêts allemands. Une question se posait : comment le chancelier Scholz allait-il arbitrer les désaccords qui n’allaient pas manquer d’apparaître au sein de sa coalition tripartite, sur les questions internationales, européennes et budgétaire ?

Mais la décision de Poutine de déclencher la guerre a changé tout cela. L’abandon du pacifisme allemand et la (re)création d’une armée allemande vont avoir des conséquences considérables. Mais le débat sur l’usage de ces 100 milliards ne fait que commencer.

Et l’Allemagne est obligée de programmer d’autres sources d’énergie que le gaz russe …

LTR : En période de crise, nous sommes toujours surpris de constater à quel point, en l’état actuel, les intérêts des nations européennes ne sont pas alignés, et cela pour tout un ensemble de raisons : position géographique, besoins en ressources naturelles, intérêts commerciaux, tradition pacifiste ou bien de non-alignement, etc… Au vu de ces intérêts difficilement conciliables, pensez-vous que l’Europe puissance soit autre chose qu’un mythe fédérateur ? L’Union peut-elle peser sur la reconfiguration de l’ordre international ou bien est-elle condamnée à un atlantisme paresseux ?
Hubert Védrine : 

On ne devrait pas être surpris de redécouvrir que, pour les raisons mêmes que vous rappelez, les intérêts des nations européennes, à part quelques valeurs communes, ne sont pas automatiquement alignés. Et indépendamment même des intérêts, il y a des imaginaires et des narratifs, des peurs et des espoirs qui restent différents d’un pays européen à l’autre. De toute façon, la construction européenne n’a jamais été conçue par ses Pères fondateurs comme devant conduire à une « Europe puissance ». L’idée était de ne pas refaire le traité de Versailles. Cela a été un projet intelligent de relèvement de l’Europe après la guerre, notamment grâce au Plan Marshall et à l’Alliance Atlantique, sous la protection des Etats-Unis demandée et obtenue par les Européens. Cela n’a pas encore fondamentalement changé dans la tête des autres Européens, en dépit des innombrables propositions françaises, et notamment, depuis 2017, de celles du président Macron. Ca ne devrait pas empêcher les Européens, sur d’autres sujets que la défense, de mieux définir et défendre leurs intérêts dans le monde global et semi chaotique. Mais encore faudrait-il qu’ils arrivent à se mettre d’accord sur ces fameux intérêts et sur ceux qui sont prioritaires voire vitaux, et pas seulement sur leurs « valeurs ». De toute façon, la violente agression de Poutine nous a ramené au début de la Guerre froide et cela va avoir des effets disruptifs dans la tête des Européens.

LTR : L’ère « Fukuyamienne » semble définitivement refermée, le dernier clou dans son cercueil ayant sans doute été le mandat de Donald Trump. On constate aujourd’hui que Joe Biden ne parvient pas à renouer avec le langage hégémonique qu’un Barack Obama pouvait encore tenir. L’Amérique semble accepter progressivement l’idée que des blocs se reforment et cherche à souder ses alliés autour d’elle pour faire front. Pensez-vous que la guerre, froide ou non, soit inéluctable ?
Hubert Védrine : 

La vision de Fukuyama était illusoire ou alors très très prématurée. En tout cas rappelons des banalités : les Occidentaux ont perdu le monopole de la puissance ; il n’y a pas encore de communauté internationale, mais une foire d’empoigne au sein de laquelle les puissances installées essayent de préserver leurs acquis (et la Russie de maximiser sans retenue sa capacité de nuisance) et les puissances émergentes de s’affirmer de plus en plus sur une ligne post-occidentale. Le défi chinois symbolisant cette nouvelle période. Il faudrait que les Occidentaux soient très bien coordonnés et que leurs stratégies convergent pour gérer, avec the rest, cette gigantesque mutation, au mieux de leurs intérêts et de leurs croyances (les fameuses « valeurs »). Ce n’est pas encore le cas. L’ironie – contre-intuitive – de l’histoire étant que les pays européens n’ont jamais été aussi puissants et influents dans le monde que quand ils étaient en rivalité et en compétition permanente entre eux ..!

Mais revenons à 2022 : que ferons-nous du bouleversement traumatique provoqué par Poutine ?

LTR : Finalement la stratégie Américaine vis-à-vis de la Chine est la même qu’avec la Russie : la création d’alliances défensives (AUCUS, Taiwan, Séoul) visant à encercler l’adversaire. Néanmoins, la position des pays asiatiques vis-à-vis de la Chine est bien plus complexe, d’autant que ces pays-là ne font pas partie du bloc occidental – excepté l’Australie bien entendu –, la force de leur lien avec l’Occident est bien plus faible et distendu. Enfin, le conflit larvé qui oppose les Etats-Unis à la Chine est une rivalité de puissances qui ne se redouble pas d’un conflit idéologique profond et mobilisateur comme au temps de l’URSS. Pensez-vous que la stratégie Américaine en Asie ait une chance de réussite ou bien est-elle vaine ? Pensez-vous que les Américains soient réellement prêts à mourir pour Taiwan ou la Corée du sud ?
Hubert Védrine : 

Endiguer l’ascension de la Chine comme éventuelle première puissance mondiale va continuer à dominer la politique étrangère américaine des prochaines décennies, même après l’énorme bug poutinien. Ce qui continuera de rendre relativement secondaire, du point de vue américain, les conflits ailleurs. En Asie, les Etats-Unis peuvent bénéficier, en plus naturellement du soutien de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et de Taïwan, de l’inquiétude d’un certain nombre de pays d’Asie du sud-est, qui ne veulent pas tomber complètement sous la coupe de Pékin, sans trop se lier, non plus, aux Etats-Unis. La suite dépendra de l’intelligence stratégique, ou non, des politiques américaines et chinoises. Mais si les Etats-Unis ne dissuadaient pas une attaque chinoise sur Taïwan, leur garantie ne vaudrait plus rien nulle part … Peuvent-ils l’accepter ?

LTR : Il y a une quinzaine d’années le concept de « BRICS » (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du sud) pour qualifier les puissances émergentes avait le vent en poupe et permettait d’identifier les « puissances de demain ». Finalement seule la Chine a vraiment explosé. Ce concept est-il définitivement devenu inopérant ?
Hubert Védrine : 

Le concept de BRICS, formulé par un économiste de la banque Goldman Sachs, Jim O’Neill, désignait des puissances économiquement émergentes avec une classe moyenne très nombreuse, dont le pouvoir d’achat croissait. Mais cela n’a jamais été un concept géopolitique opérant. De plus, le parcours de la Chine est tout à fait singulier.

LTR : La Chine renforce son influence internationale : organisation de coopération de Shanghai, routes de la Soie, mais aussi recours massif au veto en conseil de sécurité et influence croissante sur les organisations internationales (le cas de l’OMS s’est révélé flagrant durant la crise du covid-19). Peut-elle selon vous faire vaciller l’ordre international ?
Hubert Védrine : 

En effet, la Chine cherche à réviser l’ordre international américano-global (comme d’autres puissances, l’Iran ou la Turquie, et d’autres, qui n’ont pas le même poids) pour le modifier en son sens, voire y substituer un nouveau système international post-occidental. C’est emblématique de notre monde au sein duquel les puissances installées depuis des siècles cherchent à préserver leurs acquis que remettent en cause les puissances émergentes révisionnistes. L’issue de ce gigantesque bras de fer, qui n’est pas écrite d’avance, dépendra de l’intelligence stratégique des Occidentaux (sauront-ils ne pas unir contre eux les puissances révisionnistes ? Pour le moment, ils font le contraire). Ils ne s’en sont pas souciés ces trente dernières années car ils pensaient avoir gagné la bataille de l’Histoire.

LTR : Enfin, pensez-vous que la crise environnementale soit d’ores et déjà un enjeu géopolitique ? Peut-elle devenir l’élément structurant d’un (dés)ordre international au XXIe siècle ?
Hubert Védrine : 

La dégradation des conditions de vie sur une planète surpeuplée et archi-productiviste/prédatrice est évidente. Cette prise de conscience s’impose partout. La discussion ou la controverse sur ce qu’il faut faire pour ralentir l’augmentation des températures, réduire le CO2, recycler les déchets, rendre productive une agriculture plus biologique, changer les modes de propulsion, bref, « écologiser » toutes les activités humaines, s’est déjà imposée dans toutes les enceintes internationales. D’innombrables discussions et conflits auront lieu au cours des prochaines décennies sur cette transformation. Ce n’est plus un combat binaire et manichéen – plus personne ne peut nier le risque écologique et le contrer est un impératif – mais un débat sur le rythme et les moyens. Or, sur ce plan aussi, la guerre en Ukraine et ses conséquences nous font tragiquement régresser …

LTR : L’effet de souffle du début de la guerre a déclenché des réactions très vives dans les opinions publiques des démocraties occidentales et jusqu’à l’assemblée générale de l’ONU, transformant le conflit ukrainien en théâtre d’affrontement entre le monde occidental et les puissances qui refusent cet hegemon, à l’image de la Russie. Un mois après le début de la guerre, la perception du conflit ne risque-t-elle pas de se transformer, d’un conflit perçu comme « mondialisé » – ou faisant peser un risque de guerre à une échelle intercontinentale – en un conflit essentiellement régional et interne à « l’espace russe » ?
Hubert Védrine : 

Attaquer l’Ukraine est une décision du président Poutine contre un autre Etat slave, dont il conteste par la guerre la légitimité. Et donc les Occidentaux (Etats-Unis, Canada et Union Européenne) ont réagi par des sanctions très dures : tout sauf l’entrée en guerre contre la Russie. Cette décision remet brutalement en cause l’idée que la guerre ne pouvait plus avoir lieu sur le continent européen (même s’il y a eu des guerres en Yougoslavie) et que le recours à la force pour régler les questions internationales était proscrit. C’est pour cela qu’aux yeux des Occidentaux cette guerre est intolérable. Mais notez qu’à l’occasion de deux votes aux Nations Unies, même si l’agression russe a été condamnée par 140 pays, une quarantaine, pour diverses raisons, n’ont pas voulu condamner la Russie, sont restés neutres. C’est la preuve que le monopole occidental dans la gestion du monde est bel et bien terminé.

LTR : Vladimir Poutine était, semble-t-il, sur le point d’obtenir la neutralité (la Finlandisation) de l’Ukraine à la veille de l’invasion – proposition désormais plus difficile à envisager et d’ailleurs rejetée par les Ukrainiens au début des pourparlers –, il n’a ensuite pas hésité à agiter le spectre d’un conflit nucléaire dès le début du conflit. Ces actes délibérés, sans compter les errements stratégiques et l’impréparation logistique qui témoignent d’un excès de confiance dans les capacités militaires réelles de l’armée russe, mènent de nombreux analystes à se poser une question dérangeante : Vladimir Poutine est-il encore un acteur rationnel ?
Hubert Védrine : 

C’est une tentation fréquente chez les Occidentaux, qui estiment être l’avant-garde morale du monde, les concepteurs des valeurs universelles et les piliers de la « communauté » internationale, de pathologiser les personnalités qui osent contester cet ordre « libéral » américano-global. En réalité – faut-il dire malheureusement ? – Poutine suit une sorte de logique. Il a pu se tromper totalement sur l’Ukraine d’aujourd’hui, sur son armée, médiocre au combat (mais qui peut commettre des atrocités), sur les aspirations à l’ouverture d’un grand nombre de Russes, sur la capacité de résistance et de réaction de l’Occident, mais il n’est pas fou au sens où il ne saurait plus ce qu’il fait …

LTR : Il semble que deux scénarii se dégagent désormais : 1/ un conflit militaire qui s’enlise –l’arrivée du Printemps et la perspective d’une guérilla urbaine acharnée ne sont pas de bons augures pour l’armée russe qui semble avoir provisoirement renoncé à conquérir les grandes villes, à l’exception de Marioupol, et privilégie désormais une campagne d’artillerie, comme à Kiev – ; 2/ une solution diplomatique dès lors que l’armée Russe sera parvenue à prendre le contrôle du Donbass et, peut-être, après Marioupol, d’Odessa, afin de contrôler les espaces russophones, la côte et de renforcer son accès à la mer Noire. Quels seraient les risques du premier scénario ? Quels pourraient être les termes d’un armistice acceptable pour les deux parties ? La partition du pays est-elle envisageable ou inévitable ?
Hubert Védrine : 

A la date d’aujourd’hui – 6 avril – plusieurs scénarii sont possibles : un long enlisement, une sorte de guerre de positions ; une escalade sur le terrain, dans l’hypothèse où la Russie décide, et a les moyens, de briser la résistance ukrainienne, dans l’est du pays, et notamment à Dniepro là où est concentré un tiers de l’armée ukrainienne en employant des armes plus dévastatrices encore (chimiques ?) – il y a déjà eu le massacre de Boutcha – ; un durcissement des contre-sanctions : la Russie exigeant que son gaz soit payé en roubles ; un élargissement si l’armée russe va jusqu’à frapper des concentrations d’armes destinées à l’Ukraine sur le territoire de pays voisins membres de l’OTAN ; et un scénario tout à fait inverse, qui commencerait par un cessez-le-feu. Dans les cas d’aggravation, on peut penser que les Occidentaux resteraient unis, en tout cas un certain temps. Dans l’autre scenario, si la Russie veut empocher ses gains territoriaux et que le président Zelenski finit, faute d’alternative, à se résigner au fait accompli, il peut y avoir une division entre les Occidentaux qui comprendraient le président ukrainien, et des maximalistes, surtout américains. Mais ce n’est pour le moment qu’une hypothèse.

LTR : Le Président Macron a assumé, malgré une opinion publique ambivalente sur ce sujet, le rôle de médiateur jusqu’au début du conflit. Le soutien affiché à l’Ukraine et au Président Zelenski a-t-il définitivement mis un terme à ce rôle que la France, et peut-être l’UE auraient pu jouer ? Qui sont aujourd’hui les médiateurs potentiels et sommes-nous devenus des acteurs de faitde ce conflit ? Aurions-nous dû préférer le non-alignement ?
Hubert Védrine : 

Le non-alignement est inenvisageable pour un pays membre de l’Union Européenne et de l’Alliance Atlantique. Je ne suis pas sûr que le Président Macron ait pensé pouvoir être vraiment un « médiateur », mais ce qui est sûr c’est qu’il a cherché à garder le contact, avec le président Poutine, même si c’est très pénible, parfois en compagnie du chancelier allemand. A ma connaissance, et en dépit de ses déclarations en Pologne, le président Biden juge utile qu’un des leaders occidentaux garde ce contact. En tout cas jusqu’aux massacres. Il ne peut pas y avoir de vraie médiation si la Russie n’en éprouve pas le besoin et s’il doit y avoir, le moment venu, un médiateur, il devra être accepté par les deux. Il ne pourra s’agir que d’un pays non-membre de l’OTAN (Finlande), ou, en tout cas, non occidental : Turquie, Israël, Inde ou Chine. Il ne s’agira pas de négociations, mais d’une décision ukrainienne de se résigner, ou non, et jusqu’à un certain point, au fait accompli.

LTR : La récente décision Allemande de porter à 2% de son PIB son budget militaire est une révolution dans la doctrine militaire de ce pays. Par ailleurs le projet d’une Europe de la Défense semble avoir repris des couleurs au sein de l’Union. Comment distinguer entre ce qui relève de la réaction et ce qui relève d’une mutation ? L’Europe de la défense peut-elle advenir sans une certaine prise de distance vis-à-vis de l’OTAN ? Le récent choix d’équipement fait par les Allemands (achat de F35 plutôt que de rafales) et l’annonce d’un renforcement d’envergure des capacités défensives de l’alliance sur son flanc est ne sont-ils pas les clous dans le cercueil d’une Europe de la défense mort-née ? 
Hubert Védrine : 

Pour le moment, l’agression russe a réveillé l’esprit de défense en Europe, qui avait disparu, notamment en Allemagne, et ressuscité l’OTAN. En ce qui concerne l’Europe de la défense, il faut se rappeler qu’aucun pays européen n’a jamais soutenu cette idée dès lors qu’elle comportait – à leurs yeux – le risque d’un éclatement de l’Alliance Atlantique et d’un retrait américain. Ce n’est pas nouveau. Il y avait eu là-dessus, en 1999, un compromis historique entre la grande Bretagne et la France au Sommet de Saint-Malo, et il est clair qu’il n’y aura pas, dans une perspective prévisible, une Europe de la défense capable de défendre l’Europe de façon autonome. En revanche il est tout à fait possible que le renforcement des capacités militaires des pays européens membres de l’Alliance les conduisent à s’affirmer plus au sein de l’Alliance dans les prochaines années.

LTR : Enfin, de quelle réalité internationale les différents sujets que nous avons abordés – la France et l’Europe dans le monde, la guerre en Ukraine, la compétition sino-américaine et leurs conséquences – procèdent-elles ? Quelles grandes leçons peut-on tirer de ces événements et des transformations géopolitiques majeures qui les accompagnent ?
Hubert Védrine : 

Pour moi, le fait majeur est que les Occidentaux ont perdu, au XXIème siècle, avec le décollage des émergents, Chine, etc., le monopole de la puissance qu’ils ont exercé, Européens d’abord, Etats-Unis ensuite, sur le monde, durant trois ou quatre siècles. Comprendre comment cela a pu être possible est un autre sujet, de même que l’évaluation qui peut être faite de cette période. Je ne rejoins pas le géopoliticien Kishore Mahbubani quand il affirme que c’est la fin de la « parenthèse » occidentale ! Mais quand même, il est évident que l’idée que les Occidentaux se sont faite dans les années 1990 de leur triomphe historique définitif était fausse. Universalisme de nos valeurs, de gré ou de force ; prosélytisme ; hubris ; hyperpuissance ; mais aussi américano-globalisation, dérégulation, financiarisation illimitée, combinées à l’idéologie OMC : cela n’a pas marché. Nous allons connaître non pas une démondialisation générale, impossible, mais une re-régionalisation, déjà entamée avec la désimbrication des économies américaine et chinoise, à quoi s’ajoute maintenant une inévitable mise au ban de la Russie et de quelques pays satellites. Jusqu’où ira l’alliance Chine-Russie n’est pas écrit. Les quarante pays qui ont refusé aux Nations Unies de condamner l’agression russe, dont l’Inde et la Chine, et qui représentent la majorité de la population mondiale, ont réinventé le non-alignement. Les Occidentaux resteront évidemment convaincus de l’universalité de leurs valeurs, mais d’autres ne le seront pas. Les Occidentaux vont tout faire pour préserver les démocraties libérales et le marché, mais ils auront à gérer la puissante contestation interne de la démocratie représentative par le vaste mouvement populiste. Et se posera toujours la même question concernant les Européens : veulent-ils faire de l’Europe une puissance ? Certains estiment que Poutine a provoqué ce réveil. En réalité, pour le moment, je le répète, il a ressuscité l’OTAN et l’esprit de défense dans chaque pays européen. Est-ce que cela va renforcer l’Europe en tant que telle ? Ce n’est pas encore acquis. Mais pourrait être obtenu par la France avant la fin de sa présidence de l’Union Européenne.

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L’ouverture à la concurrence ferroviaire : la fausse bonne idée

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Les origines : la déréglementation des secteurs caractérisés par une situation de monopole

A partir de la deuxième moitié du XXème siècle, la part des déplacements effectués en train s’est fortement réduite, notamment en raison de la place de plus en plus prépondérante prise par la voiture individuelle. En 2010, les déplacements s’effectuaient en Europe à 79% par la route, contre 6% pour le rail(1). Ceci explique en partie que depuis les années 2000, l’Union européenne a adopté différentes réglementations (également appelées les « paquets ferroviaires européens ») avec pour objectif de redynamiser le transport ferroviaire. Pour l’Union européenne, la concurrence a semblé être la solution ultime. A noter que l’adoption de ces réglementations s’inscrit dans un mouvement global de déréglementation et de démantèlement des secteurs considérés comme des monopoles(2) (les télécommunications, le secteur du gaz, l’électricité ou encore l’aérien), notamment les monopoles dits « naturels », qui a débuté dans les années 1990.

Un monopole naturel se caractérise par l’existence de coûts fixes, irrécouvrables en cas de faillite (également appelés les « sunk costs ») et par des effets réseaux (quand le nombre d’utilisateurs d’un même réseau augmente, l’utilité qu’ils en retirent augmente(3)). Pour ces secteurs considérés comme des monopoles publics, il est plus intéressant d’avoir une seule firme sur le marché, ce qui permet de ne pas faire augmenter les coûts de production. On peut ajouter à cela les coûts de certaines infrastructures (par exemple ferroviaires), qui initient de fait des monopoles naturels car personne d’autre que l’État ne peut les assumer en raison de leur échelle.

Le ferroviaire est un secteur qui a longtemps été considéré comme un « monopole naturel » car cochant l’ensemble de ces critères et étant un service d’utilité publique car permettant le désenclavement des territoires et l’accroissement de la mobilité. La vision du secteur ferroviaire comme étant un monopole naturel a longtemps été défendue par des économistes comme Jules Dupuit. Néanmoins, les notions de monopole et de monopole naturel ont progressivement été remises en cause par les théories libérales, principalement celle des marchés contestables (ou « contestable markets ») de William Baumol. Cette théorie émet le postulat suivant : les pressions concurrentielles que les monopoles historiques subissent permettent de réguler leurs comportements défaillants. L’intérêt n’est pas d’avoir une multitude d’entreprises sur un même secteur, mais de faire en sorte que le prix du marché se situe au niveau du coût marginal de production. Il évoque pour appuyer sa théorie l’exemple du secteur monopolistique de l’électricité dans les pays en développement. Selon lui, ce monopole a engendré plusieurs dysfonctionnements : une faible productivité, de nombreuses pannes, l’embauche d’un surplus d’agents… Le meilleur moyen de rendre ces marchés plus efficaces, était donc selon lui de les rendre contestables en y introduisant la concurrence. Ces théories libérales faisant la promotion de l’ouverture à la concurrence ont fini par convaincre l’Union européenne et les États membres, débouchant sur sa mise en place dans le secteur ferroviaire. 

L’adoption des paquets ferroviaires européens

Quelles sont donc les mesures clés de ces différents paquets ferroviaires ?

Le premier paquet adopté en 2001 avait pour objectif de préparer l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire européen et d’amorcer la séparation entre l’exploitant (l’entreprise réalisant et opérant les déplacements sur les lignes, activité assurée par SNCF Mobilités en France) et le gestionnaire de l’infrastructure (l’entreprise en charge de rénover le réseau, de mener et prioriser les travaux, etc. activité assurée par SNCF Réseau en France, anciennement Réseau Ferré de France). A noter que la déréglementation concerne uniquement les exploitants des réseaux et non pas les gestionnaires : en effet, la gestion de l’infrastructure continue d’être considérée comme un monopole « naturel » du fait des coûts associés.

Le deuxième paquet est adopté en 2004 et permet de créer une agence ferroviaire européenne, dont l’objectif est l’harmonisation des législations européennes pour permettre la création d’un grand réseau ferroviaire européen. Il a aussi acté l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire.

Le troisième paquet adopté en 2007 ouvre à la concurrence le marché international de voyageurs et rend possible le cabotage (défini comme la possibilité pour une compagnie ferroviaire de commercialiser des dessertes ferroviaires nationales dans le cadre d’une liaison internationale).

Enfin, c’est le quatrième et dernier paquet ferroviaire adopté en 2016 qui ouvre à la concurrence le dernier pan du secteur : le marché national de voyageurs. Les lignes nationales peuvent désormais être ouvertes à la concurrence de deux manières :

  • Par « open-access »: pour les lignes nationales non-conventionnées (généralement les lignes à grande vitesse). Dans le cadre de cette concurrence, une société ferroviaire souhaitant faire circuler des trains sur une ligne donnée à des horaires définis doit adresser une demande au gestionnaire de l’infrastructure qui lui en donne l’accord.
  • Par appels d’offres: pour les lignes conventionnées (en France, les trains du quotidien (TER) dont la gestion est assurée par les régions, et les trains d’équilibre du territoire (TET ou également connus sous le nom d’Intercités), dont l’Etat est considéré comme l’autorité organisatrice).

Les États ont eu l’obligation de retranscrire ces paquets ferroviaires dans les législations nationales Selonl’Union européenne, ces réglementations devaient permettre d’améliorer la qualité de service, d’augmenter les dessertes, de diversifier l’offre et de baisser les prix.

La dernière loi d’envergure est celle adoptée en 2018 en France visant à préparer l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs

La traduction de ces paquets ferroviaires dans le cadre juridique français

Comment s’est traduit l’adoption de ces réglementations dans le droit français ? Il est important de revenir sur certaines lois phares afin de comprendre comment s’organise la gestion du transport ferroviaire aujourd’hui en France.

En 1997, l’Etat décide de séparer la gestion (par la création de Réseau Ferré de France) de l’exploitation ferroviaire (qui reste à la main de la SNCF). Aujourd’hui cette distinction existe toujours, bien que Réseau Ferré de France ait été remplacé par SNCF Réseau.

En 2000, l’Etat transfère la compétence ferroviaire aux régions, qui deviennent des autorités organisatrices des transports du quotidien : elles récupèrent la gestion des trains express régionaux et des petites lignes ferroviaires sur leurs périmètres géographiques(4). Ce sont elles qui sont chargées de négocier les conventions avec l’exploitant ferroviaire (avant l’ouverture, le seul exploitant était donc la SNCF) : l’exploitant n’est qu’un « prestataire » au service des régions. A noter que les conseils régionaux consacrent en moyenne 17% de leurs budgets au transport ferroviaire.

La dernière loi d’envergure est celle adoptée en 2018 visant à préparer l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs. Elle comporte plusieurs mesures clés.

1/ Tout d’abord, elle modifie la structure de la SNCF. L’entreprise autrefois sous le statut d’établissement public de caractère industriel et commercial (EPIC(5)) devient une société anonyme à capitaux publics, dont l’unique actionnaire est l’Etat français(6). Dans la nouvelle organisation, les 3 anciens EPIC deviennent 5 sociétés anonymes, chapotées par la maison-mère SNCF : SNCF Réseau (Gare & Connexions en charge de la gestion des gares devient une filiale de SNCF Réseau), SNCF Voyageurs, Rail Logistics Europe, Geodis, et Keolis(7).

2/ Cette loi met fin à l’embauche au statut de cheminot, qui conférait aux travailleurs des avantages négociés autrefois par les partenaires sociaux.

3/ L’Etat s’engage à assainir financièrement le groupe en reprenant la dette à hauteur de 35 milliards d’euros. A noter que cette dette ne découle pas uniquement des choix faits par l’entreprise, mais aussi des virages stratégiques de l’Etat : le développement massif du réseau TGV (différent du réseau des trains express régionaux) a demandé des investissements engendrant une hausse de l’endettement.

4/ Enfin, cette loi acte l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs et fixe un calendrier :

  • La concurrence en « open-access » est autorisée dès 2021 ;
  • La concurrence par appels d’offres (pour les TER et TET) est obligatoire dès 2024 mais possible à partir de 2020 ;
  • La concurrence devient obligatoire pour le RER A, B, C, D, E en 2040. A noter que certaines lignes de RER sont exploitées entièrement par la SNCF, d’autres partiellement avec la RATP ou uniquement par la RATP.
Le ferroviaire, un mode de transport prometteur délaissé ?

Comme évoqué plus haut, le transport ferroviaire a connu un déclin majeur : alors qu’au XIXème et XXème siècles, le transport ferroviaire représentait 90 % des déplacements, sa part modale n’est même pas de 10 % aujourd’hui. Ce déclin s’explique par le développement des infrastructures routières, qui sont parfois plus compétitives et globalement moins coûteuses par rapport au transport ferroviaire (que ce soit pour le transport de voyageurs ou de marchandises) et également par l’essor de l’aérien avec le développement des offres low-costs.

Pourtant, dans une optique de réduction des gaz à effet de serre, dont une grande partie est générée par les transports (27% en 2006), le rail est le transport à privilégier puisqu’il n’est responsable de l’émission que de 0,5% de ces gaz contre 72% pour le transport routier(8). Cela s’explique notamment par le fait que le train est un transport « mass transit » ayant la capacité de transporter un nombre de voyageurs bien plus important que la voiture individuelle. L’Etat a concentré les efforts financiers sur la construction d’infrastructures routières avec l’apparition de la voiture individuelle, considérée à l’époque comme un moyen de transport révolutionnaire. Pour autant, le constat est aujourd’hui clair sur ses effets environnementaux. Du fait de la concentration massive des investissements sur le transport routier, les Français vivant dans des territoires enclavés ou éloignés des aires urbaines, n’ont aucun moyen de transport alternatif performant. D’où l’urgence de proposer des alternatives viables et performantes.

Les résultats disparates (pas exemple entre le Royaume-Uni et l’Allemagne) entre les pays européens ayant ouvert à la concurrence s’explique par le degré d’ouverture choisi. Certains ont poussé l’ouverture à son paroxysme et les dégâts s’en font ressentir.

Les bénéfices de l’ouverture à la concurrence : coup d’œil chez nos voisins européens

La concurrence est supposée avoir des effets sur un ensemble de paramètres (les prix, les dessertes, la régularité, etc.). Quels ont donc été les résultats obtenus dans les pays précurseurs en Europe, notamment en Allemagne et au Royaume-Uni, qui ont ouvert le marché national de voyageurs à la concurrence il y a déjà plusieurs années voire décennies ?

  1. L’effet de la concurrence sur les prix

Dans certains pays les prix ont eu tendance à augmenter : en Allemagne, en Angleterre et en Suède, c’est le cas pour les lignes conventionnées. Un autre exemple marquant est celui du Royaume-Uni. De 1994 à 2010, les prix ont augmenté de 27% en moyenne. Ceci s’explique par l’absence de régulation étatique(9).

Dans d’autres pays les prix ont baissé, parfois au détriment de l’équilibre économique des sociétés ferroviaires nationales : c’est par exemple le cas en République-Tchèque. Prenons l’exemple de la ligne Prague-Ostrava, une des plus importantes du pays : trois opérateurs se sont positionnés sur ce segment, ce qui a engendré une guerre commerciale et donc une baisse drastique des prix, en venant à rendre l’exploitation de cette ligne non-rentable(10). Est-il souhaitable d’en arriver là ? Surtout dans le cas de la France, où rappelons que la SNCF est possédée à 100% par l’Etat français qui vient d’en racheter la dette.

  1. La répartition des parts de marché 

Ce point est important car comme évoqué précédemment, la plupart des sociétés ferroviaires appartiennent en partie ou complètement aux Etats (c’est le cas en France). Globalement, dans les pays européens ayant ouvert à la concurrence, les opérateurs historiques ont conservé environ 70% des parts de marché(11): le reste a été capté par les nouveaux opérateurs. En Allemagne, les parts de marché possédées par la Deutsche Bahn (société ferroviaire historique) varient énormément en fonction des Länder. Dans les régions proches de Berlin comme le Brandebourg, la Bavière ou la Saxe, elle conserve l’intégralité de l’exploitation du réseau quand elle n’en garde qu’1/4 dans les régions de Schleswig-Holstein ou encore à Bade-Wurtemberg. Un phénomène comparable pourrait se produire en France.

  1. Augmentation des dessertes et de la fréquentation:

En Allemagne, la Deutsche Bahn a réussi à conserver des revenus financiers équivalents même si elle a perdu une partie de ses parts de marché. Cela peut s’expliquer par l’augmentation de la fréquentation du réseau et donc des rentrées financières. Pour autant, peut-on attribuer cette hausse de la fréquentation à l’ouverture à la concurrence ? Difficile à dire, puisque l’ouverture a été accompagnée d’investissements ferroviaires massifs, ce qui peut être le facteur déterminant. Entre 1993 et 2006, l’offre de transport a augmenté de 30% et la demande de 45%(12) : est-il possible d’attribuer ces changements uniquement à l’ouverture à la concurrence ?

Au Royaume-Uni, s’est produite la situation inverse : de nombreux trains étaient régulièrement supprimés, les sociétés ferroviaires pouvant gérer les dessertes comme bon leur semblait. La gestion a été un tel désastre que le gouvernement a fini par renationaliser et assurer la gestion de certaines lignes, laissées parfois complètement à l’abandon.

Ces variations entre les pays (par exemple entre l’Allemagne et le Royaume-Uni) peuvent s’expliquer par la manière d’ouvrir à la concurrence et la politique mise en place pour accompagner cette ouverture. En Allemagne, l’ouverture à la concurrence a été accompagnée d’investissements massifs, de lancement de grands projets ferroviaires (ex. Stuttgart 21, désengorgement du nœud ferroviaire de Leipzig, etc.) et de travaux de rénovation. Au Royaume-Uni, l’ouverture à la concurrence a été poussée à son paroxysme : le système a été entièrement privatisé entre 1994 et 1997, la société ferroviaire nationale Network Rail démantelée et le réseau ferroviaire découpé en 16 franchises, dont l’exploitation a été répartie entre différentes compagnies. Les conséquences de cette privatisation sont connues aujourd’hui et ont été évoquées (augmentation drastique des prix, suppression de trains, manque de régularité, accidents importants liés à la réduction des effectifs dans les trains, etc.). Le gouvernement britannique, pour mettre un terme à ces disfonctionnements, a annoncé il y a quelque mois la création de Great British Railways pour 2023, une société publique qui sera en charge de signer les contrats avec des sociétés privés, de fixer les horaires, les prix et les liaisons(13). En quelque sorte un « garde-fou » dont le rôle sera de chapeauter les sociétés ferroviaires pour empêcher la reproduction des dérives du passé. Le Royaume-Uni est le parfait exemple de ce qu’il ne faut absolument pas faire et démontre bien que l’ouverture à la concurrence poussée à son paroxysme, qui n’est pas accompagnée d’investissements et sans surveillance étatique, est une catastrophe. 

L’ouverture à la concurrence n’est pas le remède miracle

L’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire n’a certainement rien du remède miracle annoncé sous le quinquennat d’Emmanuel Macron et ne va pas changer la donne, du fait de plusieurs raisons :

  • Limites dans les modes d’ouverture:

Ouverture par « open-access » : la limite première de cette forme de concurrence est qu’une ligne ne peut pas supporter un nombre illimité de trains. Une autre limite est que les opérateurs vont forcément se positionner sur les dessertes les plus rentables (ex. Marseille-Paris) et délaisser d’autres lignes moins fréquentées et donc moins voire non rentables. Un moyen pouvant être utilisé par les compagnies est de se positionner sur des dessertes proches de lignes fréquentées où les prix des péages ferroviaires[14] sont moins élevés : un exemple phare est le trajet Marseille-Marne-la-Vallée plutôt que Marseille-Paris Gare de Lyon. Pour autant, le positionnement actuel de Ouigo (l’offre « low-cost » développée par la SNCF) complique la tâche pour les autres entreprises ferroviaires souhaitant surfer sur la vague du « low-cost » en France. 

Ouverture par appels d’offres : l’exclusivité de l’exploitation sur une ou plusieurs lignes données va être attribuée pour une période spécifique, pour des conditions définies(15). Cette concurrence présente donc une certaine forme de stabilité ets’exerce de nouveau à chaque fin de contrat. Reste qu’elle n’est que peu réellelors de l’exécution du contrat puisqu’il n’y a qu’un seul opérateur sur la ligne. L’offre peut plus difficilement être modifiée pour s’adapter à la demande. Les marges de manœuvre des régions peuvent donc être réduites.

La vétusté du réseau ferroviaire : le réseau ferroviaire français des lignes régionales est vieillissant (29 ans en moyenne(16)). Ce vieillissement influence donc fortement la vitesse et la régularité des trains : de nombreux problèmes techniques sur ces lignes sont liés à la vétusté. En effet, pendant des décennies, les gouvernements ont préféré investir massivement dans le réseau des trains à grande vitesse, plutôt que sur les dessertes fines du territoire et les lignes structurantes, pourtant essentielles dans les déplacements quotidiens des Français.

Impacts sur les petites lignes ferroviaires: économiquement peu viables, elles sont cruciales pour le désenclavement des territoires, d’où la nécessité de les maintenir et de les moderniser en lançant des travaux. Ces lignes font souvent parties des plus « âgées », ce qui engendre des problèmes techniques et des retards etne permet pas d’attirer les voyageurs, notamment face à l’attractivité de la voiture individuelle. Les entreprises concurrentes de la SNCF ne se positionneront jamais sur des segments économiquement peu viables. Les régions vont donc continuer à financer tant que les gouvernements successifs y seront favorables.

L’ouverture à la concurrence n’est pas le remède miracle annoncé sous le quinquennat Macron. Il est urgent, au regard des enjeux climatiques et de désenclavement des territoires, de penser une réelle politique de transports en commun, intégrant le ferroviaire, favorisant l’intermodalité. 

Alors, que faire ? Le transport ferroviaire à l’heure du réchauffement climatique et de la nécessité de désenclaver l’ensemble des territoires

Selon le Conseil des Ponts et Chaussées, la demande de mobilité ne va pas cesser d’augmenter dans les 30 à 40 prochaines années : lors qu’un Français parcourait environ 14 000 kilomètres par an en 2000, en 2050 il devrait en parcourir près de 20 000(17).

Au regard des projections quant à l’augmentation des flux de personnes dans les prochaines décennies et à l’heure du réchauffement climatique, il apparaît nécessaire de mener une politique ferroviaire ambitieuse dans la mesure où le train constitue encore de nos jours l’avenir des mobilités à faible impact environnemental. Et plutôt que sur la pure mise en concurrence, cette politique ferroviaire doit s’appuyer sur trois piliers:

  • Pilier I : un investissement massif pour la rénovation / modernisation du réseau à inscrire dans les contrats plan Etat-régions : en effet, si pour certains Conseils régionaux, ouverture à la concurrence rime avec amélioration du service et augmentation des dessertes, cela est impossible sur un réseau à bout de souffle ;
  • Pilier II : une mise en place de grands projets d’infrastructures permettant de désengorger les différents nœuds ferroviaires et d’augmenter les dessertes : on pense notamment au projet de ligne Nouvelle Provence-Alpes-Côte d’Azur, bien que les impacts d’un tel projet sur la population soient importants, d’où la nécessité de conduire des enquêtes publiques pour les minimiser le plus possible ;
  • Pilier III : une promotion de l’intermodalité (amélioration de la connexion entre les différents modes de transports en commun et doux): pour faciliter le parcours des usagers et ainsi augmenter la fréquentation des transports publics dont le ferroviaire. A noter que, pour que l’intermodalité soit efficace, la connexion entre les différents modes de transports doit être optimisée, que ce soit en termes de durée ou de coûts (par exemple en instaurant un pass multi-transports) afin que cela soit plus attractif que l’utilisation de la voiture individuelle. Pour améliorer cette connexion, il faut évidemment augmenter l’offre de transports existante (augmentation des lignes de bus, de trains, aménagement de pistes cyclables et de parkings vélos, etc.). Enfin, il s’agit de faire la promotion de ces parcours intermodaux auprès des voyageurs, notamment grâce aux applications de transport (comme l’application SNCF ou l’application Ile-de-France Mobilités). Cela requiert donc que l’Etat investisse davantage ce sujet et aille bien plus loin que ce qui est proposé dans la loi d’orientation des mobilités adoptée en 2019.

D’autres leviers peuvent être activés (pour le transport de voyageurs mais également le fret) :

  • La mise en place d’une taxe sur les poids lourds pour désengorger les routes tout en repensant les politiques tarifaires liées au fret ferroviaire qui incitent actuellement les entreprises à se tourner davantage vers le transport routier de marchandises ;
  • Le lancement de travaux de modernisation des gares de triage, etc.

En matière de transport notamment ferroviaire (que ce soit pour les voyageurs ou les marchandises), beaucoup reste à faire et des solutions existent.

Références

(1)Commission européenne. (2010) Politique européenne des transports à l’horizon 2010, livre blanc

(2)Selon Vie Publique, un monopole est une situation de marché dans laquelle un seul vendeur fait face à une multitude d’acheteurs (définition issue de Vie Publique)

(3)Encyclopedia Universalis (s. d.). effet de réseau, économie

(4)Loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU). (2020, avril 14)

(5)Un EPIC est une personne morale de droit public ayant pour but la gestion d’une activité de service public de nature industrielle et commerciale.

(6)Vie publique (2018). Pour un nouveau pacte ferroviaire, loi d’habilitation, ordonnances

(7)Pour en savoir plus : https://www.sncf.com/fr/groupe/profil-et-chiffres-cles/portrait-entreprise/sncf-2020-nouveau-groupe

(8)Soppé, M. & Guilbault, M. (2009). Partage modal et intermodalité. Évolutions structurelles de l’économie. Revue d’Économie Régionale & Urbaine, novembre (4), 781-805

(9)Informations issues de cet article : https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/au-royaume-uni-la-privatisation-des-chemins-de-fer-deraille-628489.html

(10)Tomeš, Z., Kvizda, M., Nigrin, T., & Seidenglanz, D. (2014). Competition in the railway passenger market in the Czech Republic. Research in Transportation Economics, 48, 270‑276

(11)Broman, E., & Eliasson, J. (2019). Welfare effects of open access competition on railway markets. Transportation Research Part A: Policy and Practice, 129, 72‑91

(12)Ibid

(13) Informations complémentaires dans cet article : https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/au-royaume-uni-la-privatisation-des-chemins-de-fer-deraille-628489.html

(14)Chaque exploitant ferroviaire doit payer le prix d’un péage au gestionnaire : ce prix varie en fonction des dessertes. Le prix du péage d’une desserte fortement fréquentée (ex. Marseille-Paris) sera plus élevé.

(15)Rapport ministériel & Spinetta, J. (2018). Rapport Spinetta : l’avenir du transport ferroviaire

(16)Ministère de la transition écologique et solidaire. (2020a). Chiffres clés transports 2019

(17)Crozet, Y. (2020, mai 8). L’Europe ferroviaire dans cinquante ans

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La démocratisation culturelle, échec ou réussite ?

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Introduction

Pour commencer, il convient de préciser ce que l’on entend généralement par « démocratisation culturelle ». Les définitions – et partant les politiques publiques qui lui sont associées – varient légèrement selon les périodes. Génériquement, la démocratisation culturelle désigne le processus d’élargissement du nombre d’individus en mesure d’accéder à la culture, comprise dans tous ses aspects (production ET consommation), et d’y participer pleinement en acteurs légitimes. Admettons, pour ouvrir la réflexion, que cette démocratisation soit largement souhaitable – si l’on considère que les snobs semblables à ce jeune homme qui, dans une vidéo INA de 1964(1), affirme l’existence d’une « aristocratie des lecteurs », sont relativement marginaux. Pour parvenir à cet objectif, deux vecteurs principaux sont à appréhender : l’école et les institutions culturelles. Par école, il faut comprendre tout à la fois les établissements scolaires, le personnel éducatif et, surtout, le ministère de l’Education nationale, qui par définition est moteur dans les politiques publiques liées à la culture au sein de l’école. Le ministère de la Culture y a d’ailleurs tout autant un rôle essentiel à jouer.

Laurent Martin, historien spécialiste de la démocratisation culturelle, affirme ceci : « d ’une certaine façon, on peut dire que la démocratisation a été le fil directeur, parfois explicite, parfois implicite, d’une part majeure de la politique culturelle menée en France depuis des décennies, la justification première et dernière de l’effort public en matière culturelle, le critère ultime de la réussite ou de l’échec de toute politique en ce domaine. »(2). Son article a vocation à restituer l’histoire de la démocratisation culturelle depuis les débuts de la IIIe République jusqu’à nos jours, afin de mettre en lumière ce qui, à chaque étape, a fonctionné et, évidemment, ce qui a échoué. Point culminant de ce volontarisme politique : « l’éducation artistique et culturelle », l’EAC. C’est aujourd’hui un processus bien avancé sur lequel nous reviendrons plus en détails, puisqu’il est devenu l’alpha et l’oméga de la réflexion en matière de démocratisation culturelle. A l’aune de toutes ces politiques publiques, quelques propositions succinctes seront avancées à la fin de l’article. 

La démocratisation culturelle de la IIIe République au tournant du millénaire : verticalité et politique de l’offre 
Une histoire de la démocratisation culturelle jusqu’aux années 2010

Dans l’histoire de la démocratisation culturelle, quatre périodes peuvent être distinguées(3). Sous la IIIème République, deux phénomènes concomitants participent aux prémices d’une relative démocratisation culturelle. D’une part, l’école gratuite, obligatoire et laïque, et d’autre part, le large développement de la presse, qui permet tant une lecture quotidienne que le décloisonnement de la littérature des cabinets qui lui étaient auparavant consacrés. Très schématiquement : de plus en plus de gens savent lire, donc de plus en plus de gens lisent, donc de plus en plus de gens ont des chances de s’intéresser à l’art, à la culture en général. Ce schéma, très simplificateur, n’est pas spécifiquement pensé comme tel : la priorité des gouvernants est de constituer une nation de citoyens républicains, pas d’artistes. Tout au long du premier XXe siècle, la culture se démocratise par la force des choses, mais peu de politiques publiques singulières sont faites à cette fin(4).

Les choses changent avec la création, en 1959, du ministère de la Culture sous la houlette de l’ancien résistant André Malraux, proche du général De Gaulle. Le décret fondateur du ministère explicite sa mission : « rendre accessibles les œuvres capitales de l’Humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création de l’art et de l’esprit qui l’enrichisse ».

L’idée de démocratisation culturelle est là, même si l’expression n’a jamais été employée par Malraux. Elle part du haut pour toucher le bas, par la baisse du prix des musées ou l’invention des maisons de la culture par exemple. Le travail se fait principalement sur loffre culturelle, non sur la demande. Déjà à la fin des années 60 – avec comme acmé mai 68 – cette vision élitiste et paternaliste est contestée.

Dans les années 70, l’esprit soixante-huitard infuse. Une nouvelle conception de la diffusion de la culture se développe alors. A la démocratisation culturelle s’oppose désormais la notion de démocratie culturelle. L’idéal démocratique – qui visait à donner accès à tous à la culture dite légitime – se dilue dans le relativisme culturel. Ce n’est plus l’accès pour tous à la culture qui est revendiquée, mais la pluralité des pratiques culturelles de tous les groupes culturels. On passe d’une définition classique et universaliste de la culture à une vision anthropologique. Chacun a désormais la possibilité d’exprimer sa culture communautaire : « De la démocratisation à la démocratie culturelle […] et de l’unité de la culture à la pluralité des cultures », nous dit Laurent Martin(5). À noter tout de même que cette nouvelle conception de la démocratie culturelle se concentre avant tout dans les milieux intellectuels plus que politiques. En effet, le mandat de Jack Lang au ministère de la Culture (1981 à 1986, puis 1988 à 1993) voit se développer des dispositifs d’animation culturelle ; le budget de la Culture dépasse pour la première fois les 1% et les arts dits mineurs (tout art n’appartenant ni à la peinture, ni à la sculpture, ni à l’architecture) sont enfin consacrés dans les projets culturels locaux et nationaux. Deux types de critiques voient le jour contre cette politique de l’offre. À gauche, Nathalie Heinich expose un argument qui sera au cœur des politiques culturelles du XXIème siècle : l’augmentation de l’offre culturelle n’induit pas mécaniquement une augmentation de la consommation de culture. À droite, des hommes comme Alain Finkielkraut ou Marc Fumaroli dénoncent le relativisme culturel qui met sur un pied d’égalité les arts majeurs et les arts mineurs.

La quatrième et dernière période décrite par Laurent Martin – qui va du début des années 2000 à l’année de publication de son article, c’est-à-dire 2013 -, est le retour à une volonté de démocratisation culturelle, accompagnée dans une certaine mesure d’une définition pluraliste. Pour ainsi dire, on assume la multiplicité des arts tout en essayant d’amener le plus grand nombre d’individus vers ce qui se fait de mieux dans chaque art. Très prosaïquement, cela peut se traduire par des concerts de rap financés par les pouvoirs publics, mais d’un rap considéré comme étant de « bonne qualité ». Cette démocratisation culturelle figure plus que jamais parmi les priorités affichées par les gouvernements et les différents ministres de la culture, qu’ils soient de droite (Frédéric Mitterrand en tête) ou de gauche (Aurélie Filippetti pour qui la démocratisation était un « idéal [qui] a tiré tout le monde vers le haut »(6)).

Pour quels résultats ?

Cinq enquêtes successives sur les pratiques culturelles des Français — 1973, 1981, 1989, 1997, 2008 – ont été conduites à l’initiative du ministère de Culture. Regardons attentivement l’évolution des pratiques culturelles entre 1973 – date de la première enquête – et 2008(7). On assiste à une évolution majeure : la féminisation des pratiques culturelles et la persistance de différences sexuées dans les pratiques. L’entrée des femmes dans les études supérieures – femmes qui sont désormais, en moyenne, plus diplômées que les hommes – a permis successivement un rattrapage des femmes dans la pratique culturelle et une activité culturelle plus importante que celle les hommes. On assiste ainsi à un déplacement des pratiques culturelles vers le pôle féminin. Exception notable de la télévision, qui demeure majoritairement une pratique masculine. Cette féminisation devrait d’ailleurs se prolonger au fur et à mesure que les générations les plus anciennes – et donc les plus patriarcales – disparaissent.

Enfin, l’enquête la plus récente montre que, en dépit d’une transformation profonde des rapports à l’art et à la culture, les pratiques culturelles demeurent, dans bien des cas, élitaires et cumulatives. Il ny a aucun « rattrapage » culturel entre les catégories populaires et les catégories aisées(8).

Les distinctions de pratiques culturelles entre ces deux catégories sont en effet restées stables. Il faut garder en tête que certaines évolutions « positives » – notamment la hausse de fréquentation des établissements culturels – sont dues uniquement au développement de l’éducation supérieure et, de fait, à laugmentation relative du nombre de cadres et d’individus au capital culturel élevé. Entre un ouvrier et un cadre, les différences de pratiques culturelles sont les mêmes en 2008 et en 1973, mais il y a moins d’ouvriers et plus de cadres en 2008 qu’en 1973. Pour le sociologue de la culture Philippe Coulangeon(9), il y a même une aggravation des inégalités sociales. Les écarts de pratiques culturelles des postes « loisirs et culture » ont augmenté jusqu’en 2008 : en 1973, 54% des ouvriers n’avaient pas fréquenté d’équipement culturel, contre 65% en 2008. Coulangeon rappelle que les taux de non-fréquentation se sont accrus pour toutes les classes sociales, cadres supérieurs et professions intellectuelles exceptés (qui, on le rappelle, ont vu leur proportion augmenter).

La pratique culturelle reste ainsi toujours marquée par la distinction sociale, trente ans après La Distinction (1979) de Bourdieu. Dans son modèle, le sociologue avance que les goûts et les pratiques culturelles sont le produit d’un habitus acquis dès la socialisation primaire. Celui-ci implique que chaque groupe social est inégalement doté culturellement. L’identité sociale est forgée par des goûts et des dégoûts que Bourdieu nomme l’homologie structurale. Par exemple, les « dominants » ont goût pour les arts savants mais rejettent la culture de masse. Il n’y a alors pas d’attrait « naturel » pour tel ou tel art. Pour Coulangeon, ce modèle est ainsi « fragilisé » dans les années 2000, mais pas « disqualifié ». Ce dernier fait de léclectisme le nouveau modèle de légitimité culturelle : les catégories aisées seraient aujourd’hui plus marquées par la diversité de leurs pratiques culturelles que par leur culture savante. Ainsi, ce qui distingue les classes supérieures des classes populaires n’est plus la légitimité des goûts comme l’avançait Bourdieu, mais leur variété(10). Coulangeon invoque plusieurs raisons à cet éclectisme, parmi lesquelles figure une volonté de maximiser les ressources par la cumulation des pratiques et de jouir d’une capacité d’adaptation et d’interprétation, apanage des classes supérieures.

En résumé, jusque dans les années 2000, la démocratisation culturelle – relative – semble avoir été une conséquence de la massification scolaire et de l’évolution de la structure sociale française plus qu’une réussite des politiques culturelles. Celles-ci, principalement tournées sur l’offre culturelle, sont globalement un échec.

« L’éducation artistique et culturelle » (EAC) ou la démocratisation par la demande
Les leçons tirées des échecs antérieurs

Le tournant de la démocratisation culturelle advenu au XXIe siècle part du constat, étayé au fil des lignes précédentes, que cette dernière avait jusqu’alors mal, ou du moins insuffisamment, fonctionné. Alors que jusqu’ici l’on assistait à une politique de l’offre, les pouvoirs publics décident de développer des politiques de la demande(11). Rappelons-le, une politique de l’offre vise à modifier l’offre des institutions culturelles ou des artistes – en baissant les prix par exemple. Une politique de la demande cherche au contraire à agir sur les citoyens eux-mêmes, pour leur donner le goût de la culture et donc l’envie de pratiquer ou de découvrir différents arts. Mais comment agir sur cette demande ? Par l’école. Anne Krebs, cheffe du service Études, évaluation et prospective au Louvre, dit ceci : « Là où les politiques de démocratisation culturelle montrent leurs limites, l’école peut être pensée comme l’institution susceptible de toucher l’ensemble d’une population scolaire. »(12). On ne peut qu’abonder en son sens.

LÉcole est le lieu par lequel peut « sorganiser la rencontre de tous avec lart »(13). Cest linstitution qui doit permettre de réduire les inégalités culturelles intimement liées aux inégalités sociales(14).

Le cas échéant, celles-ci prévaudront dans la vie des Français malgré toute la bonne volonté des établissements culturels. Place donc à la politique de la demande.

La généralisation, outil clé de la démocratisation par l’école

Le lecteur voudra bien pardonner l’inventaire à la Prévert qui va suivre, mais il est essentiel pour comprendre comment s’est progressivement renforcée l’éducation artistique et culturelle en France dans une logique de la demande. Le début du millénaire voit se développer un impératif de généralisation de l’accès à la culture. Le meilleur moyen de toucher les Français est alors de le faire lorsqu’ils y sont les plus réceptifs, c’est-à-dire durant leur enfance. Tout au long des années 2000, des dispositifs se mettent progressivement en place, petit pas par petit pas.

Le plan Lang-Tasca, élaboré en 2000, forme officiellement cet impératif de généralisation chez les élèves. La même année, un plan de cinq ans est lancé entre le ministère de la Culture et le ministère de l’Éducation nationale pour renforcer l’offre éducative des structures artistiques et culturelles subventionnées, en lien avec les établissements scolaires. Ainsi, l’objectif de démocratisation culturelle n’est plus l’apanage exclusif du ministère de la Culture puisque l’Éducation nationale y prend sa part. Cette logique de généralisation se voit renforcée par le discours prononcé par Jacques Chirac le 3 janvier 2005, dans lequel il annonce que « l’attribution de subventions de fonctionnement aux établissements culturels sera subordonnée(15) à la production d’une action éducative. ». Le processus est enclenché. La même année, un Haut conseil de l’éducation artistique et culturelle (HCEAC) est installé. Ses compétences seront progressivement élargies. En 2008, le gouvernement instaure une épreuve d’histoire de l’art au brevet, qui démontre l’accent mis sur la responsabilité des professeurs en matière d’Éducation artistique et culturelle (EAC). En 2012, François Hollande lance un grand plan national en faveur de l’EAC en insistant sur les partenariats avec les collectivités territoriales. C’est ce plan qui viendra accélérer l’objectif de généralisation de l’éducation artistique et culturelle. En 2013, la loi de refondation de l’école de la République rend obligatoire pour chaque élève un « Parcours d’éducation artistique et culturel ». Cette éducation artistique et culturelle à l’école repose sur trois piliers :

  • L’enrichissement de la culture artistique des élèves tout au long de leur parcours scolaire
  • La possibilité, pour les élèves, de renforcer leur pratique artistique
  • Le développement du rapport sensible des élèves aux œuvres par la fréquentation de lieux culturels ou la rencontre d’artistes

Le parcours EAC – ou PEAC – est un nom compliqué qui renvoie tout simplement au fait qu’un élève rencontre, chaque année, un objet culturel au cours de sa scolarité, en dehors du programme scolaire.

Malgré tous les beaux discours, le plan financier reste le nerf de la guerre. La LOLF(16), adoptée en 2001 et progressivement mise en place jusqu’en 2005, modifie la structure des finances publiques. Désormais, les ventilations de crédits se font par programme. Jusqu’au projet de loi de finances 2021, qui change la donne en matière de structure des programmes de la Culture, c’était le programme 224 – créé en 2006 – des lois de finance qui s’occupait des questions de démocratisation culturelle(17). Son deuxième objectif se présentait ainsi : « Favoriser un accès équitable à la culture notamment grâce au développement de l’éducation artistique et culturelle ». Ce programme 224 a vu son financement progresser au fil des années. D’un peu plus de 31 millions d’euros en 2006, il était dans le projet de loi de finances 2020 à hauteur de 222 millions d’euros. Toutefois, alors que le ministère de la Culture présente l’éducation artistique et culturelle comme le pilier principal de la démocratisation culturelle(18), il ne consacre que… 5% de son budget total à ce programme ! C’est moins que le budget alloué à l’opéra de Paris.

Pour quels résultats ?

En 2011, avant le grand plan de François Hollande, 22% des élèves avaient bénéficié dans l’année d’un parcours d’éducation artistique et culturelle – c’est-à-dire d’un des trois points cités plus haut. Attention : ces parcours renvoient bien à la rencontre entre un élève et un objet culturel en dehors des matières scolaires obligatoires que sont la musique et les arts plastiques. En 2014, soit trois ans après l’adoption du plan, 35% en ont bénéficié. En 2018, ce sont 75% des élèves scolarisés en France qui ont pu accéder à un parcours d’éducation artistique et culturelle à l’école. La généralisation semble ainsi en bonne voie, la part d’élèves susceptibles de rencontrer des objets culturels n’ayant fait que croître depuis dix ans. Un important bémol toutefois : cette part n’a pas augmenté en 2019 alors même que l’objectif du gouvernement actuel est d’atteindre un taux de 100% en 2022. Pour mieux expliciter ce chiffre assez abstrait, rentrons dans le détail du programme EAC 2017-2018(19).

Il apparaît que beaucoup plus d’élèves sont touchés en primaire (82%) qu’au collège (62%). Près de 3 écoles sur 4 et de 9 collèges sur 10 bénéficient d’un partenariat avec des équipements culturels et/ou des équipes artistiques. Ces partenariats inscrivent dans la durée des liens étroits entre institution scolaire et établissement culturel. Le résultat est toutefois assez décevant dans les écoles primaires, qui privilégient les activités culturelles au sein de l’école(20) (musique, chant et arts plastiques notamment). De grandes différences – ou plutôt de grandes inégalités – se font jour. Les collèges du premier quartile (les plus riches) et ceux du quatrième quartile (les plus pauvres), sont les moins concernés par des dispositifs d’EAC (respectivement 51 et 56%). Les collèges des deuxièmes et troisièmes quartiles sont bien mieux dotés (77 et 71%). Les élèves du premier quartile disposent déjà d’un capital culturel qui les dispense des dispositifs d’EAC. À l’inverse, les élèves du quatrième quartile souffrent d’autant plus du manque de dispositifs d’EAC qu’ils représentent la population la plus éloignée socialement des objets culturels. De la même manière, en zone d’éducation prioritaire, seuls 55% des collégiens sont touchés par une action ou un projet d’EAC (contre 64% des collégiens hors éducation prioritaire). Cela pose un grave problème d’accroissement des inégalités culturelles, largement fondées sur des inégalités sociales. Sur un volet plus géographique, les zones urbaines sensibles et les zones rurales sont celles où les établissements scolaires ont statistiquement le plus de chance de ne pas avoir de dispositif d’EAC. Ainsi, si la généralisation voulue par les ministres successifs est à louer, les élèves les plus éloignés des milieux culturels – les plus pauvres donc – en restent les grands oubliés. Ce programme de démocratisation culturelle tend ainsi pour le moment à accroître les inégalités scolaires : les élèves les moins susceptibles de découvrir l’art ou la musique par leur environnement familial sont en effet les moins aidés par l’Education nationale.

Les différentes politiques d’éducation artistique et culturelle entreprises depuis le début des années 2000 ont-elles déjà eu des conséquences sur les pratiques culturelles dont nous évoquions l’importance plus haut ? Pour répondre à cette question, nous pouvons mobiliser une enquête de Philippe Lombardo et Loup Wolff qui se fonde sur l’enquête sur les pratiques culturelles des Français en 2018(21)(et l’évolution depuis 2008 ou 1973). En résumé, pour les auteurs, les pratiques les plus répandues se sont démocratisées, entraînant ainsi une réduction des écarts entre milieux sociaux : écoute de musique, fréquentation des cinémas, bibliothèques. Cependant, les écarts se creusent lorsqu’il s’agit de la fréquentation des lieux patrimoniaux (musée, expositions etc). La réduction d’écart pour certaines pratiques est trop faible pour parler d’une véritable démocratisation de la culture entre 2008 et 2018, d’autant plus que la diffusion de certaines pratiques (écoute de musique et présence en bibliothèques) s’explique par d’autres éléments que les politiques culturelles par la demande (streaming pour l’écoute de la musique et pratiques étudiantes pour la fréquentation de bibliothèques). Les politiques d’EAC concernent les jeunes élèves, qui, en conséquence, sont soit encore scolarisés soit très minoritaires dans l’ensemble de la population française. Ainsi, il est bien trop tôt pour évaluer les conséquences de la généralisation de l’EAC sur la démocratisation culturelle des adultes.

La réforme du baccalauréat et le parcours EAC

En 2018, il a été rendu possible aux lycéens de choisir l’enseignement de spécialité « Arts », qui englobe la pratique de sept disciplines (danse, arts du cirque, musique, histoire de l’art, arts plastiques, cinéma, théâtre) entre quatre heures par semaine pour les élèves de première et six heures par semaine pour les élèves de terminale. Cet enseignement artistique ne figurant pas dans le tronc des cours obligatoires, il a été choisi par seulement 6,5% des élèves en 2020 d’après les chiffres du ministère de l’Education nationale. Maigre résultat.

La généralisation doit-elle être la seule fin des politiques de démocratisation culturelle ?

La généralisation ne doit pas être l’alpha et l’oméga de la démocratisation culturelle

La généralisation est nécessaire pour amener à la démocratisation, mais pas suffisante(22). La démocratisation est un « processus diffusionniste qui cherche à étendre le cercle des publics »(23), là où la généralisation « prend appui, non pas sur l’œuvre à diffuser, mais sur une représentation de la population à atteindre et des possibilités concrètes d’y parvenir »(24). La nuance est fine mais essentielle.

À la visée louable, l’objectif « 100% » semble atteignable lorsque l’on voit les progrès de la généralisation de l’EAC depuis presque dix ans. Mais, à supposer même que cet objectif soit atteint, la démocratisation culturelle par l’école ne doit pas y être réduite(25).

En effet, tous les projets artistiques ne se valent pas(26) : par exemple, une classe qui prépare une visite au musée pendant plusieurs semaines et qui continue à en travailler le sujet après la visite à travailler souvre bien plus à la culture quune classe qui fait une visite au musée sans travail préalable ou a posteriori.

En d’autres termes, un projet artistique peu préparé ne saurait être tenu pour suffisant alors même qu’il entrerait dans le cadre de l’objectif « 100% EAC » du Gouvernement. Selon un rapport du Sénat(27), « cette action n’est pourtant pas suffisante pour permettre [à l’élève d’] acquérir à la fois une culture partagée, riche et diversifiée et de développer sa sensibilité, sa créativité et son esprit critique pour lui permettre de mieux appréhender le monde contemporain, qui constituent les différents objectifs assignés à l’EAC. ».

On ne peut toutefois nier le fait que l’éducation artistique et culturelle est un vecteur, même imparfait, de démocratisation. L’école « contraint » les élèves à y participer, là où sans elle le poids du capital culturel des parents pèserait significativement pour désinciter les enfants à s’intéresser à la culture, pour telle ou telle raison (« c’est une perte de temps » ; « ça ne sert à rien » etc.). Cependant, les projets culturels dépendent eux aussi des dispositions sociales et mentales des enseignants eux-mêmes, de leur habitus culturel. La réussite d’un projet culturel dépend en réalité plus de l’enseignant que du projet culturel en tant que tel(28).

Comment améliorer l’EAC ?

Il faut tout d’abord que les évaluations de l’EAC se détachent d’une vision trop mécanique des politiques publiques. D’après un rapport(29), il y a un risque de rechercher une rationalité caricaturale et exclusivement quantitative dans l’évaluation de l’EAC. L’objectif 100% est nécessaire, c’est un grand pas, mais il ne saurait être suffisant pour évaluer la réussite de l’EAC en matière qualitative. Les évaluations devraient donc prendre en compte des effets autres que purement statistiques, sauf à améliorer ces dits outils statistiques – en évaluant la qualité des offres d’EAC et non seulement leur nombre. Le rapport pointe en outre un émiettement des projets artistiques entre les différentes structures compétentes : « les rectorats entretiennent des relations suivies avec les DRAC [direction régionale des affaires culturelles, ndlr], avec les grandes collectivités régionales et avec certaines intercommunalités », mais « ces rapports apparaissent peu fédérés par des objectifs partagés ». Par ailleurs, l’émergence récente de la notion de « parcours d’éducation artistique et culturelle » – accentuée par la réforme du baccalauréat présentée précédemment – pose de sérieux problèmes en matière d’objectifs, puisqu’il réduit l’EAC a un certain nombre de connaissances quantifiables (par évaluations écrites par exemple) alors que le processus d’EAC lui-même est une fin en soi (qui doit, on l’espère, se poursuivre après l’école). Sur un autre point, il faut pour Marie-Christine Bordeaux, chercheuse en science de la communication, « réinterroger les politiques consacrées à l’éducation artistique du point de vue de son référentiel », c’est-à-dire selon le triple objectif de pratiques/connaissances culturelles/accès aux œuvres. Ces trois piliers ne sont, semble-t-il, pas entièrement solubles dans le seul objectif de généralisation.

Les politiques de démocratisation culturelles sont donc marquées par des insuffisances. Pour y remédier, certaines propositions peuvent être avancées :

  • Investir dans les zones prioritaires :

Comme nous l’avons montré précédemment, les zones rurales et les quartiers prioritaires urbains sont les moins touchés par les dispositifs d’EAC, alors qu’en suivant une analyse bourdieusienne, on peut penser que les élèves de ces zones sont ceux qui en ont le plus besoin. Ce type de propositions traverse notamment l’ensemble du rapport « pour un accès de tous les jeunes à l’art et à la culture », dirigé par Marie Desplechin et Jérôme Bouët. Il faudrait ainsi piloter le budget de l’ancien programme 224 en ce sens. Il n’est pas certain malheureusement que ce soit la priorité du gouvernement actuel.

  • Améliorer la coordination entre les écoles, les structures culturelles et les structures administratives :

L’EAC est le fait de différents acteurs : or, son organisation se doit d’être cohérente pour donner le goût de la culture aux élèves. Ce constat est corroboré par l’enquête(30) sur l’EAC en 2017-2018 qui démontre que le succès de l’EAC repose en grande partie sur « la bonne articulation entre le professeur et les institutions culturelles dans les territoires ». Le rapport du Sénat cité plus haut préconise par exemple de renforcer les mécanismes de concertation entre les différents acteurs (Etat, collectivités territoriales, écoles, établissements culturels etc). Ceux-ci doivent être réguliers pour permettre d’améliorer collectivement le fonctionnement de l’EAC. Ici, il n’est pas question d’une énième politique culturelle, mais d’un prolongement de ce qui est fait depuis plusieurs années, pour améliorer la synergie entre les différents acteurs de l’EAC.

  • Améliorer la formation des acteurs de l’EAC :

Toujours dans le même rapport du Sénat, est soulignée l’importance d’améliorer et d’homogénéiser la formation des acteurs de l’EAC. Chaque intervenant EAC a en effet un habitus propre, fruit de sa propre trajectoire biographique. En conséquence, tous les intervenants culturels et artistiques ne se valent pas. Certains sont pédagogues, d’autres pas. Dans cette optique, Jean-Michel Blanquer a annoncé l’ouverture d’un Institut national supérieur de l’éducation artistique et culturelle pour 2022, qui aura notamment comme mission de former les différents acteurs de l’EAC. À voir toutefois s’il attire suffisamment de professionnels.

Références

(1) https://www.youtube.com/watch?v=wQ-Gp6XOE7A

(2)Laurent Martin, « La démocratisation de la culture en France. Une ambition obsolète ? », Démocratiser la culture. Une histoire comparée des politiques culturelles, sous la direction de Laurent Martin et Philippe Poirrier, Territoires contemporains, nouvelle série, mis en ligne le 18 avril 2013. URL : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Democratiser_culture/Laurent_Martin.html 

(3)Laurent Martin, « La démocratisation de la culture en France. Une ambition obsolète ? », Démocratiser la culture. Une histoire comparée des politiques culturelles, sous la direction de Laurent Martin et Philippe Poirrier, Territoires contemporains, nouvelle série, mis en ligne le 18 avril 2013. URL : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Democratiser_culture/Laurent_Martin.html

(4) A l’exception notable de la politique culturelle du Front Populaire

(5)Laurent Martin, « La démocratisation de la culture en France. Une ambition obsolète ? », Démocratiser la culture. Une histoire comparée des politiques culturelles, sous la direction de Laurent Martin et Philippe Poirrier, Territoires contemporains, nouvelle série, mis en ligne le 18 avril 2013. URL : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Democratiser_culture/Laurent_Martin.html

(6)Article Inrockuptibles le 4 décembre 2012

(7)Donnat, Olivier. Pratiques culturelles, 1973-2008. Questions de mesure et d’interprétation des résultats, Culture méthodes, vol. 2, no. 2, 2011, pages 1 à 12

(8)Dans cet article, les notions de « catégories populaires » et de « catégories aisées » renvoient à la typologie des catégories socio-professionnelles (CSP) créée par l’INSEE. Les « catégories populaires » correspondent aux ouvriers, employés et sans emploi. Les « catégories aisées », quant à elle, coïncident avec les cadres et professions intellectuelles supérieures.

(9)Coulangeon, Philippe. Sociologie des pratiques culturelles, Paris,La Découverte, collection Repères, 2010, 125 pages

(10)Coulangeon, Philippe. « Classes sociales, pratiques culturelles et styles de vie : le modèle de la distinction est-il (vraiment) obsolète ? ». Sociologie et sociétés, volume 36, numéro 1, printemps 2004, pages 59 à 85

(11)On rappelle que la politique de la demande culturelle consiste à agir sur les citoyens français eux-mêmes (et non sur les institutions culturelles) afin de leur permettre d’accéder à la culture.

(12)Krebs, Anne. Avant-propos au volume « Démocratisation culturelle, l’intervention publique en débat », Problèmes économiques et sociaux, avril 2008.

(13)Jack Lang, Conférence de presse du 14 décembre 2000

(14)Bourdieu, Pierre. La Distinction. Critique sociale du jugement, Les éditions de minuit, 1979, 1055 pages

(15)C’est nous qui le soulignons.

(16) La Loi Organique relative aux Lois de Finances, promulguée le 1er août 2001, fixe le cadre des lois de finances en France.

(17)Notre article ne prend pas en compte le plan de relance de 2020 puisque ses résultats ne sont pas encore visibles.

(18) Le 31 octobre 2019, le ministre de la culture Franck Riester avait ainsi réaffirmé devant la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication que l’émancipation par les arts et la culture serait la première priorité du ministère pour 2020.

(19)Anissa Ayoub, Mustapha Touahir, Nathalie Berthomier, Sylvie Octobre, Claire Thoumelin, Note d’informations, Trois élèves sur quatre touchés par au moins une action ou un projet relevant de l’éducation artistique et culturelle, Ministère de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports, Septembre 2019

(20)Rapport du ministère de la Culture, Claire Thoumelin, Mustapha Touahir, L’éducation artistique et culturelle en école et au collège en 2018−2019. État des lieux, novembre 2020.

(21)Lombardo, Philippe, et Loup Wolff. Cinquante ans de pratiques culturelles en France, Culture études, vol. 2, no. 2, 2020, pp. 1-92.

(22)Bordeaux Marie-Christine, Les aléas de l’éducation artistique et culturelle : brèves rencontres, rendez-vous manqués et avancées territoriales. Comité d’histoire du ministère de la Culture et de la Communication, Centre d’histoire de Sciences-Po Paris, La démocratisation culturelle au fil de l’histoire contemporaine, Paris, 2012-2014.

(23)Ibid.

(24)Ibid.

(25)Carasso, Jean-Gabriel. Éducation artistique et culturelle : un « parcours » de combattants ! L’Observatoire, vol. 42, no. 1, 2013, pp. 81-84.

(26)Rapport législatif du Sénat sur le Projet de loi de finances pour 2020 : Culture : Création et Transmission des savoirs et démocratisation de la culture

(27)Ibid.

(28)Bordeaux Marie-Christine, Les aléas de l’éducation artistique et culturelle : brèves rencontres, rendez-vous manqués et avancées territoriales. Comité d’histoire du ministère de la Culture et de la Communication, Centre d’histoire de Sciences-Po Paris, La démocratisation culturelle au fil de l’histoire contemporaine, Paris, 2012-2014.

(29)Rapport d’inspection générale : L’évaluation de la politique d’éducation artistique et culturelle : quelles modalités, quels indicateurs ?,

(30)Anissa Ayoub, Mustapha Touahir, Nathalie Berthomier, Sylvie Octobre, Claire Thoumelin, Note d’informations, Trois élèves sur quatre touchés par au moins une action ou un projet relevant de l’éducation artistique et culturelle, Ministère de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports, Septembre 2019

 

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8 Octobre 2020. Auditionné par le Sénat au sujet d’un rapport de la Cour des Comptes évaluant le financement de la Sécurité Sociale, Pierre Moscovici, son Premier Président, est grave : la santé coûte cher et « La Dette se vengera ». La menace est claire, le péril est grand ; un spectre hante la France, et gare à celui qui osera lui tenir tête. Déjà en 2018, alors Commissaire Européen, M. Moscovici avait eu ces exacts mêmes mots, alertant sur la cruauté implacable de cette ombre malfaisante que nos orgueils dépensiers alimentaient.

Ces interventions constituent peut-être le paroxysme de cette personnification panique, de cette vision glaçante de la Dette Publique comme horizon insoluble nous plongeant dans un enfer des plus dantesques. Plus encore que la crise climatique, qui pourtant ne cesse de nous rapprocher concrètement d’un futur scientifiquement catastrophique, c’est l’horizon de la Dette qui plonge médias et politiques dans une terreur biblique qu’ils prennent bien soin de communiquer à l’opinion. La Dette se vengerait, pèserait déjà 40 000€ de culpabilité sur chaque citoyen(1), et interdirait tout futur à un Etat qui irait, pénitent, payer pour ses fautes dépensières. Ce sujet, déjà latent depuis de nombreuses années, réveillé par la Crise de l’Euro en 2010, a refait surface avec force après la crise sanitaire. Ainsi le « quoi qu’il en coûte » -que l’euphorie macronienne d’un Jupiter providentiel avait laissé filer- a été rappelé à l’ordre par un néolibéralisme austéritaire secoué mais certainement pas K.O., et bien décidé à reprendre la main sur la Dépense Publique. Timidement ressurgi dans ce contexte, le débat de l’annulation a été tué dans l’œuf par tous les Ministres et les Gouverneurs de la Zone Euro, dans des déclarations aussi caricaturales qu’infantilisantes(2), révélatrices de la force du consensus néolibéral quant à la dépolitisation substantielle de la Dette. Cette immense somme d’argent serait un impondérable technique, sujet à aucune discussion, simplement bon à être craint, et à justifier les plus dures politiques d’austérité.

Cet article se propose de déconstruire cette mystique panique et totémique de la Dette Publique, qui, nous le verrons, n’a pas de fondement économique solide. On tentera ici de déchirer le voile technocratique qui a drapé cette question, la vidant de toute substance, faisant de la Dette un fétiche sur lequel le politique n’aurait surtout aucune prise. 

Car non, la Dette Publique n’est pas une fatalité, une punition divine. C’est d’abord un outil économique utile et sain, qui permet l’expression de la légitimité économique de l’Etat, qui permet son action dans le réel. Car non, la Dette publique n’est pas un immuable objet comptable, c’est une résultante sociale, historique et anthropologique que le politique doit se réapproprier et investir, comme cela a déjà été fait dans l’Histoire de France, quand la conduite de l’Etat n’était pas subordonnée au marché. Car non, la Dette Publique n’est pas un problème en soi, il existe même des solutions pour la remettre au service du Commun, pour éviter de nouvelles crises souveraines et se détacher du pouvoir de la finance.

La Dette Publique est un outil économique sain, pas un châtiment divin
  1. Du principal et de son roulement

Commençons par rappeler brièvement ce qu’est la Dette Publique (au sens de Maastricht, c’est-à-dire la Dette de l’Etat et des administrations sociales). Chaque année, pour combler la différence entre ce qu’il perçoit et ce qu’il dépense (le déficit), l’Etat émet des titres de Dette, que les banques et les investisseurs privés achètent contre promesse de remboursement avec intérêts. L’argent récupéré par ces émissions de bons du Trésor vient ramener la balance budgétaire à zéro, équilibrant les comptes de l’Etat. Dans le même temps, pour rembourser les détenteurs de titres de Dette Publique arrivant à maturité, l’Etat réemprunte sur les marchés, et paye son dû avec de l’argent fraîchement levé : on dit qu’il refinance, ou qu’il « fait rouler » sa Dette. Donc, ce sont seulement les intérêts que l’Etat paye de sa poche : le principal de la Dette, qui sert à combler le déficit budgétaire d’année en année, est simplement payé par de la nouvelle Dette au fur et à mesure du temps. Est-il soutenable, sur le long terme, de réemprunter pour rembourser continuellement ? Pour un Etat, oui. Pourquoi cela ne pose-t-il pas de problème ? Car contrairement à un ménage, mortel et donc condamné à rembourser toutes ses dettes avant de les emporter dans la tombe, ou à une entreprise, risquant à tout moment la faillite comptable si elle ne surveille pas son bilan, l’Etat perdure. L’Etat conserve et rembourse ses Dettes indéfiniment, et la finance le sait si bien qu’elle considérera toujours les Etats comme les meilleurs des payeurs possibles.

Cette simple définition de la Dette permet déjà d’enfoncer deux coins dans le mysticisme panique de la Dette Publique.

D’abord, que le niveau de la Dette, la somme totale d’argent que la France doit à autrui (estimée à 3 750 Milliards d’euros, soit environ 115% du PIB), n’a aucune importance que la symbolique qu’on veut bien lui prêter. Cette somme -certes vertigineuse- ne sera jamais remboursée en totalité : on émettra toujours de la nouvelle Dette pour financer l’ancienne. Chaque année, le montant total de la Dette augmente à hauteur du déficit courant. Ce tranquille processus a toujours restitué leur argent aux créanciers de la France, et continuera de le faire indéfiniment. Quant à la question de savoir si cette augmentation perpétuelle du total de la Dette est un problème, non pas au niveau du remboursement, mais sur la capacité des marchés à fournir toujours plus d’argent à l’Etat, rappelons que la création monétaire par le crédit n’a pas de limite (et qu’elle n’est pas forcément synonyme d’inflation, contrairement à ce qu’affirment les théories monétaristes(3)), et qu’il existe de toute façon largement assez d’argent déjà existant en circulation spéculative sur les marchés secondaires, pour en rediriger une partie vers un emploi réellement utile. 

Donc, il n’y a aucun intérêt pour un Etat à vouloir réduire le montant total de sa Dette : le but du jeu n’est pas de tomber à zéro. Pas plus qu’il n’y a d’intérêt à comparer le flux de richesses produites en un an (le PIB), avec le stock en renouvellement perpétuel et autosuffisant du Principal de la Dette. Notons à ce titre que le Japon, qui compte un ratio de Dette/PIB supérieur à 250% depuis des années, n’est pas à proprement une économie ruinée et dévastée par la colère biblique d’une Dette qui se serait vengée. De quoi relativiser le vent de panique soufflé par les défenseurs de la rigueur budgétaire, paniqués devant la barre franchie des 100% de Dette/PIB l’année dernière.

Deuxième brèche : ce ne sont ni les taxes ni les impôts qui payent cette Dette. C’est un point fondamental, car nos funestes augures austéritaires ne cessent de clamer que « nos enfants » paieront pour les péchés décadents de leurs aînés. C’est faux : les quelques milliards de Dette que la France doit, seront remboursés par d’autres milliards que la France empruntera, indépendamment de son budget, du niveau de ses impôts ou de sa santé économique.

Ceci étant dit au sujet du Principal, de tous les bons du trésor que la France a émis et qui virevoltent actuellement de mains en mains sur les marchés financiers en attendant d’être remboursés par une nouvelle dette, parlons maintenant des intérêts.

2. Des intérêts et de l’irrationalité financière

La thèse de cet article n’est certainement pas de considérer la Dette Publique comme sans danger pour une économie nationale. L’Histoire récente de la Grèce ou de l’Argentine, pour ne citer qu’elles, a montré comment une pression à rembourser trop forte sur une économie trop faible, ou une trop faible capacité à emprunter sur les marchés, pouvaient conduire à des issues désastreuses. Plus haut, nous avons vu comment le Principal de la Dette ne constituait pas un problème en soi. Il n’en est pas de même des taux d’intérêts, qui doivent être payés en plus du principal chaque année, et qui constituent actuellement dans un climat de taux très bas 0,02% des dépenses budgétaires de la France (33 Milliards d’euros par an(4)). Ce service de la Dette s’accroît au même rythme que le stock de Dette augmente, et est fonction des taux d’intérêts en vigueur sur les obligations d’Etat (actuellement autour de 0 ,13%). Symboliquement, cette somme à régler chaque année envers chaque détenteur d’un bon du Trésor, est le prix à payer de notre déficit : pour pouvoir continuer de dépenser plus que ce qu’il perçoit, l’Etat paye des intérêts. On voit que ce prix est extrêmement faible.

Dans une économie en croissance, ce service de la Dette n’est pas un fardeau insupportable, et permet de soutenir une Dette Publique élevée à long terme. L’augmentation de la production nationale gonfle les recettes de l’Etat, qui peut assumer le paiement d’intérêts plus élevés avec le temps(5).  

Alors, dans quels cas une Dette peut-être devenir intenable pour un pays ? Dit autrement, quels facteurs peuvent rendre le service de la Dette trop lourd pour être soutenable budgétairement ? Le premier découle de sa relation avec la croissance, établie plus haut. Dans le cas d’une récession qui affaiblirait le budget de l’Etat par plus de dépenses d’urgence et moins de recettes tirées d’un cycle économique en peine, le paiement des intérêts pourrait devenir un fardeau intenable. Ce premier risque est le moins discuté, mais deviendra peut-être le plus prégnant avec la crise climatique qui vient, et la structurelle impossibilité de maintenir nos économies à des taux de croissance constants à long terme.

Le deuxième risque, beaucoup plus courant, sur lequel on insistera, est celui de la valeur des taux d’intérêts. Indirectement, il pose la question centrale de la « confiance » des créanciers dans les capacités d’un pays à tenir ses engagements. Si les financiers sont rassurés, les taux resteront bas : ils considéreront que le risque qu’ils prennent en confiant leur argent est suffisamment limité pour ne pas justifier un prix de la Dette trop élevé. Au contraire, s’ils pensent que le risque de ne pas revoir leur argent est trop haut, ils chargeront un taux élevé pour compenser la perte en capital potentielle. C’est en ce sens que le taux d’intérêt est censé être une métrique de représentation du risque en finance : « high risk = high reward, low risk = low returns ».

C’est précisément ce lien de confiance qui déclenche des crises de Dettes Souveraines. Si la finance ne croit plus en les capacités de l’Etat à rembourser ses créances, les taux grimperont, voire flamberont. Alors, le pays verra exploser ses coûts de service de la Dette et de refinancement (car rappelons que l’ancienne Dette est remboursée avec de la nouvelle), créant un effet boule de neige qui, sans restructuration ou annulation, mène à la faillite de l’Etat et à sa désagrégation économique. L’exemple de la Grèce en 2010-2012 est ici évidemment le plus parlant. La flambée des taux d’intérêts sur les obligations souveraines grecques (de 5% jusqu’à 16% en quelques mois de 2009 à 2010) a été la résultante d’une perte de confiance des marchés dans les capacités de l’Etat à honorer ses créances. Cette flambée des taux mit l’Etat Grec dans une difficulté budgétaire inouïe où il ne se trouvait pas avant ce vent de panique : c’est parce que les financiers ont paniqué, que la Grèce s’est retrouvée techniquement en défaut de paiement ! En fuyant la Grèce et en la punissant préventivement, les financiers ont provoqué ce qu’ils voulaient éviter, ils ont créé de toutes pièces la catastrophe de la Dette : un cas d’école de prophétie auto-réalisatrice.

La panique des financiers était-elle compréhensible ? Jean Tirole(6) explique qu’elle était surtout due à une réaction inquiète des marchés aux promesses de renflouement par l’Etat des banques mises en difficulté par la crise de 2008. Des renflouements qui auraient fragilisé le budget grec : Tirole parle d’un « baiser de la mort » entre Banques et Etat. Notons au passage le cynisme culotté d’un système financier qui plonge unilatéralement un Etat dans la faillite, en le punissant d’avoir voulu réparer les errements de ce même système.

Ce que nous apprend cette crise grecque, et toutes les crises de Dette souveraine sur le même modèle, c’est qu’il ne peut y avoir de problème de remboursement d’une Dette, tant que les financiers ne croient pas qu’il peut y en avoir ! Tant qu’ils n’exigent pas des taux insoutenables, les pays n’ont aucun problème pour rembourser, en faisant rouler leur Dette et en ajustant leur paiement du service de la Dette au niveau de croissance. Bien plus que le montant de la Dette, c’est son coût qui devrait attirer toute notre attention. Et le fait qu’il soit contrôlé par les esprits animaux(7) de la finance, capables des pires accès de panique qui ne font que déclencher leurs pires craintes, se pose comme un lourd problème.  Et même si les craintes entraînant une hausse des taux sont justifiées (budget mal tenu, croissance ralentie), l’effet d’une augmentation des intérêts sera toujours une terrible aggravation de la santé économique d’un Etat ! Trop sérieuse, et cette aggravation peut amener au non recouvrement de certaines créances, issue qu’un maintien de taux bas aurait pu éviter !

3. De l’utilité économique intrinsèque de la Dette Publique

Cette partie économique et théorique aura donc insisté sur la sûreté du Principal, et la nature paradoxale et auto-réalisatrice des risques liés aux taux d’intérêts. Terminons brièvement par rappeler quelques éléments comptables et théoriques souvent oubliés, mais qui posent toute la légitimité de la Dette Publique, loin d’un fardeau inutile et dangereux.

La Dette n’est pas un trou sans fond, elle est au contraire le carburant de l’action économique concrète de l’Etat, tout autant que les recettes fiscales qui structurent le budget. Elle permet justement au budget de s’équilibrer et de remplir les missions fondamentales de la Dépense Publique (éducation, défense, prestations sociales, etc.). En plus de ce qu’elle permet de marge budgétaire, rappelons qu’une Dette, en comptabilité, au passif, est ce qui permet le financement d’actifs, de biens matériels et financiers. Et les actifs de l’Etat Français, quels sont-ils ! Routes, logements, terrains, bâtiments, mais aussi liquidités du Trésor, participations actionnariales dans des entreprises stratégiques… tout ce patrimoine public (actifs financiers et non financiers) est supérieur de 303 Milliards d’euros à la Dette totale de la France. Chaque enfant de France n’hérite donc pas d’une Dette abyssale de 40 000€, mais bien d’un patrimoine net de plus de 4 000€. Cela étant dit, ce chiffre ne prend pas en compte le patrimoine et les actifs non monétaires de la France : sécurité, démocratie, Etat de Droit, et tant d’autres choses qu’un Etat bien alimenté d’une Dette nécessaire à son fonctionnement peut créer et soutenir. En allant plus loin, avec un ton un brin provocateur, on peut considérer que cet argent public investi grâce à la Dette, constituera toujours le meilleur usage collectif de la monnaie, car conditionné à rien d’autre que la recherche de l’intérêt général. L’idée n’est pas forcément de plaider pour toujours plus de Dette et de dépense publique, mais au moins de considérer que les existantes sont au moins tout autant bénéfiques pour la Société que n’importe quel autre usage privé de l’argent. La Dette constituerait donc un outil pour transférer de l’épargne ou du crédit privé vers un usage public, bénéfique à tous, permettant l’action concrète d’un Etat aux missions capitales. L’échec criant des choix macroéconomiques et politiques de ces dernières années, faisant reposer sur le privé la responsabilité d’orienter et d’allouer la monnaie dans l’économie (les exemples vont du CICE à la suppression de l’ISF, en passant par le Quantative Easing de la BCE), mériterait un article entier, mais est suffisamment clair pour plaider en faveur d’un plus grand rôle de l’Etat dans l’allocation de la dépense.

La Dette est un objet politique à part entière
  1. Histoire de revirement anthropologique

Sur l’Histoire de la Dette en tant qu’institution sociale et politique, rien ne vaut la lecture de David Graeber(8) qui réinvoque les théories Chartalistes pour replacer la Dette, ou plutôt le prêt désintéressé et solidaire, en tant que structure anthropologique fondamentale. Graeber rappelle que le prêt est un ciment de confiance entre des individus semblables et en paix, là où le commerce monétaire serait l’expression économique et froide d’une guerre concurrentielle entre deux peuples hostiles. Quel revirement, avec notre vision moderne de la Dette comme « faute » (littéralement, en Allemand !), preuve de l’inconstance morale d’un débiteur vivant au-dessus de ses moyens, et du commerce comme modèle de paix et d’harmonie (les travailleurs victimes des concurrences déloyales de la mondialisation apprécieront) !

L’anthropologue M. Mauss(9), avec ses travaux sur le don et le contre-don, ajoute que des transferts de valeur peuvent bien exister sans lien de domination, sans relation de dépendance, sans intéressement quelconque.

En plus de ces constatations scientifiques, les héritages philosophiques et théologiques d’Aristote à Ibn-Khaldoun, en passant par Saint Thomas et toute la doctrine de l’Eglise catholique, insistent sur l’immoralité de l’usure. Le taux d’intérêt, devenu la kryptonite ultime de notre Dette Publique, était interdit par la Loi et la Vertu jusqu’à la fin du Moyen Âge ! Quelques siècles de profits bancaires plus tard, pourrait-on peut-être reconsidérer la légitimité de cet instrument qui fait peser sur celui qui n’a pas assez un poids supplémentaire, qui viendra enrichir celui qui a déjà plus que nécessaire. Et concernant la Dette Publique, quelle légitimité pour les banquiers de profiter de crédits accordés à un pays qui les héberge, les sécurise, les ont éduqués et éduquent leurs enfants ?

2.Histoire d’un rapport de force

Car en effet, le système de financement actuel de l’Etat, qui doit passer par les banques ou les marchés pour financer son activité, est synonyme d’une soumission totale au monde de la finance. Sous prétexte que des politiciens peu regardants et électoralistes pourraient abuser d’un circuit de financement public pour faire rugir la planche à billets et créer, ô malheur, de l’inflation, il a été décidé politiquement de se soumettre au bon vouloir des financiers, et au couperet de leurs taux d’intérêt. Ce ne fut pas toujours le cas dans l’Histoire de France. Loin de moi l’idée de vouloir émuler la solution radicale de Philippe le Bel pour se libérer de ses Dettes et de ses créanciers (les brûler vifs, dissoudre leur Ordre et saisir leurs biens), mais il a été prouvé qu’il est possible pour un gouvernement de considérer que la raison d’Etat justifie le modelage les canaux de financement publics, et pas l’inverse. Sully opérant un grand moratoire sur la Dette royale et en annulant une partie, Louis XIV faisant de même, Bonaparte créant la Banque de France pour contrôler directement la source de ses financements, de Gaulle mettant en place le « Circuit du Trésor » pour directement capter l’épargne des Français sous intérêts réglementés, ou simplement acceptant un taux d’inflation conséquent pour réduire mécaniquement le poids de la Dette(10).

Sans nécessairement revenir sur une pratique absolutiste du pouvoir où l’économie était totalement sous le contrôle arbitraire de la Couronne, et où les financiers pouvaient finir en prison pour avoir trop prêté aux guerres du Roi, il semble important de rappeler qu’un autre circuit de financement public, moins contraignant, moins asservissant, mais ni moins stable ni moins efficient, a existé avant la financiarisation de l’économie et le contrôle européen sur la monnaie. Que ce soit à travers le recours à la création monétaire des banques centrales (et non des banques privées comme c’est le cas aujourd’hui), ou bien à la création d’un circuit d’épargne fermé et réglementé, le recours au marché et à ses caprices n’est pas la seule issue. La construction européenne, bâtie sous la tutelle allemande et sa peur panique de l’inflation, aura jugé que le risque d’un Etat trop gourmand et potentiellement inflationniste justifiait d’externaliser et de marchandiser la Dette Publique. Le résultat de cette privatisation de la source même de l’existence économique de l’Etat aura été une crise majeure des Dettes souveraines déclenchée par l’irrationalité panique des marchés, et un nouveau paradigme culpabilisant et rabougri, rendant très difficile voire impossible tout grand plan d’investissement public, au hasard, pour la transition écologique et énergétique.

Pistes et horizons
  1. L’annulation (ce mot terrible !)

Pour tenter de sortir de cette impasse monétaire où l’austérité semble être le seul horizon, où la Dette est perçue comme une punition indépassable, et où les marchés, les banques et les investisseurs détiennent seuls le contrôle de l’action économique de l’Etat, la question de l’annulation est beaucoup débattue, notamment à gauche. Deux écoles principales existent. Nous appellerons les premiers, minoritaires, les « annulationistes durs », partisans d’un grand moratoire sur la Dette, pour savoir exactement à qui nous devons quoi, et simplement refuser de rembourser une partie de cette Dette, considérant qu’elle n’est pas légitime. Frédéric Lordon, qui va même plus loin, proposait de ne rien rembourser à personne, et de profiter du chaos complet engendré par ce tsunami dans le système financier pour racheter -par saisie pure et simple- les banques et fonds d’investissements réduits en miettes par ce trou énorme dans leurs bilans. D’autres, plus modérés (la plupart des Economistes Atterrés, Nicolas Dufrêne, Gaël Giraud…), considérant qu’il faut maintenir un lien de confiance entre investisseurs, banquiers et Etat, proposent d’utiliser à fond le pouvoir de création monétaire de la Banque centrale européenne pour qu’elle rachète systématiquement les titres de Dette détenus par les banques, solidifiant ainsi leurs bilans, et les assurant de revoir leur argent très vite sous forme de liquidités crées pour l’occasion par la BCE. Ensuite, les Etats pourraient rembourser directement à la Banque Centrale qui ne les y presserait pas trop (une Banque Centrale ne peut pas faire faillite), voire ne rembourser qu’une partie ou rien du tout, en fonction de la monnaie qui devrait rester en circulation dans l’économie.

En fait, depuis la crise de 2008, la BCE a déjà institutionalisé le rachat d’actifs, faisant tourner massivement sa propre planche à billets pour alimenter la zone euro en monnaie et débarrasser les banques d’actifs trop risqués. Le succès de cette politique a été très mitigé à destination des banques : le Quantitative Easing a surtout servi d’échappatoire à moindre coût pour les banques qui ont réinvesti l’argent du QE dans la sphère spéculative : on rappellera que seuls 12% des actifs détenus par les banques européennes sont des prêts accordés à des entreprises productives(11). Cependant, concernant les rachats de Dette Publique (la BCE détient aujourd’hui environ 20% de la Dette de l’Etat français, rachetée aux banques européennes), la dynamique est encourageante. Tous ces titres de Dette arrachés à la finance avec de la création monétaire de la BCE sont autant de pouvoir de contrôle en moins pour les créanciers privés. De plus, sachant que leurs titres de Dette publique peuvent être rachetés par la BCE, et donc constituent un investissement peu risqué, ce mécanisme incite les banques à ne pas relever leurs taux sur les bons du trésor.

Depuis cette dynamique, il n’y a qu’un pas pour passer à l’annulation en ne remboursant pas la BCE, et en dégrossissant le principal au fur et à mesure. Cependant, cela signifierait que la BCE a créé de l’argent utilisé par les Etats sans contrepartie (l’argent non remboursé n’est pas détruit), et c’est précisément ce qu’interdisent les traités, sous prétexte de la peur de l’inflation. Quoi qu’il en soit, comme les Etats sont actionnaires uniques de leurs Banque Centrales, les intérêts qu’ils paieraient en remboursant cette Dette… leurs seraient reversés sous forme de profits par la BCE (comme le rappellent entre autres Thomas Porcher(12) et Eric Berr(13)). Rembourser ou pas la BCE, pour se libérer du principal, pourrait donc être une variable d’ajustement en fonction des besoins de l’économie et des risques inflationnistes. Sil’Etat a besoin de fonds, il pourrait ne pas rembourser le Principal et profiter d’une planche à billets centrale sans contrepartie. Mais s’il peut se le permettre et que l’économie a besoin de stopper une éventuelle surchauffe, il pourrait confier une partie de sa Dette monétaire à la BCE pour destruction et paiements de profits.

2. Caper légalement les taux d’intérêts

Cette perspective de l’annulation, ou en tout cas d’une plus grande responsabilité des banques centrales dans la gestion des obligations d’Etat achetées par les banques, est passionnante, simple et parfaitement faisable, mais se heurte à un consensus ordo-libéral solidement installé qui tient toujours en horreur la dépense publique et le court-circuitage du Tout-Puissant-Marché. En témoignent les déclarations de Messieurs Le Maire(14) ou Villeroy de Galhau, faisant semblant de ne pas comprendre que cette technique ne flouerait absolument pas les investisseurs, pour décrédibiliser la mesure. Permettez-moi donc de finir cette article sur une proposition moins radicale, pas interdite par les traités européens, et qui pourrait permettre de sortir de notre dépendance morbide aux esprits animaux de la finance.

Comme nous l’avons montré plus haut, un taux d’intérêt est censé représenter un risque. Or, comme nous l’avons vu également, rien n’est moins risqué pour une banque ou un investisseur que de prêter à un Etat : il est éternel, peut faire rouler sa Dette, et ses créances sont de plus en plus implicitement couvertes par une Banque Centrale qui rachète à tour de bras pour arroser les banques en liquidité. Je veux le redire avec force, un Etat sera toujours l’acteur économique le plus fiable et solvable. Aucun ménage ou entreprise ne peut prétendre à autant de solidité débitrice. D’ailleurs, même s’il lui arrive de paniquer toute seule, la finance connaît bien cette réalité : les taux d’intérêts en vigueur sur les obligations d’Etat sont toujours et de loin les plus bas du marché.

A ce titre, pourquoi ne pas imaginer d’encadrer légalement les taux d’intérêts sur les Dette Publiques, avec un prix plafond très bas (imaginons 0.5% sur 10 ans) ? Cela viendrait casser le cercle vicieux de financiers qui paniquent en augmentent le taux d’un pays en difficulté, réalisant sa chute. Et cela viendrait cimenter cette réalité empirique que le risque zéro existe bien quasiment sur les solvabilités souveraines, à condition que des financiers irrationnels et paniqués n’en décident pas autrement. Peu d’études ont été faites sur les effets potentiels d’une limitation légale des intérêts sur les Dettes souveraines. Mais la mesure a déjà été testée sur l’économie en générale, notamment dans des pays en développement afin de protéger les populations et les entreprises de taux d’usures ingérables, interdisant tout développement économique. Un rapport de la Banque Mondiale(15) concluait à ce sujet que si l’idée était noble, sa mise en place donnait souvent lieu à une baisse de la production de crédit (les banques refusant de prêter à des taux trop bas si elles estiment que le risque est trop élevé). Cette critique est bien sûr entendable et semble logique, mais ne s’applique pas aux Dettes Souveraines ! En effet, les gestionnaires d’actifs savent bien qu’il n’est pas de produit financier plus liquide, stable, reconnu et fiable, qu’une obligation d’Etat (encore plus si la Banque Centrale peut la racheter à tout moment) ! Les banques auront toujours besoin dans leurs bilans de tels safe assets, mobilisables et revendables à tout moment ! L’exemple récent des taux de rémunération négatifs mis en place par la BCE sur les réserves obligatoires est parlant ! Même en perdant de l’argent, les banques se bousculaient au portillon pour confier leur argent à la BCE sous forme de liquidités fiables.  On peut donc tout à fait imaginer que la production de crédit et l’investissement envers les Etats ne baisserait que très peu, même avec des taux d’intérêts drastiquement limités. Ces dernières années, on ne peut pas dire qu’ils furent élevés, mais cela n’a pas empêché les banques de s’arracher des obligations d’Etat. Et même si une telle réduction de la production du crédit se produisait, la Banque Centrale pourrait toujours intervenir, et pourquoi pas, acheter directement aux Etats des titres de Dette !

Cet article, volontiers provocateur mais résolument honnête, aura donc tenté de réhabiliter la Dette Publique, moteur indispensable et sain d’un Etat qui assume son rôle économique et social. Dans un climat où elle est érigée en chimère malfaisante, symbole présumé de la folie dépensière de peuples et gouvernements immatures, on a souhaité rappeler sa solidité à long terme, sa nature indispensable et légitime. Aussi, on aura plaidé pour une repolitisation de ses enjeux : furent des époques où la Dette était un facteur de solidarité, un instrument au service de l’Etat, et pas une ombre planant sur lui en limitant son action. Enfin, on aura rapidement exploré deux pistes (l’annulation / captation par la Banque Centrale, et le plafonnement des taux d’intérêts) pour se libérer de l’emprise des marchés sur cette Dette si capitale pour la pérennité de la collectivité. Bien sûr, ces mesures se heurtent encore au refus catégorique et idéologisé des tenants de la rigueur, des fanatiques de la désinflation, et des dévots du Saint Marché, mais le but de cet article était justement de leur opposer une humble mais ferme contestation. Et surtout, de rappeler qu’aucun sujet ne devrait être laissé aux technocrates et aux prétendues vérités inaliénables : tout est politique, à commencer par la manière dont l’Etat se finance. 

Références

(1)Damon, Julien. (2021) « Et si chaque Français remboursait 40 000 euros de dette publique? ». Le Point, 29 Mars 2021, https://www.lepoint.fr/invites-du-point/julien-damon/damon-et-si-chaque-francais-remboursait-40-000-euros-de-dette-publique-29-03-2021-2419871_2968.php

(2)Villeroy de Galhau, François. (2021) « Une dette doit être remboursée, tôt ou tard ». Challenges, 27 Janvier 2021. https://www.challenges.fr/economie/interview-villeroy-de-galhau-gouverneur-de-la-banque-de-france-une-dette-doit-etre-remboursee-tot-ou-tard_747988

(3)Pour les monétaristes (et leur chef de file Milton Friedman), toute création monétaire qui ajoute de l’argent arbitrairement dans l’économie implique inévitablement une hausse des prix. Mécaniquement, si plus d’argent est disponible dans une économie pour opérer des échanges de marchandises dont le nombre n’a pas augmenté, le prix nominal associé à chaque marchandise augmenterait en effet. Cependant, cette théorie n’admet aucun impact de la création monétaire sur l’augmentation de la production. Or, il est tout à fait possible que le nombre de marchandises produites augmente grâce à une augmentation de l’argent en circulation (gains de productivité grâce à des hausses de salaire, hausse des investissements etc). Si la production augmente en même temps que l’argent mis en circulation pour échanger cette production, les prix n’augmentent pas. Côté théorique, voir la Modern Monetary Theory. Côté empirique, constater que la hausse vertigineuse des masses monétaires de la zone euro et des USA depuis la crise de 2008 n’a quasiment généré aucune inflation.

(4)INSEE. (2021) « Comptes nationaux des administrations publiques – premiers résultats – année 2020 », https://www.insee.fr/fr/statistiques/5347882

(5)Blanchard, Olivier. (2019) « Public Debt and Low Interest Rates. » American Economic Review, 109 (4): 1197-1229.

(6)Farhi, Emmanuel & Tirole, Jean. (2018). “Deadly Embrace: Sovereign and Financial Balance Sheets Doom Loops.” Review of Economic Studies 85 (3): 1781-1823.

(7)Keynes, John Maynard. (1936). « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie ». Cambridge University Press.

(8)Graeber, David. (2011). “Debt : The First 5,000 Years”. Melville House, New York. (ISBN 978-1-933633-86-2)

(9)Mauss, Marcel. (1924). «Essai sur le don : Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques »

(10)En période d’inflation, la valeur d’une monnaie diminue (les prix augmentant, chaque unité monétaire permet d’acquérir de moins en moins de bien). La monnaie devient donc moins précieuse en termes nominaux. Mais comme les dettes sont contractées en nominal, rembourser 1€ après inflation (qui permet d’acheter une baguette de pain) est beaucoup moins douloureux que de rembourser 1€ avant inflation (qui permettait d’en acheter deux). Créer de la monnaie par la Dette, si cela génère de l’inflation, est en fait un excellent moyen… de rembourser la Dette sans problème.

(11) Finance Watch : https://www.finance-watch.org/uf/bank-lending-to-the-real-economy/

(12) Porcher, Thomas (2018). «Il faut arrêter de diaboliser la dette publique», Le Temps, 20 Juin 2018. https://www.letemps.ch/economie/thomas-porcher-faut-arreter-diaboliser-dette-publique

(13)Les Économistes atterrés. (2020) « La Dette publique, Précis d’économie citoyenne », Le Seuil

(14) https://www.linkedin.com/posts/brunolemaire_faut-il-rembourser-la-dette-covid-la-r%C3%A9ponse-activity-6772793286273847296-aHOW

(16)“Maimbo, Samuel Munzele; Henriquez Gallegos, Claudia Alejandra. (2014). “Interest Rate Caps around the World : Still Popular, but a Blunt Instrument.” Policy Research Working Paper. No. 7070. World Bank Group.

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