Célébrer la pride

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“Qui fait l’homme et qui fait la femme” ? Cette question, d’un ton plutôt daté, la plupart des couples queer l’ont entendue. Bien que la tolérance sexuelle ait gagné du terrain ces dernières années, dans la loi comme dans les médias , l’équilibre de ces couples questionne encore beaucoup. L’indiscrétion des personnes osant cette question est-elle plus à blâmer que l’origine de cette idée ? Si l’idée d’une répartition genrée dans le couple est si répandue, c’est bien parce qu’elle est socialement actée.

“Qui fait l’homme et qui fait la femme” ? Cette question, d’un ton plutôt daté, la plupart des couples queer l’ont entendue. Bien que la tolérance sexuelle ait gagné du terrain ces dernières années, dans la loi comme dans les médias(1), l’équilibre de ces couples questionne encore beaucoup. L’indiscrétion des personnes osant cette question est-elle plus à blâmer que l’origine de cette idée ? Si l’idée d’une répartition genrée dans le couple est si répandue, c’est bien parce qu’elle est socialement actée. L’attribution de rôles genrés aux femmes et aux hommes est intrinsèquement liée aux dynamiques en place dans la société patriarcale. Et ce constat s’étend également aux couples homosexuels, qui bien qu’hors de l’hétérosexualité, n’en subissent pas moins les injonctions hétéronormées.

Alors qui fait l’homme et qui fait la femme ?

Dans l’esprit de celui ou celle qui pose cette question, existe une version assez précise d’un couple homosexuel, tout d’abord visuellement. L’apparence est en effet le premier trait donné aux injonctions de genre, qui attribue certains traits physiques au domaine du féminin et du masculin. Cette caractérisation ne s’arrête pas aux portes de l’hétérosexualité, elle intervient également dans les milieux queer, catégorisant des personnes comme masculines ou féminines. La classification genrée qui est appliquée aux personnes queer est directement issue de la vision hétérosexuelle que nous avons de la société et plus précisément du couple. Une femme doit faire couple avec un homme et si ce n’est pas le cas alors il faut que cette dichotomie soit représentée dans le couple de femmes, avec l’une jouant le rôle de l’homme et l’autre jouant le rôle de la femme. Ces rôles ne se limitent pas à l’expression physique du genre, ils s’expriment également dans les attentes qui peuvent apparaître au sein du couple, qui bien que queer, n’est pas pour autant immunisé face aux exigences hétéronormées de la société. L’intériorisation de normes sociales genrées peut ainsi faire peser sur les épaules des membres du couple des attentes propres à leur expression de genre, qui se résume vulgairement aux personnes féminines à la cuisine et masculines au bricolage.

Le féminisme a beaucoup à apporter également aux couples queer, puisque venant déconstruire la vision patriarcale que nous impose la société. Nombre de sociologues(2), philosophes(3), ou encore anthropologues(4) féministes viennent repenser les rôles genrés voire même le genre, et ainsi nourrir une vision radicalement différente de celle imposée par le patriarcat. Ces travaux nous permettent alors de remettre en question les rôles genrés, dans le couple hétérosexuel comme queer. S’affranchir de ces considérations binaires permet d’accueillir plus librement les expressions d’identités multiples, plus que de genre, et en particulier dans les couples queers, dans lesquels ces questions ne se limitent pas toujours à la binarité du genre.

Il y a donc une multitude de réponses à la question que nous avons tous entendue. Monique Wittig répondrait que les lesbiennes ne sont pas des femmes(5), coupant ainsi court à l’injonction des rôles genrés dans le couple lesbien. Chacun(e) est libre d’apporter la réponse qu’il ou elle souhaite, même si le mieux serait que cette question ne soit plus posée.

Références

(1)En France

(2) Christine Delphy

(3) Monique Wittig

(4) Véra Nikolski

(5) Monique Wittig, La pensée Straight, 1992

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Edito PRIDE : repenser l’hétérosexualité pour faire avancer le féminisme : et si on incluait les lesbiennes ?

Édito

Edito PRIDE : repenser l’hétérosexualité pour faire avancer le féminisme : et si on incluait les lesbiennes ?

« Les lesbiennes ne sont pas des femmes ». Par cette affirmation, Monique Wittig(1) suscite incompréhension mais aussi colère. Pourtant, elle renvoie à une réalité bien ancrée, celle de l’exclusion des LBT(2) du féminisme. La hiérarchisation des luttes a très vite renvoyé la question de la sexualité à la sphère privée, reléguant d’office ces revendications au second plan. Pourquoi cette mise à l’écart des luttes LBT pose-t-elle problème dans le cadre plus large des luttes féministes ?
Pourquoi parle-t-on d’exclusion des luttes LBT du féminisme ?

La notion d’identité sexuelle est récente et désigne surtout les « minorités » sexuelles, l’hétérosexualité n’étant questionnée que depuis peu. Ce n’est qu’à partir du 20e siècle, où la sexualité commence à être un sujet de réflexion, que la question des LGBT comme minorité est abordée, jusqu’alors ils n’étaient considérés que comme « déviants »(1).

Une opposition est alors très vite apparue dans les luttes féministes, entre celles considérées comme prioritaires (avortement ou encore égalité salariale), et celles jugées plus secondaires (mariage pour tous ou encore interdiction des thérapies de conversion).

Au sein même des groupes féministes, le lesbianisme est souvent considéré comme un « style de vie alternatif » puisque l’hétérosexualité détient toujours le statut du modèle relationnel par excellence(2). On parle aujourd’hui de luttes LGBTQIA+ comme d’un ensemble, comme si ses membres se battaient tous pour les mêmes droits et contre les mêmes discriminations. Les lesbiennes sont ainsi perçues comme « la version femelle de l’homosexualité masculine »(3). Pourtant, contrairement à leurs « homologues masculins », elles doivent également faire face au sexisme et à la misogynie.

La violence du patriarcat s’exprime également par l’essentialisation des genres, considérés comme naturels et définitifs et leur conférant des rôles bien définis. Une femme doit donc naturellement faire couple avec un homme. Cette essentialisation renvoie les femmes à leurs capacités reproductives, et insiste sur la division des rôles. Les genres sont alors considérés comme complémentaires. C’est pourquoi la « théorie du genre »(4) est rejetée par une frange du féminisme, souvent rattachée à la droite et l’extrême droite. 

Et si l’on questionnait l’origine de l’exclusion des LBT des luttes féministes ?

Revenons un instant sur la notion d’hétérosexualité. Dans les années 1970, l’hétérosexualité commence à être discutée, d’abord comme une question de préférence sexuelle, renvoyée alors à la sphère privée(5). Les identités sexuelles sont alors principalement envisagées comme une question relevant de la sphère de la sexualité et donc du privé, ceci n’ayant rien à faire dans la sphère publique. On considère également les identités ainsi que les orientations sexuelles comme naturelles et innées, poussant à produire des statistiques reléguant l’homosexualité au second plan car minoritaire. Ainsi, les luttes LBT n’ont pas été considérées comme essentielles ou prioritaires. Mais les identités sexuelles sont-elles réellement privées ?

L’hétérosexualité se présente également comme un système de pensée qui a permis l’organisation de nos sociétés. Ce système s’est appuyé sur l’essentialisation des rôles femme/homme, les rendant complémentaires au sein de la famille. Monique Wittig(6) fait un parallèle avec le Contrat Social de Rousseau, estimant que le système de la famille hétérosexuelle en est une expression. Cela a pris tout son sens lors des manifestations contre la loi autorisant les mariages homosexuels. La Manif pour tous avançait des arguments allant en faveur de la défense de la famille nucléaire traditionnelle (formée d’un couple hétérosexuel avec un ou des enfants). Autant dire que le couple homosexuel, et encore plus lesbien, vient bousculer cet équilibre.

L’hétérosexualité comme système social, voire politique, sert donc de support à des discours patriarcaux en assignant des rôles (inégaux) aux genres. Le patriarcat, qui peut être défini comme un système dans lequel le père est au centre (le « chef de famille »), est fondé par essence sur le couple hétérosexuel, dans lequel l’homme domine la femme (et les enfants) dont il a la propriété. Ce système est combattu par les féministes aujourd’hui, mais ce sont plutôt ses expressions qui sont dénoncées. On peut tirer comme exemples le droit de vote (entrée des femmes comme sujets politiques), le droit à la contraception et à l’avortement (restitution de la propriété de leur corps aux femmes) ou encore le droit de travailler sans l’autorisation du mari (les femmes deviennent des sujets économiques). L’acquisition de ces droits ne vient que contrarier l’expression du patriarcat sans pour autant arriver à le remettre fondamentalement en cause. C’est ainsi que Kathleen Barry(7) parle de l’identification masculine comme acte par lequel les femmes elles-mêmes placent les hommes au-dessus des femmes en leur accordant plus de crédibilité. Ainsi, les interactions entre femmes sont considérées comme inférieures, à tous les niveaux, y compris donc en couple. Les femmes ont intégré la supériorité masculine comme naturelle, et peinent à s’en extraire, ce qui explique également la difficulté de penser les points communs entre luttes féministes et luttes LBT. Par exemple, les lesbiennes et bisexuelles en couple avec des femmes, sont très souvent accusées de « choisir » des femmes par haine des hommes. A. Rich dénonce l’ironie de ce postulat en rappelant que les sociétés patriarcales sont basées sur la haine des femmes, et que cette haine se perpétue jusque dans les discours féministes voire mêmes lesbiens (souvent de manière inconsciente), ce qui témoigne ainsi de son ancrage(8).

Pourquoi marginaliser les LBT questionne les principes du féminisme ?

Dans nos sociétés, l’hétérosexualité est considérée comme une condition naturelle (en sortir nécessite un coming out, donc une déclaration formelle). En témoigne la très récente dépénalisation de l’homosexualité(9). Dans les faits, les discriminations à l’égard des homosexuels sont encore très présentes, que ce soit dans la sphère publique (discriminations à l’embauche, agressions), ou privée (rejet par la famille(10)). Mais alors, quelles sont les revendications des LBT et quel rapport avec le féminisme ? Certaines de ces revendications se retrouvent également chez les hommes homosexuels. La première d’entre elle est naturellement celle de vivre sans peur d’être victimes de discriminations Mais ce qui distingue les lesbiennes des hommes gays, c’est que les premières cumulent les discriminations liées à leur orientation sexuelle ainsi qu’à leur genre. Ce qui est vécu comme une double peine.

L’hétérosexualité ne se limite cependant pas au couple, et forme un système produisant un socle au patriarcat. Wittig considère ainsi que « l’hétérosexualité est au patriarcat ce que la roue est à la bicyclette »(11).  En cause, la façon dont les rapports de genre sont enseignés, pas seulement à l’école et dans les familles, mais également dans la culture populaire, au cinéma, dans la publicité, la pornographie,etc… Malgré l’ancrage actuel du féminisme, les stéréotypes de genre ont la vie dure, les femmes étant encore très souvent dépeintes comme disponibles aux plaisirs masculins. Ce schéma est tellement ancré, qu’il n’est pas seulement défendu par des hommes, mais aussi par des femmes. C’est par exemple l’objet de la tribune publiée dans Le Monde(12), défendant la « Liberté d’importuner », signée par 100 femmes célèbres. Dans ce texte, ces femmes dénoncent la « haine des hommes » se dégageant, selon elle, d’une partie des discours féministes actuels et en particulier le mouvement « Balance don porc ».  

Repenser le modèle de société dans lequel nous vivons, ou du moins prendre conscience de ses socles, pourrait permettre de comprendre un peu mieux les discriminations auxquelles nous faisons face. Considérer l’hétérosexualité au-delà du couple et des choix individuels, c’est réfléchir au système dans lequel nous évoluons en faisant au passage concorder les luttes. Ce système tend à porter également préjudice aux couples s’y conformant car il représente l’absence de choix pour la plupart des individus et les inscrit dans une norme sociale plus que comme un choix conscient. Rich considère que « toute relation hétérosexuelle est vécue dans l’éclairage blafard de ce mensonge »(13) sous-entendu la norme hétérosexuelle. Elle ajoute qu’en « l’absence de choix, les femmes continueront de dépendre de la bonne chance ou de la malchance des relations individuelles ».

Comment et avec quels outils repenser ce système ?

Monique Wittig dans La pensée Straight (1992) développe une vision féministe matérialiste, directement inspirée du marxisme. Il s’agit selon elle de considérer la lutte féministe au prisme de la lutte des classes, les femmes étant comparables aux classes prolétaires, en étant exploitables, corvéables ou encore soumises financièrement. Leurs luttes pour acquérir l’autonomie ainsi que l’égalité renvoie en de nombreux points aux luttes ouvrières. Adrienne Rich, qui rejoint Wittig sur sa pensée matérialiste, considère que « l’incapacité de voir dans l’hétérosexualité une institution est du même ordre que l’incapacité d’admettre que le système économique nommé capitalisme est maintenu par un ensemble de forces »(14). Dans sa pensée matérialiste, Marx considérait la succession des évènements historiques sous le prisme des rapports sociaux, et en l’occurrence de la lutte des classes. Il s’oppose donc à une vision déterministe de la société qui supposerait une succession « naturelle » des étapes de l’histoire, une vision finalement assez proche de la religion. Cette opposition a donc lieu également dans la pensée féministe, l’essentialisme allant à l’encontre de la pensée matérialiste. Les féministes essentialistes considèrent qu’il existe des caractéristiques inhérentes aux hommes et aux femmes (comme l’empathie, la force ou encore la douceur), desquelles découle une complémentarité entre les genres.

Le féminisme matérialiste s’oppose donc à l’essentialisation des genres et à leur complémentarité, en considérant que si le genre est socialement affecté à un sexe, il n’est donc ni naturel ni nécessaire. En effet, les rôles assignés aux genres, dont notamment l’attirance pour le sexe opposé, est fondamentalement excluant d’une réalité beaucoup plus diverse. C’est en ce sens que Wittig affirme que « les lesbiennes ne sont pas des femmes ». Si l’on va au bout de la pensée essentialiste, les femmes sont définies par rapport aux hommes et à la famille hétérosexuelle dans laquelle elles jouent des rôles assignés par la société : ceux de mère et d’épouse (et accessoirement d’aide à domicile). Les lesbiennes par définition ne peuvent rentrer dans ce rôle puisqu’elles ne « complètent » pas un homme, et sortent alors de la définition essentialiste du genre femme. Selon les termes de Wittig, elles seraient des « échappées du patriarcat ».

Wittig se trouve être à l’origine d’une pensée ayant eu un écho important outre atlantique : le lesbianisme politique. Ce modèle vient mettre en lumière les aspirations féminines en les affranchissant de la vision masculine imprégnant notre société. Elle développe une conception des relations humaines permettant de valoriser les interactions entre femmes, non seulement sexuelles ou amoureuses, mais tous types de relations intimes comprenant l’entraide ou encore la sororité. Il s’agit ici de concevoir la société autrement que par le prisme du couple et de la famille, et de donner plus d’importance aux relations entre individus, et en l’occurrence entre femmes. Rich, également à l’origine de cette pensée, introduit le terme de « continuum lesbien »(15), permettant également d’élargir la notion de lesbianisme aux relations entre femmes dans l’histoire, marquées par leur intensité et leur intimité, sans systématiquement inclure du sexe. Il ne s’agit ainsi pas de dicter une orientation sexuelle lesbienne aux femmes, mais plutôt de leur donner une nouvelle lecture de leurs relations, en particulier avec les autres femmes, historiquement minimisées voire moquées, mais qui peuvent néanmoins comporter une réelle puissance y compris politique. Elle parle même de la force dégagée dans les différentes étapes de la lutte féministe, qu’elle appelle résistance (au patriarcat) et qu’elle inclue dans sa vision du lesbianisme.

Il est tout de même important de souligner que la pensée issue du lesbianisme politique a évolué et créé des variantes, notamment extrémistes. A titre d’exemple, les féministes séparatistes prônent la sécession des relations entre les hommes et les femmes. En ce qui concerne les relations de couple, les femmes bisexuelles sont invitées à ne relationner qu’avec des femmes, et les femmes hétérosexuelles à s’abstenir. Ainsi, l’hétérosexualité et la bisexualité sont vues par certaines de ces féministes radicales comme des formes de « complicité avec l’oppresseur »(16). Cette pensée issue du lesbianisme politique dénature le propos d’origine car elle en évacue la dimension matérialiste en essentialisant les genres et en réduisant le lesbianisme aux relations de couple.

Bien sûr, il a existé et existe encore des groupes fondés sur l’exclusion des hommes, qui, en raison des sociétés fondamentalement oppressives dans lesquelles elles prennent forme, peuvent s’avérer salvatrices. C’est le cas des Béguines en Europe du Nord (entre le XIIe et le XVe siècle), dont les combats ont permis à de nombreuses femmes de vivre en autonomie en s’extrayant du mariage et de la pression de l’Eglise. C’est le cas également aujourd’hui du village d’Umoja au Kenya, interdit aux hommes et dédié aux femmes en particulier victimes d’agressions sexuelles et de viol.

Les lesbiennes ne sont pas des femmes, du moins tant que l’on conserve une définition essentialiste et donc un peu datée des genres. La mise en place de la complémentarité femme/homme a permis d’organiser la société et de lui donner un cadre dont les limites excluent ceux qui n’y rentrent pas. Ce cadre c’est le patriarcat, qui permet l’oppression des femmes, et encore plus des lesbiennes, au même titre que le capitalisme qui permet celle des classes.

Références

(1)Podcast « Contraint.e.s à l’hétérosexualité », Camille, Binge Audio

(2) Adrienne Rich, « La contrainte à l’hétérosexualité et l‘existence lesbienne », Nouvelles Questions Féministes No. 1, 1981

(3) Ibid

(4) Théorie selon laquelle les rôles de genre sont socialement construits, comme par exemple le fait que les petites filles aiment naturellement plus jouer à la poupée qu’aux voitures

(5) Podcast « Contraint.e.s à l’hétérosexualité », Camille, Binge Audio

(6) Monique Wittig, La pensée Straight, 1992

(7) Kathleen Barry, Femal sexual slavery, 1979

(8) Adrienne Rich, « La contrainte à l’hétérosexualité et l‘existence lesbienne », Nouvelles Questions Féministes No. 1, 1981

(9) 1982 pour la France

(10) L’association le refuge, accueillant les jeunes LGBTQIA+ rejetés par leurs familles, annonce apporter son soutien à plus de 700 jeunes chaque année.

(11) Monique Wittig, La pensée Straight, 1992

(12) Le Monde, « Cent femmes pour une autre parole », 01 septembre 2018

(13) Adrienne Rich, « La contrainte à l’hétérosexualité et l‘existence lesbienne », Nouvelles Questions Féministes No. 1, 1981

(14) Adrienne Rich, « La contrainte à l’hétérosexualité et ‘existence lesbienne », Nouvelles Questions Féministes No. 1, 1981

(15) Adrienne Rich, « La contrainte à l’hétérosexualité et l‘existence lesbienne », Nouvelles Questions Féministes No. 1, 1981

(16) Sheila Jeffreys, Love your Enemy ? the debate between heterosexual feminism and political lesbianism, 1994

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La pornographie est aujourd’hui un marché colossal de plus de 7,5 milliards de dollars et représente plus d’un quart du trafic mondial sur internet, elle touche tout le monde en commençant par les plus jeunes. Fin septembre, la délégation aux droits des femmes du Sénat a rendu un rapport alarmant sur cette industrie. Retour sur le difficile encadrement d’un milieu pas comme les autres.
La question épineuse de la régulation d’une fabrique à fantasmes

En raison même de la nature de ce marché si spécifique, dans lequel les productions s’apparentent à la réalisation de fictions visant à mettre en scène des fantasmes, la réglementation et la régulation constituent deux objectifs parfois difficilement atteignables mais nécessaires.

Tout d’abord parce qu’un fantasme construit par l’industrie pornographique a une influence sur la représentation que se font les individus d’une relation sexuelle. Ensuite, parce que les films pornographiques ne sont pas regardés uniquement par des adultes mais aussi par des mineurs.  C’est pour cela que la loi encadre les films pour adultes en en interdisant l’accès au moins de 18 ans(1). Dans les faits, les mineurs ont largement accès aux sites pornographiques, et commencent à les consulter, selon le sociologue Arthur Vuattoux, dès 11 ans(2). Bien souvent ces films sont le premier contact, voulu ou non, des jeunes avec la sexualité. Quand ils en cherchent l’accès c’est la plupart du temps parce qu’ils se questionnent à ce sujet, et que ces contenus restent largement et facilement accessibles. Néanmoins, ces productions ne reflétant pas la réalité, elles ne sont pas une réponse adéquate aux questions que se pose l’enfant. En effet, rien dans la pornographie ne reflète la réalité, qu’il s’agisse des corps, du rapport femme-homme ou encore de la durée et de la nature des rapports sexuels filmés. A un si jeune âge, l’enfant n’est évidemment pas en mesure de comprendre cette nuance, c’est une des raisons pour lesquelles l’accès lui en est retreint, de même que des films ou jeux vidéo ultra violents par exemple.

Ce qui dérange également, à juste titre, c’est l’image qui est renvoyée des femmes et ce qu’elle provoque. Il est nécessaire de séparer un fantasme avec l’envie de le réaliser. Cependant, certains fantasmes sont surreprésentés dans les productions pornographiques, ce qui pose légitimement la question de savoir s’il s’agit donc bien de convoquer l’imaginaire ou de représenter une certaine réalité. Nous vivons malheureusement dans une société dans laquelle le viol, les agressions sexuelles ou encore l’inceste sont des crimes quotidiens. Ce constat implique que ces derniers ne relèvent pas uniquement du fantasme mais également de pratiques trop largement répandues Nous pouvons en effet légitimement nous demander si ce n’est pas l’industrie pornographique qui façonne en grande partie notre imaginaire sexuel, c’est d’ailleurs ce que déplore la sexothérapeute Margot Fried-Filliozat. Elle nous dit que la pornographie est un accès facile à la sexualité des autres, nous permettant d’observer leurs pratiques et ainsi estimer si nous sommes normaux ou non. Or la pornographie est loin de représenter la normalité, et a donc pour conséquence de fausser le curseur des personnes qui s’y réfèrent. La sexothérapeute fait état du discours de nombreuses patientes qui rapportent les attentes de leurs conjoints (masculins), inspirés de la pornographie et donc irréalistes. Ce phénomène, observé également largement chez les adolescents, créer des injonctions à la fois corporelles mais aussi liées aux pratiques, qui se répercutent par la suite sur la qualité des relations intimes mais aussi des relations vis-à-vis de son propre corps. L’écrasante majorité des films représentant les femmes comme des objets sans désir, cela a, selon elle, un effet délétère sur la conception que nous avons du rôle des femmes dans la sexualité.  

Nous sommes également face à une industrie particulièrement violente envers les femmes qui y travaillent. En France, comme à l’étranger, des plaintes pour viol et agression sexuelle sont régulièrement déposées par des actrices à l’encontre d’acteurs mais surtout de producteurs. C’est en particulier le cas dans le milieu amateur, avec par exemple la récente accusation à l’encontre du producteur Pascal Op dans l’affaire du french Bukkake que nous ne détaillerons pas ici. La violence du milieu s’exprime également par la nature des vidéos diffusées sur certaines plateformes, en particulier par les diffuseurs de masse, que l’on appelle les tubes(3). Ces dernières ne pratiquent quasiment aucun contrôle sur le contenu des vidéos qui sont publiées par des tiers. Ainsi, se retrouvent en grand nombre des vidéos de viols (réels) ou encore de revenge porn. Pornhub a d’ailleurs fait les gros titres en 2020 dans l’article du NY Times : « Children of Pornhub » qui relayait une affaire dans laquelle des victimes mineures demandaient la suppression de vidéos de leur viol (13 millions de vidéos au total). Il est en effet très difficile de faire retirer des vidéos des plateformes. Dans cette affaire, il a fallu que l’entreprise Mastercard fasse pression en bloquant les paiements sur le site, jusqu’à ce que les vidéos soient retirées (en partie).

Mais alors, comment faire pour réguler cette industrie ? Cette question est particulièrement épineuse dans la mesure où il faut en priorité identifier ce qu’il faut réguler, sujet sur lequel beaucoup de désaccords existent. Est-ce le contenu des vidéos ? L’accès aux plateformes ? Les pratiques de tournage ou encore l’existence même du porno qu’il faut revoir ? Pas si simple. Selon la chercheuse Julie Leonhard, il est « difficile de régir la pornographie sans biais moraux »(4). En effet ce qui peut paraître inconcevable pour l’un, peut paraître parfaitement normal pour l’autre : tout est une question de curseur.

Protection contre liberté : comment trouver le juste milieu ?

Le sujet sur lequel tout le monde semble s’accorder, c’est l’interdiction pour les mineurs d’accéder aux contenus pornographiques. C’est le sens de la loi du 30 juillet 2020, qui semble toutefois assez peu efficace. En effet, elle impose aux plateformes de s’assurer qu’aucun mineur n’accède à leurs vidéos, ce à quoi ces dernières y répondent, pour beaucoup d’entre elles, par une simple question avant l’accès à leur site : « Avez-vous plus de 18 ans ?». Cela n’arrêtant pas grand monde, encore moins un mineur qui sait déjà, la plupart du temps, qu’il n’est pas censé s’y trouver, il semble évident que ces mesures ne sont pas suffisantes. A l’inverse, d’autres sites, pour la plupart payants, demandent une vérification de l’identité, à minima avec l’insertion d’une carte de crédit. En ce qui concerne les plateformes diffusant du contenu gratuit, d’autres solutions d’identification sans carte de crédit existent, peut être encore trop peu développées(5). Pour le moment, les contrôles notamment des tubes se révèlent trop peu efficaces, l’explication étant peut-être qu’une bonne partie de leur clientèle est mineure, raison pour laquelle cette loi devrait être renforcée.

Un autre sujet, faisant également plutôt consensus, concerne les conditions de tournage. Le bien-être des actrices et acteurs ainsi que leur consentement ne fait pas réellement débat. En revanche, il semble assez difficile de penser à une manière de les encadrer. Depuis peu, un système de charte est adopté par un certain nombre de diffuseurs français, permettant d’encadrer les pratiques des producteurs et ainsi de protéger notamment les actrices de toutes dérives. Néanmoins, ces chartes ne sont pas encadrées légalement, et relèvent donc de la bonne volonté des diffuseurs et producteurs de les mettre en place. Ce qui complique les choses dans ce domaine est le statut des actrices. En effet, elles ne sont pas reconnues légalement comme telles, rien dans le code du travail n’encadrant ce milieu. De plus, elles ne peuvent faire appel à un agent, car cela relève du proxénétisme, ce qui est interdit en France. Sans encadrement, il est ainsi plus difficile pour une actrice, en particulier novice, de faire respecter ses droits et son consentement, ce dont malheureusement certains producteurs abusent. Il s’agirait donc ici, dans l’optique de protéger ces femmes, de songer à un encadrement légal de leur activité.

Enfin, concernant le contenu des vidéos, il semble assez difficile de légiférer sur le sujet. Nous parlons ici uniquement des vidéos tournées dans un cadre légal, donc sans viol ou encore pédocriminalité, qui sont des crimes déjà punis par la loi. Dans le cadre d’un tournage avec un scénario, il semble en effet assez malvenu que la loi s’y immisce, plus que dans le cinéma classique. Aussi choquant qu’ils puissent parfois être, les fantasmes ne sont pas illégaux, pas plus que leur représentation à l’écran. Les interdire relèverait de l’atteinte aux libertés. Allons même plus loin : si certains fantasmes sont à interdire, lesquels choisir ? Sur quelle base légiférer ? Sur la représentation de l’illégal ? Sur ce qui choque les mœurs ?

L’encadrement de l’industrie pornographique semble être ainsi une priorité, tant du point de vue de la protection de la société et en particulier des mineurs, que des personnes y travaillant. Cependant, il n’est pas si simple d’encadrer un secteur aussi empreint de questions morales. Et si on réfléchissait alors à une industrie pornographique plus éthique, permettant le respect de ces normes de base ?

Existe-t-il un porno plus éthique et représentatif ?

Pour un certain nombre de personnes, les notions d’éthique et de féminisme sont antinomiques avec celle de pornographie. Cette opposition se fonde sur plusieurs arguments. Le premier est d’ordre moral. Pour beaucoup, la pornographie ne peut pas être éthique en raison même de la marchandisation des corps qu’elle implique. Un autre argument repose sur le constat que les productions actuelles sont fondamentalement violentes envers les femmes, en particulier quand il s’agit de productions amatrices. Enfin, la notion de consentement, essentielle à toute réflexion sur l’éthique et le féminisme, pose question dans ce milieu.

Le consentement est une notion qui ne fait pas consensus sur sa nature. La définition succincte du Larousse laisse en effet place à l’interprétation : « Action de donner son accord à une action, à un projet ». Cette notion n’est pas non plus définie clairement dans la loi, les agressions sexuelles et les viols étant toujours caractérisés dans le code pénal par l’existence d’une violence, contrainte, menace ou surprise. La définition la plus souvent reprise dans les discours féministes est celle donnant 5 principes au consentement, qui doit être : donné librement, éclairé, spécifique, réversible et enthousiaste. Néanmoins, celle-ci, bien que plus complète que les précédentes, peut ne pas être reconnue de tous. Alors, concernant le consentement sexuel, pouvons-nous le faire apparaître dans un contrat tout en faisant en sorte qu’il soit le plus clairement défini ? Si l’on reprend la dernière définition, nous pouvons dire que oui, à condition que ces 5 piliers soient respectés. Cela sous-entendrait par exemple qu’une actrice puisse stopper à tout moment une scène. Le pilier réversible du consentement, pourtant indispensable, peut très vite poser problème dans le cadre d’un contrat, car s’il n’est pas spécifié explicitement dans celui-ci, cela suggère que le producteur peut légitimement se retourner contre l’actrice qui ne souhaite pas poursuivre une scène pour laquelle elle a signé, sur fondement de non-exécution du contrat. Il existe néanmoins certaines productions qui tentent du mieux possible de respecter ces 5 piliers dans leurs contrats, comme l’affirme Carmina, productrice et elle-même actrice de son propre label(6).

Outre le consentement, la nature des productions pose également question sur le plan éthique et a fortiori féministe. En effet, nous l’avons vu, la nature de l’offre actuelle de films pornographiques reste assez peu hétérogène. Nous sommes face à une surreprésentation de scènes violentes, parfois racistes, homophobes ou autre. Selon le mouvement du Nid (association féministe), « l’existence même de la pornographie est une violence »(7). Nous pouvons néanmoins admettre qu’une offre plus diversifiée serait plus éthique. C’est le pari pris par certaines productions dites alternatives voire féministes comme celles d’Erika Lust ou encore Olympe de G(8), mais également de diffuseurs plus classiques comme Dorcel qui appliquent peu à peu les chartes dont nous avons parlé précédemment.

Ces chartes imposent aux producteurs de ne pas produire de contenu visiblement violent, dégradant et/ou humiliant(9). « La pornographie n’est pas un problème en soi, elle doit être détachée des violences qui peuvent avoir court » nous dit la chercheuse Béatrice Damian-Gaillard. Le rapport du Sénat publié fin 2022 propose par ailleurs de rendre gratuit et obligatoire le retrait des vidéos par les diffuseurs quand une personne filmée en fait la demande (ce qui aujourd’hui n’est pas encadré et donne lieu à des sommes d’argent colossales versées pour le retrait d’une vidéo) . 

Il serait par ailleurs intéressant de chercher du côté de la nature des productions, en allant peut être plus loin du côté de la diversité, en n’allant pas seulement la chercher derrière l’écran, mais également à la production. Historiquement l’écrasante majorité des productions sont détenues par des hommes.

Aujourd’hui, de plus en plus de femmes passent derrière les caméras pour produire et réaliser à leur tour, amenant alors une autre vision de la sexualité, peut-être plus féministe et surtout plus égalitaire face aux pratiques sexuelles, pour un certain nombre d’entre elles.

Références

(1)Grâce à la loi du 30 Juillet 2020 obligeant les sites pornographiques à bloquer leur accès aux mineurs

(2) Propos recueillis lors de l’audition du 30 mars 2022 dans le cadre de la commission sénatoriale sur la pornographie et son industrie menée par la délégation aux droits des femmes

(3)A l’instar de Pornhub ou encore Youporn

(4)Propos recueillis lors de la table ronde du 03 février 2022 dans le cadre de la commission sénatoriale sur la pornographie et son industrie menée par la délégation aux droits des femmes

(5)Des sociétés spécialisées dans la vérification d’identité en ligne existent, à l’instar de Yoti, permettant une vérification sans transmission ni stockage de données par la plateforme cliente.

(6)Propos recueillis lors de la table ronde du 09 mars 2022 dans le cadre de la commission sénatoriale sur la pornographie et son industrie menée par la délégation aux droits des femmes

(7)Propos recueillis lors de la table ronde du 20 janvier 2022 dans le cadre de la commission sénatoriale sur la pornographie et son industrie menée par la délégation aux droits des femmes

(8)Olympe de G propose un contenu plus érotique que pornographique mais n’en reste pas moins inspirante en la matière.

(9) Néanmoins, cela étant très récent, il est pour le moment difficile d’en évaluer les effets.

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L’urgence de la transition énergétique des pays en développement

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L’urgence de la transition énergétique des pays en développement

Le cas de l'Inde
A l’heure où le réchauffement climatique se fait indéniablement sentir, certains pays, du Sud en particulier, se retrouvent dans des situations parfois dramatiques. Cependant, tous ne sont pas logés à la même enseigne face à ce phénomène. Les pays en développement ainsi que ceux connaissant une forte densité de population se retrouvent en première ligne. Ainsi, entre un accès disparate à l’électricité plus que nécessaire dans les temps de canicule, couplé à un service public trop peu développé, des pays comme l’Inde ou encore le Pakistan sont actuellement exposés à des situations extrêmes.
L’accès à l’énergie dans les pays en développement : un équilibre fragile

La crise climatique que nous connaissons aujourd’hui est principalement liée à la dégradation de la couche d’ozone, nous exposant à une hausse significative des températures. Les émissions de CO² sont parmi les principales responsables du réchauffement climatique et trouvent leur origine dans les activités industrielles et de transports. La combustion du pétrole, du charbon ou encore l’extraction du gaz, utilisées dans ces industries ainsi que dans les moyens de transport, restent encore aujourd’hui extrêmement polluantes.

Cependant, tous les pays n’utilisent pas ces ressources avec la même intensité, tout dépend de la nature de leur mix énergétique. Celui-ci correspond à l’ensemble des ressources utilisées pour les besoins énergétiques d’un pays. Il varie énormément d’un pays à l’autre, et peut aller du simple au double concernant la part des énergies dites vertes, à savoir les énergies renouvelables ainsi que des énergies non polluantes comme le nucléaire(1). Comment ce mix énergétique est-il déterminé ? A la fois par les ressources disponibles sur le territoire (naturellement ou grâce à des infrastructures) ainsi que par le coût d’import des ressources extérieures.

Le choix de l’exploitation des ressources énergétiques polluantes comme le pétrole, s’explique à la fois par la présence d’infrastructures adaptées mais aussi par la possibilité d’importer ces ressources. A l’inverse, les énergies renouvelables ne peuvent être importées (sur de longues distances), dans la mesure où nous ne savons pas encore stocker l’électricité produite par une ferme à panneaux solaires par exemple. Pour les utiliser il faut installer des infrastructures, ce qui a un coût, parfois très élevé (à l’instar du nucléaire), que tous les Etats ne sont pas prêts à payer(2). Néanmoins, une fois installées, la plupart des énergies renouvelables ont un coût de fonctionnement assez peu élevé, et ne demandent pas d’apport de ressources (le soleil ou le vent sont gratuits). Des investissements en énergies vertes existent dans les pays en développement, qui sont par ailleurs parfois pionniers dans le domaine, comme l’Ethiopie dont le mix énergétique comporte 95% d’énergies renouvelables(3). Néanmoins, il reste assez rare que les énergies vertes, et encore moins renouvelables, occupent une place prépondérante dans le mix énergétique d’un pays. En effet, ces dernières conservent un taux de rentabilité plus faible qu’une centrale à charbon ou même nucléaire, et ne sont pour le moment par en mesure de répondre aux besoins en énergie d’un pays avec une densité de population similaire à l’Inde. C’est par ailleurs un problème rencontré par l’Ethiopie qui a besoin de multiplier ses investissements en la matière pour répondre aux besoins de sa population.

Il va de soi que les ressources comme le pétrole, le charbon ou encore le gaz (à l’exception du biogaz), ne sont pas durables et encore moins renouvelables. Ce sont cependant les ressources les plus utilisées dans le mix énergétique mondial, à hauteur de 80%(4). Pourtant, ces énergies sont polluantes et leur usage participe au réchauffement climatique. Ce phénomène touche en premier lieu les pays en développement, que ce soit par la hausse des températures, l’assèchement des terres ou encore la montée des eaux. Cependant, les risques liés à l’usage de ces ressources sont également économiques notamment parce que leur prix est volatile et peut donc peser lourd dans la balance commerciale d’un pays importateur et inversement mettre en difficulté un pays exportateur. Un pays dépendant des importations de charbon pour sa production d’électricité, bénéficie d’une marge de négociation faible quant à son prix, mais s’expose aussi au risque de pénurie de cette ressource. De même pour le pétrole et le gaz, l’histoire nous a enseigné à travers les crises des années 70, les risques liés à un choc pétrolier ou d’un chantage énergétique tel que celui exercé par la Russie, dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine, sur les pays importateurs de gaz russe. Cependant cela n’est pas toujours plus avantageux de produire soi-même une partie ou la totalité de ses ressources, rappelons les crises qu’ont pu connaître les pays producteurs de pétrole, au hasard le Venezuela ou l’Irak. La production domestique n’est donc pas toujours un rempart à une crise énergétique.

A l’intérieur d’un pays, l’accès à l’énergie peut également être disparate. Qu’il s’agisse du type d’énergie ou juste d’accès à celle-ci, il existe dans toute société une fracture dans l’accès et l’utilisation de ces ressources. En Occident, l’usage des énergies renouvelables, bien que de plus en plus accessible, reste cantonné à une frange aisée de la population. Les voitures électriques ou encore l’installation de panneaux solaires privés sont encore très coûteux. Dans les pays en développement les mêmes questions se posent, pas toujours dans les mêmes termes. En effet, la façon dont les réseaux, notamment d’électricité sont conçus, ne permet pas un accès égalitaire à cette énergie. Tout d’abord, tous les foyers ne sont pas connectés au réseau électrique, car cela a un coût(5). De plus, dans des cas où des coupures sont nécessaires, tous les quartiers, villes ou régions ne seront pas nécessairement traités de la même manière.

Un cas concret : l’Inde dans l’accès aux ressources et les impacts du réchauffement climatique

Depuis le mois de mai l’Inde connaît des hausses de températures inédites, frisant la limite du supportable pour l’être humain. Ces hausses, accompagnées d’un taux d’humidité important, rendent les conditions de vie quasi-insupportables. De telles températures ne sont pas sans conséquences et provoquent sécheresses, incendies et pénuries d’eau. Pour faire face à ces fortes chaleurs, l’accès à l’électricité est indispensable, en particulier pour faire fonctionner l’air conditionné. Néanmoins, celui-ci consomme énormément d’énergie. L’Etat n’est pas en mesure de répondre à cette hausse soudaine de la demande en électricité, produite majoritairement à base de charbon(6). L’Inde est le 2e producteur mondial de charbon derrière la Chine, mais a tout de même besoin d’en importer pour faire face à la hausse de la demande(7). Pour autant, importer une ressource en pleine pénurie engendre une augmentation des prix, et va forcer l’Inde à débourser des sommes plus importantes. Entre temps, le pays se retrouve avec trop peu de charbon pour produire la quantité d’électricité nécessaire à son bon fonctionnement. Pour être en mesure de continuer à alimenter le réseau électrique, le gouvernement a mis en place des coupures de courant, ce qui concerne également les hôpitaux ainsi que les transports en commun.

L’Inde n’est pas un cas isolé : quelles solutions ?

L’Inde n’est pas isolée face à ces problématiques. En effet d’autres pays du Sud sont concernés par une augmentation excessive des températures, couplée à des pénuries d’électricité et d’autres ressources comme l’eau. L’Irak en est un bon exemple avec des températures estivales atteignant souvent une cinquantaine de degrés, en particulier dans le sud du pays. Bien qu’étant un pays producteur de pétrole et de gaz, sa production électrique(8) ne suffit pas à combler les besoins du pays en été, la demande étant tirée par l’utilisation de l’air conditionné. A l’image de l’Inde, le gouvernement organise des coupures d’électricité, permettant de monitorer le réseau. Ayant compris l’urgence de la fourniture d’électricité, a fortiori lors d’un pic de chaleur, des ONG ont installé des panneaux solaires à disposition des populations les plus précaires(9). De son côté, TotalEnergies a signé un contrat d’investissement pour l’installation d’un champ à panneaux solaires dans le sud du pays, avec pour argument phare de diminuer la dépendance du pays aux énergies fossiles(10).

L’urgence de la transition écologique ne peut se passer d’une réflexion sur les inégalités entre les pays

La transition écologique est aujourd’hui, et depuis déjà une bonne dizaine d’années, au centre des préoccupations de bon nombre d’individus, d’entreprises ainsi que d’Etats (notamment développés). La transition ne peut pas se faire sans une réflexion de fond sur les impacts et sans une prise en compte des situations disparates de l’ensemble du globe. En effet, opérer une transition énergétique ambitieuse demande des investissements, parfois très importants, que tous les Etats ne peuvent se permettre, notamment au regard de la situation politique et de l’état des infrastructures existantes. Une transition écologique nécessite la mise en place de politiques publiques sur le long terme. Un pays comme l’Inde, qui a déjà un avant-goût des ravages que peut porter le changement climatique, n’est pas étranger aux questions de la transition écologique, et a déjà mis en place bon nombre de projets et d’infrastructures telles que des centrales nucléaires(11) ou encore de centrales hydroélectriques. Néanmoins, cette production ne permet pas encore de répondre aux besoins en électricité d’un pays avec une telle densité de population. Résultat, le mix énergétique indien reste dominé par le charbon (50%)(12) et dans une moindre mesure par le pétrole (30%). Le nucléaire et les énergies renouvelables restent encore largement minoritaires avec moins de 8%. Le mix énergétique indien est donc composé à plus de 90% d’énergies fossiles(13)

La question de la crise écologique est également source d’injustices. Sans revenir sur les raisons du changement climatique, il ne nous aura pas échappé que la pollution en est la principale responsable. Si, parmi les principaux pollueurs se trouve les pays développés, des pays en développement se sont élevés au classement, avec en tête, la Chine ainsi que l’Inde, mais également des pays producteurs de pétrole et de gaz dans les pays du Golfe. Pour autant, la plupart des pays d’Afrique ainsi que d’Amérique latine sont parmi ceux qui polluent le moins au monde. Néanmoins, les effets du changement climatique, à savoir, les hausses de température, les sécheresses, les inondations ou encore les fortes tempêtes, touchent en premier lieu ces pays. Bien entendu, les effets du changement climatique se font sentir partout, en témoigne les canicules que l’on connaît en France ces dernières années, mais la différence se situe dans la mesure de ces effets. Les pays souffrant des conséquences les plus graves du changement climatique, ne sont pas ceux y ayant le plus participé, mais sont pourtant ceux qui doivent en payer le prix le plus fort.

Le manque de ressources ou encore de stabilité politique (ou simplement de volonté politique) ne permet pas de créer un environnement favorable à une transition écologique complète. Ainsi, bien que bon nombre de pays du Sud aient développé des énergies renouvelables, c’est encore rarement suffisant pour les rendre indépendants des énergies fossiles. Attention, la difficulté se situe au niveau de la transition et non de l’implémentation des technologies vertes. C’est ce qui explique pourquoi il est plus facile pour un pays n’ayant pas ou peu d’infrastructures énergétiques, de développer des sources d’énergie vertes, que pour un pays avec un arsenal pétrolier déjà complet.  

Références

(1)Bien que la question de la pollution via les déchets nucléaires ainsi que de potentiels accidents remettent en question la classification du nucléaire dans le vert

(2) P. Copinschi, Le pétrole, quel avenir : Analyse géopolitique et économique, 2010.

(3)Site internet de la Direction Générale du Trésor, « Le secteur de l’électricité en Ethiopie », 2020

(4)Agence Internationale de l’Energie, « Key World Energy Statistics”, 2020

(5)Selon la Banque Mondiale, en 2020, 90,5% des foyers dans le monde disposaient d’un accès direct à l’électricité, le pays ayant le taux le plus faible étant le Soudan du Sud avec 7.2%, et bon nombre de pays du continent africain en dessous de 50%

(6)BP Statistical Review of World Energy 2021

(7)La Tribune, « La Chine va produire plus de charbon pour soutenir son outil productif », 2021

(8)L’Irak produit son électricité à base de gaz, mais doit se fournir dans cette ressource auprès de l’Iran car le pays n’en produit pas assez (selon le “ BP statistical review of World Energy”, juin 2018)

(9)Site internet SOS Chrétiens d’Orient, «2018, « L’Irak se met au vert ».

(10)BFM Business, 2021 : « Irak: Totalenergies signe un contrat d’investissements de 27 mds de dollars dans le pétrole, le gaz et le solaire »

(11)Le pays en compte 6

(12)Plus de 70% pour ce qui est de la production d’électricité selon le BP Statistical Review of World Energy 2021

(13)Site internet Connaissance des énergies, « L’Inde un géant dépendant fortement du charbon », 2021

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