La politique se déploie dans un monde virtuel

Ajoutez votre titre ici

Intro :

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Nullam at consequat justo. Donec sit amet dui id libero varius suscipit iaculis in enim. Vestibulum in gravida est. Praesent sed nunc condimentum, pharetra ligula non, fermentum eros. In erat dui, vulputate a risus sed, vehicula elementum augue. Aliquam semper augue ipsum, eu blandit neque tincidunt ac. Fusce magna nisi, vehicula at velit eu, placerat dapibus arcu. Aliquam tempor ultricies arcu, ut malesuada ex. Donec sit amet cursus purus. Suspendisse vitae est nunc. Aenean dictum, arcu vitae vulputate auctor, nunc ante laoreet velit, id interdum ligula nisi eget risus. Ut risus risus, lacinia in ornare sed, porttitor in erat. Vestibulum facilisis ex eros, quis vulputate quam ultrices et. Donec nec tortor ullamcorper, faucibus massa sed, ornare lectus. Aliquam pretium nibh quam, a tincidunt orci mollis nec. Orci varius natoque penatibus et magnis dis parturient montes, nascetur ridiculus mus.

Le leurre de l’inscription dans la constitution du droit à l’avortement

Emmanuel Macron a annoncé le 8 mars, à l’occasion de la journée des droits des femmes, qu’il allait préparer dans les mois qui viennent un projet de loi visant à inscrire dans la constitution « la liberté pour les femmes de recourir à l’avortement ».

Cette annonce n’est pas un scoop.

Au lendemain de l’arrêt rendu par la Cour suprême des États-Unis d’Amérique, le 24 juin 2022, dans l’affaire « Dobbs vs. Jackson Women’s Health Organization », la présidente du groupe parlementaire Renaissance, Aurore Bergé, soutenue par la Première ministre Élisabeth Borne, avait annoncé qu’elle proposerait d’inscrire le droit à l’avortement dans notre constitution. Bien sûr, elle ne le faisait pas sans avoir reçu l’approbation préalable du Président de la République. On remarquera qu’il ne s’est rien passé depuis. Une annonce de plus sans lendemain, comme il y en a tant.

Mais arrêtons-nous un instant sur le sujet. Pourquoi une décision de la Cour suprême américaine rendait-elle nécessaire et urgente une modification de la Constitution française ?

Par l’arrêt en question, la Cour suprême américaine renversa sa jurisprudence précédente relative au droit à l’avortement aux États-Unis. Depuis 1973, elle considérait qu’il était garanti par la constitution fédérale des États-Unis, en conséquence de quoi il ne pouvait pas être remis en cause par une loi dans l’un des états fédérés (arrêt Roe vs. Wade). Quarante-neuf ans après, suivant les conclusions du juge Samuel Alito, elle prit un arrêt contraire et décida que la Constitution ne disait rien sur le droit à l’avortement, qu’elle était neutre sur ce sujet et qu’il revenait à chaque État américain de définir sa législation dans ce domaine. Cette décision de la Cour suprême donnait raison à l’État du Mississippi qui avait adopté une loi très restrictive sur l’avortement, dont la constitutionnalité était contestée par une clinique de Jackson qui pratiquait l’avortement. La décision de la Cour suprême n’interdit donc pas l’avortement aux États-Unis mais laisse aux cinquante États fédérés le droit de le faire.

Même si les liens entre la France et les États-Unis sont très forts depuis La Fayette et la guerre d’indépendance américaine, les décisions de la Cour suprême de ce pays n’ont jusqu’à présent aucune conséquence sur l’état de notre droit national, déjà très largement soumis au droit européen.

En France, le droit à l’avortement n’est menacé ni par nos lois ni par notre constitution. L’avortement est autorisé pour les femmes majeures ou mineures. Ce droit a été renforcé par une loi récente, promulguée le 2 mars 2022, qui porta de 12 à 14 semaines de grossesse le délai pendant lequel il est possible de recourir à une interruption volontaire de grossesse (IVG). Cette même loi a étendu aux sage-femmes la compétence de pratiquer des IVG chirurgicales. Elle a pérennisé l’allongement du délai de recours à l’IVG médicamenteuse (sept semaines contre cinq semaines jusqu’en 2020). Enfin, un répertoire recensant les professionnels et structures pratiquant l’IVG, librement accessible, doit être publié par les agences régionales de santé.

La seule vraie menace qui pèse sur le droit à l’avortement en France, c’est le délabrement de notre système de santé, le manque de médecins, de sage-femmes, d’infirmiers, d’aides-soignants dans les hôpitaux, le manque de soutien dont bénéficie le planning familial.

Si Emmanuel Macron veut vraiment préserver « la liberté de recourir à l’avortement » (c’est l’expression qu’il a employée le 8 mars), qu’il donne aux hôpitaux les moyens financiers et humains dont ils ont besoin et que son gouvernement leur refuse. Qu’il augmente les salaires des aides-soignants, des infirmiers et des médecins pour arrêter l’hémorragie de personnel qui entraine la fermeture de nombreux services d’urgence la nuit ou une partie de la semaine. Qu’il donne aux universités les moyens de former les personnels soignants dont la pays a besoin.

Au lieu de cela, il agite un projet de réforme constitutionnelle qui ne manquera pas de diviser la société française, il le sait, sur un sujet qui pour le moment ne pose aucun problème. Son but est de piéger la gauche, qui devra se rallier à cette proposition pour être fidèle à sa réputation progressiste. La NUPES demandera sans doute à remplacer l’expression « liberté de recourir à l’avortement » par celle de « droit à l’avortement » et finira par soutenir ce qu’elle considèrera tout de même comme un progrès. E. Macron veut aussi embarrasser la droite, Les Républicains et le Rassemblement national, qui devraient s’opposer à cette proposition et ainsi démasquer leur conservatisme viscéral, bien que Marine Le Pen se soit déclarée à titre personnel favorable au droit à l’avortement et à sa constitutionnalisation.

Je ne prétends pas qu’il y ait consensus en France sur le droit à l’avortement. Les représentants de différents cultes religieux y sont opposés, mais pour le moment, dans notre République laïque, ils ne font pas la loi. Souhaitons que cela dure. Mais aujourd’hui, ni du côté des partis politiques ni du côté de l’opinion publique française il n’existe de risques réels de remise en cause du droit à l’avortement, consacré par la loi du 17 janvier 1975 défendue par Simone Veil.

Au nom d’un risque imaginaire, il s’agit de faire diversion et de détourner le théâtre médiatique des périls et des problèmes bien réels auxquels les Françaises, puisqu’il s’agit d’elles en premier lieu, sont particulièrement confrontées.

Le problème bien réel et non virtuel auquel les femmes sont confrontées, elles l’ont dit dans la rue le 7 mars, c’est la réforme du régime des retraites que veulent imposer E. Macron et son gouvernement.

Des centaines de milliers de femmes ont manifesté dans toute la France contre le projet de loi du gouvernement réformant le régime des retraites dont l’application retarderait de deux ans l’âge légal de départ à la retraite. Les femmes étaient nombreuses dans la rue parce qu’elles sont plus durement frappées encore que les hommes par ce projet de loi. Leurs retraites sont déjà inférieures en moyenne de 20% à celles des hommes, à la fois parce que leurs salaires sont en moyenne inférieurs à ceux des hommes et parce que leurs carrières sont souvent interrompues, notamment par les maternités. Il existe aujourd’hui des correctifs visant à limiter partiellement cette inégalité par le biais de bonifications liées au nombre de leurs enfants. C’est ce qui permet à la très grande majorité des femmes de prendre leur retraite à taux plein à 62 ans. Le report de l’âge légal à 64 ans annulerait le bénéfice de ces bonifications. Le Sénat s’en est aperçu, d’ailleurs, et a tenté de corriger en partie cet effet délétère, parmi beaucoup d’autres, de la réforme Macron / Borne.

Il faut refuser la manœuvre politicienne du président de la République qui fera perdre du temps et de l’énergie au pays dans un débat inutile sur la Constitution, et travailler vraiment à l’amélioration de la situation des femmes, en leur permettant de partir à la retraite avec une pension suffisante à 62 ans, en augmentant leur salaire pour les porter au niveau de celui des hommes, en assurant l’égalité entre les femmes et les hommes au travail et dans leur vie.

N’inventons pas des menaces virtuelles sur le droit à l’avortement et préoccupons-nous des conditions concrètes de son exercice dans les hôpitaux et des conditions de vie et de travail des femmes.

Une souveraineté énergétique imaginaire

La constitution d’une commission d’enquête de l’Assemblée nationale en vue d’établir les raisons de la perte de notre souveraineté énergétique témoigne de la même virtualité du débat politique français. Cette commission devait s’intéresser à la « souveraineté énergétique de la France », d’après son intitulé, mais en réalité son travail n’a porté que sur l’électricité et plus spécifiquement sur l’énergie nucléaire.

Il faut rappeler que l’électricité ne représente qu’environ 20% de la consommation finale d’énergie des Français, tandis que 80% de celle-ci sont satisfaits par des énergies fossiles, principalement du gaz et du pétrole.

La vraie question qui se pose sur notre souveraineté énergétique est donc de savoir comment nous allons répondre à 80 % de nos besoins énergétiques par d’autres ressources que des hydrocarbures ou du charbon importés, et non de savoir si le nucléaire doit représenter plus ou moins de 50% de la production d’électricité.

Un esprit malicieux rappellerait également que nous importons la totalité de l’uranium utilisé dans nos réacteurs nucléaires et que la technologie utilisée pour développer le parc nucléaire français depuis 1974 est une technologie américaine. EDF a acheté la licence des réacteurs à eau pressurisée mis au point par Westinghouse et le gouvernement français de l’époque a arbitré en faveur de cette technologie, au détriment de la filière mise au point par le CEA, dite « uranium naturel graphite gaz » (UNGG), qui était nettement moins performante. En matière de souveraineté, on fait mieux.

De cela, il ne fut pas question devant la commission d’enquête parlementaire qui se passionna pour un tout autre sujet. Elle chercha à établir que François Hollande et le parti socialiste avaient porté atteinte à la souveraineté énergétique de la France en signant avec les écologistes, le 15 novembre 2011, un « contrat de mandature » en vue d’une victoire éventuelle de la Gauche aux élections présidentielle et législatives de 2012. Cet accord prévoyait notamment la « réduction de la part du nucléaire dans la production électrique de 75 % aujourd’hui à 50 % en 2025 ».

Plusieurs personnalités auditionnées par la commission, dont Manuel Valls, ont déclaré que cet accord ne s’appuyait sur aucune évaluation technique préalable. Les députés du parti du président de la République ont considéré qu’il s’agissait d’une nouvelle preuve de l’irresponsabilité incurable de la Gauche. Les autres partis de Droite, tous favorable au développement de l’énergie nucléaire, leur ont emboité le pas. La plupart des médias ont partagé leur jugement. Pas de doute, c’est à cause de cet accord entre les Verts et le PS en 2011 qu’EDF n’a pas produit assez d’électricité en 2022, qu’elle a dû importer massivement de l’électricité en 2022 et 2023 et que sa situation financière est catastrophique.

Pour ma part, je ne vois rien de scandaleux à l’absence d’évaluation technique par des experts d’une proposition d’un programme politique.  Cette manie de vouloir soumettre les programmes politiques à une évaluation d’experts est un dévoiement de la politique et explique en partie pourquoi les partis politiques ont subi une telle déconfiture. Les experts considéraient que la réduction de la journée de travail des enfants à 12 heures provoquerait une catastrophe économique lorsque cette mesure a été prise ; ils pensaient que les congés payés étaient inenvisageables, tout comme la semaine de travail de 40 heures.

De plus, il est faux de dire qu’il n’existait aucune évaluation des conséquences des différents choix possibles au début du mandat de François Hollande. L’administration française, malgré son tropisme nucléaire très fort, et de nombreux instituts publics et privés disposaient de différents scénarios d’évolution de notre mix électrique.

L’ADEME, l’agence pour la maîtrise de l’énergie, un établissement public placé sous la tutelle de l’État, présente depuis longtemps des scénarios alternatifs à une production électrique reposant pour les 3/4 sur l’énergie nucléaire.

Le Parlement français a adopté en 2015 une « loi relative à la transition écologique et à la croissance verte » dont l’un des 215 articles prévoyait le plafonnement de la part du nucléaire dans la production électrique française à 50% en 2025. Quoi que l’on puisse penser de cette loi, il ne s’agit pas d’un accord politique signé sur un coin de table. Elle a donné lieu à des débats très longs au Parlement avant d’être adoptée et elle était accompagnée, comme tout projet de loi, d’une étude d’impact.

Le niveau très élevé des importations françaises d’électricité depuis l’automne 2022 n’a rien à voir avec l’accord politique conclu par François Hollande avec les écologistes.

La raison réside tout simplement dans la mise à l’arrêt de la moitié du parc nucléaire pendant une bonne partie de l’année en raison de graves dysfonctionnements des réacteurs nucléaires mettant en cause la sûreté de leur fonctionnement. Au cours de l’année passée ce sont des fissures apparues sur des tuyaux et des soudures de circuits essentiels au fonctionnement des réacteurs, dont la rupture serait dramatique pour le personnel travaillant dans ces centrales et la population, qui ont conduit l’autorité de sûreté nucléaire et l’exploitant EDF à décider de la mise à l’arrêt des centrales concernées.

Le gouvernement de François Hollande, auquel je fais personnellement beaucoup de reproches, n’est en rien responsable de cette situation.

Les réacteurs de 900 mégawatts construits entre 1974 et le milieu des années 80 ont été conçus pour fonctionner quarante ans. C’est en tout cas ce que disait le président d’EDF de l’époque, Marcel Boiteux, qui passe pour l’un des plus grands présidents que cette entreprise ait connus. Ces réacteurs atteignent maintenant cet âge, mais EDF souhaite prolonger leur exploitation jusqu’à 50 ans et maintenant jusqu’à 60 ans.

La décision du maintien en exploitation est prise par l’exploitant, après autorisation de l’autorité de sûreté nucléaire, sous réserve de travaux de rénovation très importants permettant de garantir le bon fonctionnement des réacteurs pour la décennie suivante.

EDF a pris beaucoup de retard dans la mise en œuvre de ce programme dit de « grand carénage », parce que les travaux se sont avérés plus compliqués à réaliser que prévu, parce que EDF dépend d’entreprises sous-traitantes très nombreuses qui ne sont pas toujours mobilisables au moment où elle le souhaite ; parce que le Covid a perturbé les conditions de travail et d’approvisionnement en matériaux et pièces détachées ; et peut-être aussi parce que l’entreprise n’avait pas suffisamment anticipé l’importance des travaux à réaliser et des problèmes qu’elle allait rencontrer.

Il faut souligner que les réacteurs les plus récents ne sont pas épargnés par ces problèmes de fissures. L’autorité de sûreté nucléaire vient de communiquer, en ce début de mois de mars, sur de nouvelles fissures découvertes sur un réacteur situé à Penly, mis en service en 1992 (quatre réacteurs seulement sur 56 ont été mis en service après 1992). L’Autorité de Sûreté Nucléaire précise que la fissure s’étend sur 155 millimètres, soit environ le quart de la circonférence de la tuyauterie, et que sa profondeur maximale est de 23 millimètres, pour une épaisseur de tuyauterie de 27 millimètres. En clair, cela signifie que nous n’étions pas loin de la rupture de cette tuyauterie qui aurait eu des conséquences très graves. Il y a donc de sérieuses raisons de s’inquiéter, d’autant que des fissures de même nature sont apparues en même temps sur deux autres réacteurs exploités par EDF.

Comme EDF construit les réacteurs nucléaires par séries, afin de bénéficier d’économies d’échelle, les défauts constatés sur l’un des réacteurs risquent fort de l’être sur les autres réacteurs de la même série. C’est ce qui explique la mise à l’arrêt de la moitié du parc nucléaire pendant plusieurs mois de l’année 2022 et non un complot ourdi en 2011 pour nuire à l’efficacité de la production d’électricité d’origine nucléaire.

La seconde raison expliquant ce déficit de production d’EDF en 2022, c’est le retard pris par l’entreprise pour achever la construction du réacteur de nouvelles générations de type EPR à Flamanville. La décision de construire ce réacteur a été prise en 2004 par le Conseil d’administration d’EDF. Son président François Roussely était pressé de prendre cette décision par Nicolas Sarkozy qui souhaitait, déjà, un nouveau développement de l’énergie nucléaire en France. La construction de ce réacteur a débuté en 2007 pour une livraison prévue en 2011. En 2023 la construction du réacteur de Flamanville 3 n’est toujours pas achevée et sa date de mise en service est repoussée de semestre en semestre. Sa construction devait coûter moins de 4 milliards d’euros ; la facture finale sera de l’ordre de 20 milliards.

La production d’électricité par ce réacteur, encore virtuel lui aussi, d’une puissance de 1600 mégawatts, faisait partie des prévisions de production d’EDF en 2022 et 2023. Son incapacité à livrer dans les délais prévus cet outil de production pèse lourdement dans le bilan global d’EDF.

Cette succession de défaillances de l’électricien national l’a obligé à importer massivement de l’électricité en provenance de l’Union européenne, au moment où l’invasion de l’Ukraine par la Russie provoquait une flambée des prix de l’énergie, notamment du prix de l’électricité. EDF achetait à prix d’or de l’électricité sur les marchés étrangers qu’elle devait revendre à bas prix sur le marché français en raison de la réglementation du marché de l’électricité acceptée par Nicolas Sarkozy et François Fillon en 2010. Pour satisfaire la commission de l’Union européenne et faire comme s’il existait une vraie concurrence sur ce marché en France, le mécanisme de l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH), créé par une loi du 7 décembre 2010, oblige EDF à vendre le quart de sa production environ, soit 100 térawattheures (portés à 120 TWh en 2022 par le gouvernement), à des distributeurs privés qui ne produisent rien mais font du commerce en s’interposant entre le producteur d’électricité et le consommateur.

Ce système parfaitement aberrant est la conséquence de la libéralisation du marché de l’énergie que les gouvernements français successifs ont accepté et voté dans les instances européennes. Il est aussi la conséquence de l’incapacité du gouvernement français à défendre les spécificités de l’organisation de la production électrique en France.

D’autres adaptations viendront encore après la nationalisation récente d’EDF que le gouvernement français devra faire avaliser par la commission de l’Union européenne qui lui imposera de nouvelles conditions.

Enfin, il faudra bien discuter sérieusement, un jour, de la question du coût de l’électricité nucléaire. La Commission de régulation de l’énergie vient d’ailleurs d’indiquer qu’elle allait réviser à la hausse son estimation du coût de production du mégawattheure d’électricité d’origine nucléaire.

Les réacteurs nucléaires construits aujourd’hui produisent une électricité beaucoup plus chère que celle produite par toutes les sources d’énergie renouvelables. C’est sans doute la raison pour laquelle aucun investisseur privé ne veut financer la construction de réacteurs nucléaires, le risque étant beaucoup trop grand lorsqu’il est comparé aux revenus qui peuvent être tirés de cette activité.

C’est pourquoi les pays qui construisent aujourd’hui des réacteurs nucléaires sont principalement des régimes autoritaires. La Chine et la Russie dominent cette industrie au niveau mondial et sont les seuls à construire des réacteurs nucléaires en dehors de leurs frontières, avec EDF qui rencontre dans cet exercice les plus grandes difficultés. En Finlande la construction du réacteur d’Olkiluoto ne s’est pas mieux déroulé que celle du réacteur de Flamanville 3. Ce naufrage industriel a entraîné la faillite d’Areva dont le coût a été supporté par l’État, c’est-à-dire les contribuables, et EDF, c’est-à-dire les consommateurs d’électricité. En effet, le gouvernement a contraint EDF à racheter Framatome qui était une filiale d’Areva. Aucun responsable de ce fiasco qui a couté plusieurs milliards n’a été inquiété.

EDF construit actuellement deux réacteurs de type EPR au Royaume-Uni, à Hinkley-Point. Le démarrage de ces réacteurs était prévu pour 2025 lors de la signature du contrat. Il a déjà été reporté à 2027. Il en résultera une augmentation de la facture d’au moins 3 milliards de livres sterling. Le contrat était fondé sur un prix garanti par le gouvernement britannique qui assurait théoriquement la rentabilité de l’investissement à EDF, sur la base des prévisions initiales de coûts de la construction de ces deux réacteurs. Le gouvernement du Royaume-Uni n’acceptera pas de renégocier ces conditions et les augmentations du coût de la construction diminueront d’autant la rentabilité de l’investissement pour l’électricien français.

Le prix garanti accordé par les Britanniques était d’environ 109€ par mégawatt en monnaie de 2022. Cela donne une indication sérieuse sur le coût réel de production de l’énergie nucléaire. Les coûts de production des énergies renouvelables sont inférieurs de plus de moitié au prix garanti de l’électricité nucléaire accepté par les Britanniques pour Hinkley Point.

Macron peut justifier son choix de développer l’énergie nucléaire par sa volonté de maintenir cette industrie en France, par la préservation des emplois du secteur, par la complémentarité entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire. Il faudra en tout cas qu’il explique pourquoi il choisit un moyen de produire de l’électricité à des coûts supérieurs à ceux des pays concurrents. Et il faut cesser d’expliquer aux Français qu’ils bénéficient de l’électricité la moins chère d’Europe car ce n’est plus vrai.

Dans le monde entier, on ferme plus de réacteurs nucléaires qu’on n’en construit et la part de l’électricité nucléaire dans l’électricité produite dans le monde ne cesse de diminuer. Elle était supérieure à 17% en 1996, elle est inférieure à 10% aujourd’hui. Faut-il en conclure que le monde entier fait preuve d’aveuglement quand la France seule a raison de confirmer, par la voix d’Emmanuel Macron et celle de cette commission d’enquête parlementaire, que l’avenir est dans le développement de l’électricité d’origine nucléaire ?

Je pense plutôt que nos débats politiques s’égarent loin de la réalité, dans un monde virtuel peuplé de chimères que les responsables politiques n’osent pas confronter à la réalité faute d’avoir prise sur elle.

La réalité finit toujours par se venger lorsqu’on l’ignore trop longtemps. C’est pourquoi il est important d’essayer d’y revenir sans cesse et d’essayer de la retrouver derrière le brouillard de la communication gouvernementale.

Jean-François Collin

9 mars 2023

Nous soutenir

Si vous aimez notre travail, c’est par ici !

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

dans la même catégorie...

NOS REVUES

C’est encore mieux version papier.

Lire aussi...

Retraites : le 49.3 de trop ? et après …. le référendum ?

Ajoutez votre titre ici

Intro :

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Nullam at consequat justo. Donec sit amet dui id libero varius suscipit iaculis in enim. Vestibulum in gravida est. Praesent sed nunc condimentum, pharetra ligula non, fermentum eros. In erat dui, vulputate a risus sed, vehicula elementum augue. Aliquam semper augue ipsum, eu blandit neque tincidunt ac. Fusce magna nisi, vehicula at velit eu, placerat dapibus arcu. Aliquam tempor ultricies arcu, ut malesuada ex. Donec sit amet cursus purus. Suspendisse vitae est nunc. Aenean dictum, arcu vitae vulputate auctor, nunc ante laoreet velit, id interdum ligula nisi eget risus. Ut risus risus, lacinia in ornare sed, porttitor in erat. Vestibulum facilisis ex eros, quis vulputate quam ultrices et. Donec nec tortor ullamcorper, faucibus massa sed, ornare lectus. Aliquam pretium nibh quam, a tincidunt orci mollis nec. Orci varius natoque penatibus et magnis dis parturient montes, nascetur ridiculus mus.

Emmanuel Macron et Elisabeth Borne. Photo Sipa/Jacques WITT

Au terme d’un examen chaotique qui aura nécessité l’emploi de la force parlementaire et le recours à toutes les armes constitutionnelles que la Ve République offre à l’exécutif pour contraindre le Parlement, le Gouvernement a déclenché l’emploi de l’article 49§3 de notre Constitution. Se trouve de fait adopté le projet de réforme des retraites sans vote de l’Assemblée nationale.

Les groupes parlementaires ont eu vingt-quatre heures pour déposer une motion de censure. Deux motions ont été déposées, par les groupes Liberté Indépendant Outre-Mer et Territoires (LIOT) et RN. Si chaque motion recueille les signatures d’un dixième au moins des députés (soit 57), elles seront soumises au vote de l’Assemblée la semaine prochaine.

Dans les conditions actuelles il y a toutefois peu de chances de voir ces motions adoptées, même si rien n’est à exclure tant la situation parlementaire semble se déliter d’heure en heure.

Motion de censure ou non, cela n’effacera pas l’affront fait par le Président de la République au peuple français.

Élu par défaut et sans autre projet que d’empêcher l’accession de l’extrême droite au pouvoir, le Président n’a pas pris la mesure de l’étroitesse de sa majorité. Convaincu de pouvoir faire pression sur les députés LR pour faire adopter son texte, il a sous-estimé la force du mouvement social soudé et déterminé, massivement soutenu par les Français. Si la majorité sénatoriale a prolongé l’attente, les députés LR, élus au suffrage universel direct, s’y sont refusés.

Rarement le pays n’a été aussi unanime dans son refus d’une réforme jugée injuste et inéquitable, menée sans aucune concertation, sans aucune volonté de négocier et de transiger, alors que l’exécutif s’était déjà heurté au mur de la rue en 2019 : Emmanuel Macron n’a pas appris de la crise des gilets jaunes et continue à vouloir imposer des réformes sans passer par le dialogue.

Le Président a fait le choix politique d’une épreuve de force dont le principal objectif était d’affermir son autorité durant ce second mandat, qui sera également le dernier.

Si le mouvement social dégénère, le Président ne pourra s’en prendre qu’à lui-même. Et si le calme demain revient, la blessure infligée par cet énième 49§3, auquel les Français refusent de s’habituer, sera si profonde que nous pouvons légitimement nous demander ce qu’il restera à faire de ce quinquennat mort-né. Les choses pourraient aller plus loin encore, à savoir, une remise en cause globale de la Vème république et de ses institutions.

Que faire maintenant ? Faire sauter la Première ministre comme un fusible institutionnel ? Dissoudre l’Assemblée nationale pour rebattre les cartes ? Aucune de ces solutions n’est de nature à apaiser les tensions, et une dissolution aujourd’hui aboutirait, presque mécaniquement, à renforcer la dynamique électorale de l’extrême droite. Il faudra attendre la mobilisation du 23 pour voir quelle direction prendra le mouvement social.

Une solution toutefois permettrait au pays de sortir de ce face-à-face dangereux entre le pouvoir et la rue : le référendum. La nature du projet de loi entre dans les critères de l’article 11 de notre Constitution et permettrait d’enclencher un débat public dans le cadre d’une campagne électorale sur le sujet capital des retraites.

Plus qu’une simple réforme comptable, l’enjeu des retraites est celui du modèle de société que nous voulons, d’une conception collective des différents temps de la vie et du légitime droit au repos de ceux qui ont pris leur part. Dans un monde qui exalte volontiers les vertus individuelles, et notamment l’épargne individuelle, notre système de retraites fondé sur la solidarité intergénérationnelle fait figure d’exception. Une exception qui illustre avec éclat l’idéal de fraternité inscrit dans notre devise.

Peu de chances pourtant que le Président accepte de prendre un tel risque alors que l’opposition au texte se double désormais d’une colère sociale contre un exécutif qui escamote le débat parlementaire pour imposer sa volonté.

Notre système de retraites, pierre angulaire du pacte social de notre pays, mérite pourtant mieux qu’une guérilla juridique et constitutionnelle dont rien, ni personne ne sortira vainqueur et qui contribue à affaiblir encore davantage nos institutions.

Nous soutenir

Si vous aimez notre travail, c’est par ici !

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

Nos autres éditos...

NOS REVUES

C’est encore mieux version papier.

Lire aussi...

Faillite de la SVB : quand la stratégie de hausse des taux des banques centrales trouve ses limites

Ajoutez votre titre ici

Intro :

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Nullam at consequat justo. Donec sit amet dui id libero varius suscipit iaculis in enim. Vestibulum in gravida est. Praesent sed nunc condimentum, pharetra ligula non, fermentum eros. In erat dui, vulputate a risus sed, vehicula elementum augue. Aliquam semper augue ipsum, eu blandit neque tincidunt ac. Fusce magna nisi, vehicula at velit eu, placerat dapibus arcu. Aliquam tempor ultricies arcu, ut malesuada ex. Donec sit amet cursus purus. Suspendisse vitae est nunc. Aenean dictum, arcu vitae vulputate auctor, nunc ante laoreet velit, id interdum ligula nisi eget risus. Ut risus risus, lacinia in ornare sed, porttitor in erat. Vestibulum facilisis ex eros, quis vulputate quam ultrices et. Donec nec tortor ullamcorper, faucibus massa sed, ornare lectus. Aliquam pretium nibh quam, a tincidunt orci mollis nec. Orci varius natoque penatibus et magnis dis parturient montes, nascetur ridiculus mus.

La politique monétariste à la Volcker et le risque d’un « chaos économique et financier »

Depuis le retour de l’inflation, réapparue à l’occasion de la fin de la crise sanitaire, puis renforcée par la guerre en Ukraine et ses conséquences sur le prix de l’énergie et des céréales, les banques centrales ont engagé une politique de hausse de leur taux d’intérêt.

Officiellement, cette hausse était une mesure visant, dans la plus pure tradition monétariste, à contrecarrer l’inflation. Pour les monétaristes, « L’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire », selon l’expression de Milton Friedman, c’est-à-dire la conséquence d’un accroissement trop rapide de la masse monétaire, elle-même permise par un laxisme coupable des banques centrales. Selon cette approche, pour contrecarrer l’inflation il convient de réduire le rythme de création monétaire, c’est-à-dire de limiter le crédit bancaire. Et pour cela, il faut le rendre plus coûteux, donc augmenter les taux d’intérêt.

Lorsque les banques centrales se sont mises à hausser leur taux, un certain nombre d’économistes, plutôt hétérodoxes, ont manifesté leurs craintes que ces hausses ne soient à la fois trop rapides et surtout inefficaces pour combattre le mal qu’elles prétendent résoudre. De fait, entre janvier 2022 et février 2023, le taux d’escompte de la Réserve fédérale (Fed), est passé de 0,25% à 4,75%. Or, rien ne prouve que l’inflation actuelle soit d’origine monétaire, ni qu’elle soit la conséquence d’un excès de demande ou de « l’argent facile ». En réalité, l’inflation post-covid ressemble davantage à une conséquence de la désorganisation de l’offre et des chaines d’approvisionnement. Ainsi, augmenter les taux d’intérêt de manière trop importante pourrait avoir l’effet inverse de celui recherché. En limitant les capacités d’investissement des entreprises on renforce les difficultés de l’offre et on accentue les causes véritables de l’inflation qu’on prétend combattre.

Augmenter ou baisser les taux ? Les objectifs des banques centrales étaient peut-être plus subtils. Le problème avec les interprétations précédentes est que si le but des banques centrales était de lutter contre l’inflation, il était peu probable que des taux d’intérêt à 4,75% puissent y changer quoi que ce soit. En effet, pour évaluer le coût du crédit, ce qui compte n’est pas le taux d’intérêt nominal, mais le taux réel, c’est-à-dire l’écart entre le taux nominal et le taux d’inflation. De fait, pour un monétariste, restreindre l’accès au crédit suppose d’augmenter le taux réel, c’est-à-dire d’établir des taux d’intérêt nominaux à un niveau nettement supérieur au taux d’inflation.

Prenons un exemple historique. À l’époque où les idées de Milton Friedman étaient acceptées comme des vérités indiscutables, au début des années 1980, la Fed, alors sous la présidence de Paul Volcker, avait décidé de monter ses taux d’intérêt jusqu’à 20% alors que l’inflation était à 10%. Cela correspondait à un taux d’intérêt réel de 10%. Or, que constate-t-on aujourd’hui ? Les taux de la Réserve fédérale sont certes à 4,75%, mais l’inflation aux États-Unis était d’environ 6,4% en janvier dernier. Autrement dit, le taux d’intérêt réel qu’impose la Fed est… négatif ! On est donc très loin de la politique de Volcker ! Les hausses de taux étaient en trompe-l’œil et les États-Unis ne sont jamais réellement sortis d’une politique monétaire accommandante. En augmentant ses taux, la Fed a surtout cherché à limiter l’effondrement des taux réels en compensant la hausse de l’inflation par une hausse symétrique des taux directeurs… mais elle a toujours pris soin de les maintenir à un niveau inférieur au seuil d’inflation.

Dans mon livre Déclin en chute du néolibéralisme, dont la rédaction s’est achevée à l’été 2021, je m’étais déjà interrogé sur les conséquences du retour de l’inflation et sur les stratégies des banques centrales. Allaient-elles revenir au monétarisme de Volcker ou garderaient-elles une politique monétaire relativement accommodante ? Voici ce que j’écrivais à l’époque (p. 235) :

« Tant que l’inflation restait faible, les banquiers centraux pouvaient justifier des politiques monétaires expansives au nom de la « réparation » des marchés. À présent que l’inflation resurgit, ils vont devoir choisir entre pratiquer une politique à la Volcker – et provoquer un chaos économique et financier – ou admettre que le monétarisme ne peut plus servir de boussole pour guider leurs actions – ce qui les conduira à tâtonner pour tenter de mener des politiques monétaires pragmatiques. »

Soyons modérément optimistes et parions qu’il y a quelques chances pour que les banques centrales renoncent au dogmatisme.

Pourquoi estimais-je alors qu’une politique monétariste à la Volcker risquait d’engendre un « chaos économique et financier » ? Parce que la situation économique et financière des économies développées n’est plus du tout celle des années 1980. Les politiques de déréglementation financière ont conduit à inventer une multitude de nouveaux instruments financiers qui ont rendu l’endettement plus facile. La conséquence en fut une hausse globale de l’endettement public et privé qui est passé d’environ 150% du PIB à la fin des années 1970 aux États-Unis à plus de 350% du PIB au moment du déclenchement de la crise financière de 2007. Depuis, le taux d’endettement global a légèrement baissé en dépit d’une hausse ponctuelle au moment de la crise Covid (Figure 1).

Figure 1 : endettement sectoriel de l’économie américaine (1954-2022) en % du PIB. Source : Réserve fédérale. 

Ce que démontre ce graphique (la situation est similaire dans les pays européens), c’est que le niveau d’endettement de l’ensemble des secteurs économiques est bien trop élevé pour pouvoir absorber une hausse brutale des taux d’intérêt. La hausse des taux fragilise naturellement les débiteurs, notamment ceux qui empruntent à taux variable, mais aussi ceux qui empruntent à taux fixe et doivent se refinancer. Dans une telle situation, il n’est donc pas possible, non seulement d’avoir des taux d’intérêt réels de 10%, mais même d’aller vers des taux d’intérêt réels positifs.

C’est sans doute la raison pour laquelle les banques centrales ont, de fait, tâtonné, en augmentant leurs taux avec mesure, par paliers, en attendant de voir quand et où cela allait craquer.

Et de fait, l’économie américaine a connu un premier « craquage ». La faillite, le 10 mars dernier, de la Silicon Valley Bank (SVB) est la conséquence directe du renchérissement des taux d’intérêt. La SVB avait investi une grande partie des dépôts de ses clients (beaucoup de start-ups et d’entreprises de la Silicon Valley) en bons du Trésor américains. Or, du fait de la hausse des taux, les obligations achetées à l’époque où les taux d’intérêt étaient faibles ont perdu de la valeur. Du côté des entreprises de la Silicon Valley, les levées de fonds sont devenues plus difficiles en raison des problèmes spécifiques que connaît ce secteur depuis un an et du renchérissement mais aussi de la hausse du coût de l’argent qui a rendu les investisseurs plus frileux. Cet effet ciseaux (moins d’argent frais, et des réserves en obligation dont la valeur se dépréciait), a engendré des pertes pour la SVB qui ont éclaté au grand jour lorsque ses clients ont voulu retirer leurs fonds et que la banque fut contrainte de revendre à pertes les bons du Trésor qu’elle détenait.

Les leçons de la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB)

En fin de compte, trois leçons peuvent être tirées de cet évènement.

La première est que la Fed semble avoir atteint les limites de sa politique de hausse des taux. De ce fait, il est probable qu’elle renonce, dans les mois qui viennent, à poursuivre sa stratégie de restriction monétaire pour éviter que d’autres faillites suivent celle de la SVB. Cela donnera un peu d’air à la BCE qui pourra elle-même alléger sa politique de hausse.

La deuxième leçon, sans doute la plus intéressante, est que les taux actuels restent inférieurs au taux d’inflation. Autrement dit, la « normalisation » des politiques monétaires espérée par les banquiers centraux en 2021 devient impossible. Si d’aventure l’inflation devait baisser franchement, les banquiers centraux seraient sans doute contraints de diminuer à leur tour leurs taux directeurs pour maintenir des taux réels proche de zéro. La politique des taux zéro, qui a marqué les politiques monétaires depuis 2008, n’est donc pas terminée, et on ne voit pas comment elle pourrait se terminer à moyen terme.

La troisième leçon est que la dynamique de « stagnation séculaire » dans laquelle les économies des pays développés s’étaient enfoncées les unes après les autres dans les années post-2008, et qui est caractérisée par des taux d’intérêt nuls, un faible niveau d’investissement et une croissance atone n’est sans doute pas terminée. Certains économistes tel Jean-Baptiste Michau estimaient en 2021 que le retour de l’inflation pourrait permettre d’en finir avec la croissance poussive des années antérieures. Force est de constater que ce n’est pas arrivé. La hausse des taux de profit des entreprises, permise par une inflation supérieure à la hausse des salaires, n’a pas engendré de relance de l’investissement. Et si l’emploi augmente en France, c’est surtout en raison de la diminution de la productivité du travail comme je l’expliquais récemment. La fin des hausses de taux marquerait le renoncement définitif à l’objectif de rebasculer en terrain de taux d’intérêt réels positifs, ce qui implique de renoncer à une rentabilité positive pour de nombreux actifs.

En somme, les économies des pays développées ne parviendront sans doute jamais à revenir à la situation des années 1990-2000, celle du néolibéralisme triomphant. Une époque où les banquiers centraux pouvaient se contenter de surveiller l’inflation et où les taux d’intérêt réels étaient faibles mais positifs. Aujourd’hui, la stabilité du système financier devient leur principale et unique préoccupation. Comme l’explique l’analyste financier Bruno Jacquier au journal Le Monde, « Si demain il y a un risque de voir la stabilité financière remise en cause, l’inflation ne sera plus du tout prioritaire : l’objectif sera de stabiliser le marché interbancaire, pour que les banques continuent de se prêter entre elles en se faisant confiance. Et tant pis si on doit rebaisser les taux et laisser déraper l’inflation. »

Dans le monde qui vient, la régulation de l’économie et de la finance exigera sans doute des interventions continues et massives des autorités publiques au sein des marchés. Les « lois du marchés » devront être de plus en plus contournées pour maintenir le système à flot. Il faudra donc repenser en profondeur le fonctionnement réel de l’économie. Car la réalité semble sortir de plus en plus souvent des modèles et des schémas auxquels les économistes sont habitués.

 

David Cayla

Nous soutenir

Si vous aimez notre travail, c’est par ici !

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

dans la même catégorie...

NOS REVUES

C’est encore mieux version papier.

Lire aussi...

Sombre nuit pour la démocratie parlementaire

Ajoutez votre titre ici

Intro :

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Nullam at consequat justo. Donec sit amet dui id libero varius suscipit iaculis in enim. Vestibulum in gravida est. Praesent sed nunc condimentum, pharetra ligula non, fermentum eros. In erat dui, vulputate a risus sed, vehicula elementum augue. Aliquam semper augue ipsum, eu blandit neque tincidunt ac. Fusce magna nisi, vehicula at velit eu, placerat dapibus arcu. Aliquam tempor ultricies arcu, ut malesuada ex. Donec sit amet cursus purus. Suspendisse vitae est nunc. Aenean dictum, arcu vitae vulputate auctor, nunc ante laoreet velit, id interdum ligula nisi eget risus. Ut risus risus, lacinia in ornare sed, porttitor in erat. Vestibulum facilisis ex eros, quis vulputate quam ultrices et. Donec nec tortor ullamcorper, faucibus massa sed, ornare lectus. Aliquam pretium nibh quam, a tincidunt orci mollis nec. Orci varius natoque penatibus et magnis dis parturient montes, nascetur ridiculus mus.

Article disponible également ici : https://blogs.mediapart.fr/pierre-ouzoulias/blog/080323/sombre-nuit-pour-la-democratie-parlementaire

Tout avait commencé par une mobilisation sociale historique. Des millions de personnes ont défilé dans les rues, partout en France, dans l’Hexagone et dans les territoires ultra-marins, pour dire non à la réforme des retraites défendue par Emmanuel Macron, son gouvernement et les Républicains. Au cœur de la manifestation parisienne, j’ai vu des femmes et des hommes déterminés à se battre pour obtenir le retrait d’un projet de loi qui va contraindre des millions de travailleuses et de travailleurs à travailler deux ans plus. J’ai également discuté avec des primomanifestants, ulcérés par le coup de force intenté par le gouvernement contre les velléités exprimées par le peuple.

Pour tout vous dire, cela faisait bien longtemps que je n’avais pas ressenti une telle puissance dans nos rangs, nous qui sommes, il faut l’admettre, trop souvent relégués du côté des vaincus de l’Histoire. Je n’ai pas la prétention de parler au nom de tous les parlementaires de gauche, mais je pense que ce soulèvement populaire nous a donné énormément de force pour mener la bataille au Parlement. Dans ces occasions, nous ne sommes pas 15, 50, ou 75 dans l’hémicycle. Nous sommes des millions. Nous sommes un peuple uni. 

Hélas, ce moment historique a rapidement été gâché par des pratiques politiciennes avilissantes pour notre démocratie parlementaire.

À l’Assemblée nationale d’abord, où le Garde des sceaux n’a rien trouvé de mieux à faire que d’asséner deux bras d’honneur en direction d’Olivier Marleix, président du groupe Les Républicains, sous prétexte que ce dernier lui aurait manqué de respect, en lui rappelant simplement sa mise en examen. Il aura fallu une suspension de séance, puis les remontrances de la Présidente de l’Assemblée nationale pour que Monsieur Dupont-Moretti daigne s’excuser pour ce geste indigne de sa fonction, lequel aurait certainement contraint le ministre à démissionner séance tenante dans n’importe quelle autre démocratie parlementaire.

Puis le pire s’est produit au Sénat en pleine nuit, durant l’examen de l’article 7 de la réforme des retraites, celui-là même qui intronise le recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans.

Depuis le début des discussions entourant ce projet de loi, nous autres sénateurs communistes, socialistes et écologistes, nous nous battons pied à pied, jour et nuit, pour obtenir le retrait de ce texte et obliger le gouvernement à révéler ses véritables intentions politiques. Nous avions bien entendu identifié que l’un des points d’orgue de cette bataille figurait à l’article 7 du projet de loi et c’est pourquoi nous avions déposé beaucoup d’amendements sur ce sujet, tous concernant le fond de cette réforme, dans le strict respect du règlement du Sénat. Par exemple, nous voulions nous exprimer dans le détail sur les ravages que cette réforme allait faire sur un grand nombre de profession. J’avais prévu pour ma part de mettre en lumière les immenses difficultés rencontrées par les professeurs, les chercheurs, les enseignants-chercheurs et les doctorantes et les doctorants.

Mais il en était trop pour la droite sénatoriale, déterminée à finir le sale boulot entamé par le gouvernement avec l’emploi de l’article 47-1 de la Constitution, lequel limite le temps du débat parlementaire. C’est ainsi que vers 1 h du matin, Bruno Retailleau, en accord avec Gérard Larcher, demanda l’application de l’article 38 du règlement du Sénat (jamais appliqué depuis son intronisation) pour clôturer les explications de vote sur les amendements de suppression, afin d’accélérer la discussion. Un seul orateur par groupe put alors prendre la parole. Nous avons évidemment protesté contre ce coup de force et notre Présidente de groupe, Éliane Assassi, a eu raison de dire que ces agissements témoignaient, au fond, de la faiblesse qui gagnait les rangs de la majorité sénatoriale.

Ce maniement autoritaire du règlement n’était que le premier acte d’une pièce savamment mise en scène par les Républicains et le Gouvernement. Profitant de la suspension de séance qui a suivi l’usage de l’article 38 du règlement, la commission des affaires sociales — dirigée par les Républicains — a pris soin de déposer un amendement de rédaction globale de l’article 7. Pourquoi agir ainsi ? Tout simplement pour faire tomber le millier d’amendements restant à débattre à l’article 7, lesquels devenaient forcément caducs, puisqu’ils ne correspondaient plus au texte en discussion dans l’hémicycle.

Fort heureusement, nos collaborateurs, dont je salue ici l’immense travail et l’intense dévouement, avaient anticipé ce scénario, ce qui leur a permis, en pleine nuit, de déposer des sous-amendements sur le nouvel article 7 issu de la commission des affaires sociales.

Avec les autres groupes de gauche, nous avons ainsi proposé 4000 sous-amendements. 4000 sous-amendements qui furent étudiés et jugés irrecevables en… 45 minutes par la commission des affaires sociales. Les Françaises et les Français ont la réputation d’être parmi les travailleurs les plus productifs du monde, mais il est peu dire qu’ils font pâle figure face à la commission des affaires sociales du Sénat ! Voyez plutôt : 4000 sous-amendements examinés en 45 minutes, cela revient à dire que la commission a traité 88 amendements par minute. Chapeau l’artiste !

Bien évidemment, en réalité, aucun de nos sous-amendements n’a été sérieusement examiné. Les Républicains ont tout simplement renvoyé nos propositions dans les abysses, trop déterminés à en finir avec une discussion qui les dérange.

Dans ces conditions, il n’était plus question pour nous de siéger dans l’hémicycle et donner quitus à ce qui ressemblait à un simulacre de démocratie. C’est suite à notre départ, ainsi que de celui des sénateurs socialistes et écologistes, que la séance a été levée, à 3 h 30 du matin. Les discussions vont reprendre aujourd’hui, à l’article 7, pour lequel il reste 75 amendements à examiner.

N’en déplaise aux défenseurs de cette réforme, notre détermination demeure intacte. Nous ne lâcherons rien, même si les Républicains et le gouvernement, unis dans une même majorité, font de nouveau usage des outils du parlementarisme rationalisé. Nous sommes soudés et je dois dire que je suis honoré de figurer dans cette page de notre histoire aux côtés de mes valeureux collègues que j’aimerais citer ici : Éliane Assassi, Présidente de notre groupe, Cathy Apourceau-Poly, Jérémy Bacchi, Éric Bocquet, Céline Brulin, Laurence Cohen, Cécile Cukierman, Fabien Gay, Michelle Gréaume, Gérard Lahellec, Pierre Laurent, Marie-Noëlle Lienemann, Pascal Savoldelli et Marie-Claude Varaillas.

Si le gouvernement et les Républicains n’ont pas été dignes de notre démocratie parlementaire, nous ferons toujours en sorte d’être dignes des aspirations exprimées par les millions de personnes qui manifestent depuis plusieurs semaines.

Nous soutenir

Si vous aimez notre travail, c’est par ici !

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

dans la même catégorie...

NOS REVUES

C’est encore mieux version papier.

Lire aussi...

Que se cache t’il derrière nos assiettes ? Entretien avec le Professeur Dechelotte

Ajoutez votre titre ici

Intro :

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Nullam at consequat justo. Donec sit amet dui id libero varius suscipit iaculis in enim. Vestibulum in gravida est. Praesent sed nunc condimentum, pharetra ligula non, fermentum eros. In erat dui, vulputate a risus sed, vehicula elementum augue. Aliquam semper augue ipsum, eu blandit neque tincidunt ac. Fusce magna nisi, vehicula at velit eu, placerat dapibus arcu. Aliquam tempor ultricies arcu, ut malesuada ex. Donec sit amet cursus purus. Suspendisse vitae est nunc. Aenean dictum, arcu vitae vulputate auctor, nunc ante laoreet velit, id interdum ligula nisi eget risus. Ut risus risus, lacinia in ornare sed, porttitor in erat. Vestibulum facilisis ex eros, quis vulputate quam ultrices et. Donec nec tortor ullamcorper, faucibus massa sed, ornare lectus. Aliquam pretium nibh quam, a tincidunt orci mollis nec. Orci varius natoque penatibus et magnis dis parturient montes, nascetur ridiculus mus.

LTR : Nous ne mangeons pas comme nos grands-parents, ni même comme nos parents. Quelles sont selon vous les origines des évolutions de nos pratiques alimentaires ?
Professeur Dechelotte :

Il y a eu d’importantes évolutions ces cinquante dernières années dans nos modes de vie et les raisons qui nous ont poussé à changer nos pratiques alimentaires sont multiples.

D’abord il y a l’urbanisation. Celle-ci a entraîné un approvisionnement différent et externalisé, éloigné du modèle traditionnel (représenté par le potager familial) vers des productions qui viennent d’ailleurs. Ensuite il y a l’évolution de la place des femmes dans la société. Responsables de la préparation des différents repas de la journée (c’est d’ailleurs toujours le cas actuellement bien que ça soit dans des proportions moindres), leur accès désormais totalement acquis au travail et à l’emploi a nécessité des adaptations.

Les modes de déplacement ont aussi des conséquences : les trajets, notamment pour aller travailler, sont plus longs. Ce qui diminue d’autant le temps pour cuisiner.

La ressource alimentaire change aussi, avec des repas « prêt à manger ». La structure du repas est également malmenée par les horaires et l’intrusion des écrans dans le seul repas du soir où les familles ont aujourd’hui la possibilité de se retrouver.

Enfin, la mécanisation et l’automatisation, donc moins de trajets à pied et à vélos, et la sédentarisation des populations se sont accrues sur les 40 dernières années : sur cette période, la ration énergétique a diminué mais la dépense énergétique a encore plus diminué.

Ainsi, nous sommes passés d’un approvisionnement en matière première brute de proximité à une matière première pré-épluchée, surgelée puis de plus en plus transformée, voire ultra-transformé(1). Nous nous sommes éloignés de la matière première ce qui aboutit à des ajouts de conservateurs, d’arômes, de sel qui sont nécessaires à la conservation(2).

LTR : Quelles maladies et dérèglements apparaissent avec ces nouveaux modes d’alimentation ?
Pr. D :

Aujourd’hui, dans l’Hexagone comme dans les Départements, Régions et Collectivités d’Outre mer, les indices de masses corporelles qui sont les plus fréquemment identifiés dans les populations se situent entre 25 et 30 IMC(3) ce qui suppose du surpoids et de l’obésité.

Les raisons de l’obésité sont multiples :

  • L’augmentation des troubles du comportement alimentaire : anorexie, boulimie, hippophagie, etc. Les risques de devenir obèse quand ces troubles nous touchent jeune sont plus élevées ;
  • Le changement de rythme alimentaire : la suppression et l’omission du petit déjeuner peut amener des comportements de rattrapage au travers du grignotage ;
  • La sédentarisation qui fait que l’on se dépense moins.
  • Le mode de vie citadin comporte plus de risques de développement de l’obésité, du fait d’une vie plus stressante et une pression du résultat que l’on subit souvent au travail. Le stress va créer des rattrapages alimentaires comme l’alcool et l’écran, ou encore les cyber-addictions qui vont favoriser la surconsommation.
  • Le développement des problèmes de la tachyphagie qui entraîne le besoin de manger plus rapidement ;
  • Les repas plus denses, gras et sucré dont l’offre s’est développée ces dernières années ;
  • Des facteurs systémiques : le stress et l’anxiété favorisent le rattrapage alimentaire ;
  • Développement de la sédentarisation : on se dépense de moins en moins, il est donc difficile d’éponger l’excédent calorique.

Le système de marché ouvert et l’immense offre alimentaire, les promotions et portions XXL, et les boissons sucrées ne sont pas pas non plus sans conséquences. Le consommateur a théoriquement le choix avec plus de publicités et de grandes fréquences de consommations sur certains aliments. Il y une « schizophrénie » entre ce qu’on va réellement consommer et ce qu’on consomme réellement.

La personne qui est responsable des achats dans le ménage est sollicitée par des promotions à tout va, du conditionnement et du « portionnage » d’aliments. Les achats dans les différents magasins vont parfois au-delà de la liste de courses fixée au départ et donc des réels besoins du ménage. Les ménages vont donc acheter des produits inutiles. Il y a un aspect culture culinaire à retrouver ou à développer.

Cependant, à force de rajouter des éléments pour transformer les aliments avec des composants inutiles – qui sont sources de ballonnements, les risques de toxi-infection augmentent notamment avec des manques en termes de contrôles et de suivis des produits tels que les cas de salmonelles qui ont fait la une des journaux il y a quelques temps. De plus, les densités énergétiques sont modifiées. L’utilisation fréquente de ces aliments, notamment très gras, augmente les troubles dépressifs, et la capacité à développer des maladies au long terme. Par exemple, l’augmentation fréquente d’alimentation de viande rouge créé plus de risques d’avoir des cancers.

Il y a aussi une corrélation entre la consommation d’écran et l’IMC. En effet, les personnes vont regarder davantage la télévision jusqu’à tard le soir, puis se lever tard et sauter le petit-déjeuner. Elles vont aussi bouger moins, prendre davantage l’ascenseur, la voiture, la trottinette afin de respecter leurs horaires de travail. Tout cela va conduire à plus de grignotage et moins de repas équilibrés.

Une conséquence importante de tout ce que je viens de mentionner, c’est l’évolution de nos éléments hormonaux, notamment au niveau du microbiote intestinal qui se déséquilibre, par l’inflation du tissue adipeux et la favorisation de la dépression et des comportements alimentaires compulsifs.

LTR : Existe-t-il des différences entre les modes alimentaires d’une même société ?
Pr. D :

Nos modèles alimentaires sont différents selon les régions et le milieu social. Les personnes vivant en milieu rural, par exemple, auront davantage la possibilité de prendre le déjeuner chez elles le midi. Le nord de l’Hexagone et les DROM-COM sont plus touchés par l’obésité. On observe aussi des différences entre les Catégories Sociaux Professionnelles (CSP) et entre les générations.

Chez les jeunes cadres, on constate une forte réduction des repas pris à la maison le midi ainsi que les repas préparés à la maison le soir. Ils consomment davantage des repas près à emporter et livrés à la maison (les fameux take-away qui sont fabriqués sur place sachant que les nourritures à emporter sont souvent pré-transformés). Tout cela expose au risque de monotonie alimentaire. En effet, les éléments de base des plats à emporter sont souvent déjà transformés. Il faut savoir que les galettes de préparations carnées sont rarement de la viande hachée brute mais contiennent beaucoup de gras et des morceaux de moindre qualité auxquels sont ajoutés des conservateurs. La fabrication à partir de produit brut est devenu un luxe. Cela pose un vrai problème.

Enfin, il y a un rapport entre alimentation et classes sociales puisque l’on constate que plus vous êtes dans le bas de la pyramide des catégories sociales professionnelles (CSP), plus la consommation de produit « très transformés » va augmenter. A l’inverse, plus vous êtes dans une CSP proche du haut de la pyramide, plus vous pouvez accéder à de la nourriture de qualité car elle est souvent plus chère. La malbouffe et le risque d’obésité sont donc plus répandus dans les CSP les moins favorisés(4).  

On peut évoquer quelques facteurs socio-économiques qui explique cela :

  • Une tradition du « manger riche » et de certaines modes de préparation traditionnels avec la friture et l’utilisation de matières grasses qui ne sont plus adaptés à la vie moderne et notre sédentarité ;
  • L’accès à l’éducation, et le niveau d’étude : des études plus courtes entraînent un moindre temps d’exposition aux messages de santé publique et une plus grande vulnérabilité à la pression commerciale.
LTR : Un changement total de paradigme, notamment au niveau de l’agroalimentaire, est-il nécessaire pour remédier à ces inégalités alimentaires dans le futur ?
Pr. D :

Il y a des initiatives intéressantes : des ateliers de cuisine, de la sensibilisation réalisée autour du métier de boucher, le nutri-score, etc… Ce dernier permet de se rendre compte de la qualité nutritionnelle d’un produit qui donne au consommateur des indications sur la qualité d’un produit, en comparaison des autres produits de la même catégorie.

Il faut aussi restructurer les repas, pour anticiper la préparation du repas du soir et réinstaurer un moment de partage en famille, par exemple en préparant ensemble la nourriture, en ne mangeant pas devant des écrans. C’est beaucoup de petites choses mises bout à bout qui permettront d’éviter certains comportements alimentaires et d’anticiper des choix évitant la consommation d’aliments transformés.

Il y a aussi les populations et groupes sociologiques qui sont plus vulnérables à la mise à disposition de produits nutritionnels médiocres. Des équipes de laborantins marseillais ont récemment prouvé que c’est possible de manger équilibré avec des petits budgets.

Des premières indications peuvent être données :

  • L’augmentation de la consommation de légumineuses, qui ont été déclassé dans le modèle collectif et qui sont très peu chères malgré leur richesse en micro-nutriments ;
  • Ne plus chercher un côté « glamour » dans l’alimentation ;
  • Arrêter de manger de la viande rouge deux fois par jour et diversifier son alimentation.

Avec la prise de conscience actuelle des citoyens et des pouvoirs publics, nous sommes sur la bonne voie.Il faut maintenant insister sur la nécessité d’une éducation alimentaire centré sur le bien-être.

Références

(1)Plats préparés et de produits transformés : légumes déjà coupés ou des pommes de terre en purée. Inexistante en 1960, la consommation de légumes coupés ou emballés s’est fortement développée depuis les années 1990 alors que celle de légumes non transformés reste stable. Depuis 1960, la consommation de plats préparés s’accroît de 4,4 % par an en volume par habitant (contre + 1,2 % pour l’ensemble de la consommation alimentaire à domicile). La réduction du temps de préparation des repas à domicile (- 25 % entre 1986 et 2010) profitent notamment à des produits faciles d’emploi, tels que les pizzas ou les desserts lactés frais.

(2)En effet, historiquement, le modèle agricole et alimentaire européen a grandement changé depuis les années 50 (voir article sur la Politique agricole commune). Le développement des supermarchés, la mécanisation agricole et le développement des industries agroalimentaires modifient profondément notre rapport à l’alimentation. Les ménages consomment de plus en plus de plats préparés par exemple, ou de produits transformés. La recherche de praticité pour répondre aux changements de modes de vie (travail, vie familiale, lieu des courses, etc.) se fait au détriment des produits bruts et surtout d’une réduction du temps de préparation des repas à domicile.

(3) Ipsos ? En 2012, 61% des 15-25ans mangent devant un écran télé ou ordinateur.

(4)Pour les ménages peu aisés, le panier comporte davantage de pain et céréales, mais moins de poisson, de boissons alcoolisées, de fruits, et légèrement moins de viande. Celui d’un ménage plus âgé comprend davantage de viande, de poisson, de fruits et légumes, mais moins de boissons alcoolisées et de plats préparés. Le panier d’un agriculteur contient moins de légumes et de boissons alcoolisées en raison d’une autoconsommation élevée de ces produits. Il inclut également moins de poisson, mais plus de pain et céréales. Un ménage habitant en milieu rural achète moins de fruits et légumes qu’un ménage parisien. Enfin, la présence d’un enfant au sein du ménage conduit à consommer plus de viande, de produits laitiers et de légumes, mais relativement moins de boissons alcoolisées. Par ailleurs, hors domicile (restaurants, débits de boissons, cantines, etc.), de fortes disparités de dépenses existent : les ménages dont la personne de référence est cadre ou exerce une profession libérale, a moins de 35 ans, habite une grande ville ou a un niveau de vie élevé, y consacrent une plus grande part de leur budget.

Nous soutenir

Si vous aimez notre travail, c’est par ici !

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

dans la même catégorie...

NOS REVUES

C’est encore mieux version papier.

Lire aussi...

Une néofasciste au pouvoir : une histoire démocratique italienne (partie 2)

Ajoutez votre titre ici

Intro :

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Nullam at consequat justo. Donec sit amet dui id libero varius suscipit iaculis in enim. Vestibulum in gravida est. Praesent sed nunc condimentum, pharetra ligula non, fermentum eros. In erat dui, vulputate a risus sed, vehicula elementum augue. Aliquam semper augue ipsum, eu blandit neque tincidunt ac. Fusce magna nisi, vehicula at velit eu, placerat dapibus arcu. Aliquam tempor ultricies arcu, ut malesuada ex. Donec sit amet cursus purus. Suspendisse vitae est nunc. Aenean dictum, arcu vitae vulputate auctor, nunc ante laoreet velit, id interdum ligula nisi eget risus. Ut risus risus, lacinia in ornare sed, porttitor in erat. Vestibulum facilisis ex eros, quis vulputate quam ultrices et. Donec nec tortor ullamcorper, faucibus massa sed, ornare lectus. Aliquam pretium nibh quam, a tincidunt orci mollis nec. Orci varius natoque penatibus et magnis dis parturient montes, nascetur ridiculus mus.

Enrico Berlinguer, secrétaire général du Parti Communiste italien, et Aldo Moro, Président de la Démocratie Chrétienne, artisans du « Compromis historique » © Crédits photos

Chronique et perspectives de la gauche italienne
Années de rêves et années de plomb : l’impossible conquête du pouvoir de la gauche

La question de la prise du pouvoir par la gauche et du gouvernement qu’elle devait mener s’est posée dès la Libération. Dans un contexte d’affirmation et d’hégémonie de la Démocratie chrétienne sur la politique italienne, le rapport que devait entretenir la gauche au grand parti centriste après la fin de la coopération sous le gouvernement provisoire s’est avéré être le principal enjeu de stratégie et de débats au sein de la gauche italienne.

Le PSDI a scissionné du PSIUP précisément pour s’éloigner du PCI et pour soutenir les démocrates-chrétiens. Le PSIUP, redevenu PSI après la scission de son aile droite pour former le PSDI, maintient dans un premier temps sa proximité avec le PCI et fait donc le choix de rester dans l’opposition. Compte tenu de la division du camp réformiste entre un PSDI social-démocrate et un PSI réformiste se revendiquant toujours du marxisme, le PCI s’affirme comme le grand parti de la gauche italienne de l’après-guerre.

L’affirmation de l’aile conservatrice de la DC en lieu et place de la politique centriste et timidement réformiste que De Gasperi avait tenté de promouvoir a quant à elle pour corolaire une montée du cléricalisme dans la société italienne, que De Gasperi avait à l’inverse précisément essayé de freiner. Ainsi se développe une censure affectant les spectacles et publications intellectuelles jugés « contraires aux bonnes mœurs », frappant également le cinéma italien. C’est ainsi que le jeune Secrétaire d’État Giuilo Andreotti, dirigeant l’Office central pour le cinéma, contrôle les œuvres cinématographiques contre les « erreurs dogmatiques » ou la nudité. En 1949, Andreotti est promoteur d’une loi censée ralentir la pénétration du cinéma américain en Italie en établissement des quotas sur les écrans de cinéma italiens et en octroyant des prêts spéciaux pour les sociétés de production italiennes. Néanmoins, pour pouvoir souscrire à un de ces prêts, il est nécessaire de soumettre le scénario du film en production à un comité dépendant du gouvernement, qui doit ensuite l’approuver pour autoriser le prêt. Le but de ce comité est de favoriser les films apolitiques et donc de freiner le mouvement cinématographique du néoréalisme, alors en pleine émergence et politiquement engagé à gauche. Cette politique n’est pas sans soulever de résistances, y compris au sein de la DC du côté de l’aile gauche.

Dans ce contexte, le PSI, fragilisé par son alliance avec le PCI compte tenu du début de la guerre froide, prend progressivement ses distances avec celui-ci pour se rapprocher de l’aile gauche de la DC. Cela se caractérise notamment par la présentation d’une liste PSI autonome menée par son secrétaire général Pietro Nenni aux élections générales de 1953, alors que le PSIUP et le PCI avaient auparavant mené une liste commune en 1948. Cette main tendue du PSI est favorablement accueillie par l’aile gauche de la DC, qui souhaite un recentrage du régime italien vers la gauche. Cette tendance progressiste de la DC est notamment incarnée par Amintore Fanfani et Aldo Moro, le premier étant un universitaire spécialiste d’Histoire économique et partisan d’un rôle interventionniste de l’État dans l’économie. Les entreprises d’État mènent au même moment une offensive politique par crainte de se voir privatisées par le gouvernement. Ce climat général aboutit à une victoire de l’aile gauche de la DC lors de son congrès de Naples en 1954, Fanfani prenant dès lors la direction du parti.

La mort du pape Pie XII en 1958 et l’élection de son successeur Jean XXIII, plus ouvert que son prédécesseur et disposant d’une fibre sociale marquée compte tenu de ses origines modestes, accélère le processus du glissement vers la gauche de la DC. Ainsi Jean XXIII publie en 1961 une encyclique intitulée Mater et Magistra, critique vis-à-vis du libéralisme et favorable à des mesures sociales dans le sillage de la doctrine sociale de l’Église. La gauche gagne quant à elle du terrain dans les territoires au début des années 1960. Se constituent à cette époque des juntes municipales dans de grandes villes industrielles comme Milan, Gênes ou Florence, dirigées par des coalitions menées par les partis de gauche.

En 1962, Fanfani, alors Président du Conseil, nomme un gouvernement excluant les libéraux du Parti Libéral Italien (PLI) et l’aile droite de la DC. Le PSI accueille favorablement ce signal et le manifeste par une abstention lors du vote de confiance au parlement en lieu et place d’un vote d’opposition. Les socialistes valident en effet le programme présenté par Fanfani, incluant notamment la création de gouvernements régionaux – mesure prévue dans la Constitution se voulant décentralisatrice mais ayant dans la pratique continuellement été repoussée aux calendes grecques –, le développement et la démocratisation de l’école, la nationalisation des industries électriques et une planification économique. Les élections générales de 1963 sanctionnent toutefois cette évolution vers la gauche : le DC subit un net recul tandis que le PLI double son score. C’est vers ce dernier que s’est reportée une partie des traditionnels électeurs de droite de la DC, ainsi que vers le MSI. Fanfani, prenant acte de cet échec électoral, décide de démissionner. Après une brève période de transition, il est remplacé par Aldo Moro, qui décide d’associer le PSI au gouvernement. Pietro Nenni se voit ainsi attribuer la vice-présidence du Conseil.

Le gouvernement Moro dure quatre ans et demi, ce qui constitue à l’époque un record de longévité. Il réalise une bonne partie du programme qui avait été présenté par Fanfani : l’électricité est nationalisée, un plan quinquennal est lancé en 1966 à la demande de Nenni, le métayage est aboli (il n’est désormais plus possible pour les patrons agricoles de retenir prisonniers leurs salariés en renouvelant leurs contrats de facto) tandis que la censure est supprimée. Une vaste opération anti-mafia est également menée, laquelle abouti à l’arrestation de plusieurs parrains. La participation du PSI au gouvernement de la DC suscite néanmoins des remous au sein de son aile gauche. Une scission a ainsi lieu en 1964, une partie de l’aile gauche décidant de quitter le parti pour fonder un nouveau PSIUP, lequel sera toutefois voué à la marginalité politique. De même, l’aile droite de la DC s’agace de ce basculement du grand parti centriste vers la gauche et les partisans de Scelba et Pella ne votent la confiance au gouvernement Moro qu’après avoir exprimé de fortes réticences et sous la menace de sanctions disciplinaires. Malgré des dissensions entre démocrates-chrétiens et socialistes dans le domaine confessionnel – notamment concernant le statut des écoles catholiques privées –, la coalition tient et est même relativement soutenue par l’Église. Ce n’est qu’à partir de 1965 et sous l’influence du nouveau pape Paul VI, plus conservateur que Jean XXIII, que le clergé prend ses distances avec le gouvernement pour renouer avec la frange conservatrice de la DC, notamment suite au projet de loi concernant le divorce.

Si le PSDI puis le PSI s’engagent dans la voie de la coopération avec la frange progressiste de la DC, le PCI fait à l’inverse le choix de l’opposition. Le contexte économique de l’après-guerre et de la reconstruction est en effet très dur sur le plan social, particulièrement dans le sud du pays. L’absence de travail conduit des centaines de milliers d’Italiens à émigrer vers l’étranger ou à venir travailler dans le nord de la péninsule. Un certain nombre d’Italiens du sud montent ainsi dans le nord pour se faire embaucher dans les usines des grandes villes industrielles, notamment à Turin. Ces ouvriers sont soumis à une très forte précarité et sont souvent sans logements, s’entassant dans les gares pour dormir. Outre leur précarité, ils sont également soumis à une ségrégation de la part des Italiens du nord, les propriétaires immobiliers refusant souvent de louer des chambres à des Italiens méridionaux et n’hésitant pas à l’inscrire sur leurs pancartes de location. Cette précarité débouche logiquement sur une forte agitation sociale et sur une montée en puissance progressive du PCI, qui augmente constamment ses scores aux élections générales.

Ces contestations se voient naturellement attisées par l’agitation sociale de 1968. Le mouvement de 1968 a commencé en février en Italie. S’il ne s’est pas caractérisé par un mois de blocage complet de la péninsule comme cela a pu être le cas en France, il s’est en revanche structurée de façon plus éparse mais plus longue pour culminer en 1969. On parle ainsi en Italie de « mai rampant », par analogie avec le mai français, de façon à désigner un phénomène s’étant structuré de façon plus longue mais dont la durée et l’intensité ont été bien plus importantes. De grandes grèves ont ainsi lieu à l’automne 1969 et sont soutenues par le monde étudiant. Contrairement à la France, où les mobilisations étudiantes et ouvrières s’étaient effectuées de façon séparée en mai 68, l’Italie voit une jonction s’effectuer entre les deux mondes. La radicalité de ces contestations est également stimulée par l’université de Trente et ses travaux en sciences sociales, considérés comme une matrice de la radicalisation du mouvement ouvrier. Cette radicalité se fait sentir dans les usines Fiat et Siemens, dont l’occupation est très longue et dont les ouvriers contestent leurs syndicats, les considérant trop enclins au dialogue avec le patronat et n’étant pas assez portés sur l’action concrète. Le PCI reste prudent vis-à-vis de ces mouvements, du fait d’un fossé générationnel entre ses cadres et les ouvriers en grève souvent plus jeunes.

Le 12 décembre 1969 a lieu dans le centre de Milan un attentat à la bombe, dans le hall de la Banque Nationale de l’Agriculture sur la Piazza Fontana. Si cet attentat porte, par son exécution à l’aveugle et par la bombe, les marques du terrorisme néofasciste, il est attribué par le pouvoir démocrate-chrétien à la gauche compte tenu de l’agitation sociale. Plusieurs responsables syndicaux sont ainsi arrêtés. Cet attentat est suivi de divers autres à partir de 1970. C’est dans ce contexte que naissent en octobre 1970 les Brigades rouges, groupe terroriste d’extrême-gauche ayant pris acte du fait qu’une force ennemie s’opposait à l’agitation sociale et souhaitant ainsi répondre à ces attentats effectués par l’extrême-droite. La philosophie d’action des Brigades rouges conçoit en fait celle-ci comme un prolongement des mouvements de sabotages effectués dans les usines lors des grèves, transposé dans le cadre d’une lutte armée contre le pouvoir en place. L’idée s’est développée chez cette frange de la gauche que le vote ne payait pas, comme en attestait alors le gouvernement continu des démocrates-chrétiens depuis la Libération malgré les élections et malgré les mouvements sociaux. Il faut selon eux dès lors prendre le fusil et renverser ce faisant le sens de l’autorité. Ce ne doit plus être à l’ouvrier de craindre le patron ou le contre-maître, mais au contre-maître et au patron de craindre l’ouvrier si celui-ci n’est pas correctement traité. Les Brigades rouges se font connaître par des opérations de séquestrations dans les usines, se mettant en scène en prenant en photo le patron séquestré avec un fusil pointé sur la tempe et tenu par un ouvrier.

Le coup d’État du général Augusto Pinochet au Chili le 11 septembre 1973 acte la séparation entre le PCI et les groupes terroristes d’extrême-gauche. Le PCI arrive en effet à la conclusion qu’une prise de pouvoir démocratique par la gauche est impossible, puisque même si celle-ci gagnait les élections elle se verrait écrasée par l’armée comme ce fut le cas au Chili. La seule possibilité pour la gauche de parvenir à transformer la condition des plus démunis est dès lors de coopérer avec le pouvoir en place, comme l’avaient précédemment fait le PSDI puis le PSI. Ce revirement stratégique du PCI est lancé par son secrétaire d’alors Enrico Berlinguer. C’est le début de la période dite du « compromis historique » entre le PCI et la DC, jusqu’alors adversaires jurés.

L’extrême-gauche terroriste tire toutefois précisément les conclusions inverses du coup d’État chilien : si la démocratie est un combat vain pour la gauche puisque celle-ci se voit écrasée quand bien même elle remporte les élections, il faut au contraire intensifier la lutte armée pour faire tomber le régime en place et réaliser ainsi la révolution. Les terroristes sont effarés par le revirement stratégique du PCI, percevant leur projet d’alliance avec la DC comme contre-nature et vaine entre patronat et ouvriers. Leur séparation du PCI devient définitive lorsque celui-ci, dans l’optique de son recentrage, accepte la trêve syndicale demandée par Agnelli, le patron de Fiat, pour pouvoir restructurer ses usines. Cette restructuration se solde par une vague de licenciements, confortant les groupes terroristes dans l’idée que le revirement stratégique du PCI est édifiant. Les Brigades rouges identifient 3 cibles à abattre : le pouvoir politique (incarné par la toute-puissante Démocratie chrétienne), le pouvoir économique (incarné par le patronat et par le monde de la finance) et le pouvoir militaire (comprenant naturellement l’armée, mais également les forces de police et la justice).

S’ouvre dès lors une décennie de terreur, caractérisée par des enlèvements, des demandes de rançons, des meurtres, tandis que les néofascistes, dans le sillage de l’attentat de Piazza Fontana, mènent de leur côté leur propre campagne de terreur et d’attentats à la bombe pour brouiller les pistes et faire endosser la responsabilité de leurs exactions aux groupes d’extrême-gauche. Ce sont les « Années de Plomb ». Les mouvements néofascistes sont pour partie instrumentalisés par l’État italien pour servir celui-ci et les intérêts américains. Les États-Unis de Richard Nixon et Henry Kissinger ne veulent pas d’un PCI au pouvoir dans un pays clé sur le plan géostratégique – l’Italie étant frontalière de la Yougoslavie et proche de l’Albanie, toutes deux communistes – et voient de ce fait d’un très mauvais œil la poussée électorale continue du PCI depuis la Libération. Les services secrets alimentent ainsi une « stratégie de la tension », visant à semer le trouble par les attentats pour en faire endosser la responsabilité à l’extrême-gauche, mais également pour favoriser une réponse politique de type autoritaire voire un coup d’État, dans le but d’éradiquer l’opposition de gauche. Une officine secrète du nom de Gladio, créée dans les années 1950 par la CIA et par les services secrets italiens, est à cette fin utilisée. Il s’agit d’un groupe paramilitaire secret animé par des généraux italiens et financé par les États-Unis. Ces généraux sont des stay behind chargés de maintenir au besoin l’ordre social et de prévenir une tentative de coup d’État communiste ou une prise de pouvoir du PCI en ripostant immédiatement sur le plan militaire. Les services italiens et américains font également appel à d’anciens cadres du parti fasciste. C’est notamment le cas du Prince Noir Junio Valerio Borghese, associé par Gladio à un projet de coup d’État du même type que celui des colonels en Grèce. Celui-ci est prévu dans la nuit du 7 au 8 décembre 1970 mais est subitement annulé par Borghese lui-même cette nuit alors qu’il est déjà à un stade d’exécution avancé. Les raisons de ce contrordre n’ont jamais été élucidées, même si l’une des hypothèses est que Borghese se serait rendu compte in extremis que ce projet auquel on l’avait associé était un piège : immédiatement réprimé par les forces de l’ordre informées du projet, le coup d’État aurait eu vocation à être fictif et à servir de prétexte, une fois maté, pour promulguer des lois spéciales et asseoir encore davantage le pouvoir de la DC. Parmi les attentats néofascistes à la bombe, on peut notamment citer l’attentat de la piazza della Loggia du 28 mai 1974 à Brescia, ayant fait 8 morts et 103 blessés suite à l’explosion d’une bombe cachée dans une poubelle en pleine manifestation syndicale ; l’attentat du train de nuit Italicus du 4 août 1974, ayant fait 12 morts et 48 blessés suite à l’explosion à 1h23 du matin d’une bombe préalablement déposée dans la cinquième voiture, ou encore l’attentat de la gare de Bologne en 1980, ayant fait 85 morts et 200 blessés.

Le PCI, mené par Berlinguer, amorce quant à lui un rapprochement progressif avec la DC. Il se sépare ainsi de l’URSS pour adopter aux côtés du PCE espagnol et du PCF la stratégie dite de l’eurocommunisme, consistant à proposer une offre politique de transformation du capitalisme distincte du communisme soviétique. Une rencontre a ainsi lieu à Madrid en 1977 entre Enrico Berlinguer, l’Espagnol Santiago Carillo et le Français Georges Marchais. Cette stratégie s’avère payante, le PCI poursuivant sa poussée électorale et atteignant plus de 34% des suffrages aux élections générales de 1976, tandis que le PSI s’écroule à moins de 10% des voix. La DC demeure quant à elle en tête à 38% mais est alors en perte d’influence et son score constitue un recul, payant notamment l’échec de son référendum sur l’abrogation du divorce, contre lequel les Italiens se sont massivement prononcés. Dans ce contexte, Aldo Moro, alors secrétaire général de la DC, se montre partisan d’une entrée progressive des communistes au gouvernement, tout comme il l’avait précédemment été avec le PSI dans les années 1960. Les communistes, de leur côté, accueillent le nouveau gouvernement, mené par le démocrate-chrétien conservateur Giulio Andreotti, par une abstention favorable lors du vote d’investiture. C’est la première étape du compromis historique tel que pensé par Moro.

Mais le 16 mars 1978, Moro est enlevé alors qu’il est en route pour la Chambre des Députés, au sein de laquelle doit se tenir le vote de confiance du nouveau gouvernement Andreotti, devant pour la première fois bénéficier du soutien des communistes en vue de leur intégration du gouvernement. Un commando des Brigades rouges attaque la voiture de Moro au niveau de la rue Mario Fani de Rome et assassine froidement les cinq gardes du corps pour s’emparer ensuite du secrétaire général de la DC. Les Brigades rouges séquestrent Moro et proposent de l’épargner en échange de la libération de plusieurs de leurs camarades alors emprisonnés. L’État italien, ainsi que le pape Paul VI, refusent de négocier, demandant une libération de Moro sans conditions, tandis que le PCI doit se résoudre à voter la confiance au gouvernement Andreotti dans une optique d’unité nationale face à ce drame, sans entrer au gouvernement. Moro écrit pendant cette période plusieurs lettres aux principaux dirigeants de la DC ainsi qu’au pape pour les sommer de satisfaire les revendications de ses geôliers, sans que cela ne fasse changer d’avis le pouvoir quant à l’attitude à adopter face aux Brigades rouges. Le corps de Moro est finalement retrouvé sans vie et criblé de 12 balles dans la poitrine dans le coffre d’une 4L stationnée via Caetani, à l’issue de 55 jours de détention.  Il est aujourd’hui établi que le gouvernement italien, conseillé par des fonctionnaires américains, a délibérément fait échouer les négociations, comme cela fut notamment confirmé par Steve Pieczenik, psychiatre américain nommé par le Département d’État des États-Unis auprès du ministre italien de l’Intérieur Francesco Cossiga pour court-circuiter les négociations afin de maintenir la stabilité politique en Italie, avec comme recours éventuel de sacrifier Moro pour s’assurer que les communistes n’intègrent pas le gouvernement.

Le PCI se voit dès lors condamné à soutenir le gouvernement conservateur d’Andreotti sans pouvoir l’intégrer et sans qu’aucune réforme sociale concrète ne puisse avoir lieu, ce qui lui coûte de retomber à 30% aux élections générales de 1979, puis à un peu plus de 29% à celles de 1983.

Le monopole de la DC du pouvoir politique s’atténue toutefois avec l’accession à la Présidence de la République du socialiste et ancien résistant Sandro Pertini en 1978. Conscient du blocage politique auquel la République italienne se trouve soumise depuis ses débuts compte tenu du monopole du pouvoir de la DC en dépit de ses basculements de coalition tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche, Pertini cherche à favoriser une accession au pouvoir d’autres forces politiques. Ainsi nomme-t-il à la Présidence du Conseil en 1981 à l’issue d’une importante crise ministérielle Giovanni Spadolini, ancien directeur du Corriere della Sera devenu secrétaire général du Parti Républicain Italien (PRI). Spadolini devient ainsi le premier homme politique extérieur à la DC à occuper le poste de chef du gouvernement, son gouvernement durera un an et demi. Si cette rupture est relative compte tenu de la persistance du statut de première force électorale et parlementaire de la DC, elle permet tout de même un renouveau à la tête de l’exécutif. Est dès lors inaugurée une nouvelle forme de coalition, intitulée « pentapartisme » et consistant en une alliance centriste de cinq partis différents : DC, PRI, PLI, PSDI et PSI. Le PCI retourne quant à lui dans l’opposition.

Une seconde expérience de ce type a lieu de 1983 à 1987, lorsque le socialiste Bettino Craxi, dans un contexte au sein duquel la DC est toujours majoritaire, obtient à son tour la Présidence du Conseil, devenant ainsi le deuxième chef du gouvernement non démocrate-chrétien après Spadolini. Si le premier gouvernement de Craxi, d’une durée de 5 ans, établit à l’époque un record de longévité, la période Craxiste se traduit par une politique plutôt libérale. Outre le fait que le PSI constitue une force minoritaire au sein de la coalition du pentapartisme dominée par la DC, Craxi a amorcé en 1976 en tant que secrétaire général du PSI une révision de la doctrine de son parti pour l’orienter vers la social-démocratie, voire vers le social-libéralisme.

Retourné dans l’opposition, le PCI perd brusquement Enrico Berlinguer en 1984 lorsque celui-ci décède d’une hémorragie cérébrale survenue au cours d’une réunion publique pour la campagne des élections européennes. Son enterrement réunit une immense foule de 2 millions de personnes et le leader communiste décédé est salué par l’ensemble de la classe politique italienne pour sa politique de prise de distance vis-à-vis de l’URSS et pour son intégrité notamment au moment des Années de Plomb lors de la séquestration d’Aldo Moro, ce dont témoigne le documentaire L’Addio a Berlinguer réalisé par Bernardo Bertolucci. Six jours après le décès de son premier secrétaire, le PCI réalise une performance historique aux élections européennes en arrivant, avec un score de 33,3%, en tête du scrutin devant la DC, qui se voit devancée d’une courte tête en effectuant un score de 33%. Il s’agit de la seule fois sous la première république qu’un parti autre que la DC arrive en tête d’élections nationales.

Si la gauche a donc ponctuellement pu être associée au pouvoir sous la première république, elle n’a en revanche jamais pu conquérir celui-ci au cours de cette période, dans un contexte d’accaparement du pouvoir par la Démocratie chrétienne et de « stratégie de la tension » dans le contexte de guerre froide. La révolution de la scène politique provoquée au début des années 90 par le séisme du scandale Tangentopoli et de l’opération Mains Propres va bouger les lignes.

Quelle gauche de gouvernement depuis 1990 ?

Le début des années 1990 est, nous l’avons vu, le théâtre d’une révolution de la scène politique italienne. Le scandale Tangentopoli, suivi de l’opération Mains Propres, aboutit à la dislocation des partis traditionnels italiens de gouvernement, ne résistant pas au cyclone judiciaire dans lequel ils sont pris. Cette révolution signe la fin du paradigme dit de la première république, caractérisé par une hégémonie politique de la Démocratie chrétienne, et l’entrée dans celui de la deuxième république, qui se caractérisera quant à lui par un système bipartisan d’alternances au pouvoir entre la gauche réformiste des héritiers du PCI et la droite libérale de Silvio Berlusconi.

Bien que le PCI ait historiquement été, tout comme ses homologues européens, le parti italien de la gauche communiste et pro-soviétique, il a par la suite su amorcerune évolution critique vis-à-vis de l’URSS et un tournant de coopération avec les autres forces politiques de l’échiquier italien sous l’impulsion d’Enrico Berlinguer. Sans pour autant renoncer à sa radicalité politique, le PCI s’est dès lors tourné vers une conception réformiste de la prise du pouvoir et de l’exercice de celui-ci. La disparition de Berlinguer laisse néanmoins un vide à la fois politique et idéologique au sein du PCI et plus largement dans la gauche italienne. Berlinguer avait suenclencher une véritable dynamique politique pour le PCI et pour la gauche dans le contexte pourtant compliqué des Années de Plomb, hissant le PCI à des scores dépassant les 30%, ce qui en avait non seulement fait le premier parti communiste du monde occidental mais avait également posé la question de sa participation au gouvernement, comme nous l’avons vu avec l’affaire de l’assassinat d’Aldo Moro.

Les successeurs de Berlinguer, tout en s’inspirant de sa politique et désireux de poursuivre la mutation réformiste du PCI, vont en fait engager celui-ci et ses héritiers sur des terrains idéologiquement dangereux. Tout commence à la fin des années 1980, lorsque le nouveau secrétaire général Achille Occhetto ponctue son discours au Congrès de Rome de mars 1989 d’étranges louanges à l’économie de marché et ce alors que le Mur de Berlin n’est même pas encore tombé. Peu après la chute de ce dernier en novembre 1989, Occhetto lance le processus du « Tournant de Bologne » : en vue du Congrès de Bologne, devant se tenir au mois de mars 1990, le secrétaire général annonce la dilution de l’identité communiste au sein d’un nouveau parti de gauche. Si une majorité du parti, désormais acquise à la ligne réformiste et donc partisane de la transformation du PCI en un parti de gauche de gouvernement, suit Occhetto dans ce processus qui aboutira à la création en 1991 du Parti Démocrate de la Gauche (PDS), ancêtre direct de l’actuel Parti Démocrate, une minorité conservatrice et orthodoxe fonde le Parti de la Refondation Communiste (PRC), maintenant l’idéologie communiste et la faucille et le marteau mais se trouvant rapidement voué à la marginalité politique. Dans le contexte du délitement politique résultant de l’opération Mains Propres, le PDS est bientôt rejoint par un certain nombre d‘anciens militants et cadres du PSI et s’impose ainsi comme le nouveau grand parti de la gauche italienne.

Au même moment se structure le parti Forza Italia de Silvio Berlusconi en vue des élections générales de 1994. Pour dissimuler l’intégration dans sa coalition de la Ligue du Nord d’Umberto Bossi et des postfascistes d’Alliance Nationale et de Gianfranco Fini, Berlusconi mène une campagne véhémente contre la gauche désormais menée par le PDS en identifiant celle-ci au péril communiste. Son empire médiatique relaie dès lors une intense propagande pointant ce péril et l’assimilant également à l’antifascisme. L’un des tabous entourant le MSI et son successeur Alliance Nationale tombe de cette façon à ce moment-là, sa chute se voyant facilitée par le fait que la gauche ne se revendique dès lors plus de l’antifascisme, trop assimilé au communisme par amalgame depuis cette période. Berlusconi remporte les élections en réalisant un score de 21% avec Forza Italia et de presque 43% pour l’ensemble de sa coalition, tandis que la coalition de gauche totalise 34% des voix, dont 20,6% pour le PDS, 6,05% pour le PRC et un plancher historiquement bas de 2,19% pour le PSI, en plein effondrement au vu des affaires de corruption dans lesquelles il se trouve inculpé avec l’opération Mains Propres. Berlusconi n’aura par la suite de cesse d’ériger tout au long de sa carrière politique son succès fondateur de 1994 en se construisant une légende d’homme providentiel arrivé en politique au bon moment pour sauver l’Italie d’un péril rouge dans un contexte de désintégration des partis traditionnels.

La coalition Berlusconienne tournant toutefois court dès 1995, le PDS se restructure et envisage une nouvelle coalition. Il s’allie ainsi aux Socialistes Italiens (éphémère petit parti réformiste fondé sur les décombres du PSI tout juste dissous), à la Fédération des Verts mais également au Parti Populaire Italien (PPI), héritier de l’aile gauche de la Démocratie chrétienne. Se retrouvant ainsi alliés pour la première fois, les postcommunistes et les post-démocrates chrétiens réalisent d’une certaine façon le compromis historique entre Berlinguer et Moro. La nouvelle coalition prend le nom d’Ulivo (« L’Olivier ») et désigne comme tête de liste Romani Prodi, ex-membre de la DC ayant rejoint le PPI suite à la dislocation de celle-ci et principal architecte de ce rassemblement. L’Ulivo remporte les élections en réalisant plus de 43% des voix, dont plus de 21% pour le PDS et un peu moins de 7% pour le PPI. Prodi est nommé Président du Conseil.

Si la gauche réussit enfin à conquérir et à exercer le pouvoir, la question de son action de gouvernement se pose néanmoins dans le double contexte de la révolution de la scène politique italienne depuis l’opération Mains Propres d’une part et du triomphe de l’idéologie capitaliste libérale à l’échelle mondiale suite à la dislocation du bloc soviétique d’autre part. L’heure est en effet à la conversion néolibérale d’une partie de la gauche européenne, poussée dans ce sens par Tony Blair au Royaume-Uni ou Gerhard Schröder en Allemagne. La coalition de L’Olivier doit de surcroît composer avec des forces n’étant pas toutes acquises à l’interventionnisme de l’État, y compris au sein de ses propres effectifs. Le gouvernement Prodi s’engage dès lors dans une politique centriste et libérale, ce qui vaut à Prodi de perdre la confiance du parlement en 1998 suite à un vote défavorable du PRC, entraînant à une voix près le renversement de son gouvernement. Prodi est remplacé par Massimo D’Alema, premier ex-communiste à devenir Président du Conseil. SI D’Alema intègre à L’Olivier le Parti des Communistes Italiens (PdCI), dissidence du PRC, dans une optique d’élargissement de sa majorité à gauche, il poursuit néanmoins la politique menée par Prodi et ne remet donc aucunement en question l’adhésion au consensus libéral de la nouvelle gauche italienne. D’Alema finit lui aussi par démissionner le 19 avril 2000, suite à la perte 3 jours plus tôt par la gauche de 4 régions aux élections régionales. Il est remplacé par Giuliano Amato, ancien ministre et responsable du PSI, qui achève la législature en tant que Président du Conseil avant que Silvio Berlusconi ne lui succède en 2001 à la faveur de la victoire de sa coalition « Maison des libertés » aux élections générales cette année. Le gouvernement de L’Olivier aura mené une politique libérale permettant la remise en question de l’État-providence et la privatisation de certains secteurs de l’économie italienne.

Plus que la question programmatique, le problème du PDS et de ses partis successeurs est identitaire : ayant rompu avec le marxisme, la gauche post-communiste a peiné à trouver une idéologie de substitution. Il était en effet hors-de-question de se réclamer dorénavant du socialisme compte tenu de l’association de ce terme aux déboires judiciaires Craxistes ayant entraîné la chute du PSI et il était compliqué de se référer à une social-démocratie de tradition nordique et donc étrangère à celle de la gauche italienne. L’idéologie et l’identité de cette nouvelle gauche sont dès lors restées en suspens, le symbole de la branche d’olivier ayant donné son nom à la coalition – et toujours présente aujourd’hui dans le logo de l’actuel PD – n’étant pas nécessairement un signifiant mobilisateur. Même si le compromis historique entre Moro et Berlinguer est souvent rappelé pour justifier l’alliance des postcommunistes et des héritiers de l’aile gauche de la DC, celui-ci constitue malgré la force de son symbole un référentiel maigre et d’autant plus faible que la dimension sociale du pacte entre Moro et Berlinguer s’est largement vue éconduite avec la politique appliquée en pratique par L’Olivier. Cette question idéologique et identitaire non tranchée, ni même précisément définie, s’est révélée tangible lors de la création du Parti Démocrate en 2007, grand parti de gauche dont le but était de fusionner l’ensemble des composantes de L’Olivier dans une seule et même structure unifiée. Le nouveau parti se veut progressiste mais se réfère davantage à la « grande tente » du Parti démocrate américain, auquel son nom fait explicitement référence, qu’à l’héritage de la gauche italienne. La notion de « gauche » a d’ailleurs souvent été remplacée depuis lors par celle de « progressisme » voire de « libéralisme » dans les qualificatifs ayant pu être employés pour caractériser le nouveau parti.

Si cette nouvelle gauche et ses composantes disparates a malgré tout tenu, soudée par l’épouvantail que constituait face à elle le Berlusconisme, et a fusionné au sein d’un seul et même parti en 2007, la question de sa pérennité idéologique comme politique s’est à nouveau posée à partir de 2013. La coalition « Italie. Bien commun » menée par le chef de file du PD Pier Luigi Bersani remporte en effet les élections, mais la composition compliquée du nouveau parlement aboutit à une politique en demi-teinte, d’abord menée par Enrico Letta, puis par Matteo Renzi. L’agenda ouvertement néolibéral adopté par ce dernier crée en effet des remous et finit par aboutir suite à l’échec du référendum constitutionnel sur la réforme du Sénat, à la scission d’une partie de l’aile gauche du PD, menée par Bersani lui-même alors qu’il avait conduit la coalition pour les élections 2013. Cette scission aboutit à la création d’Articolo Uno, parti se présentant aux élections de 2018 aux côtés de la Gauche italienne dans la coalition « Libres et Égaux ». En 2019, c’est au tour de Matteo Renzi, pourtant Président du Conseil emblématique du PD lors de la législature précédente, de scissionner en emmenant avec lui une partie de l’aile droite du parti pour fonder Italia Viva.

Chantiers et perspectives de la gauche italienne aujourd’hui

Le Parti Démocrate fait aujourd’hui face à une nécessité de réaffirmer une identité claire et de trancher sur son bagage idéologique. Est-il un parti post-communiste héritier du PCI ou fondamentalement centriste héritier des composantes progressistes de la DC ? Si sa dernière expérience du pouvoir, en association avec le populiste Mouvement Cinq Étoiles au sein du gouvernement Conte II entre 2019 et 2021, a pu être perçue comme contre-nature pour certains observateurs au vu d’une identité du M5S parfois perçue comme qualunquiste(1), elle lui a néanmoins permis de se réapproprier un certain nombre de thématiques sociales tombées aux mains des populistes faute de réinvestissement de celles-ci par la gauche postcommuniste. L’expérience du gouvernement Conte semble donc en l’état avoir permis au PD d’adopter une identité fondamentalement réformiste. Il en est de même pour la question écologique, traditionnellement tout aussi peu traitée par la gauche italienne et pareillement récupérée par le M5S, n’ayant pas hésité à passer des alliances ponctuelles avec les petits partis écologistes italiens.

La coalition droitière de Giorgia Meloni et les difficultés risquant de se présenter sur des thématiques aussi diverses que la question sociale, les relations internationales et le rapport à la crise ukrainienne ou encore à l’Union européenne au vu des fortes divergences de ses partis sur ces questions peut présenter une opportunité pour ressouder idéologiquement la gauche italienne, sous réserve que n’advienne pas une dérive « illibérale » de type hongroise.

Plus qu’un programme précis, le Parti Démocrate et ses partenaires doivent se réapproprier une identité de gauche, se référant à l’histoire et aux combats de celle-ci et ayant trop souvent été délaissée voire abandonnée lors de leur course effrénée vers le centre dans les années 1990 et 2000. Avec sa conversion libérale sur fond de crise identitaire et idéologique et de développement du Berlusconisme, la gauche italienne a expérimenté les leçons de Gramsci, mais à son propre détriment.

Étant remonté à 19% aux élections de septembre 2022 après son effondrement à 13% de 2018, le PD dispose désormais d’un effectif suffisamment significatif au parlement pour pouvoir fédérer autour de lui un bloc d’opposition de gauche unifié et cohérent, à condition d’en avoir la volonté. L’élection le 26 février 2023 de sa nouvelle secrétaire Elly Schlein, issue de l’aile gauche du parti, face au candidat plus centriste Stefano Bonaccini, peut constituer une première étape dans ce processus. Toutefois, si Schlein s’est engagée à repositionner le PD sur une ligne de gauche en se présentant comme un visage féminin à l’opposé de celui de Meloni, il faudra également qu’elle évite une nouvelle scission qui viendrait de l’aile centriste du parti, qui risquerait de porter un coup fatal à celui-ci compte tenu de son affaiblissement. Un travail reste par ailleurs à mener pour retrouver les classes populaires italiennes dont la gauche post-communiste s’est progressivement séparée et aujourd’hui acquises à l’extrême-droite et Mouvement 5 Étoiles. Gramsci écrivait quant à lui dans ses Lettres de Prison qu’il était « pessimiste par l’intelligence mais optimiste par la volonté » et ajoutait dans ses Cahiers de Prison que « la crise est le moment où l’ancien ordre du monde s’estompe et où le nouveau doit s’imposer en dépit de toutes les résistances et de toutes les contradictions. Cette phase de transition est justement marquée par de nombreuses erreurs et de nombreux tourments. » Une affaire à suivre…

Références

(1)Relatif au qualunquismo, terme péjoratif caractérisant les idées populistes et droitières du parti du Fronte dell’Uomo Qualunque, ayant existé de façon éphémère entre 1946 et 1949 mais demeurant associé dans le langage politique italien à une méfiance envers le système des partis et les institutions démocratiques parlementaires pour privilégier des options conservatrices et simplistes pour régler les problèmes de l’État et du gouvernement. Il s’agit donc fondamentalement d’un équivalent italien de la notion française de « poujadisme ».

Nous soutenir

Si vous aimez notre travail, c’est par ici !

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

dans la même catégorie...

NOS REVUES

C’est encore mieux version papier.

Lire aussi...

Une néofasciste au pouvoir : une histoire démocratique italienne (partie 1)

Ajoutez votre titre ici

Intro :

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Nullam at consequat justo. Donec sit amet dui id libero varius suscipit iaculis in enim. Vestibulum in gravida est. Praesent sed nunc condimentum, pharetra ligula non, fermentum eros. In erat dui, vulputate a risus sed, vehicula elementum augue. Aliquam semper augue ipsum, eu blandit neque tincidunt ac. Fusce magna nisi, vehicula at velit eu, placerat dapibus arcu. Aliquam tempor ultricies arcu, ut malesuada ex. Donec sit amet cursus purus. Suspendisse vitae est nunc. Aenean dictum, arcu vitae vulputate auctor, nunc ante laoreet velit, id interdum ligula nisi eget risus. Ut risus risus, lacinia in ornare sed, porttitor in erat. Vestibulum facilisis ex eros, quis vulputate quam ultrices et. Donec nec tortor ullamcorper, faucibus massa sed, ornare lectus. Aliquam pretium nibh quam, a tincidunt orci mollis nec. Orci varius natoque penatibus et magnis dis parturient montes, nascetur ridiculus mus.

Giorgia Meloni, cheffe de Fratelli d’Italia, entourée de ses partenaires Silvio Berlusconi et Matteo Salvini. Crédits photo © Roberto Monaldo / LaPresse

C’est en constatant la nette victoire de la néofasciste Giorgia Meloni, désormais nouvelle femme forte de la coalition de « centre-droit », que l’Italie s’est réveillée le lundi 26 septembre 2022. Bien que cette victoire fût présagée plusieurs semaines auparavant, elle n’en constitue pas moins un fait politique inédit. Si l’Italie est en effet désormais gouvernée par une femme pour la première fois de son histoire, elle l’est également par un parti idéologiquement issu du fascisme pour la première fois depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. La percée du parti de Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia, au rang de première force politique du pays s’est vue confirmée avec un score de 26%, loin devant le populiste Mouvement 5 Étoiles et le Parti Démocrate de « centre-gauche ». Avec ses alliés du parti Forza Italia de Silvio Berlusconi et de la Lega menée par Matteo Salvini, la coalition conduite par Giorgia Meloni a rassemblé un total de 43,9% des suffrages et dispose d’une majorité absolue de sièges à la Chambre des Députés comme au Sénat de la République, avec 237 députés et 115 sénateurs.

Loin de voler en éclats en dépit de son caractère hétérogène et des divergences d’opinion de ses membres sur des sujets internationaux comme la guerre ukrainienne, la coalition de droite de Giorgia Meloni s’est non seulement installée au pouvoir, mais la Présidente du Conseil a même aligné un « sans fautes » politique pour ses cent premiers jours, couronnés d’une double victoire le 13 février aux élections régionales de Lombardie et du Latium. En effet, alors qu’Attilio Fontana, Président sortant de Lombardie issu de la Lega de Matteo Salvini s’est vu reconduit à plus de 54%, le Latium a basculé aux mains du candidat de Fratelli d’Italia Francesco Rocca, ayant battu le président sortant de « centre-gauche » Nicola Zingaretti avec un score de 52%. La Présidente du Conseil a troqué la virulence et la radicalité des discours de sa campagne électorale au profit d’une image plus apaisée et régalienne sur la forme, sans renoncer à sa ligne politique sur le fond. Meloni a ainsi rappelé l’attachement de l’Italie au camp atlantiste et s’est présentée comme un soutien sans faille de Volodymyr Zelensky dans le contexte de la guerre ukrainienne – là où ses partenaires Silvio Berlusconi et Matteo Salvini ont pris le parti de Vladimir Poutine –, tout en campant dans le même temps sur une ligne ferme concernant l’immigration, durcissant la législation italienne contre les migrants via une série de décrets ciblant notamment les ONG et les navires humanitaires.

Les Italiens, ayant connu plus de vingt années de régime fasciste avant la fondation du régime républicain en 1946, n’auraient-ils aucune mémoire ? Antonio Gramsci écrivait pourtant en 1917 qu’il haïssait les indifférents et que « vivre [signifiait] être partisan », ajoutant que « celui qui vit vraiment ne peut qu’être citoyen, et prendre parti » et que « l’indifférence, c’est l’aboulie, le parasitisme, la lâcheté, ce n’est pas la vie. »

Comment expliquer la victoire d’un parti issu d’une famille politique pourtant si longtemps ostracisée et quelles perspectives s’offrent aujourd’hui à la gauche italienne ?

De quoi le triomphe de Giorgia Meloni résulte-t-il ?
Le phénomène Meloni

« Io sono Giorgia! Sono una donna! Sono una madre! Sono italiana! Sono cristiana!(1) » C’est en scandant ce slogan désormais bien connu des électeurs italiens que Giorgia Meloni harangue  les foules lors de ses déplacements de campagne. La quadragénaire originaire de Milan assume ainsi son identité féminine dans un pays méditerranéen traditionnellement machiste au sein duquel demeurent ancrées des conceptions conservatrices et masculines de l’incarnation en politique. La première femme à accéder à la Présidence du Conseil de l’histoire de l’Italie a en effet bien compris l’avantage qu’elle pouvait tirer de son genre en reliant celui-ci à une conception de la famille en phase avec une société italienne encore aujourd’hui très attachée à la famille traditionnelle.

Alors que son parti était encore marginal il y a cinq ans, Giorgia Meloni a remporté les élections de septembre 2022 avec 26% des voix, la coalition de « centre-droit » ayant atteint dans son ensemble plus de 40%. Les deux principaux partenaires de Meloni ont été cannibalisés par celle-ci. La Lega de Salvini, forte de 17% des suffrages en 2018 et de plus de 30% aux élections européennes de 2019, s’est en effet effondrée à moins de 9%, tandis que Forza Italia de Berlusconi, jadis grand parti de gouvernement de la droite italienne, a atteint un plancher historique de 8% des suffrages. Le Mouvement 5 Étoiles (M5S), grand vainqueur des élections générales de 2018 à plus de 30%, n’a pas non plus échappé pas au cyclone, en n’ayant totalisé plus que 15% des voix. Si le Parti Démocrate (PD) de « centre-gauche » a effectué une remontée symbolique à 19% après s’être effondré à 13% en 2018, la gauche a payé ses divisions et sa dispersion, éclatée entre le score du PD et celui de 6% d’Italia Viva (IV), le nouveau parti social-libéral de l’ancien Président du Conseil Matteo Renzi, scissionniste du PD en septembre 2019. La carte électorale de l’Italie indique que Fratelli d’Italia est désormais le premier parti au nord et dans une bonne partie du centre du pays, tandis que le populiste Mouvement 5 Étoiles demeure le premier parti dans le sud de la botte. La coalition de « centre-droit », additionnant Fratelli d’Italia et ses deux alliés la Ligue de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi, est quant à elle en tête dans toutes les régions, à l’exception de la Campanie où c’est le populiste Mouvement 5 Étoiles qui s’est hissé en tête.

Si la victoire de Giorgia Meloni et des « postfascistes » de son parti Fratelli d’Italia avait été prédite plusieurs semaines auparavant, les militants qui attendaient ce moment depuis parfois des décennies n’ont pour autant pas eu droit à la fête. C’est en effet en comité restreint, composé seulement d’une cinquantaine de membres de l’état-major de son parti, que Giorgia Meloni s’est présentée le lundi 26 septembre vers 2h du matin devant les journalistes dans un grand hôtel de Rome. La Présidente du Conseil a en effet demandé à ses troupes de faire profil bas, du fait de la crise terrible traversée par le pays. La réalité aurait en fait plutôt tenu à la volonté de ne pas répéter un fâcheux précédent survenu à Rome en 2008, lorsque la victoire du postfasciste Gianni Alemanno à l’élection municipale avait été accueillie par le salut romain fasciste des militants.

Qui est donc la nouvelle présidente du Conseil ? Née en 1977 à Rome, Giorgia Meloni n’a pas connu l’époque fasciste. C’est à l’âge de 15 ans qu’elle décide de se lancer en politique en adhérant au Mouvement Social Italien (MSI), héritier direct du parti fasciste mussolinien. Gravissant progressivement les échelons militants, elle devient en 2008 à l’âge de 31 ans la plus jeune ministre de l’histoire italienne au sein de la coalition de « centre-droit », à la faveur du retour de Silvio Berlusconi au pouvoir. Elle est chargée du portefeuille de la jeunesse.

Le MSI est à cette époque dissous depuis 1995, année où il s’est auto-sabordé à l’initiative de son président Gianfranco Fini pour se refonder en « Alliance Nationale », successeur d’extrême-droite se voulant « dédiabolisé », contrairement à son ancêtre. Le nouveau parti, toujours dirigé par Fini, continue de prôner l’intransigeance sur les thématiques migratoires et identitaires mais retire la flamme fasciste du MSI de son logo. Fini, quant à lui, va même jusqu’à reconnaitre officiellement, alors qu’il est en voyage en Israël à la fin des années 1990, que le fascisme a été un mal absolu au XXe siècle. Le parti s’associe à Forza Italia en 2008 pour former la coalition du Peuple de la Liberté en vue des élections générales, puis les deux formations fusionnent en 2009 sous ce même nom (PdL). Mais la crise ministérielle de 2011, aboutissant à la démission de Berlusconi de la Présidence du Conseil, et l’appui d’une partie du PdL – dont Fini lui-même – au gouvernement technique de Mario Monti en soutenant une ligne libérale et europhile laissent, au sein du PdL, esseulée la faction nationale-conservatrice héritière d’Alliance Nationale.

Ce contexte aboutit à la scission de cette faction du PdL en 2012 pour fonder Fratelli d’Italia (Fd’I), dont Giorgia Meloni prend la tête en 2014. Si Meloni cultive tout comme Fini une image d’extrême-droite se voulant adoucie, elle ne renie pas contrairement à celui-ci  le fascisme, réintroduisant  dans le logo de son parti la flamme tricolore du MSI pour souligner sa parenté avec ce dernier. En lieu et place du mea culpa apparent auquel Gianfranco Fini et le parti Alliance Nationale avaient eu recours, Giorgia Meloni cultive avec Fratelli d’Italia une stratégie d’évitement. La présidente rappelle ainsi lorsqu’on la questionne sur le fascisme que celui-ci appartient au passé, qu’elle-même est née bien après celui-ci et préfère défendre son programme en parlant de sujets touchant les Italiens.

L’une des clefs de compréhension du phénomène Meloni se trouve dans le caractère droitier et décomplexé que cultive la présidente de Fd’I, s’incarnant tant dans son programme que dans son image. Dans un pays soumis de longue date à la problématique des migrants et resté globalement conservateur sur le plan sociétal, Giorgia Meloni a compris l’intérêt qu’elle pouvait paradoxalement tirer de la mise en avant de sa féminité. Avec son slogan « Famille, Religion, Patrie », la candidate se présente en mère de famille italienne conservatrice et chrétienne, soucieuse à cet effet des problématiques sécuritaires pouvant affecter ses enfants, comme par extension tout citoyen italien. Ainsi s’est-elle notamment fait remarquer au cours de sa campagne en diffusant la vidéo du viol d’une réfugiée ukrainienne par un migrant africain sur les réseaux sociaux.

Son discours sur l’avortement plaît également à un pays dont la société, conservatrice et chrétienne, demeure attachée à la famille traditionnelle et dont le taux de natalité constitue une préoccupation. Un phénomène de « dénatalité » est en effet observé en Italie depuis plusieurs années, le taux de fécondité ne s’élevant qu’à 1,24 enfants par femme. De plus, peu de services pour la petite enfance sont développés compte tenu de la conception traditionnelle de la famille et de son rôle prépondérant pour éduquer les enfants avec l’aide des grands-parents. Si la candidate ne condamne officiellement pas l’avortement, elle défend par un détournement des valeurs libérales et par une inversion de sa problématique le « droit de choisir » pour les femmes qui ne souhaiteraient pas avorter. Ce n’est pourtant pas dans ce sens que le problème de l’avortement se pose, de surcroît dans un pays où l’avortement est déjà compliqué, particulièrement dans le sud. À titre d’exemple, dans la région des Marches, bastion historique de la gauche dont la présidence a basculé aux élections régionales de 2020 pour Fratelli d’Italia, 42% des anesthésistes et 70% des gynécologues sont objecteurs de conscience. Ce taux dépasse pour les seconds 80% dans les régions des Abruzzes, des Pouilles, de la Basilicate et culmine même à 92% dans la région du Molise !

Ce discours séduit néanmoins compte tenu du déclin démographique de l’Italie, quand bien même ce dernier est d’abord imputable aux carences de services pour la petite enfance et à l’absence de perspectives économiques pour les jeunes actifs italiens plutôt qu’à l’avortement, dans un pays figurant aux côtés de l’Irlande ou de la Slovaquie parmi les États de l’Union européenne dans lesquels il est le moins pratiqué. Il n’empêche que le problème posé par la démographie italienne a engendré l’idée d’une « perte de patrimoine culturel », exploitée par Fratelli d’Italia. Le principe de cette idée est simple : pour maintenir une société italienne saine, le maintien d’une démographie équilibrée ne suffit pas. Cette démographie doit également être alimentée par les Italiens, de sorte que du sang italien circule dans les veines des générations futures. Le but est de perpétuer la conservation de valeurs occidentales et chrétiennes qui seraient menacées par des migrants plus enclins que les Italiens à faire des enfants et d’éviter ainsi la « substitution », thématique droitière italienne équivalente en France à celle du « grand remplacement » portée par Éric Zemmour. Giorgia Meloni s’est ainsi prononcée contre l’établissement d’un droit du sol – inexistant en Italie(2) –, figurant parmi les propositions du PD. Son positionnement hostile à l’avortement trouve en outre de l’écho au sein de la péninsule. La candidate défend en effet la nécessité d’une relance démographique, laquelle est du reste nécessaire : l’Italie est le deuxième pays le plus âgé au monde derrière le Japon, l’âge moyen de ses habitants s’élevant à 45 ans – soit 5 années de plus qu’en France – et atteignant même 49 ans en Ligurie. Les personnes âgées représentent de surcroît un poids important dans la société italienne.

C’est ainsi que Fratelli d’Italia, ayant pourtant toujours réalisé des scores compris entre 4 et 6% aux précédentes élections nationales et européennes, est devenue la première force politique italienne sur le plan national. La candidate n’a également pas hésité à afficher sa proximité idéologique et personnelle avec le Hongrois Viktor Orban, soutenant tout comme lui l’idée que la démocratie européenne traditionnelle aurait renoncé à défendre son identité et sa conception de la famille. Bien que la percée électorale de Giorgia Meloni soit une nouveauté, le phénomène est également à relativiser, la candidate ayant bénéficié pour porter son image réactionnaire et antisystème d’un terrain déjà labouré par le Mouvement Cinq Étoiles de Beppe Grillo et Luigi Di Maio, puis par la Lega de Matteo Salvini.

Crises et désillusions politiques

Le contexte du triomphe de Giorgia Meloni est l’aboutissement d’au moins une décennie de crises politiques et de désillusions vis-à-vis des pouvoirs et partis traditionnels de la « deuxième république(3) ».

Les Italiens ont en effet d’abord été lassés de l’affairisme et des histoires de mœurs des gouvernements Berlusconi, ayant culminé en 2011 avec le « Rubygate ». Le Président du Conseil démissionnaire était accusé d’avoir incité à la prostitution une danseuse de discothèque mineure et de l’avoir rémunérée pour avoir des relations sexuelles avec elle. Il sera condamné en juin 2013 pour incitation à la prostitution de mineure et abus de pouvoir et écopera alors d’une peine d’inéligibilité. Un premier acte protestataire s’est ainsi joué aux élections générales de 2013 avec la première percée nationale du tout nouveau Mouvement Cinq Étoiles, parti trublion alors porté par le comique Beppe Grillo et venu pour la première fois jouer les trouble-fêtes dans le concert des grands partis de la « deuxième république » avec son score de 25%.

La gestion de la crise migratoire par le gouvernement de « centre-gauche » de Matteo Renzi a également créé de profonds ressentiments au sein de la population. L’Italie, déjà en proie à de lourds problèmes économiques depuis la crise de 2008, se voyait être le seul pays d’Europe avec la Grèce à devoir gérer cette crise compte tenu des proximités géographiques de ces deux pays avec le Maghreb et l’Orient. Alors que la gauche, portée par le volontarisme affiché de Matteo Renzi, semblait bien partie – réalisant un score historique de 40% aux élections européennes de 2014 et envoyant ainsi 31 députés au Parlement européen –, les espoirs de la population ont également été réduits lorsque s’est posée l’épineuse question de la réforme libérale du marché du travail. Avec son « Jobs Act », présenté comme allant « libérer le pays de ses archaïsmes » pour faire baisser le chômage, le Président du Conseil mettait en place un CDI « à protection croissante », lequel devait permettre à l’employeur de pouvoir y mettre fin sans motif justifié pendant les trois premières années d’embauche du salarié. La formule rappelait celle imaginée en France par Dominique de Villepin en 2006 avec le Contrat Première Embauche (CPE). La réforme de Renzi déréglementait également les CDD, permettant aux employeurs d’y recourir sans avoir à se justifier et de les renouveler cinq fois sans période de carence. Cet assouplissement devait être une condition nécessaire à l’embauche, dans un pays où plus de 40% des jeunes étaient alors au chômage. Enfin, l’échec du référendum constitutionnel qui visait à supprimer partiellement le Sénat de la République en réduisant drastiquement ses compétences pour en faire une sorte d’équivalent italien du Conseil de la République français sous la IVème République(4) a sonné le glas du gouvernement, débouchant sur la démission de Renzi au profit de Paolo Gentiloni.

Ainsi s’est joué aux élections générales de 2018 un deuxième acte protestataire, caractérisé par un triomphe du Mouvement Cinq Étoiles à presque 33% mais également par une percée de la Lega de Matteo Salvini à plus de 17%. Une coalition « jaune-verte » s’est ainsi formée entre les deux partis, officiellement dominée par le M5S mais dont l’homme fort s’est dans la pratique révélé être Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur s’étant fait le porte-parole d’une ligne eurosceptique et intransigeante face aux migrants et à la délinquance, n’ayant pas hésité à se mettre en scène pour l’incarner, notamment lors de l’affaire de la fermeture des ports italiens au navire de sauvetage Aquarius. Après son succès aux élections européennes de 2019, couronné d’une obtention de 34% des suffrages, Salvini s’est senti suffisamment puissant pour présenter la démission du gouvernement et exiger des élections anticipées qui auraient été à la faveur de la Lega, ignorant que le droit constitutionnel italien n’obligeait en aucun cas le Président de la République à convoquer des élections le cas échéant. Une coalition « jaune-rouge » s’est dès lors constituée entre le M5S et son historique adversaire le PD pour faire barrage à la Lega et éviter ce faisant des élections anticipées. Après avoir gouverné deux ans et affronté la pandémie de covid-19, cette deuxième coalition a néanmoins été renversée à l’initiative de Matteo Renzi et de son nouveau parti Italia Viva au motif de désaccords concernant le plan européen de relance. Un gouvernement d’union nationale technique et europhile s’est donc formé autour de Mario Draghi comme ultime recours, appuyé par la quasi-totalité des forces politiques italiennes, Lega comprise, Salvini ayant changé son fusil d’épaule sur l’Europe à la faveur du plan de relance du covid-19.

C’est ici qu’émerge Giorgia Meloni. Là où les autres forces politiques italiennes ont soutenu le gouvernement Draghi, la cheffe de file postfasciste et son parti Fratelli d’Italia ont fait exception. Contrairement à la Lega, ayant effectué un revirement sur la question européenne pour finalement appuyer le gouvernement Draghi, ou au M5S, ayant quant à lui sauvé ses positions en s’associant de façon opportuniste au PD lors de la crise ministérielle de 2019 et du basculement de coalition vers la gauche, Giorgia Meloni a campé sur une ligne certes marginale mais cohérente au regard des idées portées par son parti. Elle est ainsi passée de la marginalité au premier plan en se construisant une image de première et seule opposante au gouvernement technique. La cheffe de Fd’I a donc tout naturellement bénéficié de sa constance politique lorsque la crise ministérielle de l’été 2022 a éclaté à la suite de la défection du M5S de la majorité, suivi de la Lega.

Forte de son image et de sa dynamique là où la Lega apparaissait décrédibilisée, Meloni n’a pas hésité à mener une campagne agressive en jouant sur les peurs des Italiens. L’Italie est en effet l’un des pays d’Europe où la perception de la problématique migratoire est la plus déformée et la plus fantasmée. La candidate a ainsi mené une campagne anti-française, fustigeant la France et son Président qui s’était permis de traiter le gouvernement italien de « lèpre populiste » au moment de l’affaire de l’Aquarius en rappelant que la France avait dans le même temps non seulement refusé elle aussi d’ouvrir ses ports pour accueillir le navire de secours mais qu’elle orchestrait en plus le refoulement des migrants à la frontière italienne, tout en étant un pays colonialiste en Afrique subsaharienne qui défendait ses intérêts et qui était responsable du chaos libyen. En brossant un tel tableau, la candidate exploitait ainsi le ressentiment anti-français des Italiens, les premiers étant traditionnellement perçus par leurs voisins transalpins comme arrogants, supérieurs et donneurs de leçons. Tout en étant radicale et virulente, la campagne de Meloni s’est dans le même temps caractérisée par un constant souci de respectabilité. Ainsi, là où Salvini, déjà handicapé par ses revirements, a justifié l’invasion ukrainienne en défendant Vladimir Poutine, Meloni a au contraire d’emblée condamné celle-ci. Voulant se montrer rassurante, elle a également tourné une vidéo d’elle en plusieurs langues, diffusée à l’adresse des Européens, dans laquelle elle a explicitement démenti une sortie de l’Euro ou un virage autoritaire dans le cas où elle prendrait le pouvoir, se présentant également comme la seule opposante au gouvernement Draghi et aux poisons et délices du régime parlementaire et de son instabilité, accusant enfin la gauche de bafouer les libertés, notamment pour les entreprises(5). Giorgia Meloni a enfin fait campagne sur l’instabilité ministérielle en Italie. Si ce problème est loin d’être une nouveauté, il s’est en revanche à nouveau posé du fait des basculements de coalitions dans le contexte de la crise du covid-19 et de problèmes intrinsèques à l’État italien notamment dans les régions, leur autonomie et leurs compétences étant très fortes face à celles de l’État central, notamment en matière de santé.

Une campagne du Parti Démocrate peu lisible

Face à cette stratégie à la fois agressive et dédiabolisée de la candidate d’extrême-droite, la gauche s’est trouvée désemparée. Celle-ci, nous l’avons vu plus haut, est en premier lieu partie divisée pour affronter l’élection. Mais plus que ses divisions, le principal problème de la campagne de la gauche, notamment du Parti Démocrate, a été son caractère peu lisible.

Le Parti Démocrate (PD) et son candidat Enrico Letta se sont principalement positionnés comme des remparts face au péril fasciste représenté par Meloni et par son parti, comme l’a notamment montré le slogan récurrent de Letta « Scegli(6) », massivement diffusé sur les réseaux sociaux, au détriment d’une communication sur leurs propositions sociales – pourtant présentes dans leur programme, notamment en matière éducative(7) –, ce qui a par conséquent été perçu comme une tentative d’instrumentaliser la peur à des fins électorales.

Héritier indirect du Parti Communiste italien (PCI), le PD s’est par ailleurs progressivement trouvé perçu ces dernières années comme coupé des réalités sociales et comme ne représentant plus les classes populaires. Ce ressenti est prégnant dans la région des Marches, bastion historique de la gauche ayant basculé au profit de Fratelli d’Italia en 2020. On peut également évoquer le cas de l’ancienne cité ouvrière de Sesto San Giovanni, construite dans la banlieue de Milan au début du XXe siècle par l’entreprise sidérurgique Fleck, où se déclenchèrent à partir de 1943 les premières grandes grèves contre le régime Mussolinien quelques mois seulement après la défaite de la Wehrmacht à Stalingrad et où le PCI, dont la ville fut un bastion historique, réunissait jusqu’à 45% des voix en 1976. Longtemps surnommée la « Stalingrad d’Italie », la ville, administrée sans discontinuités depuis la guerre par le PCI puis par ses successeurs du Parti Démocrate de la Gauche (PDS), des Démocrates de Gauche (DS) et par l’actuel PD, a basculé en 2017 au profit de la Ligue du Nord. Dans la continuité de ce délitement, une bataille mémorielle et symbolique forte a été perdue le 25 septembre aux élections générales, lorsque la ville a vu s’imposer pour sa circonscription au Sénat Isabella Rauti, candidate de Fd’I, fille de Pino Rauti, engagé volontaire dans l’éphémère République mussolinienne de Salò puis cofondateur du MSI, face au candidat du PD Emanuele Fiano, de confession juive et dont le père fut déporté à Auschwitz. Sesto San Giovanni, cas symbolique et emblématique du recul de la gauche au profit de l’extrême-droite au même titre que peut l’être l’ancienne cité minière de Hénin-Beaumont en France désormais dirigée par le Rassemblement National, n’est pas une exception. Le centre-gauche a en effet perdu les élections générales dans toutes ses capitales provinciales anciennement ouvrières de Lombardie, à l’exception de Milan et de Mantoue.

Ce délitement s’explique par le fait que là où les Démocrates ont beaucoup fait campagne en se présentant comme des remparts face au péril fasciste, Giorgia Meloni s’est à l’inverse focalisée sur des problématiques touchant directement les Italiens, telle que le pouvoir d’achat en période d’inflation. Les raisons du succès de Giorgia Meloni sont ainsi fondamentalement les mêmes que celles du succès du M5S en 2018 : la candidate, en parlant des problèmes concrets des Italiens, s’est positionnée comme une personnalité anti-establishment, là où le PD a, à l’inverse, renoué avec son image libérale héritée des années Renzi en apparaissant comme un soutien à l’agenda libéral de Mario Draghi. Michele Russo, responsable local de Fratelli d’Italia à Sesto San Giovanni interviewé par le quotidien français Libération(8), défend ainsi la stratégie politique visant à recréer du lien social en parlant aux habitants dans une société  toujours plus individualiste, ajoutant à cet effet non sans sarcasme que son parti ne fait qu’occuper ainsi le terrain exactement comme le faisait le PCI d’antan. Le PD a quant à lui été victime de la part de ses adversaires de l’accusation récurrente de s’être renfermé à l’extrême dans ses bastions urbains aisés et de s’être ainsi coupé de la population.

Si ces raisons expliquent en grande partie l’actuel succès de Fratelli d’Italia, on ne peut toutefois s’empêcher de se demander comment l’Italie a pu porter en tête des résultats électoraux une candidate néofasciste compte tenu de son passé historique et mémoriel. Pour le comprendre, il nous faut remonter aux racines du mal et aux fondations du régime républicain, dont l’objectif premier de rétablissement de la démocratie et des libertés visait pourtant à tourner la page du fascisme. 

Aux racines du mal : une histoire républicaine tourmentée
Les péchés originels de la « première république »

La fondation après-guerre du régime républicain s’ancre dans le prolongement de la Résistance italienne et de son triomphe face au fascisme dans la guerre civile ayant sévi entre 1943 et 1945 face aux nazis et à l’éphémère République sociale italienne, tandis que les forces anglo-américaines alliées de la Libération remontaient la botte italienne à la suite du débarquement de Sicile. L’Italie d’après-guerre est ainsi orientée à gauche, dominée par les partis de la Résistance que sont le Parti Communiste italien (PCI), d’orientation marxiste-léniniste, le Parti Socialiste italien (PSIUP(9)), marxiste mais républicain et démocrate dans le même temps, et la Démocratie chrétienne (DC), d’inspiration catholique et de tendance centriste. Dans le contexte de l’effondrement du fascisme et du triomphe des partisans et des forces militaires alliées, ces partis sont les vainqueurs et dirigent à cet effet le gouvernement provisoire.

La Démocratie chrétienne n’est à cette époque encore ni hégémonique, ni majoritaire. Ce sont les communistes qui ont le vent en poupe, forts de leur rôle dans la Résistance, lequel s’est notamment caractérisé par une implantation clandestine mais profonde dans les syndicats officiels fascistes des entreprises italiennes. Fort de cet ancrage, le PCI apparaît donc à la Libération comme la force la plus puissante, la mieux organisée et donc la plus apte à prendre le pouvoir : peu d’efforts sont à faire au vu des relais dont les communistes disposent dans le monde du travail pour transformer la guerre des partisans en vaste insurrection populaire et révolutionnaire, quand bien même se serait posée la question de l’issue d’un tel soulèvement face aux forces alliées d’occupation.

Mais Palmiro Togliatti, secrétaire général du PCI, est rentré de Moscou en 1944 avec des consignes strictes de Staline : l’exportation de la révolution mondiale en Italie attendra, il est pour l’heure hors-de-question d’y procéder sur un front où se joue encore le sort de la guerre et où il ne faut donc pas entraver les forces alliées. Staline compte sur le bon déroulement des opérations du front de l’ouest face aux nazis pour soulager l’Armée rouge sur le front de l’est. Le maître du Kremlin considère également que ce secteur géographique de la guerre doit revenir aux occidentaux, et ce bien avant la Conférence de Yalta. Prenant acte des directives moscovites, le PCI opère donc en 1944 le Tournant de Salerne, appelant officiellement les communistes à délaisser temporairement l’objectif révolutionnaire pour collaborer avec les autres partis de la Résistance, en vue de former dans l’Italie libérée un gouvernement d’unité nationale. Le PSIUP, de son côté, a réunifié ses deux grandes tendances (marxiste et sociale-démocrate) et a signé en 1943 un pacte d’action avec le PCI : il n’y aura pas de réunification des deux grands partis ouvriers italiens, séparés depuis le Congrès de Livourne de 1921, mais un accord sur une volonté commune d’action.

Majoritaires au sein du Comité de Libération nationale, les partis de gauche dominent le gouvernement provisoire, dirigé par Ferrucio Parri. Celui-ci décide de mener une « épuration financière », visant à punir ceux qui se sont enrichis pendant le fascisme. Un impôt sur le capital est dès lors mis en place, tandis qu’est réorganisée la répartition des matières premières au profit des entreprises les plus modestes. Se développe dès lors la crainte d’une socialisation rampante de l’économie italienne, notamment chez les fonctionnaires de la commission anglo-américaine interalliée de contrôle. Le gouvernement Parri se voit dès lors obligé par celle-ci de renoncer d’abord aux fournitures pour les petites entreprises, puis à son impôt sur le capital. Si les réformes socialisantes du gouvernement provisoire ont été tuées dans l’œuf par cette intervention de la commission, elles n’en ont pas moins affolé les grandes entreprises comme les plus petits possédants et ont ainsi contribué à la reconstitution de groupes politiques d’extrême-droite.

Bien que l’épuration des fascistes soit d’abord menée avec une relative rigueur, elle s’interrompt progressivement à partir du 21 novembre 1945, date du retrait des ministres libéraux du gouvernement, suivis des représentants de la DC. Le gouvernement Parri, dès lors minoritaire, se voit contraint de démissionner au profit du démocrate-chrétien Alcide De Gasperi, à qui il incombe d’organiser le référendum institutionnel sur la forme monarchique ou républicaine que prendra le nouvel État italien. Ce tournant est essentiel, puisqu’il met fin à la possibilité de changement révolutionnaire entrevue au moment de la Libération. Le retour à l’Italie libérale de l’avant-fascisme est au contraire quasi-assuré, ce dont prennent acte les Anglo-Américains en acceptant de transférer leurs pouvoirs de contrôle en Italie du nord à De Gasperi. Celui-ci décide ensuite dès 1946 de remplacer les autorités nommées par les comités de la Libération par des fonctionnaires de carrière, tous liés d’une façon ou d’une autre au régime fasciste dans l’exercice antérieur de leurs responsabilités. Le 31 mars, Gasperi dissout le Haut-Commissariat pour les sanctions contre le fascisme : il n’y aura dès lors pas de substitution d’une nouvelle classe dirigeante à l’ancienne, cette dernière se voyant au contraire restaurée malgré son appui apporté au régime Mussolinien. Cette politique est approuvée par le PCI, Togliatti promulguant en tant que Ministre de la Justice une large amnistie pour les condamnés politiques et se résignant à bien vouloir accepter l’adhésion d’un certain nombre d’intellectuels et de syndicalistes venus des rangs du fascisme.

Le 2 juin 1946 se tient le référendum sur la nouvelle forme que doit prendre l’État italien. Si la République l’emporte nettement, la monarchie constitutionnelle se voyant décrédibilisée au vu des compromissions du roi Victor-Emmanuel III avec le fascisme, un clivage se dessine déjà entre le nord et le sud du pays, le nord votant principalement pour la République tandis que le sud, plus conservateur, moins victime de la guerre civile et où l’Église est davantage implantée, vote pour la monarchie. La DC s’affirme dès lors progressivement comme force politique centrale, remportant 35% des suffrages aux élections constituantes. La gauche reste  encore forte, totalisant environ 40% des suffrages avec 20,7% pour le PSIUP et 18,9% pour le PCI. Cette influence est déterminante dans la rédaction de la constitution de la République. Celle-ci est en effet officiellement fondée sur le travail et les droits sociaux, tandis que son emblème officiel, le Stellone, se compose d’un rouage denté représentant à la fois le monde du travail et le progrès, scellé en son centre d’une étoile blanche imputable à la devise de Léonard de Vinci : « Qui se fixe sur une étoile ne se retourne pas ».

La DC opère néanmoins un virage à droite à la faveur de la guerre froide, se caractérisant par l’exclusion du gouvernement du PCI et du PSIUP en mai 1947. Dans ce contexte, le PSIUP voit scissionner son aile sociale-démocrate, hostile à une poursuite de l’entente avec les communistes et favorable à un rapprochement avec la DC, pour fonder le Parti Social-Démocrate Italien (PSDI). Amputé de son aile droite, le PSIUP reprend dès lors son ancien nom de Parti Socialiste Italien (PSI). Quelques mois plus tard, à l’automne, ont lieu de grandes grèves contre le Plan Marshall, soutenues par le PCI. Se développe alors un climat de fortes violences, culminant à l’été 1948 à la suite d’une tentative d’assassinat de Togliatti. Des insurrections générales éclatent dans les villes ouvrières de Gênes, Milan ou encore Bologne, débouchant sur des batailles rangées contre les forces de l’ordre avec barricades et formation de milices ouvrières.

Compte tenu de ces violences et du Coup de Prague survenu en Tchécoslovaquie en février 1948, la DC sort grande vainqueure des élections générales du mois d’avril, recueillant 48,5% des suffrages et une majorité absolue de sièges à la Chambre des Députés et au Sénat de la République. De Gasperi peut dès lors gouverner les mains libres, même s’il forme symboliquement une coalition avec le PSDI et les forces de droite libérales et républicaines dans une optique de consensus. Le renforcement des tendances conservatrices de la DC se poursuit néanmoins après 1948 du fait de la guerre froide et de l’agitation sociale. L’aile droite démocrate-chrétienne est notamment animée par Giuseppe Pella et Mario Scelba, qui reprochent au centriste De Gasperi son refus de mettre le PCI hors-la-loi, tout comme son ancrage diplomatique atlantiste. C’est en tout cas le début d’une longue période d’hégémonie de la DC au gouvernement en Italie, qui se poursuivra bien après le retrait de De Gasperi de la politique en 1953 et dont le ciment initial de sainte-alliance anti-communiste servira bientôt de matrice à la dérive clientéliste de la politique italienne.

Ce climat d’amnistie générale et de crainte du communisme dans le contexte de la guerre froide et de l’agitation sociale permet la réémergence de petites formations d’extrême-droite. C’est dans ce contexte qu’est fondé le Mouvement Social Italien (MSI) le 26 décembre 1946 par plusieurs dirigeants de groupuscules néofascistes clandestins. On trouve parmi eux Giorgio Pini, Augusto De Marsanich, Pino Romualdi et surtout Giorgio Almirante, ex-rédacteur en chef du quotidien fasciste Il Tevere et ancien chef de cabinet du Ministère de la Culture populaire du régime Mussolinien. Parmi ses premiers adhérents, le MSI regroupe d’anciens dignitaires du régime, des jeunes militants de groupuscules divers, des militaires ou encore des aristocrates de la noblesse italienne tels que le Prince Junio Valerio Borghese, ancien sous-marinier et commandant de flottille sous la République sociale italienne et surnommé « le Prince Noir » en raison de son passé militaire fasciste et de sa foi persistante dans ce régime après 1945. Ces éléments radicaux sont bientôt rejoints par une clientèle électorale et militante plus modérée ou moins politisée. Le MSI se développe jusqu’en 1951 autour de sa tendance néofasciste intransigeante, incarnée par Giorgio Almirante, alors secrétaire général du parti.

Les troupes de choc du MSI, les « avanguardisti», multiplient les épreuves de force contre les communistes sans que le pouvoir ne réagisse très fermement. Les éléments réactionnaires de la Démocratie Chrétienne ne voient en effet pas d’un œil trop défavorable la reconstitution d’une force d’intervention anti-communiste, officiellement désavouée mais en fait discrètement soutenue par une partie du patronat. Le caractère très radical et ouvertement aventuriste du MSI se révèle toutefois contre-productif : il n’obtient que 6 députés et 1 sénateur aux élections générales de 1948. Un premier tournant s’opère dès lors en 1951, lorsqu’Almirante, alors assigné à résidence, cède la direction du parti à De Marsanich. Le MSI, affecté à cette époque par les coups lui étant portés par la police de Mario Scelba – alors Ministre de l’Intérieur – adopte dès lors une image plus modérée, intégrant certains éléments de la droite conservatrice dans son comité directeur. Cette stratégie porte ses fruits, le parti obtenant 29 députés et 8 sénateurs aux élections générales de 1953.

De Gasperi se trouve quant à lui en difficulté : après la défection du PSDI de sa coalition suite à la création de brigades d’interventions rapides par Scelba pour réprimer les mouvements de gauche, il se trouve également confronté à une opposition de la droite de son parti. Les éléments radicaux de la DC poussent pour un rapprochement de celle-ci avec le MSI et les monarchistes et sont soutenus dans ce sens par le Saint-Siège. Se trouvant donc en minorité et compte tenu de résultats électoraux contrastés obtenus aux élections de 1953, De Gasperi démissionne. Lui succèdent Pella et Scelba à la Présidence du Conseil.

S’il existe officiellement un « Arco Costituzionale(10) » contre le MSI pour l’empêcher d’être associé au pouvoir, la DC n’hésite pour autant pas à s’appuyer ponctuellement sur les votes des néofascistes au Parlement. Le MSI se voit toutefois exclu du gouvernement jusqu’en 1994, tandis que la DC gouverne quant à elle de façon quasi-ininterrompue jusqu’au début des années 1990, soit pendant toute la période dite de la « première république ».

Une « deuxième république » du vide ?

Après quatre décennies de vie politique italienne monopolisée par la Démocratie chrétienne, les choses évoluent au début des années 1990, période de bouleversement complet de l’échiquier politique italien.

Une gigantesque et inédite opération judiciaire marque la vie politique italienne entre 1992 et 1994. C’est l’opération Mani Pulite (« Mains propres »), révélant l’existence d’un système généralisé de corruption et de financement illicite des partis politiques italiens, surnommé Tangentopoli. Tout commence par une banale affaire de corruption à Milan lorsque le socialiste Mario Chiesa est pris en flagrant-délit par les carabiniers en train de tenter de faire disparaître un pot-de-vin de 7 millions de lires dans une cuvette de toilettes. C’est Luca Magni, entrepreneur fatigué de payer ce type de redevances au notable socialiste, qui a appelé les carabiniers pour faire prendre celui-ci en flagrant-délit. Arrêté, Chiesa passe aux aveux sous interrogatoire, révélant au procureur Di Pietro que son cas est loin d’être anecdotique, les pots-de-vin de ce type existant dans l’ensemble des partis politiques et étant mêmes devenus une sorte d’impôt obligatoire dans les territoires pour la quasi-totalité des appels d’offres. Les bénéficiaires de ce système sont des hommes politiques de tous les partis, mais essentiellement ceux au pouvoir, comme le PSI ou la DC. Chiesa révélant des noms, les enquêtes débutées à Milan se propagent rapidement à d’autres villes d’Italie et finissent par toucher l’ensemble de la péninsule par un jeu de domino où chaque suspect en livre un autre. Plus d’une centaine de députés sont interrogés au début de l’année 1993, l’enquête vise tous les chefs de partis, à commencer par le secrétaire général du PSI Bettino Craxi. Avant sa condamnation définitive, il s’enfuit en Tunisie en 1994 pour échapper à la justice et meurt exilé là-bas en 2000. Miné par la corruption, le PSI se dissout en novembre 1994, soit quelques mois après la DC et le Parti Libéral italien, pareillement désintégrés par ce cyclone judiciaire.

Dans les mêmes années, le PCI opère de son côté un tournant réformiste, aboutissant à sa transformation suite au Congrès de Bologne de 1990 en un Parti Démocratique de la Gauche (PDS) en 1991. Avec les conséquences de l’opération Mains Propres et la disparition du PSI, le PDS accueille nombre d’anciens socialistes en son sein. Le début de la décennie est également marqué par le premier succès national du parti eurosceptique et indépendantiste de la Ligue du Nord aux élections générales de 1992. Avec les disparitions simultanées de la DC, du PLI, du PSI et compte tenu de la transformation réformiste du PCI en PDS, on observe une mutation profonde de la scène politique italienne, que certains observateurs caractérisent comme le passage d’une « première république » à une « deuxième république(11) ». Si la « première république » a été marquée par une hégémonie de la Démocratie chrétienne et par son gouvernement quasiment sans partage de la libération aux années 1990, la deuxième sera quant à elle caractérisée par une alternance droite-gauche entre conservateurs et héritiers du PCI.

Le fait marquant de cette période est une entrée en politique inédite. En vue des élections générales de 1994, l’homme d’affaires Silvio Berlusconi, magnat de l’immobilier et des médias, décide de se présenter. Proche de Bettino Craxi, il annonce en janvier 1994 son entrée en politique et la création de son mouvement de centre-droit Forza Italia, dans lequel il investit 22 milliards de lires. Son annonce est à l’époque révolutionnaire sur la forme : Berlusconi se filme en effet dans un bureau – qui s’avérera plus tard être en fait un studio ayant été aménagé exprès pour le tournage – et son annonce est diffusée en boucle sur ses trois chaînes privées de télévision. La communication politique italienne se résumait jusqu’alors à des déclarations banales voire monotones, ou tout du moins sans mises en scènes. Berlusconi apparaît à l’inverse comme jeune et dynamique, déclarant « descendre sur le terrain » – employant ce faisant une métaphore footballistique, que l’on retrouve également dans le nom de son parti(12) et dans son logo, rappelant une bannière de supporter d’équipe de football. Il s’adresse ainsi à l’Italien moyen de façon à la fois nouvelle et percutante, lui faisant comprendre avec cette communication moderne et empreinte de codes sportifs et populaires qu’il ne vient pas de cet horrible monde corrompu de la politique et qu’il est quelqu’un de neuf, souhaitant parler directement aux citoyens. On assiste dès lors à la naissance d’un phénomène nouveau : celui d’un populisme libéral porté par la communication et incarné par un chef d’entreprise. La principale mutation de la « deuxième » république par rapport à « première » se situe de ce point de vue moins dans l’établissement d’un nouveau paradigme politique bipolaire entre la gauche et la droite en lieu et place de l’ancien paradigme central de la DC – quand bien même ce nouveau paradigme permettra enfin de vraies alternances politique – que dans l’émergence d’une politique de la communication, de l’image et du spectacle supplantant les idées politiques de fond.

Dans le contexte du vide politique créé par la disparition des principaux partis de gouvernement suite à l’opération Mains Propres et de la lassitude des Italiens vis-à-vis de la politique traditionnelle, Berlusconi se présente comme un homme nouveau n’étant pas un professionnel de la politique et souhaitant restituer celle-ci aux citoyens. Il se pose également en défenseur de la famille, « noyau principal de la société », de la tradition chrétienne et du travail. Son idée principale est alors celle d’une politique exercée par des non-politiciens et donc par des experts issus de la société civile – bien que ce terme ne soit pas employé par le candidat. L’idée maîtresse de ce premier Berlusconisme est que la politique ne doit pas être une affaire de carriéristes corrompus mais de spécialistes et de techniciens. Ainsi s’entoure-t-il d’universitaires et d’experts libéraux tels que Lucio Colletti, philosophe et ex-théoricien marxiste ayant bifurqué vers le libéralisme, ou encore Giuliano Urbani, professeur de sciences politiques considéré comme l’idéologue de Forza Italia. Défendant un programme libéral et vantant, en prenant son exemple personnel, la liberté d’entreprendre et de pouvoir réussir pour chaque Italien, Berlusconi se présente ainsi comme un homme de la modernité sur tous les plans : économique, puisqu’il se fait ambassadeur de la libre-entreprise et du néolibéralisme ayant le vent en poupe en ces années suivant la dislocation de l’URSS, mais également sociale, en promouvant une société du divertissement pour tous, notamment par la télévision, se voulant en rupture avec l’austérité des hommes politiques de la « première république ». Berlusconi se présente également comme un rempart face au péril communiste du PDS, désormais seul grand parti de gauche. Ce ne sont désormais plus les clivages idéologiques de fond qui font la politique, mais la communication et le paraître.

Fort de sa communication innovante prenant tous ses adversaires de court et occupant le vide politique laissé par le séisme du scandale Tangentopoli, Berlusconi remporte contre toute attente les élections générales de 1994. Bien que son gouvernement doive démissionner dès l’année suivante en raison de la défection de la Ligue du Nord de sa majorité parlementaire, il n’en constitue pas moins une révolution. Outre la rupture qu’il constitue sur la forme, il compte également pour la première fois des ministres de la Ligue du Nord et d’Alliance Nationale – tout juste fondée par Fini pour remplacer le MSI –, ces deux formations disposant de 5 ministères chacune ! Si la présence de ministres eurosceptiques et néofascistes au sein du gouvernement inquiète nombre de dirigeants européens, parmi lesquels François Mitterrand, elle constitue une première étape symbolique dans la dédiabolisation de ces deux formations.

Démissionnant du gouvernement en 1995 et passant dans l’opposition en 1996 suite à la victoire de la gauche, Berlusconi transforme son parti en profondeur pour en faire une machine de guerre personnelle. Il se sépare ainsi progressivement de plusieurs intellectuels qui l’avaient épaulé en 1994 et recrute d’anciens cadres de la défunte DC pour structurer son appareil politique. Une transformation s’effectue alors dans la façon de Berlusconi de faire de la politique : Forza Italia tient son premier congrès en 1998 et rejoint cette même année le Parti Populaire européen. Forza Italia, après s’être un temps présenté comme un phénomène nouveau, devient un parti politique classique et en quelque sorte une « Démocratie Chrétienne 2.0 », occupant l’ancien espace électoral de celle-ci, ainsi qu’un instrument personnel du leader Berlusconi en tant que véritable extension de sa personne.

De retour au pouvoir de 2001 à 2006 puis de 2008 à 2011, Berlusconi mène une politique libérale inspirée de son expérience entrepreneuriale. Il développe l’idée que le pays doit être géré comme une entreprise et que la politique n’est plus une affaire de bien commun mais un service à vendre à des clients qui sont les électeurs, ce qui justifie, comme en entreprise, n’importe quel type de stratégie commerciale et donc politique, pourvu que celle-ci fonctionne, et valide donc ouvertement le recours à la démagogie. Outre ses affaires de corruption et de mœurs, le Président du Conseil défraie également la chronique par certaines de ses décisions, notamment lorsque son Ministre de la Culture Sandro Bondi décide de nommer à la tête des musées italiens l’ancien patron de McDonald’s Italie. Si ce choix d’un profil entièrement ignorant en matière d’art et de gestion du patrimoine est perçu comme une provocation, il illustre surtout la philosophie de l’entrepreneur-Président du Conseil et sa volonté de gérer les services italiens comme des entreprises, en l’occurrence avec des profils en premier lieu managériaux.

Depuis 2013 : une nouvelle ère populiste ?

Les élections générales de 2013 marquent un bousculement du schéma bipartisan de la deuxième république. Si le nouveau Parti Démocrate, mené par Pier Luigi Bersani, et le PdL de Silvio Berlusconi arrivent en tête en obtenant respectivement 29,5 et 29,2 % des suffrages, le schéma bipartisan en place depuis les années 1990 est bousculé par l’émergence du nouveau Mouvement 5 Étoiles de Beppe Grillo, réalisant une percée avec 25% des suffrages. Le M5S est un parti attrape-tout, ayant bénéficié de la désaffection des Italiens pour les gouvernements précédents dans une période consécutive à la démission de Berlusconi en 2011 suite à sa gestion de la crise de 2008 et à ses affaires de mœurs, ainsi que des talents d’orateur de son leader Beppe Grillo. Son discours ouvertement populiste contre la corruption des élites et défendant une remise au cœur de la politique du citoyen italien trouve un écho certain dans une Italie sévèrement affectée par la crise et sortant des années Berlusconiennes. Les raisons du succès de Grillo en 2013 sont ainsi les mêmes que celles de Berlusconi en 1994, à savoir l’incarnation d’une offre politique neuve et se proposant de faire table rase du passé dans une période de désillusions.

Les élections de 2018 renforcent quant à elles cette tendance, consacrant le succès du M5S à 31% et signant l’émergence de la Lega de Matteo Salvini, refonte de la Ligue du Nord en un parti aux ambitions nationales. Matteo Salvini s’est rapidement engagé au sein de la Ligue du Nord, privilégiant le militantisme à ses études universitaires qu’il finit par abandonner. La Ligue du Nord est créée en 1991 et bénéficie à cette époque de l’écroulement des partis traditionnels de la première république dans le contexte de l’opération Mains Propres. Parti régionaliste regroupant diverses ligues régionales nordistes, la Ligue du Nord revendique initialement une sécession des régions du nord de l’Italie, défendant la thèse que celles-ci seraient handicapées par les régions du sud, plus pauvres et moins travailleuses. Salvini se fait très vite remarquer et est rapidement élu conseiller municipal puis député européen. Prenant la tête du parti en 2013, il fait prendre à celui-ci un virage national en lieu et place de son ancien positionnement régional, comprenant en observant le développement du Front National en France que quelque chose est en train de se jouer face à l’Europe suite à la gestion de la crise de 2008. Il rebaptise son parti en simple « Lega », auquel il accole la mention de « Salvini Premier » : le parti est désormais sa chose personnelle devant le propulser pour obtenir la Présidence du Conseil. En personnalisant ainsi son parti, Salvini s’inspire ouvertement de la démarche de Berlusconi dans les années 1990, qui avait pareillement conçu Forza Italia comme un parti à son effigie. Si l’ère Berlusconi est terminée, le Berlusconisme est paradoxalement plus que jamais ancré dans les ressorts de la politique italienne, l’heure étant désormais à l’incarnation populiste et personnelle de la politique. Salvini modifie son discours, cessant de s’en prendre aux Italiens du sud pour désormais prendre comme boucs émissaires les migrants empêchant le sud de se développer.

Si Salvini reprend les méthodes de communication Berlusconiennes, il pousse également celles-ci à leur paroxysme en adoptant une stratégie d’investissement des réseaux sociaux et de création de buzz. Salvini comprend contrairement à Berlusconi, que la communication des années 2010 s’opère désormais par les réseaux sociaux. Le leader de la Lega adopte une stratégie d’appel au peuple, défendant l’idée d’un clivage entre celui-ci et une minorité d’élites privilégiées monopolisant le pouvoir.

Accédant au ministère de l’Intérieur dans le cadre de la coalition jaune-verte se structurant à l’issue des élections de 2018, Salvini acquiert une popularité considérable, qu’il doit à son franc-parler et à sa communication. Le ministre n’hésite ainsi pas à recourir à des mises en scène démagogiques, comme lorsqu’il accueille en personne à l’aéroport romain de Ciampino le terroriste d’extrême-gauche Cesare Battisti, tout juste extradé vers l’Italie, vêtu d’un uniforme de policier ; ou encore en allant voter aux élections européennes de 2019 vêtu d’un maillot de football de l’équipe d’Italie pour se présenter en électeur italien lambda. Anna Buonalume, journaliste et docteure en philosophie ayant suivi pendant un mois le ministre de l’Intérieur dans ses déplacements de campagne, raconte l’anecdote de la visite d’une ferme au cours de laquelle, voyant des poulets picorer du grain dans une basse-cour, le leader de la Lega aurait eu sur un coup de tête l’idée de se faire filmer par son collaborateur avec un iPhone en train de courir derrière les volatiles pour jouer, de façon à mettre en scène sa présence dans la ferme(13). Certaines de ces mises en scène provoquent des tollés, comme lorsque le ministre se fait filmer sonnant chez un jeune dealer pour le sermonner après avoir entendu des rumeurs dans le voisinage concernant ses activités, rappelant ainsi les patrouilles qu’effectuaient dans les quartiers les chemises noires au moment de la montée du fascisme, comme le rapporte également Anna Buonalume(14). Ces mises en scène sont naturellement relayées sur les réseaux sociaux, via lesquels le ministre organise des concours de mentions « j’aime » pour stimuler ses publications en se mettant en scène tel un animateur de jeux télévisés(15) !! Salvini ne s’en trouve dans tous les cas aucunement affecté, sa stratégie portant ses fruits aux élections européennes de 2019, auxquelles il recueille plus de 30% des voix.

Si nous constatons donc que l’Italie n’a jamais vraiment connu de défascisation depuis 1945 et que la transformation populiste de la politique italienne initiée par Silvio Berlusconi sur fond de dépolitisation des citoyens a servi la dédiabolisation de l’extrême-droite italienne et des partis successeurs du MSI , nous pouvons nous demander quel rôle la gauche a joué depuis la Libération pour endiguer ces phénomènes et proposer des alternatives autres que celles des partis droitiers aux Italiens. Ce sera l’objet de la deuxième partie.

Références

(1)« Moi, je suis Giorgia ! Je suis une femme ! Je suis une mère ! Je suis italienne ! Je suis chrétienne ! »

(2) L’enfant italien n’acquiert en effet la nationalité que si l’un de ses deux parents possède déjà celle-ci ou si, né de parents étrangers, il a résidé de façon ininterrompue sur le territoire italien jusqu’à ses 18 ans. La naturalisation des actifs s’obtient quant à elle au bout de 10 ans de résidence légale sur le sol italien, cette durée se réduisant toutefois à 4 ans pour les citoyens des autres pays de l’Union européenne et à 3 ans pour les étrangers nés en Italie.

(3) L’expression « deuxième république » désigne en Italie de façon informelle le paradigme politique établi depuis les années 1990, issu de la révolution de la scène politique s’étant effectuée de 1992 à 1994, par opposition au paradigme précédent de la « première république », s’étendant quant à lui de l’immédiat après-guerre à 1992, comme nous le développerons plus bas.

(4) La réforme visait en effet, dans une optique d’amélioration de la stabilité ministérielle, à déposséder le Sénat italien du vote de confiance au gouvernement et de l’initiative de la loi – compétences encore aujourd’hui partagées de façon strictement symétrique avec la Chambre des Députés – et à faire élire les sénateurs au suffrage indirect par les élus territoriaux dans une optique de meilleure représentation des territoires, en lieu et place de leur actuelle élection au suffrage direct par les citoyens lors des élections générales en même temps que les députés à la Chambre.

(5) On soulignera ici que si cette vidéo, démentant officiellement une tentation autoritaire, a été tournée dans plusieurs langues par la candidate, elle ne l’a en revanche pas été en italien, Giorgia Meloni s’étant jusqu’à présent gardée comme plus haut évoqué de condamner le fascisme ou de nier une aspiration autoritaire vis-à-vis de ses concitoyens.

(6) « Choisissez » : Ce slogan a été utilisé de façon récurrente dans divers visuels, comparant les positions des Démocrates et de Fratelli d’Italia sur des sujets aussi divers que la politique étrangère, l’accueil des migrants ou encore la question du droit à l’avortement.

(7) Enrico Letta et son parti proposaient entre autres d’augmenter la rémunération des enseignants italiens du secondaire, aujourd’hui une des plus faibles d’Europe, pour réhausser celle-ci dans la moyenne des salaires des enseignants européens.

(8) Éric JOZSEF, « Près de Milan, à Sesto San Giovanni, « une victoire de l’extrême droite aux législatives ne serait pas un choc » », Libération, 23/09/2022, URL : https://www.liberation.fr/international/europe/pres-de-milan-a-sesto-san-giovanni-une-victoire-de-lextreme-droite-aux-legislatives-ne-serait-pas-un-choc-20220923_5Q7EIAI7FBHZDMSPWUCIIMIWX4/, lien consulté le 11/10/2022

(9) Parti Socialiste Italien d’Unité Prolétarienne : ce nom brièvement porté entre 1943 et 1947 par le Parti Socialiste Italien, habituellement simplement dénommé PSI, relève de son absorption de mouvements de partisans comme le Movimento di Unità Proletaria ou l’Unione Populare Italiana dans le cadre de ses activités résistantes et clandestines.

(10) « Arc constitutionnel » : stratégie de barrage menée par l’ensemble des partis politiques républicains et équivalente en France au « front républicain ».

(11) Cette séparation, défendue notamment par le politologue Giovanni Sartori, se fonde non pas sur un changement de régime républicain comme pourrait le laisser penser une lecture française de cette terminologie, mais sur la révolution connue par la scène politique italienne dans ces années compte tenu de la disparition de ses partis historiques (cf. note 3). L’Italie ne change en effet pas de constitution dans ces années, celle-ci demeurant aujourd’hui la même depuis la fondation du régime républicain en 1948.

(12) « Forza Italia » signifiant littéralement « Allez l’Italie ! »

(13) Anna BONALUME, Un mois avec un populiste, Paris, Pauvert, Fayard, 2022, 329 p.

(14) Ibid.

(15) Le concours « Vinci Salvini! » (littéralement : « Gagne Salvini ! ») organisé par Salvini en 2019 relevait précisément de ce format. Le Ministre de l’Intérieur et candidat aux élections européennes s’était alors illustré dans un spot de campagne incitant ses abonnés à donner le plus de « likes » et de partages possibles à ses publications sur les réseaux sociaux et promettant aux plus réactifs l’honneur de gagner une conversation téléphonique avec lui, voire une rencontre autour d’un café. Le leader de la Lega concluait sa vidéo en déclarant que celle-ci serait une fois encore la cible de toutes les critiques des experts et intellectuels de l’élite mais que son mouvement continuerait d’avoir recours à la toile tant que celle-ci demeurerait libre d’accès et enjoignait le spectateur ainsi que les rosiconi (« rageux », terme équivalent en langage internet italien à celui de hater dans les pays anglo-saxons et en France) à faire triompher ses publications. Cette vidéo a en outre été relayée par Euronews, cf. « The Deputy Prime Minister of Italy, Matteo Salvini has just launched his own personal social media game show », Euronews English, 13/05/2019, URL : https://www.facebook.com/euronews/videos/603025003518212/, lien consulté le 17/10/2022.

Nous soutenir

Si vous aimez notre travail, c’est par ici !

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

dans la même catégorie...

NOS REVUES

C’est encore mieux version papier.

Lire aussi...

Goodfellas (Les Affranchis), Martin Scorsese (1990)

Ajoutez votre titre ici

Intro :

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Nullam at consequat justo. Donec sit amet dui id libero varius suscipit iaculis in enim. Vestibulum in gravida est. Praesent sed nunc condimentum, pharetra ligula non, fermentum eros. In erat dui, vulputate a risus sed, vehicula elementum augue. Aliquam semper augue ipsum, eu blandit neque tincidunt ac. Fusce magna nisi, vehicula at velit eu, placerat dapibus arcu. Aliquam tempor ultricies arcu, ut malesuada ex. Donec sit amet cursus purus. Suspendisse vitae est nunc. Aenean dictum, arcu vitae vulputate auctor, nunc ante laoreet velit, id interdum ligula nisi eget risus. Ut risus risus, lacinia in ornare sed, porttitor in erat. Vestibulum facilisis ex eros, quis vulputate quam ultrices et. Donec nec tortor ullamcorper, faucibus massa sed, ornare lectus. Aliquam pretium nibh quam, a tincidunt orci mollis nec. Orci varius natoque penatibus et magnis dis parturient montes, nascetur ridiculus mus.

« As far back as I can remember, I always wanted to be a gangster ».

Après m’avoir permis de rendre hommage à feu Jean-Luc Godard, je me réjouis d’entamer cette chronique cinématographique pour Le Temps des Ruptures en convoquant l’un de ses fervents admirateurs(1), le non moins célèbre Martin Scorsese.

La présente référence à Godard n’est d’ailleurs pas anodine, esthétique ou un tour solennel donné à cette introduction. Non, en réalité un trait constant du célèbre Goodfellas m’a rapidement fait penser au cinéaste français, à savoir son allure documentaire. « Tous les grands films de fiction tendent au documentaire, comme tous les grands documentaires tendent à la fiction. […] Et qui opte à fond pour l’un trouve nécessairement l’autre au bout du chemin(2) » avait-il déclaré. Alors certes, le film est l’adaptation du livre Wiseguy de Nicholas Pieleggi, publié en 1986 et tirée précisément d’une histoire vraie. Le caractère documentaire pourrait-on dire, découle donc naturellement du choix même de transposer une œuvre basée sur des faits réels. Pour ce qui me concerne toutefois, ce n’est qu’à l’issue des près de deux heures et demie du film que j’ai appris la réalité de l’existence de Henry Hill, protagoniste interprété par le jeune Ray Liotta dont l’éclatante carrière de canaille l’élèvera de la rue au pinacle avant de le jeter sur l’inexorable et prévisible chemin de la décadence.

Aussi, si Les Affranchis tient d’une certaine façon du documentaire à mes yeux, c’est que la montée en puissance de Hill du gamin de Brooklyn vers le malfrat par excellence, ne m’a semblé qu’un prétexte saisi par Scorsese pour décortiquer le microcosme mafieux, son organisation, sa hiérarchie, ses normes, ses activités, ses habitudes, bref, sa façon d’exister. La tournure didactique du récit n’est que renforcée par le choix de faire de Hill le narrateur de sa propre histoire. Du plus loin qu’il se souvienne, il a toujours voulu devenir un gangster – nous déclare-t-il dans les premières minutes du film, par une formule restée célèbre et qui résonne tout au long de celui-ci. Jeune adolescent, il n’aspire donc qu’à intégrer cette coterie d’hors-la-loi rassemblés dans un bistrot qu’il observe avec envie depuis sa fenêtre. À première vue, ce monde qui défile sous ses yeux à tout pour plaire : là-bas, avec eux, il suffit de vouloir pour avoir, de prendre pour posséder et ce évidemment, sans n’être jamais dérangé par rien ni par personne. Prêt à tout pour en être, il gagne progressivement la confiance de Paul Cicero – le ponte du groupe – au fil des tâches qu’on accepte de lui confier. Viennent les premiers trafics, les premiers vols et la première condamnation, l’occasion pour lui d’apprendre de son mentor James Conway interprété par l’inimitable Robert De Niro les deux choses fondamentales dans la vie : ne jamais dénoncer ses amis et toujours fermer sa bouche. Plus qu’une leçon de vie, cette condamnation émancipatrice le fait entrer dans l’âge adulte avec la bénédiction de ses prochains qui l’accueillent à la sortie de l’audience à grand renfort d’applaudissements, de félicitations et de tapes amicales. C’est l’aube d’un beau parcours de truand au sein d’un trio sauvage formé avec ledit James et le fou furieux Tommy de Vitto, joué par le usual suspect Joe Pesci.

Aux explications de Henry Hill s’ajouteront bientôt celles de son épouse Karen Hill, interprétée avec brio par Lorraine Bracco. Intégrant cahin-caha ce qu’elle désigne comme la « deuxième famille » de son mari elle livre un regard à la fois étranger et féminin sur ce beau monde, une perspective doublement didactique qui permet à Scorsese, là encore, d’exposer généreusement les mœurs du milieu. De l’état d’émerveillement devant la notoriété et les innombrables passe-droits de son petit ami – travaillant prétendument dans le bâtiment – on assiste à sa lente prise de conscience du bourbier implacable dans lequel elle s’est mise.

Au-delà du goût artistique pour la violence, le motif scorsesien de la famille est en honneur et décliné tout au long du film. Le sens aigu de Scorsese pour la famille est tel, qu’il fait jouer ses propres parents dans le rôle de deux anciens – sa mère en spécialiste de spaghettis maison, son père en as du steak. C’est toutefois dans le choix et le travail musicales que le réalisateur se distingue merveilleusement, accompagnant morceau après morceau l’ascension de son golden boy, du charmeur coquet et apprécié sur fond de Soul et Pop des Marvelettes et Dean Martin, au cocaïnomane en déroute et en panique mis en musique par les Stones ou encore Cream. Une bande originale parfaite en son genre.

Après avoir fait ses premières armes dans la catégorie du gangstérisme avec Mean Streets (1973), Scorsese passe à la vitesse supérieure cinq ans avant de signer Casino (1995). Multipliant les procédés de narration pour mieux démonter la figure du gangster, d’apparence généreuse mais en réalité profondément cruelle, il fait une entrée magistrale au panthéon du genre aux côtés mais sur un registre différent de celui du Parrain de Francis Ford Coppola.

Références

(1) Au décès de J-L. Godard, M. Scorsese avait eu ces mots justes : « It’s difficult to think that he’s gone. But if any artist can be said to have left traces of his own presence in his art, it’s Godard. And I must say right now, when so many people have gotten used to seeing themselves defined as passive consumers, his movies feel more necessary and alive than ever », v. https://www.theguardian.com/film/2022/sep/14/godard-shattered-cinema-martin-scorsese-mike-leigh-abel-ferrara-luca-guadagnino-and-more-pay-tribute.

(2) Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, Paris, Éditions de l’Étoile/Les Cahiers du cinéma, 1985, p. 144.

Nous soutenir

Si vous aimez notre travail, c’est par ici !

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

dans la même catégorie...

NOS REVUES

C’est encore mieux version papier.

Lire aussi...

Les Années, l’autobiographie impersonnelle d’Annie Ernaux

Ajoutez votre titre ici

Intro :

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Nullam at consequat justo. Donec sit amet dui id libero varius suscipit iaculis in enim. Vestibulum in gravida est. Praesent sed nunc condimentum, pharetra ligula non, fermentum eros. In erat dui, vulputate a risus sed, vehicula elementum augue. Aliquam semper augue ipsum, eu blandit neque tincidunt ac. Fusce magna nisi, vehicula at velit eu, placerat dapibus arcu. Aliquam tempor ultricies arcu, ut malesuada ex. Donec sit amet cursus purus. Suspendisse vitae est nunc. Aenean dictum, arcu vitae vulputate auctor, nunc ante laoreet velit, id interdum ligula nisi eget risus. Ut risus risus, lacinia in ornare sed, porttitor in erat. Vestibulum facilisis ex eros, quis vulputate quam ultrices et. Donec nec tortor ullamcorper, faucibus massa sed, ornare lectus. Aliquam pretium nibh quam, a tincidunt orci mollis nec. Orci varius natoque penatibus et magnis dis parturient montes, nascetur ridiculus mus.

Il n’est pas bien disruptif d’avancer que le style d’Annie Ernaux, « on l’aime ou on le déteste ». Son idiolecte littéraire détonne et étonne ceux qui ne l’avaient encore jamais lue. Ecriture plate(2) et autobiographie factuelle dénuée de poésie ont fait son succès, mais aussi ses détracteurs. Il en va de même pour sa non mise en récit de morceaux de vie choisis, souvent spécifiquement féminins, à la première personne. Quoiqu’il en soit, bon nombre des ouvrages de l’écrivaine sont, dans la forme, très similaires – ce qui au demeurant renforce l’appréciation binaire qu’on peut en faire.

Pour Les Années, la forme est toute différente. Annie Ernaux parle elle-même « d’autobiographie impersonnelle » : un récit historique fondé sur son expérience singulière qui cherche à retrouver « la mémoire de la mémoire collective dans une mémoire individuelle ». Un « nous » et un « elle » (qui la désigne) se substituent au « je » froid et ultra-factuel qui ressort habituellement de sa plume. La narratrice parle d’Annie Ernaux avec un relatif détachement, celui de l’historien pour son objet d’étude toutefois agrémenté de commentaires nettement intéressés.

L’objet d’étude justement, c’est le vécu historique d’une génération perçue à travers la vie personnelle d’Annie Ernaux. De la petite enfance sous l’occupation au 11 septembre, en passant par l’école catholique ou mai 68, le lecteur est entraîné dans une trame mémorielle dont il ne réchappe qu’au bout des 250 pages. Même si on connait mai 68, même si on connait l’histoire de l’occupation, les faire vivre au travers d’une véritable vie nous fait mieux les comprendre.  

Il n’y a pas que les « événements » de grande ou moyenne ampleur qui ponctuent le récit d’Annie Ernaux, il y a également les petits, aussi spéciaux qu’ils sont banals. Prenons par exemple la naissance d’un enfant. Banale, une naissance l’est en ce qu’elle s’est produite des milliards de fois. Mais spéciale, elle ne l’est pas moins, non pas en raison de la vieille antienne « chacun est unique », mais parce qu’une naissance ne se vit pas mentalement de la même manière selon les époques !

Pour éclaircir le présent propos, voici un autre exemple utilisé à l’envi par Annie Ernaux. Un repas de famille est anodin, personne n’a a priori besoin qu’un ami lui décrive le sien chaque année après le réveillon. Mais les repas de famille tels qu’écrits par Annie Ernaux ne se ressemblent pas en fonction des époques. Jeune, elle a à peine droit à la parole à table, et les récits de guerre des anciens (ceux qui l’ont faite et ceux qui l’ont subie) occupent toutes les discussions. Quelques décennies plus tard, une bascule s’opère puisque désormais lors des repas de famille, « le temps des enfants [remplace] le temps des morts ». Trente ans plus tard, l’évolution s’accentue et l’écrivaine explique que « dans la vivacité des échanges, il n’y avait pas assez de patience pour les récits ». Ainsi à travers ce simple fait de vie que sont les repas de famille, Annie Ernaux arrive à nous faire ressentir tous les changements de mentalité d’une époque. Ce n’est pas faire offense aux historiens qu’affirmer que ce livre de deux cents pages peut nous en apprendre beaucoup sur les imaginaires collectifs de la seconde moitié du XXe siècle.

La forme de ce roman est, à mes yeux, une réussite totale. Annie Ernaux cherchait à « saisir cette durée qui constitue son passage sur la terre à une époque donnée, ce temps qui l’a traversée, ce monde qu’elle a enregistré rien qu’en vivant ». La mission est pleinement remplie. A ceux que le style de la Prix Nobel peut rebuter, je ne peux que conseiller de lire ce livre plutôt qu’un autre.  

Références

(1)Son ouvrage paru en mai 2022, Le jeune homme, est on ne peut plus court. 

(2)Claire Stolz, « De l’homme simple au style simple : les figures et l’écriture plate dans La Place d’Annie Ernaux », Pratiques. Linguistique, littérature, didactique, nos 165-166,‎ 1er octobre 2015

(3)Lorem

(4)Lorem

(5)Lorem

Nous soutenir

Si vous aimez notre travail, c’est par ici !

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

dans la même catégorie...

NOS REVUES

C’est encore mieux version papier.

Lire aussi...

Le difficile encadrement de la pornographie

Ajoutez votre titre ici

Intro :

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Nullam at consequat justo. Donec sit amet dui id libero varius suscipit iaculis in enim. Vestibulum in gravida est. Praesent sed nunc condimentum, pharetra ligula non, fermentum eros. In erat dui, vulputate a risus sed, vehicula elementum augue. Aliquam semper augue ipsum, eu blandit neque tincidunt ac. Fusce magna nisi, vehicula at velit eu, placerat dapibus arcu. Aliquam tempor ultricies arcu, ut malesuada ex. Donec sit amet cursus purus. Suspendisse vitae est nunc. Aenean dictum, arcu vitae vulputate auctor, nunc ante laoreet velit, id interdum ligula nisi eget risus. Ut risus risus, lacinia in ornare sed, porttitor in erat. Vestibulum facilisis ex eros, quis vulputate quam ultrices et. Donec nec tortor ullamcorper, faucibus massa sed, ornare lectus. Aliquam pretium nibh quam, a tincidunt orci mollis nec. Orci varius natoque penatibus et magnis dis parturient montes, nascetur ridiculus mus.

La question épineuse de la régulation d’une fabrique à fantasmes

En raison même de la nature de ce marché si spécifique, dans lequel les productions s’apparentent à la réalisation de fictions visant à mettre en scène des fantasmes, la réglementation et la régulation constituent deux objectifs parfois difficilement atteignables mais nécessaires.

Tout d’abord parce qu’un fantasme construit par l’industrie pornographique a une influence sur la représentation que se font les individus d’une relation sexuelle. Ensuite, parce que les films pornographiques ne sont pas regardés uniquement par des adultes mais aussi par des mineurs.  C’est pour cela que la loi encadre les films pour adultes en en interdisant l’accès au moins de 18 ans(1). Dans les faits, les mineurs ont largement accès aux sites pornographiques, et commencent à les consulter, selon le sociologue Arthur Vuattoux, dès 11 ans(2). Bien souvent ces films sont le premier contact, voulu ou non, des jeunes avec la sexualité. Quand ils en cherchent l’accès c’est la plupart du temps parce qu’ils se questionnent à ce sujet, et que ces contenus restent largement et facilement accessibles. Néanmoins, ces productions ne reflétant pas la réalité, elles ne sont pas une réponse adéquate aux questions que se pose l’enfant. En effet, rien dans la pornographie ne reflète la réalité, qu’il s’agisse des corps, du rapport femme-homme ou encore de la durée et de la nature des rapports sexuels filmés. A un si jeune âge, l’enfant n’est évidemment pas en mesure de comprendre cette nuance, c’est une des raisons pour lesquelles l’accès lui en est retreint, de même que des films ou jeux vidéo ultra violents par exemple.

Ce qui dérange également, à juste titre, c’est l’image qui est renvoyée des femmes et ce qu’elle provoque. Il est nécessaire de séparer un fantasme avec l’envie de le réaliser. Cependant, certains fantasmes sont surreprésentés dans les productions pornographiques, ce qui pose légitimement la question de savoir s’il s’agit donc bien de convoquer l’imaginaire ou de représenter une certaine réalité. Nous vivons malheureusement dans une société dans laquelle le viol, les agressions sexuelles ou encore l’inceste sont des crimes quotidiens. Ce constat implique que ces derniers ne relèvent pas uniquement du fantasme mais également de pratiques trop largement répandues Nous pouvons en effet légitimement nous demander si ce n’est pas l’industrie pornographique qui façonne en grande partie notre imaginaire sexuel, c’est d’ailleurs ce que déplore la sexothérapeute Margot Fried-Filliozat. Elle nous dit que la pornographie est un accès facile à la sexualité des autres, nous permettant d’observer leurs pratiques et ainsi estimer si nous sommes normaux ou non. Or la pornographie est loin de représenter la normalité, et a donc pour conséquence de fausser le curseur des personnes qui s’y réfèrent. La sexothérapeute fait état du discours de nombreuses patientes qui rapportent les attentes de leurs conjoints (masculins), inspirés de la pornographie et donc irréalistes. Ce phénomène, observé également largement chez les adolescents, créer des injonctions à la fois corporelles mais aussi liées aux pratiques, qui se répercutent par la suite sur la qualité des relations intimes mais aussi des relations vis-à-vis de son propre corps. L’écrasante majorité des films représentant les femmes comme des objets sans désir, cela a, selon elle, un effet délétère sur la conception que nous avons du rôle des femmes dans la sexualité.  

Nous sommes également face à une industrie particulièrement violente envers les femmes qui y travaillent. En France, comme à l’étranger, des plaintes pour viol et agression sexuelle sont régulièrement déposées par des actrices à l’encontre d’acteurs mais surtout de producteurs. C’est en particulier le cas dans le milieu amateur, avec par exemple la récente accusation à l’encontre du producteur Pascal Op dans l’affaire du french Bukkake que nous ne détaillerons pas ici. La violence du milieu s’exprime également par la nature des vidéos diffusées sur certaines plateformes, en particulier par les diffuseurs de masse, que l’on appelle les tubes(3). Ces dernières ne pratiquent quasiment aucun contrôle sur le contenu des vidéos qui sont publiées par des tiers. Ainsi, se retrouvent en grand nombre des vidéos de viols (réels) ou encore de revenge porn. Pornhub a d’ailleurs fait les gros titres en 2020 dans l’article du NY Times : « Children of Pornhub » qui relayait une affaire dans laquelle des victimes mineures demandaient la suppression de vidéos de leur viol (13 millions de vidéos au total). Il est en effet très difficile de faire retirer des vidéos des plateformes. Dans cette affaire, il a fallu que l’entreprise Mastercard fasse pression en bloquant les paiements sur le site, jusqu’à ce que les vidéos soient retirées (en partie).

Mais alors, comment faire pour réguler cette industrie ? Cette question est particulièrement épineuse dans la mesure où il faut en priorité identifier ce qu’il faut réguler, sujet sur lequel beaucoup de désaccords existent. Est-ce le contenu des vidéos ? L’accès aux plateformes ? Les pratiques de tournage ou encore l’existence même du porno qu’il faut revoir ? Pas si simple. Selon la chercheuse Julie Leonhard, il est « difficile de régir la pornographie sans biais moraux »(4). En effet ce qui peut paraître inconcevable pour l’un, peut paraître parfaitement normal pour l’autre : tout est une question de curseur.

Protection contre liberté : comment trouver le juste milieu ?

Le sujet sur lequel tout le monde semble s’accorder, c’est l’interdiction pour les mineurs d’accéder aux contenus pornographiques. C’est le sens de la loi du 30 juillet 2020, qui semble toutefois assez peu efficace. En effet, elle impose aux plateformes de s’assurer qu’aucun mineur n’accède à leurs vidéos, ce à quoi ces dernières y répondent, pour beaucoup d’entre elles, par une simple question avant l’accès à leur site : « Avez-vous plus de 18 ans ?». Cela n’arrêtant pas grand monde, encore moins un mineur qui sait déjà, la plupart du temps, qu’il n’est pas censé s’y trouver, il semble évident que ces mesures ne sont pas suffisantes. A l’inverse, d’autres sites, pour la plupart payants, demandent une vérification de l’identité, à minima avec l’insertion d’une carte de crédit. En ce qui concerne les plateformes diffusant du contenu gratuit, d’autres solutions d’identification sans carte de crédit existent, peut être encore trop peu développées(5). Pour le moment, les contrôles notamment des tubes se révèlent trop peu efficaces, l’explication étant peut-être qu’une bonne partie de leur clientèle est mineure, raison pour laquelle cette loi devrait être renforcée.

Un autre sujet, faisant également plutôt consensus, concerne les conditions de tournage. Le bien-être des actrices et acteurs ainsi que leur consentement ne fait pas réellement débat. En revanche, il semble assez difficile de penser à une manière de les encadrer. Depuis peu, un système de charte est adopté par un certain nombre de diffuseurs français, permettant d’encadrer les pratiques des producteurs et ainsi de protéger notamment les actrices de toutes dérives. Néanmoins, ces chartes ne sont pas encadrées légalement, et relèvent donc de la bonne volonté des diffuseurs et producteurs de les mettre en place. Ce qui complique les choses dans ce domaine est le statut des actrices. En effet, elles ne sont pas reconnues légalement comme telles, rien dans le code du travail n’encadrant ce milieu. De plus, elles ne peuvent faire appel à un agent, car cela relève du proxénétisme, ce qui est interdit en France. Sans encadrement, il est ainsi plus difficile pour une actrice, en particulier novice, de faire respecter ses droits et son consentement, ce dont malheureusement certains producteurs abusent. Il s’agirait donc ici, dans l’optique de protéger ces femmes, de songer à un encadrement légal de leur activité.

Enfin, concernant le contenu des vidéos, il semble assez difficile de légiférer sur le sujet. Nous parlons ici uniquement des vidéos tournées dans un cadre légal, donc sans viol ou encore pédocriminalité, qui sont des crimes déjà punis par la loi. Dans le cadre d’un tournage avec un scénario, il semble en effet assez malvenu que la loi s’y immisce, plus que dans le cinéma classique. Aussi choquant qu’ils puissent parfois être, les fantasmes ne sont pas illégaux, pas plus que leur représentation à l’écran. Les interdire relèverait de l’atteinte aux libertés. Allons même plus loin : si certains fantasmes sont à interdire, lesquels choisir ? Sur quelle base légiférer ? Sur la représentation de l’illégal ? Sur ce qui choque les mœurs ?

L’encadrement de l’industrie pornographique semble être ainsi une priorité, tant du point de vue de la protection de la société et en particulier des mineurs, que des personnes y travaillant. Cependant, il n’est pas si simple d’encadrer un secteur aussi empreint de questions morales. Et si on réfléchissait alors à une industrie pornographique plus éthique, permettant le respect de ces normes de base ?

Existe-t-il un porno plus éthique et représentatif ?

Pour un certain nombre de personnes, les notions d’éthique et de féminisme sont antinomiques avec celle de pornographie. Cette opposition se fonde sur plusieurs arguments. Le premier est d’ordre moral. Pour beaucoup, la pornographie ne peut pas être éthique en raison même de la marchandisation des corps qu’elle implique. Un autre argument repose sur le constat que les productions actuelles sont fondamentalement violentes envers les femmes, en particulier quand il s’agit de productions amatrices. Enfin, la notion de consentement, essentielle à toute réflexion sur l’éthique et le féminisme, pose question dans ce milieu.

Le consentement est une notion qui ne fait pas consensus sur sa nature. La définition succincte du Larousse laisse en effet place à l’interprétation : « Action de donner son accord à une action, à un projet ». Cette notion n’est pas non plus définie clairement dans la loi, les agressions sexuelles et les viols étant toujours caractérisés dans le code pénal par l’existence d’une violence, contrainte, menace ou surprise. La définition la plus souvent reprise dans les discours féministes est celle donnant 5 principes au consentement, qui doit être : donné librement, éclairé, spécifique, réversible et enthousiaste. Néanmoins, celle-ci, bien que plus complète que les précédentes, peut ne pas être reconnue de tous. Alors, concernant le consentement sexuel, pouvons-nous le faire apparaître dans un contrat tout en faisant en sorte qu’il soit le plus clairement défini ? Si l’on reprend la dernière définition, nous pouvons dire que oui, à condition que ces 5 piliers soient respectés. Cela sous-entendrait par exemple qu’une actrice puisse stopper à tout moment une scène. Le pilier réversible du consentement, pourtant indispensable, peut très vite poser problème dans le cadre d’un contrat, car s’il n’est pas spécifié explicitement dans celui-ci, cela suggère que le producteur peut légitimement se retourner contre l’actrice qui ne souhaite pas poursuivre une scène pour laquelle elle a signé, sur fondement de non-exécution du contrat. Il existe néanmoins certaines productions qui tentent du mieux possible de respecter ces 5 piliers dans leurs contrats, comme l’affirme Carmina, productrice et elle-même actrice de son propre label(6).

Outre le consentement, la nature des productions pose également question sur le plan éthique et a fortiori féministe. En effet, nous l’avons vu, la nature de l’offre actuelle de films pornographiques reste assez peu hétérogène. Nous sommes face à une surreprésentation de scènes violentes, parfois racistes, homophobes ou autre. Selon le mouvement du Nid (association féministe), « l’existence même de la pornographie est une violence »(7). Nous pouvons néanmoins admettre qu’une offre plus diversifiée serait plus éthique. C’est le pari pris par certaines productions dites alternatives voire féministes comme celles d’Erika Lust ou encore Olympe de G(8), mais également de diffuseurs plus classiques comme Dorcel qui appliquent peu à peu les chartes dont nous avons parlé précédemment.

Ces chartes imposent aux producteurs de ne pas produire de contenu visiblement violent, dégradant et/ou humiliant(9). « La pornographie n’est pas un problème en soi, elle doit être détachée des violences qui peuvent avoir court » nous dit la chercheuse Béatrice Damian-Gaillard. Le rapport du Sénat publié fin 2022 propose par ailleurs de rendre gratuit et obligatoire le retrait des vidéos par les diffuseurs quand une personne filmée en fait la demande (ce qui aujourd’hui n’est pas encadré et donne lieu à des sommes d’argent colossales versées pour le retrait d’une vidéo) . 

Il serait par ailleurs intéressant de chercher du côté de la nature des productions, en allant peut être plus loin du côté de la diversité, en n’allant pas seulement la chercher derrière l’écran, mais également à la production. Historiquement l’écrasante majorité des productions sont détenues par des hommes.

Aujourd’hui, de plus en plus de femmes passent derrière les caméras pour produire et réaliser à leur tour, amenant alors une autre vision de la sexualité, peut-être plus féministe et surtout plus égalitaire face aux pratiques sexuelles, pour un certain nombre d’entre elles.

Références

(1)Grâce à la loi du 30 Juillet 2020 obligeant les sites pornographiques à bloquer leur accès aux mineurs

(2) Propos recueillis lors de l’audition du 30 mars 2022 dans le cadre de la commission sénatoriale sur la pornographie et son industrie menée par la délégation aux droits des femmes

(3)A l’instar de Pornhub ou encore Youporn

(4)Propos recueillis lors de la table ronde du 03 février 2022 dans le cadre de la commission sénatoriale sur la pornographie et son industrie menée par la délégation aux droits des femmes

(5)Des sociétés spécialisées dans la vérification d’identité en ligne existent, à l’instar de Yoti, permettant une vérification sans transmission ni stockage de données par la plateforme cliente.

(6)Propos recueillis lors de la table ronde du 09 mars 2022 dans le cadre de la commission sénatoriale sur la pornographie et son industrie menée par la délégation aux droits des femmes

(7)Propos recueillis lors de la table ronde du 20 janvier 2022 dans le cadre de la commission sénatoriale sur la pornographie et son industrie menée par la délégation aux droits des femmes

(8)Olympe de G propose un contenu plus érotique que pornographique mais n’en reste pas moins inspirante en la matière.

(9) Néanmoins, cela étant très récent, il est pour le moment difficile d’en évaluer les effets.

Nous soutenir

Si vous aimez notre travail, c’est par ici !

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

dans la même catégorie...

NOS REVUES

C’est encore mieux version papier.

nos autres entretiens...