Le choc des souverainetés, nouvel horizon du XXIe siècle ?

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Pas de démondialisation en vue mais bien une nouvelle étape de la mondialisation. La pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine confirment des tendances à l’œuvre depuis longtemps mais que nous ne pouvions auparavant observer qu’à partir de signaux faibles. « Depuis plusieurs années, en effet, la mondialisation, à la fois comme école de pensée et phénomène économique, a cessé d’être dominante. Relocalisations d’usine, recherche de production industrielle, circuits courts, localisme économique sont en vogue »(2).

Nous assistons peu à peu, et selon Pascal Lorot, à un réveil des souverainetés qui se manifeste sur l’ensemble de la planète. Aux Etats-Unis d’abord, où la croyance en leur « Destinée manifeste » n’a rien perdu de sa superbe et qui, face aux appétits chinois, traitent désormais leurs alliés européens et asiatiques en vassaux. En Chine, qui dernièrement a interdit l’exportation de technologies d’extraction et de séparation des terres rares (et se montre de plus en plus agressive vis-à-vis de ses voisins). En Russie avec bien évidemment l’agression de l’Ukraine. Mais les trois grands ne sont pas les seuls concernés.

L’Arabie saoudite se conçoit de plus en plus comme la marraine d’un monde arabe émancipé de la tutelle américaine. La Turquie néo-ottomane d’Erdogan assoit peu à peu son emprise sur la Méditerranée orientale, la Transcaucasie et le Proche-Orient. L’Iran, par l’intermédiaire de son stratège le général Soleimani mort en 2020, a étendu son influence en Irak, en Syrie, au Liban et s’affirme comme une puissance régionale sur laquelle il faut désormais compter.

L’Europe n’échappe pas à la règle. Le Brexit d’abord et le projet « Global Britain » imaginé par l’ancien premier ministre Boris Johnson ouvre la voie. L’Allemagne ensuite, dont le chancelier Olaf Scholz proclame l’avènement d’un « changement d’époque », jette désormais son dévolue sur l’Est de l’Europe et souhaite devenir le centre névralgique d’une Union européenne élargie à une trentaine de membres. La Pologne et la Hongrie rompent quant à elles avec le progressisme et les valeurs européennes pour célébrer leurs spécificités nationales et la défense de la civilisation occidentale face au « déferlement de hordes de barbares ».

L’abandon de la souveraineté des Etats européens

Plus que pour toute autre partie du monde, le choc des souverainetés qui se profile représente un défi pour l’Union européenne. Ayant parfaitement intégré les logiques qui prévalaient lors de la dernière phase de la mondialisation (entamée dès les années 1970 et dont les maîtres mots étaient libération des capitaux, financiarisation de l’économie, dérégulation du commerce international et désindustrialisation) rares sont les outils qui lui restent pour appréhender les défis qui se posent désormais à elle. Certes l’agression de l’Ukraine a réveillé quelques esprits européens mais l’atmosphère idéologique qui prévaut dans les institutions de l’union ne fait guère la part belle au concept de souveraineté.

Ce désamour est avant tout le fruit d’une histoire. Celle d’élites occidentales biberonnées au nomadisme et au sans-frontiérisme promus par les héritiers revendiqués de Deleuze et Foucault. Et Pascal Lorot de citer Christopher Lash « Les nouvelles élites sociales ne se sentent chez elles qu’en transit, sur le chemin d’une conférence de haut niveau, de l’inauguration d’un gala d’un nouveau magasin franchisé, de l’ouverture d’un festival international de cinéma, ou d’une station touristique encore vierge. Leur vision du monde est essentiellement celle d’un touriste – perspective qui a peu de chances d’encourager un amour passionné pour la démocratie(3) ».

Mais c’est également le fruit d’une stratégie bien rodée d’américanisation des classes dirigeantes européennes et de leur conversion à l’American way of life. Nombreux sont les think tanks américains encore présents sur le continent et assurant la formation idéologique des futurs décideurs économiques, politiques, associatifs, etc. Le plus emblématique d’entre eux est sans doute la French-American Foundation (FAF) qui envoie chaque année sur le territoire américain une promotion de jeunes européens prometteurs pour les former au mode de pensée et aux intérêts de l’Oncle Sam. Une fois de retour sur leur terre natale, ces « young leaders » constituent de formidables relais des positions américaines comme ce fut le cas lors du rachat de la division d’Alstom par General Electric en 2014(4).

Ainsi ouvert aux quatre vents par ses propres dirigeants, l’Europe est selon Pascal Lorot le seul ensemble régional dépendant de tous les autres : de la Chine pour les biens et marchandises, de l’Inde pour les techniciens et les informaticiens, des Etats-Unis pour les nouvelles technologies et jusqu’il y a peu de la Russie pour l’énergie.

Parmi les exemples étudiés dans son ouvrage, l’auteur s’attarde sur un problème franco-français mais symptomatique d’une situation qui tient de l’auto-sabordage : le parc nucléaire hexagonal. Sous le poids conjoint de stratégies d’influence étrangères (allemandes notamment) et d’écologistes inconséquents, le parc nucléaire français a vu ses capacités réduites, ses investissements diminués, ses compétences et savoir-faire délaissés. Si bien que la relance de la production nucléaire annoncée par le gouvernement en 2022 va nécessiter l’embauche de 10 000 à 15 000 personnes chaque année jusqu’en 2030. Dans un monde cherchant à s’émanciper du pétrole et du gaz, et où les programmes de nucléaires civils se multiplient sur l’ensemble des continents, ce désarmement industriel tient du paradoxe le plus total.

Un paradoxe qui s’épanouit dans beaucoup d’autres domaines (agriculture avec la signature d’un ensemble de traités de libre-échange, automobiles avec des constructeurs européens dépassés par l’arrivée sur le marché de véhicules électriques américains et chinois, etc…). Ce qui fait douter l’auteur de l’ouvrage quant à notre « aptitude à affronter les bouleversements à venir. En l’absence d’une volonté réelle de défendre et promouvoir les attributs de leur souveraineté, la France et l’Europe ne pourront s’adapter aux événements chaotiques qui se profilent à l’horizon ».

Le chaos qui vient

Si la pandémie de Covid-19 est sans conteste une crise sanitaire elle est tout autant une crise géostratégique et la manifestation la plus concrète d’une réalité qui s’impose désormais à nous : la mondialisation n’est plus l’occidentalisation du monde.

La précédente étape de la mondialisation, incarnée économiquement par la liberté totale de circulation des capitaux et politiquement par l’imposition de gré ou de force des valeurs occidentales, a été rendue obsolète par la guerre douanière et commerciale que se livrent désormais les Etats-Unis et la Chine pour l’hégémonie mondiale. La vieille lune néo-libérale d’un monde pacifié par les vertus d’un capitalisme débridé a vécu.

Se font désormais face deux nations-empires : l’empire millénaire chinois (après la parenthèse qu’ont représenté les deux derniers siècles d’humiliation occidentale débutée avec les guerres de l’Opium) et l’empire américain. Leur compétition étendue à l’ensemble des domaines de la vie humaine (économique, culturel, politique, diplomatique, etc…) fait craindre leur chute dans le « piège de Thucydide » : « la survenue d’un affrontement difficilement évitable entre une puissance dominante et sa rivale émergente »(5).  

Les motifs d’affrontement ne manquent pas. Taïwan est certainement le plus visible de tous. Principal producteur mondial de semi-conducteurs et démocratie libérale, son indépendance est à la fois un affront aux yeux du pouvoir chinois et une nécessité pour les Etats-Unis. Engagés dès 1979 avec le Taiwan Relations Act dans la défense de l’île, l’oncle Sam serait tenu d’intervenir si la Chine envahissait Taïwan.

L’Union européenne et la France ont vu leurs marges de manœuvre diplomatique se réduire à peau de chagrin avec le conflit russo-ukrainien. L’Hexagone, comme l’indique Pascal Lorot, a proposé en 2006 un projet de sécurité croisé de l’Ukraine par l’intermédiaire de l’OTAN et de la Russie assurant la neutralité et l’indépendance du pays. Si l’idée est accueillie favorablement par Moscou, Washington la rejette catégoriquement et œuvre à l’intégration de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN. Plus encore, la maison blanche favorise la constitution d’un front panturc (par l’intégration des républiques turcophones d’Asie centrale au territoire d’Ankara) et à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne afin d’affaiblir tout autant l’Europe que la Russie.

Confiante dans sa suprématie diplomatico-militaire, elle refonde désormais sa suprématie économique par le subventionnement massif des produits « made in USA », l’extraterritorialité de son droit et l’imposition d’un nouvel ordre international protectionniste. Et Pascal Lorot de citer le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire : « Le véritable risque européen, c’est le décrochage technologique, industriel et économique, qui laisserait le champ libre aux Etats-Unis et à la Chine ».

On regrette néanmoins que l’auteur ne s’attarde que trop peu sur la crise climatique qui représente sans l’ombre d’un doute un vecteur de chaos international et un défi immense pour l’Humanité..

Les nouvelles frontières de la souveraineté

En août 2022, Joe Biden signe le Chips and Science Act permettant le soutien de l’industrie américaine de la tech à hauteur de 280 milliards de dollars (52,7 milliards pour les semi-conducteurs). La réplique américaine à l’ascension chinoise en matière de nouvelles technologies est donc sans appel.

Pour ce qui est de l’Europe et de la France, Pascal Lorot montre combien le retard est grand : « l’Union européenne investit cinq fois moins que les Etats-Unis dans la R&D privée, elle y consacre 40 milliards d’euros par an, contre 200 milliards outre-Atlantique et 64 milliards dans l’empire du Milieu où ce montant croît de 15% chaque année. Quant aux start-ups du Vieux Continent, elles ont attiré trois fois moins de financements que celles d’Amérique du Nord dans la période post-Covid ». Pas de « techno-puissance » pour l’Europe.

Des pistes visant à combler ce retard sont néanmoins avancées. D’abord l’impératif de garantir la sécurité des infrastructures et services de stockages de données sensibles (à l’image du cloud souverain Numspot(6)).

Ensuite l’adoption d’alternatives européennes aux solutions américaines et chinoises. Et là-dessus le législateur a une place importante : par la promotion de normes plus rigoureuses en matière de réversibilité, d’interopérabilité et de portabilité des données, les acteurs européens se retrouveraient de facto mieux positionnés sur un marché hautement concurrentiel mais peu soucieux de la protection des utilisateurs(7).

Enfin, à travers une meilleure coordination entre la recherche et les investissements, la stratégie européenne et française gagnerait à se concentrer sur les technologies essentielles à la souveraineté et pour lesquelles un leadership est encore possible.

Le législateur peut effectivement favoriser l’émergence d’un écosystème technologique souverain : à l’échelle française par exemple en faisant de la commande publique un levier pour les technologies européennes. A l’échelle européenne en élargissant le traitement différencié d’opérateurs de pays tiers (déjà mis en œuvre pour les services publics, les postes, les transports et la défense) aux infrastructures numériques et aux technologies critiques (IA, semi-conducteurs, technologies quantiques et nucléaires, etc…).

Bien que devant être radicalement questionnée, la haute intensité technologique de nos sociétés contemporaines (et leur transition vers des économies décarbonées) fait des métaux précieux et terres rares un enjeu de souveraineté à part entière. Pascal Lorot cite avec raison les mots de Guillaume Pitron, récompensé par le prix du meilleur livre d’économie en 2018 « Tous les pans les plus stratégiques des économies du futur, toutes les technologies qui décupleront nos capacités de calcul et moderniseront notre façon de consommer de l’énergie, le moindre de nos gestes quotidiens et même nos grands choix collectifs vont se révéler tributaires des métaux rares(8) ».

Deux difficultés apparaissent dans ce secteur : d’une part, la demande mondiale en métaux stratégiques ou critiques connaît une forte augmentation en raison de la croissance démographique et du développement économique des pays émergents (mais également du développement de nouvelles filières industrielles liées à la transition numérique et écologique). D’autre part, le marché, par les hasards de la géographie, est fortement oligopolistique. Afrique du Sud, Australie, Brésil, Canada, Chine, Etats-Unis, Kazakhstan, Russie, Chili et Pérou concentrent la majorité des ressources connues. La République démocratique du Congo dispose quant à elle de 50% des réserves de cobalt, 80% des réserves de coltan.

Mais au-delà des hasards de la géographie, la situation oligopolistique du marché des métaux stratégiques et critiques tient également à la stratégie bien rodée d’un acteur désormais incontournable : la Chine. A travers une diplomatie minière parfaitement structurée sur l’ensemble des continents depuis plus de vingt ans, des géants miniers et un marché intérieur en pleine croissance, l’empire du Milieu est pleinement hégémonique. Il détient 95% des opérations sur les terres rares, 60% pour le cobalt et le lithium, 40% pour le cuivre. « De ce fait, la Chine est en capacité de fixer les prix du marché sur les terres rares et de nombreux métaux : elle représente par exemple 58% de la production mondiale d’acier ».Au-delà d’une stratégie minière hexagonale à renouveler selon l’auteur (qui appelle à inventer la mine du XXIe siècle en France, pays européen disposant d’un potentiel minier important pour le lithium dans le Massif central, pour le tungstène dans les Pyrénées, pour le nickel dont 20% des réserves mondiales sont en Nouvelle-Calédonie) l’enjeu est celui de la sécurisation de nos approvisionnements en reconstituant nos stocks stratégiques et en déployant une véritable diplomatie des métaux.

L’augmentation drastique des capacités de recyclage des métaux stratégiques et critiques constitue également un volet indispensable d’une stratégie souveraine. De bons exemples existent déjà, à l’image de l’entreprise Aubert&Duval à l’origine d’EcoTitanium (filière de recyclage de titane intégrée de qualité aéronautique européenne).

On regrette néanmoins que peu de mots soient consacrés à l’émergence de technologies alternatives. La coopération efficace entre le CNRS et l’entreprise Tiamat est par exemple à l’origine de la batterie au sodium (dont les qualités sont remarquables : temps de recharge dix fois plus rapide que les batteries au lithium et durée de vie d’une dizaine d’année contre 3 à 4 pour celles au lithium). Ces nouvelles batteries pourront alimenter les véhicules électriques pour des trajets urbains (de 0 à 200km) mais également jouer un rôle clé pour le stockage des énergies éolienne et solaire. Par ailleurs, le sodium étant beaucoup plus abondant et présent un peu partout sur la planète (et son extraction étant plus écologique que le lithium) son utilisation réduit les risques de tension géopolitique(9).

Les mers, loin d’être un espace secondaire, constituent l’un des domaines où ce choc des souverainetés est déjà à l’œuvre. 90% du commerce mondial transite par bateau et 99% des flux de données passent par des câbles sous-marins. Les sols et sous-sols marins sont, quant à eux, potentiellement riches en métaux (pour le territoire français : sulfures polymétalliques et encroûtements cobaltifères du côté de la Polynésie française et nodules polymétalliques dans les eaux de l’atoll de Clipperton)(10).

La France occupe par ailleurs une place spécifique dans cette lutte maritime. Disposant de 11 millions de km2 de mer territoriale, de zone économique exclusive (ZEE) et de plateau continental, l’Hexagone est à la tête du deuxième domaine maritime mondial (derrière les Etats-Unis). Reste que le manque de moyens navals et aériens limite considérablement la capacité de la France à faire respecter sa pleine souveraineté sur ces espaces maritimes et protéger les ressources halieutiques et les minerais des capacités prédatrices de certains Etats comme la Chine.

Quant à l’espace et à sa privatisation grandissante sous le poids d’acteurs privés comme SpaceX, l’Europe comble peu à peu son retard vis-à-vis de la Chine et des Etats-Unis. 2024 voit le lancement d’Iris 2, constellation de connectivité souveraine visant à « assurer la continuité de l’accès à l’internet haut débit en cas d’effondrement ou de saturation des réseaux terrestres. Apporter de la résilience en cas de cyberattaques. Doter les armées et les Etats d’un outil souverain de communication sécurisée en cas de crise »(11). Sur la période 2023-2027, l’Union européenne compte mobiliser 2,4 milliards d’euros (750 millions d’euros supplémentaires sont apportés par l’Agence spatiale européenne).

Enfin, Pascal Lorot revient sur l’importance d’anticiper les futures ruptures technologiques. Avec l’annonce d’un Plan Quantique doté de 1,8 milliards d’euros et concernant l’ensemble des technologies quantiques (capteurs, simulateurs, ordinateurs, communications), un tissu de start-up dynamiques et une recherche publique de pointe, la France a de réels atouts à faire valoir. Il serait en revanche malheureux de nous endormir sur nos lauriers. Les dépenses intérieures de recherche et développement de l’Etat sont désormais inférieures à la moyenne de l’OCDE et nous sommes passés de la sixième à la neuvième place depuis 2005 en matière de publications scientifiques dans le domaine médical.

Refonder une stratégie gagnante

La question que l’on se pose nécessairement à la lecture de cet ouvrage est celle de savoir si la France est toujours une nation souveraine. Après l’analyse des défis qui l’attendent et des moyens à sa disposition, on peut effectivement en douter. La désindustrialisation et la dégradation du parc nucléaire hexagonal, toutes deux fruits de choix politiques plus que critiquables, le déficit chronique de la balance commerciale, le chômage de masse, les investissements trop faibles dans la recherche & développement sont à l’origine d’un déclassement national qu’il est difficile de nier.

L’heure est donc selon Pascal Lorot à l’identification de priorités : si la souveraineté s’étend désormais à des domaines de plus en plus larges, trois piliers conditionnent l’existence d’une nation et fonde sa souveraineté : l’industrie, l’agriculture, la défense. Pour chacun de ces piliers, l’auteur trace les contours d’une souveraineté retrouvée.

La voie de la réindustrialisation :
  1. Une fiscalité attractive pour l’industrie (suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés, fusion de la CFE et de la taxe foncière, etc…)
  2. Le développement du nombre d’ETI (entreprises de taille intermédiaire) en France. L’Hexagone compte 5000 ETI (40% d’entre elles concernent le secteur industriel) contre 13 000 en Allemagne. Malgré leur faible nombre, elles représentent 39% du PIB national et constituent des entreprises fortement créatrices de richesses et d’emplois dans les territoires sur lesquels elles s’implantent.
  3. La modernisation du parc industriel avec le lancement d’un programme « Industrie du futur II » afin de combler le retard des PMI (petites et moyennes entreprises) en matière de robotisation des procédés, de numérisation des équipements, d’intégration des solutions de décarbonation.
  4. La décarbonation des activités industrielles en prolongeant le Plan de relance à la décarbonation des procédés industriels mais également en amplifiant les politiques de soutien à la chaleur décarbonée et au recyclage.
  5. La montée en compétences de l’industrie (continuer la montée en puissance de l’apprentissage, créer des passerelles efficaces au sein des écoles de la deuxième chance vers la formation professionnelle en alternance, etc…). On remarque néanmoins que la formation continue des salariés est un point aveugle de l’ouvrage.
  6. La dynamisation de la R&D (sanctuarisation du Crédit d’impôts recherche et dynamisation du Crédit d’impôt innovation, développement des partenariats entre les structures de recherche publique et les entreprises industrielles).
  7. La transition énergétique et écologique du secteur logistique (verdissement des véhicules, construction d’entrepôts neutres en carbone, développement du multimodal…).
Sur le chemin de l’agro-écologie française et européenne :
  1. La diversification et la sécurisation des approvisionnements (mettre fin notamment à la dépendance aux fertilisants extra-européens).
  2. Une stratégie européenne « Farm to Fork » repensée (la limitation des dépendances stratégiques en matière agricole nécessitera selon Pascal Lorot d’augmenter la production agricole européenne et non de la diminuer).
  3. Des conséquences du réchauffement climatique anticipées (mettre en œuvre une stratégie d’adaptation et de transformation des cultures d’ici 2050 en identifiant les cultures viables en fonction des zones géographiques et des modifications climatiques attendues).
  4. Un cadre règlementaire juste et adapté (renforcement des contrôles et de la traçabilité des produits alimentaires importés de pays tiers, 8 à 12% ne respectent pas les normes européennes de production).

Pour une analyse complète des enjeux de l’indépendance agricole, voir la note de David Cayla :  https://letempsdesruptures.fr/index.php/2022/11/01/proposition-pour-un-nouveau-modele-agricole/ 

La défense, troisième pilier de la souveraineté nationale

La base industrielle et technologique de défense (BITD) dispose d’un écosystème particulièrement dynamique (une dizaine de grands groupes, 4000 PME dont 450 PME stratégiques, 20 milliards de chiffre d’affaires et 200 000 emplois, 10% de l’emploi industrielles dans des régions comme la Bretagne, le Centre-Val-de-Loire ou la Nouvelle Aquitaine) et d’investissements budgétaires importants notamment dans le cadre de la loi de programmation militaire 2019-2025. Néanmoins, en raison de l’augmentation des tensions géopolitiques et du retour de conflits symétriques (entre Etats) la BITD doit être en mesure de répondre très rapidement aux besoins à court terme de l’armée française. Dans ce contexte, deux défis se posent à elle :

  1. La pénurie de main d’œuvre. L’industrie de défense est une industrie « de main-d’oeuvre (soudeur, électrotechnicien, etc.) et de haute technologie (data scientist, ingénieur, etc.)(12)». Nombre de métiers et compétences qui la composent sont en tension. Pascal Lorot plaide par conséquent pour la relance de filières de formation sur des compétences critiques (soudage, chaudronnerie) et la mise en place d’une réserve militaire opérationnelle de l’industrie de défense (comme c’est le cas chez notre voisin britannique). Cette dernière permettrait une mise à disposition dans les deux sens des compétences industrielles et militaires.
  2. Le financement de la BITD (avec la réallocation d’une partie de l’épargne de long terme des particuliers vers des sociétés de la BITD. Néanmoins, le Conseil constitutionnel vient de retoquer le gouvernement qui souhaitait flécher une partie du livret A dans ce sens).

Les limites posées à la souveraineté

L’une des limites identifiées par l’auteur est d’ordre idéologique : le mythe du couple franco-allemand est un frein au retour de la souveraineté économique dans de nombreux secteurs. La France n’est en aucun cas un partenaire privilégié par l’Allemagne dans ses relations avec les Etats de l’Union. Et si des projets communs existent, des désaccords stratégiques se font régulièrement jour. Sur le marché européen de l’énergie (et la préférence française pour le nucléaire), sur la politique étrangère et les relations avec l’OTAN, etc…

Première puissance économique de l’Union, l’Allemagne redevient un acteur géopolitique : « 100 milliards d’euros sur la table destinés à bâtir la première armée conventionnelle du continent, à prendre la tête du pilier européen de l’OTAN  […] et à déployer une stratégie qui fait basculer le centre de gravité de l’Europe vers l’est. Sur le plan économique comme sur le plan militaire, l’Allemagne met tout en œuvre pour créer une zone d’influence pangermanique qui marginalise, voire exclut, la péninsule européenne (France, Espagne, Portugal, Italie du Sud »(13).

Au-delà de l’Allemagne, l’allié américain joue souvent contre l’unité de l’Union avec la complicité régulière des pays de l’Est. Pour preuve la Pologne qui décide dès 2012 de faire appel au groupe américain Westinghouse pour construire sa première centrale nucléaire. Ou encore l’Initiative des trois mers (ITM) prise par la Pologne et la Croatie regroupant 12 Etats d’Europe de l’Est et réaffirmant l’alignement sur les positions américaines.

Il y a également, et Pascal Lorot a raison de le souligner, une divergence culturelle qui se creuse entre l’Ouest et l’Est de l’Union : les pays anciennement dans le giron de l’URSS reprochent désormais à l’UE d’avoir rompu avec ses racines chrétiennes.

Alors peut-on parler de souveraineté européenne ? Nous ne pouvons qu’être d’accord avec l’auteur quand il affirme que sur le plan théorique cette idée est un non-sens. Il n’existe pas de nation européenne ni de peuple européen qui se reconnaissent comme tels. Et à l’heure où les identités nationales (voire régionales) au cœur de l’Union se réaffirment (comme partout ailleurs) il serait bien candide de le croire.

Mais cela ne veut pas dire que nous devions renoncer à toute ambition européenne. Nombreux sont les sujets sur lesquels la France ne peut prétendre à une action unilatérale. Identifier quels sont ces sujets est le premier pas d’une construction européenne plus pragmatique. Ainsi Pascal Lorot, cite tour à tour l’industrie de défense, l’industrie du futur et le numérique, l’intelligence artificielle, les énergies renouvelables, etc.

L’Union a su d’ailleurs mettre en place divers instruments permettant de soutenir des secteurs critiques de l’économie européenne. A l’instar du secteur des semi-conducteurs. Des instruments européens tels que les Projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) et des engagements financiers (Horizon Europe, Next Generation EU, Fonds européen de souveraineté) démontrent selon l’auteur que les prémisses d’une politique industrielle se font jour.

La structuration du marché commun par une approche ambitieuse des normes (avec notamment la nouvelle stratégie de normalisation de l’UE) constitue également un levier essentiel du renouveau industriel européen. 

Enfin, la dédollarisation du monde qui s’annonce avec la montée en puissance de la Chine et de nouvelles puissances régionales (Inde, Brésil, Afrique du Sud, Iran, Arabie Saoudite, Turquie, Russie, etc…) pourrait permettre à l’UE et à la France de retrouver des marges de manœuvre importantes dans les échanges internationaux.

Pas de poursuite donc pour Pascal Lorot, d’une souveraineté européenne chimérique mais la possibilité d’une autonomie stratégique grâce au recentrement de l’UE sur des enjeux vitaux pour son avenir.

Le sursaut souverain et l’ère de la géoéconomie

Loin d’être une idée dépassée, la souveraineté est au cœur de l’histoire politique et constitutionnelle de la France. A juste titre est rappelé le préambule de la Constitution de 1958 : « Le Peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789 ; confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 ».

Mais ses contours ont changé. Limitée d’abord aux impératifs de défense, le choc pétrolier de 1973 élargit son cadre pour lui faire englober les enjeux énergétiques (et la constitution d’un programme nucléaire civil ambitieux). L’émergence d’un monde où la conflictualité ne concerne plus uniquement l’Etat mais bien l’ensemble des acteurs économiques transforme également les frontières de la souveraineté : désormais les entreprises connaissent des besoins croissants de sécurisation des chaînes d’approvisionnement et logistiques et sont parties prenantes de la conflictualité entre Etats. La montée de l’insécurité dans le détroit de Bab-el-Manded suite au conflit israélo-palestinien le démontre suffisamment : les porte-conteneurs des compagnies maritimes comme CMA-CGM refusent désormais de remonter le canal de Suez et reprennent la route du Cap de Bonne Espérance.

Ce glissement d’une souveraineté purement étatique et limitée aux enjeux de défense à une souveraineté économique impliquant l’ensemble des acteurs économiques signe selon Pascal Lorot « l’ouverture d’une ère nouvelle, celle de la géoéconomie, qui est la toile de fond des rapports entre acteurs au XXIe siècle ».

L’auteur définit la géoéconomie comme étant « l’analyse des stratégies d’ordre économique et commercial, décidées par les Etats dans le cadre de politiques visant à protéger leur économie nationale ou certains pans bien identifiées de celle-ci, à acquérir la maîtrise de technologies clés et/ou à conquérir certains segments du marché mondial relatifs à la production ou la commercialisation d’un produit ou d’une gamme de produits sensibles, en ce que leur possession ou leur contrôle confère à son détenteur – Etat ou entreprise « nationale » – un élément de puissance et de rayonnement international et concourt au renforcement de son potentiel économique et social ».

Désormais, et bien qu’il existe toujours des conflits traditionnels à l’image de la guerre en Ukraine, les conflictualités économiques se multiplient et les Etats s’opposent pour l’obtention de parts de marché, de ruptures technologiques, d’obtention de brevets etc.

Nous divergeons en revanche avec l’auteur sur un point. Loin d’être un phénomène nouveau, la géoéconomie n’est à notre sens que la nouvelle forme d’une guerre économique qui n’a jamais cessée et est aussi vieille que l’histoire de l’Humanité.

Salvateurs sont à ce titre les travaux menés par l’Ecole de Guerre Economique et son centre de recherche le CR451. Son directeur adjoint, Arnaud de Morgny, définit la guerre économique comme « la confrontation entre parties pour capter, contrôler des ressources, accaparer des richesses, accroître sa puissance par l’économie. Elle plonge ses racines dans l’histoire de l’Humanité. La construction des empires par le recours à l’esclavage et la violence qui en découle est une des matrices majeures de l’Histoire humaine.(14) »

Sa réalité n’a été recouverte qu’à partir des révolutions industrielles et l’avènement de pensées économiques libérales qui ont cru voir dans le marché et le doux commerce un levier de pacification des sociétés. Ces penseurs ont volontairement oublié la dimension violente de toute conflictualité économique.

Ainsi la guerre économique (qu’Arnaud de Morgny définit également par ses moyens y compris illégaux : manipulation, chantage, pressions juridiques, etc…) n’est pas une spécificité des temps de guerre (blocus, destruction d’infrastructures économiques…) mais bien une permanence des relations commerciales. Le terme de guerre est utilisé car les Etats interviennent directement dans le conflit via la fourniture d’informations sur les concurrents, la situation du marché ou la pression exercée sur certains acteurs ; ou indirectement en communiquant par exemple sur la qualité des produits du pays.  Ainsi « La guerre économique est une réalité devenue permanente, la guerre cinétique ou militaire un pic d’affrontement »(15).

L’Ecole de Guerre Economique et Pascal Lorot s’accordent néanmoins sur deux points :  le rapport Martre en 1994 a permis une première prise de conscience des enjeux de la conflictualité économique. Les entreprises sont par ailleurs amenées à jouer un rôle de plus en plus grand dans la guerre économique en étant plus attentives aux enjeux géopolitiques (conflits régionaux, sécurisation des approvisionnements et flux logistiques, etc…), et en élargissant le spectre de leurs modalités d’action (influence, diplomatie économique, contre-espionnage, etc…) y compris à leur corps défendant.

Ne pas assumer ce rôle c’est risquer de perdre des parts de marché, des brevets, des technologies critiques au bénéfice des entreprises américaines, chinoises, turques, russes, sud-coréennes qui ont déjà intégré la profonde pénétration des enjeux de souverainetés politiques et économiques et collaborent étroitement avec leurs gouvernements respectifs.

Le développement de cette nouvelle forme de « diplomatie d’entreprise » en soutien des grandes orientations de l’Etat ne peut en revanche se justifier que sous une condition spécifique : la soumission de ces grandes orientations politico-économiques à la souveraineté populaire.

Apparaissant en filigrane dans la fin de l’ouvrage de Pascal Lorot, mais jamais véritablement mentionnée, la souveraineté populaire n’est que l’autre nom de la décision démocratique quant aux choix, également économiques, de la nation.

Sans souveraineté populaire, la défense de la souveraineté nationale en matière économique n’est plus que la nostalgie des anciennes formes de capitalisme national et de paternalisme économique. Elle n’est que l’autre nom de la « renationalisation » des élites économiques.

Ce simple changement d’élites, au-delà d’être injustifiable, est de toute façon inconcevable au vu du degré de méfiance vis-à-vis d’elles qui touchent désormais l’ensemble des démocraties occidentales et au premier titre la France(16).  

Reste à savoir comment peut se manifester cette souveraineté populaire. Il y a bien évidemment son volet politique.

Répondre à la crise démocratique qui touche les sociétés occidentales est une condition sine qua non pour engager les grandes transitions (notamment énergétique et écologique) nécessaires pour relever les défis du XXIe siècle (et au premier titre la crise climatique). La crise des gilets jaunes, et avant elle des bonnets rouges, a suffisamment démontré l’importance d’associer les citoyens aux grandes orientations politiques du pays.

Mais il y a également son volet économique. Les bouleversements économiques majeurs entraînés par la double révolution numérique et écologique(17) et la recherche d’une autonomie stratégique retrouvée transforment tout à la fois le sens, le contenu et l’organisation du travail. Ils posent, comme jamais auparavant, les questions du « que faut-il produire ? » et « comment faut-il produire ? ». Deux questions qui ne peuvent pas trouver de réponses par simple décret ministériel ou par la projection de graphiques dans les salles de direction des entreprises.

Les travaux d’Alain Supiot, professeur émérite au collège de France, sont à cet égard particulièrement enrichissants. Loin de devoir son rang de première puissance économique aux diverses réformes libérales du marché du travail, l’Allemagne doit selon lui une grande partie de son efficacité économique au modèle social qu’elle a peu à peu instauré au cours du XXe siècle et dont l’un des piliers n’est autre que la codétermination dans les entreprises.

Selon ce modèle de démocratie économique, théorisé notamment par Hugo Sinzheimer (père du droit du travail moderne), et mis en place à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les dirigeants « exercent leurs fonctions sous le double contrôle des représentants des travailleurs et des actionnaires, réunis au sein d’un conseil de surveillance (Aufsichrat). Les actionnaires y ont le droit du dernier mot, mais les travailleurs ont quant à eux leur propre assemblée représentative, le conseil d’établissement (Betriebsrat), qui est présidé par l’un des leurs (et non par l’employeur comme en France) et qui dispose d’un droit de veto sur certaines décisions »(18).

Cette codétermination s’est révélée particulièrement efficace pour endiguer les effets de la phase néolibérale de la mondialisation sur le tissu économique allemand. Moins financiarisées, moins soumises à la pression de la rentabilité à court-terme, les entreprises d’outre-Rhin ont mieux résisté à la dérégulation du commerce international. Dans une époque où autonomie stratégique et souveraineté économique reprennent des couleurs, cet exemple est sans aucun doute à méditer.    

Dans un registre plus éclectique, et volontiers provocateur, Otto Bauer, l’un des grands théoriciens de l’austromarxisme et homme politique autrichien de l’entre-deux guerres, peut également nous donner matière à penser(19). Otto Bauer est, au sortir de la Première Guerre Mondiale, Secrétaire d’Etat des Affaires Etrangères et Président de la Commission de socialisation à l’Assemblée nationale d’un pays confronté à de lourds enjeux d’autodétermination nationale, de conflictualité sociale et de modernisation économique.

Pour chaque grand secteur économique du pays, Otto Bauer se livre à une analyse non dogmatique des moyens de transformation du tissu productif, de démocratie économique et d’autonomie stratégique. Bien sûr son analyse est datée et applicable uniquement à l’Autriche de 1919, mais par-delà ses aspects directement opérationnels elle démontre que la participation des citoyens aux grandes orientations économiques du pays est l’une des conditions essentielles de la souveraineté nationale.

A l’heure de refermer l’ouvrage de Pascal Lorot, et si on regrette que l’analyse s’attarde trop peu sur les évolutions en matière d’organisation des entreprises qu’implique le retour de la souveraineté économique, reste à l’esprit la grande finesse argumentative de l’auteur. Dessinant tour à tour chacune des particularités de ce choc des souverainetés qui prend forme sous nos yeux, Pascal Lorot réussit le tour de force de rendre un peu plus compréhensible un monde contemporain où règnent complexité, ambiguïté et incertitude.

Références

(1)L’auteur définit le choc des souverainetés comme une « locution qui décrit une situation où la légitime poursuite par les Etats de leurs intérêts propres crée les conditions d’une entrée mutuelle en conflit ».

(2)Guillaume Vuillemey, Le Temps de la démondialisation, Seuil, octobre 2022

(3) Christopher Lash, La Révolte des élites et la trahision de la démocratie, Flammarion, janvier 2010

(4) Jean-Michel Quatrepoint, « Des missionnaires aux mercenaires », monde-diplomatique.fr, novembre 2016

(5) Graham Allison, Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide ?, Odile Jacob, février 2019. Cité par Pascal Lorot.

(6)Initiative lancée en 2022 par Docaposte, Dassault Systèmes, Bouygues Telecom et la Banque des Territoires

(7) La réversibilité correspond à la capacité à restituer à leur propriétaire les documents conservés ainsi que les données nécessaires pour garantir l’intégrité et l’authenticité des documents de façon sécurisée. La portabilité des données concerne notamment la possibilité et la capacité à exporter des données à caractère personnel recueillies et stockées numériquement. L’interopérabilité des données est la capacité d’un système d’information à communiquer avec d’autres systèmes d’information existants ou futurs. Elle permet de créer une certaine synchronisation entre les différents systèmes informatiques.

(8) Guillaume Pitron, La Guerre des métaux rares. La Face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, janvier 2018.

(9) Cet exemple précis n’aurait en revanche pas pu être avancé par l’auteur, la commercialisation par l’entreprise Tiamat débute en octobre 2023 et l’ouvrage de Pascal Lorot a été publié au cours de l’été de la même année.

(10) La connaissance de la constitution des sols et sous-sols marins restent encore très parcellaire et une exploitation de ces ressources, au-delà des considérations écologiques, représente un coût financier et un enjeu technique trop importants pour être réalisable à court-terme.

(11) Véronique Guillemard, « L’Europe lance Iris 2, sa constellation de connectivité souveraine », lefigaro.fr, 17 novembre 2022.

(12) Pascal Lorot, Le choc des souverainetés, Débats publics, 2023, p.143

(13) Ibid., p.155

(14)https://www.marianne.net/agora/entretiens-et-debats/ne-pas-connaitre-lexistence-de-la-guerre economique-est-le-meilleur-moyen-de-la-perdre

(15) Idem

(16) Pascal Lorot en est d’ailleurs bien conscient et cite l’analyste de la CIA Martin Gurri « Les élites françaises […] se tiennent difficilement au sommet de la pyramide. Elles avaient autrefois l’autorité suprême dans un système national qui donnait aux puissants un pouvoir supérieur à celui que la plupart des démocraties tolèrent. A présent, elles sont assiégées par les manifestants et ne savent pas ce qui les attend. Les élites françaises ont, au sens propre, créé le public français, l’ont provoqué par leur aveuglement total et l’ont conduit à son état de malheur actuel. Elles n’ont jamais su que de telles personnes existaient, car celles-ci étaient invisibles du haut de la pyramide ». La révolte du public : entretien exclusif avec Martin Gurri, l’analyste de la CIA, qui annonçait la crise des Gilets jaunes dès 2014, Atlantico, mars 2019.  

(17) Selon Jean-Marc Vittori, réaliser la transition écologique et énergétique de notre économie nécessite des bouleversements d’une telle ampleur qu’ils auront un effet sur l’appareil productif comparable à la mise en place d’une économie de guerre. Jean-Marc Vittori, Pourquoi la transition énergétique sera une vraie guerre, Les Echos, 29 novembre 2023.

(18) https://esprit.presse.fr/article/alain-supiot/de-la-citoyennete-economique-41384#_ftnref1

(19) Voir à ce sujet Otto Bauer, la marche au socialisme, Librairie du Parti Socialiste et de l’Humanité, 1919.

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Les fausses bonnes idées en politique

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Il apparaît qu’en politique, comme sur un fleuve, il soit vain d’aller à contre-courant. Notre camp, celui de la gauche, celui du progrès, celui du mouvement, s’est longtemps attaché à l’Histoire, puisqu’elle était amenée, pensait-on, à prévoir les mondes nouveaux – matérialisme historique oblige. Aussi, certains combats paraissaient aller dans le sens de l’Histoire, et l’on opinait à leur bon sens sans vraiment réfléchir à leurs implications. Et voilà que, des années plus tard, ces fausses bonnes idées se révèlent avoir produit de bien fâcheuses conséquences.

Ce n’est pas de ce qu’on appelle communément les « questions de mœurs » ou les « questions sociétales » qu’il s’agit ici. En l’espèce, il y a un progrès indéniable sur ces enjeux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et on ne peut que s’en féliciter. La chape de plomb morale qui subsistait sur les têtes de nos concitoyens est progressivement mais sûrement écartée au profit de libertés émancipatrices.

Non, ce dont il s’agit véritablement, ce sont des idées qui semblent, en raison d’un contexte donné, aller de soi. Je souhaiterais donner deux exemples précis, qui à dire vrai n’ont aucun rapport entre eux, mais illustrent chacun à leur manière l’égarement d’une partie – sinon de la totalité – de la classe politique.

Le premier concerne la désindustrialisation. Cette notion, désormais honnie de la gauche radicale au RN en passant par la Macronie, fut il y a encore peu de temps l’alpha et l’oméga de la politique économique française. A la fin des années 90, la mondialisation « heureuse » permettait enfin aux nations occidentales de se décharger du lourd fardeau de la production industrielle. La tertiairisation offrait l’occasion de délocaliser les usines dans les pays en développement, notamment la Chine, et de supprimer la classe ouvrière au profit de salariés-individus éclatés. Rares étaient ceux qui, à l’époque, contestaient le mouvement en marche. Et le PDG d’Alcatel d’ajouter que la marque française devait « devenir une entreprise sans usines ». Du reste, la réflexion était cohérente, et il est évidemment plus simple de railler a posteriori un fourvoiement collectif aussi grave. Pourtant, aujourd’hui, il n’est pas un responsable politique qui ne se réclame de la relocalisation industrielle. La désindustrialisation ? Fausse bonne idée historique que plus personne ne défend aujourd’hui.

Autre objet de forfaiture républicaine, la fâcheuse tendance qu’ont eue gauche et droite confondues de croire la laïcité dépassée. En 1989, lors de la fameuse « affaire de Creil », des responsables politiques considéraient que la guerre des deux France (entre laïques et catholiques) étant terminée, la laïcité mérite assouplissement et accommodements raisonnables. Cela allait aussi dans le sens de l’histoire, avec la phraséologie différentialiste qui allait avec. Pour bon nombre de politiques de gauche, le progrès devait balayer les obscurantismes religieux et donc n’apparaissait plus la nécessité de lutter fermement contre ceux-ci. D’où le non-choix de Jospin, alors Premier ministre, qui aboutit à une politique d’atermoiement – « il est urgent de ne pas se presser » – laquelle ne se résoudra qu’en 2004 avec l’adoption de la loi prohibant le port de signes religieux ostensibles. Son vote est d’ailleurs quasiment unanime, à gauche comme à droite, montrant là que quinze années ont été perdues, quinze années durant lesquelles la laïcité a reculé. Assouplir la laïcité ? Fausse bonne idée historique que peu de gens défendent aujourd’hui.

En cette nouvelle année 2024 qui commence, de nouveaux combats politiques vont être menés, et des enjeux inédits apparaîtront dans le débat médiatique. Je pense par exemple à l’autonomie de la Corse, sur laquelle les partis semble-t-il ne parviennent pas à se prononcer. Qu’ils y soient opposés ou favorables, c’est un tout autre débat. Mais espérons, pour le bien de notre démocratie, et surtout pour ne pas le regretter dans vingt ans, qu’ils réfléchiront avant de suivre aveuglément le sens du vent. L’appartenance au camp du mouvement ne doit pas nous empêcher, parfois, d’orienter le gouvernail pour ne pas se laisser emporter.

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Hiroshima, mon amour, Marguerite Duras

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Mon camarade de la chronique cinéma voudra bien me pardonner, mais je souhaiterais moins ici présenter le film d’Alain Resnais que le scénario de Marguerite Duras. C’est à travers la transcription des dialogues, compilés dans un Folio poche très accessible, que j’ai découvert cette merveille pleine de poésie. Le réalisateur n’en pensait pas moins, lui qui disait à la future Prix Goncourt « Faites de la littérature. Oubliez la caméra ».

Car bien qu’André Malraux, alors ministre de la Culture, ait qualifié « Hiroshima, mon amour » de « plus beau film que j’ai jamais vu », il peut paraître à bien des égards un brin monotone, ou à tout le moins contemplatif. Se concentrer uniquement sur les dialogues, ce qu’offre le livre, permet de faire un pas de côté sur la mise en scène. Ils mettent en lumière le fond du film, le fond de divers problèmes abordés par nos deux protagonistes.

Le premier, un architecte japonais dont toute la famille a été tuée par la bombe nucléaire, rencontre une actrice française venue tourner un film sur Hiroshima. A première vue, rien ne les rapproche, et pourtant, les confessions de la seconde créent au fil de l’eau une convergence de vues. Son adolescence, qu’elle vécut à Nevers, est marquée par un bombardement allié dans sa ville qui provoqua la mort de 163 personnes. Parmi elles, un Allemand, son Allemand, son premier amour qu’elle aimait éperdument. Dans la chambre d’hôtel, le Japonais et son Allemand se confondent, lorsqu’elle voit la main du premier, c’est celle du second, ensanglanté par le bombardement américain, qui ressurgit à sa mémoire. A la Libération, celle qui s’était épris de l’ennemi héréditaire est tondue, marque de la honte dans tout son village. Alors lorsqu’elle apprend, quatorze ans plus tard, qu’à Hiroshima les cheveux des femmes tombaient par poignées, elle comprend.

Elle comprend que, de Nevers à Hiroshima, c’est la même histoire. Les amours déchirées par la guerre, quel que soit le camp. Et l’autrice de confirmer : « Nous avons voulu faire un film sur l’amour. Nous avons voulu peindre les pires conditions de l’amour, les conditions les plus communément blâmées, les plus répréhensibles, les plus inadmissibles. Un même aveuglement règne du fait de la guerre sur Nevers et sur Hiroshima ». Pourtant, entre victimes de la barbarie, victimes de la mort de l’être ou des êtres aimés, un fossé mémoriel reste à combler. L’architecte japonais fait comprendre à l’actrice française, et ce à de multiples reprises, qu’elle ne comprendra jamais.

ELLE

— J’ai vu les actualités. Le deuxième jour, dit l’Histoire, je ne l’ai pas inventé, dès le deuxième jour, des espèces animales précises ont ressurgi des profondeurs de la terre et des cendres. Des chiens ont été photographiés. Pour toujours. Je les ai vus. J’ai vu les actualités. Je les ai vues. Du premier jour. Du deuxième jour. Du troisième jour.

LUI (il lui coupe la parole).

— Tu n’as rien vu. Rien. Chien amputé. Gens, enfants. Plaies. Enfants brulés hurlant.

 

 

ELLE (bas)

— Ecoute… Je sais… Je sais tout. Ça a continué.

LUI

— Rien. Tu ne sais rien

 

Elle ne sait rien parce qu’elle n’y était pas. L’indicible tient lieu de tentative de parole, tentative mélodramatique qui systématiquement échoue. Il est impossible de témoigner, impossible de parler, et quand elle s’y essaye, son amant japonais lui fait comprendre que, non, elle ne le peut. L’on retrouve cette même mémoire traumatique, mutique surtout, chez les survivants de la Shoah. Les survivants sont, finalement, condamnés à témoigner de l’impossibilité de témoigner.

Chaque protagoniste, en s’essayant à sa propre narration, accouche de sa propre histoire. Ou plutôt, de sa propre mémoire, car les images ne reviennent pas dans un ordre chronologique, historique, mais selon ce qui se déroule, pour chacun des protagonistes, au présent. Ici mémoire et histoire se croisent sans s’embrasser. La mémoire fait figure de troisième protagoniste. Sans l’oubli, elle serait bien trop lourde à porter. Mais avec l’oubli, le drame peut recommencer.

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« Nous agaçons le Gouvernement » : Anticor privée de son agrément, un coup dur pour la justice en France

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Cet agrément, qui confère à l’association un statut juridique particulier, est indispensable pour son action directe contre les abus de pouvoir et la corruption en France. Sans lui, l’efficacité d’Anticor dans le système judiciaire est significativement réduite, impactant ainsi sa capacité à promouvoir la transparence et l’intégrité au sein des institutions.

Depuis sa fondation en 2002, Anticor s’est affirmée comme une force majeure dans la révélation d’affaires de corruption en France. Ses actions ont permis de mettre en lumière des affaires importantes, contribuant ainsi à lutter contre l’impunité : les sondages de l’Élysée, les concessions autoroutières, et plus récemment l’affaire Dupond-Moretti. Sa capacité à agir comme partie civile dans les procès pour corruption repose sur son agrément. Ce statut lui permet de jouer un rôle crucial dans la lutte contre la corruption, en portant devant la justice des cas où les pouvoirs publics peuvent être réticents ou lents à agir. L’agrément d’Anticor est donc un outil essentiel pour assurer la transparence et la responsabilité dans la gouvernance publique.

La décision du gouvernement de ne pas renouveler l’agrément d’Anticor a suscité une réaction forte de la part de sa présidente, Élise Van Beneden, et de son avocat, Vincent Brengarth. Madame Van Beneden a exprimé sa déception face à cette décision, la considérant comme un signe de l’agacement du gouvernement envers les actions d’Anticor. Brengarth a qualifié cette décision de « pied de nez fait à la lutte contre la corruption » et de « cadeau de Noël aux corrupteurs ». Ils interprètent ce refus comme un obstacle majeur à leur mission cruciale de surveillance et de combat de la corruption en France.

Anticor ne se laisse pas décourager pour autant et envisage de contester cette décision. L’association cherche à prouver qu’elle remplit tous les critères nécessaires pour obtenir cet agrément. Cette démarche vise à défendre son droit à intervenir efficacement dans les affaires judiciaires de corruption, un rôle qu’elle considère comme fondamental dans la lutte contre la corruption en France.

Ce refus de renouvellement soulève également des questions cruciales sur la transparence et l’intégrité de la gouvernance dans le pays. Cette décision met en lumière les obstacles rencontrés par les organisations indépendantes dans leur mission de lutte contre la corruption. Elle souligne également l’importance de la vigilance et de l’engagement continu dans la protection de l’éthique et de la probité au sein des institutions publiques, un enjeu majeur pour le maintien d’une démocratie saine et responsable.

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Démocratiser la réussite scolaire : un enjeu et un défi pour l’Ecole de la République

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Dans une période où la politique éducative néo-libérale Macron/Attal s’engouffre dans une spirale d’une école de l’entre-soi, de l’individualisme et de la compétition, nous devons examiner les leviers qui doivent permettre à l’École de la République de lutter efficacement contre les inégalités pour mieux garantir une démocratisation de la réussite scolaire aujourd’hui encore réservée à quelques-uns.

Trois thématiques apparaissent comme essentiels et nécessitent à la fois un véritable changement de paradigme ajouté à un courage politique jusqu’alors trop timide : la mixité sociale et scolaire, l’éducation prioritaire et la reconnaissance des personnels d’éducation.

L’indispensable mixité sociale et scolaire

Si l’objectif de mixité sociale et scolaire est bien inscrit dans l’article 1 de la loi de Refondation de l’Ecole de 2013, seules quelques expérimentations ont été financées conjointement par l’État et les collectivités territoriales.

Or le constat est éloquent : 12% des élèves fréquentent un établissement qui accueille 2/3 d’élèves issus de milieux socialement très défavorisés. En classe de 3ème au collège, 45% des établissements pratiquent une ségrégation active et 25% des formes de séparatisme social. L’enseignement privé -qui perçoit des subventions publiques pour la majorité d’entre eux- scolarise 36,7% d’élèves d’origine sociale favorisée contre 20,6% dans le public.

Alors que l’importance de la mixité sociale et scolaire pour tous les élèves n’est plus à démontrer, la persistance d’une ségrégation sociale et scolaire entre établissements, entre les classes d’un même établissement et entre public et privé -du fait même de l’État- alimente quotidiennement un entre soi qui reproduit les inégalités et entrave toute démocratisation de la réussite.

 Plus que jamais les expérimentations destinées à améliorer la mixité sociale et scolaire -comme celle de Toulouse- doivent être développées et soutenues, les questions de carte scolaire doivent être revisitées pour un meilleur équilibre en intégrant notamment les établissements privés financés à 73% sur des fonds publics sans être à ce jour soumis aux mêmes obligations d’accueil que l’enseignement public.

Le protocole d’accord signé le 17 mai dernier entre le Ministre Pap N’Diaye -prédécesseur de Gabriel Attal- et Philippe Delorme pour l’enseignement catholique reste de portée très symbolique et peu contraignante alors que des mesures auraient pu être proposées comme vient de le confirmer un récent rapport de la Cour des Comptes sur l’enseignement privé sous contrat : renforcement du contrôle administratif, financier et pédagogique, instauration de critères pour moduler les moyens financés accordés, mise en place de contrats d’objectifs et de moyens entre les établissements privés, l’Etat et les collectivités…

En renonçant à traiter au fond cette question de la mixité sociale et scolaire, le Ministre Gabriel Attal et le Président Macron –qui ne s’exprime jamais sur le sujet-entretiennent de fait une rupture d’égalité entre les élèves, rupture contraire aux principes élémentaires d’une école qui veut se dire toujours républicaine.

L’éducation prioritaire doit être…une priorité

Au risque de déplaire aux contempteurs du « donner plus à ceux qui ont moins », rappelons ici que sans les dispositifs d’éducation prioritaire installés depuis 1981, la situation des inégalités scolaires et de réussite des élèves dans les quartiers concernés seraient bien plus grave qu’elle ne l’est aujourd’hui, dans un environnement socio-économique qui s’est dégradé sur de nombreux territoires.

Pour autant, ces inégalités ne vont pas en diminuant et les écarts se creusent entre ceux qui réussissent et ceux qui sont en grandes difficultés, faute d’un investissement massif -plutôt qu’un saupoudrage inefficace- dans trois domaines au moins qui impactent durablement les apprentissages et la réussite des élèves.

  • La santé :

Comment réussir sa scolarité en REP -Réseau d’Education Prioritaire- quand les enfants de 6 ans qui y vivent ont deux fois plus de problèmes dentaires, d’audition et d’obésité que dans les écoles hors-REP ? Comment réussir sa scolarité quand les enfants de ces quartiers ont en moyenne 30% de problèmes de vue en plus que la moyenne hors éducation prioritaire ?

Comment prétendre à une école « inclusive » dans ces quartiers prioritaires quand le ministre Blanquer prédécesseur de Gabriel Attal a refusé le versement de la prime REP/REP+ aux personnels les moins rémunérés que sont les Accompagnants des Elèves en Situation de Handicap –AESH- ?

La médecine scolaire -médecins, infirmières- doit être omniprésente dans ces établissements afin de permettre dès l’école maternelle une prévention médicale de tous les instants, un véritable travail en lien avec les équipes éducatives, les familles et les structures de soins dans les quartiers.

  • Des financements à la hauteur des enjeux :

Cessons de rabâcher l’antienne éculée selon laquelle « l’éducation prioritaire, ça coûte cher ». Et rappelons que par exemple, à effectifs identiques, un collège en éducation prioritaire peut avoir une masse salariale inférieure à celle d’un centre-ville du fait du nombre important de jeunes enseignants en début de carrière dans les établissements en REP ou REP+.

De la même manière peut-on continuer à accepter que l’État finance en moyenne 18,80 euros par élève en éducation prioritaire pour l’accompagnement éducatif et dans le même temps 45 fois plus pour un élève qui prépare les concours en classe préparatoire ? –rapport de la Cour des Comptes de 2016- .Il est grand temps que les responsables politiques tournent le dos à une politique de saupoudrage  en mettent en place une véritable politique de financement massif  et pérenne sur ces secteurs les plus en difficultés.

  • La scolarisation des enfants de 2 ans :

Véritable lieu d’éducation, de socialisation, de construction de la citoyenneté fondée sur les valeurs de solidarité, de coopération et de responsabilité, l’école maternelle dès l’âge de 2 ans permet à chaque enfant de développer ses potentialités, de construire ses connaissances et compétences, face à des inégalités comme celle de l’acquisition du langage : à 4 ans, un enfant défavorisé a entendu 30 millions de mots de moins qu’un enfant de famille aisée.

Le quinquennat Macron-Blanquer rue de Grenelle a drastiquement réduit la scolarisation des enfants de moins de trois ans, la faisant passer de 11,6% en 2017 à 9,4 % en 2020. Plus grave encore : la mise en place de l’instruction obligatoire à 3 ans va définitivement éradiquer la scolarisation des enfants de 2 ans, faute de postes budgétaires et de moyens des collectivités qui, dorénavant, vont devoir financer la maternelle privée pour les 3 ans.

Dans ce contexte, il nous faut réaffirmer plus que jamais que le temps passé à l’école maternelle a une incidence positive sur la scolarité ultérieure des enfants, ce que démontrent bon nombre d’études.

En remettant en cause la scolarisation des enfants de moins de trois ans, l’actuel gouvernement s’en prend également à un principe éducatif majeur : celui de l’universalité d’accès à l’éducation. À l’école maternelle, la prise en charge des enfants est gratuite pour toutes les familles, installant ainsi un principe d’universalité d’accès encore reconnu aujourd’hui. L’école maternelle accueille tous les enfants, quels qu’ils soient, où qu’ils soient, sans condition de revenu ou d’insertion professionnelle des parents.

En même temps qu’elle marque la reconnaissance pleine et entière de l’école maternelle au sein de notre service public d’enseignement, le maintien et le renforcement de la scolarisation des enfants de deux ans constitueraient une mesure essentielle et un levier majeur dans la lutte contre les inégalités, pour la réussite de tous les élèves.

Reconnaître les enseignants, piliers de notre République

Sans eux, rien ne sera possible : reconnaître les enseignants à leur juste place au cœur de notre projet de société, c’est à la fois les former, revaloriser leur fonction et c’est aussi leur faire confiance en tant que pédagogue.

  • Une formation initiale et continue digne de ce nom :

Tant qu’on ne comprendra pas qu’enseigner, plus qu’une vocation, est un métier qui nécessite des professionnels de très haut niveau, nous ne parviendrons pas à faire de l’école un levier dans la lutte contre les inégalités.

N’oublions jamais, comme le soulignent régulièrement les études de l’OCDE, que les systèmes éducatifs performants sont ceux dont les enseignants ont bénéficié de longs stages pratiques de formation initiale et qui, par la suite, ont pu bénéficier d’une formation continue importante basée sur les besoins des équipes pédagogiques.

Plutôt que de stigmatiser injustement et à mots couverts la responsabilité des enseignants face à la perte d’heures d’enseignements liées à leur formation pour mieux justifier de l’organiser hors temps scolaire, le ministre gagnerait à s’interroger sur le manque de moyens de remplacements pour une grande part liée au niveau de salaire, aux conditions de travail et …. à l’absence de formation.

Inadéquation entre les outils disponibles et les attentes des enseignants, manque d’attractivité des missions des formateurs, apport insuffisant de la recherche en éducation, nécessité de mise en œuvre de formations locales en déléguant des moyens sur le terrain aux équipes pédagogiques … Autant d’urgences qui, en n’étant pas traitées, participent d’une nouvelle atteinte au statut même des enseignants.

  • Des salaires décents et attractifs :

Le constat est aujourd’hui connu : après 15 ans de carrière, les enseignants français du premier degré sont payés 14% de moins que les autres de l’OCDE et ceux du second degré 20% de moins. Autre constat : 70 % des professeurs des écoles et 50 % des certifiés gagnent moins de 2 500 euros nets, primes et heures supplémentaires comprises.

L’instabilité des équipes éducatives, souvent liée aux difficultés d’exercice, au manque d’attractivité des postes, impacte fortement la réussite des élèves avec des absences d’enseignants plus nombreuses et moins bien remplacées, de nombreux contractuels et de jeunes enseignants moins expérimentés nommés sur des postes non pourvus.

Il y a donc urgence à permettre une rémunération digne dès le début de carrière et à augmenter fortement la rémunération des enseignants mais aussi de tous les personnels au contact d’élèves (professeurs, Conseillers Principaux d’Education, personnels médico-sociaux…). Redonner confiance et permettre aux métiers de l’enseignement et de l’éducation de redevenir attractifs quand le nombre de démissions a triplé en dix ans, c’est aussi placer la question de la revalorisation des personnels au cœur des enjeux éducatifs.

En ce sens le fameux « Pacte » du gouvernement Macron-Attal annoncé à grands renforts de communication constitue un formidable renoncement.

Délaissés, dévalorisés, déconsidérés, nos enseignants attendaient à juste titre une revalorisation conséquente, sur la base d’une promesse présidentielle d’augmentation immédiate de 10% pour tous les enseignants et sans missions supplémentaires.

Après s’être transformée en hausse « moyenne » de 10% par rapport à 2020, incluant de surcroît d’anciennes primes mais également le gel du point d’indice, l’augmentation finale appelée « socle » sera de 5.5% en septembre 2023 quand 70% des enseignants auront une augmentation limitée à 95 euros, soit une hausse inférieure à 4% qui ne compensera pas les pertes de pouvoir d’achat subies depuis le début de l’année 2023.

A ce « socle » vient s’ajouter le fameux « pacte », ensemble de nouvelles missions qui, sous forme de « briques », aggravent les charges de travail, les inégalités femmes/hommes, le clivage premier /second degré, ignorant par ailleurs la prise en compte de tâches supplémentaires que font les enseignants -professeurs principaux, accueil des enfants en situation de handicap… – , laissant ainsi sous – entendre que les enseignants disposeraient de suffisamment de temps libre pour s’adonner au « travailler plus pour gagner plus » du quinquennat Sarkozyste.

Comment ne pas faire le lien entre ce nouvel affront fait aux enseignants et la faillite du « choc » d’attractivité » qui voit cette année encore le nombre de candidats aux concours de recrutements chuter de 30% pour le premier degré et de 18% pour le second degré par rapport à 2021 ? Comment s’étonner que faute de candidat.es les inscriptions épreuves aux concours de recrutements 2024 aient été reculées ?

Re-légitimer nos enseignants, c’est aussi les rémunérer à la hauteur de l’importance de leurs missions.

  • Les enseignants sont des pédagogues :

La mainmise du ministre Blanquer sur la liberté pédagogique des enseignants via la diffusion de guides (« petits livres orange »), les réformes descendantes du ministre sans concertation ni consultation ont été relayées par Gabriel Attal qui dans le même esprit, suite aux récents résultats PISA 2022, vient de décider d’appliquer dans les écoles la « méthode de Singapour » en mathématiques.

Valoriser et mutualiser les projets pédagogiques innovants, donner du temps de concertation pour le travail en équipe, permettre les expérimentations, co-construire les réformes avec les personnels et leur donner du temps pour se les approprier au bénéfice des élèves : autant de pistes qui redonneront aux enseignants une légitimité pédagogique sans laquelle l’Ecole ne pourra sérieusement lutter contre les inégalités.

Mais au-delà de la question salariale, de la formation et de la pédagogie, nous assistons bel et bien à une véritable perte de sens du métier et de la place des enseignants au cœur de notre société. 

Quelle vision de l’École pour aujourd’hui et pour demain ? Quel sens donner à la « réussite scolaire » quand, par exemple, la réforme du lycée professionnel consiste d’abord et avant tout à diminuer les enseignements fondamentaux pour amener les jeunes à pourvoir le plus tôt possible des emplois dont le patronat a besoin mais sans les préparer à évoluer dans un monde du travail en pleine mutation ?

Comment redonner à nos enseignants la légitimité, la dignité et la reconnaissance nécessaires au cœur de notre société ? Comment les aider à construire leurs carrières (mobilité, VAE…) ? Comment améliorer leurs conditions de travail ? Comment leur permettre de faire réussir tous les élèves partout sur le territoire de la République ? Quels outils mettre en place pour leur permettre de lutter au mieux contre la difficulté scolaire qui dans certains quartiers infuse de la maternelle jusqu’au collège ?

Les réponses existent, elles sont connues, seule aujourd’hui fait défaut la volonté politique de promouvoir une école de tous pour tous.

Au final, la promotion de l’excellence pour quelques-uns au détriment de l’objectif de démocratisation de la réussite ne peut constituer l’alpha et l’oméga d’une politique éducative comme celle menée par l’actuel gouvernement Macron-Attal.

Parce qu’une société sans éducation est une société sans avenir, l’égalité des élèves face à la réussite scolaire exige que l’École exprime une même ambition pour tous en termes d’appropriation des savoirs et de culture commune, partout sur le territoire de notre République et pour tous ses enfants.

Réaffirmons avec force que pour que certains réussissent, il n’est pas nécessaire que d’autres échouent et que les inégalités ne sont pas une fatalité.

Une Ecole juste pour tous, exigeante pour chacun, une Ecole qui ne laisse personne au bord du chemin, une Ecole de l’altérité, de la coopération et de l’émancipation : telle doit être notre ambition collective.

 

Yannick TRIGANCE

Conseiller régional Ile-de-France

Secrétaire national PS Ecole, collège, lycée.

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L’intelligence artificielle, une stimulation bienvenue

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Entretien avec Cédric Villani

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Photo : (c) Fabien Rouire

Le Temps des Ruptures : Votre intérêt pour l’intelligence artificielle ne date pas d’hier. Adolescent, elle vous passionnait déjà. Depuis lors, sous votre double casquette d’homme scientifique et politique, vous êtes devenu une référence en la matière. Quel regard portez-vous sur cet itinéraire et comment envisagez-vous la suite ?
Cédric Villani : 

Un itinéraire inattendu, sur un sujet inattendu, dans un contexte inattendu. Certes, je me passionnais, adolescent, pour les développements de l’IA sous la plume du grand vulgarisateur Douglas Hofstadter, mais mes choix de recherche, en physique mathématique statistique, semblaient m’en éloigner complètement, et je considérais le sujet de l’IA comme encalminé. Et puis, le domaine a changé de forme, mon activité s’est élargie, c’est avec surprise que j’ai vu l’IA se ré-inviter dans ma sphère théorique — mon périmètre de recherche intersecte celui de l’IA dans le domaine dit des réseaux adversariaux[1] — puis dans mes activités de vulgarisateur, et enfin politiques. La mission que m’ont confiée le Président de la République et le Premier ministre, en 2017, a été l’occasion de me plonger au cœur du débat et depuis j’y ai occupé une posture d’observateur privilégié, pas naïf en matière de sciences et technologies, mais pas non plus directement impliqué dans la programmation ou le développement de l’IA. C’est une posture qui me va bien, en permanence en train d’écouter et de prendre la parole. L’arrivée de ChatGPT a fait passer le débat public à un nouveau niveau d’intensité, je l’ai senti arriver ! Aujourd’hui ce sujet concerne presque la moitié de mon activité publique — débats, formations, conférences, ici et là en France et ailleurs, et l’occasion d’interagir avec des milliers de personnes intéressées.

Le Temps des Ruptures : En 2018, en tant que député, vous avez rédigé un rapport phare sur l’intelligence artificielle qui vous a confronté à la difficulté de définir la notion de façon satisfaisante. À défaut d’une telle définition, quelles vous semble être aujourd’hui ses applications les plus bénéfiques et prometteuses pour nos sociétés ?
Cédric Villani : 

Des applications bénéfiques, vous avez l’embarras du choix : le logiciel qui vous indique comment aller de tel café à telle salle de séminaire en moins d’une demi-heure, par les transports en commun dans une ville où vous n’aviez jamais mis les pieds. Ou comment trouver avec votre moteur de recherche Internet, une information utile pour votre conférence. Ou comment comprendre ce qui se dit dans une langue que vous n’avez jamais apprise, grâce la fonction de traduction automatique sur les réseaux sociaux… Ce sont des applications considérables ! Vous me direz… mais ce n’est pas de l’IA ! Je vous répondrais bien sûr que si, ce sont des tâches autrefois réservées aux humains (qui connaissaient les plans, la littérature ou les langues) et désormais à disposition, certes avec moins de précision que les meilleurs experts humains parfois. Mais aujourd’hui ce qui est sous le feu du débat public, et qui vaut qu’on parle d’IA matin et soir dans les médias, ce ne sont pas ces applications, ce sont les succès des IA basées sur l’apprentissage statistique par réseaux de neurones, et maintenant, plus spécifiquement encore, des IA génératrices de textes ou d’images, basées notamment sur le concept de transformeur. On voit bien ici à quel point le terme est flou. En tout cas, les IA génératives, celles qui vous écrivent sans effort une lettre de candidature pour une élection, un plan pour lutter contre l’isolement ou une synthèse de la presse internationale du matin, elles changeront la donne dans tout ce qui relève du traitement de l’information et de l’écriture de document. C’est très spécifique ! Ne comptez pas sur elle pour résoudre le problème des déchets, des pesticides, de l’alimentation — des choses qui relèvent de la physique, de la biologie, se heurtent sur le mur de la réalité matérielle. Mais c’est beaucoup, à une époque où tant de choses dépendent de la parole, depuis votre carrière professionnelle jusqu’aux déclarations de guerre. L’IA peut aider à convaincre, à présenter une situation, à récolter des crédits, à remplir des formulaires de demande de subvention, à programmer une application etc. Les travaux de Naomi Oreskes ou David Chavalarias ont largement démontré l’abondance, l’audace et l’influence de l’action des groupes de pression, laboratoires d’idées, agences de communication, représentant d’intérêts et autres, pour peser dans les décisions publiques sur des sujets aussi variés que le tabac, les pluies acides, l’armement ou la transition écologique : si ces outils peuvent avoir tant d’impact négatif, ils peuvent aussi, entre les bonnes mains, avoir un impact positif. Aujourd’hui il est plus souvent négatif que positif, mais c’est bien une question de volonté ! Et ce qui est certain, c’est que, dans un monde où les rapports de puissance et de domination ont été bien souvent obtenus au détriment de l’écologie, les acteurs dominants utiliseront la technologie en priorité pour défendre leurs intérêts.

Le Temps des Ruptures : Dans votre rapport de 2018, vous avez formulé une série de recommandations aussi précises que variées. Quel bilan faites-vous de leur mise en œuvre ?
Cédric Villani : 

Je suis fier de ce rapport dont la réussite a reposé sur plusieurs ingrédients clé : une équipe pluridisciplinaire travaillant en grande confiance, des auditions extrêmement vastes menées en contradictoire, une mise en scène du rapport lui-même à travers colloques et conférences, et enfin une adhésion du gouvernement dès le démarrage. Pourtant le bilan est contrasté. Le gouvernement a fait des efforts pour la mise en œuvre, réussissant certains sujets et d’autres pas du tout. Prenons les dix recommandations que nous avions choisies pour résumer l’ensemble. Je peux dire que certaines ont été bien mises en œuvre : mise en place d’un comité d’éthique, des instituts interdisciplinaires d’intelligence artificielle (3IA), de capacités de calcul (je pense aux calculateurs Jean Zay et Adastra). D’autres, à moitié : une politique de données ouverte et protectrice, une insistance sur quatre secteurs industriels stratégiques, améliorer l’efficacité de l’État grâce à l’IA. Pour le reste — efficacité de l’État grâce à l’IA, bacs à sable d’innovation, laboratoire de l’évolution du travail, réduction de l’empreinte écologique de l’IA, résorption de l’inégalité entre hommes et femmes en IA — on n’a quasiment aucun résultat visible. Et sur la cruciale question européenne, cela piétine ! Certains objectifs ont été atteints, d’autres pas du tout — comme le doublement des promotions d’ingénieurs IA, lointain objectif. Si le gouvernement n’est pas parvenu à boucler la feuille de route, ce n’est pas par mauvaise volonté — parfois c’était de la viscosité administrative, parfois un manque de prise, parfois une reculade face à des problèmes politiques. En matière d’IA, les problèmes sont bien plus du côté humain que du côté technique !

Le Temps des Ruptures : On sait qu’en matière d’intelligence artificielle la France et l’Europe sont à la traîne par rapport aux concurrents américains et chinois. À cet égard, que vous inspire les récentes annonces d’investissements de Xavier Niel qui entend faire émerger « un champion européen de l’IA » ?
Cédric Villani : 

Les déclarations de Xavier Niel vont résolument dans le bon sens quand il insiste sur la mobilisation européenne — seule adéquate sur ce sujet pour des questions de taille de marché, de quantité de ressources disponibles, également susceptible d’incarner un grand projet de société motivant pour le monde de la recherche —, sur l’investissement dans les salaires, et sur la collaboration avec le monde du logiciel libre. Sur ce dernier point il est en phase avec le chercheur français vedette Yann Le Cun. Je suis toujours de très près les positions de Yann, à la fois l’un des plus grands chercheurs en matière d’IA, mais aussi l’un des rares qui a su garder son sang-froid et son discernement face à la pression et le chaos qui ont envahi le domaine en même temps que les milliards et les annonces de rêves.

Le Temps des Ruptures : Le développement de l’intelligence artificielle s’est accéléré ces dernières années, poussant les autorités publiques – nationales, européennes et internationales – à penser sa réglementation. Quelle est l’échelle pertinente pour ce faire et qu’attendez-vous des divers législateurs ?
Cédric Villani : 

Cette accélération est surtout visible, grâce au succès surprenant d’une technologie particulière — les grands modèles de langage — qui n’a que cinq ans. Mais elle ne doit pas occulter les réalisations spectaculaires de l’IA qui ont précédé — applications de recherche d’information, de repérage et guidage, de traduction, de lecture, etc. Si ChatGPT est si marquant c’est qu’il s’invite dans notre quotidien et que l’on peut l’expérimenter sur des tâches qui nous sont très familières ; mais pour les spécialistes, le remue-ménage n’est pas forcément plus grand que le choc subi il y a une dizaine d’années quand les réseaux de neurones se sont imposés. Je vous rappelle aussi que l’on ne voit toujours pas précisément quel est le modèle économique qui sera bâti autour de ces grands modèles. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut garder la tête froide en même temps qu’arrive cette nouvelle évolution très marquante. Dans un sujet aussi pragmatique et expérimental, il faut accepter que la réglementation soit aussi changeante et pragmatique. Certains domaines sont déjà sur-régulés — c’est le cas des données de santé, ce qui a des conséquences néfastes en matière de développement de projet et cause bien plus d’effets négatifs que positifs. Toutes les échelles sont pertinentes, et pas seulement au niveau législatif. Je participe d’ailleurs, en tant qu’expert invité, à un exercice remarquable, la Convention citoyenne sur l’Intelligence artificielle voulue par la métropole de Montpellier, pour proposer des lignes de conduite, bonnes pratiques et gardes-fous en la matière à l’échelle métropolitaine. Je souhaite enfin insister, lourdement, sur le fait que l’Europe est déjà très régulée par rapport aux autres continents, que des comités éthiques et des chartes pertinentes se sont multipliées à toutes les échelles ces dernières années, et que le facteur limitant bien plus urgent maintenant, c’est de progresser sur les moyens de mise en œuvre, aussi bien le développement de l’IA que les moyens de son contrôle — des ressources humaines, des ingénieurs qualifiés, des personnes en charge du contrôle, de l’audit, de la recherche, etc.

Le Temps des Ruptures : En juin dernier, le Parlement européen a adopté en l’amendant la législation sur l’intelligence artificielle proposée par la Commission européenne en 2021. Les eurodéputés ont élargi la liste des pratiques interdites, ajoutant notamment les systèmes d’identification biométriques « en temps réel » dans l’espace public. Dans le même temps, la loi relative aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, adoptée par l’Assemblée nationale en mai 2023, autorise la vidéosurveillance dite « augmentée » laquelle est basée sur un système d’intelligence artificielle. Cette mesure vous parait-elle légitime ? Ne faut-il pas s’inquiéter de la prolifération des technologies de surveillance ?
Cédric Villani : 

La prolifération des technologies de surveillance est un fait majeur de notre société, mais elle n’a pas attendu l’IA. Voilà bien des années que les révélations de Snowden, publiées par Assange, ont démontré que la NSA et le FBI pratiquent l’espionnage international à une échelle industrielle, aussi pour les affaires économiques. Sur ce sujet, ce qui m’inquiète le plus n’est pas tant la technologie utilisée, que son usage et la personne qui la pratique. Pour le dire crûment : cela me rend plus nerveux d’être espionné avec des technologies classiques, par quelqu’un qui n’est pas mon ami, sans mandat ni contrôle démocratique, que de savoir qu’une personne en qui j’ai confiance utilise une technologie perfectionnée, dans un cadre bien défini, pour me contrôler. Et donc, si le prestataire pour les JO est un prestataire en qui j’ai par ailleurs des raisons d’avoir confiance, au plan technique et éthique pourquoi pas. Maintenant, il est de plus en plus clair que ces JO ont été préparés au mépris de toute ambition écologique, malgré les bonnes paroles, et que c’est un événement qui fera plus de mal que de bien à la planète et à l’humanité… mais c’est un autre débat.

Le Temps des Ruptures : Toujours sur le règlement européen, celui-ci autorise désormais l’usage de systèmes d’intelligences artificielles pour la mise en œuvre des politiques migratoires de l’Union. Quelles pourraient être les dérives d’un tel usage ? Comment parvenir, plus généralement, à une règlementation de l’intelligence artificielle qui protège et promeuve les droits humains ?
Cédric Villani : 

Franchement, ne croyez pas que c’est la technologie qui va protéger et promouvoir les droits humains. Le plus souvent la technologie renforce les jeux et rapports de pouvoir. La seule chose qui peut protéger les droits humains, c’est notre volonté politique de le faire. Et quand on observe les débats politiques aujourd’hui à travers le monde, il y a de quoi être inquiet. D’une part, le numérique et l’IA se sont avérés extraordinairement efficaces pour renforcer la domination des régimes autoritaires sur leur population. Voyez la Chine ! D’autre part, même dans les démocraties occidentales, la technologie numérique a proposé une tentation de dérive quant au contrôle de la population. Voyez les États-Unis. Le remède est à chercher du côté politique, bien plus que technologique. Et dans la bonne conception des outils, plus que dans la réglementation (design is politics).

Le Temps des Ruptures : Au stade actuel enfin, avons-nous suffisamment de recul et de contrôle pour faire un usage aussi extensif de l’intelligence artificielle que les politiques publiques le prévoient ? Êtes-vous optimiste ?
Cédric Villani : 

Comment voulez-vous avoir suffisamment de recul, dans un domaine où les avancées viennent comme des chocs, non seulement pour les politiques, mais aussi pour les experts eux-mêmes ? Il faut accepter qu’on est dans l’expérimentation. Et l’IA m’empêche moins de dormir que d’autres sujets terribles du moment. Le dérèglement climatique, la 6e extinction de masse, les sécheresses qui se profilent, la pénurie de compétences, l’épidémie de solitude, le réarmement mondial, la guerre ici et là, les coups d’État, l’élection de Javier Milei… Franchement, les sujets horribles semblent se donner la main pour faire une ronde autour de nous ! Alors il est important de garder l’IA à sa place : un sujet passionnant qui mérite un investissement conséquent, mais qui ne doit pas obscurcir, ni en termes de débat public, ni en matière d’investissement, les problèmes bien plus graves et aigus du moment. Et l’IA, malgré les risques et inquiétudes légitimes, est aussi un sujet passionnant, l’occasion de regarder en face certains de nos biais et d’apprendre sur notre humanité, de progresser sur la structure même du savoir, de défricher certains nouveaux horizons scientifiques, c’est une stimulation bienvenue.

Références :

[1] Type d’algorithme utilisé dans l’intelligence artificielle

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L’Union Européenne forge un cadre réglementaire pionnier pour l’intelligence artificielle

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La décision de l’Union Européenne d’établir un cadre réglementaire pour l’intelligence artificielle représente un tournant dans l’histoire de la gouvernance technologique. Cet accord, résultat d’échanges approfondis entre les États membres et le Parlement européen, revêt une importance capitale pour définir les contours d’une utilisation responsable et éthique de l’IA au sein du continent. Ce processus réglementaire novateur cherche à élaborer des lignes directrices claires et exhaustives, établissant ainsi des normes en matière de développement, de déploiement et d’utilisation des technologies d’IA. Il vise à créer un cadre réglementaire robuste, offrant un équilibre délicat entre l’encouragement de l’innovation et la protection contre les éventuels abus ou dérives de cette technologie émergente. L’objectif fondamental de cet accord est de garantir que l’IA soit développée et utilisée de manière responsable, éthique et transparente. Il s’agit d’une initiative pionnière qui place l’Union Européenne en tête de file sur la scène mondiale en matière de régulation de l’intelligence artificielle, affirmant ainsi son engagement à façonner un avenir numérique équilibré et sécurisé pour ses citoyens et ses entreprises.

Bases réglementaires et contrôles

Au cœur de cet accord se trouvent les principes des réglementations déjà établies par l’Union Européenne en matière de sécurité des produits. Ces fondations réglementaires servent de base pour encadrer le développement et l’utilisation de l’intelligence artificielle, offrant un cadre robuste pour contrôler son déploiement. Des directives spécifiques sont mises en place, notamment pour réguler les IA dites « génératives ». Ces systèmes, capables de générer du contenu artistique ou textuel, font l’objet d’une attention particulière. Les règles imposées visent un contrôle rigoureux, garantissant la qualité des données utilisées dans leur fonctionnement. Cela vise à prévenir tout usage abusif ou toute violation des droits d’auteur lors de la création de contenu par ces IA. La nécessité d’une identification précise des créations artificielles, en particulier pour les systèmes les plus avancés, est au cœur de ces règles. Cette identification claire et transparente est cruciale pour distinguer les productions générées par des algorithmes d’une manière indiscernable de la création humaine. Cette mesure a pour objectif de renforcer la transparence et de prévenir toute manipulation ou utilisation frauduleuse de ces contenus créés par des IA.

Focus sur les systèmes à « Haut Risque »

L’accent particulier de cet accord se porte sur les systèmes d’intelligence artificielle considérés comme étant à « haut risque », déployés dans des secteurs vitaux tels que les infrastructures critiques, l’éducation, les ressources humaines ou encore la sécurité publique. Ces domaines sensibles nécessitent une réglementation spécifique pour garantir une utilisation appropriée de l’IA et minimiser les risques potentiels. Pour ces systèmes à haut risque, une série d’obligations strictes sera imposée. Parmi celles-ci, le contrôle humain joue un rôle crucial. Il s’agit de s’assurer qu’une supervision humaine est présente lors des opérations effectuées par ces systèmes d’IA. Cette présence humaine permet de garantir une prise de décision éclairée et éthique, réduisant ainsi les risques liés à une autonomie totale des algorithmes. En outre, l’accord prévoit l’établissement de processus de documentation technique approfondie. Cette mesure est essentielle pour assurer la traçabilité des décisions prises par les systèmes d’IA. Une documentation complète permettra une analyse approfondie des fonctionnements et des décisions prises par ces systèmes, offrant ainsi une transparence accrue et facilitant l’évaluation des risques.

La mise en place de mécanismes de gestion du risque constitue également une composante fondamentale de cet accord. Ces mécanismes visent à identifier, évaluer et gérer activement les risques potentiels associés à l’utilisation de l’IA dans ces domaines critiques. Il s’agit d’une démarche proactive pour anticiper et contrôler les éventuelles conséquences indésirables résultant de l’utilisation de ces technologies. Dans l’ensemble, ces mesures visent à instaurer un cadre rigoureux pour une utilisation responsable et sécurisée de l’intelligence artificielle dans des secteurs où les enjeux sont considérables. L’objectif ultime est d’éviter les dérives potentielles et d’assurer que l’IA est déployée de manière à bénéficier à ces domaines sensibles tout en minimisant les risques associés à son utilisation.

Office Européen de l’IA et mécanismes de surveillance

L’accord sur l’intelligence artificielle prévoit la mise en place d’un organe dédié, l’office européen de l’IA, intégré au sein de la Commission européenne. Ce bureau sera spécifiquement chargé de surveiller, d’évaluer et de réguler l’application des règles établies dans le cadre de cet accord. Son rôle principal sera d’assurer la conformité des entreprises et des acteurs impliqués dans le développement et l’utilisation de l’IA avec les normes établies. Cet office jouira d’un pouvoir significatif en matière de surveillance et de sanction. Il sera habilité à appliquer des amendes proportionnelles aux infractions constatées, avec une possibilité de sanctions financières pouvant atteindre jusqu’à 7 % du chiffre d’affaires des entreprises en infraction. Cette mesure dissuasive vise à inciter les entreprises à respecter scrupuleusement les directives réglementaires établies, renforçant ainsi les mécanismes de surveillance et de dissuasion dans le domaine de l’IA. Dans le cadre de ces contrôles, des interdictions spécifiques seront mises en place, principalement dirigées contre les applications ou les usages de l’IA contraires aux valeurs fondamentales de l’Union Européenne. Les systèmes de notation citoyenne ou de surveillance de masse, jugés incompatibles avec les principes éthiques et les droits fondamentaux européens, seront particulièrement ciblés par ces interdictions.

Réactions et enjeux

Cette avancée significative vers une régulation de l’intelligence artificielle n’a pas manqué de susciter des réactions, notamment au sein du secteur technologique lui-même. Certaines voix émises évoquent des réserves quant à l’équilibre à trouver entre la rapidité dans la mise en place des directives et la qualité des dispositions réglementaires. Ces voix critiques mettent en lumière l’importance cruciale d’approfondir certains aspects spécifiques du texte réglementaire. Elles insistent sur la nécessité de développer des détails et des spécifications supplémentaires pour garantir une régulation équilibrée et efficace de l’IA. L’enjeu majeur ici réside dans la volonté de trouver un juste milieu entre la nécessité de réglementer pour assurer la sécurité et l’éthique dans l’utilisation de l’IA, tout en évitant de freiner l’innovation et le développement des technologies émergentes. Ces critiques soulignent également l’importance de ne pas entraver la dynamique d’innovation des entreprises en imposant des réglementations excessivement restrictives. Il est essentiel de créer un environnement réglementaire propice à l’essor continu de l’IA, tout en garantissant un cadre éthique et responsable pour son déploiement.

En conclusion, cet accord  marque une étape fondamentale dans la manière dont l’intelligence artificielle sera encadrée et utilisée en Europe. Il représente un engagement solennel de l’Union Européenne à établir des normes régulatrices qui pourraient servir de référence à l’échelle mondiale. Ce cadre réglementaire offre une base essentielle pour promouvoir une utilisation responsable et éthique de l’IA. Cependant, ce n’est que le début d’un processus continu. L’adaptation constante des réglementations à l’évolution rapide du paysage technologique demeure essentielle. Un dialogue continu entre les parties prenantes, incluant les entreprises, les chercheurs, les décideurs politiques et la société civile, est crucial pour affiner ces réglementations. Il s’agit d’assurer une approche équilibrée qui favorise l’innovation tout en garantissant des normes éthiques et sécuritaires pour l’utilisation de l’IA. L’importance de ce dialogue réside dans sa capacité à répondre aux nouveaux défis et opportunités que présente l’IA. Ce processus continu permettra de s’adapter aux évolutions technologiques rapides et d’anticiper les risques potentiels, tout en consolidant les bénéfices que peut apporter l’IA à la société dans son ensemble.

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Robert KINO, allégorie de la pistache

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Le Temps des Ruptures : Salut Félix (alias Robert Kino), ton dernier EP (extended play) vient de sortir, il s’appelle « ALLÉGORIE DE LA PISTACHE » et c’est un vrai bijou. Ou une pistache, j’hésite encore. Mais alors, qu’est-ce que ce petit fruit à tes yeux, toi qui en plus d’être un musicien se trouve être un cuisinier de profession ? 
Robert Kino :

La pistache, c’est un fruit délicieux mais qui, dans sa forme la plus courante, nécessite d’être épluchée. Pour moi, elle illustre parfaitement un concept de la vie : les hauts et les bas. Les hauts, c’est déguster le fruit, et les bas, c’est le décortiquer. Le propos de mon EP, c’est que, dans la vie, il faut accueillir les bas pour pouvoir pleinement apprécier les hauts, parce que ce sont ces bas qui créent du contraste, et je crois que sans contraste, la vie devient ennuyante.

Le Temps des Ruptures : Musicalement, j’avoue que tu m’épates. Tu composes, tu chantes, tu joues de plusieurs instruments (combien dans l’EP d’ailleurs ?), tu enregistres (dans ton placard m’a-t-on dit) ! Bref, tu fais tout et ça sans aucune autre formation que la tienne, un parfait autodidacte. Comment t’est venue l’envie de jouer et de composer de la musique ? Comment t’es-tu instruit ? 
Robert Kino : 

J’ai commencé la guitare quand j’avais 10 ans, et c’était bien trop dur pour l’enfant impatient et capricieux que j’étais donc j’ai d’abord abandonné, puis je me suis rabattu sur le ukulélé. C’est avec cet instrument que j’ai fait mes premières compositions. J’ai toujours écouté beaucoup de musique (ma soirée de rêve quand j’avais 8 ans : faire du air guitar sur du gros Korn dans ma chambre), mais arrivé au lycée, j’ai découvert un monde avec les chaînes YouTube comme TheSoundYouNeed ou Majestic Casual. Je me faisais aussi les discographies de groupes comme Pink Floyd, Led Zeppelin ou Supertramp. À l’époque je me suis demandé ce que ça donnerait de fusionner la musique électronique et le rock des années 70 et c’est à ce moment-là que j’ai investi dans le classique home-studio starter pack, à savoir ordinateur, carte son, clavier MIDI, micro et enceintes. J’étais plutôt mauvais, et sur le papier il y avait pas mal de chances pour que j’abandonne également, mais étonnement je n’ai jamais arrêté depuis. C’était la première fois que je me plongeais autant dans une discipline et qu’elle ne me lassait pas au bout de deux semaines. Dans l’EP, je chante, joue de la guitare, du ukulélé, de la basse et du piano, mais il n’y rien de très compliqué. Je ne me considère même pas musicien en réalité mais plutôt compositeur. Le truc que j’ai vraiment du apprendre, c’est comment utiliser Ableton, comment réaliser des idées et comment mixer tout ça.

Le Temps des Ruptures : Il y a, me semble-t-il, une dimension très personnelle dans ta musique, dans tes paroles. Et tu la dévoiles avec une forme de légèreté, mêlée d’autodérision, qui rend le tout assez sentimental (je trouve). ALLÉGORIE DE LA PISTACHE nous parle de sentiments ? d’expériences ? 
Robert Kino : 

Les deux. Certains morceaux dans l’EP sont des fictions inspirées d’expériences personnelles, mais elles abordent aussi les sentiments qui vont avec. Les autres chansons parlent directement de moi et sont donc effectivement très personnelles. C’est la première fois que j’utilise vraiment le « je » pour parler de ce que je ressens. Bizarrement avant ça, j’avais beaucoup de mal à écrire à propos de moi, mais cette année, je suis passé par une grosse période de questionnement, donc j’imagine que ça a aidé à débloquer le truc. C’est un projet qui parle beaucoup de moi, et au final je trouve que le fait d’avoir utilisé des personnages et/ou des mélodies légères a rendu la chose beaucoup plus digeste que si j’avais passé 28 minutes à dire que j’étais une merde sur des airs de piano tristes.

Le Temps des Ruptures : Je l’ai évoqué, en plus de la musique, ton terrain de jeu favori c’est la gastronomie, la bonne chère. Qu’est-ce que ces deux disciplines ont en commun pour toi ?
Robert Kino : 

Ce sont deux disciplines qui peuvent être abordées de la même manière. Pour qu’il y ait du fort, il faut qu’il y ait du calme. Pour qu’il y ait de l’acide, il faut qu’il y ait du salé. En fait, en musique, comme en cuisine, il faut chercher l’équilibre avec les nuances.

Le Temps des Ruptures : Ton EP vient tout juste de sortir, mais j’ai tout de même envie de te demander quels sont tes prochains projets et comment tu envisages la suite ? D’ailleurs, est-ce que tu as déjà pensé à donner des concerts (autre part que dans ton placard) ? 
Robert Kino : 

Les concerts, c’est compliqué. Je l’ai dit plus tôt, mais je ne suis vraiment pas musicien. Pour les voix, j’en dois une belle à Auto-Tune, pour les pianos, c’est du MIDI, donc je peux corriger les imperfections à la souris, et pour les cordes, il me faut 3 heures pour enregistrer une boucle de 12 secondes. Donc avant de franchir le cap, il faudra que je me perfectionne techniquement. En tout cas, c’est une idée qui me botte !

J’aimerais beaucoup commencer à créer avec d’autres gens. Que ce soit composer à plusieurs, ou faire de la production pour d’autres artistes. Pour le morceau 5AM, on a composé à deux avec Anaëlle, c’était nouveau pour nous deux mais c’était très enrichissant et on est très fier du résultat !

Sinon, j’ai quelques instrus avec lesquelles je sais pas trop quoi faire et quelques copains qui font de la musique, alors j’imagine qu’il y a quelque chose à faire.

D’une manière générale, ce qui me fait vibrer, c’est de faire la musique que j’aimerais écouter. Alors j’imagine la suite dans la même lancée, mon ordi et moi à la recherche de sons à la fois originaux, sensés et accessibles.

Le Temps des Ruptures : En guise d’au revoir, quelle est ta dernière claque musicale qu’on doit absolument écouter ? 
Robert Kino : 

La dernière claque c’est clairement l’album « Always in a Hurry » de Medasin. J’ai des frissons à chaque fois, il y a tout ce que j’aime. Une batterie bien marquée, des grosses influences jazz et des nappes très aériennes. C’est le parfait mélange entre technique et émotion.

Sinon, plus tôt dans l’année j’ai découvert 100 gecs avec leur album 10,000 gecs et je sais pas trop quoi dire dessus à part que je l’ai beaucoup trop écouté.

 Retrouvez l’artiste sur les réseaux sociaux : 

Instagram : https://instagram.com/robert_kino?igshid=YzAwZjE1ZTI0Zg==

Spotify : https://open.spotify.com/intl-fr/album/3nII4lTSD9Uf4hrK2Uxlt7?si=XLmeSDODQqiNBmIn3Otg3g

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L’hégémonie américaine est loin d’être terminée

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En publiant Après l’empire en 2002, Emmanuel Todd annonçait la « décomposition » du système américain. Selon lui, l’agressivité montrée par Washington à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et les invasions successives de l’Afghanistan et de l’Irak ne reflétaient pas l’hyperpuissance des États-Unis, mais sa fragilité. Les causes de cette fragilité ? L’émergence de rivaux stratégiques tels que la Chine, la Russie, voire l’Union européenne que Todd estimait alors en voie d’émancipation ; les difficultés de plus en plus importantes que rencontraient les États-Unis pour rester les « gendarmes du monde » ; une économie désindustrialisée et dépendante de ses importations en produits manufacturés ; et enfin l’exacerbation de tensions sociales et raciales qui menaçait les fondements démocratiques de la première puissance mondiale. Todd pronostiquait que le monde s’harmoniserait et se passerait progressivement de la tutelle américaine du fait de la transition démographique et de l’alphabétisation généralisée. Après une phase de transition susceptible d’accentuer les conflits, le XXIe siècle pourrait s’avérer plus pacifiste et l’hégémonie américaine devenir obsolète.

Plus de vingt ans ont passé depuis la sortie de cet ouvrage et le moins qu’on puisse dire est que l’idée d’un affaiblissement de l’hégémonie américaine fait toujours l’actualité. Entretemps, une crise économique et financière d’une ampleur exceptionnelle a ravagé Wall Street, Donald Trump a été élu, le Capitole fut envahi par des émeutiers d’extrême droite, les États-Unis se sont retirés d’Irak et d’Afghanistan sans être parvenus à atteindre leurs objectifs politiques, et la balance commerciale américaine continue d’afficher un profond déficit. Sur le plan international, la situation n’est guère meilleure pour le « gendarme du monde ». Les conflits en Ukraine et au Proche-Orient démontrent l’impuissance de Washington à enrayer l’agressivité de ses rivaux (la Russie) comme celle de ses alliés (Israël).

Pour la plupart des observateurs, les États-Unis seraient en train de vivre au XXIe siècle ce que les Britanniques ont vécu au XXe. Après avoir régné sur le monde en profitant de son avance industrielle, le Royaume-Uni était entré dans une phase de déclin au début du XXe siècle, passant le flambeau du leadership mondial aux Américains. Si l’histoire se répète, deux scénarios sont possibles. Soit une autre puissance telle que la Chine, l’Inde, voire l’Union européenne devient le prochain hégémon, soit aucune puissance ne se détache et le monde entrera alors dans une phase multipolaire de puissances rivales. Récemment, un troisième scénario a été proposé, celui d’une nouvelle guerre froide entre le « Sud global » (qui inclut la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil, l’Iran…) et les pays occidentaux au sens large (Amérique du Nord, Europe non russe, Japon, Corée du Sud, Australie et Nouvelle Zélande).

Tous ces scénarios reposent sur un postulat qui n’est jamais démontré tant il apparaît évident : la fin de l’hégémonie américaine.

Le monde est-il vraiment en train de se dédollariser ?

Il est vrai que sur le plan économique, la puissance américaine semble en déclin, du moins relativement aux autres pays. En 1970, le PIB américain représentait près du tiers du PIB mondial (31,4%). Cinquante et un an plus tard, en 2021, il n’en représentait plus que 24,1%[1]. Signe de ce déclin, de plus en plus de pays tendent à se passer du dollar dans leurs transactions commerciales, soit parce qu’ils y sont contraints du fait des sanctions (Russie, Iran…), soit pour des raisons politiques et diplomatiques. Même des alliés historiques de Washington comme l’Egypte et l’Arabie Saoudite souhaitent abandonner le dollar pour commercer entre eux. De son côté, la Chine fait tout pour développer son autonomie commerciale en finançant et en rachetant, dans le cadre des Nouvelles routes de la soie, des infrastructures portuaires et ferroviaires, créant ainsi à son avantage de nouvelles dépendances dans les pays en voie de développement…  ainsi que dans quelques pays européens.

Ce processus de dédollarisation est-il amené à s’étendre et reflète-t-il la fin de l’hégémonie américaine ? Pour répondre à cette question il convient de rappeler que la monnaie a plusieurs usages. Elle peut être utilisée comme moyen de paiement, mais elle peut aussi servir de réserve de valeurs via l’achat d’actifs financiers. Or, si le dollar est un peu moins utilisé comme moyen d’échange, cela n’implique pas nécessairement que son poids dans les réserves de change diminue. Au deuxième trimestre 2023, les actifs libellés en dollar représentaient près de 60% des réserves de change des banques centrales selon le FMI. Une part qui s’est érodée en vingt ans puisque le dollar représentait un peu plus de 70% des réserves de change en 1999. La monnaie américaine reste donc hégémonique dans les réserves. En comparaison, l’euro n’en représente qu’environ 20% alors que l’UE est la première puissance commerciale mondiale. Quant au renminbi chinois sa part n’est que de 2,45% et elle a eu plutôt tendance à décliner dans la dernière période.

Autrement dit, même si le dollar est moins présent dans les échanges internationaux (il est tout de même utilisé dans un peu plus de 40% des transactions internationales) il continue d’être privilégié pour l’épargne. Il y a deux raisons à cela. La première est que Wall Street reste, de loin, la première place financière au monde. La force de la finance américaine vient du fait que son économie s’endette massivement et peut donc proposer un volume d’actifs financiers très attractif, avec des taux d’intérêt souvent plus élevés qu’en Europe. La seconde raison pour laquelle les épargnants préfèrent acheter des actifs en dollars est que les États-Unis sont un État de droit où l’investisseur est plus protégé qu’ailleurs, en particulier en comparaison de pays où le droit a tendance à se plier aux injonctions politiques, comme en Chine ou en Russie.

Une économie américaine fortement désindustrialisée

En matière économique et industrielle peut-on dire que les États-Unis sont en déclin ? Dans son ouvrage, Emmanuel Todd soulignait son considérable affaiblissement industriel. Sur ce point, le diagnostic est incontestable. Le secteur manufacturier américain représente moins de 12% du PIB et moins de 10% de l’emploi total, ce qui fait des États-Unis l’un des pays les plus désindustrialisés au monde (graphique 1).

Graphique 1 : Évolution de l’emploi du secteur manufacturier aux États-Unis (2000-2023).

Plusieurs conséquences découlent de cette sous-industrialisation. La première est le déficit de la balance des biens qui caractérise l’économie américaine depuis plus de cinquante ans et qui représente aujourd’hui entre 4 et 5% de son PIB. Ce déficit est problématique, car il signifie que la première puissance mondiale est dépendante du reste du monde pour une grande partie de ses biens de consommation et de production. Il implique aussi une dépendance financière puisque, chaque année, les Américains doivent s’endetter pour financer leurs besoins de consommation. Autre conséquence délétère, les problèmes sociaux et politiques entrainés par la perte d’emplois qui étaient souvent plus stables et mieux rémunérés que la moyenne. Le succès de Trump dans les États anciennement industrialisés de la région des Grands lacs en témoigne[2]. Enfin cette désindustrialisation handicape les États-Unis dans la mise en œuvre de la transition écologique. Il faudrait que les industriels puissent investir dans des équipements décarbonés, mais cela suppose qu’ils en aient les moyens, ce qui est loin d’être évident compte-tenu de leur affaiblissement général.

Le déclin industriel américain ressemble à celui qui a touché le Royaume-Uni à la fin du XIXe siècle. Il convient cependant de le relativiser. D’abord, parce que même avec 11% du PIB, le secteur manufacturier américain représente un volume d’activité respectivement 3,8 et 3,3 fois plus important que celui de l’Allemagne et du Japon. Seule la Chine, ou la zone euro dans son ensemble, pourraient rivaliser avec la puissance de l’industrie américaine[3]. Par ailleurs, comme le montre le graphique 1, la baisse de l’emploi manufacturier semble enrayée depuis la crise de 2009. C’est sans doute le fruit des pratiques commerciales protectionnistes et d’une politique industrielle plus ambitieuse portée par Washington.

Une avance technologique et scientifique qui s’est renforcée

Ce qui fait la force de l’économie américaine n’est pas la résilience partielle de son industrie, mais plutôt sa capacité à maintenir un écart conséquent avec le reste du monde dans les secteurs les plus avancés sur le plan technologique. Chaque année, près d’un million d’étudiants, parmi les plus brillants, partent étudier aux États-Unis. D’autres obtiennent un permis de travail et s’installent définitivement. Cette émigration concerne plus particulièrement les hauts diplômes et s’affirme davantage dans les secteurs scientifiques et technologiques, à tel point que, dans les domaines des sciences dures et de l’ingénierie, près de la moitié des contrats postdoctoraux américains sont occupés par des étrangers. Les autorités américaines pratiquent de longue date une politique d’immigration choisie qui draine les meilleurs cerveaux.  Conséquence de cette politique, le nombre de travailleurs étrangers travaillant dans les secteurs technologiques (STEM[4]) a plus que doublé en 20 ans, passant de 1,2 millions en 2000 à 2,5 millions en 2019. Les travailleurs d’origine étrangère représentent désormais 23,1% de la force de travail dans les STEM, contre 16,4% en 2000.

Ces dernières décennies, ce sont des États-Unis qu’ont émergé les sociétés les plus innovantes. C’est vrai dans la pharmacie (Pfizer et Moderna), dans le domaine spatial (Blue Origin, SpaceX), dans l’intelligence artificielle (Open AI, Deepmind) et même dans la voiture électrique (Tesla). Le territoire américain accueille les sièges sociaux de presque tous les géants du numérique. C’est le cas des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), mais aussi des sociétés qui ont émergé plus récemment telles que Netflix, Uber, Airbnb ou Zoom. En fait, lors des deux dernières décennies, les batailles dans le secteur numérique ont pratiquement toutes été remportées par des sociétés américaines. Microsoft a conjuré les menaces de Libre Office et de Linux, Apple a pris la place de Nokia comme entreprise leader de la téléphonie mobile, YouTube a balayé Dailymotion, Google s’est imposé comme la référence des moteurs de recherche, la Fnac n’a pas résisté face à Amazon. Quelques rares entreprises européennes ont subsisté comme Spotify ou Booking ; mais il s’agit d’exceptions et ce sont pour la plupart des sociétés relativement anciennes. Enfin, les États-Unis dominent plus que jamais le secteur culturel. Les séries, les films et les franchises américaines de type Marvel se partagent les écrans, et on ne peut que constater que les stars de la musique qui ont émergé depuis le début des années 2000 (Lana Del Rey, Taylor Swift, Beyoncé, Billie Eilish …), sont la plupart du temps originaires d’outre-Atlantique. Même la pop anglaise a pratiquement disparu des classements mondiaux d’écoute musicale, ce qui était loin d’être le cas, ne serait-ce que dans les années 1990[5].

À la fin du XIXe siècle, l’une des difficultés rencontrées par les Britanniques était qu’ils ne parvenaient pas à s’imposer dans les technologies de la deuxième révolution industrielle : les appareils électriques, la chimie, l’automobile. Aujourd’hui, on ne peut que constater que l’économie américaine s’est parfaitement adaptée au tournant technologique du XXIe siècle et on ne voit pas quel pays pourrait lui contester la suprématie dans ces secteurs.

Ainsi, même si elle est devenue moins industrielle, l’économie américaine parvient à compenser ce handicap en dégageant d’importants revenus dans les secteurs numérique et culturel. Le déficit commercial de la balance des biens est de ce fait en partie compensé par d’importants excédents dans la balance des services et des revenus primaires (graphique 2). Ces revenus sont clairement la conséquence des rentes numériques et des droits de propriété intellectuelle générés par les investissements dans les activités technologiques, la culture et le numérique. Notons qu’une partie de ces revenus ne sont pas rapatriés pour des raisons fiscales. On peut donc penser que les revenus réels sont supérieurs à ce qu’indiquent les chiffres officiels.

Graphique 2 : Évolution de la balance courante des États-Unis en pourcentage du PIB (1989-2022)

Un dynamisme démographique et économique incontestable

Pour terminer l’état des lieux de la puissance américaine il convient d’étudier une dernière composante indispensable à la perpétuation d’un hégémon : la dynamique démographique. À première vue, on pourrait croire que la démographie étatsunienne pèse peu par rapport à celle de la Chine. Comment 340 millions d’Américains pourraient durablement dominer une Chine de 1,4 milliards d’habitants et rester hégémoniques sur une planète où vivront bientôt 9 milliards d’êtres humains ? C’est très simple. La population américaine croît rapidement. Ces vingt dernières années, elle a augmenté de 50 millions d’habitants, en grande partie grâce à l’immigration. Sur cette même période, la Russie a vu sa population légèrement décliner ; un déclin démographique qui pourrait s’accélérer à l’avenir en raison d’un indice de fécondité d’environ 1,5 enfants par femme. En Chine, la politique de l’enfant unique a, depuis plusieurs décennies, fortement réduit l’indice de fécondité à un niveau qui ne permet plus de renouveler les générations. La population chinoise en âge de travailler, qui est déjà en train de décroître, devrait être inférieure de 220 millions en 2050 par rapport à ce qu’elle est aujourd’hui d’après l’INED. À cette date, la population des États-Unis devrait approcher les 400 millions.

Alors que, en cette fin d’année 2023, la zone euro entre en récession et que la plupart des pays développés décrochent depuis 20 ans en termes de richesse par habitant par rapport aux États-Unis (graphique 3) la question à se poser ne devrait pas être celle du déclin de l’empire américain, mais plutôt celle de savoir pourquoi l’Europe, dans son ensemble, s’avère incapable d’afficher un dynamisme économique comparable à celui des États-Unis, et de comprendre pourquoi le PIB par habitant de la zone euro y est presque deux fois plus faible[6]. En octobre dernier le Financial Time le constatait crument : « l’avance de l’économie américaine sur celle de l’Europe […] devrait perdurer en 2024 et au-delà ». Autrement dit, l’hégémonie américaine est loin d’être terminée.

Graphique 3 : Évolution du PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat (PPA) des principaux pays développés.

David Cayla

Références

[1] Source : Statistiques de l’ONU. PIB à prix courants, en dollars.

[2] La question sociale et le niveau extrêmement élevé des inégalités eux États-Unis pose naturellement la question de la permanence de la démocratie aux États-Unis que Todd soulevait dans son ouvrage. Il est néanmoins difficile de la traiter dans le cadre de cet article. Notons tout de même qu’en cas de réélection de Donald Trump, la stabilité de la société américaine et donc sa capacité à préserver son hégémonie pourraient être menacées.

[3] Le secteur manufacturier américain représente 11% d’un PIB de 25 460 milliards de dollars, soit une production de valeur ajoutée annuelle de 2800 milliards de dollars. En comparaison l’industrie allemande dans son ensemble représente 733 milliards de dollars, celle du Japon 846 milliards et celle de la Chine 5029 milliards. Ajoutons que le niveau technologique de la production industrielle chinoise est très inférieur à celui des trois précédents. Source : Banque mondiale : https://data.worldbank.org/indicator

[4] STEM est l’acronyme pour « science, technology, engineering, and mathematics ».

[5] On ne trouve aucun artiste européen dans le classement Spotify 2023 des dix artistes les plus écoutés sur la plateforme. Deux sont canadiens, deux sont colombiens, un est mexicain. Les cinq autres sont tous originaires des États-Unis.

[6] D’après la Banque mondiale, le PIB par habitant de la zone euro était de 40 755$ en 2022, contre 76 399$ pour les États-Unis. Autrement dit, un Américain bénéficie en moyenne d’un revenu annuel supérieur de 87% à celui d’un habitant de la zone euro. Évalué en parité de pouvoir d’achat pour supprimer les effets du taux de change, cet écart diminue à 35%.

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PLEIN SOLEIL, RENÉ CLÉMENT (1960)

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L’automne étant désormais bien entamé, l’hiver s’approche dangereusement. Pour les éternels nostalgiques de la belle saison, la perspective est difficile sinon pénible. Il n’est pourtant jamais trop tard pour s’échapper des rigueurs de l’arrière-saison, du moins pour s’y employer. Étant nettement de ces nostalgiques, j’ai ressassé mes souvenirs encore ensoleillés de cet été et j’ai eu vite fait d’en saisir un en particulier. La projection dans la Cour carré du Louvre, dans une atmosphère crépusculaire, du film culte de René Clément : Plein Soleil.

Organisée à l’initiative du Festival Paradiso(1), cette séance fut d’abord l’occasion de renouer avec le cinéma en plein air et sa convivialité, que je ne pensais pas si bien établi à Paris et en France par ailleurs. Elle fut surtout une invitation au voyage, en direction de l’Italie, pour suivre les pérégrinations d’un trio fameux du septième art, aussi libre comme l’air que profondément malsain. L’intrigue, René Clément la puise dans le polar Monsieur Ripley (1950) de la romancière américaine Patricia Highsmith et il choisit, pour l’incarner, trois jeunes acteurs depuis lors entrés dans la postérité, l’un d’eux plus que tout autre. À 24 ans, Alain Delon se révèle en effet totalement dans le rôle de Tom Ripley. Individu a priori sans importance, il est engagé par un milliardaire américain pour ramener son fils Philippe Greenleaf – joué par Maurice Ronet – parti pour des vacances mondaines et semble-t-il sans fin en Italie. Tantôt bouffon, tantôt confident, Tom est l’homme à tout faire de l’existence oisive de Philippe et fait rapidement office de conciliateur dans sa relation tourmentée avec sa maîtresse Marge, interprétée par l’actrice et chanteuse Marie Laforêt, décédée en 2019. Le cadre du thriller est posé : un ambitieux subordonné et avide, un nanti frivole et imprudent, une amante fragile et convoitée. Au fil des allées et venues, de Rome à Taormine, et de traversées plus ou moins heureuses sur le magnifique voilier de Philippe, le désir aveugle de Tom se fait grandissant, excité par les humiliations qu’il subit. Sans tarder, une pensée terrible s’impose à son esprit : s’emparer de la place de Philippe. À lui l’argent, le voilier, Marge et les vacances ! Après tout, il les a suffisamment côtoyés pour s’approprier leurs façons précieuses. Parler en maître ? il apprendra. Contrefaire des signatures ? il s’entrainera.

Quelle que soit la saison, Plein Soleil est donc un voyage vers les flots enivrants, parfois inquiétants de la Méditerranée. S’y plonger, c’est aussi remonter aux plus belles années d’une collaboration artistique féconde entre la France et l’Italie, un mariage cinématographique dont découle la production commune d’environ 2000 films(2)  ! Italophone, Alain Delon y contribuera largement puisqu’après Plein Soleil, alors que sa carrière s’envole, il enchaînera les grands succès franco-italiens : Rocco et ses frères de Luchino Visconti (1960), L’Éclipse de Michelangelo Antonioni (1962), Mélodie en sous-sol d’Henri Verneuil (1963), Le Guépard de Visconti encore (1963), Le Samouraï de Jean-Pierre Melville (1967), La Piscine de Jacques Deray (1968), Le Clan des Siciliens d’Henri Verneuil de nouveau (1969), ou encore Borsalino de Jacques Deray (1970). Une liste non exhaustive… Franco-italien, Plein Soleil ne l’est pas uniquement par sa production puisque c’est l’immense Nino Rota qui en composera la bande originale. La musique du compositeur de Fellini et de Visconti, de celui qui imprimera dans la mémoire auditive populaire les airs lancinants de la trilogie de Coppola Le Parrain, magnifie déjà dans Plein Soleil les scènes, les visages et les émotions. Et quand les images s’effacent, que les souvenirs s’estompent, ce sont les mélodies qui parfois demeurent et nous accompagnent nostalgiquement.

Nostalgique… Alain Delon doit l’être certainement lorsqu’il repense à ces années glorieuses et leur ribambelle de rencontres et de collaborations. De la vie folle qui sera la sienne, Plein Soleil est l’acte de naissance. Trois ans plus tôt, il n’est encore « que dalle », si ce n’est un quidam revenu d’Indochine. En 1960, il est connu du monde entier ! Cette notoriété, Delon ne l’a pas volée, il l’a conquise bien conscient de son talent et de sa beauté altière. Initialement prévu pour jouer le rôle de Philippe Greenleaf dans Plein Soleil, il parviendra à décrocher celui de Tom Ripley, convaincu d’être le meilleur à cette place. Paradoxalement, à l’entendre, cette vie de conquêtes s’est faite tout naturellement, comme l’application d’un conseil simple prophétique que lui donnera le réalisateur Yves Allégret dans son premier film : « Ne joue pas. Regarde comme tu regardes. Parle comme tu parles. Écoute comme tu écoutes. Fais tout comme tu le fais. Sois toi, ne joues pas, vis ! »(3).  

L’acteur né aime à dire qu’il a été un premier violon dirigé par des Karajan, référence au chef d’orchestre mythique de l’orchestre philharmonique de Berlin, Herbert von Karajan. Voilà une métaphore qu’on veut bien lui accorder. Les polémiques et propos déplorables n’y changeront rien. Alain Delon est et demeure une icône absolue du cinéma français, un premier violon qui aura interprété parmi les plus belles partitions. Plein Soleil est son premier solo.

Références

(1) https://www.mk2festivalparadiso.com/fr.

(2)  V. https://www.liberation.fr/debats/2019/10/09/france-italie-un-mariage-tres-cinematographique_1756579/ qui revient sur le premier accord officiel de coproduction cinématographique entre la France et l’Italie du 19 octobre 1949.

(3)  Cité dans https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/france-inter/alain-delon-le-monstre-sacre-7676489.

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