Guerre commerciale et technologique : L’UE avance sur sa stratégie de sécurité économique

Guerre commerciale et technologique : L’UE avance sur sa stratégie de sécurité économique

Ce mercredi 24 janvier, la Commission européenne a officiellement publié ses plans relatifs au renforcement de la sécurité économique de l’UE face à l’influence grandissante de la Chine dans les économies des Etats membres.

Cette publication s’inscrit dans le cadre de la réduction des risques diplomatiques et économiques encourus par l’UE dans sa relation avec la Chine annoncée dès mars 2023 par Ursula Von Der Leyen avant sa visite à Pékin avec Emmanuel Macron.

L’une des principales mesures concerne le renforcement du contrôle des investissements directs étrangers (IDE) dans l’UE. La Commission européenne souhaite effectivement établir des critères minimaux de contrôle que chaque Etat-membre devrait mettre en œuvre afin de disposer d’un cadre commun de filtrage.

Si certains Etats-membres ne disposent pas pour le moment de tels mécanismes de contrôle, la France, avec le décret Montebourg entré en vigueur en 2014, a su mettre en place des mesures de protection de ses intérêts stratégiques non pas seulement dans l’industrie de défense mais également dans les domaines de l’eau, de la santé, de l’énergie, des transports et des télécommunications.

Fin 2023, le ministre de l’Économie Bruno le Maire a par ailleurs confirmé la baisse annuelle du seuil de contrôle des IDE de 25% à 10% et l’élargissement du contrôle aux activités d’extraction et de transformation des matières premières critiques.

Au-delà des IDE, le paquet sur la sécurité économique vise également à un contrôle plus efficace de l’UE sur les exportations de biens à « double usage » (usage civil et usage militaire) et à un renforcement de la sécurité économique en matière de recherche. Certaines technologies sont particulièrement ciblées par la Commission : les semi-conducteurs, l’industrie quantique, les biotechnologies ainsi que l’intelligence artificielle.

Cette publication du 24 janvier fait écho aux préoccupations déjà affichées par certains parlementaires européens qui dénonçaient dans un rapport publié en décembre 2023, l’influence croissante de la Chine sur un certain nombre d’infrastructures critiques au sein de l’Union (transports, ports, réseaux télécoms, métaux rares, câbles sous-marins…).

Si la Chine est particulièrement visée par ces récentes décisions de la Commission européenne en raison de sa stratégie de fusion militaro-civile (c’est-à-dire d’alignement des intérêts commerciaux des entreprises privées chinoises sur les intérêts politico-militaires du PCC), elle n’est pas le seul pays déployant des techniques d’ingérence au sein de l’UE. Loin de là.

Les Etats-Unis, au-delà de l’exemple emblématique Alstom, ont également fait pression sur les Pays-Bas en 2023 pour que ces derniers réduisent leurs ventes de semi-conducteurs avancés à Pékin, forçant Amsterdam à se positionner dans la guerre commerciale qui oppose les deux empires.

 

Cette publication s’inscrit dans le cadre de la réduction des risques diplomatiques et économiques encourus par l’UE dans sa relation avec la Chine annoncée dès mars 2023 par Ursula Von Der Leyen avant sa visite à Pékin avec Emmanuel Macron.

L’une des principales mesures concerne le renforcement du contrôle des investissements directs étrangers (IDE) dans l’UE. La Commission européenne souhaite effectivement établir des critères minimaux de contrôle que chaque Etat-membre devrait mettre en œuvre afin de disposer d’un cadre commun de filtrage.

Si certains Etats-membres ne disposent pas pour le moment de tels mécanismes de contrôle, la France, avec le décret Montebourg entré en vigueur en 2014, a su mettre en place des mesures de protection de ses intérêts stratégiques non pas seulement dans l’industrie de défense mais également dans les domaines de l’eau, de la santé, de l’énergie, des transports et des télécommunications.

Fin 2023, le ministre de l’Économie Bruno le Maire a par ailleurs confirmé la baisse annuelle du seuil de contrôle des IDE de 25% à 10% et l’élargissement du contrôle aux activités d’extraction et de transformation des matières premières critiques.

Au-delà des IDE, le paquet sur la sécurité économique vise également à un contrôle plus efficace de l’UE sur les exportations de biens à « double usage » (usage civil et usage militaire) et à un renforcement de la sécurité économique en matière de recherche. Certaines technologies sont particulièrement ciblées par la Commission : les semi-conducteurs, l’industrie quantique, les biotechnologies ainsi que l’intelligence artificielle.

Cette publication du 24 janvier fait écho aux préoccupations déjà affichées par certains parlementaires européens qui dénonçaient dans un rapport publié en décembre 2023, l’influence croissante de la Chine sur un certain nombre d’infrastructures critiques au sein de l’Union (transports, ports, réseaux télécoms, métaux rares, câbles sous-marins…).

Si la Chine est particulièrement visée par ces récentes décisions de la Commission européenne en raison de sa stratégie de fusion militaro-civile (c’est-à-dire d’alignement des intérêts commerciaux des entreprises privées chinoises sur les intérêts politico-militaires du PCC), elle n’est pas le seul pays déployant des techniques d’ingérence au sein de l’UE. Loin de là.

Les Etats-Unis, au-delà de l’exemple emblématique Alstom, ont également fait pression sur les Pays-Bas en 2023 pour que ces derniers réduisent leurs ventes de semi-conducteurs avancés à Pékin, forçant Amsterdam à se positionner dans la guerre commerciale qui oppose les deux empires.

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Pourquoi la gauche doit s’intéresser à la natalité

Pourquoi la gauche doit s’intéresser à la natalité

Lors d’une conférence de presse le 16 janvier 2024, le Président de la République a parlé de « réarmement civique et démographique » pour souligner sa volonté politique de s’attaquer à la baisse de la natalité et à l’augmentation de l’infertilité en France. Derrière cette question, se cachent des enjeux aux multiples conséquences sur notre société.

Lors d’une conférence de presse le 16 janvier 2024, le Président de la République a parlé de « réarmement civique et démographique » pour souligner sa volonté politique de s’attaquer à la baisse de la natalité et à l’augmentation de l’infertilité en France. Cela a fortement fait réagir, notamment les milieux féministes, accusant Emmanuel Macron de vouloir contrôler le corps des femmes et lui enjoignant de, je cite, « laisser nos utérus en paix(1) ». Comment expliquer que le politique veuille se mêler de ce sujet, qui ne relève en apparence, que de la sphère privée et du droit des femmes à disposer de leur corps ? Est-ce que cet intérêt est vraiment nouveau ? Pas tellement. Depuis 1932, les mesures autour de la famille se sont enchaînées(2), signe de l’intérêt du politique sur cette question cruciale, aux multiples enjeux, pour certains avec des conséquences importantes sur notre société. Le présent article a pour objectif d’en présenter quelques-uns, pour faire prendre conscience, notamment à la gauche, que ce sujet ne doit pas être laissé aux autres partis politiques.

La démographie : critère de puissance dans un contexte géopolitique complexe

Avoir un enfant est un bouleversement des habitudes et des modes de vie, du foyer, du porte-monnaie mais également du corps des femmes. Pour autant, il est impossible de resteindre ce sujet à la seule sphère privé. Et c’est la principale information à retenir de l’allocution du président de la République. 

Une natalité dynamique et une population jeune, permet à un pays d’accroître son influence : à travers sa main d’œuvre pour faire prospérer ses industries, sa diaspora, ou encore, dans un contexte géopolitique à risque et de potentiel déclenchement de conflits, de disposer de soldats. Dans ce contexte, l’utilisation du mot « réarmement » et du vocabulaire militaire, prend tout son sens. Ce terme semble avoir été utilisé sciemment, la communication du président étant toujours pensée au mot près.  

A noter que les puissances émergentes d’Asie, possèdent l’avantage de disposer d’une démographie importante, en forte croissance, même si cette dynamique pourrait s’endiguer dans les prochaines décennies : on compte aujourd’hui 1,15 enfant par femme en Chine en 2022, loin du seuil de renouvellement démographique établi à 2,1 enfants par femme(3).

A l’inverse, les pays de l’OCDE, et pas uniquement la France, sont confrontés à une baisse de la natalité depuis plusieurs décennies. Ainsi, au sein de l’Union européenne en 2023, on compte 1,50 enfant par femme, alors qu’on en comptait 1,57 en 2010(4). Cette baisse est légère, mais progressive. La France reste le pays de l’Union avec le nombre d’enfants par femme le plus élevé : environ 1,83, contre par exemple 1,53 en Allemagne(5). On constate également depuis plusieurs années, après des mouvements de baisse, une augmentation de la fécondité des pays de l’Europe de l’Est (par exemple la Hongrie, la Roumanie, etc.) alors que celle des pays de l’Ouest (France, Allemagne, Espagne, etc.) si elle ne recule pas, stagne.

Les pays de l’Europe de l’Est vont bientôt détrôner la France et afficher le taux d’enfant par femme le plus élevé d’Europe : on pense notamment à la Roumanie, qui comptabilise aujourd’hui 1,80 enfant par femme.

Emmanuel Macron a-t-il peur que cela puisse influencer le rapport de force en Europe ? En effet, la baisse de la natalité, et donc le vieillissement d’une population, réduit fortement une population active. Ainsi, un pays dispose de moins de ressources mobilisables pour la production économique, ou pour le financement du modèle social. Il serait possible d’imaginer dans le futur que la relocalisation en Europe de grandes industries (encouragées par la hausse des tensions au niveau mondial et donc la mise en péril des chaînes d’approvisionnement) soit davantage favorables à des pays comme ceux de l’Est dont la population active est jeune, en plus de disposer de salaires beaucoup plus faibles. 

Ventant la concurrence et l’augmentation à l’extrême de la compétitivité, on peut imaginer que l’Union laissera faire, puisqu’elle ne transige déjà par sur le dumping social. Ces questions sont d’autant plus cruciales aujourd’hui, alors que l’Union imagine intégrer de nouveaux pays à l’Est.

Le politique a-t-il peur d’une transformation de la société française ?

Au-delà de l’infertilité croissante dont parle le Président (sur laquelle nous reviendrons), il évoque également l’évolution des mœurs dans son discours. Emmanuel Macron indique que les femmes font des enfants de plus en plus tard. En effet, alors qu’en 1994, l’âge moyen de la mère à l’accouchement était de 28,8 ans, il est en 2023 d’environ 31 ans(6)

Mais prend-il réellement conscience de ces évolutions ? En évoquant sa volonté de faire remonter la natalité en France, il semble, de manière sous-jacente, se positionner en faveur du modèle de la famille « nucléaire », étant le cadre le plus classique pour avoir des enfants, sans prendre en compte que de nombreuses autres formes de couple / de vie ont émergé ces dernières décennies. Loin de se montrer progressiste en la matière, il semble plutôt droitiser son discours (ce n’est d’ailleurs pas spécifique au sujet de la famille et de la natalité).

Le président de la République semble également ne pas totalement comprendre, (en tout cas il ne se prononce pas sur le sujet) les raisons pour lesquelles les femmes ont des enfants plus tard, voire n’en ont tout simplement pas. La thèse de Véra Nikolski nous donne des pistes de réflexion : l’autrice met en relation la baisse de la natalité, avec l’augmentation de l’indépendance des femmes. Elle estime que l’émancipation des femmes a été obtenue grâce au progrès technique et scientifique. En raison en effet des évolutions scientifiques, le taux de mortalité infantile a baissé drastiquement, permettant aux femmes d’être rassurées quant à leur survie et à celle de leur progéniture : cela semble aller de soi aujourd’hui, ce n’était pas le cas il y a encore quelques décennies. L’émancipation des femmes a été rendue possible en raison également d’un autre facteur : faisant moins d’enfants elles passent moins de temps enceinte ou à s’occuper de leurs enfants qu’auparavant, et bénéficient par conséquent de plus d’autonomie et de liberté. Il est à craindre que, lorsque la nation a besoin que les femmes se mettent à son service, pour réarmer démographiquement le pays, il en soit fini de leurs droits. 

Des considérations culturelles voire anthropologiques tendent également à expliquer la baisse du taux de natalité : être une femme dans nos sociétés contemporaines ne passe plus obligatoirement par l’enfantement. Être mère ne se conçoit plus de la même manière qu’auparavant. Demander simplement aux femmes de « réarmer » la France, n’aura certainement pas l’effet escompté.

D’autres facteurs, bien qu’encore très marginaux, peuvent également jouer sur la baisse de la natalité de certaines catégories de la population française. L’éco-anxiété en est un et touche de plus en plus de femmes et de couples. Comment imaginer avoir un enfant dans un monde en plein basculement climatique ? L’absence d’une politique d’envergure pour aborder la transition écologique, en France comme au niveau européen et mondial, ne permet pas de se projeter.

Bien sûr la baisse de la natalité est une donnée à ne pas prendre à la légère. Elle risque d’avoir des répercussions importantes sur la société française. Son corrolaire, le vieillissement de la population (qui touche massivement les pays de l’OCDE), risque de transformer notre modèle de société  : comment pérenniser notre modèle social avec la réduction de la population active et l’allongement de l’espérance de vie ? Comment prendre en charge correctement le grand âge, d’autant plus si le nombre de personnes âgées augmente ? Le système est d’ailleurs déjà défaillant, comme ont pu le démontrer les scandales et enquêtes sur la gestion de nombreux EHPAD en France, cherchant la rentabilité plutôt que le bien-être des pensionnaires. Des questions qui restent sans réponse et qui ne sont que trop partiellement abordées.

L’infertilité, LE tabou du siècle selon Emmanuel Macron

Dans son discours, Emmanuel Macron indique qu’il souhaite la mise en œuvre d’un plan pour lutter contre l’infertilité. Les contours de ce plan, restent flous. Il faut effectivement reconnaître que c’est un problème au niveau mondial : selon un rapport de l’OMS, 17,5% de la population en âge d’avoir des enfants est touché par l’infertilité et une personne sur six a déjà rencontré des problèmes d’infertilité dans sa vie(7).

Quelles sont les raisons principales de l’infertilité ? Plusieurs sont connues de la communauté scientifique : les perturbateurs endocriniens et pesticides, que nous consommons, que nous ingérons ou que notre peau absorbe dans les produits alimentaires mais également d’hygiène et de beauté ;  la pollution atmosphérique….On peut également citer certaines pathologies, comme l’endométriose qui peut avoir des conséquences importantes sur le quotidien et la fertilité des femmes ou encore, les maladies sexuellement transmissibles non-traitées comme la chlamydia. Concernant l’endométriose, bien que les recherches (qui progressent) n’aient pas encore permis de déterminer précisément les causes de cette pathologie, notre mode de vie en est potentiellement une des explications.

Cet étalage n’a pas pour objectif d’être exhaustif ou de faire peur : l’idée est de démontrer que l’infertilité est un sujet global, avec de multiples causes, dont l’augmentation relève surtout de notre façon de vivre et de notre modèle de société.

Il semble difficile de concevoir un plan de lutte contre l’infertilité qui soit réellement à la hauteur : pour l’être, cela nécessiterait de repenser complètement notre modèle. Et les plans européens (la PAC qui n’encourage pas spécialement la fin de l’utilisation des pesticides ni la fin de l’agriculture intensive ; le plan « fit for 55 » qui est censé réduire d’au moins 55% d’ici 2030 les émissions nettes de gaz à effet de serre, notamment dans les transports, sans qu’on puisse à ce stade constater des effets, etc.), semblent encore n’avoir que des conséquences réduites en la matière. Sans s’occuper des raisons profondes de l’infertilité, ce plan ne sera rien d’autre qu’une mesurette.

Redonner confiance en l’avenir

Concernant l’accompagnement de la parentalité, on peut déplorer l’absence d’infrastructures suffisantes pour accueillir les jeunes enfants, à des prix raisonnables. Si le président de la République souhaite encourager les femmes à avoir des enfants, il faudrait qu’il s’attaque sérieusement à cette question.

Au-delà des structures, Emmanuel Macron a annoncé vouloir remplacer le congé parental par le congé de naissance, d’une durée plus courte (6 mois) mais avec une rémunération a priori plus importante. Cela fait plusieurs mois que le gouvernement évoque cette mesure, sans qu’on en connaisse les contours. Augmenter la rémunération de ce congé est nécessaire, mais il y a d’autres paramètres à prendre en compte : ce congé pourra-t ’il être pris de manière désynchronisée ? Quelle sera sa rémunération exacte ? Comment pourra-t-il s’articuler avec le congé maternité et paternité ? Sera-t-il contraignant, notamment pour établir l’égalité dans la prise en charge de l’éducation par les deux parents ? Tout cela reste encore flou.

Ces aspects sont d’autant plus importants à prendre en compte que la maternité est un facteur pénalisant dans la carrière des femmes, et source, en partie, d’inégalités salariales qui persistent.

Il ne suffit pas de vouloir faire le buzz en employant un terme militaire pour évoquer le sujet de la natalité. Cette question s’inscrit dans un cadre plus large, et soulève de réelles interrogations pour l’avenir. La natalité est en baisse en France, mais cela est un mouvement global rencontré par de nombreux pays, notamment de l’OCDE. L’émancipation des femmes et l’acquisition de nouveaux droits, peut l’expliquer en partie, et c’est une bonne chose : les femmes ont la liberté de choisir d’avoir des enfants ou non, et si elles le souhaitent, quand et comment. La baisse de la natalité ne pourra pas être endiguée sans repenser réellement notre mode de vie. C’est bien notre modèle qui est à remettre en cause, mais il y a peu de chance que le gouvernement et l’Union européenne, prennent ce chemin.

Ce discours, est en complète opposition avec l’ère du temps : l’atteinte effective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines, et la transition écologique. Pour autant, la natalité reste un sujet d’ampleur, dont la gauche doit se saisir, au regard de tous les enjeux qu’il comporte.  

Références

(1)Propos tenus par Anne-Cécile Mailfert, Présidente de la Fondation des Femmes, sur les plateaux télé et sur X

(2)https://www.vie-publique.fr/eclairage/20144-la-politique-de-la-famille-depuis-1932-chronologie

(3)https://www.geo.fr/geopolitique/face-a-son-declin-demographique-la-chine-risque-une-crise-sans-precedent-214800

(4) https://www.ined.fr/fr/tout-savoirpopulation/chiffres/europe-pays-developpes/indicateurs-fecondite/

(5) Eurostats

(6)https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381390

(7)https://www.who.int/publications/i/item/978920068

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Les parlementaires norvégiens ont autorisé le 9 janvier la prospection minière des grands fonds marins. Si le royaume crée un précédent en matière d’exploitation minière sous-marine, cette décision est loin de faire l’unanimité de la communauté internationale

Le mardi 9 janvier, les parlementaires norvégiens ont voté en faveur de l’exploration minière d’une partie de ses grands fonds marins. C’est l’archipel arctique de Svalbard qui fera l’objet des premières explorations : plus de 280 000 kilomètres carrés.

La Norvège devient ainsi l’un des premiers Etats au monde à autoriser ces explorations qui ont pour objectif final de faire du pays l’un des grands producteurs mondiaux de minerais. Le Royaume espère à moyen-terme être un maillon essentiel du commerce mondial de cuivre, manganèse, colbalt, zinc ou encore de lithium. Autant de métaux stratégiques nécessaires à la production de nombreux appareils électroniques mais également à la transition énergétique : « Nous avons besoin de minéraux (car) nous devons mener une transition verte sous la forme de cellules et de panneaux solaires, de voitures électriques, de téléphones mobiles », explique la députée travailliste Marianne Sivertsen Naess, cité dans les Echos(1).

Au-delà des enjeux commerciaux, la Norvège souhaite ainsi réduire sa dépendance (qui est d’ailleurs commune à l’ensemble des pays européens) vis-à-vis de la Russie et de la Chine en métaux stratégiques. L’exploitation des métaux stratégiques que contiennent les grands fonds marins répond, selon le Premier ministre Jonas Gahr Støre, constituerait un atout indénaible pour l’industrie norvégienne.

Une autorisation parlementaire sur fond de contestation

Loin de faire l’unanimité, l’autorisation de la prospection minière des grands fonds marins a entraîné des manifestations de militants internationaux et d’associations environnementales. L’extraction des minerais pourrait avoir des répercussions irréversibles sur des habitats naturels et des espèces encore peu connus mais possiblement essentiels pour l’écosystème. Le risque est également grand d’endiguer la capacité d’absorption du plus grand réservoir mondial de carbone qu’est l’océan. 

Selon Forde Pleym, à la tête de l’entité norvégienne de Greenpeace, cité par Les Echos « la Norvège risque de créer un précédent », qui permettra « à d’autres pays de faire de même ».

Deux mois auparavant, de nombreux parlementaires européens avaient également interpellé les députés norvégiens sur la dangerosité de l’extraction des minerais des fonds marins en rappelant notamment les travaux du Conseil consultatif des académies européennes des sciences (EASAC, ce dernier ayant alerté les responsables politiques sur ce sujet dès l’été 2023)

Une mobilisation de la France et du Royaume-Uni pour la tenue d’un moratoire international

Si la Norvège crée un précédent à l’exploitation des grands fonds marins, d’autre pays (24 au total) militent à l’inverse pour l’organisation d’un moratoire international. C’est le cas notamment de la France et du Royaume-Uni qui ont affirmé leur opposition ferme à tout projet d’exploitation minière sous-marine.

Le contexte est néanmoins marqué par l’accroissement des pressions pour l’ouverture des droits d’exploitation. L’Autorité internationale des fonds marins, organisation onusienne en charge de ces de la régulation de ces activités dans les eaux internationales doit par ailleurs se réunir en 2024 et statuer sur un possible premier code minier mis au vote pour 2025.

Références

(1)https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-norvege-lance-la-prospection-miniere-de-ses-fonds-marins-2045453

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Twitch, ou l’ubérisation du divertissement

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Twitch, ou l’ubérisation du divertissement

Twitch, la plateforme de streaming en direct d’Amazon, a révolutionné le divertissement avec plus de 31 millions d’utilisateurs actifs quotidiens. Au-delà des jeux vidéo, elle englobe désormais une multitude de contenus en direct, incarnant l’ubérisation du divertissement.
La révolution Twitch : quand le streaming de jeux vidéo redéfinit le divertissement en ligne

Tout a commencé en 2011 lorsque Justin Kan et Emmett Shear, les fondateurs de Justin.tv, ont décidé de se concentrer sur une nouvelle idée : la diffusion en direct de jeux vidéo. C’est ainsi qu’est née Twitch.tv, une plateforme dédiée exclusivement au streaming de jeux vidéo. Les premières diffusions étaient simples, souvent réalisées depuis les chambres des streamers passionnés.

Twitch a su attirer rapidement une communauté de joueurs avides de partager leurs expériences en direct. Au fil des ans, elle a connu une croissance exponentielle. En 2013, la plateforme comptait déjà plus de 45 millions de téléspectateurs uniques par mois, et elle est rapidement devenue la référence en matière de streaming de jeux vidéo. Les streamers les plus populaires sont devenus de véritables célébrités numériques, attirant des milliers voire des millions de spectateurs à chaque diffusion.

La montée en puissance de Twitch a remis en question les méthodes traditionnelles de diffusion de divertissement, notamment la télévision et le cinéma. Tandis que la télévision et le cinéma sont des médias passifs où les spectateurs sont de simples consommateurs, Twitch offre une expérience interactive en temps réel. Les spectateurs peuvent discuter avec les streamers, poser des questions et même influencer le déroulement du jeu. Cela crée une connexion plus forte entre les créateurs de contenu et leur public, une dynamique absente dans les médias traditionnels.

Twitch a aussi radicalement démocratisé la diffusion de contenu. Pour devenir créateur sur Twitch, vous n’avez pas besoin de matériel coûteux ou de studios de production sophistiqués. Une simple webcam et une passion pour un sujet suffisent pour commencer à diffuser en direct. Cela contraste fortement avec les normes élevées de l’industrie cinématographique et télévisuelle, où la production de contenu est souvent réservée à un petit nombre. En outre, la variété et la niche du contenu sur Twitch sont inégalées. La plateforme permet la diffusion de contenus allant des jeux vidéo aux discussions en direct sur des sujets spécifiques, en passant par la musique et les arts. Cette diversité offre aux spectateurs la possibilité de trouver des contenus qui correspondent à leurs intérêts précis, ce qui est rarement possible dans les médias traditionnels, qui visent souvent un public plus large et généraliste.

Enfin, Twitch offre une monétisation directe aux créateurs de contenu. Les streamers ont la possibilité de générer des revenus directement à partir de leur audience, que ce soit par le biais de dons, d’abonnements payants ou de publicités. La possibilité de monétiser leur passion distingue les créateurs de contenu sur Twitch des modèles de rémunération traditionnels, où les artistes peuvent souvent dépendre de maisons de production ou de chaînes de télévision, mais cela ne garantit pas un revenu à tous. En fait, selon un sondage réalisé en 2023 par l’Institut OnePoll auprès de plus de 2000 streamers, seuls 51% d’entre eux ont réussi à générer des revenus grâce au streaming.

Parmi ceux qui ont réussi à gagner de l’argent, le revenu annuel moyen s’élevait à 1264 $, ce qui équivaut à environ 100 $ par mois, un montant relativement modeste. En créant une nouvelle économie précaire, l’ubérisation du divertissement peut avoir des conséquences profondes sur les travailleurs indépendants qui cherchent à percer dans l’industrie du contenu en ligne. Bien que l’accès à la création de contenu en temps réel soit devenu plus facile que jamais, cela ne vient pas sans son lot de défis. De nombreux petits streamers se retrouvent dans une situation précaire, dépendant largement des dons, des abonnements et des contrats de parrainage pour leur subsistance financière. L’absence de sécurité de l’emploi et la dépendance vis-à-vis de la générosité de leur communauté peut entraîner une instabilité financière constante. La précarité économique est l’une des réalités les plus marquantes de l’ubérisation du divertissement, et elle met en lumière les inégalités financières qui existent entre les créateurs de contenu établis et ceux qui cherchent encore à se faire un nom.

L’impact de Twitch sur les industries du divertissement traditionnel

Twitch ne se limite pas à redéfinir le divertissement en ligne, il exerce également une influence significative sur les industries du divertissement traditionnelles telles que la télévision et le cinéma.

Tout d’abord, l’impact sur les industries traditionnelles est palpable. La popularité croissante de Twitch a entraîné une migration de l’audience des médias traditionnels vers le contenu en direct en ligne. Les émissions de télévision, en particulier les événements sportifs en direct, ont vu leur part d’audience diminuer au profit des streams de jeux vidéo et d’autres contenus en direct sur Twitch. Selon des données récentes, la part d’audience des événements sportifs en direct à la télévision a connu une diminution de 15% au cours des deux dernières années. Cette concurrence inattendue a incité les médias traditionnels à revoir leur stratégie pour rester pertinents dans un paysage médiatique en mutation constante.

De plus, Twitch a radicalement changé les habitudes des consommateurs. Les jeunes générations sont de plus en plus enclines à s’éloigner des médias traditionnels pour se tourner vers des plateformes en ligne, où la personnalisation et l’interaction sont la norme. Les spectateurs préfèrent désormais suivre des streamers qu’ils considèrent comme des pairs plutôt que des célébrités de la télévision. Par exemple, selon une enquête récente, 65% des personnes âgées de 18 à 34 ans préfèrent suivre des streamers sur des plateformes en ligne plutôt que de regarder des célébrités à la télévision. Le plus populaire d’entre eux reste Squeezie avec près de 5 millions d’abonnés. Face à cette nouvelle forme de divertissement, les médias traditionnels ont dû réagir. De nombreuses chaînes de télévision ont commencé à diffuser leurs contenus sur des plateformes de streaming en direct pour atteindre un public en ligne, comme BFMTV ou encore France Télévisions. Certains studios de cinéma ont même expérimenté la diffusion en direct de bandes-annonces et de contenus exclusifs sur Twitch pour créer un engagement plus direct avec les spectateurs. Cette réponse montre que l’industrie du divertissement traditionnelle reconnaît l’importance croissante de Twitch et cherche à s’adapter à cette nouvelle réalité.

Les défis de Twitch : de l’importance de la modération à la santé mentale

L’ascension fulgurante de Twitch n’est pas exempte de défis et de critiques importants, qui mettent en lumière les complexités de cette plateforme. Tout d’abord, les problématiques liées à la régulation du contenu sont devenues un enjeu majeur. Twitch est confronté à la nécessité de maintenir un équilibre entre la liberté d’expression de ses streamers et la nécessité de modérer le contenu pour éviter les discours de haine, la violence, ou d’autres formes de contenus inappropriés.

Les cas de streamers bannis pour des comportements répréhensibles ont suscité des débats sur la modération et la transparence des règles de la plateforme. Cette situation souligne les défis de la modération en ligne et les conséquences potentielles pour les créateurs de contenu dont la liberté d’expression peut être limitée. De plus, les débats sur les questions de droits d’auteur sont récurrents sur Twitch. Lorsque les streamers diffusent de la musique ou utilisent des éléments protégés par des droits d’auteur dans leurs streams, cela peut entraîner des réclamations de droits d’auteur et des sanctions.

La tension entre la création de contenu original et l’utilisation de médias protégés par des droits d’auteur soulève des questions complexes quant à la manière dont les droits de propriété intellectuelle sont appliqués dans cet environnement en évolution rapide. Les streamers peuvent se retrouver confrontés à des problèmes juridiques et à des pertes financières en raison de ces litiges liés aux droits d’auteur, ce qui ajoute une couche de complexité à leur expérience sur la plateforme.

Les défis en matière de santé mentale et de bien-être des streamers demeurent aussi préoccupants. Les streamers passent souvent de longues heures en direct pour satisfaire leur audience, ce qui peut avoir un impact négatif sur leur santé physique et mentale. Les pressions liées à la notoriété, à la performance constante et à la gestion de la vie privée en ligne sont autant de défis auxquels les streamers sont confrontés. Ces défis ne sont pas les seuls problèmes auxquels Twitch doit faire face.

Une conséquence notable de l’ubérisation sur des plateformes comme Twitch est la concentration du pouvoir entre les mains de ces grandes entreprises. Ces plateformes exercent un contrôle considérable sur les créateurs de contenu en dictant les règles du jeu, les algorithmes de recommandation, et les conditions de monétisation. Cette inégalité de pouvoir entre les créateurs et les plates-formes peut avoir des implications majeures, notamment en ce qui concerne la visibilité des créateurs, la répartition des revenus et la suppression de contenu. Les décisions de modération prises par ces plateformes peuvent également soulever des questions sur la censure et la liberté d’expression.

Le futur de Twitch : réalité virtuelle, streaming HD et croissance continue

Malgré les critiques, Twitch présente un avenir prometteur, à condition qu’elle s’adapte aux innovations technologiques et aux tendances émergentes. La réalité virtuelle (RV) et la réalité augmentée (RA) ouvrent des horizons passionnants pour les streamers, offrant la possibilité de créer des expériences encore plus immersives. Imaginez des streamers interagissant avec leur public au sein d’environnements virtuels époustouflants, créant ainsi de nouvelles formes captivantes de divertissement. De plus, les avancées dans la diffusion en continu à haute résolution et à faible latence promettent d’améliorer considérablement la qualité des expériences de streaming, renforçant ainsi l’attrait de Twitch.

En ce qui concerne l’avenir de Twitch et des plateformes similaires, les prédictions pointent résolument vers une croissance continue. Les audiences en ligne ne cessent de croître, et la diversification des contenus proposés sur Twitch contribue à élargir son public. Autrefois principalement axée sur les jeux vidéo, la plateforme s’est métamorphosée en un espace où l’on peut trouver des contenus aussi variés que des performances musicales, des débats en direct, des séances de création artistique et bien plus encore.

Cette diversité offre aux spectateurs la possibilité de découvrir des contenus qui correspondent précisément à leurs centres d’intérêt, une caractéristique rarement présente dans les médias traditionnels, qui ciblent souvent un public plus large et généraliste. Les partenariats stratégiques avec des entreprises de médias traditionnels et la diffusion d’événements en direct d’envergure internationale renforcent encore la position de Twitch en tant qu’acteur incontournable du divertissement en ligne. Ces collaborations favorisent l’accessibilité aux contenus traditionnels sur la plateforme, tout en offrant une expérience interactive aux spectateurs.

En résumé, Twitch incarne l’ubérisation du divertissement à son apogée. Cette plateforme a connu une ascension fulgurante, révolutionnant notre manière de consommer et d’interagir avec le contenu en ligne. Elle est passée du statut de plateforme modeste à celui d’acteur incontournable de l’industrie du divertissement, grâce à des caractéristiques telles que l’accessibilité, la monétisation directe et l’interaction en temps réel. Cependant, Twitch doit également faire face à des défis, notamment la régulation du contenu, les droits d’auteur et le bien-être des streamers. En fin de compte, Twitch offre un aperçu fascinant de l’avenir du divertissement, où l’ubérisation ouvre la voie à une ère d’interactivité, de personnalisation et d’accessibilité accrues, plaçant le public au cœur de la création et de la consommation de divertissement.

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BATTLE ROYALE de Kinji Fukasaku, une dystopie macabre dans un Japon décadent

Chronique

BATTLE ROYALE de Kinji Fukasaku, une dystopie macabre dans un Japon décadent

Aux origines de jeux vidéo tels que Call of Duty ou de la série de films Hunger Games, on trouve le film culte et testamentaire du réalisateur nippon Kinji Fukasaku : Battle Royale. Une dystopie nihiliste et macabre dans un Japon décadent et en perte de repères, désignée par Quentin Tarantino comme l’un des films qu’il aurait lui-même aimé faire.

De Battle Royale je ne savais rien, si ce n’est qu’il est communément décrit comme un film culte. Si j’avais déjà dû croiser le nom de Fukasaku quelque part, je n’y associais aucun film en particulier. Logique puisqu’en réalité je ne connais pas grand-chose du cinéma japonais – pourtant si riche. Je me souviens toutefois bien de ma première (vraie) rencontre avec celui-ci : c’était à la Cinémathèque française pour une séance à 1€ dans le cadre d’une rétrospective de l’œuvre d’Akira Kurosawa (1910-1998). J’y découvrais le quasi mythique Rashômon (1950) d’un réalisateur surnommé « l’Empereur » par ses pairs et dont la Cinémathèque nous dit qu’il ouvrit alors les portes de l’Occident au cinéma japonais… Rien que ça. J’étais évidemment conquis, à tel point que je m’empressais d’y retourner pour voir le monumental Ran (1985), une séance inoubliable. Bref, voilà pour la première rencontre.

La deuxième, c’est le superbe cinéma associatif Videodrome 2(1) de Marseille qui me l’a proposée en diffusant le fameux Battle Royale de Fukasaku, adaptation d’un roman du même nom de Kōshun Takami (1999), dans le cadre d’une programmation consacrée aux teens movies. Celles et ceux qui ne connaissent pas encore le film ont peut-être entendu parler du genre de jeu vidéo qui en a adopté le nom (PUBG, Fortnite ou encore Call of Duty en sont quelques exemples). Ceux-là auront compris que, de la Battle Royale de Fukasaku, les spectateurs eux-mêmes ne reviennent pas indemnes.

Le ton est donné dès les premières secondes du générique qui s’ouvre sur le rythme trépidant et sinistre du Dies Irae du Requiem de Verdi. Une messe des morts en guise d’introduction… Sous les coups lourds de la grosse caisse et des timbales, on suit une cohorte de journalistes surexcités se ruer vers un groupe de militaires dans un tohu-bohu complet. On aperçoit alors, progressivement, l’objet de toute cette agitation : une jeune fille, doudou à la main, recouverte de sang et souriant diaboliquement de toutes ses dents. La voici, la survivante de la dernière Battle Royale, jeu de survie grandeur nature décrété par les pouvoirs publics dans un Japon futuriste, décadent et en perte de repères. C’est là l’ultime recours pensé pour contrer l’effondrement de l’autorité des adultes sur la jeunesse dans un contexte de crise politique, économique et morale. Tous les ans, une classe d’élèves tirée au sort est conduite sur une île déserte où les jeunes gens disposent précisément de trois jours pour s’entretuer, un seul d’entre eux pouvant repartir vivant de cet infâme massacre. Cette fois-ci, c’est l’ancienne classe du professeur Kitano qui est choisie, ce dernier s’étant retiré de l’enseignement après avoir été attaqué au couteau par l’un de ses élèves. Pensant partir pour leur voyage de fin d’année, les adolescents se réveilleront dans un semblant de salle de classe pour des retrouvailles lugubres avec Kitano. Une fois les règles du jeu posées et quelques exemples faits, chacun recevra un grand sac contenant quelques vivres, une carte et une arme – allant du fusil-mitrailleur au taser en passant par la hache, la serpette ou encore un couvercle pour casserole. Que le jeu commence…

Le thème de la violence est omniprésent dans ce film testamentaire de Kinji Fukasaku, âgée de 70 ans lors de sa sortie et décédé en 2003 au début du tournage d’une suite qui ne connaîtra pas la même célébrité. Le réalisateur japonais affronta d’ailleurs cette violence dès son adolescence alors qu’il travaille dans une usine d’armement pendant la Seconde Guerre mondiale. Explorant et travaillant le sujet au fil de sa carrière, c’est avec l’expérience d’un réalisateur célèbre de films yakuzas qu’il porte la violence à son paroxysme dans Battle Royale. Elle se loge partout ! Dans les combats évidemment, où une violence déjà débridée se trouve encore exaltée par l’adolescence de ses sujets. Dans la musique, avec la violence orchestrale et vocale de Verdi en ouverture. Dans le choix des plans et la représentation des adultes également. Dans les histoires personnelles des élèves encore, tous peu ou prou aux prises avec un passé ou un présent traumatiques.

Derrière ce chaos de violence, Fukasaku met en scène ainsi les émois de l’adolescence – autre grand thème du film. Un fil conducteur qu’il développe – parfois avec un humour savoureux – à travers les multiples personnalités des élèves interprétés avec talent par un groupe de jeunes acteurs. Parmi les meilleurs clichés, on retrouve ainsi l’adolescent puceau qui, sentant sa fin approcher se met en quête de l’ultime expérience sexuelle – au risque d’une émasculation impitoyable… Les filles ne sont pas en reste et certaines, se prêtant finalement de bon cœur au jeu, en profitent pour liquider des querelles de jalousie.  

Tout bien pesé, Battle Royale est un film réussi dont le vif succès ne réside pas seulement dans le suspens angoissé d’un thriller bien ficelé. Il s’explique sans doute aussi par la critique, lancée en toile de fond, des vices et risques de la société japonaise et d’une éventuelle « guerre des générations » opposant jeunes et adultes. « Qu’est-ce qu’un adulte pourrait dire à un enfant maintenant ? » s’interroge Takeshi Kitano à la fin du film. L’acteur, réalisateur et artiste au identités multiples est enfin l’une des raisons certaines du succès du film tant Kitano excelle dans le rôle du professeur blasé à mort et tyrannique.

Pour ma part, je me souviendrai du Battle Royale de Fukasaku comme d’un fier représentant de l’art de la discordance, parvenant à superposer certains des plus beaux airs de la musique classique à des scènes d’une violence inouïe, pour un résultat d’une beauté dérangeante. En cela, ce film m’a immanquablement fait penser au chef-d’œuvre (à mes yeux) de Werner Herzog, Leçons de ténèbres (1992), à cela près que le réalisateur allemand y filme des scènes bien réelles. Battle Royale est grotesque et génial à la fois. À voir absolument.

Références

(1)https://www.videodrome2.fr.

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Nucléaire de 3e et 4e générations : un tournant dans la stratégie européenne

Nucléaire de 3e et 4e générations : un tournant dans la stratégie européenne

A travers l’alliance européenne sur les petits réacteurs nucléaires modulaires (annoncée pour début 2024), le plan France 2030 ou encore le partenariat stratégique entre des start-ups britanniques et françaises sur le nucléaire de 4e génération, c’est bien un tournant de la stratégie européenne en matière de nucléaire qui semble se dessiner.

Le mardi 16 janvier un partenariat stratégique visant à accélérer le développement des technologies nucléaires de 4e génération (les réacteurs nucléaires avancés : en anglais advanced modular reactors, AMR) a été annoncé par les starts-up NAAREA et Newcleo. Elles ont déclaré au Figaro, Euractiv et l’AFP que ce partenariat concerne « le déploiement industriel, technologique scientifique et réglementaire » des AMR.

Ces réacteurs nucléaires avancés (AMR) rassemblent les technologies utilisant le combustible nucléaire usagé des filières existantes. Ils font partie de la famille des petits réacteurs nucléaires modulaires (small modular reactors, SMR, en anglais).

Comme indiqué à Euractiv, le Français NAAREA est spécialisé dans le développement d’un micro-générateur nucléaire « à neutrons rapides et sels fondus disposant d’une puissance électrique de 40 MW et d’une puissance de production de chaleur de 80 MW. Un prototype non nucléaire, c’est-à-dire non alimenté en combustible, est prévu pour 2026, tandis que le premier avec combustible est prévu à l’horizon 2030 »(1).

Le Britannique Newcleo quant à lui se focalise sur le développement de mini-réacteurs à neutrons rapides refroidi au plomb : l’un de 30 MW et l’autre de 200 MW. Le prototypage de ces deux mini-réacteurs est également prévu pour la deuxième partie des années 2020.

4 domaines de collaboration entre NAAREA et Newcleo

NAAREA et Newcleo ont défini quatre domaines de collaboration : le cycle du combustible, le financement des infrastructures liées au cycle, la recherche et le développement industriel. Les équipes des deux start-ups travaillent déjà ensemble sur le volet recherche.

David Briggs, directeur général adjoint de NAAREA indique que ce partenariat sera l’occasion de travailler à l’harmonisation des règles européennes en matière de sureté nucléaire. Il annonce également que ce partenariat prendra forme au sein d’une coopération plus large avec la Plateforme Technologique pour l’Energie Nucléaire Durable (acronyme anglais : SNETP)

A moyen-terme : créer des synergies à l’échelle européenne

Ce partenariat poursuit des objectifs directement opérationnels (comme celui de trouver dès 2024 des sites d’implantation pour leur prototype ou sécuriser l’approvisionnement et l’accès à la matière fissile) mais également des objectifs de moyen-long terme : créer des synergies à l’échelle européenne et intégrer à la dynamique de travail l’ensemble des start-ups de 4e génération.

Afin de répondre à ces objectifs David Briggs et Ludovic Vandendriesch (DG France de Newcleo) organiserons des comités de pilotage mensuels. Selon le premier « Le timing répond à la fois à l’urgence environnementale et à la nécessité de faire émerger des projets européens de 4e génération pour avoir des solutions face à la compétition chinoise ou américaine ».

Un partenariat favorisé par le plan d’investissements France 2030

NAAREA et Newclo sont toutes deux lauréates de l’appel à projets « Réacteurs nucléaires innovants », partie intégrante du plan d’investissement France 2030 dont les montants consacrés à la filière nucléaire s’élèvent à 1 milliard d’euros.

Les deux start-ups souhaitent néanmoins pouvoir bénéficier de financements européens à moyen-terme. L’alliance européenne sur les SMR pourrait selon elles favoriser la naissance d’un projet d’intérêt commun européen (PIIEC) sur le sujet, comme c’est déjà le cas sur celui des batteries. Comme précisé dans leur communiqué de presse, le partenariat entre NAAREA et Newclo s’inscrit effectivement dans la trajectoire prévue par la future alliance européenne sur les SMR.

Les SMR disposent d’avantages certains : capacité de déploiement sur des terrains variés (urbains, industriels, militaires, etc…), production d’électricité mais également de chaleur à usage industriel ou urbain, production d’hydrogène bas carbone voire dessalement « compétitif et durable de l’eau »(2), flexibilité de la production d’électricité, production à coût plus faible et plus rapide que les grands réacteurs…

L’alliance européenne sur le nucléaire

Annoncée pour début 2024 par le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton lors du World Nuclear Exhibition (WNE) et avant lui par le commissaire à l’Energie, Kadri Simson, l’alliance européenne sur les SMR poursuit comme objectif d’unifier l’ensemble des acteurs industriels du secteur autour du développement des réacteurs nucléaires du futur.

Seront pris en compte aussi bien les SMR de 3e génération que les AMR de 4e génération (génération sur laquelle travaille NAAREA et Newclo).

Selon Euractiv, l’alliance se développera autour de 7 groupes de travail :

  • « Développement », intégrant clients, vendeurs et développeurs ;
  • « Acceptabilité sociale », réunissant société civile, comité économique et social européen et ONGs ;
  • « Financement », avec les États membres et les développeurs ;
  • « Cycle du combustible », avec également États membres et développeurs ;
  • « Main-d’œuvre et compétences », réunissant les acteurs de la chaîne d’approvisionnement, de production et de vente ;
  • « Recherche », réunissant les acteurs de la recherche et du développement, de l’industrie et de l’octroi de licences ;
  • « Sécurité », dont les membres sont encore à définir.

L’administration de l’alliance sera prise en charge par un conseil comprenant les Etat membres le Groupe des régulateurs européens de la sûreté nucléaire (ENSREG). Le pilotage des travaux sera quant à lui assuré par Nuclear Europe et la Plateforme Technologique pour l’Energie Nucléaire Durable (SNETP).

La réussite de cette alliance est néanmoins conditionnée à l’évolution de la réglementation européenne en matière de nucléaire. Une condition qui semble partie pour être remplie. Les eurodéputés ont effectivement adopté à la mi-décembre une résolution(3) en faveur du développement des petits réacteurs nucléaires en Europe. Signe d’un changement de positionnement sur le nucléaire au sein des instances de l’union

Références

(1)https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/exclusif-cooperation-franco-britannique-inedite-sur-le-nucleaire-de-4e-generation/

(2) https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/large-soutien-du-parlement-europeen-pour-les-petits-reacteurs-nucleaires/

(3) https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2023-0456_EN.html

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Et si on parlait d’infertilité ?

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Et si on parlait d’infertilité ?

Avertissement : dans ce long billet, ça risque de jacter un peu sexe et même de manière que certains pourraient trouver pas très pudique. Il n’est donc pas recommandé aux âmes prudes qui veulent encore croire que les enfants naissent dans des végétaux… quoiqu’elles pourraient sans doute y apprendre deux ou trois choses. Vous voilà prévenus.
La découverte

Soyons honnête : la question de mes gonades et de la plomberie afférente ne s’est longtemps posée qu’en termes de protection contre les chocs extérieurs et l’eau froide à la plage. À part ça, je ne leur demandais pas grand-chose, voire rien du tout, l’intéressant en la matière se situant alors pas très loin dans cette région mais… pas exactement là. Pendant des années, je ne me suis donc guère soucié de tout cela, renvoyant ces questions au moment où me viendrait l’idée saugrenue de me servir de l’ensemble du matériel dont la nature m’a pourvu non plus seulement pour me divertir mais dorénavant aussi pour l’objet final de son existence : me reproduire.

Et puis vint ce moment.

Et avec lui, les emmerdements.

En février 2016, après plusieurs mois de tentatives ludiques mais infructueuses, j’ai préféré avoir le cœur net quant à mes possibilités à entraîner des petits nageurs peut-être moins véloces que Michael Phelps mais, je l’espérais, plus sains. La grande chance que nous avons, mâles, en la matière, c’est qu’une telle vérification s’avère très simple. Une demande d’ordonnance à mon généraliste, un rendez-vous au laboratoire d’analyses médicales, un petit tour en cabine et c’est fini. L’objectif : si le résultat est bon, je suis rassuré, s’il est mauvais, je ne perds pas de temps en vaines tentatives et j’explore les possibilités que la médecine moderne nous offre.

Comme vous vous en doutez, il n’est pas bon.

Mais alors pas bon du tout.

Pas difficile de le comprendre, même sans avoir fait médecine, quand on lit des nombres où il manque pas mal de zéros pour atteindre la fourchette basse et, au verso de la feuille, le verdict aussi imbitable qu’implacable :

« Au total oligoasthénotératospermie sévère avec nécrozoospermie. »

Glups.

Première réaction : essayer de comprendre le charabia médical avec un peu d’étymologie :

Oligo : il n’y en a pas beaucoup.

Asthéno : ils font la gueule.

Térato : ce sont des monstres.

Sévère : ça pourrait être grave mais c’est pire.

Nécro : ils sont morts.

Re-glups.

Deuxième réaction : chercher en ligne ce que ça veut dire, en évitant à tout prix les sites de charlatans.

Résultat de la recherche : il y en a très peu, la plupart sont morts et ceux qui ne le sont pas font la gueule, et même une très très sale gueule. Bref, j’avais compris, merci.

Troisième réaction : en parler à MaChérie. Non parce que bon, elle est un peu concernée elle aussi, sur ce coup-là. Comme elle n’a pas fait médecine, elle non plus, elle en vient à la même conclusion que moi : faudrait peut-être reprendre rendez-vous avec le toubib fissa, avant de décider si la petite chambre accueillera notre enfant ou, finalement, notre bibliothèque. Et puis, surtout, on s’interdit d’aller faire des recherches plus longues sur ces sites et forums formidables que vous consultez pour un petit bouton sur la cuisse et qui vous trouvent immanquablement un cancer incurable.

Le diagnostic

Je blague, je blague mais franchement, je n’en menais pas large. On pourrait même appeler « jolie petite dépression » l’état dans lequel j’étais alors. Ce que je ne savais pas, c’est que ce n’était pas appelé à s’améliorer à court terme, au contraire !

Nous prenons donc rendez-vous avec notre généraliste, espérant une lecture scientifique rassurante des résultats du spermogramme. Avec une grande honnêteté, il reconnait ne pas pouvoir nous aider beaucoup, le sujet dépassant ses compétences, et nous dirige vers une gynécologue spécialiste de l’infertilité. En attendant, le moral continue de s’effondrer.

Le premier rendez-vous avec la gynéco arrive enfin et nous avons la chance de tomber sur quelqu’un qui allie humanité et compétence(1). Elle prend tout de suite les choses en main (eh oui) et nous explique dans le détail les différents scénarios possibles. Mais avant de pouvoir nous orienter, elle a besoin d’avoir un tableau médical complet… ce qui implique une batterie d’examens et d’analyses à réaliser l’un et l’autre… mais surtout moi.

S’ensuit donc une série de rendez-vous médicaux qui vont du franchement humiliant au carrément douloureux. Allez ! je ne résiste pas à une petite anecdote réjouissante. Alors que je me tiens dans une position fort peu valorisante pour l’ego, le praticien à côté de moi fait la tête de quelqu’un à qui on a vendu des petits pois qui ne veulent pas cuire. J’ose un : « Euh… tout va bien ? ». Réponse sépulcrale : « C’est vraiment pas la joie mais j’termine et j’vous explique. » Autant vous dire que les minutes qui ont suivi ont été très longues.

Chacun de ces examens cogne derrière le crâne comme un nouveau coup de bambou : à chaque fois les résultats sont pires que les précédents. Et avec l’accumulation de ces nouvelles, le moral s’enfonce dans des profondeurs que je n’avais que rarement explorées auparavant. S’y ajoute la culpabilité vis-à-vis de MaChérie. Ses examens à elle, même s’ils sont moins nombreux, n’ont pour certains rien à envier aux miens en termes de désagréments. Mais surtout ils révèlent une machinerie en parfait état de marche ! Youpi ! Évidemment, ce sont là de bonnes nouvelles, d’excellentes nouvelles même… mais vous le sentez venir le sentiment de responsabilité de l’échec ? « Tout va bien de son côté, du coup, si on ne peut pas avoir de gosse, c’est ma faute. » Raisonnement stupide et vain… mais plus fourbe et collant que le scotch du capitaine Haddock. Et dont l’amertume, hélas !, résiste même aux nombreuses discussions, à la tendresse et à la complicité du couple. Je pense que je ne m’en déferai jamais.

Tous ces examens réalisés, il est temps d’examiner les possibilités qui s’ouvrent à nous. Et, éventuellement, de passer à l’action !

Nous découvrons alors que derrière le terme générique d’AMP (assistance médicale à la procréation) se cachent une foultitude de techniques différentes, de l’insémination artificielle aux diverses variétés de FIV (fécondation in vitro). Or la faiblesse de ma production ne nous laisse guère de choix : pour nous, ce sera directement le top du top – la FIV ICSI (injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde : on prend plusieurs ovules à MaChérie, on essaie de me trouver plusieurs spermatozoïdes pas trop moches et on injecte un spermatozoïde dans chaque ovule). La gynéco nous explique toute la procédure, les étapes, les probabilités de réussite… et on y va(2) !

La procédure

… enfin, on essaie. Parce qu’une fois qu’on a décidé de se lancer, il reste encore un sacré chemin à parcourir.

De mon côté, il faut optimiser les chances. Du coup, on congèle. Ben oui : comme on n’est pas sûr que le jour J on trouvera suffisamment de spermatozoïdes dans ce qu’on prélèvera, il vaut mieux en avoir en réserve au frais à dégeler en vitesse, au cas où. Prendre rendez-vous au labo, se présenter à l’heure en ayant respecté une période d’abstinence de 3 à 5 jours (ni plus ni moins), se rendre dans la cabine avec la personne qui vous explique la procédure (rien de bien compliqué, vous vous en doutez), fermer le verrou quand elle est sortie, procéder, laisser le flacon, partir au boulot, attendre quelques jours les résultats… et découvrir à chaque fois qu’ils sont franchement très mauvais, ne laissant qu’une médiocre paillette au congélo(3). D’où la nécessité de recommencer quelques jours, quelques semaines plus tard, jusqu’à avoir suffisamment de matériel de secours. Alors je recommence, à chaque fois encore moins émoustillé par les films et magazines d’une banalité navrante, nonchalamment laissés dans les cabines(4). Bref, rien de bien folichon. Dans la salle d’attente, j’observe ce rassemblement un peu étonnant de mecs présents, pour la plupart, pour les mêmes raisons que moi. Physiquement, on balaie largement le continuum de Woody Allen à Schwarzenegger, comme quoi… Et puis tous les âges, toutes les gueules sont là. Nous sommes réunis par la même frustration de n’être point suffisamment féconds. Alors naît un sentiment trouble qui tient à la fois de la fraternité et, plus oblique, de ce que les Allemands, qui s’y connaissent, nomment Schadenfreude.

Du côté de MaChérie, lorsque nous commençons à emmagasiner suffisamment de surgelé pour envisager une première tentative, la préparation débute. Et l’injustice profonde se dévoile encore un peu plus. Le problème vient de mon côté mais c’est elle qui va devoir supporter les épreuves physiques les plus lourdes. Parce que bon, on rigole avec les magazines, les cabines et les gus qui font la queue au labo pour se vider dans un flacon, mais elle, elle doit s’envoyer pendant plusieurs semaines une quantité d’hormones qui ferait chanceler une volleyeuse soviétique. Et pour finir, les piqûres dans le bide tous les soirs à heure fixe pendant dix jours, merci bien ! Le principe, pour ceux qui l’ignoreraient : le corps d’une femme est fait pour produire, grosso modo, un ovocyte par mois ; là, on stimule les ovaires pour qu’ils en produisent une bonne dizaine d’un coup. Sympa, non ?

Et ce n’est pas fini ! Parce que ce n’est pas pour autant qu’on peut effectuer immédiatement le prélèvement de son côté. Le kaïros prend son temps. Bref, on y passe encore plusieurs mois, à se balancer entre espoir, distanciation et découragement. Devant l’épuisement, je m’accroche aux statistiques comme un drogué du PMU aux cotes de ses bourrins.

En mars 2017, nous avons découvert mon infertilité il y a plus d’un an. Et, après trois faux-départs, nous pouvons enfin procéder à notre première tentative ! Rendez-vous à la clinique. L’injustice se poursuit : de mon côté, le prélèvement ne pose guère de difficulté, on s’en doute ; en revanche, du sien, c’est moins rigolo avec anesthésie locale et intervention franchement douloureuse.

Et puis les quelques jours d’attente : les gamètes de l’un et l’autre sont-ils en bon état, y en a-t-il suffisamment, la fécondation va-t-elle réussir, les embryons vont-ils survivre et se développer normalement… ? En boucle. Jusqu’au coup de fil aux statistiques vertigineuses :

« 10 ovocytes vous ont été prélevés ;

7 étaient mûrs ;

5 ont pu être fécondés ;

3 embryons ont survécu jusqu’au troisième jour ;

1 seul a survécu jusqu’au cinquième jour et s’est développé au stade blastocyste. »

Autrement dit : nous avons un embryon à implanter. Et si ça ne marche pas, on recommence depuis le début. Malgré le stress, nous nous accrochons à cette idée folle : c’est possible ! Nous sommes arrivés jusqu’à cette étape et, s’il le faut, nous pourrons y arriver de nouveau !

Enfin, le mieux serait de réussir du premier coup ne pas avoir à revenir à la case départ…

Alors direction la clinique, l’implantation se fait très vite, sans douleur. Ouf.

Et ensuite… on attend. L’embryon et l’utérus discutent et, s’ils trouvent un terrain d’entente, le premier s’accroche au second. 40% de chance d’y arriver. Seulement. Quand je vous disais que c’était une histoire de statistiques.

On guette les fameux bêta-HCG.

Ils sont haut : bon signe.

Au bout de quelques jours, ils augmentent beaucoup : bon signe.

L’embryon est accroché, Ma Chérie est enceinte !

Sauf que ce serait trop facile : les grossesses par FIV ont beaucoup plus de risques de fausses couches que les grossesses « naturelles ». Alors les premières semaines, nous hésitons entre le relâchement à la joie d’avoir réussi et la crainte de devoir tout revivre. Impossible de s’abandonner complètement : nous traquons les symptômes suspects, nous nous alarmons d’une douleur nouvelle, d’une sensation étrange comme de sa disparition. Nous multiplions les consultations de contrôle chez la gynéco, rassurantes. Nous passons ainsi les premiers mois en réalisant progressivement que, peut-être, nous avons la chance d’avoir réussi du premier coup. Et merde aux statistiques !

Alors, un sujet tabou ?

A priori, l’infertilité attaque quelque chose au plus profond de l’intime. Elle touche directement l’individu à la fois au corps dans ses organes et fonctions les plus secrets, et à l’esprit dans son imaginaire et sa volonté de transmission et d’inscription dans l’après-soi. Beaucoup se noue à ce point focal de la procréation qui semble donc devoir n’être traité qu’avec la plus grande pudeur. La lumière du public ne peut éclairer sans la détruire cette part de soi qui s’agite aux tréfonds de l’être.

C’est pourquoi, au début, nous évitions de nous ouvrir, même à nos proches, et esquivions soigneusement ces questions ô combien intimes. Or nous avons assisté à un phénomène étrange. Le moral flanchant, j’ai commencé à évoquer le sujet avec tel ou tel ami. Immanquablement, au moins trois fois sur quatre, j’obtenais des réponses du type : « je connais X qui a fait une PMA. » Alors nous en avons parlé plus librement et nous sommes même aperçus que deux couples d’amis proches s’engageaient eux aussi dans un protocole de FIV, exactement en même temps que nous.

De même, j’ai beaucoup hésité à écrire, puis à publier ce billet. J’ai d’abord pensé écrire un truc très distancié et factuel. Finalement, j’ai préféré plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?, non pour trouver du nouveau comme ce cher Charles, mais pour aller chercher dans l’expérience unique du cas individuel, idiosyncratique, la banalité d’une expérience commune. Tous ces mecs qui attendent d’aller éjaculer dans un petit pot en espérant que cela débouche sur la naissance de leur progéniture n’ont aucune honte à avoir de ne pas pouvoir faire autrement. Tous ces couples engagés dans ces protocoles de PMA ne doivent pas en faire un sujet tabou. Même si cela concerne le sexe, la naissance, etc.

Au contraire. Je pense qu’il faut en parler parce que, si cela touche à l’intime, les causes sont de nature publique. Nous sommes là face à un très grave scandale de santé publique. La rigueur scientifique ne permet pas d’affirmer, démonstration à l’appui, que nous serions une génération infertile : les signaux sont trop faibles, le recul insuffisant, les facteurs trop nombreux. Et pourtant, toutes les évidences sont là. Nous le savons bien. Nous sommes en train de crever des saloperies que nous respirons, buvons, mangeons.

 

Cincinnatus, 9 octobre 2017

Références

(1)J’ai énormément d’estime et de gratitude à son égard et ne saurais trop la recommander. Me contacter si besoin.

(2) Soit dit en passant, un petit message aux calomniateurs de la France et aux aigris de la patrie persuadés que nous faisons toujours tout plus mal que les autres, que tout est toujours mieux chez nos voisins et que notre modèle social est « trop cher », « dépassé », etc. : je remercie plus que jamais le système de santé public français car, pour m’être un peu renseigné, nous n’aurions jamais pu nous lancer là-dedans si nous avions vécu, au hasard, au Royaume-Uni (et je ne parle même pas des États-Unis) dont le « modèle » est une catastrophe absolue, où tout est assujetti à l’argent. À bon entendeur…

(3) Si vous voulez tout savoir, la paillette, c’est l’unité de congélation et, normalement, on en produit plusieurs à chaque prélèvement. Normalement.

(4) Désolé pour la crudité de cette confidence : personnellement, j’ai toujours préféré le sexe in vivo qu’in vitro. La pornographie me laisse de marbre.

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Suite à la dernière chronique de David Cayla, Nicolas Dufrêne lui répond et défend l’émission de monnaie libre comme un moyen de répondre aux enjeux de la reconstruction écologique.

Je remercie David Cayla pour sa critique de mon ouvrage(1) et me réjouis que la revue Le temps des ruptures m’accorde un droit de réponse. Puisque l’auteur m’accuse de « promouvoir de fausses solutions aux naïfs », dont il ne fait évidemment pas partie, je vais à mon tour contester ses affirmations et une certaine propension à avoir une « vision malthusienne » de l’économie qui fait l’impasse sur toutes les réflexions actuelles concernant le rôle de la monnaie dans la transition écologique.

Depuis plusieurs années, je fais en effet partie de ceux (aux côtés d’éminents économistes comme Gaël Giraud, Alain Grandjean, Jean-Michel Servet, Jézabel Couppey-Soubeyran, etc…) qui portent des propositions originales dans le débat public concernant le financement monétaire des dépenses publiques, notamment par l’émission de monnaie libre (c’est-à-dire libre de dettes). Nous faisons également l’analyse en profondeur de notre rapport à la dette et des modalités de financement de la reconstruction écologique. C’est l’objet de mon dernier ouvrage(2). Comme toute idée neuve, il est normal que ces réflexions suscitent des discussions et des critiques, surtout qu’elles heurtent la pratique traditionnelle de la finance, et c’est un plaisir de les expliquer et d’en débattre rationnellement.

David Cayla, nous dit dans son texte : « En économie, on peut raisonner à plusieurs niveaux en étudiant les flux « monétaires », les flux « financiers » ou les flux « réels ». Les flux réels sont constitués des biens et des services que nous produisons et que nous échangeons. C’est ce qu’on appelle la richesse. Quant à la monnaie, elle représente et elle quantifie la richesse, mais elle n’en est pas elle-même. En effet, elle n’a de valeur que dans la mesure où elle peut être convertie en richesses réelles ». Dans cette vision traditionnelle, de l’économie (puisqu’on l’enseignait ainsi au XIXe siècle), la monnaie n’est qu’un voile, elle est « neutre », elle ne sert qu’à échanger des biens et des services.

La réalité est toute autre, en témoignent les écrits de Keynes dans lesquels il considère que  sans l’avance monétaire que représente le crédit, la création de « richesses » ne peut pas s’opérer aussi efficacement, encore moins dans les sociétés modernes. Il y a une interaction constante entre les flux monétaires et les flux réels : ils ne sont pas séparés, comme le suggère Cayla, ils sont en interdépendance constante. On le sait depuis longtemps : Rosa Luxemburg disait par exemple que « la reproduction capitaliste jette, dans les conditions d’une accumulation toujours croissante, une masse toujours plus considérable de marchandises sur le marché. Pour mettre en circulation cette masse de marchandises de valeur croissante, une quantité de plus en plus considérable d’argent est nécessaire. Cette quantité croissante d’argent, il s’agit précisément de la créer »(3). Ainsi Cayla explique que « Ni l’économie ni la monnaie ne sont « magiques ». Tout ce qui est vendu et consommé est nécessairement le résultat d’une transformation productive », il oublie tout simplement que la transformation productive repose nécessairement sur l’acte « magique » de création monétaire, c’est-à-dire en fait sur la capacité du secteur bancaire à créer de l’argent ex nihilo, sur le fondement d’écritures comptables. Vouloir séparer flux financiers, monétaires et réels, c’est méconnaitre le fonctionnement de l’économie contemporaine qui les lie étroitement à chaque instant.

Cayla nous dit ensuite « Dans une économie, la richesse réelle a différents usages. Elle peut être consommée ou investie ». On se perd un peu puisque l’auteur vient justement de nous expliquer que la richesse réelle était représentée par les marchandises et les services. Or, si l’on peut consommer une marchandise, on ne peut pas l’investir. On investit les revenus qui sont procurés éventuellement par cette marchandise, pour en acquérir d’autres ou pour obtenir des services. Vendre des biens et des services est en effet un moyen d’acquérir de la monnaie qu’on peut réinvestir dans d’autres biens et services, ou épargner. Mais il existe un autre usage : emprunter. C’est le rôle de la création monétaire que Cayla oublie dans son raisonnement. Cela le conduit à commettre un contresens quand il écrit : « À moins de penser que les ressources naturelles et le temps de travail soient illimités, ce qui est absurde, on ne peut pas à la fois augmenter l’investissement et la consommation. De fait, augmenter la masse monétaire ne changera pas les données de cette équation ». Bien au contraire : augmenter la masse monétaire permet justement d’activer des ressources inemployées (des chômeurs par exemple ou de nouvelles activités) qu’on ne finançait pas auparavant. Sans révolution du crédit, il n’y aurait tout simplement pas eu de révolution industrielle. C’est la base de la théorie keynésienne dont on ne sait plus très bien si Cayla se revendique encore.

Ce qui est plus grave, de mon point de vue, c’est que cela le conduit à une vision malthusienne de l’économie, notamment quand il parle de la transition écologique : « le problème est que toutes les ressources qui seront consacrées à produire davantage de biens d’investissements ne pourront être utilisées pour produire des biens de consommation ». Or, si l’on ne peut que souhaiter une réduction de notre consommation ostensible et inutile, dire que l’on ne peut faire de l’investissement qu’au détriment de la consommation est un non-sens absolu. Toute l’histoire économique du XXème siècle a été celle d’un développement simultané de la consommation et de l’investissement, sans quoi nous n’aurions pas ce grave problème d’empreinte humaine sur la planète aujourd’hui. Si l’on ne pouvait financer l’investissement que par une baisse de consommation, et vice-versa, notre économie serait en état stationnaire, ce qui fait que le problème pour l’environnement serait certainement bien moindre.

L’économie, contrairement à ce que semble penser David Cayla, n’est pas un gâteau de taille fixe que l’on se partage entre investissement et consommation (sauf dans la théorie classique du XIXe siècle). La création monétaire permet d’augmenter simultanément les deux en introduisant une avance monétaire sur la base de biens ou de services qui n’existent pas encore. À l’inverse, la raréfaction du crédit conduit à un effondrement de la capacité à créer des biens et des services. Aussi quand Cayla affirme que « À moins de penser que les ressources naturelles et le temps de travail soient illimités, ce qui est absurde, on ne peut pas à la fois augmenter l’investissement et la consommation », il semble ne pas considérer que c’est exactement ce que l’on fait en pratique depuis plus d’un siècle. Néanmoins, cela ne signifie pas pour autant, bien évidemment, qu’une extension illimitée et irresponsable de la consommation est souhaitable.

Cette vision malthusienne conduit notre analyste à une autre affirmation que je crois dangereuse. Cayla nous explique en effet que puisque la croissance est atone, et puisqu’il faut nécessairement, choisir entre l’investissement et la consommation, alors « pour s’assurer que les investissements soient réalisés le plus rapidement possible, il faudra réorienter des ressources productives de la consommation vers l’investissement. Cela se traduira, sur le plan monétaire, par une baisse des revenus et du pouvoir d’achat des ménages ». Autrement dit, la transition écologique ne pourra se faire que dans la souffrance, par la baisse des revenus et du pouvoir d’achat des ménages, pour privilégier l’investissement. Une telle affirmation est non seulement fausse mais dangereuse au regard de ce qu’elle implique comme vision économique et sociale, qui est une vision sacrificielle. Elle est fausse car, contrairement à ce que semble croire Cayla, une consommation faible signifie un faible investissement (Keynes encore et toujours). Elle est dangereuse car, bien au contraire, des ménages aux revenus en berne, avec un pouvoir d’achat amputé, ne pourront pas acheter de véhicules électriques, rénover leur logement, manger plus sainement (du bio) ou acquérir des produits plus responsables. Ils continueront d’acheter les produits les moins écologiques, les moins chers et les plus polluants. C’est l’exact inverse qu’il faut prôner : il faut aider à l’investissement des entreprises dans la transformation de leur appareil de production, y compris par le biais de subventions directes, tout en aidant les ménages, par des aides ciblées et par une augmentation de leurs revenus, à rénover leur logement, à acquérir des véhicules propres et à manger mieux. Et à côté de cela, il faut édicter les réglementations nécessaires pour que disparaisse la propension au moins-disant social et écologique.

Et c’est justement à tout cela que la création monétaire libre et ciblée que je recommande peut aider. Car réussir la transition suppose des investissements privés et publics gigantesques. En France, la première estimation complète et précise de ces investissements supplémentaires, avant le rapport Pisani-Ferry, a justement été produite, en 2022, par l’Institut Rousseau que je dirige(4).  Nous avions montré qu’il fallait investir pas loin de 2 % du PIB en plus chaque année, dont 57 % environ devait reposer sur de l’investissement public, seul à même de compenser les failles de marché. Or, pour que cet investissement ne se traduise pas par une pression accrue sur la dette (déjà importante, plus encore pour la dette privée que pour la dette publique), ou par une politique d’austérité, une monnaie libre de dettes, créée par la banque centrale, selon des voies et dans des volumes définis démocratiquement, serait parfaitement adaptée.

Mais Cayla s’en offusque : « Puisque la création monétaire est susceptible de financer tout ce dont nous avons besoin, et puisqu’on peut créer de la monnaie sans limite et autant qu’on le juge nécessaire, alors laissons le Parlement financer tout ce dont rêve la gauche ». Notons déjà que Cayla ne semble pas choqué par le fait que le Parlement ait perdu tout pouvoir monétaire et que les banques centrales soient indépendantes du pouvoir politique mais dépendantes des marchés financiers. Ce n’est pas mon cas : je pense que la monnaie est un bien commun et que la démocratie ne peut pas en être exclue. L’indépendance des banques centrales a conduit à les figer dans une posture d’immobilisme, entièrement tournée vers la lutte contre l’inflation, qui devient un obstacle tant dans le financement des dépenses publiques que dans celui de la transition écologique, puisqu’il est devenu manifeste que les opérations de la banque centrale, en vertu du principe de « neutralité monétaire » ont participé à financer massivement des actifs fossiles plutôt que des actifs verts. Dans un précédent ouvrage écrit avec Alain Grandjean « Une monnaie écologique », nous avions ainsi formulé une quinzaine de propositions concrètes et opérationnelles pour mettre la politique monétaire au service de la transition écologique.

Quant à la création monétaire, le bilan de la BCE a augmenté de plus de 6000 milliards d’euros en moins de dix ans. Or, d’où vient donc cet argent ? A-t-il été levé par l’impôt ? Evidemment non. A-t-il été emprunté ? non plus. Il a bien été créé ex nihilo par la banque centrale. Plus encore : quand la banque centrale du Japon achète des ETF (c’est-à-dire des actions) sur les marchés, il n’y a pas de dette en échange, c’est de la création monétaire pure. Idem quand la BCE a créé plus de 143 milliards d’euros en 2023 pour rémunérer les réserves excédentaires des banques. Cet argent n’est ni plus ni moins qu’une subvention financée par création monétaire « libre » comme de nombreux économistes l’ont fait remarquer(5). Au lieu de subventionner les banques grâce au pouvoir de création monétaire de la BCE à hauteur de 143 milliards d’euros, n’aurait-il pas mieux valu utiliser ce pouvoir pour financer la transition écologique ?

David Cayla ne semble pas comprendre que la question n’est pas de savoir si l’on peut faire de la création monétaire libre de dettes car on en fait déjà, au profit des marchés financiers. La question est de savoir à qui doit profiter ce pouvoir ? Pour ma part, je prône depuis longtemps qu’il doit profiter à la transition écologique, aux activités non rentables, plutôt que d’être dirigé vers le « trou noir monétaire » des marchés financiers.

David Cayla m’accuse ensuite d’avoir trouvé le Graal, une solution simpliste à laquelle personne n’avait pensé : « Le plus étrange dans cette affaire est que ce soit un non-économiste qui révèle le pot-au-rose. La conjuration des économistes aurait-elle empêché l’humanité de se libérer de la dette de manière définitive alors que la solution était évidente ? Émettre de la « monnaie sans dette », de la « monnaie libre » ». Vouloir disqualifier les propos de quelqu’un sur sa qualité professionnelle n’est pas très fairplay, surtout quand la personne en question a travaillé plus de dix ans à la commission des finances de l’Assemblée nationale, et travaille depuis plus de quinze ans sur les questions monétaires.

Mais surtout David Cayla semble réellement mal informé concernant la littérature monétaire. Ainsi, en 1960, les économistes américains John G. Gurley et Eduard S. Shaw avaient nommée outside money(6) ce que je nomme monnaie libre, pour la distinguer de l’inside money, celle qui est émise en contrepartie d’une dette et qui est donc endogène (au sens où elle est conditionnelle à la demande de crédit). Milton Friedman invoqua la possibilité d’une « monnaie hélicoptère » dans les années 60, c’est-à-dire une distribution gratuite d’argent à tous les citoyens financée par la banque centrale (je précise n’y être pas favorable car cela ne modifie pas les formes de l’activité économique contrairement à la monnaie libre et ciblée que je propose et désigne sous le nom de « monnaie émancipatrice »). Si l’on remonte aux années 30, l’école de Chicago poussait aussi la banque centrale à piloter la masse monétaire sans dette, et plus récemment avec le débat sur la « monnaie pleine » en Suisse (voir les travaux de Jean-Michel Servet), qui conduirait à donner à la banque centrale le soin de piloter la masse monétaire. Quand on ne connaît pas la genèse d’une idée, il vaut mieux la railler avec prudence.

David Cayla explique ensuite que j’aurais une vision tronquée, imaginant que la création monétaire permettrait seule de résoudre tous les problèmes, voire de « se passer de travail puisque l’argent, qu’on peut créer de manière illimitée, travaillerait pour nous ». C’est n’avoir rien compris à ce que je propose. Émettre de la monnaie sans dette, c’est justement libérer le potentiel de travail de l’humanité. Cela revient à financer des emplois et des activités non rentables qui aujourd’hui ne le sont pas par le marché. Prenons un exemple : la protection des forêts et des milieux humides ne rapporte quasiment rien, en revanche leur exploitation et leur dégradation (notamment de la forêt) peut rapporter beaucoup, car cela est rémunéré par le marché. Par conséquent, émettre de la monnaie sans dette c’est pouvoir payer les personnes et les investissements nécessaires pour protéger ces milieux. En outre, il ne s’agit pas de créer de la monnaie pour tout, sans distinction, mais de le faire de manière ciblée, là où c’est utile et nécessaire.

On notera au passage que la pression sur le remboursement des dettes conduit à une pression constante sur l’exploitation des ressources naturelles. Ce mécanisme joue d’ailleurs à plein dans les pays en développement surendettés, qui tendent à exploiter au maximum les ressources naturelles qu’ils ont, quitte à les dégrader sévèrement, sous la pression des créanciers internationaux.

C’est d’ailleurs pour cela qu’on voit apparaître des propositions d’annulation de dettes (c’est-à-dire de monnaie libre par conséquent) en échange de la sauvegarde d’écosystèmes (debt for nature swaps) ou à imaginer une rémunération en DTS (qui est par nature une monnaie sans dette) pour les pays qui sauvegarderaient leur environnement (comme nous l’avions d’ailleurs proposé avec Alain Grandjean dans Une monnaie écologique). Mais Cayla nous expliquera sûrement que tout ceci relève également de « fausses solutions pour naïfs ». Personnellement, je crois sincèrement, et nous sommes de plus en plus nombreux à y croire, qu’on viendra tôt ou tard à la « monnaie émancipatrice » que je défends dans mon livre, quand on aura compris que le seul mode de création monétaire par la dette est un cercle sans fin qui travaille contre lui-même.

Références

(1)https://letempsdesruptures.fr/index.php/2023/11/17/peut-on-financer-la-transition-ecologique-par-lemission-de-monnaie-sans-dette/

(2)Nicolas Dufrêne, La dette au XXIe siècle, comment s’en libérer ?, Odile Jacob, octobre 2023.

(3)Rosa Luxemburg, L’accumulation du capital, Maspero, 1972, tome I, p. 138-139

(4) https://institut-rousseau.fr/2-pour-2c-resume-executif/

(5)https://cepr.org/voxeu/columns/monetary-policies-do-not-subsidise-banks

(6)Money in a Theory of Finance (avec un appendice mathématique d’Alain Enthoven), Washington DC, Brookings Institute, 1960. 

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Guerre scolaire ou lutte des classes ?

Les déclarations de la nouvelle ministre de l’éducation nationale, Mme Oudéa Castera ont relancé la polémique sur le financement public de l’enseignement privé. Les défenseurs de la situation actuelle dénoncent ceux qui veulent relancer la « guerre scolaire ».

Les déclarations de la nouvelle ministre de l’éducation nationale, Mme Oudéa Castera ont relancé la polémique sur le financement public de l’enseignement privé. Les défenseurs de la situation actuelle dénoncent ceux qui veulent relancer la « guerre scolaire ». Au moment où le président de la République n’a que le mot « réarmement » à la bouche, cela pourrait faire sourire. Il est en tout cas indispensable de présenter l’état des forces en présence et de se demander si en réalité une guerre scolaire souterraine ne se développe pas depuis fort longtemps, au cours de laquelle un camp aurait déjà remporté de nombreuses batailles sur l’autre.

Le financement public de l’enseignement privé sous contrat

La cinquième République met en place le financement public de l’enseignement privé

La démocratie chrétienne tenta pendant toute la IVème République de faire contribuer l’État aux dépenses de l’enseignement privé confessionnel, sans y parvenir véritablement. En revanche, la Vème République à peine naissante instaura, par la loi Debré de 1959, le financement par l’État des établissements privés d’enseignement sous contrat. Le principe était que l’État contribuerait par élève du privé à hauteur de ce qu’il accordait à l’enseignement public, dès lors que ces établissements privés passeraient un contrat par lequel ils s’engageaient à respecter les programmes nationaux d’enseignement définis par le ministère de l’éducation nationale, ainsi qu’à accepter un contrôle de l’État sur le respect effectif de cet engagement.

Alors à quoi bon développer des établissements d’enseignement privé pour faire la même chose que dans l’enseignement public ?

Tout simplement parce que si les financements de l’Etat en faveur du privé sont comparables à ceux consentis pour un élève du public, les contraintes pesant sur les établissements privés sous contrat et sur l’école publique ne sont pas les mêmes.

Les directeurs des établissements privés choisissent les professeurs qu’ils emploient, dont le salaire est payé par le budget de l’État ; ce n’est pas le cas des directeurs d’établissements publics. Ils choisissent également les élèves qu’ils inscrivent dans leurs établissements et ne sont nullement tenus, à la différence des établissements publics, d’inscrire tous les enfants de leur secteur géographique qui se présentent à leur porte.

Ils peuvent en toute autonomie définir leur projet d’établissement. Celui de l’école Stanislas qui fait la une de l’actualité en ce moment, comporte par exemple l’obligation pour les élèves de suivre des cours de catéchisme, en violation des règles qui s’imposent normalement aux établissements privés sous contrat. En effet, la loi Debré de 1959 précise que si un établissement scolaire veut être financé par de l’argent public, « tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances » doivent y avoir accès.

L’école Stanislas censure également un certain nombre d’ouvrages littéraires considérés comme heurtant les convictions catholiques et défend une position officielle sur des questions comme l’homosexualité ou l’avortement assez éloignée de ce que disent nos lois. Le directeur de l’établissement, Frédéric Gautier, justifiait cela en août dernier en déclarant au journal « Le Monde »: « l’église catholique est contre l’union homosexuelle et contre l’avortement, que je sache, non ? Une école catholique ne peut dire autre chose ».

Un rapport sur cet établissement réalisé à la demande du ministre de l’éducation nationale Pap Ndiaye vient d’être rendu public par Mediapart et non par le ministère de l’éducation ni par l’école Stanislas.

Nous reviendrons un peu plus loin sur les conséquences de cette liberté laissée aux établissements privés sur leur situation comparée à celle des établissements publics.

Les conséquences de la loi Debré sur les finances publiques 

Il n’est pas facile d’avoir une idée précise des moyens publics consacrés à l’enseignement privé sous contrat. L’information des parlementaires sur le sujet est d’ailleurs considérée comme très insuffisante par la Cour des comptes. En effet, les concours publics à l’enseignement privé ne se limitent pas aux 8 milliards d’euros (en 2022) du « programme 139 – Enseignement privé sous contrat de la mission interministérielle Enseignement scolaire (MIES) », du budget de l’État. Ces crédits financent à la fois la rémunération des enseignants et le forfait d’externat versé aux établissements du second degré, destiné à couvrir leurs charges de personnels de vie scolaire.

Le rapport annuel du ministère de l’éducation nationale, « Repères et Références Statistiques » indique que la subvention de l’état à l’enseignement privé s’élevait en 2020 à 8,7 milliards d’euros. En effet, l’enseignement privé sous contrat bénéficie d’autres concours de l’État que ceux qui sont inscrits dans ce programme 139.

Il faut ajouter aux subventions de l’état celles des collectivités territoriales (régions, départements, communautés de communes…), dédiées aux salaires des personnels non-enseignants des établissements privés et à couvrir une partie des frais de fonctionnement. Elles s’élevaient en 2020, à 2,7 milliards d’euros. En plus de quoi, 665 millions sont distribués au privé par les « autres administrations publiques » pour les dépenses de chauffage ou l’éclairage.

Enfin, des établissements privés bénéficient de subventions « facultatives », versées au bon vouloir des présidents de collectivités locales. La région Ile de France, dirigée par Valérie Pécresse (LR), aurait par exemple voté 11 millions d’euros d’autorisations de subventions en prévision de travaux dans les 215 établissements privés de la région. Une générosité qui tranche avec son prédécesseur socialiste, qui ne versait que les subventions obligatoires.

Au total, l’enseignement privé sous contrat bénéficie chaque année de 12,2 milliards d’euros d’argent public, ce qui représente environ 6 350 euros par élève et 23 % du budget de l’Éducation nationale. À titre de comparaison, le coût de la scolarité d’un élève de l’école publique s’élève en moyenne à 8 480 euros par an.

La Cour des comptes, note dans un rapport sur l’enseignement privé sous contrat de juin 2023 : « De manière globale, le financement apporté par l’État aux établissements privés sous contrat est prépondérant dans leur modèle économique : 55 % pour le 1er degré et 68 % pour le 2nd degré. Cette part de financement est peu différente de celle observée pour les établissements publics, dont l’État assure respectivement 59 % et 74 % du financement. La part revenant aux familles s’élève à 22 % dans le 1er degré et à 23 % dans le 2nd degré…La différence en faveur du public dans la répartition du financement n’est que de 3,6 points pour les écoles maternelles et de 5,9 points pour les collèges et lycées. Les collectivités supportent, quant à elles, les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat, qui sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l’enseignement public. »

La principale différence entre le public et le privé s’agissant du financement public résulte de ce qui reste de la loi Falloux de 1850, qui limitait à 10% le subventionnement possible par l’État des investissements réalisés par les établissements privés.

L’UNAPEL, « Union nationale des associations de parents de l’enseignement libre », qui considère l’enseignement privé comme un bastion de liberté face à une école publique sous emprise de l’État, chercha à partir de 1991 à faire abroger la loi Falloux, de sorte que les collectivités territoriales, désormais chargées de l’investissement dans les écoles, les lycées, et les collèges puissent librement subventionner l’investissement des écoles privées et pas seulement leur fonctionnement.

Bien entendu, cela n’avait rien à voir avec une volonté quelconque de ranimer « la guerre scolaire », comme il en est fait reproche à ceux qui osent poser des questions sur la légitimité du financement public à l’enseignement privé et sur ses résultats.

François Mitterrand alors Président de la République résista à ces demandes, mais la cohabitation de 1993 donna l’opportunité à François Bayrou, alors ministre de l’éducation nationale et aujourd’hui l’un des principaux soutiens politiques à Emmanuel Macron, de proposer au Parlement d’abroger la loi Falloux. Il s’ensuivit un combat politique important, des défilés de dizaines de milliers de personnes opposées à cette mesure dans toute la France et finalement une décision du Conseil constitutionnel déclarant inconstitutionnel le projet adopté à l’initiative de François Bayrou en ce qu’il laissait les collectivités territoriales libres de financer ou non les investissements des écoles privées en fonction de leurs préférences religieuses et politiques, ce qui était contraire au principe d’égalité. La loi ainsi censurée qui fut promulguée sans sa disposition principale, ne remettait pas fondamentalement en cause les limitations imposées aux collectivités publiques dans le subventionnement de l’investissement des établissements privés, au grand dam des combattants de l’enseignement dit libre.

Cet argent public est versé à des établissements qui pour certains d’entre eux ont le statut de société anonyme, qui peuvent donc réaliser des bénéfices. C’est le cas par exemple de Stanislas où sont scolarisés les enfants de la ministre de l’éducation, qui a enregistré un bénéfice avant impôts et amortissements de 3 millions d’euros en 2022.

A ces financements publics s’ajoutent, pour les établissements privés, la contribution des familles, plus importante que dans l’enseignement public.   Elle représente en proportion du financement du forfait externat, 23,2 % pour les écoles et 21,9 % pour les collèges et lycées privés , contre respectivement 3,8 % et 2,9 % dans le public (hors dépenses de rémunération des enseignants assurées par l’État).

Selon la Fédération nationale des organismes de gestion de l’enseignement catholique, les frais de scolarité dans le privé s’élèvent en moyenne à 390 euros par an à l’école primaire, 763 euros au collège et 1 176 euros au lycée. Mais les tarifs sont bien plus élevés dans les établissements les plus prestigieux des grandes villes. Pour que leurs enfants puissent fréquenter l’école Stanislas, installée sur trois hectares au cœur de Paris, avec ses sept gymnases et ses deux piscines, les parents payent chaque année 2027€ en primaire, 2238€ au collège et 2561€ au lycée, auxquels il faut ajouter la contribution pour le financement de l’étude (entre 1 300 et 1 600 euros) et de la cantine (10 euros le repas soit 1 354 euros à l’année).

On espère qu’à ce prix-là les enfants sont heureux comme le souhaite Madame Oudéa Castera.

Les enfants des classes dominantes se regroupent dans les établissements privés

Recul de la mixité sociale

Il est devenu habituel dans notre pays de traiter de partisans de la guerre scolaire et d’ennemis de la liberté, tous ceux qui mettent en cause le financement public de l’enseignement privé, qui se définit lui-même comme enseignement libre, sous-entendu libre des contraintes que l’État pourrait exercer sur lui.

En fait, on pourrait transposer à l’école ce que disait Warren Buffett (patrimoine évalué à 65 milliards de dollars) de la lutte des classes : « Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner. »

L’école est aussi un champ de la lutte des classes et celle qui l’a emporté dans l’enseignement privé est, sans conteste, la classe la plus favorisée.

À vrai dire, la soi-disant guerre scolaire est entretenue en permanence par les tenants de l’enseignement privé.

Il suffit de rappeler l’épisodes de l’immense manifestation organisée par la droite en 1984 à Versailles pour faire reculer le gouvernement de l’époque sur son projet de grand service national unifié de l’éducation nationale, ou bien celui de 1993 et la tentative de François Bayrou d’engager encore plus les fonds publics au service de l’enseignement privé, pour constater que les partisans de la guerre scolaire ne sont pas les laïcards archaïques toujours désignés, mais ceux qui défendent l’enseignement privé avec acharnement et souhaite en élargir le champ.

Les propos tenus vendredi dernier par la ministre de l’éducation nationale justifiant la scolarisation de ses enfants dans un établissement privé prestigieux du centre de Paris en disant “Alors on en a marre comme des centaines de milliers de familles du paquet d’heures pas sérieusement remplacéesnous nous assurons que nos enfants soient bien formés avec des exigences dans la maitrise des savoirs fondamentaux et qu’ils sont heureux“, constituaient une attaque en règle contre l’école publique.

La justification du financement public de l’enseignement privé, depuis 1959, serait sa participation au service public d’éducation dont les objectifs sont fixés par l’État. L’égalité des chances au travers de l’école et la transmission des valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité, font partie de ces objectifs.

L’évolution de l’origine sociale des élèves qui fréquentent ces établissements montre que l’enseignement privé tourne le dos à ces objectifs et constitue de plus en plus un ghetto d’enfants des classes favorisées.

Un peu plus de 2 millions d’élèves fréquentent les établissements privés sur les 12,2 millions de jeunes fréquentant les écoles maternelles, primaires, les collèges et les lycées. Dans un contexte de stagnation des effectifs scolaires globaux, les effectifs du privé augmentent faiblement dans l’enseignement primaire, plus rapidement dans le secondaire. L’enseignement supérieur, qui n’obéit pas aux mêmes règles de financement, connaît une explosion de la part du privé fréquenté aujourd’hui par le quart des étudiants.

Selon l’enquête PISA 2022 la part des élèves de 15 ans scolarisés dans des établissements privés est passée de 16,4% en 2018 à 21,6% en 2022. 

Ce qui est plus saisissant, c’est l’évolution de la composition sociologique de la population scolaire de l’enseignement privé.

Dans le rapport de la Cour des comptes déjà cité, du mois de juin dernier, un chapitre est consacré au net recul de la mixité scolaire et de la mixité sociale dans les établissements privés, alors qu’elle reste la règle dans les établissements publics. Elle écrit : « la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat est en fort recul depuis une vingtaine d’années. Les élèves des familles très favorisées qui constituaient 26,4% des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentaient 40,2% en 2021 Et les élèves des milieux favorisés ou très favorisés sont désormais majoritaires dans ce secteur (55,4% en 2021) alors qu’ils représentent 32,3% des élèves dans le public. A l’inverse, la part des élèves boursiers s’élevait à 11,8% des effectifs en 2021 dans le privé sous contrat contre 29,1% dans le public. Ces écarts importants sont confirmés par tous les indicateurs notamment les indices de position sociale, indicateurs synthétiques utilisés par le ministère de l’éducation pour étudier et décrire les populations scolaires dans les établissements scolaires. »

L’origine sociale dans la sélection des élèves de l’enseignement privé est d’autant plus importante que la part du caractère proprement religieux dans les motivations des familles pour choisir l’enseignement privé catholique est de plus en plus faible. Les enfants ne sont pas placés dans l’enseignement privé catholique essentiellement pour être catéchisés, mais pour se retrouver avec leurs semblables socialement et culturellement. On notera d’ailleurs que Madame Oudéa Castera ne pensa pas un instant à évoquer ses convictions religieuses pour justifier son choix, mais uniquement la mauvaise qualité qu’elle impute à l’enseignement public et la qualité des relations dont jouiront ses enfants dans un contexte d’entre-soi social est culturel.

La Cour des comptes, encore elle, considère que : « l’enseignement privé sous contrat apparaît ainsi majoritairement comme un enseignement de recours face à un enseignement public perçu par une partie des familles comme moins performant et moins sécurisant ».

La sélection sociale des enfants des couches favorisées dans l’enseignement privé est accélérée par la disparition des structures d’enseignement privé accueillant traditionnellement des couches moins favorisées socialement, comme les maisons familiales rurales par exemple. L’enseignement privé se localise de plus en plus dans les grandes villes et accueille les rejetons des familles aisées de ces agglomérations. Le phénomène a d’abord touché les couches aisées classées à droite et ayant des opinions plutôt conservatrices sur ce qu’il est convenu d’appeler maintenant les questions sociétales. Mais aujourd’hui, ce sont les couches supérieures se définissant elles-mêmes comme progressistes, voire de gauche, toujours prêtes à s’indigner contre les discriminations de toute nature, qui inscrivent leurs enfants dans l’institution privée la plus proche des centres-villes qu’ils occupent, sans y voir cette fois la moindre forme de discrimination vis-à-vis de tous les enfants qui n’ont, eux, pas d’autre choix que de fréquenter les écoles publiques qui restent celles de la République.

En 2022, les établissements privés accueillaient 2 fois plus d’élèves très favorisés et 2 fois moins d’élèves défavorisés que les établissements publics d’enseignement, selon les services statistiques du ministère de l’éducation nationale. L’écart se creuse au fil du temps.

Une étude de 2014 menée au niveau national(1) a mis en évidence qu’il était beaucoup plus difficile d’obtenir une place dans un établissement privé catholique pour une famille dont le nom avait une consonance maghrébine que pour une famille au nom à consonance française. L’écart en défaveur des demandeurs portant un nom maghrébin était de 11% à 13% de chances en moins de voir leur demande acceptée, pour la même demande, au même moment, avec le même profil mais ayant des patronymes différents. Une telle situation contrevient complètement aux obligations fixées par la loi Debré d’accueillir tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance.

Le ministre de l’éducation Pap Ndiaye s’en était ému et avait déploré le 1er mars 2023 devant les sénateurs qu’en dépit de leur financement majoritairement public, les établissements privés aient des politiques de mixité sociale très limitées. Il indiquait qu’il serait normal d’exiger d’eux qu’ils favorisent la mixité sociale des élèves en s’engageant dans une démarche contractualisée. Ces déclarations ont soulevé un tollé des défenseurs de l’enseignement privé. Le ministre a dû faire machine arrière et il n’a pas été reconduit au remaniement gouvernemental qui a suivi.

L’enseignement privé de meilleures qualité que celui du public ?

C’est ce que prétend la nouvelle ministre de l’éducation nationale qui n’a manifestement pas lu les études réalisées par son propre ministère, lequel n’attribue absolument pas cette supériorité qualitative aux établissements d’enseignement privé.

Les résultats au baccalauréat des lycées privés ne témoignent pas de l’excellence de leur enseignement, mais de la sélectivité de leur recrutement et du regroupement de cohortes d’élèves issus des classes favorisées.

Ce qui est beaucoup plus intéressant et significatif de la qualité de l’enseignement proposé aux élèves, c’est la valeur ajoutée apportée par l’établissement scolaire. Celle-ci est mesurée par les résultats obtenus par l’ensemble des élèves en l’absence de sélection sociale. La sociologie des établissements est étudiée et les résultats aux différents examens sont comparés aux caractéristiques sociales de la population. Mesurée de cette façon, la valeur ajoutée de l’enseignement public est bien souvent supérieure à celle des établissements privés pour lesquels les travaux de recherche actuellement disponibles ne permettent pas d’identifier une plus-value supérieure ou inférieure à celle de l’enseignement public.

On peut d’ailleurs remarquer que la proportion d’enseignants titulaires d’une agrégation rapportée à l’ensemble du corps enseignant d’un établissement est deux fois supérieure dans l’enseignement public à ce qu’elle est dans l’enseignement privé. Et sauf à penser que les enseignants ayant bénéficié de la formation la plus poussée soient les plus mauvais, cela doit bien exercer une influence sur la qualité de l’enseignement dispensé.

Un contrôle inexistant de l’État sur l’enseignement privé

Le constat de la Cour des comptes sur ce point est sans appel : «  le contrôle financier des établissements privés sous contrat qui incombe aux directions départementale et régionale des finances publiques n’est pas mis en œuvre ; le contrôle pédagogique réalisé par les inspecteurs d’académie et les inspecteurs pédagogiques régionaux est minimaliste  ; le contrôle administratif qui relève de l’inspection générale de l’enseignement, du sport et de la recherche et des recteurs n’est mobilisé que ponctuellement lorsqu’un problème est signalé. Par ailleurs, le suivi des contrats se révèle peu rigoureux, certains rectorats ne possédant pas ces documents sur la base desquels des sommes conséquentes sont pourtant versées.

Aujourd’hui, le dialogue de gestion entre l’État et l’enseignement privé sur les problèmes de fond – mixité sociale, équité territoriale dans la répartition des moyens, performances scolaires, politique éducative – est presque inexistant. La gestion des moyens, des ouvertures et des fermetures de classes est principalement déléguée aux réseaux d’enseignement privés en lien avec la direction des affaires financières (DAF) du ministère de l’éducation nationale. »

Il n’est pas nécessaire d’ajouter quoi que ce soit à ce constat accablant.

Financement public de l’enseignement privé catholique et communautarisme

Dire que la République ne peut pas sérieusement prétendre lutter contre le communautarisme en finançant massivement l’une des communautés religieuses du pays, les catholiques, fait généralement sortir de leurs gonds les défenseurs de l’enseignement privé qui considèrent que cela n’a aucun rapport.

Pourtant le lien entre les deux me semble difficile à récuser.

L’existence d’un enseignement privé catholique repose sur l’idée que les familles partageant une croyance religieuse ont le droit d’élever leurs enfants dans le respect de cette croyance, non pas en leur faisant suivre des cours de catéchisme s’ils le souhaitent en dehors de l’école, mais en faisant de la religion la justification de l’existence d’établissements indépendants du réseau scolaire public. Cette justification correspond donc exactement à ce que l’on peut définir comme un communautarisme religieux, c’est à dire l’idée qu’une communauté peut construire ses propres institutions à l’intérieur d’une République laquelle devient de ce fait moins « une et indivisible » comme le proclame sa constitution.

La part des autres religions, islam, judaïsme, dans l’enseignement privé sous contrat reste pour l’instant limitée compte tenu de l’historique de ce sujet et de la part écrasante de l’enseignement privé catholique, mais elle est en forte croissance depuis quelques années, en même temps que celle des écoles dont la vocation est vouée à la défense de langues régionales.

Il n’y a bien sûr aucune raison de refuser aux uns ce qui a été accordé très massivement à l’autre. Dès lors, si nous continuons comme cela l’enseignement public continuera à se déliter comme il le fait à une vitesse accélérée depuis quelques années, au profit de la coexistence d’écoles religieuses, d’écoles promouvant un régionalisme linguistique support de revendications politiques d’une plus forte autonomie régionale.

Les discours prononcé avec des trémolos dans la voix sur « l’école creuset de la République qu’il faut renforcer défendre etc. » ne sont que des tartufferies aussi longtemps que le principe d’une école unique de la République, libre de toute influence religieuse ne sera pas réaffirmé. Bien sûr, ceux qui veulent défendre la liberté de mettre leurs enfants dans des écoles confessionnelles doivent conserver ce droit, mais ils devront aussi en supporter la charge financière qu’il n’est pas légitime de faire supporter à l’ensemble des contribuables français. Cela d’autant plus que l’école privée catholique est devenue l’école des riches payée en grande partie par les impôts des pauvres. Cela pose non seulement une question de principe sur les fondements de l’école de la République, mais aussi des questions relatives à la politique fiscale et aux charges indues que l’on fait payer à la grande masse des citoyens pour permettre aux communautarisme des riches de s’organiser comme il souhaite le faire.

L’enseignement public est en crise

Critiquer l’enseignement privé et remettre en cause son mode de financement ne signifie pas que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes de l’enseignement public. L’école publique a été durement secouée par la succession des réformes ministérielles, chaque ministre voulant laisser la marque de son passage au lieu de laisser les enseignants travailler dans la sérénité. L’introduction des méthodes managériales importées du privé dans la gestion d’une institution qui n’a rien à voir avec une entreprise et qui doit d’ailleurs se préserver du mode de gouvernement des entreprises, hautement critiquable, a affaibli l’éducation nationale.

Là comme ailleurs le cancer bureaucratique se développe et le personnel de l’éducation nationale passe plus de temps à élaborer des rapports et des projets pour glaner quelques sous qu’à faire le métier pour lequel il a été recruté.

La paupérisation des enseignants en 30 ans a asséché les concours de recrutement de professeurs certifiés et agrégés. Faute de candidats, les exigences de recrutement sont revues à la baisse. Les professeurs titulaires en nombre insuffisant sont remplacés par des contractuels dont la formation n’est pas toujours à la hauteur de ce que les élèves devraient pouvoir trouver dans les établissements d’enseignement public.

La formation des instituteurs a été déstructurée pour les transformer en professeurs des écoles, seul moyen trouvé alors pour justifier la nécessaire augmentation de leur salaire qui n’avait pourtant pas besoin d’autre justifications que le travail excellent qu’ils faisaient dans l’ensemble depuis longtemps. Ils étaient correctement formés dans les écoles normales pour donner aux élèves de l’enseignement primaire ce dont ils avaient besoin pour disposer des savoirs fondamentaux. Aujourd’hui, ils doivent être titulaires d’un master d’une discipline quelconque sans plus disposer de la formation nécessaire à l’exercice du métier réel qui est le leur. L’évaluation du niveau des élèves en 6e témoigne de façon éloquente du fiasco de cette politique de gribouille.

En ce moment même on fait perdre un temps considérable à des dizaines de milliers d’enseignants pour qu’ils adhèrent à des contrats leur permettant de gagner quelques sous de plus moyennant des charges de travail supplémentaires qui les éloigneront de l’enseignement, tout cela pour ne pas procéder à une réévaluation urgente, nécessaire et importante du salaire des enseignants pour redonner de l’attractivité à ce métier.

Enfin il faudrait limiter l’interventionnisme des familles dans la vie des établissements scolaires, garantir aux enseignants la sérénité dans l’exercice de leur métier qui est d’abord celui de transmettre des connaissance et non d’éduquer au « « savoir-être, voire au « savoir paraître » si cher aux managers en tout genre. La France a besoin de jeunes qui possèdent parfaitement leur langue maternelle, ce qui est loin d’être le cas, qui disposent d’une formation scientifique solide, alors que nous sommes en plein décrochement dans ce domaine essentiel pour l’avenir du pays. Il faut épargner au système scolaire les demandes nouvelles incessantes de formation des élèves dans des domaines les plus divers, de la bienveillance à l’écologie vidée de tout contenu scientifique et réduite à un prêchi-prêcha moralisateur qui suscite plus souvent le rejet des élèves que leur adhésion.

Le résultat mesurable de toutes ces réformes visant soi-disant à démocratiser l’école, c’est que non seulement l’école ne réduit plus les écarts d’origine sociale, ne se contente pas de les reproduire, mais qu’elle les aggrave.

Madame Oudéa-Castera doit quitter le gouvernement

Mme Oudéa – Castera, ministre de l’éducation nationale depuis peu, a menti sur les raisons qui l’avaient conduite à inscrire ses enfants à l’école privée de luxe « Stanislas » plutôt qu’à l’école maternelle publique Littré. Cela est maintenant bien documenté et l’on ne comprend pas l’acharnement du président de la République et du Premier ministre à la maintenir à un poste qu’elle n’est pas digne d’occuper. Enseigner aux enfants à ne pas mentir est le premier devoir des adultes et devrait être particulièrement celui d’une ministre de l’éducation nationale.

La ministre a menti également dans un autre domaine, celui de ses rémunérations passées. Le Monde du 17 janvier indique qu’une enquête préliminaire a été ouverte contre le président de la fédération française de tennis pour avoir menti à la commission parlementaire sur les dérives des fédérations de sport, au sujet de la rémunération perçue par Mme Oudéa lorsqu’elle travaillait pour la FFT (soit 356 440 euros nets perçus en 2021 et un salaire annuel brut de 500 000 euros, prime d’objectifs comprise). Le président de la FFT a expliqué à la commission parlementaire qu’il n’y avait là rien d’exceptionnel et que le prédécesseur de Mme Oudéa gagnait à peu près la même chose. Or, il est apparu que le « pauvre » prédécesseur ne gagnait « que » 20 000€ /mois, une misère en comparaison du salaire de Mme Oudéa. Celle-ci a également menti lors de son audition par la Commission parlementaire, puis envoyé une lettre à ladite commission pour corriger ses déclarations mensongères, ce qui lui épargnera, semble-t-il, d’être elle-même poursuivie pour parjure.

Sa déclaration d’intérêt auprès de la haute autorité pour la transparence de la vie publique ferait état de la possession d’une maison individuelle de 469 m² dans le 6e arrondissement de Paris pour une valeur de 960 000€, soit 2047€ le mètre carré dans l’arrondissement le plus cher de la capitale. Il y a là un art de la négociation immobilière qui mérite d’être partagé car le site seloger.com indique que le prix moyen de vente d’une maison à Paris est de 10 285€ le mètre carré ; encore s’agit-il d’un prix moyen et non d’une maison située dans le 6e arrondissement.

Madame Oudéa-Castera et donc complètement disqualifiée pour occuper une fonction ministérielle et particulièrement la responsabilité du ministère de l’éducation nationale après qu’elle s’est mise dans l’impossibilité d’être une interlocutrice disposant d’un minimum de crédibilité vis-à-vis de ceux qui en constituent l’essence même, les enseignants et leurs représentants travaillant dans l’enseignement public. Il faudrait donc qu’elle parte au plus vite.

 

Jean-François Collin

Le 18 janvier 2024

Références

(1)https://www.cairn.info/publications-de-Pascale-Petit–6745.htm

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Si l’administration Biden a considérablement durci les conditions d’accès des entreprises chinoises aux technologies américaines avancées, la Chine n’a pas tardé à lui répondre. Après avoir fortement conditionnée l’exportation de deux métaux stratégiques (gallium et germanium) à l’autorisation du pouvoir central, Pékin a franchi un cap supplémentaire dans la guerre commerciale qui l’oppose aux Etats-Unis en stoppant l’exportation de technologies permettant l’extraction et la séparation des terres rares.

Loin d’être anodines, ces deux annonces vont avoir des répercussions importantes sur le marché mondial. Le gallium (dont les ressources sont détenues à 94% par la Chine) est un élément indispensable pour le développement des technologies LED, des panneaux photovoltaïques et des circuits intégrés. Le germanium (dont 83% de la production mondiale est assurée par la Chine), est incontournable pour les fibres optiques et l’infrarouge. Quant aux technologies d’extraction et de séparation des terres rares, l’interdiction de leur exportation vise surtout à retarder le développement des Etats-Unis dans ce secteur.

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande mondiale en technologies à faible émission carbone pourrait être multipliée par 7 d’ici 2040 en raison notamment de la croissance de la production de véhicules électriques et d’éoliennes offshore (soit 2 millions de tonnes par an contre 280 000 tonnes en 2022).

En signe de protestation, l’Union européenne envisage de mener des actions dans le cadre de l’OMC. Mais, selon Sylvain Bersinger du cabinet Astérès cité par la Tribune « l’OMC est une coquille vide car les Etats-Unis et la Chine prennent des décisions en dehors de cette institution depuis plusieurs années ». Les Etats-Unis, plus offensifs, préparent selon le Wall Street Journal la restriction de l’accès au cloud de Microsoft et Amazon aux entreprises chinoises.  

Les métaux stratégiques, nouvel enjeu de souveraineté

La haute intensité technologique de nos sociétés contemporaines (et leur transition vers des économies décarbonées) fait des métaux précieux et terres rares un enjeu de souveraineté à part entière. « Tous les pans les plus stratégiques des économies du futur, toutes les technologies qui décupleront nos capacités de calcul et moderniseront notre façon de consommer de l’énergie, le moindre de nos gestes quotidiens et même nos grands choix collectifs vont se révéler tributaires des métaux rares(1) ».

Deux difficultés apparaissent dans ce secteur : d’une part, la demande mondiale en métaux stratégiques ou critiques connaît une forte augmentation en raison de la croissance démographique et du développement économique des pays émergents (mais également du développement de nouvelles filières industrielles liées à la transition numérique et écologique). D’autre part, le marché, par les hasards de la géographie, est fortement oligopolistique. Afrique du Sud, Australie, Brésil, Canada, Chine, Etats-Unis, Kazakhstan, Russie, Chili et Pérou concentrent la majorité des ressources connues. La République démocratique du Congo dispose quant à elle de 50% des réserves de cobalt, 80% des réserves de coltan.

Mais au-delà des hasards de la géographie, la situation oligopolistique du marché des métaux stratégiques et critiques tient également à la stratégie bien rodée d’un acteur désormais incontournable : la Chine. A travers une diplomatie minière parfaitement structurée sur l’ensemble des continents depuis plus de vingt ans, des géants miniers et un marché intérieur en pleine croissance, l’empire du Milieu est pleinement hégémonique. Il détient 95% des opérations sur les terres rares, 60% pour le cobalt et le lithium, 40% pour le cuivre. « De ce fait, la Chine est en capacité de fixer les prix du marché sur les terres rares et de nombreux métaux : elle représente par exemple 58% de la production mondiale d’acier.(2)»

L’Union européenne et la France : le risque de décrochage technologique

En août 2022, Joe Biden signe le Chips and Science Act permettant le soutien de l’industrie américaine de la tech à hauteur de 280 milliards de dollars (52,7 milliards pour les semi-conducteurs). La réplique américaine à l’ascension chinoise en matière de nouvelles technologies est donc sans appel.

Pour ce qui est de l’Europe et de la France, le retard pris est important : « l’Union européenne investit cinq fois moins que les Etats-Unis dans la R&D privée, elle y consacre 40 milliards d’euros par an, contre 200 milliards outre-Atlantique et 64 milliards dans l’empire du Milieu où ce montant croît de 15% chaque année. Quant aux start-ups du Vieux Continent, elles ont attiré trois fois moins de financements que celles d’Amérique du Nord dans la période post-Covid ». Pas de « techno-puissance » pour l’Europe et un risque important de décrochage technologique qui acterait la dépendance à long terme du Vieux Continent aux deux géants.

Références

(1)Guillaume Pitron, La Guerre des métaux rares. La Face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, janvier 2018.

(2) Pascal Lorot, le choc des souverainetés, Débats publics, 2023

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