Guerre scolaire ou lutte des classes ?

Guerre scolaire ou lutte des classes ?

Les déclarations de la nouvelle ministre de l’éducation nationale, Mme Oudéa Castera ont relancé la polémique sur le financement public de l’enseignement privé. Les défenseurs de la situation actuelle dénoncent ceux qui veulent relancer la « guerre scolaire ».

Les déclarations de la nouvelle ministre de l’éducation nationale, Mme Oudéa Castera ont relancé la polémique sur le financement public de l’enseignement privé. Les défenseurs de la situation actuelle dénoncent ceux qui veulent relancer la « guerre scolaire ». Au moment où le président de la République n’a que le mot « réarmement » à la bouche, cela pourrait faire sourire. Il est en tout cas indispensable de présenter l’état des forces en présence et de se demander si en réalité une guerre scolaire souterraine ne se développe pas depuis fort longtemps, au cours de laquelle un camp aurait déjà remporté de nombreuses batailles sur l’autre.

Le financement public de l’enseignement privé sous contrat

La cinquième République met en place le financement public de l’enseignement privé

La démocratie chrétienne tenta pendant toute la IVème République de faire contribuer l’État aux dépenses de l’enseignement privé confessionnel, sans y parvenir véritablement. En revanche, la Vème République à peine naissante instaura, par la loi Debré de 1959, le financement par l’État des établissements privés d’enseignement sous contrat. Le principe était que l’État contribuerait par élève du privé à hauteur de ce qu’il accordait à l’enseignement public, dès lors que ces établissements privés passeraient un contrat par lequel ils s’engageaient à respecter les programmes nationaux d’enseignement définis par le ministère de l’éducation nationale, ainsi qu’à accepter un contrôle de l’État sur le respect effectif de cet engagement.

Alors à quoi bon développer des établissements d’enseignement privé pour faire la même chose que dans l’enseignement public ?

Tout simplement parce que si les financements de l’Etat en faveur du privé sont comparables à ceux consentis pour un élève du public, les contraintes pesant sur les établissements privés sous contrat et sur l’école publique ne sont pas les mêmes.

Les directeurs des établissements privés choisissent les professeurs qu’ils emploient, dont le salaire est payé par le budget de l’État ; ce n’est pas le cas des directeurs d’établissements publics. Ils choisissent également les élèves qu’ils inscrivent dans leurs établissements et ne sont nullement tenus, à la différence des établissements publics, d’inscrire tous les enfants de leur secteur géographique qui se présentent à leur porte.

Ils peuvent en toute autonomie définir leur projet d’établissement. Celui de l’école Stanislas qui fait la une de l’actualité en ce moment, comporte par exemple l’obligation pour les élèves de suivre des cours de catéchisme, en violation des règles qui s’imposent normalement aux établissements privés sous contrat. En effet, la loi Debré de 1959 précise que si un établissement scolaire veut être financé par de l’argent public, « tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances » doivent y avoir accès.

L’école Stanislas censure également un certain nombre d’ouvrages littéraires considérés comme heurtant les convictions catholiques et défend une position officielle sur des questions comme l’homosexualité ou l’avortement assez éloignée de ce que disent nos lois. Le directeur de l’établissement, Frédéric Gautier, justifiait cela en août dernier en déclarant au journal « Le Monde »: « l’église catholique est contre l’union homosexuelle et contre l’avortement, que je sache, non ? Une école catholique ne peut dire autre chose ».

Un rapport sur cet établissement réalisé à la demande du ministre de l’éducation nationale Pap Ndiaye vient d’être rendu public par Mediapart et non par le ministère de l’éducation ni par l’école Stanislas.

Nous reviendrons un peu plus loin sur les conséquences de cette liberté laissée aux établissements privés sur leur situation comparée à celle des établissements publics.

Les conséquences de la loi Debré sur les finances publiques 

Il n’est pas facile d’avoir une idée précise des moyens publics consacrés à l’enseignement privé sous contrat. L’information des parlementaires sur le sujet est d’ailleurs considérée comme très insuffisante par la Cour des comptes. En effet, les concours publics à l’enseignement privé ne se limitent pas aux 8 milliards d’euros (en 2022) du « programme 139 – Enseignement privé sous contrat de la mission interministérielle Enseignement scolaire (MIES) », du budget de l’État. Ces crédits financent à la fois la rémunération des enseignants et le forfait d’externat versé aux établissements du second degré, destiné à couvrir leurs charges de personnels de vie scolaire.

Le rapport annuel du ministère de l’éducation nationale, « Repères et Références Statistiques » indique que la subvention de l’état à l’enseignement privé s’élevait en 2020 à 8,7 milliards d’euros. En effet, l’enseignement privé sous contrat bénéficie d’autres concours de l’État que ceux qui sont inscrits dans ce programme 139.

Il faut ajouter aux subventions de l’état celles des collectivités territoriales (régions, départements, communautés de communes…), dédiées aux salaires des personnels non-enseignants des établissements privés et à couvrir une partie des frais de fonctionnement. Elles s’élevaient en 2020, à 2,7 milliards d’euros. En plus de quoi, 665 millions sont distribués au privé par les « autres administrations publiques » pour les dépenses de chauffage ou l’éclairage.

Enfin, des établissements privés bénéficient de subventions « facultatives », versées au bon vouloir des présidents de collectivités locales. La région Ile de France, dirigée par Valérie Pécresse (LR), aurait par exemple voté 11 millions d’euros d’autorisations de subventions en prévision de travaux dans les 215 établissements privés de la région. Une générosité qui tranche avec son prédécesseur socialiste, qui ne versait que les subventions obligatoires.

Au total, l’enseignement privé sous contrat bénéficie chaque année de 12,2 milliards d’euros d’argent public, ce qui représente environ 6 350 euros par élève et 23 % du budget de l’Éducation nationale. À titre de comparaison, le coût de la scolarité d’un élève de l’école publique s’élève en moyenne à 8 480 euros par an.

La Cour des comptes, note dans un rapport sur l’enseignement privé sous contrat de juin 2023 : « De manière globale, le financement apporté par l’État aux établissements privés sous contrat est prépondérant dans leur modèle économique : 55 % pour le 1er degré et 68 % pour le 2nd degré. Cette part de financement est peu différente de celle observée pour les établissements publics, dont l’État assure respectivement 59 % et 74 % du financement. La part revenant aux familles s’élève à 22 % dans le 1er degré et à 23 % dans le 2nd degré…La différence en faveur du public dans la répartition du financement n’est que de 3,6 points pour les écoles maternelles et de 5,9 points pour les collèges et lycées. Les collectivités supportent, quant à elles, les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat, qui sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l’enseignement public. »

La principale différence entre le public et le privé s’agissant du financement public résulte de ce qui reste de la loi Falloux de 1850, qui limitait à 10% le subventionnement possible par l’État des investissements réalisés par les établissements privés.

L’UNAPEL, « Union nationale des associations de parents de l’enseignement libre », qui considère l’enseignement privé comme un bastion de liberté face à une école publique sous emprise de l’État, chercha à partir de 1991 à faire abroger la loi Falloux, de sorte que les collectivités territoriales, désormais chargées de l’investissement dans les écoles, les lycées, et les collèges puissent librement subventionner l’investissement des écoles privées et pas seulement leur fonctionnement.

Bien entendu, cela n’avait rien à voir avec une volonté quelconque de ranimer « la guerre scolaire », comme il en est fait reproche à ceux qui osent poser des questions sur la légitimité du financement public à l’enseignement privé et sur ses résultats.

François Mitterrand alors Président de la République résista à ces demandes, mais la cohabitation de 1993 donna l’opportunité à François Bayrou, alors ministre de l’éducation nationale et aujourd’hui l’un des principaux soutiens politiques à Emmanuel Macron, de proposer au Parlement d’abroger la loi Falloux. Il s’ensuivit un combat politique important, des défilés de dizaines de milliers de personnes opposées à cette mesure dans toute la France et finalement une décision du Conseil constitutionnel déclarant inconstitutionnel le projet adopté à l’initiative de François Bayrou en ce qu’il laissait les collectivités territoriales libres de financer ou non les investissements des écoles privées en fonction de leurs préférences religieuses et politiques, ce qui était contraire au principe d’égalité. La loi ainsi censurée qui fut promulguée sans sa disposition principale, ne remettait pas fondamentalement en cause les limitations imposées aux collectivités publiques dans le subventionnement de l’investissement des établissements privés, au grand dam des combattants de l’enseignement dit libre.

Cet argent public est versé à des établissements qui pour certains d’entre eux ont le statut de société anonyme, qui peuvent donc réaliser des bénéfices. C’est le cas par exemple de Stanislas où sont scolarisés les enfants de la ministre de l’éducation, qui a enregistré un bénéfice avant impôts et amortissements de 3 millions d’euros en 2022.

A ces financements publics s’ajoutent, pour les établissements privés, la contribution des familles, plus importante que dans l’enseignement public.   Elle représente en proportion du financement du forfait externat, 23,2 % pour les écoles et 21,9 % pour les collèges et lycées privés , contre respectivement 3,8 % et 2,9 % dans le public (hors dépenses de rémunération des enseignants assurées par l’État).

Selon la Fédération nationale des organismes de gestion de l’enseignement catholique, les frais de scolarité dans le privé s’élèvent en moyenne à 390 euros par an à l’école primaire, 763 euros au collège et 1 176 euros au lycée. Mais les tarifs sont bien plus élevés dans les établissements les plus prestigieux des grandes villes. Pour que leurs enfants puissent fréquenter l’école Stanislas, installée sur trois hectares au cœur de Paris, avec ses sept gymnases et ses deux piscines, les parents payent chaque année 2027€ en primaire, 2238€ au collège et 2561€ au lycée, auxquels il faut ajouter la contribution pour le financement de l’étude (entre 1 300 et 1 600 euros) et de la cantine (10 euros le repas soit 1 354 euros à l’année).

On espère qu’à ce prix-là les enfants sont heureux comme le souhaite Madame Oudéa Castera.

Les enfants des classes dominantes se regroupent dans les établissements privés

Recul de la mixité sociale

Il est devenu habituel dans notre pays de traiter de partisans de la guerre scolaire et d’ennemis de la liberté, tous ceux qui mettent en cause le financement public de l’enseignement privé, qui se définit lui-même comme enseignement libre, sous-entendu libre des contraintes que l’État pourrait exercer sur lui.

En fait, on pourrait transposer à l’école ce que disait Warren Buffett (patrimoine évalué à 65 milliards de dollars) de la lutte des classes : « Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner. »

L’école est aussi un champ de la lutte des classes et celle qui l’a emporté dans l’enseignement privé est, sans conteste, la classe la plus favorisée.

À vrai dire, la soi-disant guerre scolaire est entretenue en permanence par les tenants de l’enseignement privé.

Il suffit de rappeler l’épisodes de l’immense manifestation organisée par la droite en 1984 à Versailles pour faire reculer le gouvernement de l’époque sur son projet de grand service national unifié de l’éducation nationale, ou bien celui de 1993 et la tentative de François Bayrou d’engager encore plus les fonds publics au service de l’enseignement privé, pour constater que les partisans de la guerre scolaire ne sont pas les laïcards archaïques toujours désignés, mais ceux qui défendent l’enseignement privé avec acharnement et souhaite en élargir le champ.

Les propos tenus vendredi dernier par la ministre de l’éducation nationale justifiant la scolarisation de ses enfants dans un établissement privé prestigieux du centre de Paris en disant “Alors on en a marre comme des centaines de milliers de familles du paquet d’heures pas sérieusement remplacéesnous nous assurons que nos enfants soient bien formés avec des exigences dans la maitrise des savoirs fondamentaux et qu’ils sont heureux“, constituaient une attaque en règle contre l’école publique.

La justification du financement public de l’enseignement privé, depuis 1959, serait sa participation au service public d’éducation dont les objectifs sont fixés par l’État. L’égalité des chances au travers de l’école et la transmission des valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité, font partie de ces objectifs.

L’évolution de l’origine sociale des élèves qui fréquentent ces établissements montre que l’enseignement privé tourne le dos à ces objectifs et constitue de plus en plus un ghetto d’enfants des classes favorisées.

Un peu plus de 2 millions d’élèves fréquentent les établissements privés sur les 12,2 millions de jeunes fréquentant les écoles maternelles, primaires, les collèges et les lycées. Dans un contexte de stagnation des effectifs scolaires globaux, les effectifs du privé augmentent faiblement dans l’enseignement primaire, plus rapidement dans le secondaire. L’enseignement supérieur, qui n’obéit pas aux mêmes règles de financement, connaît une explosion de la part du privé fréquenté aujourd’hui par le quart des étudiants.

Selon l’enquête PISA 2022 la part des élèves de 15 ans scolarisés dans des établissements privés est passée de 16,4% en 2018 à 21,6% en 2022. 

Ce qui est plus saisissant, c’est l’évolution de la composition sociologique de la population scolaire de l’enseignement privé.

Dans le rapport de la Cour des comptes déjà cité, du mois de juin dernier, un chapitre est consacré au net recul de la mixité scolaire et de la mixité sociale dans les établissements privés, alors qu’elle reste la règle dans les établissements publics. Elle écrit : « la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat est en fort recul depuis une vingtaine d’années. Les élèves des familles très favorisées qui constituaient 26,4% des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentaient 40,2% en 2021 Et les élèves des milieux favorisés ou très favorisés sont désormais majoritaires dans ce secteur (55,4% en 2021) alors qu’ils représentent 32,3% des élèves dans le public. A l’inverse, la part des élèves boursiers s’élevait à 11,8% des effectifs en 2021 dans le privé sous contrat contre 29,1% dans le public. Ces écarts importants sont confirmés par tous les indicateurs notamment les indices de position sociale, indicateurs synthétiques utilisés par le ministère de l’éducation pour étudier et décrire les populations scolaires dans les établissements scolaires. »

L’origine sociale dans la sélection des élèves de l’enseignement privé est d’autant plus importante que la part du caractère proprement religieux dans les motivations des familles pour choisir l’enseignement privé catholique est de plus en plus faible. Les enfants ne sont pas placés dans l’enseignement privé catholique essentiellement pour être catéchisés, mais pour se retrouver avec leurs semblables socialement et culturellement. On notera d’ailleurs que Madame Oudéa Castera ne pensa pas un instant à évoquer ses convictions religieuses pour justifier son choix, mais uniquement la mauvaise qualité qu’elle impute à l’enseignement public et la qualité des relations dont jouiront ses enfants dans un contexte d’entre-soi social est culturel.

La Cour des comptes, encore elle, considère que : « l’enseignement privé sous contrat apparaît ainsi majoritairement comme un enseignement de recours face à un enseignement public perçu par une partie des familles comme moins performant et moins sécurisant ».

La sélection sociale des enfants des couches favorisées dans l’enseignement privé est accélérée par la disparition des structures d’enseignement privé accueillant traditionnellement des couches moins favorisées socialement, comme les maisons familiales rurales par exemple. L’enseignement privé se localise de plus en plus dans les grandes villes et accueille les rejetons des familles aisées de ces agglomérations. Le phénomène a d’abord touché les couches aisées classées à droite et ayant des opinions plutôt conservatrices sur ce qu’il est convenu d’appeler maintenant les questions sociétales. Mais aujourd’hui, ce sont les couches supérieures se définissant elles-mêmes comme progressistes, voire de gauche, toujours prêtes à s’indigner contre les discriminations de toute nature, qui inscrivent leurs enfants dans l’institution privée la plus proche des centres-villes qu’ils occupent, sans y voir cette fois la moindre forme de discrimination vis-à-vis de tous les enfants qui n’ont, eux, pas d’autre choix que de fréquenter les écoles publiques qui restent celles de la République.

En 2022, les établissements privés accueillaient 2 fois plus d’élèves très favorisés et 2 fois moins d’élèves défavorisés que les établissements publics d’enseignement, selon les services statistiques du ministère de l’éducation nationale. L’écart se creuse au fil du temps.

Une étude de 2014 menée au niveau national(1) a mis en évidence qu’il était beaucoup plus difficile d’obtenir une place dans un établissement privé catholique pour une famille dont le nom avait une consonance maghrébine que pour une famille au nom à consonance française. L’écart en défaveur des demandeurs portant un nom maghrébin était de 11% à 13% de chances en moins de voir leur demande acceptée, pour la même demande, au même moment, avec le même profil mais ayant des patronymes différents. Une telle situation contrevient complètement aux obligations fixées par la loi Debré d’accueillir tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance.

Le ministre de l’éducation Pap Ndiaye s’en était ému et avait déploré le 1er mars 2023 devant les sénateurs qu’en dépit de leur financement majoritairement public, les établissements privés aient des politiques de mixité sociale très limitées. Il indiquait qu’il serait normal d’exiger d’eux qu’ils favorisent la mixité sociale des élèves en s’engageant dans une démarche contractualisée. Ces déclarations ont soulevé un tollé des défenseurs de l’enseignement privé. Le ministre a dû faire machine arrière et il n’a pas été reconduit au remaniement gouvernemental qui a suivi.

L’enseignement privé de meilleures qualité que celui du public ?

C’est ce que prétend la nouvelle ministre de l’éducation nationale qui n’a manifestement pas lu les études réalisées par son propre ministère, lequel n’attribue absolument pas cette supériorité qualitative aux établissements d’enseignement privé.

Les résultats au baccalauréat des lycées privés ne témoignent pas de l’excellence de leur enseignement, mais de la sélectivité de leur recrutement et du regroupement de cohortes d’élèves issus des classes favorisées.

Ce qui est beaucoup plus intéressant et significatif de la qualité de l’enseignement proposé aux élèves, c’est la valeur ajoutée apportée par l’établissement scolaire. Celle-ci est mesurée par les résultats obtenus par l’ensemble des élèves en l’absence de sélection sociale. La sociologie des établissements est étudiée et les résultats aux différents examens sont comparés aux caractéristiques sociales de la population. Mesurée de cette façon, la valeur ajoutée de l’enseignement public est bien souvent supérieure à celle des établissements privés pour lesquels les travaux de recherche actuellement disponibles ne permettent pas d’identifier une plus-value supérieure ou inférieure à celle de l’enseignement public.

On peut d’ailleurs remarquer que la proportion d’enseignants titulaires d’une agrégation rapportée à l’ensemble du corps enseignant d’un établissement est deux fois supérieure dans l’enseignement public à ce qu’elle est dans l’enseignement privé. Et sauf à penser que les enseignants ayant bénéficié de la formation la plus poussée soient les plus mauvais, cela doit bien exercer une influence sur la qualité de l’enseignement dispensé.

Un contrôle inexistant de l’État sur l’enseignement privé

Le constat de la Cour des comptes sur ce point est sans appel : «  le contrôle financier des établissements privés sous contrat qui incombe aux directions départementale et régionale des finances publiques n’est pas mis en œuvre ; le contrôle pédagogique réalisé par les inspecteurs d’académie et les inspecteurs pédagogiques régionaux est minimaliste  ; le contrôle administratif qui relève de l’inspection générale de l’enseignement, du sport et de la recherche et des recteurs n’est mobilisé que ponctuellement lorsqu’un problème est signalé. Par ailleurs, le suivi des contrats se révèle peu rigoureux, certains rectorats ne possédant pas ces documents sur la base desquels des sommes conséquentes sont pourtant versées.

Aujourd’hui, le dialogue de gestion entre l’État et l’enseignement privé sur les problèmes de fond – mixité sociale, équité territoriale dans la répartition des moyens, performances scolaires, politique éducative – est presque inexistant. La gestion des moyens, des ouvertures et des fermetures de classes est principalement déléguée aux réseaux d’enseignement privés en lien avec la direction des affaires financières (DAF) du ministère de l’éducation nationale. »

Il n’est pas nécessaire d’ajouter quoi que ce soit à ce constat accablant.

Financement public de l’enseignement privé catholique et communautarisme

Dire que la République ne peut pas sérieusement prétendre lutter contre le communautarisme en finançant massivement l’une des communautés religieuses du pays, les catholiques, fait généralement sortir de leurs gonds les défenseurs de l’enseignement privé qui considèrent que cela n’a aucun rapport.

Pourtant le lien entre les deux me semble difficile à récuser.

L’existence d’un enseignement privé catholique repose sur l’idée que les familles partageant une croyance religieuse ont le droit d’élever leurs enfants dans le respect de cette croyance, non pas en leur faisant suivre des cours de catéchisme s’ils le souhaitent en dehors de l’école, mais en faisant de la religion la justification de l’existence d’établissements indépendants du réseau scolaire public. Cette justification correspond donc exactement à ce que l’on peut définir comme un communautarisme religieux, c’est à dire l’idée qu’une communauté peut construire ses propres institutions à l’intérieur d’une République laquelle devient de ce fait moins « une et indivisible » comme le proclame sa constitution.

La part des autres religions, islam, judaïsme, dans l’enseignement privé sous contrat reste pour l’instant limitée compte tenu de l’historique de ce sujet et de la part écrasante de l’enseignement privé catholique, mais elle est en forte croissance depuis quelques années, en même temps que celle des écoles dont la vocation est vouée à la défense de langues régionales.

Il n’y a bien sûr aucune raison de refuser aux uns ce qui a été accordé très massivement à l’autre. Dès lors, si nous continuons comme cela l’enseignement public continuera à se déliter comme il le fait à une vitesse accélérée depuis quelques années, au profit de la coexistence d’écoles religieuses, d’écoles promouvant un régionalisme linguistique support de revendications politiques d’une plus forte autonomie régionale.

Les discours prononcé avec des trémolos dans la voix sur « l’école creuset de la République qu’il faut renforcer défendre etc. » ne sont que des tartufferies aussi longtemps que le principe d’une école unique de la République, libre de toute influence religieuse ne sera pas réaffirmé. Bien sûr, ceux qui veulent défendre la liberté de mettre leurs enfants dans des écoles confessionnelles doivent conserver ce droit, mais ils devront aussi en supporter la charge financière qu’il n’est pas légitime de faire supporter à l’ensemble des contribuables français. Cela d’autant plus que l’école privée catholique est devenue l’école des riches payée en grande partie par les impôts des pauvres. Cela pose non seulement une question de principe sur les fondements de l’école de la République, mais aussi des questions relatives à la politique fiscale et aux charges indues que l’on fait payer à la grande masse des citoyens pour permettre aux communautarisme des riches de s’organiser comme il souhaite le faire.

L’enseignement public est en crise

Critiquer l’enseignement privé et remettre en cause son mode de financement ne signifie pas que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes de l’enseignement public. L’école publique a été durement secouée par la succession des réformes ministérielles, chaque ministre voulant laisser la marque de son passage au lieu de laisser les enseignants travailler dans la sérénité. L’introduction des méthodes managériales importées du privé dans la gestion d’une institution qui n’a rien à voir avec une entreprise et qui doit d’ailleurs se préserver du mode de gouvernement des entreprises, hautement critiquable, a affaibli l’éducation nationale.

Là comme ailleurs le cancer bureaucratique se développe et le personnel de l’éducation nationale passe plus de temps à élaborer des rapports et des projets pour glaner quelques sous qu’à faire le métier pour lequel il a été recruté.

La paupérisation des enseignants en 30 ans a asséché les concours de recrutement de professeurs certifiés et agrégés. Faute de candidats, les exigences de recrutement sont revues à la baisse. Les professeurs titulaires en nombre insuffisant sont remplacés par des contractuels dont la formation n’est pas toujours à la hauteur de ce que les élèves devraient pouvoir trouver dans les établissements d’enseignement public.

La formation des instituteurs a été déstructurée pour les transformer en professeurs des écoles, seul moyen trouvé alors pour justifier la nécessaire augmentation de leur salaire qui n’avait pourtant pas besoin d’autre justifications que le travail excellent qu’ils faisaient dans l’ensemble depuis longtemps. Ils étaient correctement formés dans les écoles normales pour donner aux élèves de l’enseignement primaire ce dont ils avaient besoin pour disposer des savoirs fondamentaux. Aujourd’hui, ils doivent être titulaires d’un master d’une discipline quelconque sans plus disposer de la formation nécessaire à l’exercice du métier réel qui est le leur. L’évaluation du niveau des élèves en 6e témoigne de façon éloquente du fiasco de cette politique de gribouille.

En ce moment même on fait perdre un temps considérable à des dizaines de milliers d’enseignants pour qu’ils adhèrent à des contrats leur permettant de gagner quelques sous de plus moyennant des charges de travail supplémentaires qui les éloigneront de l’enseignement, tout cela pour ne pas procéder à une réévaluation urgente, nécessaire et importante du salaire des enseignants pour redonner de l’attractivité à ce métier.

Enfin il faudrait limiter l’interventionnisme des familles dans la vie des établissements scolaires, garantir aux enseignants la sérénité dans l’exercice de leur métier qui est d’abord celui de transmettre des connaissance et non d’éduquer au « « savoir-être, voire au « savoir paraître » si cher aux managers en tout genre. La France a besoin de jeunes qui possèdent parfaitement leur langue maternelle, ce qui est loin d’être le cas, qui disposent d’une formation scientifique solide, alors que nous sommes en plein décrochement dans ce domaine essentiel pour l’avenir du pays. Il faut épargner au système scolaire les demandes nouvelles incessantes de formation des élèves dans des domaines les plus divers, de la bienveillance à l’écologie vidée de tout contenu scientifique et réduite à un prêchi-prêcha moralisateur qui suscite plus souvent le rejet des élèves que leur adhésion.

Le résultat mesurable de toutes ces réformes visant soi-disant à démocratiser l’école, c’est que non seulement l’école ne réduit plus les écarts d’origine sociale, ne se contente pas de les reproduire, mais qu’elle les aggrave.

Madame Oudéa-Castera doit quitter le gouvernement

Mme Oudéa – Castera, ministre de l’éducation nationale depuis peu, a menti sur les raisons qui l’avaient conduite à inscrire ses enfants à l’école privée de luxe « Stanislas » plutôt qu’à l’école maternelle publique Littré. Cela est maintenant bien documenté et l’on ne comprend pas l’acharnement du président de la République et du Premier ministre à la maintenir à un poste qu’elle n’est pas digne d’occuper. Enseigner aux enfants à ne pas mentir est le premier devoir des adultes et devrait être particulièrement celui d’une ministre de l’éducation nationale.

La ministre a menti également dans un autre domaine, celui de ses rémunérations passées. Le Monde du 17 janvier indique qu’une enquête préliminaire a été ouverte contre le président de la fédération française de tennis pour avoir menti à la commission parlementaire sur les dérives des fédérations de sport, au sujet de la rémunération perçue par Mme Oudéa lorsqu’elle travaillait pour la FFT (soit 356 440 euros nets perçus en 2021 et un salaire annuel brut de 500 000 euros, prime d’objectifs comprise). Le président de la FFT a expliqué à la commission parlementaire qu’il n’y avait là rien d’exceptionnel et que le prédécesseur de Mme Oudéa gagnait à peu près la même chose. Or, il est apparu que le « pauvre » prédécesseur ne gagnait « que » 20 000€ /mois, une misère en comparaison du salaire de Mme Oudéa. Celle-ci a également menti lors de son audition par la Commission parlementaire, puis envoyé une lettre à ladite commission pour corriger ses déclarations mensongères, ce qui lui épargnera, semble-t-il, d’être elle-même poursuivie pour parjure.

Sa déclaration d’intérêt auprès de la haute autorité pour la transparence de la vie publique ferait état de la possession d’une maison individuelle de 469 m² dans le 6e arrondissement de Paris pour une valeur de 960 000€, soit 2047€ le mètre carré dans l’arrondissement le plus cher de la capitale. Il y a là un art de la négociation immobilière qui mérite d’être partagé car le site seloger.com indique que le prix moyen de vente d’une maison à Paris est de 10 285€ le mètre carré ; encore s’agit-il d’un prix moyen et non d’une maison située dans le 6e arrondissement.

Madame Oudéa-Castera et donc complètement disqualifiée pour occuper une fonction ministérielle et particulièrement la responsabilité du ministère de l’éducation nationale après qu’elle s’est mise dans l’impossibilité d’être une interlocutrice disposant d’un minimum de crédibilité vis-à-vis de ceux qui en constituent l’essence même, les enseignants et leurs représentants travaillant dans l’enseignement public. Il faudrait donc qu’elle parte au plus vite.

 

Jean-François Collin

Le 18 janvier 2024

Références

(1)https://www.cairn.info/publications-de-Pascale-Petit–6745.htm

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Emmanuel Macron a annoncé le 8 mars, à l’occasion de la journée des droits des femmes, qu’il allait préparer dans les mois qui viennent un projet de loi visant à inscrire dans la constitution « la liberté pour les femmes de recourir à l’avortement ».

Cette annonce n’est pas un scoop.

Au lendemain de l’arrêt rendu par la Cour suprême des États-Unis d’Amérique, le 24 juin 2022, dans l’affaire « Dobbs vs. Jackson Women’s Health Organization », la présidente du groupe parlementaire Renaissance, Aurore Bergé, soutenue par la Première ministre Élisabeth Borne, avait annoncé qu’elle proposerait d’inscrire le droit à l’avortement dans notre constitution. Bien sûr, elle ne le faisait pas sans avoir reçu l’approbation préalable du Président de la République. On remarquera qu’il ne s’est rien passé depuis. Une annonce de plus sans lendemain, comme il y en a tant.

Mais arrêtons-nous un instant sur le sujet. Pourquoi une décision de la Cour suprême américaine rendait-elle nécessaire et urgente une modification de la Constitution française ?

Par l’arrêt en question, la Cour suprême américaine renversa sa jurisprudence précédente relative au droit à l’avortement aux États-Unis. Depuis 1973, elle considérait qu’il était garanti par la constitution fédérale des États-Unis, en conséquence de quoi il ne pouvait pas être remis en cause par une loi dans l’un des états fédérés (arrêt Roe vs. Wade). Quarante-neuf ans après, suivant les conclusions du juge Samuel Alito, elle prit un arrêt contraire et décida que la Constitution ne disait rien sur le droit à l’avortement, qu’elle était neutre sur ce sujet et qu’il revenait à chaque État américain de définir sa législation dans ce domaine. Cette décision de la Cour suprême donnait raison à l’État du Mississippi qui avait adopté une loi très restrictive sur l’avortement, dont la constitutionnalité était contestée par une clinique de Jackson qui pratiquait l’avortement. La décision de la Cour suprême n’interdit donc pas l’avortement aux États-Unis mais laisse aux cinquante États fédérés le droit de le faire.

Même si les liens entre la France et les États-Unis sont très forts depuis La Fayette et la guerre d’indépendance américaine, les décisions de la Cour suprême de ce pays n’ont jusqu’à présent aucune conséquence sur l’état de notre droit national, déjà très largement soumis au droit européen.

En France, le droit à l’avortement n’est menacé ni par nos lois ni par notre constitution. L’avortement est autorisé pour les femmes majeures ou mineures. Ce droit a été renforcé par une loi récente, promulguée le 2 mars 2022, qui porta de 12 à 14 semaines de grossesse le délai pendant lequel il est possible de recourir à une interruption volontaire de grossesse (IVG). Cette même loi a étendu aux sage-femmes la compétence de pratiquer des IVG chirurgicales. Elle a pérennisé l’allongement du délai de recours à l’IVG médicamenteuse (sept semaines contre cinq semaines jusqu’en 2020). Enfin, un répertoire recensant les professionnels et structures pratiquant l’IVG, librement accessible, doit être publié par les agences régionales de santé.

La seule vraie menace qui pèse sur le droit à l’avortement en France, c’est le délabrement de notre système de santé, le manque de médecins, de sage-femmes, d’infirmiers, d’aides-soignants dans les hôpitaux, le manque de soutien dont bénéficie le planning familial.

Si Emmanuel Macron veut vraiment préserver « la liberté de recourir à l’avortement » (c’est l’expression qu’il a employée le 8 mars), qu’il donne aux hôpitaux les moyens financiers et humains dont ils ont besoin et que son gouvernement leur refuse. Qu’il augmente les salaires des aides-soignants, des infirmiers et des médecins pour arrêter l’hémorragie de personnel qui entraine la fermeture de nombreux services d’urgence la nuit ou une partie de la semaine. Qu’il donne aux universités les moyens de former les personnels soignants dont la pays a besoin.

Au lieu de cela, il agite un projet de réforme constitutionnelle qui ne manquera pas de diviser la société française, il le sait, sur un sujet qui pour le moment ne pose aucun problème. Son but est de piéger la gauche, qui devra se rallier à cette proposition pour être fidèle à sa réputation progressiste. La NUPES demandera sans doute à remplacer l’expression « liberté de recourir à l’avortement » par celle de « droit à l’avortement » et finira par soutenir ce qu’elle considèrera tout de même comme un progrès. E. Macron veut aussi embarrasser la droite, Les Républicains et le Rassemblement national, qui devraient s’opposer à cette proposition et ainsi démasquer leur conservatisme viscéral, bien que Marine Le Pen se soit déclarée à titre personnel favorable au droit à l’avortement et à sa constitutionnalisation.

Je ne prétends pas qu’il y ait consensus en France sur le droit à l’avortement. Les représentants de différents cultes religieux y sont opposés, mais pour le moment, dans notre République laïque, ils ne font pas la loi. Souhaitons que cela dure. Mais aujourd’hui, ni du côté des partis politiques ni du côté de l’opinion publique française il n’existe de risques réels de remise en cause du droit à l’avortement, consacré par la loi du 17 janvier 1975 défendue par Simone Veil.

Au nom d’un risque imaginaire, il s’agit de faire diversion et de détourner le théâtre médiatique des périls et des problèmes bien réels auxquels les Françaises, puisqu’il s’agit d’elles en premier lieu, sont particulièrement confrontées.

Le problème bien réel et non virtuel auquel les femmes sont confrontées, elles l’ont dit dans la rue le 7 mars, c’est la réforme du régime des retraites que veulent imposer E. Macron et son gouvernement.

Des centaines de milliers de femmes ont manifesté dans toute la France contre le projet de loi du gouvernement réformant le régime des retraites dont l’application retarderait de deux ans l’âge légal de départ à la retraite. Les femmes étaient nombreuses dans la rue parce qu’elles sont plus durement frappées encore que les hommes par ce projet de loi. Leurs retraites sont déjà inférieures en moyenne de 20% à celles des hommes, à la fois parce que leurs salaires sont en moyenne inférieurs à ceux des hommes et parce que leurs carrières sont souvent interrompues, notamment par les maternités. Il existe aujourd’hui des correctifs visant à limiter partiellement cette inégalité par le biais de bonifications liées au nombre de leurs enfants. C’est ce qui permet à la très grande majorité des femmes de prendre leur retraite à taux plein à 62 ans. Le report de l’âge légal à 64 ans annulerait le bénéfice de ces bonifications. Le Sénat s’en est aperçu, d’ailleurs, et a tenté de corriger en partie cet effet délétère, parmi beaucoup d’autres, de la réforme Macron / Borne.

Il faut refuser la manœuvre politicienne du président de la République qui fera perdre du temps et de l’énergie au pays dans un débat inutile sur la Constitution, et travailler vraiment à l’amélioration de la situation des femmes, en leur permettant de partir à la retraite avec une pension suffisante à 62 ans, en augmentant leur salaire pour les porter au niveau de celui des hommes, en assurant l’égalité entre les femmes et les hommes au travail et dans leur vie.

N’inventons pas des menaces virtuelles sur le droit à l’avortement et préoccupons-nous des conditions concrètes de son exercice dans les hôpitaux et des conditions de vie et de travail des femmes.

Une souveraineté énergétique imaginaire

La constitution d’une commission d’enquête de l’Assemblée nationale en vue d’établir les raisons de la perte de notre souveraineté énergétique témoigne de la même virtualité du débat politique français. Cette commission devait s’intéresser à la « souveraineté énergétique de la France », d’après son intitulé, mais en réalité son travail n’a porté que sur l’électricité et plus spécifiquement sur l’énergie nucléaire.

Il faut rappeler que l’électricité ne représente qu’environ 20% de la consommation finale d’énergie des Français, tandis que 80% de celle-ci sont satisfaits par des énergies fossiles, principalement du gaz et du pétrole.

La vraie question qui se pose sur notre souveraineté énergétique est donc de savoir comment nous allons répondre à 80 % de nos besoins énergétiques par d’autres ressources que des hydrocarbures ou du charbon importés, et non de savoir si le nucléaire doit représenter plus ou moins de 50% de la production d’électricité.

Un esprit malicieux rappellerait également que nous importons la totalité de l’uranium utilisé dans nos réacteurs nucléaires et que la technologie utilisée pour développer le parc nucléaire français depuis 1974 est une technologie américaine. EDF a acheté la licence des réacteurs à eau pressurisée mis au point par Westinghouse et le gouvernement français de l’époque a arbitré en faveur de cette technologie, au détriment de la filière mise au point par le CEA, dite « uranium naturel graphite gaz » (UNGG), qui était nettement moins performante. En matière de souveraineté, on fait mieux.

De cela, il ne fut pas question devant la commission d’enquête parlementaire qui se passionna pour un tout autre sujet. Elle chercha à établir que François Hollande et le parti socialiste avaient porté atteinte à la souveraineté énergétique de la France en signant avec les écologistes, le 15 novembre 2011, un « contrat de mandature » en vue d’une victoire éventuelle de la Gauche aux élections présidentielle et législatives de 2012. Cet accord prévoyait notamment la « réduction de la part du nucléaire dans la production électrique de 75 % aujourd’hui à 50 % en 2025 ».

Plusieurs personnalités auditionnées par la commission, dont Manuel Valls, ont déclaré que cet accord ne s’appuyait sur aucune évaluation technique préalable. Les députés du parti du président de la République ont considéré qu’il s’agissait d’une nouvelle preuve de l’irresponsabilité incurable de la Gauche. Les autres partis de Droite, tous favorable au développement de l’énergie nucléaire, leur ont emboité le pas. La plupart des médias ont partagé leur jugement. Pas de doute, c’est à cause de cet accord entre les Verts et le PS en 2011 qu’EDF n’a pas produit assez d’électricité en 2022, qu’elle a dû importer massivement de l’électricité en 2022 et 2023 et que sa situation financière est catastrophique.

Pour ma part, je ne vois rien de scandaleux à l’absence d’évaluation technique par des experts d’une proposition d’un programme politique.  Cette manie de vouloir soumettre les programmes politiques à une évaluation d’experts est un dévoiement de la politique et explique en partie pourquoi les partis politiques ont subi une telle déconfiture. Les experts considéraient que la réduction de la journée de travail des enfants à 12 heures provoquerait une catastrophe économique lorsque cette mesure a été prise ; ils pensaient que les congés payés étaient inenvisageables, tout comme la semaine de travail de 40 heures.

De plus, il est faux de dire qu’il n’existait aucune évaluation des conséquences des différents choix possibles au début du mandat de François Hollande. L’administration française, malgré son tropisme nucléaire très fort, et de nombreux instituts publics et privés disposaient de différents scénarios d’évolution de notre mix électrique.

L’ADEME, l’agence pour la maîtrise de l’énergie, un établissement public placé sous la tutelle de l’État, présente depuis longtemps des scénarios alternatifs à une production électrique reposant pour les 3/4 sur l’énergie nucléaire.

Le Parlement français a adopté en 2015 une « loi relative à la transition écologique et à la croissance verte » dont l’un des 215 articles prévoyait le plafonnement de la part du nucléaire dans la production électrique française à 50% en 2025. Quoi que l’on puisse penser de cette loi, il ne s’agit pas d’un accord politique signé sur un coin de table. Elle a donné lieu à des débats très longs au Parlement avant d’être adoptée et elle était accompagnée, comme tout projet de loi, d’une étude d’impact.

Le niveau très élevé des importations françaises d’électricité depuis l’automne 2022 n’a rien à voir avec l’accord politique conclu par François Hollande avec les écologistes.

La raison réside tout simplement dans la mise à l’arrêt de la moitié du parc nucléaire pendant une bonne partie de l’année en raison de graves dysfonctionnements des réacteurs nucléaires mettant en cause la sûreté de leur fonctionnement. Au cours de l’année passée ce sont des fissures apparues sur des tuyaux et des soudures de circuits essentiels au fonctionnement des réacteurs, dont la rupture serait dramatique pour le personnel travaillant dans ces centrales et la population, qui ont conduit l’autorité de sûreté nucléaire et l’exploitant EDF à décider de la mise à l’arrêt des centrales concernées.

Le gouvernement de François Hollande, auquel je fais personnellement beaucoup de reproches, n’est en rien responsable de cette situation.

Les réacteurs de 900 mégawatts construits entre 1974 et le milieu des années 80 ont été conçus pour fonctionner quarante ans. C’est en tout cas ce que disait le président d’EDF de l’époque, Marcel Boiteux, qui passe pour l’un des plus grands présidents que cette entreprise ait connus. Ces réacteurs atteignent maintenant cet âge, mais EDF souhaite prolonger leur exploitation jusqu’à 50 ans et maintenant jusqu’à 60 ans.

La décision du maintien en exploitation est prise par l’exploitant, après autorisation de l’autorité de sûreté nucléaire, sous réserve de travaux de rénovation très importants permettant de garantir le bon fonctionnement des réacteurs pour la décennie suivante.

EDF a pris beaucoup de retard dans la mise en œuvre de ce programme dit de « grand carénage », parce que les travaux se sont avérés plus compliqués à réaliser que prévu, parce que EDF dépend d’entreprises sous-traitantes très nombreuses qui ne sont pas toujours mobilisables au moment où elle le souhaite ; parce que le Covid a perturbé les conditions de travail et d’approvisionnement en matériaux et pièces détachées ; et peut-être aussi parce que l’entreprise n’avait pas suffisamment anticipé l’importance des travaux à réaliser et des problèmes qu’elle allait rencontrer.

Il faut souligner que les réacteurs les plus récents ne sont pas épargnés par ces problèmes de fissures. L’autorité de sûreté nucléaire vient de communiquer, en ce début de mois de mars, sur de nouvelles fissures découvertes sur un réacteur situé à Penly, mis en service en 1992 (quatre réacteurs seulement sur 56 ont été mis en service après 1992). L’Autorité de Sûreté Nucléaire précise que la fissure s’étend sur 155 millimètres, soit environ le quart de la circonférence de la tuyauterie, et que sa profondeur maximale est de 23 millimètres, pour une épaisseur de tuyauterie de 27 millimètres. En clair, cela signifie que nous n’étions pas loin de la rupture de cette tuyauterie qui aurait eu des conséquences très graves. Il y a donc de sérieuses raisons de s’inquiéter, d’autant que des fissures de même nature sont apparues en même temps sur deux autres réacteurs exploités par EDF.

Comme EDF construit les réacteurs nucléaires par séries, afin de bénéficier d’économies d’échelle, les défauts constatés sur l’un des réacteurs risquent fort de l’être sur les autres réacteurs de la même série. C’est ce qui explique la mise à l’arrêt de la moitié du parc nucléaire pendant plusieurs mois de l’année 2022 et non un complot ourdi en 2011 pour nuire à l’efficacité de la production d’électricité d’origine nucléaire.

La seconde raison expliquant ce déficit de production d’EDF en 2022, c’est le retard pris par l’entreprise pour achever la construction du réacteur de nouvelles générations de type EPR à Flamanville. La décision de construire ce réacteur a été prise en 2004 par le Conseil d’administration d’EDF. Son président François Roussely était pressé de prendre cette décision par Nicolas Sarkozy qui souhaitait, déjà, un nouveau développement de l’énergie nucléaire en France. La construction de ce réacteur a débuté en 2007 pour une livraison prévue en 2011. En 2023 la construction du réacteur de Flamanville 3 n’est toujours pas achevée et sa date de mise en service est repoussée de semestre en semestre. Sa construction devait coûter moins de 4 milliards d’euros ; la facture finale sera de l’ordre de 20 milliards.

La production d’électricité par ce réacteur, encore virtuel lui aussi, d’une puissance de 1600 mégawatts, faisait partie des prévisions de production d’EDF en 2022 et 2023. Son incapacité à livrer dans les délais prévus cet outil de production pèse lourdement dans le bilan global d’EDF.

Cette succession de défaillances de l’électricien national l’a obligé à importer massivement de l’électricité en provenance de l’Union européenne, au moment où l’invasion de l’Ukraine par la Russie provoquait une flambée des prix de l’énergie, notamment du prix de l’électricité. EDF achetait à prix d’or de l’électricité sur les marchés étrangers qu’elle devait revendre à bas prix sur le marché français en raison de la réglementation du marché de l’électricité acceptée par Nicolas Sarkozy et François Fillon en 2010. Pour satisfaire la commission de l’Union européenne et faire comme s’il existait une vraie concurrence sur ce marché en France, le mécanisme de l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH), créé par une loi du 7 décembre 2010, oblige EDF à vendre le quart de sa production environ, soit 100 térawattheures (portés à 120 TWh en 2022 par le gouvernement), à des distributeurs privés qui ne produisent rien mais font du commerce en s’interposant entre le producteur d’électricité et le consommateur.

Ce système parfaitement aberrant est la conséquence de la libéralisation du marché de l’énergie que les gouvernements français successifs ont accepté et voté dans les instances européennes. Il est aussi la conséquence de l’incapacité du gouvernement français à défendre les spécificités de l’organisation de la production électrique en France.

D’autres adaptations viendront encore après la nationalisation récente d’EDF que le gouvernement français devra faire avaliser par la commission de l’Union européenne qui lui imposera de nouvelles conditions.

Enfin, il faudra bien discuter sérieusement, un jour, de la question du coût de l’électricité nucléaire. La Commission de régulation de l’énergie vient d’ailleurs d’indiquer qu’elle allait réviser à la hausse son estimation du coût de production du mégawattheure d’électricité d’origine nucléaire.

Les réacteurs nucléaires construits aujourd’hui produisent une électricité beaucoup plus chère que celle produite par toutes les sources d’énergie renouvelables. C’est sans doute la raison pour laquelle aucun investisseur privé ne veut financer la construction de réacteurs nucléaires, le risque étant beaucoup trop grand lorsqu’il est comparé aux revenus qui peuvent être tirés de cette activité.

C’est pourquoi les pays qui construisent aujourd’hui des réacteurs nucléaires sont principalement des régimes autoritaires. La Chine et la Russie dominent cette industrie au niveau mondial et sont les seuls à construire des réacteurs nucléaires en dehors de leurs frontières, avec EDF qui rencontre dans cet exercice les plus grandes difficultés. En Finlande la construction du réacteur d’Olkiluoto ne s’est pas mieux déroulé que celle du réacteur de Flamanville 3. Ce naufrage industriel a entraîné la faillite d’Areva dont le coût a été supporté par l’État, c’est-à-dire les contribuables, et EDF, c’est-à-dire les consommateurs d’électricité. En effet, le gouvernement a contraint EDF à racheter Framatome qui était une filiale d’Areva. Aucun responsable de ce fiasco qui a couté plusieurs milliards n’a été inquiété.

EDF construit actuellement deux réacteurs de type EPR au Royaume-Uni, à Hinkley-Point. Le démarrage de ces réacteurs était prévu pour 2025 lors de la signature du contrat. Il a déjà été reporté à 2027. Il en résultera une augmentation de la facture d’au moins 3 milliards de livres sterling. Le contrat était fondé sur un prix garanti par le gouvernement britannique qui assurait théoriquement la rentabilité de l’investissement à EDF, sur la base des prévisions initiales de coûts de la construction de ces deux réacteurs. Le gouvernement du Royaume-Uni n’acceptera pas de renégocier ces conditions et les augmentations du coût de la construction diminueront d’autant la rentabilité de l’investissement pour l’électricien français.

Le prix garanti accordé par les Britanniques était d’environ 109€ par mégawatt en monnaie de 2022. Cela donne une indication sérieuse sur le coût réel de production de l’énergie nucléaire. Les coûts de production des énergies renouvelables sont inférieurs de plus de moitié au prix garanti de l’électricité nucléaire accepté par les Britanniques pour Hinkley Point.

Macron peut justifier son choix de développer l’énergie nucléaire par sa volonté de maintenir cette industrie en France, par la préservation des emplois du secteur, par la complémentarité entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire. Il faudra en tout cas qu’il explique pourquoi il choisit un moyen de produire de l’électricité à des coûts supérieurs à ceux des pays concurrents. Et il faut cesser d’expliquer aux Français qu’ils bénéficient de l’électricité la moins chère d’Europe car ce n’est plus vrai.

Dans le monde entier, on ferme plus de réacteurs nucléaires qu’on n’en construit et la part de l’électricité nucléaire dans l’électricité produite dans le monde ne cesse de diminuer. Elle était supérieure à 17% en 1996, elle est inférieure à 10% aujourd’hui. Faut-il en conclure que le monde entier fait preuve d’aveuglement quand la France seule a raison de confirmer, par la voix d’Emmanuel Macron et celle de cette commission d’enquête parlementaire, que l’avenir est dans le développement de l’électricité d’origine nucléaire ?

Je pense plutôt que nos débats politiques s’égarent loin de la réalité, dans un monde virtuel peuplé de chimères que les responsables politiques n’osent pas confronter à la réalité faute d’avoir prise sur elle.

La réalité finit toujours par se venger lorsqu’on l’ignore trop longtemps. C’est pourquoi il est important d’essayer d’y revenir sans cesse et d’essayer de la retrouver derrière le brouillard de la communication gouvernementale.

Jean-François Collin

9 mars 2023

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