Exploration minière des grands fonds marins : la Norvège franchit le cap malgré les contestations

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Le mardi 9 janvier, les parlementaires norvégiens ont voté en faveur de l’exploration minière d’une partie de ses grands fonds marins. C’est l’archipel arctique de Svalbard qui fera l’objet des premières explorations : plus de 280 000 kilomètres carrés.

La Norvège devient ainsi l’un des premiers Etats au monde à autoriser ces explorations qui ont pour objectif final de faire du pays l’un des grands producteurs mondiaux de minerais. Le Royaume espère à moyen-terme être un maillon essentiel du commerce mondial de cuivre, manganèse, colbalt, zinc ou encore de lithium. Autant de métaux stratégiques nécessaires à la production de nombreux appareils électroniques mais également à la transition énergétique : « Nous avons besoin de minéraux (car) nous devons mener une transition verte sous la forme de cellules et de panneaux solaires, de voitures électriques, de téléphones mobiles », explique la députée travailliste Marianne Sivertsen Naess, cité dans les Echos(1).

Au-delà des enjeux commerciaux, la Norvège souhaite ainsi réduire sa dépendance (qui est d’ailleurs commune à l’ensemble des pays européens) vis-à-vis de la Russie et de la Chine en métaux stratégiques. L’exploitation des métaux stratégiques que contiennent les grands fonds marins répond, selon le Premier ministre Jonas Gahr Støre, constituerait un atout indénaible pour l’industrie norvégienne.

Une autorisation parlementaire sur fond de contestation

Loin de faire l’unanimité, l’autorisation de la prospection minière des grands fonds marins a entraîné des manifestations de militants internationaux et d’associations environnementales. L’extraction des minerais pourrait avoir des répercussions irréversibles sur des habitats naturels et des espèces encore peu connus mais possiblement essentiels pour l’écosystème. Le risque est également grand d’endiguer la capacité d’absorption du plus grand réservoir mondial de carbone qu’est l’océan. 

Selon Forde Pleym, à la tête de l’entité norvégienne de Greenpeace, cité par Les Echos « la Norvège risque de créer un précédent », qui permettra « à d’autres pays de faire de même ».

Deux mois auparavant, de nombreux parlementaires européens avaient également interpellé les députés norvégiens sur la dangerosité de l’extraction des minerais des fonds marins en rappelant notamment les travaux du Conseil consultatif des académies européennes des sciences (EASAC, ce dernier ayant alerté les responsables politiques sur ce sujet dès l’été 2023)

Une mobilisation de la France et du Royaume-Uni pour la tenue d’un moratoire international

Si la Norvège crée un précédent à l’exploitation des grands fonds marins, d’autre pays (24 au total) militent à l’inverse pour l’organisation d’un moratoire international. C’est le cas notamment de la France et du Royaume-Uni qui ont affirmé leur opposition ferme à tout projet d’exploitation minière sous-marine.

Le contexte est néanmoins marqué par l’accroissement des pressions pour l’ouverture des droits d’exploitation. L’Autorité internationale des fonds marins, organisation onusienne en charge de ces de la régulation de ces activités dans les eaux internationales doit par ailleurs se réunir en 2024 et statuer sur un possible premier code minier mis au vote pour 2025.

Références

(1)https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-norvege-lance-la-prospection-miniere-de-ses-fonds-marins-2045453

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Twitch, ou l’ubérisation du divertissement

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La révolution Twitch : quand le streaming de jeux vidéo redéfinit le divertissement en ligne

Tout a commencé en 2011 lorsque Justin Kan et Emmett Shear, les fondateurs de Justin.tv, ont décidé de se concentrer sur une nouvelle idée : la diffusion en direct de jeux vidéo. C’est ainsi qu’est née Twitch.tv, une plateforme dédiée exclusivement au streaming de jeux vidéo. Les premières diffusions étaient simples, souvent réalisées depuis les chambres des streamers passionnés.

Twitch a su attirer rapidement une communauté de joueurs avides de partager leurs expériences en direct. Au fil des ans, elle a connu une croissance exponentielle. En 2013, la plateforme comptait déjà plus de 45 millions de téléspectateurs uniques par mois, et elle est rapidement devenue la référence en matière de streaming de jeux vidéo. Les streamers les plus populaires sont devenus de véritables célébrités numériques, attirant des milliers voire des millions de spectateurs à chaque diffusion.

La montée en puissance de Twitch a remis en question les méthodes traditionnelles de diffusion de divertissement, notamment la télévision et le cinéma. Tandis que la télévision et le cinéma sont des médias passifs où les spectateurs sont de simples consommateurs, Twitch offre une expérience interactive en temps réel. Les spectateurs peuvent discuter avec les streamers, poser des questions et même influencer le déroulement du jeu. Cela crée une connexion plus forte entre les créateurs de contenu et leur public, une dynamique absente dans les médias traditionnels.

Twitch a aussi radicalement démocratisé la diffusion de contenu. Pour devenir créateur sur Twitch, vous n’avez pas besoin de matériel coûteux ou de studios de production sophistiqués. Une simple webcam et une passion pour un sujet suffisent pour commencer à diffuser en direct. Cela contraste fortement avec les normes élevées de l’industrie cinématographique et télévisuelle, où la production de contenu est souvent réservée à un petit nombre. En outre, la variété et la niche du contenu sur Twitch sont inégalées. La plateforme permet la diffusion de contenus allant des jeux vidéo aux discussions en direct sur des sujets spécifiques, en passant par la musique et les arts. Cette diversité offre aux spectateurs la possibilité de trouver des contenus qui correspondent à leurs intérêts précis, ce qui est rarement possible dans les médias traditionnels, qui visent souvent un public plus large et généraliste.

Enfin, Twitch offre une monétisation directe aux créateurs de contenu. Les streamers ont la possibilité de générer des revenus directement à partir de leur audience, que ce soit par le biais de dons, d’abonnements payants ou de publicités. La possibilité de monétiser leur passion distingue les créateurs de contenu sur Twitch des modèles de rémunération traditionnels, où les artistes peuvent souvent dépendre de maisons de production ou de chaînes de télévision, mais cela ne garantit pas un revenu à tous. En fait, selon un sondage réalisé en 2023 par l’Institut OnePoll auprès de plus de 2000 streamers, seuls 51% d’entre eux ont réussi à générer des revenus grâce au streaming.

Parmi ceux qui ont réussi à gagner de l’argent, le revenu annuel moyen s’élevait à 1264 $, ce qui équivaut à environ 100 $ par mois, un montant relativement modeste. En créant une nouvelle économie précaire, l’ubérisation du divertissement peut avoir des conséquences profondes sur les travailleurs indépendants qui cherchent à percer dans l’industrie du contenu en ligne. Bien que l’accès à la création de contenu en temps réel soit devenu plus facile que jamais, cela ne vient pas sans son lot de défis. De nombreux petits streamers se retrouvent dans une situation précaire, dépendant largement des dons, des abonnements et des contrats de parrainage pour leur subsistance financière. L’absence de sécurité de l’emploi et la dépendance vis-à-vis de la générosité de leur communauté peut entraîner une instabilité financière constante. La précarité économique est l’une des réalités les plus marquantes de l’ubérisation du divertissement, et elle met en lumière les inégalités financières qui existent entre les créateurs de contenu établis et ceux qui cherchent encore à se faire un nom.

L’impact de Twitch sur les industries du divertissement traditionnel

Twitch ne se limite pas à redéfinir le divertissement en ligne, il exerce également une influence significative sur les industries du divertissement traditionnelles telles que la télévision et le cinéma.

Tout d’abord, l’impact sur les industries traditionnelles est palpable. La popularité croissante de Twitch a entraîné une migration de l’audience des médias traditionnels vers le contenu en direct en ligne. Les émissions de télévision, en particulier les événements sportifs en direct, ont vu leur part d’audience diminuer au profit des streams de jeux vidéo et d’autres contenus en direct sur Twitch. Selon des données récentes, la part d’audience des événements sportifs en direct à la télévision a connu une diminution de 15% au cours des deux dernières années. Cette concurrence inattendue a incité les médias traditionnels à revoir leur stratégie pour rester pertinents dans un paysage médiatique en mutation constante.

De plus, Twitch a radicalement changé les habitudes des consommateurs. Les jeunes générations sont de plus en plus enclines à s’éloigner des médias traditionnels pour se tourner vers des plateformes en ligne, où la personnalisation et l’interaction sont la norme. Les spectateurs préfèrent désormais suivre des streamers qu’ils considèrent comme des pairs plutôt que des célébrités de la télévision. Par exemple, selon une enquête récente, 65% des personnes âgées de 18 à 34 ans préfèrent suivre des streamers sur des plateformes en ligne plutôt que de regarder des célébrités à la télévision. Le plus populaire d’entre eux reste Squeezie avec près de 5 millions d’abonnés. Face à cette nouvelle forme de divertissement, les médias traditionnels ont dû réagir. De nombreuses chaînes de télévision ont commencé à diffuser leurs contenus sur des plateformes de streaming en direct pour atteindre un public en ligne, comme BFMTV ou encore France Télévisions. Certains studios de cinéma ont même expérimenté la diffusion en direct de bandes-annonces et de contenus exclusifs sur Twitch pour créer un engagement plus direct avec les spectateurs. Cette réponse montre que l’industrie du divertissement traditionnelle reconnaît l’importance croissante de Twitch et cherche à s’adapter à cette nouvelle réalité.

Les défis de Twitch : de l’importance de la modération à la santé mentale

L’ascension fulgurante de Twitch n’est pas exempte de défis et de critiques importants, qui mettent en lumière les complexités de cette plateforme. Tout d’abord, les problématiques liées à la régulation du contenu sont devenues un enjeu majeur. Twitch est confronté à la nécessité de maintenir un équilibre entre la liberté d’expression de ses streamers et la nécessité de modérer le contenu pour éviter les discours de haine, la violence, ou d’autres formes de contenus inappropriés.

Les cas de streamers bannis pour des comportements répréhensibles ont suscité des débats sur la modération et la transparence des règles de la plateforme. Cette situation souligne les défis de la modération en ligne et les conséquences potentielles pour les créateurs de contenu dont la liberté d’expression peut être limitée. De plus, les débats sur les questions de droits d’auteur sont récurrents sur Twitch. Lorsque les streamers diffusent de la musique ou utilisent des éléments protégés par des droits d’auteur dans leurs streams, cela peut entraîner des réclamations de droits d’auteur et des sanctions.

La tension entre la création de contenu original et l’utilisation de médias protégés par des droits d’auteur soulève des questions complexes quant à la manière dont les droits de propriété intellectuelle sont appliqués dans cet environnement en évolution rapide. Les streamers peuvent se retrouver confrontés à des problèmes juridiques et à des pertes financières en raison de ces litiges liés aux droits d’auteur, ce qui ajoute une couche de complexité à leur expérience sur la plateforme.

Les défis en matière de santé mentale et de bien-être des streamers demeurent aussi préoccupants. Les streamers passent souvent de longues heures en direct pour satisfaire leur audience, ce qui peut avoir un impact négatif sur leur santé physique et mentale. Les pressions liées à la notoriété, à la performance constante et à la gestion de la vie privée en ligne sont autant de défis auxquels les streamers sont confrontés. Ces défis ne sont pas les seuls problèmes auxquels Twitch doit faire face.

Une conséquence notable de l’ubérisation sur des plateformes comme Twitch est la concentration du pouvoir entre les mains de ces grandes entreprises. Ces plateformes exercent un contrôle considérable sur les créateurs de contenu en dictant les règles du jeu, les algorithmes de recommandation, et les conditions de monétisation. Cette inégalité de pouvoir entre les créateurs et les plates-formes peut avoir des implications majeures, notamment en ce qui concerne la visibilité des créateurs, la répartition des revenus et la suppression de contenu. Les décisions de modération prises par ces plateformes peuvent également soulever des questions sur la censure et la liberté d’expression.

Le futur de Twitch : réalité virtuelle, streaming HD et croissance continue

Malgré les critiques, Twitch présente un avenir prometteur, à condition qu’elle s’adapte aux innovations technologiques et aux tendances émergentes. La réalité virtuelle (RV) et la réalité augmentée (RA) ouvrent des horizons passionnants pour les streamers, offrant la possibilité de créer des expériences encore plus immersives. Imaginez des streamers interagissant avec leur public au sein d’environnements virtuels époustouflants, créant ainsi de nouvelles formes captivantes de divertissement. De plus, les avancées dans la diffusion en continu à haute résolution et à faible latence promettent d’améliorer considérablement la qualité des expériences de streaming, renforçant ainsi l’attrait de Twitch.

En ce qui concerne l’avenir de Twitch et des plateformes similaires, les prédictions pointent résolument vers une croissance continue. Les audiences en ligne ne cessent de croître, et la diversification des contenus proposés sur Twitch contribue à élargir son public. Autrefois principalement axée sur les jeux vidéo, la plateforme s’est métamorphosée en un espace où l’on peut trouver des contenus aussi variés que des performances musicales, des débats en direct, des séances de création artistique et bien plus encore.

Cette diversité offre aux spectateurs la possibilité de découvrir des contenus qui correspondent précisément à leurs centres d’intérêt, une caractéristique rarement présente dans les médias traditionnels, qui ciblent souvent un public plus large et généraliste. Les partenariats stratégiques avec des entreprises de médias traditionnels et la diffusion d’événements en direct d’envergure internationale renforcent encore la position de Twitch en tant qu’acteur incontournable du divertissement en ligne. Ces collaborations favorisent l’accessibilité aux contenus traditionnels sur la plateforme, tout en offrant une expérience interactive aux spectateurs.

En résumé, Twitch incarne l’ubérisation du divertissement à son apogée. Cette plateforme a connu une ascension fulgurante, révolutionnant notre manière de consommer et d’interagir avec le contenu en ligne. Elle est passée du statut de plateforme modeste à celui d’acteur incontournable de l’industrie du divertissement, grâce à des caractéristiques telles que l’accessibilité, la monétisation directe et l’interaction en temps réel. Cependant, Twitch doit également faire face à des défis, notamment la régulation du contenu, les droits d’auteur et le bien-être des streamers. En fin de compte, Twitch offre un aperçu fascinant de l’avenir du divertissement, où l’ubérisation ouvre la voie à une ère d’interactivité, de personnalisation et d’accessibilité accrues, plaçant le public au cœur de la création et de la consommation de divertissement.

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BATTLE ROYALE de Kinji Fukasaku, une dystopie macabre dans un Japon décadent

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De Battle Royale je ne savais rien, si ce n’est qu’il est communément décrit comme un film culte. Si j’avais déjà dû croiser le nom de Fukasaku quelque part, je n’y associais aucun film en particulier. Logique puisqu’en réalité je ne connais pas grand-chose du cinéma japonais – pourtant si riche. Je me souviens toutefois bien de ma première (vraie) rencontre avec celui-ci : c’était à la Cinémathèque française pour une séance à 1€ dans le cadre d’une rétrospective de l’œuvre d’Akira Kurosawa (1910-1998). J’y découvrais le quasi mythique Rashômon (1950) d’un réalisateur surnommé « l’Empereur » par ses pairs et dont la Cinémathèque nous dit qu’il ouvrit alors les portes de l’Occident au cinéma japonais… Rien que ça. J’étais évidemment conquis, à tel point que je m’empressais d’y retourner pour voir le monumental Ran (1985), une séance inoubliable. Bref, voilà pour la première rencontre.

La deuxième, c’est le superbe cinéma associatif Videodrome 2(1) de Marseille qui me l’a proposée en diffusant le fameux Battle Royale de Fukasaku, adaptation d’un roman du même nom de Kōshun Takami (1999), dans le cadre d’une programmation consacrée aux teens movies. Celles et ceux qui ne connaissent pas encore le film ont peut-être entendu parler du genre de jeu vidéo qui en a adopté le nom (PUBG, Fortnite ou encore Call of Duty en sont quelques exemples). Ceux-là auront compris que, de la Battle Royale de Fukasaku, les spectateurs eux-mêmes ne reviennent pas indemnes.

Le ton est donné dès les premières secondes du générique qui s’ouvre sur le rythme trépidant et sinistre du Dies Irae du Requiem de Verdi. Une messe des morts en guise d’introduction… Sous les coups lourds de la grosse caisse et des timbales, on suit une cohorte de journalistes surexcités se ruer vers un groupe de militaires dans un tohu-bohu complet. On aperçoit alors, progressivement, l’objet de toute cette agitation : une jeune fille, doudou à la main, recouverte de sang et souriant diaboliquement de toutes ses dents. La voici, la survivante de la dernière Battle Royale, jeu de survie grandeur nature décrété par les pouvoirs publics dans un Japon futuriste, décadent et en perte de repères. C’est là l’ultime recours pensé pour contrer l’effondrement de l’autorité des adultes sur la jeunesse dans un contexte de crise politique, économique et morale. Tous les ans, une classe d’élèves tirée au sort est conduite sur une île déserte où les jeunes gens disposent précisément de trois jours pour s’entretuer, un seul d’entre eux pouvant repartir vivant de cet infâme massacre. Cette fois-ci, c’est l’ancienne classe du professeur Kitano qui est choisie, ce dernier s’étant retiré de l’enseignement après avoir été attaqué au couteau par l’un de ses élèves. Pensant partir pour leur voyage de fin d’année, les adolescents se réveilleront dans un semblant de salle de classe pour des retrouvailles lugubres avec Kitano. Une fois les règles du jeu posées et quelques exemples faits, chacun recevra un grand sac contenant quelques vivres, une carte et une arme – allant du fusil-mitrailleur au taser en passant par la hache, la serpette ou encore un couvercle pour casserole. Que le jeu commence…

Le thème de la violence est omniprésent dans ce film testamentaire de Kinji Fukasaku, âgée de 70 ans lors de sa sortie et décédé en 2003 au début du tournage d’une suite qui ne connaîtra pas la même célébrité. Le réalisateur japonais affronta d’ailleurs cette violence dès son adolescence alors qu’il travaille dans une usine d’armement pendant la Seconde Guerre mondiale. Explorant et travaillant le sujet au fil de sa carrière, c’est avec l’expérience d’un réalisateur célèbre de films yakuzas qu’il porte la violence à son paroxysme dans Battle Royale. Elle se loge partout ! Dans les combats évidemment, où une violence déjà débridée se trouve encore exaltée par l’adolescence de ses sujets. Dans la musique, avec la violence orchestrale et vocale de Verdi en ouverture. Dans le choix des plans et la représentation des adultes également. Dans les histoires personnelles des élèves encore, tous peu ou prou aux prises avec un passé ou un présent traumatiques.

Derrière ce chaos de violence, Fukasaku met en scène ainsi les émois de l’adolescence – autre grand thème du film. Un fil conducteur qu’il développe – parfois avec un humour savoureux – à travers les multiples personnalités des élèves interprétés avec talent par un groupe de jeunes acteurs. Parmi les meilleurs clichés, on retrouve ainsi l’adolescent puceau qui, sentant sa fin approcher se met en quête de l’ultime expérience sexuelle – au risque d’une émasculation impitoyable… Les filles ne sont pas en reste et certaines, se prêtant finalement de bon cœur au jeu, en profitent pour liquider des querelles de jalousie.  

Tout bien pesé, Battle Royale est un film réussi dont le vif succès ne réside pas seulement dans le suspens angoissé d’un thriller bien ficelé. Il s’explique sans doute aussi par la critique, lancée en toile de fond, des vices et risques de la société japonaise et d’une éventuelle « guerre des générations » opposant jeunes et adultes. « Qu’est-ce qu’un adulte pourrait dire à un enfant maintenant ? » s’interroge Takeshi Kitano à la fin du film. L’acteur, réalisateur et artiste au identités multiples est enfin l’une des raisons certaines du succès du film tant Kitano excelle dans le rôle du professeur blasé à mort et tyrannique.

Pour ma part, je me souviendrai du Battle Royale de Fukasaku comme d’un fier représentant de l’art de la discordance, parvenant à superposer certains des plus beaux airs de la musique classique à des scènes d’une violence inouïe, pour un résultat d’une beauté dérangeante. En cela, ce film m’a immanquablement fait penser au chef-d’œuvre (à mes yeux) de Werner Herzog, Leçons de ténèbres (1992), à cela près que le réalisateur allemand y filme des scènes bien réelles. Battle Royale est grotesque et génial à la fois. À voir absolument.

Références

(1)https://www.videodrome2.fr.

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Nucléaire de 3e et 4e générations : un tournant dans la stratégie européenne

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Le mardi 16 janvier un partenariat stratégique visant à accélérer le développement des technologies nucléaires de 4e génération (les réacteurs nucléaires avancés : en anglais advanced modular reactors, AMR) a été annoncé par les starts-up NAAREA et Newcleo. Elles ont déclaré au Figaro, Euractiv et l’AFP que ce partenariat concerne « le déploiement industriel, technologique scientifique et réglementaire » des AMR.

Ces réacteurs nucléaires avancés (AMR) rassemblent les technologies utilisant le combustible nucléaire usagé des filières existantes. Ils font partie de la famille des petits réacteurs nucléaires modulaires (small modular reactors, SMR, en anglais).

Comme indiqué à Euractiv, le Français NAAREA est spécialisé dans le développement d’un micro-générateur nucléaire « à neutrons rapides et sels fondus disposant d’une puissance électrique de 40 MW et d’une puissance de production de chaleur de 80 MW. Un prototype non nucléaire, c’est-à-dire non alimenté en combustible, est prévu pour 2026, tandis que le premier avec combustible est prévu à l’horizon 2030 »(1).

Le Britannique Newcleo quant à lui se focalise sur le développement de mini-réacteurs à neutrons rapides refroidi au plomb : l’un de 30 MW et l’autre de 200 MW. Le prototypage de ces deux mini-réacteurs est également prévu pour la deuxième partie des années 2020.

4 domaines de collaboration entre NAAREA et Newcleo

NAAREA et Newcleo ont défini quatre domaines de collaboration : le cycle du combustible, le financement des infrastructures liées au cycle, la recherche et le développement industriel. Les équipes des deux start-ups travaillent déjà ensemble sur le volet recherche.

David Briggs, directeur général adjoint de NAAREA indique que ce partenariat sera l’occasion de travailler à l’harmonisation des règles européennes en matière de sureté nucléaire. Il annonce également que ce partenariat prendra forme au sein d’une coopération plus large avec la Plateforme Technologique pour l’Energie Nucléaire Durable (acronyme anglais : SNETP)

A moyen-terme : créer des synergies à l’échelle européenne

Ce partenariat poursuit des objectifs directement opérationnels (comme celui de trouver dès 2024 des sites d’implantation pour leur prototype ou sécuriser l’approvisionnement et l’accès à la matière fissile) mais également des objectifs de moyen-long terme : créer des synergies à l’échelle européenne et intégrer à la dynamique de travail l’ensemble des start-ups de 4e génération.

Afin de répondre à ces objectifs David Briggs et Ludovic Vandendriesch (DG France de Newcleo) organiserons des comités de pilotage mensuels. Selon le premier « Le timing répond à la fois à l’urgence environnementale et à la nécessité de faire émerger des projets européens de 4e génération pour avoir des solutions face à la compétition chinoise ou américaine ».

Un partenariat favorisé par le plan d’investissements France 2030

NAAREA et Newclo sont toutes deux lauréates de l’appel à projets « Réacteurs nucléaires innovants », partie intégrante du plan d’investissement France 2030 dont les montants consacrés à la filière nucléaire s’élèvent à 1 milliard d’euros.

Les deux start-ups souhaitent néanmoins pouvoir bénéficier de financements européens à moyen-terme. L’alliance européenne sur les SMR pourrait selon elles favoriser la naissance d’un projet d’intérêt commun européen (PIIEC) sur le sujet, comme c’est déjà le cas sur celui des batteries. Comme précisé dans leur communiqué de presse, le partenariat entre NAAREA et Newclo s’inscrit effectivement dans la trajectoire prévue par la future alliance européenne sur les SMR.

Les SMR disposent d’avantages certains : capacité de déploiement sur des terrains variés (urbains, industriels, militaires, etc…), production d’électricité mais également de chaleur à usage industriel ou urbain, production d’hydrogène bas carbone voire dessalement « compétitif et durable de l’eau »(2), flexibilité de la production d’électricité, production à coût plus faible et plus rapide que les grands réacteurs…

L’alliance européenne sur le nucléaire

Annoncée pour début 2024 par le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton lors du World Nuclear Exhibition (WNE) et avant lui par le commissaire à l’Energie, Kadri Simson, l’alliance européenne sur les SMR poursuit comme objectif d’unifier l’ensemble des acteurs industriels du secteur autour du développement des réacteurs nucléaires du futur.

Seront pris en compte aussi bien les SMR de 3e génération que les AMR de 4e génération (génération sur laquelle travaille NAAREA et Newclo).

Selon Euractiv, l’alliance se développera autour de 7 groupes de travail :

  • « Développement », intégrant clients, vendeurs et développeurs ;
  • « Acceptabilité sociale », réunissant société civile, comité économique et social européen et ONGs ;
  • « Financement », avec les États membres et les développeurs ;
  • « Cycle du combustible », avec également États membres et développeurs ;
  • « Main-d’œuvre et compétences », réunissant les acteurs de la chaîne d’approvisionnement, de production et de vente ;
  • « Recherche », réunissant les acteurs de la recherche et du développement, de l’industrie et de l’octroi de licences ;
  • « Sécurité », dont les membres sont encore à définir.

L’administration de l’alliance sera prise en charge par un conseil comprenant les Etat membres le Groupe des régulateurs européens de la sûreté nucléaire (ENSREG). Le pilotage des travaux sera quant à lui assuré par Nuclear Europe et la Plateforme Technologique pour l’Energie Nucléaire Durable (SNETP).

La réussite de cette alliance est néanmoins conditionnée à l’évolution de la réglementation européenne en matière de nucléaire. Une condition qui semble partie pour être remplie. Les eurodéputés ont effectivement adopté à la mi-décembre une résolution(3) en faveur du développement des petits réacteurs nucléaires en Europe. Signe d’un changement de positionnement sur le nucléaire au sein des instances de l’union

Références

(1)https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/exclusif-cooperation-franco-britannique-inedite-sur-le-nucleaire-de-4e-generation/

(2) https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/large-soutien-du-parlement-europeen-pour-les-petits-reacteurs-nucleaires/

(3) https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2023-0456_EN.html

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La découverte

Soyons honnête : la question de mes gonades et de la plomberie afférente ne s’est longtemps posée qu’en termes de protection contre les chocs extérieurs et l’eau froide à la plage. À part ça, je ne leur demandais pas grand-chose, voire rien du tout, l’intéressant en la matière se situant alors pas très loin dans cette région mais… pas exactement là. Pendant des années, je ne me suis donc guère soucié de tout cela, renvoyant ces questions au moment où me viendrait l’idée saugrenue de me servir de l’ensemble du matériel dont la nature m’a pourvu non plus seulement pour me divertir mais dorénavant aussi pour l’objet final de son existence : me reproduire.

Et puis vint ce moment.

Et avec lui, les emmerdements.

En février 2016, après plusieurs mois de tentatives ludiques mais infructueuses, j’ai préféré avoir le cœur net quant à mes possibilités à entraîner des petits nageurs peut-être moins véloces que Michael Phelps mais, je l’espérais, plus sains. La grande chance que nous avons, mâles, en la matière, c’est qu’une telle vérification s’avère très simple. Une demande d’ordonnance à mon généraliste, un rendez-vous au laboratoire d’analyses médicales, un petit tour en cabine et c’est fini. L’objectif : si le résultat est bon, je suis rassuré, s’il est mauvais, je ne perds pas de temps en vaines tentatives et j’explore les possibilités que la médecine moderne nous offre.

Comme vous vous en doutez, il n’est pas bon.

Mais alors pas bon du tout.

Pas difficile de le comprendre, même sans avoir fait médecine, quand on lit des nombres où il manque pas mal de zéros pour atteindre la fourchette basse et, au verso de la feuille, le verdict aussi imbitable qu’implacable :

« Au total oligoasthénotératospermie sévère avec nécrozoospermie. »

Glups.

Première réaction : essayer de comprendre le charabia médical avec un peu d’étymologie :

Oligo : il n’y en a pas beaucoup.

Asthéno : ils font la gueule.

Térato : ce sont des monstres.

Sévère : ça pourrait être grave mais c’est pire.

Nécro : ils sont morts.

Re-glups.

Deuxième réaction : chercher en ligne ce que ça veut dire, en évitant à tout prix les sites de charlatans.

Résultat de la recherche : il y en a très peu, la plupart sont morts et ceux qui ne le sont pas font la gueule, et même une très très sale gueule. Bref, j’avais compris, merci.

Troisième réaction : en parler à MaChérie. Non parce que bon, elle est un peu concernée elle aussi, sur ce coup-là. Comme elle n’a pas fait médecine, elle non plus, elle en vient à la même conclusion que moi : faudrait peut-être reprendre rendez-vous avec le toubib fissa, avant de décider si la petite chambre accueillera notre enfant ou, finalement, notre bibliothèque. Et puis, surtout, on s’interdit d’aller faire des recherches plus longues sur ces sites et forums formidables que vous consultez pour un petit bouton sur la cuisse et qui vous trouvent immanquablement un cancer incurable.

Le diagnostic

Je blague, je blague mais franchement, je n’en menais pas large. On pourrait même appeler « jolie petite dépression » l’état dans lequel j’étais alors. Ce que je ne savais pas, c’est que ce n’était pas appelé à s’améliorer à court terme, au contraire !

Nous prenons donc rendez-vous avec notre généraliste, espérant une lecture scientifique rassurante des résultats du spermogramme. Avec une grande honnêteté, il reconnait ne pas pouvoir nous aider beaucoup, le sujet dépassant ses compétences, et nous dirige vers une gynécologue spécialiste de l’infertilité. En attendant, le moral continue de s’effondrer.

Le premier rendez-vous avec la gynéco arrive enfin et nous avons la chance de tomber sur quelqu’un qui allie humanité et compétence(1). Elle prend tout de suite les choses en main (eh oui) et nous explique dans le détail les différents scénarios possibles. Mais avant de pouvoir nous orienter, elle a besoin d’avoir un tableau médical complet… ce qui implique une batterie d’examens et d’analyses à réaliser l’un et l’autre… mais surtout moi.

S’ensuit donc une série de rendez-vous médicaux qui vont du franchement humiliant au carrément douloureux. Allez ! je ne résiste pas à une petite anecdote réjouissante. Alors que je me tiens dans une position fort peu valorisante pour l’ego, le praticien à côté de moi fait la tête de quelqu’un à qui on a vendu des petits pois qui ne veulent pas cuire. J’ose un : « Euh… tout va bien ? ». Réponse sépulcrale : « C’est vraiment pas la joie mais j’termine et j’vous explique. » Autant vous dire que les minutes qui ont suivi ont été très longues.

Chacun de ces examens cogne derrière le crâne comme un nouveau coup de bambou : à chaque fois les résultats sont pires que les précédents. Et avec l’accumulation de ces nouvelles, le moral s’enfonce dans des profondeurs que je n’avais que rarement explorées auparavant. S’y ajoute la culpabilité vis-à-vis de MaChérie. Ses examens à elle, même s’ils sont moins nombreux, n’ont pour certains rien à envier aux miens en termes de désagréments. Mais surtout ils révèlent une machinerie en parfait état de marche ! Youpi ! Évidemment, ce sont là de bonnes nouvelles, d’excellentes nouvelles même… mais vous le sentez venir le sentiment de responsabilité de l’échec ? « Tout va bien de son côté, du coup, si on ne peut pas avoir de gosse, c’est ma faute. » Raisonnement stupide et vain… mais plus fourbe et collant que le scotch du capitaine Haddock. Et dont l’amertume, hélas !, résiste même aux nombreuses discussions, à la tendresse et à la complicité du couple. Je pense que je ne m’en déferai jamais.

Tous ces examens réalisés, il est temps d’examiner les possibilités qui s’ouvrent à nous. Et, éventuellement, de passer à l’action !

Nous découvrons alors que derrière le terme générique d’AMP (assistance médicale à la procréation) se cachent une foultitude de techniques différentes, de l’insémination artificielle aux diverses variétés de FIV (fécondation in vitro). Or la faiblesse de ma production ne nous laisse guère de choix : pour nous, ce sera directement le top du top – la FIV ICSI (injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde : on prend plusieurs ovules à MaChérie, on essaie de me trouver plusieurs spermatozoïdes pas trop moches et on injecte un spermatozoïde dans chaque ovule). La gynéco nous explique toute la procédure, les étapes, les probabilités de réussite… et on y va(2) !

La procédure

… enfin, on essaie. Parce qu’une fois qu’on a décidé de se lancer, il reste encore un sacré chemin à parcourir.

De mon côté, il faut optimiser les chances. Du coup, on congèle. Ben oui : comme on n’est pas sûr que le jour J on trouvera suffisamment de spermatozoïdes dans ce qu’on prélèvera, il vaut mieux en avoir en réserve au frais à dégeler en vitesse, au cas où. Prendre rendez-vous au labo, se présenter à l’heure en ayant respecté une période d’abstinence de 3 à 5 jours (ni plus ni moins), se rendre dans la cabine avec la personne qui vous explique la procédure (rien de bien compliqué, vous vous en doutez), fermer le verrou quand elle est sortie, procéder, laisser le flacon, partir au boulot, attendre quelques jours les résultats… et découvrir à chaque fois qu’ils sont franchement très mauvais, ne laissant qu’une médiocre paillette au congélo(3). D’où la nécessité de recommencer quelques jours, quelques semaines plus tard, jusqu’à avoir suffisamment de matériel de secours. Alors je recommence, à chaque fois encore moins émoustillé par les films et magazines d’une banalité navrante, nonchalamment laissés dans les cabines(4). Bref, rien de bien folichon. Dans la salle d’attente, j’observe ce rassemblement un peu étonnant de mecs présents, pour la plupart, pour les mêmes raisons que moi. Physiquement, on balaie largement le continuum de Woody Allen à Schwarzenegger, comme quoi… Et puis tous les âges, toutes les gueules sont là. Nous sommes réunis par la même frustration de n’être point suffisamment féconds. Alors naît un sentiment trouble qui tient à la fois de la fraternité et, plus oblique, de ce que les Allemands, qui s’y connaissent, nomment Schadenfreude.

Du côté de MaChérie, lorsque nous commençons à emmagasiner suffisamment de surgelé pour envisager une première tentative, la préparation débute. Et l’injustice profonde se dévoile encore un peu plus. Le problème vient de mon côté mais c’est elle qui va devoir supporter les épreuves physiques les plus lourdes. Parce que bon, on rigole avec les magazines, les cabines et les gus qui font la queue au labo pour se vider dans un flacon, mais elle, elle doit s’envoyer pendant plusieurs semaines une quantité d’hormones qui ferait chanceler une volleyeuse soviétique. Et pour finir, les piqûres dans le bide tous les soirs à heure fixe pendant dix jours, merci bien ! Le principe, pour ceux qui l’ignoreraient : le corps d’une femme est fait pour produire, grosso modo, un ovocyte par mois ; là, on stimule les ovaires pour qu’ils en produisent une bonne dizaine d’un coup. Sympa, non ?

Et ce n’est pas fini ! Parce que ce n’est pas pour autant qu’on peut effectuer immédiatement le prélèvement de son côté. Le kaïros prend son temps. Bref, on y passe encore plusieurs mois, à se balancer entre espoir, distanciation et découragement. Devant l’épuisement, je m’accroche aux statistiques comme un drogué du PMU aux cotes de ses bourrins.

En mars 2017, nous avons découvert mon infertilité il y a plus d’un an. Et, après trois faux-départs, nous pouvons enfin procéder à notre première tentative ! Rendez-vous à la clinique. L’injustice se poursuit : de mon côté, le prélèvement ne pose guère de difficulté, on s’en doute ; en revanche, du sien, c’est moins rigolo avec anesthésie locale et intervention franchement douloureuse.

Et puis les quelques jours d’attente : les gamètes de l’un et l’autre sont-ils en bon état, y en a-t-il suffisamment, la fécondation va-t-elle réussir, les embryons vont-ils survivre et se développer normalement… ? En boucle. Jusqu’au coup de fil aux statistiques vertigineuses :

« 10 ovocytes vous ont été prélevés ;

7 étaient mûrs ;

5 ont pu être fécondés ;

3 embryons ont survécu jusqu’au troisième jour ;

1 seul a survécu jusqu’au cinquième jour et s’est développé au stade blastocyste. »

Autrement dit : nous avons un embryon à implanter. Et si ça ne marche pas, on recommence depuis le début. Malgré le stress, nous nous accrochons à cette idée folle : c’est possible ! Nous sommes arrivés jusqu’à cette étape et, s’il le faut, nous pourrons y arriver de nouveau !

Enfin, le mieux serait de réussir du premier coup ne pas avoir à revenir à la case départ…

Alors direction la clinique, l’implantation se fait très vite, sans douleur. Ouf.

Et ensuite… on attend. L’embryon et l’utérus discutent et, s’ils trouvent un terrain d’entente, le premier s’accroche au second. 40% de chance d’y arriver. Seulement. Quand je vous disais que c’était une histoire de statistiques.

On guette les fameux bêta-HCG.

Ils sont haut : bon signe.

Au bout de quelques jours, ils augmentent beaucoup : bon signe.

L’embryon est accroché, Ma Chérie est enceinte !

Sauf que ce serait trop facile : les grossesses par FIV ont beaucoup plus de risques de fausses couches que les grossesses « naturelles ». Alors les premières semaines, nous hésitons entre le relâchement à la joie d’avoir réussi et la crainte de devoir tout revivre. Impossible de s’abandonner complètement : nous traquons les symptômes suspects, nous nous alarmons d’une douleur nouvelle, d’une sensation étrange comme de sa disparition. Nous multiplions les consultations de contrôle chez la gynéco, rassurantes. Nous passons ainsi les premiers mois en réalisant progressivement que, peut-être, nous avons la chance d’avoir réussi du premier coup. Et merde aux statistiques !

Alors, un sujet tabou ?

A priori, l’infertilité attaque quelque chose au plus profond de l’intime. Elle touche directement l’individu à la fois au corps dans ses organes et fonctions les plus secrets, et à l’esprit dans son imaginaire et sa volonté de transmission et d’inscription dans l’après-soi. Beaucoup se noue à ce point focal de la procréation qui semble donc devoir n’être traité qu’avec la plus grande pudeur. La lumière du public ne peut éclairer sans la détruire cette part de soi qui s’agite aux tréfonds de l’être.

C’est pourquoi, au début, nous évitions de nous ouvrir, même à nos proches, et esquivions soigneusement ces questions ô combien intimes. Or nous avons assisté à un phénomène étrange. Le moral flanchant, j’ai commencé à évoquer le sujet avec tel ou tel ami. Immanquablement, au moins trois fois sur quatre, j’obtenais des réponses du type : « je connais X qui a fait une PMA. » Alors nous en avons parlé plus librement et nous sommes même aperçus que deux couples d’amis proches s’engageaient eux aussi dans un protocole de FIV, exactement en même temps que nous.

De même, j’ai beaucoup hésité à écrire, puis à publier ce billet. J’ai d’abord pensé écrire un truc très distancié et factuel. Finalement, j’ai préféré plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?, non pour trouver du nouveau comme ce cher Charles, mais pour aller chercher dans l’expérience unique du cas individuel, idiosyncratique, la banalité d’une expérience commune. Tous ces mecs qui attendent d’aller éjaculer dans un petit pot en espérant que cela débouche sur la naissance de leur progéniture n’ont aucune honte à avoir de ne pas pouvoir faire autrement. Tous ces couples engagés dans ces protocoles de PMA ne doivent pas en faire un sujet tabou. Même si cela concerne le sexe, la naissance, etc.

Au contraire. Je pense qu’il faut en parler parce que, si cela touche à l’intime, les causes sont de nature publique. Nous sommes là face à un très grave scandale de santé publique. La rigueur scientifique ne permet pas d’affirmer, démonstration à l’appui, que nous serions une génération infertile : les signaux sont trop faibles, le recul insuffisant, les facteurs trop nombreux. Et pourtant, toutes les évidences sont là. Nous le savons bien. Nous sommes en train de crever des saloperies que nous respirons, buvons, mangeons.

 

Cincinnatus, 9 octobre 2017

Références

(1)J’ai énormément d’estime et de gratitude à son égard et ne saurais trop la recommander. Me contacter si besoin.

(2) Soit dit en passant, un petit message aux calomniateurs de la France et aux aigris de la patrie persuadés que nous faisons toujours tout plus mal que les autres, que tout est toujours mieux chez nos voisins et que notre modèle social est « trop cher », « dépassé », etc. : je remercie plus que jamais le système de santé public français car, pour m’être un peu renseigné, nous n’aurions jamais pu nous lancer là-dedans si nous avions vécu, au hasard, au Royaume-Uni (et je ne parle même pas des États-Unis) dont le « modèle » est une catastrophe absolue, où tout est assujetti à l’argent. À bon entendeur…

(3) Si vous voulez tout savoir, la paillette, c’est l’unité de congélation et, normalement, on en produit plusieurs à chaque prélèvement. Normalement.

(4) Désolé pour la crudité de cette confidence : personnellement, j’ai toujours préféré le sexe in vivo qu’in vitro. La pornographie me laisse de marbre.

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Peut-on disqualifier les idées neuves en matière monétaire ? Une réponse à David Cayla

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Je remercie David Cayla pour sa critique de mon ouvrage(1) et me réjouis que la revue Le temps des ruptures m’accorde un droit de réponse. Puisque l’auteur m’accuse de « promouvoir de fausses solutions aux naïfs », dont il ne fait évidemment pas partie, je vais à mon tour contester ses affirmations et une certaine propension à avoir une « vision malthusienne » de l’économie qui fait l’impasse sur toutes les réflexions actuelles concernant le rôle de la monnaie dans la transition écologique.

Depuis plusieurs années, je fais en effet partie de ceux (aux côtés d’éminents économistes comme Gaël Giraud, Alain Grandjean, Jean-Michel Servet, Jézabel Couppey-Soubeyran, etc…) qui portent des propositions originales dans le débat public concernant le financement monétaire des dépenses publiques, notamment par l’émission de monnaie libre (c’est-à-dire libre de dettes). Nous faisons également l’analyse en profondeur de notre rapport à la dette et des modalités de financement de la reconstruction écologique. C’est l’objet de mon dernier ouvrage(2). Comme toute idée neuve, il est normal que ces réflexions suscitent des discussions et des critiques, surtout qu’elles heurtent la pratique traditionnelle de la finance, et c’est un plaisir de les expliquer et d’en débattre rationnellement.

David Cayla, nous dit dans son texte : « En économie, on peut raisonner à plusieurs niveaux en étudiant les flux « monétaires », les flux « financiers » ou les flux « réels ». Les flux réels sont constitués des biens et des services que nous produisons et que nous échangeons. C’est ce qu’on appelle la richesse. Quant à la monnaie, elle représente et elle quantifie la richesse, mais elle n’en est pas elle-même. En effet, elle n’a de valeur que dans la mesure où elle peut être convertie en richesses réelles ». Dans cette vision traditionnelle, de l’économie (puisqu’on l’enseignait ainsi au XIXe siècle), la monnaie n’est qu’un voile, elle est « neutre », elle ne sert qu’à échanger des biens et des services.

La réalité est toute autre, en témoignent les écrits de Keynes dans lesquels il considère que  sans l’avance monétaire que représente le crédit, la création de « richesses » ne peut pas s’opérer aussi efficacement, encore moins dans les sociétés modernes. Il y a une interaction constante entre les flux monétaires et les flux réels : ils ne sont pas séparés, comme le suggère Cayla, ils sont en interdépendance constante. On le sait depuis longtemps : Rosa Luxemburg disait par exemple que « la reproduction capitaliste jette, dans les conditions d’une accumulation toujours croissante, une masse toujours plus considérable de marchandises sur le marché. Pour mettre en circulation cette masse de marchandises de valeur croissante, une quantité de plus en plus considérable d’argent est nécessaire. Cette quantité croissante d’argent, il s’agit précisément de la créer »(3). Ainsi Cayla explique que « Ni l’économie ni la monnaie ne sont « magiques ». Tout ce qui est vendu et consommé est nécessairement le résultat d’une transformation productive », il oublie tout simplement que la transformation productive repose nécessairement sur l’acte « magique » de création monétaire, c’est-à-dire en fait sur la capacité du secteur bancaire à créer de l’argent ex nihilo, sur le fondement d’écritures comptables. Vouloir séparer flux financiers, monétaires et réels, c’est méconnaitre le fonctionnement de l’économie contemporaine qui les lie étroitement à chaque instant.

Cayla nous dit ensuite « Dans une économie, la richesse réelle a différents usages. Elle peut être consommée ou investie ». On se perd un peu puisque l’auteur vient justement de nous expliquer que la richesse réelle était représentée par les marchandises et les services. Or, si l’on peut consommer une marchandise, on ne peut pas l’investir. On investit les revenus qui sont procurés éventuellement par cette marchandise, pour en acquérir d’autres ou pour obtenir des services. Vendre des biens et des services est en effet un moyen d’acquérir de la monnaie qu’on peut réinvestir dans d’autres biens et services, ou épargner. Mais il existe un autre usage : emprunter. C’est le rôle de la création monétaire que Cayla oublie dans son raisonnement. Cela le conduit à commettre un contresens quand il écrit : « À moins de penser que les ressources naturelles et le temps de travail soient illimités, ce qui est absurde, on ne peut pas à la fois augmenter l’investissement et la consommation. De fait, augmenter la masse monétaire ne changera pas les données de cette équation ». Bien au contraire : augmenter la masse monétaire permet justement d’activer des ressources inemployées (des chômeurs par exemple ou de nouvelles activités) qu’on ne finançait pas auparavant. Sans révolution du crédit, il n’y aurait tout simplement pas eu de révolution industrielle. C’est la base de la théorie keynésienne dont on ne sait plus très bien si Cayla se revendique encore.

Ce qui est plus grave, de mon point de vue, c’est que cela le conduit à une vision malthusienne de l’économie, notamment quand il parle de la transition écologique : « le problème est que toutes les ressources qui seront consacrées à produire davantage de biens d’investissements ne pourront être utilisées pour produire des biens de consommation ». Or, si l’on ne peut que souhaiter une réduction de notre consommation ostensible et inutile, dire que l’on ne peut faire de l’investissement qu’au détriment de la consommation est un non-sens absolu. Toute l’histoire économique du XXème siècle a été celle d’un développement simultané de la consommation et de l’investissement, sans quoi nous n’aurions pas ce grave problème d’empreinte humaine sur la planète aujourd’hui. Si l’on ne pouvait financer l’investissement que par une baisse de consommation, et vice-versa, notre économie serait en état stationnaire, ce qui fait que le problème pour l’environnement serait certainement bien moindre.

L’économie, contrairement à ce que semble penser David Cayla, n’est pas un gâteau de taille fixe que l’on se partage entre investissement et consommation (sauf dans la théorie classique du XIXe siècle). La création monétaire permet d’augmenter simultanément les deux en introduisant une avance monétaire sur la base de biens ou de services qui n’existent pas encore. À l’inverse, la raréfaction du crédit conduit à un effondrement de la capacité à créer des biens et des services. Aussi quand Cayla affirme que « À moins de penser que les ressources naturelles et le temps de travail soient illimités, ce qui est absurde, on ne peut pas à la fois augmenter l’investissement et la consommation », il semble ne pas considérer que c’est exactement ce que l’on fait en pratique depuis plus d’un siècle. Néanmoins, cela ne signifie pas pour autant, bien évidemment, qu’une extension illimitée et irresponsable de la consommation est souhaitable.

Cette vision malthusienne conduit notre analyste à une autre affirmation que je crois dangereuse. Cayla nous explique en effet que puisque la croissance est atone, et puisqu’il faut nécessairement, choisir entre l’investissement et la consommation, alors « pour s’assurer que les investissements soient réalisés le plus rapidement possible, il faudra réorienter des ressources productives de la consommation vers l’investissement. Cela se traduira, sur le plan monétaire, par une baisse des revenus et du pouvoir d’achat des ménages ». Autrement dit, la transition écologique ne pourra se faire que dans la souffrance, par la baisse des revenus et du pouvoir d’achat des ménages, pour privilégier l’investissement. Une telle affirmation est non seulement fausse mais dangereuse au regard de ce qu’elle implique comme vision économique et sociale, qui est une vision sacrificielle. Elle est fausse car, contrairement à ce que semble croire Cayla, une consommation faible signifie un faible investissement (Keynes encore et toujours). Elle est dangereuse car, bien au contraire, des ménages aux revenus en berne, avec un pouvoir d’achat amputé, ne pourront pas acheter de véhicules électriques, rénover leur logement, manger plus sainement (du bio) ou acquérir des produits plus responsables. Ils continueront d’acheter les produits les moins écologiques, les moins chers et les plus polluants. C’est l’exact inverse qu’il faut prôner : il faut aider à l’investissement des entreprises dans la transformation de leur appareil de production, y compris par le biais de subventions directes, tout en aidant les ménages, par des aides ciblées et par une augmentation de leurs revenus, à rénover leur logement, à acquérir des véhicules propres et à manger mieux. Et à côté de cela, il faut édicter les réglementations nécessaires pour que disparaisse la propension au moins-disant social et écologique.

Et c’est justement à tout cela que la création monétaire libre et ciblée que je recommande peut aider. Car réussir la transition suppose des investissements privés et publics gigantesques. En France, la première estimation complète et précise de ces investissements supplémentaires, avant le rapport Pisani-Ferry, a justement été produite, en 2022, par l’Institut Rousseau que je dirige(4).  Nous avions montré qu’il fallait investir pas loin de 2 % du PIB en plus chaque année, dont 57 % environ devait reposer sur de l’investissement public, seul à même de compenser les failles de marché. Or, pour que cet investissement ne se traduise pas par une pression accrue sur la dette (déjà importante, plus encore pour la dette privée que pour la dette publique), ou par une politique d’austérité, une monnaie libre de dettes, créée par la banque centrale, selon des voies et dans des volumes définis démocratiquement, serait parfaitement adaptée.

Mais Cayla s’en offusque : « Puisque la création monétaire est susceptible de financer tout ce dont nous avons besoin, et puisqu’on peut créer de la monnaie sans limite et autant qu’on le juge nécessaire, alors laissons le Parlement financer tout ce dont rêve la gauche ». Notons déjà que Cayla ne semble pas choqué par le fait que le Parlement ait perdu tout pouvoir monétaire et que les banques centrales soient indépendantes du pouvoir politique mais dépendantes des marchés financiers. Ce n’est pas mon cas : je pense que la monnaie est un bien commun et que la démocratie ne peut pas en être exclue. L’indépendance des banques centrales a conduit à les figer dans une posture d’immobilisme, entièrement tournée vers la lutte contre l’inflation, qui devient un obstacle tant dans le financement des dépenses publiques que dans celui de la transition écologique, puisqu’il est devenu manifeste que les opérations de la banque centrale, en vertu du principe de « neutralité monétaire » ont participé à financer massivement des actifs fossiles plutôt que des actifs verts. Dans un précédent ouvrage écrit avec Alain Grandjean « Une monnaie écologique », nous avions ainsi formulé une quinzaine de propositions concrètes et opérationnelles pour mettre la politique monétaire au service de la transition écologique.

Quant à la création monétaire, le bilan de la BCE a augmenté de plus de 6000 milliards d’euros en moins de dix ans. Or, d’où vient donc cet argent ? A-t-il été levé par l’impôt ? Evidemment non. A-t-il été emprunté ? non plus. Il a bien été créé ex nihilo par la banque centrale. Plus encore : quand la banque centrale du Japon achète des ETF (c’est-à-dire des actions) sur les marchés, il n’y a pas de dette en échange, c’est de la création monétaire pure. Idem quand la BCE a créé plus de 143 milliards d’euros en 2023 pour rémunérer les réserves excédentaires des banques. Cet argent n’est ni plus ni moins qu’une subvention financée par création monétaire « libre » comme de nombreux économistes l’ont fait remarquer(5). Au lieu de subventionner les banques grâce au pouvoir de création monétaire de la BCE à hauteur de 143 milliards d’euros, n’aurait-il pas mieux valu utiliser ce pouvoir pour financer la transition écologique ?

David Cayla ne semble pas comprendre que la question n’est pas de savoir si l’on peut faire de la création monétaire libre de dettes car on en fait déjà, au profit des marchés financiers. La question est de savoir à qui doit profiter ce pouvoir ? Pour ma part, je prône depuis longtemps qu’il doit profiter à la transition écologique, aux activités non rentables, plutôt que d’être dirigé vers le « trou noir monétaire » des marchés financiers.

David Cayla m’accuse ensuite d’avoir trouvé le Graal, une solution simpliste à laquelle personne n’avait pensé : « Le plus étrange dans cette affaire est que ce soit un non-économiste qui révèle le pot-au-rose. La conjuration des économistes aurait-elle empêché l’humanité de se libérer de la dette de manière définitive alors que la solution était évidente ? Émettre de la « monnaie sans dette », de la « monnaie libre » ». Vouloir disqualifier les propos de quelqu’un sur sa qualité professionnelle n’est pas très fairplay, surtout quand la personne en question a travaillé plus de dix ans à la commission des finances de l’Assemblée nationale, et travaille depuis plus de quinze ans sur les questions monétaires.

Mais surtout David Cayla semble réellement mal informé concernant la littérature monétaire. Ainsi, en 1960, les économistes américains John G. Gurley et Eduard S. Shaw avaient nommée outside money(6) ce que je nomme monnaie libre, pour la distinguer de l’inside money, celle qui est émise en contrepartie d’une dette et qui est donc endogène (au sens où elle est conditionnelle à la demande de crédit). Milton Friedman invoqua la possibilité d’une « monnaie hélicoptère » dans les années 60, c’est-à-dire une distribution gratuite d’argent à tous les citoyens financée par la banque centrale (je précise n’y être pas favorable car cela ne modifie pas les formes de l’activité économique contrairement à la monnaie libre et ciblée que je propose et désigne sous le nom de « monnaie émancipatrice »). Si l’on remonte aux années 30, l’école de Chicago poussait aussi la banque centrale à piloter la masse monétaire sans dette, et plus récemment avec le débat sur la « monnaie pleine » en Suisse (voir les travaux de Jean-Michel Servet), qui conduirait à donner à la banque centrale le soin de piloter la masse monétaire. Quand on ne connaît pas la genèse d’une idée, il vaut mieux la railler avec prudence.

David Cayla explique ensuite que j’aurais une vision tronquée, imaginant que la création monétaire permettrait seule de résoudre tous les problèmes, voire de « se passer de travail puisque l’argent, qu’on peut créer de manière illimitée, travaillerait pour nous ». C’est n’avoir rien compris à ce que je propose. Émettre de la monnaie sans dette, c’est justement libérer le potentiel de travail de l’humanité. Cela revient à financer des emplois et des activités non rentables qui aujourd’hui ne le sont pas par le marché. Prenons un exemple : la protection des forêts et des milieux humides ne rapporte quasiment rien, en revanche leur exploitation et leur dégradation (notamment de la forêt) peut rapporter beaucoup, car cela est rémunéré par le marché. Par conséquent, émettre de la monnaie sans dette c’est pouvoir payer les personnes et les investissements nécessaires pour protéger ces milieux. En outre, il ne s’agit pas de créer de la monnaie pour tout, sans distinction, mais de le faire de manière ciblée, là où c’est utile et nécessaire.

On notera au passage que la pression sur le remboursement des dettes conduit à une pression constante sur l’exploitation des ressources naturelles. Ce mécanisme joue d’ailleurs à plein dans les pays en développement surendettés, qui tendent à exploiter au maximum les ressources naturelles qu’ils ont, quitte à les dégrader sévèrement, sous la pression des créanciers internationaux.

C’est d’ailleurs pour cela qu’on voit apparaître des propositions d’annulation de dettes (c’est-à-dire de monnaie libre par conséquent) en échange de la sauvegarde d’écosystèmes (debt for nature swaps) ou à imaginer une rémunération en DTS (qui est par nature une monnaie sans dette) pour les pays qui sauvegarderaient leur environnement (comme nous l’avions d’ailleurs proposé avec Alain Grandjean dans Une monnaie écologique). Mais Cayla nous expliquera sûrement que tout ceci relève également de « fausses solutions pour naïfs ». Personnellement, je crois sincèrement, et nous sommes de plus en plus nombreux à y croire, qu’on viendra tôt ou tard à la « monnaie émancipatrice » que je défends dans mon livre, quand on aura compris que le seul mode de création monétaire par la dette est un cercle sans fin qui travaille contre lui-même.

Références

(1)https://letempsdesruptures.fr/index.php/2023/11/17/peut-on-financer-la-transition-ecologique-par-lemission-de-monnaie-sans-dette/

(2)Nicolas Dufrêne, La dette au XXIe siècle, comment s’en libérer ?, Odile Jacob, octobre 2023.

(3)Rosa Luxemburg, L’accumulation du capital, Maspero, 1972, tome I, p. 138-139

(4) https://institut-rousseau.fr/2-pour-2c-resume-executif/

(5)https://cepr.org/voxeu/columns/monetary-policies-do-not-subsidise-banks

(6)Money in a Theory of Finance (avec un appendice mathématique d’Alain Enthoven), Washington DC, Brookings Institute, 1960. 

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Guerre scolaire ou lutte des classes ?

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Les déclarations de la nouvelle ministre de l’éducation nationale, Mme Oudéa Castera ont relancé la polémique sur le financement public de l’enseignement privé. Les défenseurs de la situation actuelle dénoncent ceux qui veulent relancer la « guerre scolaire ». Au moment où le président de la République n’a que le mot « réarmement » à la bouche, cela pourrait faire sourire. Il est en tout cas indispensable de présenter l’état des forces en présence et de se demander si en réalité une guerre scolaire souterraine ne se développe pas depuis fort longtemps, au cours de laquelle un camp aurait déjà remporté de nombreuses batailles sur l’autre.

Le financement public de l’enseignement privé sous contrat

La cinquième République met en place le financement public de l’enseignement privé

La démocratie chrétienne tenta pendant toute la IVème République de faire contribuer l’État aux dépenses de l’enseignement privé confessionnel, sans y parvenir véritablement. En revanche, la Vème République à peine naissante instaura, par la loi Debré de 1959, le financement par l’État des établissements privés d’enseignement sous contrat. Le principe était que l’État contribuerait par élève du privé à hauteur de ce qu’il accordait à l’enseignement public, dès lors que ces établissements privés passeraient un contrat par lequel ils s’engageaient à respecter les programmes nationaux d’enseignement définis par le ministère de l’éducation nationale, ainsi qu’à accepter un contrôle de l’État sur le respect effectif de cet engagement.

Alors à quoi bon développer des établissements d’enseignement privé pour faire la même chose que dans l’enseignement public ?

Tout simplement parce que si les financements de l’Etat en faveur du privé sont comparables à ceux consentis pour un élève du public, les contraintes pesant sur les établissements privés sous contrat et sur l’école publique ne sont pas les mêmes.

Les directeurs des établissements privés choisissent les professeurs qu’ils emploient, dont le salaire est payé par le budget de l’État ; ce n’est pas le cas des directeurs d’établissements publics. Ils choisissent également les élèves qu’ils inscrivent dans leurs établissements et ne sont nullement tenus, à la différence des établissements publics, d’inscrire tous les enfants de leur secteur géographique qui se présentent à leur porte.

Ils peuvent en toute autonomie définir leur projet d’établissement. Celui de l’école Stanislas qui fait la une de l’actualité en ce moment, comporte par exemple l’obligation pour les élèves de suivre des cours de catéchisme, en violation des règles qui s’imposent normalement aux établissements privés sous contrat. En effet, la loi Debré de 1959 précise que si un établissement scolaire veut être financé par de l’argent public, « tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances » doivent y avoir accès.

L’école Stanislas censure également un certain nombre d’ouvrages littéraires considérés comme heurtant les convictions catholiques et défend une position officielle sur des questions comme l’homosexualité ou l’avortement assez éloignée de ce que disent nos lois. Le directeur de l’établissement, Frédéric Gautier, justifiait cela en août dernier en déclarant au journal « Le Monde »: « l’église catholique est contre l’union homosexuelle et contre l’avortement, que je sache, non ? Une école catholique ne peut dire autre chose ».

Un rapport sur cet établissement réalisé à la demande du ministre de l’éducation nationale Pap Ndiaye vient d’être rendu public par Mediapart et non par le ministère de l’éducation ni par l’école Stanislas.

Nous reviendrons un peu plus loin sur les conséquences de cette liberté laissée aux établissements privés sur leur situation comparée à celle des établissements publics.

Les conséquences de la loi Debré sur les finances publiques 

Il n’est pas facile d’avoir une idée précise des moyens publics consacrés à l’enseignement privé sous contrat. L’information des parlementaires sur le sujet est d’ailleurs considérée comme très insuffisante par la Cour des comptes. En effet, les concours publics à l’enseignement privé ne se limitent pas aux 8 milliards d’euros (en 2022) du « programme 139 – Enseignement privé sous contrat de la mission interministérielle Enseignement scolaire (MIES) », du budget de l’État. Ces crédits financent à la fois la rémunération des enseignants et le forfait d’externat versé aux établissements du second degré, destiné à couvrir leurs charges de personnels de vie scolaire.

Le rapport annuel du ministère de l’éducation nationale, « Repères et Références Statistiques » indique que la subvention de l’état à l’enseignement privé s’élevait en 2020 à 8,7 milliards d’euros. En effet, l’enseignement privé sous contrat bénéficie d’autres concours de l’État que ceux qui sont inscrits dans ce programme 139.

Il faut ajouter aux subventions de l’état celles des collectivités territoriales (régions, départements, communautés de communes…), dédiées aux salaires des personnels non-enseignants des établissements privés et à couvrir une partie des frais de fonctionnement. Elles s’élevaient en 2020, à 2,7 milliards d’euros. En plus de quoi, 665 millions sont distribués au privé par les « autres administrations publiques » pour les dépenses de chauffage ou l’éclairage.

Enfin, des établissements privés bénéficient de subventions « facultatives », versées au bon vouloir des présidents de collectivités locales. La région Ile de France, dirigée par Valérie Pécresse (LR), aurait par exemple voté 11 millions d’euros d’autorisations de subventions en prévision de travaux dans les 215 établissements privés de la région. Une générosité qui tranche avec son prédécesseur socialiste, qui ne versait que les subventions obligatoires.

Au total, l’enseignement privé sous contrat bénéficie chaque année de 12,2 milliards d’euros d’argent public, ce qui représente environ 6 350 euros par élève et 23 % du budget de l’Éducation nationale. À titre de comparaison, le coût de la scolarité d’un élève de l’école publique s’élève en moyenne à 8 480 euros par an.

La Cour des comptes, note dans un rapport sur l’enseignement privé sous contrat de juin 2023 : « De manière globale, le financement apporté par l’État aux établissements privés sous contrat est prépondérant dans leur modèle économique : 55 % pour le 1er degré et 68 % pour le 2nd degré. Cette part de financement est peu différente de celle observée pour les établissements publics, dont l’État assure respectivement 59 % et 74 % du financement. La part revenant aux familles s’élève à 22 % dans le 1er degré et à 23 % dans le 2nd degré…La différence en faveur du public dans la répartition du financement n’est que de 3,6 points pour les écoles maternelles et de 5,9 points pour les collèges et lycées. Les collectivités supportent, quant à elles, les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat, qui sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l’enseignement public. »

La principale différence entre le public et le privé s’agissant du financement public résulte de ce qui reste de la loi Falloux de 1850, qui limitait à 10% le subventionnement possible par l’État des investissements réalisés par les établissements privés.

L’UNAPEL, « Union nationale des associations de parents de l’enseignement libre », qui considère l’enseignement privé comme un bastion de liberté face à une école publique sous emprise de l’État, chercha à partir de 1991 à faire abroger la loi Falloux, de sorte que les collectivités territoriales, désormais chargées de l’investissement dans les écoles, les lycées, et les collèges puissent librement subventionner l’investissement des écoles privées et pas seulement leur fonctionnement.

Bien entendu, cela n’avait rien à voir avec une volonté quelconque de ranimer « la guerre scolaire », comme il en est fait reproche à ceux qui osent poser des questions sur la légitimité du financement public à l’enseignement privé et sur ses résultats.

François Mitterrand alors Président de la République résista à ces demandes, mais la cohabitation de 1993 donna l’opportunité à François Bayrou, alors ministre de l’éducation nationale et aujourd’hui l’un des principaux soutiens politiques à Emmanuel Macron, de proposer au Parlement d’abroger la loi Falloux. Il s’ensuivit un combat politique important, des défilés de dizaines de milliers de personnes opposées à cette mesure dans toute la France et finalement une décision du Conseil constitutionnel déclarant inconstitutionnel le projet adopté à l’initiative de François Bayrou en ce qu’il laissait les collectivités territoriales libres de financer ou non les investissements des écoles privées en fonction de leurs préférences religieuses et politiques, ce qui était contraire au principe d’égalité. La loi ainsi censurée qui fut promulguée sans sa disposition principale, ne remettait pas fondamentalement en cause les limitations imposées aux collectivités publiques dans le subventionnement de l’investissement des établissements privés, au grand dam des combattants de l’enseignement dit libre.

Cet argent public est versé à des établissements qui pour certains d’entre eux ont le statut de société anonyme, qui peuvent donc réaliser des bénéfices. C’est le cas par exemple de Stanislas où sont scolarisés les enfants de la ministre de l’éducation, qui a enregistré un bénéfice avant impôts et amortissements de 3 millions d’euros en 2022.

A ces financements publics s’ajoutent, pour les établissements privés, la contribution des familles, plus importante que dans l’enseignement public.   Elle représente en proportion du financement du forfait externat, 23,2 % pour les écoles et 21,9 % pour les collèges et lycées privés , contre respectivement 3,8 % et 2,9 % dans le public (hors dépenses de rémunération des enseignants assurées par l’État).

Selon la Fédération nationale des organismes de gestion de l’enseignement catholique, les frais de scolarité dans le privé s’élèvent en moyenne à 390 euros par an à l’école primaire, 763 euros au collège et 1 176 euros au lycée. Mais les tarifs sont bien plus élevés dans les établissements les plus prestigieux des grandes villes. Pour que leurs enfants puissent fréquenter l’école Stanislas, installée sur trois hectares au cœur de Paris, avec ses sept gymnases et ses deux piscines, les parents payent chaque année 2027€ en primaire, 2238€ au collège et 2561€ au lycée, auxquels il faut ajouter la contribution pour le financement de l’étude (entre 1 300 et 1 600 euros) et de la cantine (10 euros le repas soit 1 354 euros à l’année).

On espère qu’à ce prix-là les enfants sont heureux comme le souhaite Madame Oudéa Castera.

Les enfants des classes dominantes se regroupent dans les établissements privés

Recul de la mixité sociale

Il est devenu habituel dans notre pays de traiter de partisans de la guerre scolaire et d’ennemis de la liberté, tous ceux qui mettent en cause le financement public de l’enseignement privé, qui se définit lui-même comme enseignement libre, sous-entendu libre des contraintes que l’État pourrait exercer sur lui.

En fait, on pourrait transposer à l’école ce que disait Warren Buffett (patrimoine évalué à 65 milliards de dollars) de la lutte des classes : « Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner. »

L’école est aussi un champ de la lutte des classes et celle qui l’a emporté dans l’enseignement privé est, sans conteste, la classe la plus favorisée.

À vrai dire, la soi-disant guerre scolaire est entretenue en permanence par les tenants de l’enseignement privé.

Il suffit de rappeler l’épisodes de l’immense manifestation organisée par la droite en 1984 à Versailles pour faire reculer le gouvernement de l’époque sur son projet de grand service national unifié de l’éducation nationale, ou bien celui de 1993 et la tentative de François Bayrou d’engager encore plus les fonds publics au service de l’enseignement privé, pour constater que les partisans de la guerre scolaire ne sont pas les laïcards archaïques toujours désignés, mais ceux qui défendent l’enseignement privé avec acharnement et souhaite en élargir le champ.

Les propos tenus vendredi dernier par la ministre de l’éducation nationale justifiant la scolarisation de ses enfants dans un établissement privé prestigieux du centre de Paris en disant “Alors on en a marre comme des centaines de milliers de familles du paquet d’heures pas sérieusement remplacéesnous nous assurons que nos enfants soient bien formés avec des exigences dans la maitrise des savoirs fondamentaux et qu’ils sont heureux“, constituaient une attaque en règle contre l’école publique.

La justification du financement public de l’enseignement privé, depuis 1959, serait sa participation au service public d’éducation dont les objectifs sont fixés par l’État. L’égalité des chances au travers de l’école et la transmission des valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité, font partie de ces objectifs.

L’évolution de l’origine sociale des élèves qui fréquentent ces établissements montre que l’enseignement privé tourne le dos à ces objectifs et constitue de plus en plus un ghetto d’enfants des classes favorisées.

Un peu plus de 2 millions d’élèves fréquentent les établissements privés sur les 12,2 millions de jeunes fréquentant les écoles maternelles, primaires, les collèges et les lycées. Dans un contexte de stagnation des effectifs scolaires globaux, les effectifs du privé augmentent faiblement dans l’enseignement primaire, plus rapidement dans le secondaire. L’enseignement supérieur, qui n’obéit pas aux mêmes règles de financement, connaît une explosion de la part du privé fréquenté aujourd’hui par le quart des étudiants.

Selon l’enquête PISA 2022 la part des élèves de 15 ans scolarisés dans des établissements privés est passée de 16,4% en 2018 à 21,6% en 2022. 

Ce qui est plus saisissant, c’est l’évolution de la composition sociologique de la population scolaire de l’enseignement privé.

Dans le rapport de la Cour des comptes déjà cité, du mois de juin dernier, un chapitre est consacré au net recul de la mixité scolaire et de la mixité sociale dans les établissements privés, alors qu’elle reste la règle dans les établissements publics. Elle écrit : « la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat est en fort recul depuis une vingtaine d’années. Les élèves des familles très favorisées qui constituaient 26,4% des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentaient 40,2% en 2021 Et les élèves des milieux favorisés ou très favorisés sont désormais majoritaires dans ce secteur (55,4% en 2021) alors qu’ils représentent 32,3% des élèves dans le public. A l’inverse, la part des élèves boursiers s’élevait à 11,8% des effectifs en 2021 dans le privé sous contrat contre 29,1% dans le public. Ces écarts importants sont confirmés par tous les indicateurs notamment les indices de position sociale, indicateurs synthétiques utilisés par le ministère de l’éducation pour étudier et décrire les populations scolaires dans les établissements scolaires. »

L’origine sociale dans la sélection des élèves de l’enseignement privé est d’autant plus importante que la part du caractère proprement religieux dans les motivations des familles pour choisir l’enseignement privé catholique est de plus en plus faible. Les enfants ne sont pas placés dans l’enseignement privé catholique essentiellement pour être catéchisés, mais pour se retrouver avec leurs semblables socialement et culturellement. On notera d’ailleurs que Madame Oudéa Castera ne pensa pas un instant à évoquer ses convictions religieuses pour justifier son choix, mais uniquement la mauvaise qualité qu’elle impute à l’enseignement public et la qualité des relations dont jouiront ses enfants dans un contexte d’entre-soi social est culturel.

La Cour des comptes, encore elle, considère que : « l’enseignement privé sous contrat apparaît ainsi majoritairement comme un enseignement de recours face à un enseignement public perçu par une partie des familles comme moins performant et moins sécurisant ».

La sélection sociale des enfants des couches favorisées dans l’enseignement privé est accélérée par la disparition des structures d’enseignement privé accueillant traditionnellement des couches moins favorisées socialement, comme les maisons familiales rurales par exemple. L’enseignement privé se localise de plus en plus dans les grandes villes et accueille les rejetons des familles aisées de ces agglomérations. Le phénomène a d’abord touché les couches aisées classées à droite et ayant des opinions plutôt conservatrices sur ce qu’il est convenu d’appeler maintenant les questions sociétales. Mais aujourd’hui, ce sont les couches supérieures se définissant elles-mêmes comme progressistes, voire de gauche, toujours prêtes à s’indigner contre les discriminations de toute nature, qui inscrivent leurs enfants dans l’institution privée la plus proche des centres-villes qu’ils occupent, sans y voir cette fois la moindre forme de discrimination vis-à-vis de tous les enfants qui n’ont, eux, pas d’autre choix que de fréquenter les écoles publiques qui restent celles de la République.

En 2022, les établissements privés accueillaient 2 fois plus d’élèves très favorisés et 2 fois moins d’élèves défavorisés que les établissements publics d’enseignement, selon les services statistiques du ministère de l’éducation nationale. L’écart se creuse au fil du temps.

Une étude de 2014 menée au niveau national(1) a mis en évidence qu’il était beaucoup plus difficile d’obtenir une place dans un établissement privé catholique pour une famille dont le nom avait une consonance maghrébine que pour une famille au nom à consonance française. L’écart en défaveur des demandeurs portant un nom maghrébin était de 11% à 13% de chances en moins de voir leur demande acceptée, pour la même demande, au même moment, avec le même profil mais ayant des patronymes différents. Une telle situation contrevient complètement aux obligations fixées par la loi Debré d’accueillir tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance.

Le ministre de l’éducation Pap Ndiaye s’en était ému et avait déploré le 1er mars 2023 devant les sénateurs qu’en dépit de leur financement majoritairement public, les établissements privés aient des politiques de mixité sociale très limitées. Il indiquait qu’il serait normal d’exiger d’eux qu’ils favorisent la mixité sociale des élèves en s’engageant dans une démarche contractualisée. Ces déclarations ont soulevé un tollé des défenseurs de l’enseignement privé. Le ministre a dû faire machine arrière et il n’a pas été reconduit au remaniement gouvernemental qui a suivi.

L’enseignement privé de meilleures qualité que celui du public ?

C’est ce que prétend la nouvelle ministre de l’éducation nationale qui n’a manifestement pas lu les études réalisées par son propre ministère, lequel n’attribue absolument pas cette supériorité qualitative aux établissements d’enseignement privé.

Les résultats au baccalauréat des lycées privés ne témoignent pas de l’excellence de leur enseignement, mais de la sélectivité de leur recrutement et du regroupement de cohortes d’élèves issus des classes favorisées.

Ce qui est beaucoup plus intéressant et significatif de la qualité de l’enseignement proposé aux élèves, c’est la valeur ajoutée apportée par l’établissement scolaire. Celle-ci est mesurée par les résultats obtenus par l’ensemble des élèves en l’absence de sélection sociale. La sociologie des établissements est étudiée et les résultats aux différents examens sont comparés aux caractéristiques sociales de la population. Mesurée de cette façon, la valeur ajoutée de l’enseignement public est bien souvent supérieure à celle des établissements privés pour lesquels les travaux de recherche actuellement disponibles ne permettent pas d’identifier une plus-value supérieure ou inférieure à celle de l’enseignement public.

On peut d’ailleurs remarquer que la proportion d’enseignants titulaires d’une agrégation rapportée à l’ensemble du corps enseignant d’un établissement est deux fois supérieure dans l’enseignement public à ce qu’elle est dans l’enseignement privé. Et sauf à penser que les enseignants ayant bénéficié de la formation la plus poussée soient les plus mauvais, cela doit bien exercer une influence sur la qualité de l’enseignement dispensé.

Un contrôle inexistant de l’État sur l’enseignement privé

Le constat de la Cour des comptes sur ce point est sans appel : «  le contrôle financier des établissements privés sous contrat qui incombe aux directions départementale et régionale des finances publiques n’est pas mis en œuvre ; le contrôle pédagogique réalisé par les inspecteurs d’académie et les inspecteurs pédagogiques régionaux est minimaliste  ; le contrôle administratif qui relève de l’inspection générale de l’enseignement, du sport et de la recherche et des recteurs n’est mobilisé que ponctuellement lorsqu’un problème est signalé. Par ailleurs, le suivi des contrats se révèle peu rigoureux, certains rectorats ne possédant pas ces documents sur la base desquels des sommes conséquentes sont pourtant versées.

Aujourd’hui, le dialogue de gestion entre l’État et l’enseignement privé sur les problèmes de fond – mixité sociale, équité territoriale dans la répartition des moyens, performances scolaires, politique éducative – est presque inexistant. La gestion des moyens, des ouvertures et des fermetures de classes est principalement déléguée aux réseaux d’enseignement privés en lien avec la direction des affaires financières (DAF) du ministère de l’éducation nationale. »

Il n’est pas nécessaire d’ajouter quoi que ce soit à ce constat accablant.

Financement public de l’enseignement privé catholique et communautarisme

Dire que la République ne peut pas sérieusement prétendre lutter contre le communautarisme en finançant massivement l’une des communautés religieuses du pays, les catholiques, fait généralement sortir de leurs gonds les défenseurs de l’enseignement privé qui considèrent que cela n’a aucun rapport.

Pourtant le lien entre les deux me semble difficile à récuser.

L’existence d’un enseignement privé catholique repose sur l’idée que les familles partageant une croyance religieuse ont le droit d’élever leurs enfants dans le respect de cette croyance, non pas en leur faisant suivre des cours de catéchisme s’ils le souhaitent en dehors de l’école, mais en faisant de la religion la justification de l’existence d’établissements indépendants du réseau scolaire public. Cette justification correspond donc exactement à ce que l’on peut définir comme un communautarisme religieux, c’est à dire l’idée qu’une communauté peut construire ses propres institutions à l’intérieur d’une République laquelle devient de ce fait moins « une et indivisible » comme le proclame sa constitution.

La part des autres religions, islam, judaïsme, dans l’enseignement privé sous contrat reste pour l’instant limitée compte tenu de l’historique de ce sujet et de la part écrasante de l’enseignement privé catholique, mais elle est en forte croissance depuis quelques années, en même temps que celle des écoles dont la vocation est vouée à la défense de langues régionales.

Il n’y a bien sûr aucune raison de refuser aux uns ce qui a été accordé très massivement à l’autre. Dès lors, si nous continuons comme cela l’enseignement public continuera à se déliter comme il le fait à une vitesse accélérée depuis quelques années, au profit de la coexistence d’écoles religieuses, d’écoles promouvant un régionalisme linguistique support de revendications politiques d’une plus forte autonomie régionale.

Les discours prononcé avec des trémolos dans la voix sur « l’école creuset de la République qu’il faut renforcer défendre etc. » ne sont que des tartufferies aussi longtemps que le principe d’une école unique de la République, libre de toute influence religieuse ne sera pas réaffirmé. Bien sûr, ceux qui veulent défendre la liberté de mettre leurs enfants dans des écoles confessionnelles doivent conserver ce droit, mais ils devront aussi en supporter la charge financière qu’il n’est pas légitime de faire supporter à l’ensemble des contribuables français. Cela d’autant plus que l’école privée catholique est devenue l’école des riches payée en grande partie par les impôts des pauvres. Cela pose non seulement une question de principe sur les fondements de l’école de la République, mais aussi des questions relatives à la politique fiscale et aux charges indues que l’on fait payer à la grande masse des citoyens pour permettre aux communautarisme des riches de s’organiser comme il souhaite le faire.

L’enseignement public est en crise

Critiquer l’enseignement privé et remettre en cause son mode de financement ne signifie pas que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes de l’enseignement public. L’école publique a été durement secouée par la succession des réformes ministérielles, chaque ministre voulant laisser la marque de son passage au lieu de laisser les enseignants travailler dans la sérénité. L’introduction des méthodes managériales importées du privé dans la gestion d’une institution qui n’a rien à voir avec une entreprise et qui doit d’ailleurs se préserver du mode de gouvernement des entreprises, hautement critiquable, a affaibli l’éducation nationale.

Là comme ailleurs le cancer bureaucratique se développe et le personnel de l’éducation nationale passe plus de temps à élaborer des rapports et des projets pour glaner quelques sous qu’à faire le métier pour lequel il a été recruté.

La paupérisation des enseignants en 30 ans a asséché les concours de recrutement de professeurs certifiés et agrégés. Faute de candidats, les exigences de recrutement sont revues à la baisse. Les professeurs titulaires en nombre insuffisant sont remplacés par des contractuels dont la formation n’est pas toujours à la hauteur de ce que les élèves devraient pouvoir trouver dans les établissements d’enseignement public.

La formation des instituteurs a été déstructurée pour les transformer en professeurs des écoles, seul moyen trouvé alors pour justifier la nécessaire augmentation de leur salaire qui n’avait pourtant pas besoin d’autre justifications que le travail excellent qu’ils faisaient dans l’ensemble depuis longtemps. Ils étaient correctement formés dans les écoles normales pour donner aux élèves de l’enseignement primaire ce dont ils avaient besoin pour disposer des savoirs fondamentaux. Aujourd’hui, ils doivent être titulaires d’un master d’une discipline quelconque sans plus disposer de la formation nécessaire à l’exercice du métier réel qui est le leur. L’évaluation du niveau des élèves en 6e témoigne de façon éloquente du fiasco de cette politique de gribouille.

En ce moment même on fait perdre un temps considérable à des dizaines de milliers d’enseignants pour qu’ils adhèrent à des contrats leur permettant de gagner quelques sous de plus moyennant des charges de travail supplémentaires qui les éloigneront de l’enseignement, tout cela pour ne pas procéder à une réévaluation urgente, nécessaire et importante du salaire des enseignants pour redonner de l’attractivité à ce métier.

Enfin il faudrait limiter l’interventionnisme des familles dans la vie des établissements scolaires, garantir aux enseignants la sérénité dans l’exercice de leur métier qui est d’abord celui de transmettre des connaissance et non d’éduquer au « « savoir-être, voire au « savoir paraître » si cher aux managers en tout genre. La France a besoin de jeunes qui possèdent parfaitement leur langue maternelle, ce qui est loin d’être le cas, qui disposent d’une formation scientifique solide, alors que nous sommes en plein décrochement dans ce domaine essentiel pour l’avenir du pays. Il faut épargner au système scolaire les demandes nouvelles incessantes de formation des élèves dans des domaines les plus divers, de la bienveillance à l’écologie vidée de tout contenu scientifique et réduite à un prêchi-prêcha moralisateur qui suscite plus souvent le rejet des élèves que leur adhésion.

Le résultat mesurable de toutes ces réformes visant soi-disant à démocratiser l’école, c’est que non seulement l’école ne réduit plus les écarts d’origine sociale, ne se contente pas de les reproduire, mais qu’elle les aggrave.

Madame Oudéa-Castera doit quitter le gouvernement

Mme Oudéa – Castera, ministre de l’éducation nationale depuis peu, a menti sur les raisons qui l’avaient conduite à inscrire ses enfants à l’école privée de luxe « Stanislas » plutôt qu’à l’école maternelle publique Littré. Cela est maintenant bien documenté et l’on ne comprend pas l’acharnement du président de la République et du Premier ministre à la maintenir à un poste qu’elle n’est pas digne d’occuper. Enseigner aux enfants à ne pas mentir est le premier devoir des adultes et devrait être particulièrement celui d’une ministre de l’éducation nationale.

La ministre a menti également dans un autre domaine, celui de ses rémunérations passées. Le Monde du 17 janvier indique qu’une enquête préliminaire a été ouverte contre le président de la fédération française de tennis pour avoir menti à la commission parlementaire sur les dérives des fédérations de sport, au sujet de la rémunération perçue par Mme Oudéa lorsqu’elle travaillait pour la FFT (soit 356 440 euros nets perçus en 2021 et un salaire annuel brut de 500 000 euros, prime d’objectifs comprise). Le président de la FFT a expliqué à la commission parlementaire qu’il n’y avait là rien d’exceptionnel et que le prédécesseur de Mme Oudéa gagnait à peu près la même chose. Or, il est apparu que le « pauvre » prédécesseur ne gagnait « que » 20 000€ /mois, une misère en comparaison du salaire de Mme Oudéa. Celle-ci a également menti lors de son audition par la Commission parlementaire, puis envoyé une lettre à ladite commission pour corriger ses déclarations mensongères, ce qui lui épargnera, semble-t-il, d’être elle-même poursuivie pour parjure.

Sa déclaration d’intérêt auprès de la haute autorité pour la transparence de la vie publique ferait état de la possession d’une maison individuelle de 469 m² dans le 6e arrondissement de Paris pour une valeur de 960 000€, soit 2047€ le mètre carré dans l’arrondissement le plus cher de la capitale. Il y a là un art de la négociation immobilière qui mérite d’être partagé car le site seloger.com indique que le prix moyen de vente d’une maison à Paris est de 10 285€ le mètre carré ; encore s’agit-il d’un prix moyen et non d’une maison située dans le 6e arrondissement.

Madame Oudéa-Castera et donc complètement disqualifiée pour occuper une fonction ministérielle et particulièrement la responsabilité du ministère de l’éducation nationale après qu’elle s’est mise dans l’impossibilité d’être une interlocutrice disposant d’un minimum de crédibilité vis-à-vis de ceux qui en constituent l’essence même, les enseignants et leurs représentants travaillant dans l’enseignement public. Il faudrait donc qu’elle parte au plus vite.

 

Jean-François Collin

Le 18 janvier 2024

Références

(1)https://www.cairn.info/publications-de-Pascale-Petit–6745.htm

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La Chine interdit l’exportation des technologies relatives aux métaux stratégiques

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Annoncée au début du mois de janvier 2024, l’interdiction de l’exportation de technologies d’extraction et de séparation des métaux stratégiques représente une nouvelle étape dans la guerre commerciale sino-américaine pour la suprématie économique.

Si l’administration Biden a considérablement durci les conditions d’accès des entreprises chinoises aux technologies américaines avancées, la Chine n’a pas tardé à lui répondre. Après avoir fortement conditionnée l’exportation de deux métaux stratégiques (gallium et germanium) à l’autorisation du pouvoir central, Pékin a franchi un cap supplémentaire dans la guerre commerciale qui l’oppose aux Etats-Unis en stoppant l’exportation de technologies permettant l’extraction et la séparation des terres rares.

Loin d’être anodines, ces deux annonces vont avoir des répercussions importantes sur le marché mondial. Le gallium (dont les ressources sont détenues à 94% par la Chine) est un élément indispensable pour le développement des technologies LED, des panneaux photovoltaïques et des circuits intégrés. Le germanium (dont 83% de la production mondiale est assurée par la Chine), est incontournable pour les fibres optiques et l’infrarouge. Quant aux technologies d’extraction et de séparation des terres rares, l’interdiction de leur exportation vise surtout à retarder le développement des Etats-Unis dans ce secteur.

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande mondiale en technologies à faible émission carbone pourrait être multipliée par 7 d’ici 2040 en raison notamment de la croissance de la production de véhicules électriques et d’éoliennes offshore (soit 2 millions de tonnes par an contre 280 000 tonnes en 2022).

En signe de protestation, l’Union européenne envisage de mener des actions dans le cadre de l’OMC. Mais, selon Sylvain Bersinger du cabinet Astérès cité par la Tribune « l’OMC est une coquille vide car les Etats-Unis et la Chine prennent des décisions en dehors de cette institution depuis plusieurs années ». Les Etats-Unis, plus offensifs, préparent selon le Wall Street Journal la restriction de l’accès au cloud de Microsoft et Amazon aux entreprises chinoises.  

Les métaux stratégiques, nouvel enjeu de souveraineté

La haute intensité technologique de nos sociétés contemporaines (et leur transition vers des économies décarbonées) fait des métaux précieux et terres rares un enjeu de souveraineté à part entière. « Tous les pans les plus stratégiques des économies du futur, toutes les technologies qui décupleront nos capacités de calcul et moderniseront notre façon de consommer de l’énergie, le moindre de nos gestes quotidiens et même nos grands choix collectifs vont se révéler tributaires des métaux rares(1) ».

Deux difficultés apparaissent dans ce secteur : d’une part, la demande mondiale en métaux stratégiques ou critiques connaît une forte augmentation en raison de la croissance démographique et du développement économique des pays émergents (mais également du développement de nouvelles filières industrielles liées à la transition numérique et écologique). D’autre part, le marché, par les hasards de la géographie, est fortement oligopolistique. Afrique du Sud, Australie, Brésil, Canada, Chine, Etats-Unis, Kazakhstan, Russie, Chili et Pérou concentrent la majorité des ressources connues. La République démocratique du Congo dispose quant à elle de 50% des réserves de cobalt, 80% des réserves de coltan.

Mais au-delà des hasards de la géographie, la situation oligopolistique du marché des métaux stratégiques et critiques tient également à la stratégie bien rodée d’un acteur désormais incontournable : la Chine. A travers une diplomatie minière parfaitement structurée sur l’ensemble des continents depuis plus de vingt ans, des géants miniers et un marché intérieur en pleine croissance, l’empire du Milieu est pleinement hégémonique. Il détient 95% des opérations sur les terres rares, 60% pour le cobalt et le lithium, 40% pour le cuivre. « De ce fait, la Chine est en capacité de fixer les prix du marché sur les terres rares et de nombreux métaux : elle représente par exemple 58% de la production mondiale d’acier.(2)»

L’Union européenne et la France : le risque de décrochage technologique

En août 2022, Joe Biden signe le Chips and Science Act permettant le soutien de l’industrie américaine de la tech à hauteur de 280 milliards de dollars (52,7 milliards pour les semi-conducteurs). La réplique américaine à l’ascension chinoise en matière de nouvelles technologies est donc sans appel.

Pour ce qui est de l’Europe et de la France, le retard pris est important : « l’Union européenne investit cinq fois moins que les Etats-Unis dans la R&D privée, elle y consacre 40 milliards d’euros par an, contre 200 milliards outre-Atlantique et 64 milliards dans l’empire du Milieu où ce montant croît de 15% chaque année. Quant aux start-ups du Vieux Continent, elles ont attiré trois fois moins de financements que celles d’Amérique du Nord dans la période post-Covid ». Pas de « techno-puissance » pour l’Europe et un risque important de décrochage technologique qui acterait la dépendance à long terme du Vieux Continent aux deux géants.

Références

(1)Guillaume Pitron, La Guerre des métaux rares. La Face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, janvier 2018.

(2) Pascal Lorot, le choc des souverainetés, Débats publics, 2023

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Le Parlement européen s’alarme de la dépendance de l’UE vis-à-vis de la Chine en matière d’infrastructures critiques

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Le mercredi 17 janvier, les eurodéputés ont voté deux résolutions relatives à l’influence croissante de la Chine sur un certain nombre d’infrastructures critiques au sein de l’Union (transports, ports, réseaux télécoms, métaux rares, câbles sous-marins…)

Le vote du parlement européen concernait notamment une résolution invitant la Commission européenne et les États membres à élaborer une stratégie portuaire. « En développant son influence dans les ports européens, la Chine a la possibilité d’avoir une influence sur nos politiques et d’avoir une influence également sur le commerce des matières rares (1)», indique son rapporteur.

Il concernait également le rapport du groupe Renew Europe déposé le 11 décembre 2023 relatif aux effets en matière de défense et de sécurité de l’influence de la Chine sur les infrastructures critiques des Etats de l’Union. Comme indiqué sur le portail de l’Intelligence économique « L’analyse de ce « rival systémique et concurrent » souligne comment la stratégie de fusion militaro-civile (MCF) mise en place par Pékin cible les technologies de pointe. La Chine cherche ainsi à éliminer les barrières entre la recherche civile et les secteurs commerciaux, industriels et de défense. Parmi les technologies ciblées, on retrouve l’informatique quantique, le big data, les semi-conducteurs, la 5G, les technologies nucléaire et aérospatiale avancées, ou encore l’intelligence artificielle. (2)»

La stratégie chinoise en matière de fusion militaro-civile

Le rapport du groupe Renew Europe souligne la nécessité de comprendre la stratégie chinoise de fusion militaro-civile (c’est-à-dire l’alignement des intérêts commerciaux des entreprises privées chinoises sur les intérêts économiques mais également politico-militaires du Parti communiste chinois) dans un contexte géopolitique plus large.

Cette stratégie est effectivement connectée à d’autres initiatives : les nouvelles routes de la soie bien sûr, mais également la route de la soie numérique (y compris « Made in China 2025 » et « China Standards 2035 »), l’initiative pour la sécurité mondiale et la stratégie de circulation duale.

Ainsi,le dessein final de cette stratégie de fusion militaro-civile est, selon les rapporteurs, de répondre à l’objectif stratégique de long terme du parti-Etat chinois : « faire de la Chine la première puissance mondiale sur les plans de l’influence politique, des capacités économiques, de la suprématie technologique et de la puissance militaire et déstabiliser l’ordre mondial ».

Les agences de renseignement des différents Etats de l’Union ont par ailleurs alerté à de multiples reprises sur les risques de dépendance, d’espionnage et de sabotage inhérents à la présence d’entités chinoises (mais pas uniquement) dans les infrastructures et les secteurs stratégiques de l’UE.

Nombreuses sont les pressions politiques émises par le pouvoir chinois, et subies par les acteurs économiques et politiques européens, pour l’approbation d’investissements dans les infrastructures critiques. La participation de l’entité chinoise COSCO dans le port de Hambourg est à cet égard symptomatique.

Quelles sont les conséquences de la stratégie chinoise de fusion militaro-civile ?

A travers ces investissements dans des infrastructures critiques, la Chine vise à accroître la dépendance économique de l’Union. Les rédacteurs du rapport exhortent par conséquent le Parlement européen et la Commission à renforcer la surveillance réglementaire et à « introduire des vérifications spécifiques des antécédents des personnes physiques et morales ayant des liens directs avec le gouvernement chinois ».

La diversification des sources d’approvisionnement en minéraux bruts critiques et terres rares à travers des partenariats stratégiques avec des pays tiers autre que la Chine représente également une nécessité selon les rapporteurs.

Développer une « boîte à outils » européenne afin de répondre aux préoccupations en matière de sécurité et de défense

L’un des piliers de la stratégie d’autonomisation de l’UE vis-à-vis de la Chine en matière de technologies et infrastructures critiques n’est autre que le réseau d’instituts de recherches et d’installation de R&D. Ces instituts jouent effectivement un rôle de premier plan dans le respect des engagements pris en matière de transition écologique, numérique mais également en matière de défense spatiale.  

Lucides quant à la situation de leadership de la Chine dans un certains nombres de technologies critiques utilisées dans des secteurs comme la 5G, les batteries, les missiles hypersoniques, l’énergie solaire et éolienne, les rapporteurs demandent aux institutions européennes de procéder à un examen systématique des entreprises chinoises « bénéficiant directement ou indirectement de programmes européens d’importance stratégique pour l’UE et, le cas échéant, de mettre fin à leur participation. »

La dépendance de pays de l’UE sur certaines infrastructures est, à bien des égards, alarmante : 100 % du réseau RAN 5G de Chypre est composé d’équipements chinois, le chiffre est de 59 % pour l’Allemagne.

Le rapport souligne également les dangers inhérents à l’application TikTok, qui ne respecte pas le cadre européen de protection de la vie privée, et constitue un instrument redoutable de désinformation à grande échelle.

Si les récentes mesures législatives visant à renforcer l’autonomie d’entités critiques, comme les ports, de l’UE sont saluées, les eurodéputés souhaitent néanmoins que la Commission partage avec le Parlement (avant la fin de la législature) une analyse détaillée de l’ensemble des risques commerciaux liés aux technologies telles que « les semi-conducteurs, l’informatique quantique, les chaînes de blocs, l’espace, l’intelligence artificielle et les biotechnologies. »

Les risques d’ingérences dans les marchés publics relatifs aux équipements de sécurité ne font malheureusement pas l’objet d’un contrôle adéquat. Comme c’est le cas dans le cadre du contrat passé par l’aéroport de Strasbourg avec la filiale européenne de la société chinoise Nuctech (détenue en partie par le gouvernement chinois) pour l’installation de scanners et portiques de sécurité.

Les députés ont émis les demandes suivantes :

– la mise en place d’un mécanisme de réaction rapide de détection du double usage ou de l’usage abusif d’infrastructures dans l’UE « sous propriété, participation ou concession chinoise, qui pourrait être utilisé pour mettre fin aux droits de concession et/ou suspendre la capacité du domaine dans les cas de propriété et de participation »

– La mise en œuvre de nouvelles mesures en matière de sécurisation des chaînes de production et approvisionnement des infrastructures et matériaux critiques

– L’élaboration d’un nouveau cadre législatif visant à réduire les risques de sécurité relatifs aux fournisseurs de systèmes de câble sous-marins

Etendre les mesures européennes aux partenaires et aux voisins de l’UE

Les députés européens invitent enfin la Commission à étendre les mesures prises en faveur de l’autonomie stratégique de l’UE vis-à-vis de la Chine aux pays partenaires de l’UE et faisant partie de sa politique de voisinage.  

Références

(1) https://agenceurope.eu/fr/bulletin/article/13330/13

(2) https://www.portail-ie.fr/univers/influence-lobbying-et-guerre-de-linformation/2024/les-infrastructures-critiques-europeennes-gangrenees-par-la-strategie-de-fusion-militaro-civile-chinoise/

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Ce que l’art fait à la démocratie

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Avec la disparition des diverses avant-gardes artistiques qui peuplèrent en nombre le XXe siècle, est remise en cause l’idée que l’art, à travers ses formes multiples, littérature, musique, architecture, a quelque chose à dire de l’état du monde et de la société. Et si les nouvelles technologies (et les tentatives de démocratisation de la culture) ont permis une diffusion sans précédent des œuvres d’art et des productions culturelles, l’art contemporain et les grandes industries culturelles semblent n’avoir plus aucun message à délivrer au public qui les contemple. Le premier par élitisme assumé et snobisme. Les secondes ne répondant qu’à une logique de divertissement. Se pose alors la question de la place désormais occupée par l’art dans notre quotidien et de la possibilité qu’il puisse encore être un facteur de transformation de la société, comme les avant-gardes du XXe siècle l’espéraient encore.

La place à part entière de la culture et de l’art dans l’exercice démocratique

Il est un penseur malheureusement trop peu connu malgré ses riches écrits sur les relations entre art, culture et démocratie (bien que ses textes se soient plus rapidement diffusés dans le monde anglo-saxon qu’en France). Ce penseur, Cornélius Castoradis, avance l’idée originale selon laquelle l’art et la culture constituent avant tout une preuve irréfutable de l’existence de moments historiques où des individus ont interrogé la légitimité de leurs institutions et commencé à se voir comme créateurs de leurs propres lois.

S’il est vrai que dans les sociétés non-démocratiques et traditionnelles, les productions artistiques évoluent peu au cours des siècles et sont soumises aux cadres très stricts imposés par le pouvoir politique et ou religieux (« C’est ainsi et pas autrement que l’on peint sous les Tang ou que l’on sculpte ou bâtit sous la XXe dynastie pharaonique, et il faut être un spécialiste pour pouvoir distinguer ces œuvres de celles qui les précèdent ou les suivent de quelques siècles »(1)), il y a, à l’inverse, une formidable créativité artistique qui se déploie dans les sociétés démocratiques mais également un remodelage permanent des grandes œuvres afin de les re-découvrir, les ré-interpréter et ouvrir ainsi les significations qui les peuplent au plaisir de l’imagination.

Il en est ainsi des rapports qu’entretiennent démocratie et tragédie athéniennes. Et, parmi les œuvres qui nous sont parvenues, hormis les Perses d’Eschyle qui prend sa source dans un événement d’actualité, toutes puisent dans les textes mythologiques, remodèlent le cadre qui leur est fourni par la tradition, lui donnent une nouvelle signification. « Entre l’Electre de Sophocle et celle d’Euripide, il n’y a pour ainsi dire rien de commun, sauf le canevas de l’action. Il y a là une fantastique liberté nourrie d’un travail sur la tradition et créant des œuvres dont les rhapsodes récitant les mythes ou même Homère n’auraient pu rêver »(2). Parmi les cadres posés par la tradition, la religion, ou bien même l’autorité charismatique, aucun ne résiste à l’examen conscient que porte le jugement artistique.

Bien sûr il ne s’agit pas d’ignorer les liens ténus qui existent pendant la plus grande partie de l’histoire des sociétés occidentales entre la philosophie, la recherche scientifique, le grand art d’un côté et la religion de l’autre. Souvent ils se conjuguent ou, à tout le moins, coexistent.  L’inverse reviendrait à nier toute qualité artistique à la grande majorité des œuvres qui peuplent pendant des siècles les terres du Vieux continent : les cathédrales romanes puis gothiques, le plafond de la chapelle Sixtine etc… Mais déjà leurs rapports évoluent, se transforment, jusqu’à ce qu’apparaissent des œuvres « profanes » : chez Shakespeare, considéré par Castoriadis comme le plus grand écrivain de l’Europe moderne, aucune trace de religiosité. Chez Laplace et son système monde, aucune mention de l’hypothèse « Dieu », apparue alors comme inutile.

Au-delà des œuvres, ce sont aussi des formes d’art profanes qui s’épanouissent : à l’image du roman, qui pour Castoriadis, en accord avec Milan Kundera, a pour « fonction » de remettre en cause l’ordre établi, de mettre en lumière le quotidien de tout un chacun. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’interrogation qui traverse les œuvres des grands romanciers du début du XXe siècle, Kafka, Proust, Joyce, concerne la possibilité ou non d’accéder effectivement à un sens définitif ; ou s’il faut se contenter d’habiter l’incertitude, si ce n’est l’absurde.

Ce n’est pas non plus par hasard si de 1800 à 1950, alors même que se produisent les grandes révolutions démocratiques, l’Europe entre également dans une période grandiose de création artistique, scientifique, philosophique. Les grandes œuvres se constituent comme autant de miroirs tendus à la face de la société dans laquelle elles s’épanouissent. Avec l’éclatement des cadres traditionnels volent également en éclat les restrictions qui peuplaient auparavant le monde de l’art et des représentations artistiques. Voilà pourquoi, selon Castoriadis, ceux qui proclament, par mode, la « fin de l’art » proclament également, et sans le savoir, la fin de ces sociétés démocratiques et de l’activité politique du peuple, tant leurs épanouissements respectifs sont liés.

La fin de l’art populaire ou l’apathie démocratique

Pourtant une tendance similaire traverse les écrits de Castoriadis. Sans parler de fin de l’art ou de fin de la philosophie, le monde occidental traverse selon lui une crise qui débute vers 1950 (date arbitraire qui ne vient que pour fixer les idées) et qui se matérialise par le fait que l’Occident « cesse de se mettre vraiment en question »(3).

Cette pente critique n’arrive pas sans raison. La première d’entre elles est liée à la perte du lien étroit qui existait auparavant entre art et démocratie, et finalement entre art et couches populaires.  Alors même que, et à l’instar de la tragédie et de la démocratie athénienne, s’étaient développées de grandes œuvres accessibles au plus grand nombre – la tragédie élisabéthaine ou les Chorals de Bach sont des œuvres que le peuple de l’époque allait voir au théâtre du Globe ou chantait dans les églises – une scission s’accomplit au XIXe siècle entre culture populaire (rapidement détruite) et culture dominante (celle de la bourgeoisie).

Pour la première fois dans l’histoire des sociétés occidentales modernes apparaît le phénomène de l’avant-garde et de l’artiste nécessairement « incompris ». S’ensuit une réduction de l’artiste au dilemme suivant « être acheté par les bourgeois et la IIIe République, devenir un artiste officiel et pompier – ou suivre son génie et vendre, s’il y arrive, quelques tableaux pour cinq ou dix francs »(4). L’artiste se sépare peu à peu de l’artisan, désormais considéré comme inférieur. Séparation absurde qui atteindra son paroxysme dans les discours de « l’art pour l’art » et le mouvement du Parnasse qui, tout artistes géniaux qu’ils sont, ont pour paradoxe de rompre avec toute inspiration qui puiserait dans les sujets sociaux et politiques tout en revendiquant la similarité du travail de la langue et de celui de la terre (souvent le parnassien se représente en laboureur).

Bien sûr des mouvements de va et vient s’effectuent tout au long du XXe siècle : de nouvelles formes d’art populaire apparaissent. La révolution russe, pendant ses premières années, est le théâtre d’une formidable production artistique où rivalisent des artistes comme Malevitch, Tatline ou encore Kandinsky, avant que l’art ne devienne un instrument du pouvoir stalinien. Bertolt Brecht produit des œuvres qui s’adressent au plus grand nombre, à l’image de L’Opéra de quat’sous. L’invention du design, et l’avènement d’écoles architecturales et d’arts appliqués comme le Bauhaus, renouent les fils autrefois cassés entre production artistique et utilité sociale ; participent de la lutte pour l’intégration des femmes artistes dans le monde machiste de l’art et de l’architecture. Les photomontages dadaïstes scellent le retour du concret, du matériau face au lyrisme néoromantique. « Dada se bat aux côtés du prolétariat révolutionnaire » annonce, de manière grandiloquente, Wieland Herzfelde dans son introduction au catalogue de la « Grande foire Dada »(5).

Mais ces « artistes révolutionnaires », pour beaucoup, fréquentent peu les classes populaires ou s’en sont éloignés depuis longtemps en raison de la reconnaissance artistique autant que financière que leur vaut l’exposition de leurs œuvres dans les salles les plus réputées des capitales occidentales. Nombre de mouvements – voire de disciplines – perdent le talent qui les caractérisait dans la critique sociale. A l’instar du design, peu à peu gagné par le modèle économique dominant, converti aux lois du marché et de la publicité, et désormais simple instrument de distinction pour élites économiques ne sachant plus quoi faire de l’argent accumulé. 

Au-delà du seul champ artistique et littéraire, l’avant-garde se diffuse jusque dans les milieux politiques, devient même un mantra du marxisme-léninisme, et finit de dissocier les classes populaires, si ce n’est le mouvement ouvrier lui-même, de ses représentants. A l’Est, en 1947, au moment même où il donne naissance au Kominform, Andreï Jdanov, proche collaborateur de Staline et auteur de la doctrine du même nom, publie également son essai Sur la littérature, la philosophie et la musique. Il y définit les dogmes du réalisme socialiste et rejette d’un même geste toute autre forme d’art comme « bourgeoise » ; renvoyant ce qu’il restait d’artistes russes à la clandestinité.

Mais l’art des pays de l’Ouest ne se porte pas mieux. Jean Clair (pseudonyme de Gérard Reigner) donne d’ailleurs une image drôle autant qu’horrible, de la tenue d’une biennale à Venise dans les années 1980, où pavillon soviétique et pavillon américain se retrouvent l’un à côté de l’autre. Côte à côte par conséquent des peintures de la pure tradition du réalisme socialiste, fades, aux traits grossiers, presque caricaturaux – symbole d’une scène artistique censurée depuis trop longtemps – et des œuvres américaines dont la tiédeur fait pâlir le spectateur. Côte à côte et surtout renvoyées dos à dos, puisque ni l’art soviétique ni l’art américain – en tout cas celui présenté lors de cette biennale – ne sont plus capables de produire la moindre émotion chez le spectateur.

Symbole de cette crise, l’absurde saisit nombre « d’artistes » qui croyant faire entrer la vie quotidienne dans les musées, exposent une bouteille de coca-cola, un mégot de cigarette ; un objet qui pris pour lui-même ne vaut rien et qui prend le risque de passer inaperçu aux yeux d’un public profane sans toutes les procédures de plus en plus sophistiquées et la mise en scène à laquelle se livrent certains musées (éclairages agressifs, cartels aux textes autant complexes que vides de sens, etc.)(6).

Le minimalisme et ses formes « pures » qui se propagent dans l’art occidental deviennent si obscures pour le commun des mortels que ses représentations peuvent s’afficher, sans jamais émouvoir, sur le devant des sièges des grandes entreprises multinationales « Aucun rappel gênant en elles de l’homme et de ses humeurs pour déranger la sérénité des opérations. L’œuvre d’art était enfin devenue, face à la rugosité du réel, une chose aussi abstraite que peuvent l’être un titre ou une cotation, comparés à la réalité du travail humain qui en constitue la substance.(7)»

A quelques exceptions près, « l’avant-garde » artistique et culturelle que nous offrent nos sociétés occidentales est parfaitement incarnée par cette artiste dont se moque le personnage de Jep Gambardella (incarné par Toni Servillo dans La Grande Bellezza), parlant d’elle à la troisième personne et exécutant des performances consistant à courir nue et à se projeter la tête la première sur le pilier d’un pont romain. Pour continuer sur le registre cinématographique, cette scission entre d’un côté le snobisme artistique qui caractérise actuellement nombre de responsables de gauche, si heureux de promouvoir artistes, œuvres et autres performances que personnes ne comprend, et les classes populaires, est malicieusement abordé dans le délicieux film de Pierre Salvadori En liberté ! Au détour d’une scène où les cambrioleurs d’une bijouterie sont déguisés en insectes géants, sous le regard ébahi de deux vigiles, l’un d’eux lâche cette phrase burlesque : « C’est sûrement une performance artistique, tu sais depuis que la mairie est passée à gauche… »

Bien sûr il ne s’agit pas ici d’aller crier avec les conservateurs de tous poils que « c’était mieux avant ». Tout art ayant vocation à parler au plus grand nombre n’est pas enfoui. Il est également inutile de désespérer de la pop-culture qui peut parfois être une porte d’entrée vers des questions hautement politiques. Pour preuve les multiples débats engendrés partout dans le monde par la dernière saison de la série Game of Thrones : la fin justifie-t-elle les moyens (comme le laisse à penser la maison Lannister) ; le devoir doit-il guider l’action humaine (comme il guide la maison Starck) ; la filiation est-elle le critère ultime de la légitimité d’un souverain ?

Il s’agit plutôt de comprendre ce qui est arrivé et comment nous sommes passé de productions artistiques qui prétendaient délivrer un message politique (quelqu’il soit) et s’adresser au plus grand nombre à un art qui n’a plus rien à dire et ne communique plus qu’avec un public de pseudo initiés.

Certainement qu’un élément de réponse se trouve dans l’échec qui fut celui des avant-gardes du XXe siècle qui imaginaient pouvoir mettre en scène, en musique, sur papier ou sur toile, les représentations d’une humanité irrémédiablement en marche vers un avenir meilleur.

La promesse non tenue de l’art moderne et des avant-gardes artistiques

A partir de 1905 et la naissance du cubisme (date à nouveau arbitraire qui ne vient que pour fixer les idées), s’ouvre une période communément appelée période de l’art moderne qui ne se refermera qu’à la fin des années 1970 avec le délitement des liens entre productions artistiques et messages politiques. Sur ces soixante-dix années se succèdent sans discontinuer une flopée de mouvements artistiques se vivant comme autant d’avant-gardes. Chacun d’eux se perçoit comme une rupture totale d’avec ce qui l’a précédé et charrie avec lui un programme social et politique ; ou à tout le moins une idée précise de ce qu’est une vie humaine digne et réussie. Chacun également affirme haut et fort détenir le dernier mot sur la nature de l’art et la forme qu’il doit prendre. Dans cette lutte sans arrêt recommencée où certains mouvements vont même jusqu’à se raccrocher corps et âme à un régime politique (le futurisme avec le fascisme mussolinien, le réalisme socialiste de l’U.R.S.S) l’art devient un champ de bataille tout aussi important que l’arène politique.

De ce conflit permanent entre écoles, artistes, mouvements résulte une situation d’inventivité rarement égalée. L’affirmation, sans cette reconduite, de la rupture d’avec l’ordre établi pousse naturellement les artistes à transgresser toutes les conventions (artistiques mais pas que) qui rythment la vie des sociétés occidentales. Jusqu’à ce que la transgression et la nouveauté deviennent une quête en soi. Cette inventivité artistique croît également suivant des facteurs externes au domaine artistique.  L’avènement de la photographie, du cinéma (muet puis parlant), de la radio transforme considérablement la production artistique. Les œuvres d’art moderne diffèrent tellement des précédentes (par leur transgression des critères du beau, par les matériaux utilisés et parfois volontairement éphémères, par leur gigantisme quelquefois…) qu’il leur faut des musées à leur mesure. « Des œuvres cosmopolites et qui n’étaient plus belles tout en étant des chefs d’œuvre rendaient indispensables des musées d’un autre type, des espaces spécifiques, des cimaises adaptées à leur particularité. » (p.74).

Mais l’art moderne connaît, à partir de la seconde moitié du XXe siècle, une série de bouleversements qui ne le laisseront pas indemne. Certainement que la fin des grands récits (ou tout simplement des régimes politiques dont ils étaient proches) sur lesquels les différentes avant-gardes s’étaient appuyées n’a pas aidé. Bien que les œuvres de Gorky aient survécu à la mort de l’U.R.S.S le réalisme-socialiste s’est définitivement effondré avec elle. Sans parler du futurisme qui, s’il compte parmi ses membres aussi bien des socialistes que des communistes, s’était développé dans l’ombre du fascisme mussolinien et succombe à bien des égards au même moment.

Certainement également que les décolonisations successives et la mondialisation des échanges ont conduit à relativiser considérablement la place de l’art moderne et de ses représentants dans une histoire de l’art désormais globale et non plus européenne. Eux qui auparavant ne considéraient les arts non occidentaux que pour mieux s’en inspirer ou se comparer, doivent maintenant leur faire une place au sein même des musées du Vieux Continent.

Peut-être néanmoins que le coup de grâce a été porté, involontairement, par nul autre que les avant-gardes elles-mêmes. En mettant fin à la distinction entre Grand art et arts mineurs (depuis les papiers collés de Picasso jusqu’au ready-made de Marcel Duchamps) les avant-gardes ont certes repensé totalement la façon dont elles allaient toucher le plus grand nombre. Mais elles ont aussi réduit à peau de chagrin la frontière qui les séparait encore des autres produits de la modernité industrielle : la publicité, le marketing et les grandes industries culturelles qui se développent avec la photographie le cinéma et la radio.(8). L’exportation du mode de vie américain finit de détruire cette frontière déjà si poreuse : « modes de vie (Coca-cola, jeans, T-shirts, fast-foods), formes de la publicité, cinéma hollywoodien, musique (jazz, rock, pop music), danse. Dans les arts visuels, c’est le moment où, selon l’expression de Serge Guilbaut : « New york vole l’idée d’art moderne »(9).  (p.81)

A la fin du XXe siècle (et dès la fin des années 1970) il n’y a plus ni Grand Art ni grandes œuvres. L’art moderne qui, dans sa recherche d’absolu, promettait de trouver la forme définitive de l’art, mais également celle de la vie politique, a fini par se dissoudre dans les industries culturelles et s’évaporer(10). Reste selon Yves Michaud trois attitudes face à la mort de l’art moderne.

La première attitude est la constatation par certains de la mort de l’art avec un grand A dans la mesure où celui-ci ne remplit plus de fonction spécifique et se confond désormais avec le tout venant de l’industrie culturelle. « Modernistes attardés et classiques désabusés se retrouvent paradoxalement dans la même déploration de la crise de l’art contemporain. Il leur faudrait de grandes œuvres qu’ils cherchent en vain »(11).

La deuxième attitude est moins sombre mais plus cynique. Elle est l’apanage de ceux qui considèrent qu’il faut se rendre à l’idée de l’ouverture d’un nouveau régime de l’art et de la culture où ces derniers n’ont plus pour fonction d’éveiller les consciences mais bien de divertir. L’art se rapprochant ainsi du tourisme et du spectacle commercial.

La troisième attitude, plus naïve que les deux autres (bien qu’il s’agisse ici d’un jugement personnel) fait l’apologie de la mondialisation qui touche également les productions artistiques comme possibilité qu’adviennent des sociétés multiculturelles et non une homogénéisation des pratiques artistiques. Plus de centre ni de périphérie entre pays ni même au sein des productions culturelles Comme si tout rapport de force entre productions artistiques et culturelles avait disparu et que l’art passait doucement de champ de bataille absolu en un espace harmonieux de cohabitation de tous.

Chacune de ces attitudes, bien que n’en tirant pas les mêmes conséquences, se rend à l’idée que le Grand Art est mort et que les productions artistiques se confondent désormais avec l’industrie culturelle. Mais quelque chose manque fondamentalement pour comprendre comment nous sommes arrivés à cette situation d’un art pour qui n’importe plus ni la forme ni le fond. Et peut-être que ce quelque chose n’est autre qu’une explication « sociologique ». En d’autres termes, si l’art et plus largement la culture sont indissociablement liés aux évolutions de la société il va sans dire qu’ils ne sont pas non plus imperméables aux conflits et luttes qui peuvent exister entre les différents groupes sociaux qui la constitue. Comme comprendre autrement la naissance d’un art contemporain qui est avant tout un art pour élites occidentales ou occidentalisées ?

Misère de l’art contemporain et élites sans valeur

Disons-le tout de suite. Il y a toujours eu des productions artistiques qui ne s’adressaient qu’à un public d’initiés. « Il y a toujours eu des poètes pour happy few et, selon une expression consacrée, des peintres pour peintres. Un art n’a pas forcément vocation à se diffuser démocratiquement comme un service public »(12). Penser le contraire serait de la pure naïveté. En revanche, ce qui est radicalement nouveau dans le cas de l’art contemporain c’est que ce dernier utilise les mêmes matériaux, les mêmes assemblages, les mêmes procédés, les mêmes objets que la société de consommation avec ses produits marketing, ses publicités, ses clips, ses industries etc… Art d’élite et produits de grande consommation (le fameux exemple du mégot de cigarette ou de la bouteille de coca-colas utilisé plus haut) ne diffèrent en rien. Selon l’aveu même d’Yves Michaud « S’il est un cas où le mécanisme bourdivin […] de la distinction s’opère pleinement, c’est celui de l’art contemporain : des expériences très proches voire indistinguables, sont posées comme différentes pour des raisons de…distinction ». Voilà donc la première caractéristique de cet art contemporain : il est un pur art de la distinction d’avec le reste des membres de la société.

L’art contemporain a pour deuxième caractéristique, disons-le également tout de suite, d’être un produit financier comme les autres. Et pour illustrer ce point, le Bouquet of Tulips de Jeff Koons est un exemple plus que parfait(13). Inauguré le 4 octobre 2019 à Paris, dans les jardins des Champs Elysées à Paris, Bouquet of Tulips qui, comme son nom l’indique, représente une main géante tenant onze tulipes de toutes les couleurs, est un « cadeau » de l’artiste américain Jeff Koons à la France en hommage aux victimes des attentats terroristes de 2015 au Bataclan. Cadeau qui n’en a que le nom. Jeff Koons n’a fait don que du dessin. L’œuvre en elle-même a été réalisée par la fonderie allemande Arnold, spécialisée dans les productions technologiques avancées et a été financée par les impôts des Parisiens et la mobilisation des milieux financiers franco-américains. 

A l’initiative de cette mobilisation financière, on retrouve l’ambassadrice des Etats-Unis en France, Jane D.Hartley qui est une spécialiste de la levée de fonds politique et du lobbyisme ayant travaillé pour le parti Démocrate lors des campagnes respectives de Bill Clinton et de Barack Obama. Son mari, Ralph Schlosstein, est quant à lui un spécialiste de l’ingénierie des achats et fusions d’entreprises et un proche de Larry Fink, le fondateur du premier fonds d’investissement du monde, Blackrock.

Côté français on retrouve l’entreprise Noirmontartproduction, fondée par Jérôme et Emmanuelle de Noirmont, qui accompagne les artistes « bankable » dans la réalisation d’expositions et la mobilisation des fonds nécessaires. On retrouve également la structure de droit privé créée sur demande d’Anne Hidalgo en 2015 « Fonds pour Paris » (liée à Paris Foundation une association américaine miroir). Yves Michaud dresse d’ailleurs la liste de membres du conseil d’administration de la structure à la date du 1er novembre 2019 : cinq élus municipaux et neuf personnalités représentant le monde des affaires, du tourisme et de l’immobilier. On y retrouve notamment : Laurent Dassault, petit-fils de Marcel Dassault, Georges Rech, ancien ministre de la Culture du gouvernement Raffarin en 2002 et conseiller de François Pinault ; Anne Maux, présidente d’Image7 et proche de François Pinault ; Rémi Gaston-Dreyfus qui préside le conseil d’administration du fonds et est le président de la foncière d’investissement GDG spécialisée dans la rénovation et la restructuration d’actifs immobiliers. Gaston-Dreyfus est par ailleurs membre de Christie’s, la société de vente aux enchères de François Pinault. « La composition du groupe parle d’elle-même : il s’agit d’une élite de pouvoir […] d’un réseau de décideurs et d’influenceurs du monde politico-financier tournés vers l’art contemporain, le commerce du tourisme et l’immobilier, une sorte de nomenklatura mondaine parisienne.(14)»

Tout ce petit monde s’est donc réuni afin de lever les fonds nécessaires pour que voit le jour le bouquet de tulipes de Jeff Koons. La liste des donateurs(15) témoigne par ailleurs qu’il ne s’agit pas d’une banale et généreuse opération de bienfaisance mais plutôt d’une affaire de promotion de l’art américain à travers le soutien d’un de ses artistes les plus financièrement attractifs(16). Voilà donc la deuxième caractéristique de l’art contemporain : il s’est étendu un peu partout via « les marchés financiers, que ce soit LBO, ventes à découvert, bons spéculatifs » et couvrant ses opérations artistiques les plus ridicules (à l’image des tulipes) à coup de sentiments convenus (solidarité envers les victimes, joie de vivre face au terrorisme). En somme, un pur produit financier au service d’intérêts, osons dire le mot, de classe.

N’en déplaise aux prophètes des temps malheureux, le capitalisme libéral « est parvenu à créer un art à son image, un art affranchi des injonctions et des illusions modernistes, un art sans modèles, sans valeurs, sans idéaux, sans perspective humaniste, bref, un art « conforme », témoin désabusé, très peu contestataire, véritable sismographe d’un monde agité et déboussolé »(17).

Art gazeux, art identitaire, art écologique

De la même manière que l’époque moderne a eu son art (moderne) qui n’était jamais que son reflet, partageant avec lui ses obsessions (celle de l’avenir et du radicalement nouveau) ; l’époque contemporaine a des produits culturels et artistiques qui lui ressemblent. Dans l’art contemporain comme dans les industries de divertissement, qu’importe les matériaux, qu’importe même la signification d’une œuvre (ou l’absence de signification), il faut du radicalement nouveau qui ne tient compte d’aucune tradition passée, qui s’évanouit tout de suite après (certains artistes prenant d’ailleurs l’habitude de produire des œuvres pour des événements particuliers et les détruisant juste après) mais qui rapporte. Aux artistes certes, mais surtout aux actionnaires. Laissant la mémoire vierge de tout souvenir et les musées avec un dilemme insolvable : comment faire le tri dans le tout-venant industriel de la production contemporaine et conserver ce qui n’a pas vocation à durer ?

Et si l’art est souvent le reflet (traitre ou fidèle) d’une époque, il y a fort à parier qu’il sera secoué demain par les mêmes forces qui sévissent dès aujourd’hui dans les autres domaines de la vie humaine. Sans conteste, et comme elle bouleverse le marché du travail, les loisirs, la recherche scientifique, l’intelligence artificielle fait déjà sentir ses effets sur l’art. L’IA repose avec insistance la question de sa définition (peut-il y avoir des œuvres quand il n’y a pas d’artiste ? Peut-il y avoir du beau quand il n’est produit que par des technologies ?). Et loin de stopper le côté évanescent des productions artistiques et culturelles contemporaines, l’IA risque au contraire de lui donner un nouveau souffle. Dès 2016, Microsoft a lancé The Next Rembrandt. Un logiciel capable de stocker et d’analyser tous les détails des visages et portraits peints par Rembrandt puis de réaliser, à l’aide d’une super-imprimante, de nouveaux portraits que le maître hollandais aurait pu signer de sa main(18). La mélodie du morceau « Hello Shadow » interprété par Stromae et Kiesza a été composée de bout en bout par une intelligence artificielle.  

La tentation d’un art et d’industries culturelles « identitaires » se fait également de plus en plus forte et connaît déjà des manifestations multiples. En 2019 la représentation des Suppliantes d’Eschyle dans l’amphithéâtre Richelieu de la Sorbonne est bloquée par des manifestants car dénoncée de manière saugrenue comme une pièce raciste. Un an auparavant, c’est Ariane Mnouchkine et Robert Lepage qui sont accusés d’appropriation culturelle, pour leur pièce Kanata. Peu à peu, et fortement poussé en ce sens par quelques mouvements et militants de gauche, l’art est gagné par l’idée qu’il n’a pas à réinterroger l’ordre et les identités, si fluctuantes et mouvantes soient-elles. Les différents régionalismes se saisissent de l’art et investissent dans les productions culturelles pour qu’on leur reconnaisse une identité propre en tant que nation (même si cela donne parfois des idées saugrenues comme la succursale du musée Guggenheim, soit la panacée de l’art américain, à Bilbao en pleine terre basque). Les conservateurs n’hésitent plus à produire des films faisant l’apologie des monarchies d’antan. Cet art identitaire est tourné vers un passé de nouveau glorifié à la mémoire de vaincus qui se transforment en victimes éternelles (et dont le statut de victime se transmet de génération en génération) où à celle d’une grandeur disparue (à la manière du film produit par le Puy du fou « Vaincre ou mourir » en hommage au royaliste et chef vendéen Charrette lors des guerres de Vendée pendant la Révolution française).

On peut d’ailleurs difficilement en vouloir à cet « art identitaire » de resurgir. De la même manière que la croissance infinie de la production économique et le flux continue des marchandises touchent aux limites naturelles de la planète, l’art contemporain et les industries culturelles de masse approchent des limites biologiques et cognitives de l’être humain. Le flot permanent des clips musicaux, des films et plateformes vidéos, des jeux-vidéos, des expositions élitistes qui n’émeuvent personne, des affichages publicitaires aussitôt détournés, ne laisse finalement aucune trace. Tout coule, tout passe. Si vite que l’oreille est sourde avant que d’être réellement stimulée, la rétine abreuvée jusqu’à plus soif. Le cerveau quant à lui n’a pas le temps de sélectionner ce qui compte et ne compte pas. Le temps d’attention se réduit considérablement (8 secondes en moyenne, soit moins que le poisson rouge(19)). Le souvenir est enterré avant que d’être. Les sens sont tellement irrités qu’on loue désormais des caissons d’isolation sensorielle pour faire l’expérience de courts instants sans lumière, sans son, sans toucher, sans odeur ni sensation d’apesanteur.

Dans ce contexte, quel réflexe plus naturel que celui de se tourner vers ce qui nous semble avoir passé avec succès l’épreuve du temps ; avoir duré plus d’une génération(20). Les pyramides d’Egypte et celles des civilisations précolombiennes, le Parthénon d’Athènes, le Colysée et le mur d’Hadrien, les cathédrales européennes, les temples d’Angkor, le pavillon d’or à Kyoto laissent des souvenirs plus mémorables que ne le fera jamais le Bouquet of Tulips de Jeff Koons(21).

Mais il y a fort à parier que l’art sera également bouleversé par la prise de conscience de la crise écologique et environnementale. Si les manifestants écologistes collant leurs mains à l’aide de Superglue à des tableaux de Monet ou jetant de la soupe sur un Van Gogh laissent une piètre image des relations entre art et écologie, il y a heureusement quelque chose de plus profond qui prend place, doucement. Peu à peu, l’art est gagné par l’idée qu’il a aussi son mot à dire sur les relations désormais exécrables de l’être humain avec son environnement naturel. Avouons tout de suite qu’il y a beaucoup de snobisme là-dedans. L’art contemporain en particulier a érigé les sentiments convenus sur la crise écologique au même niveau que son apologie de l’inclusion de « l’Autre ». Mais une fois balayé d’un revers de main les productions superficielles, un autre paysage apparaît, parsemés d’œuvres aux formes multiples (sculptures, peintures, cinéma, jardins, musiques). Des noms d’artistes se dessinent. S’il ne fallait en citer qu’un ce serait celui de Noémie Goudal dont les photographies, toujours à la lisière entre réalité et fiction, montre une vie humaine fantomatique (incarnée par des monuments froids et délaissés au milieu de paysages vierges) aux prises avec le glissement du monde naturel(22). La programmation culturelle de villes comme Malakoff montre d’ailleurs suffisamment la place que prend désormais l’écologie dans les multiples productions artistiques(23).

Le beau, comme préoccupation artistique mais également politique, est loin d’avoir disparu des considérations citoyennes. Mais il n’est plus dans les multiples vernissages pour artistes « bankable ». Il est dehors : dans la contemplation de la nature ; dans la cohabitation entre édifices humains et vivants. Pour preuve la dernière étude de la fondation Jean Jaurès sur « Les Marseillais et leur ville » : 77% des Marseillais trouvent que leur ville est belle. Et 71% d’entre eux considèrent que les espaces naturels constituent l’un des critères les plus importants pour la beauté d’une cité(24).

Peu à peu également, cet art écologique voit naître ses propres théories, ses propres exercices de pensée. Comme tout courant politique ou artistique, il y a du bon et du moins bon. Voire du fondamentalement mauvais. Mais certains, à l’instar de Guillaume Logé, mérite d’être salués pour le travail formidable qu’ils ont entrepris. L’auteur de Renaissance sauvage : l’art de l’Anthropocène revient sur la Renaissance italienne du XVe siècle, moment de bascule, parfaitement incarné par l’œuvre de Léonard de Vinci ou encore l’invention de la perspective, où les différents domaines de la connaissance (sciences, philosophie, art) se conjuguent et donnent ainsi un souffle nouveau à la création humaine.

Plutôt que de mener une critique caricaturale et monolithique de la modernité comme mépris de la nature et adoration de la technique, Guillaume Logé souligne en son sein la présence de traditions artistiques et politiques « écologistes ». Parmi elles il y a ce qu’il appelle la « Renaissance sauvage ». A travers ce nom énigmatique est désignée une tradition débutant dès la fin du XIXe siècle (et se prolongeant jusqu’à nos jours) et s’incarnant dans différents mouvements artistiques comme le mouvement Arts and Craft. Parsemée de textes comme celui de William Morris Les arts décoratifs, leur relation avec la vie moderne, la Renaissance sauvage est avant tout un appel à une nouvelle collaboration entre les arts, les sciences et la nature.

C’est d’ailleurs tout le génie de Guillaume Logé que d’avoir compris que « l’art écologique » (au même titre qu’une politique écologique par ailleurs) ne pourra jamais être un art du radicalement nouveau. Pour s’imposer il lui faut retrouver le fil de traditions perdues au travers de grandes figures artistiques mais également de pratiques culturelles ancrées dans des traditions populaires. Il n’est d’ailleurs pas le seul à explorer cette voie. Mickaël Löwy et Robert Sayre revisitent le romantisme qui est selon eux bien plus qu’un mouvement littéraire. Il est « une protestation culturelle contre la civilisation capitaliste et une critique radicale des dégâts infligés par celle-ci à la planète qui court de la fin du XVIIIe siècle à aujourd’hui ». Le poète et éditeur William Morris fait, pour eux aussi, office de phare écologique dans la nuit industrielle. Mais d’autres figures tracent une ligne chronologique pour arriver jusqu’à nous : le botaniste-voyageur William Bartram, le peintre Thomas Cole, Walter Benjamin et sa dénonciation du meurtre de la nature, l’essayiste Raymond Williams et finalement Naomie Klein. Un retour donc sur la dimension critique que contient le romantisme vis-à-vis du progrès technologique mais pas une glorification éhontée du passé(25).

Prolongeant sa réflexion dans son Musée monde, Guillaume Logé redonne ses lettres de noblesses à une institution trop longtemps discréditée à gauche comme élitiste. Loin d’être dépassé, le musée (quand il ne ressemble pas à un parc d’attraction) est un refuge autant mental que physique, au même titre que la salle de classe, permettant de se couper du flot incessant des activités humaines pour mieux s’émerveiller et percevoir autrement le monde qui nous entoure. En son sein, peuvent s’imaginer d’autres façon de faire collaborer sciences, arts et nature.

L’art n’a donc jamais cessé d’être un champ de bataille. Mais ce n’est plus désormais le futurisme, le réalisme socialiste ou (en peinture) l’expressionnisme abstrait américain qui occupent ce champ. Tout du moins sur la scène artistique européenne et nord-américaine. Art gazeux (sous les traits de l’art contemporain comme des industries de divertissement), « art identitaire » et « art écologique » ont pris leur place(26).  L’avenir sera certainement marqué par le mélange des genres : l’art identitaire n’ayant aucun mal à produire du divertissement quand il s’agit de convaincre quant aux malheurs subis par l’un de ses héros (comme le le film Vaincre ou Mourir du Puy du Fou). Les multiples productions des industries culturelles, à la manière des films Netflix, continueront encore longtemps d’être utilisées par les élites mondialisatrices, afin de maintenir la température de nos sociétés en dessous du niveau d’ébullition.

L’art écologique devra certainement faire face au défi de sa démocratisation. Il lui faudra éviter le snobisme caractéristique de l’art contemporain et ne pas se transformer en niches pour militants politiques écologistes métropolitains. Mais si les artistes qui le composent y arrivent, il peut être une formidable chance d’éveiller les consciences quant au défi, éminemment politique, de l’urgence climatique et d’imaginer de nouvelles voies de collaboration entre sociétés humaines et nature.

Quant aux artistes, la place qu’ils ont désormais dans nos sociétés contemporaines n’a plus rien à voir avec celle qu’occupaient auparavant les diverses avant-gardes du XXe siècle. Certes, la responsabilité sociale qui est la leur, puisqu’ils sont un groupe indispensable à la remise en cause de la société telle qu’elle va, n’est pas près de s’éteindre. Mais on ne leur demande plus de définir les critères ultimes du beau et encore moins du juste. Fini les artistes prophètes. Et c’est tant mieux.

Une figure se détache à la fin de cet article. C’est celle de Cornélius Castoriadis, que nous avions évoqué plus haut, et des derniers mots qu’il prononça lors de la conférence donnée à Madrid en 1994 : « La philosophie nous montre qu’il serait absurde de croire que nous aurons jamais épuisé le pensable, le faisable, le formable, de même qu’il serait absurde de poser des limites à la puissance de formation qui gît toujours dans l’imagination psychique et l’imaginaire collectif social-historique. Mais elle ne nous empêche pas de constater que l’humanité a traversé des périodes d’affaissement et de léthargie, d’autant plus insidieuses qu’elles ont été accompagnées de ce qu’il est convenu d’appeler un « bien-être matériel ». Dans la mesure, faible ou pas, où cela dépend de ceux qui ont un rapport direct et actif à la culture, si leur travail reste fidèle à la liberté et à la responsabilité, ils pourront contribuer à ce que cette phase de léthargie soit la plus courte possible »(27).

Références

(1)Cornélius Castoriadis, La montée de l’insignifiance, les Carrefours du labyrinthe, tome 4, Editions du Seuil, 1996 p.239

(2) Ibid.90

(3) Ibid.75.

(4) Ibid. p.89

(5) Il ne faut d’ailleurs pas confondre art démocratique et art populaire selon Castoriadis. Un art peut être démocratique même s’il ne correspond pas au goût populaire dans la mesure où il est libérateur. Par ce qu’il montre, il remet en cause l’ordre existant, ou l’expose totalement nu et sans défense. « Et il est démocratique alors même que ses représentants peuvent être politiquement réactionnaires, comme l’ont été Chateaubriand, Balzac, Dostoïevski, Degas et tant d’autres. » Ibid.p.245. La comédie humaine de Balzac expose les vices de la bourgeoisie triomphante face à une aristocratie condamnée. Les mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand exprime comme aucune autre œuvre le passage entre deux époques et deux conceptions du temps (l’Ancien Régime tourné vers la glorification du passé et la Révolution qui fait de l’avenir un horizon d’espoir et de progrès). « Je me suis retrouvé entre deux siècles comme au confluent de deux fleuves ; j’ai plongé dans leurs eaux troublées, m’éloignant à regret du vieux rivage où je suis né, nageant avec espérance vers une rive inconnue ».

(6) Bien sûr, le simple retour, en peinture, à la figuration ne résoudra jamais la fracture qui existe entre classes populaires et monde artistique. Pas plus que la simple exposition d’œuvres d’art prêtées par les musées et exposées dans les usines et les entreprises. Le sort des Constructeurs, le plus connu des tableaux de Fernand Léger – peintre aux origines populaires et au compagnonnage longtemps assumé avec le Parti Communiste – représentant des ouvriers sur des poutrelles métalliques, en est un exemple bien triste. Exposé dans la cantine des usines Renault à Boulogne-Billancourt en 1953, l’œuvre ne fait l’objet que de ricanements. « Je savais qu’il était inutile de faire des expositions, des conférences, ils ne viendraient pas les gars, ça les rebute. Alors, je décidai que la meilleure chose à faire était de les faire vivre avec la peinture, raconte Fernand Léger, en 1954 à la critique Dora Vallier dans Cahiers d’art. A midi, les gars sont arrivés. En mangeant, ils regardaient les toiles. Il y en avait qui ricanaient : “Regarde-les, mais ils ne pourraient jamais travailler ces bonhommes avec des mains comme ça.” En somme, ils faisaient un jugement par comparaison. Mes toiles leur semblaient drôles, ils ne comprenaient rien. Moi, je les écoutais, et j’avalais tristement ma soupe… »

(7)Jean Clair, Considérations sur l’Etat des Beaux-Arts, Critique de la modernité, Gallimard, Folio Essais, 1983, p.81

(8) Ce rapprochement est entrevu très tôt par Walter Benjamin (L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique).

(9) Yves Michaud, L’art à l’état gazeux, Essai sur le triomphe de l’esthétique, Pluriel, 2011, p.81

(10) Selon l’expression d’Yves Michaud qui parle de vaporisation de l’art et d’un art désormais « gazeux ».

(11) Ibid. p.102

(12) Ibid. p.45

(13) Voir Yves Michaud, Ceci n’est pas une tulipe, Art, luxe et enlaidissement des villes, Fayard, 2020.

(14) Ibid. p53

(15) Weber investissements (fonds d’investissement), Kenneth C. Griffin (fonds spéculatif), Accor (groupe hôtelier), Cantor Fitzgerald/Aurel BGC (société de Bourse), Financière Saint James Michaël Benabou (Investissement immobilier), Jane Hartley et Ralph Schlosstein (Evercore), LVMH (luxe), Chaille B. Maddox & Jonathan A.Knee (Evercore), Natixis (banque), Debra & Leon Black (comme l’indique Yves Michaud, ancien financier ayant participé à la création des bons spéculatifs), Free (Xavier Niel), Tishman Speyer (société immobilière), Leonard A. Lauder (Société Estée Lauder et collectionneur), J.P Morgan (banque), The Edward John and Patricia Rosenwald Foundation (fondation philanthropique à partir de fortune bancaire) et Bloomberg (marchés financiers).

(16) L’emplacement de l’œuvre laisse lui aussi place à quelques interrogations. Œuvre prétendument commémorative des attentats du Bataclan, on s’attendrait à ce qu’elle soit placée à proximité des lieux du massacre. Rien de tel. Le choix de Jeff Koons et de ses agents s’est d’abord porté sur la colline de Chaillot, entre le palais de Tokyo et le musée d’Art moderne de la ville de Paris. Puis, après négociation avec la mairie de Paris, il a été décidé d’installer ce Bouquet of Tulips dans les jardins des Champs-Elysées, non loin du Petit Palais.  L’art américain ne s’exporte pas partout (et surtout pas du côté de la Villette, lieu parmi d’autres proposés par la Mairie), il lui faut occuper le centre du monde financier, artistique et politique parisien.

(17) Marc Jimenez, « La fin de la fin de l’art », Le Philosophoire, vol. 36, no. 2, 2011, pp. 93-99.

(18) https://www.forbes.fr/technologie/une-intelligence-artificielle-peut-elle-produire-de-l-art/

(19) https://atlantico.fr/article/decryptage/alerte-a-la-panne-d-intelligence–notre-duree-d-attention-moyenne-est-en-chute-libre-depuis-l-an-2000–que-se-passe-t-il–philippe-vernier

(20) Le succès des patrimoines matériels et immatériels (et ce qu’on appelle désormais la patrimonialisation de l’histoire) est un symbole parfait de l’union du tourisme de masse et de la consommation à outrance d’avec l’image d’un passé glorieux avant que d’être interrogé.

(21) Un monument, selon la définition d’Alois Riegl, citée par Yves Michaud, est « une œuvre érigée avec l’intention précise de maintenir à jamais présents dans la conscience es générations futures des événements ou des faits humains particuliers (ou un ensemble des uns et des autres) ».

(22) Il y a également les réseaux de toiles tissés par des araignées et réalisés par Tomás Saraceno.

(23) https://maisondesarts.malakoff.fr/3/agenda.htm

(24) https://www.jean-jaures.org/publication/les-marseillais-et-leur-ville/

(25) Dans « Leur tradition et la nôtre » paru dans la revue britannique Tribune, le sociologue marxiste Vivek Chibber déconstruit l’idée saugrenue selon laquelle la gauche et le socialisme n’auraient qu’un rapport de pure négation de la tradition. Au contraire, le mouvement ouvrier n’a cessé de s’appuyer sur les traditions locales et les résistances populaires pour résister à la destruction des milieux de vie par le développement du capitalisme industriel puis financier.

(26) Il ne s’agit bien évidemment ici que de grands « idéaux-types ».

(27) Cornélius Castoriadis, La montée de l’insignifiance, La culture dans une société démocratique, op.cit p.248

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