Que signifierait une victoire de la Russie sur l’Ukraine ?

Que signifierait une victoire de la Russie sur l’Ukraine ?

Depuis deux ans, le conflit entre la Russie et l’Ukraine fait rage, semant le chaos et provoquant des conséquences désastreuses pour la région et au-delà. Alors que la contre-offensive menée depuis cet été par l’Ukraine est considérée comme un échec, une question se pose de manière de plus en plus prégnante : quelles seraient les conséquences d’une victoire russe dans ce conflit ? Réponse courte en partenariat avec Yann Paris, créateur de Cartes du Monde.

Conséquences immédiates pour l’Ukraine

L’occupation russe de l’Ukraine engendrerait une série de conséquences humanitaires d’importance. Tout d’abord, elle plongerait la population ukrainienne dans un climat de terreur et de répression. Les récits de témoins oculaires et les rapports des organisations de défense des droits de l’homme décrivent déjà les atrocités commises dans les régions occupées. Des actes de torture, de violences sexuelles et d’abus systématiques des droits de l’Homme sont monnaie courante sous le régime d’occupation russe. Dans un récent rapport, Human Rights Watch souligne que « les atrocités commises par les forces d’occupation russes en Ukraine sont inacceptables et doivent être condamnées par la communauté internationale. » L’objectif principal de cette répression serait d’étouffer toute forme de résistance et de dissidence au sein de la population. Les Ukrainiens qui oseraient s’opposer à l’occupant russe seraient confrontés à des représailles brutales, allant de l’emprisonnement arbitraire à l’exécution sommaire. Outre la terreur imposée à la population, l’occupation russe aurait également un impact économique désastreux sur l’Ukraine. Selon les estimations de la Banque mondiale, l’économie ukrainienne pourrait subir une contraction de 10% dans les premières années suivant une occupation russe. En effet, la Russie chercherait à exploiter les ressources naturelles et industrielles du pays à son propre avantage, au détriment du développement économique et de la souveraineté de l’Ukraine. Les richesses agricoles, minières et énergétiques de l’Ukraine constitueraient une manne précieuse pour l’économie russe, alimentant ainsi son expansion économique et son pouvoir politique. Enfin, l’occupation russe compromettrait l’intégrité territoriale de l’Ukraine, avec le risque de voir certaines régions annexées ou transformées en entités semi-autonomes contrôlées par le Kremlin. Cette fragmentation du territoire ukrainien affaiblirait davantage le gouvernement central et renforcerait la mainmise russe sur le pays.

 

Répercussions pour l’Europe et l’Union Européenne

Une victoire russe aggraverait les clivages au sein de l’Union européenne (UE), en particulier entre les pays membres de l’Est et de l’Ouest. Les nations de l’Est de l’Europe, ayant vécu sous l’ombre de l’empire soviétique, percevraient cette victoire comme une menace directe pour leur sécurité et leur souveraineté. Comme l’a souligné l’ancien Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, « Une Ukraine sous contrôle russe serait une menace existentielle pour la Pologne et toute l’Europe de l’Est« . En réaction, ces pays se tourneraient vers une politique de réarmement, cherchant à renforcer leurs capacités militaires pour faire face à la menace russe. Selon les estimations de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les dépenses militaires dans la région pourraient augmenter de 20% dans les années suivant une victoire russe. Cette militarisation croissante de la région risque d’aggraver les tensions et de créer des dissensions au sein de l’Union européenne. Bien que les États membres de l’Union européenne aient initialement, et unanimement, condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie, des désaccords stratégiques ont rapidement émergé concernant les sanctions à imposer à la Russie. Les récentes déclarations du président français sur l’Ukraine, suggérant que « rien ne doit être exclu » quant à un éventuel envoi de troupes en Ukraine, ont exacerbé ces désaccords, même si Emmanuel Macron a justifié en privé ses prises de position par une nécessaire « ambiguïté stratégique ». Cette stratégie risquée s’inspire de la « stratégie du fou », popularisée par Richard Nixon, qui consiste à adopter un comportement imprévisible pour déstabiliser l’adversaire.

La Russie pourrait également exploiter la crise migratoire comme un outil de déstabilisation de l’Europe. En facilitant ou en encourageant les flux migratoires en provenance de régions instables ou en conflit, Moscou chercherait à créer des tensions sociales et politiques au sein des pays européens. Selon un rapport de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), une victoire russe en Ukraine pourrait entraîner un afflux massif de réfugiés et de migrants vers l’Europe, mettant ainsi à rude épreuve les capacités d’accueil et d’intégration des États membres. De plus, la Russie pourrait utiliser l’arme migratoire comme moyen de pression politique, menaçant de déclencher des vagues migratoires incontrôlées si l’UE adoptait des mesures contraires à ses intérêts.

 

Conséquences mondiales

La consolidation du pouvoir de Poutine en Russie serait le résultat direct d’une victoire sur l’Ukraine. Pour le politologue russe Andrei Kolesnikov, « une victoire en Ukraine serait un succès majeur pour Poutine et consoliderait sa position en tant que leader incontesté de la Russie. » Cette réussite militaire renforcerait la popularité et la légitimité de Poutine sur la scène politique russe, consolidant ainsi son autorité et son contrôle sur le pays. En renforçant son pouvoir intérieur, Poutine serait en mesure d’étendre son influence à l’extérieur, utilisant la victoire en Ukraine comme un levier pour accroître l’hégémonie russe dans la région et au-delà. De plus, une victoire russe pourrait entraîner un effet domino géopolitique, incitant d’autres acteurs régionaux à adopter une approche plus agressive en matière d’expansion territoriale. Comme l’a souligné le professeur britannique de relations internationales Richard Sakwa, « une victoire en Ukraine pourrait encourager d’autres puissances à suivre l’exemple russe et à remettre en question l’ordre mondial établi. » La Chine, en particulier, pourrait être encouragée à intensifier ses revendications territoriales en mer de Chine méridionale et à l’encontre de Taïwan. Une telle escalade des tensions aurait des répercussions majeures sur la stabilité régionale en Asie et pourrait déclencher une nouvelle course aux armements dans la région. Enfin, une victoire russe affaiblirait encore davantage la Pax Americana, le système d’alliances et de leadership mondial établi par les États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La perception d’une réduction de l’influence et de la fiabilité des États-Unis pourrait inciter d’autres acteurs régionaux à remettre en question l’alliance américaine et à rechercher de nouvelles alliances ou à adopter une politique étrangère plus autonome. En outre, en cas de conflit dans le détroit de Taïwan, une zone cruciale pour le commerce mondial, les répercussions économiques seraient significatives. Une perturbation des flux commerciaux dans cette région aurait des répercussions importantes sur les chaînes d’approvisionnement mondiales

En conclusion, une victoire de la Russie sur l’Ukraine serait bien plus qu’une simple défaite militaire pour ce pays. Elle représenterait un nouveau facteur de déstabilisation des relations internationales, affaiblissant une nouvelle fois l’influence mondiale des Etats-Unis. Les conséquences d’une telle issue toucheraient tous les domaines de la vie politique, économique et sociale. Outre la répression de la population ukrainienne et l’intensification des tensions en Europe, une telle victoire renforcerait également l’autoritarisme de Poutine en Russie et pourrait encourager d’autres actions territoriales de la part d’acteurs régionaux tels que la Chine.

Retrouvez le thread diffusé par le compte @CartesDuMonde sur X (anciennement Twitter), à l’origine de cet article, grâce au lien suivant : https://x.com/CartesDuMonde/status/1768998180366991569?s=20

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La dérive machiste des Passport Bros

La dérive machiste des Passport Bros

Les « Passport Bros », animés par une frustration vis-à-vis des mouvements d’égalité des sexes dans leur propre pays, ces hommes recherchent activement des partenariats où ils peuvent maintenir un contrôle et une supériorité clairs, souvent en exploitant leur statut économique et national dans des contextes moins développés. Cette démarche révèle non seulement des attitudes misogynes et néocolonialistes mais aussi une profonde croyance en une hiérarchie de genre traditionnelle qui devrait prévaloir, sous couvert de recherche de liberté et de relations « plus simples ».

Fuite machiste et quête de domination

À première vue, le mouvement des « Passport Bros » peut apparaître comme une échappatoire romantique, une quête de liberté personnelle et d’acceptation dans un monde globalisé. Sur les réseaux sociaux, forums en ligne et vidéos YouTube, ces hommes, majoritairement américains, narrent leurs aventures au-delà des frontières nationales. Ils décrivent des contrées comme les Philippines, la Colombie ou l’Ukraine, louant non seulement l’hospitalité et l’accueil chaleureux des populations locales, mais aussi la facilité apparente d’y vivre et de s’y établir financièrement. Ces récits, souvent teintés d’une excitation pour l’exotique et l’inexploré, projettent une image de liberté sans contraintes où les normes sociales américaines semblent diluées. En effet, ils soulignent souvent que 70 % des divorces aux Etats-Unis sont initiés par des femmes, ce qui les pousse à chercher ailleurs des dynamiques relationnelles qu’ils perçoivent comme plus équilibrées ou traditionnelles. Ces hommes cherchent avant tout des relations dans lesquelles les dynamiques de pouvoir leur sont plus favorables, et où ils peuvent, selon leurs termes, « retrouver leur virilité ». Cependant, cette quête de l’idéal cache souvent une réalité moins avouable. Loin d’être une simple recherche de nouveaux horizons ou d’une intégration harmonieuse dans une nouvelle culture, ce mouvement révèle une tentative de certains hommes de fuir les défis posés par les luttes modernes pour l’égalité des sexes. En recherchant des régions où les rôles traditionnels sont plus prononcés, ces « Passport Bros » aspirent non seulement à un changement de décor mais à un retour à un ordre social où leur statut dominant est moins contesté. Ce désir de domination se manifeste non seulement dans la préférence pour des partenaires perçus comme moins émancipés ou moins exigeants, mais aussi dans l’exploitation économique des disparités de richesse entre leur pays d’origine et les pays d’accueil. Cette démarche, souvent masquée sous le vernis de l’aventure et de l’auto-découverte, révèle des aspects profondément problématiques du mouvement, remettant en question les motivations réelles derrière leur désir d’expatriation(1).

Colonialisme de genre et exploitation des femmes locales

Dans les pays ciblés par les « Passport Bros », les conséquences pour les communautés féminines locales sont souvent sévères et problématiques. En attirant des hommes étrangers principalement intéressés par des relations asymétriques, fondées sur une dynamique de pouvoir déséquilibrée, ce mouvement exacerbe les inégalités existantes et renforce des stéréotypes de genre nocifs, tout en déconstruisant la notion de prostitution telle qu’elle est perçue dans les pays occidentaux. Les femmes sont fréquemment perçues et traitées comme des marchandises dans un marché transactionnel de mariages internationaux, où leur valeur est réduite à leur capacité à incarner des rôles traditionnels ou soumis, comme le souligne Marion Bottero, anthropologue et chercheuse au Centre de recherche bruxellois sur les inégalités sociales, dans une interview donnée à la RTBF. “Ce ne sont pas juste des passes, ça peut parfois durer tout le temps du voyage voire se transformer en union. C’est ce que l’on nomme un échange économico-sexuels et affectifs, ce n’est pas strictement des rapports sexuels pour de l’argent. D’ailleurs l’échange d’argent est souvent camouflé, il se fait indirectement, via une tierce personne. » Cette objectification contribue non seulement à la dégradation de l’image des femmes dans ces sociétés mais renforce également une structure patriarcale où les femmes sont économiquement et socialement dépendantes de leurs partenaires étrangers. Dans le contexte des « Passport Bros », cette dépendance économique joue un rôle prépondérant dans la restriction des opportunités pour les femmes dans les régions ciblées, notamment au Brésil où la prostitution est légale. Celles-ci se trouvent souvent dans l’impossibilité de poursuivre des études ou de développer une carrière, car leur survie économique dépend entièrement de leurs partenaires étrangers. Cette situation crée un cycle vicieux de dépendance, qui non seulement entrave leur développement personnel et professionnel, mais les prive également de toute autonomie. L’absence d’autonomie économique est un obstacle majeur à l’indépendance des femmes, car sans moyens financiers propres, il est extrêmement difficile de prendre des décisions libres concernant leur vie personnelle ou professionnelle. Le manque d’accès à l’éducation et à des opportunités professionnelles qualitatives perpétue leur position de dépendance et limite leur capacité à se libérer de relations potentiellement exploiteuses ou abusives. Les ruptures ou les conflits au sein de ces relations pourraient laisser des femmes sans ressources, confrontées à des stigmates sociaux et à l’isolement. L’impact de ces dynamiques ne se limite pas aux individus mais s’étend aux familles et aux communautés entières, altérant les attentes sociales et mettant en péril les progrès vers l’égalité des sexes(2). Des chercheurs et universitaires comme Cynthia Enloe, Kamala Kempadoo, ou encore Deborah Pruitt, alertent sur ces conséquences à long terme, soulignant la nécessité urgente de politiques et de programmes qui soutiennent l’émancipation et l’autonomie des femmes dans ces régions, tout en combattant les préjugés et les abus inhérents à ce phénomène complexe et souvent troublant.

Masculinité en crise et réponses transnationales

Le mouvement des « Passport Bros » soulève des questions significatives concernant la perception de la masculinité et des relations amoureuses dans différents contextes culturels. Cette quête transnationale pour des partenaires est intimement liée à la façon dont la masculinité est vécue et exprimée par ces hommes, souvent en réaction à leurs expériences dans leur pays d’origine où ils peuvent se sentir marginalisés ou dévalorisés. Dans de nombreux cas, les « Passport Bros » cherchent à réaffirmer une certaine image de la masculinité qu’ils perçoivent comme étant érodée dans leurs sociétés d’origine. Aux États-Unis, par exemple, les débats autour de la masculinité toxique, du féminisme et de l’égalité des genres ont conduit certains hommes à se sentir dépossédés de leur rôle traditionnel. En se tournant vers des pays où les structures de genre sont perçues comme plus traditionnelles ou moins contestées, ces hommes cherchent des environnements où leur autorité et leur rôle en tant que « chef de famille » ne sont pas remis en question. Cette recherche d’un retour à une masculinité « authentique » s’inscrit dans un cadre plus large de relations amoureuses transnationales. Les « Passport Bros » tendent à idéaliser les relations dans les pays cibles, perçues comme plus sincères ou authentiques en comparaison avec les relations dans leur pays d’origine, jugées comme étant trop régulées par des normes d’égalité ou d’indépendance des femmes. Pour Théo(3), qui a rencontré sa femme asiatique lors d’un échange ERASMUS : “ A l’étranger, on ne m’a pas parlé comme un sous-homme (…) Si on remettait au point la masculinité et la féminité, il n’y aurait pas de passport bros.”

Cette idéalisation ignore souvent la complexité des relations réelles dans ces pays et minimise les défis auxquels les couples peuvent être confrontés du fait de différences culturelles ou économiques importantes. Les réseaux sociaux utilisés par les passport bros jouent un rôle crucial dans la manière dont ce phénomène est perçu positivement dans les pays cibles, même si les médias internationaux, notamment occidentaux, sont souvent critiques, décrivant le mouvement des « Passport Bros » comme une forme de néo-colonialisme ou de sexisme, où des hommes profitent de leur privilège économique et de leur statut pour exploiter des femmes dans des contextes plus vulnérables.

Néo-colonialisme sexuel : une pratique aux racines anciennes

Dans le panorama du néo-colonialisme, le mouvement des « Passport Bros » émerge comme une incarnation moderne de pratiques bien plus anciennes, telles que les mariages par correspondance du XIXe siècle. Ces derniers, nés dans des contextes où les hommes de régions nouvellement peuplées des États-Unis cherchaient des épouses en zones urbaines via des catalogues détaillés, reflètent un désir similaire de stabilité domestique à travers des frontières géographiques. Cependant, les « Passport Bros » exploitent les technologies modernes pour établir des liens plus personnels et directs, tout en recherchant des partenaires dans des régions où les structures traditionnelles de genre sont prédominantes, ce qui constitue une forme de néo-colonialisme sexuel. Cette pratique implique l’utilisation de leur position privilégiée, souvent en termes économiques, pour influencer et établir des relations avec des partenaires issus de contextes moins favorisés, reflétant ainsi une dynamique de pouvoir inégale. Parallèlement, d’autres groupes contemporains, tels que certains expatriés occidentaux, montrent des comportements analogues mais souvent moins polarisés par une critique explicite des rôles de genre. Ces expatriés peuvent chercher à s’immerger ou à s’intégrer dans une nouvelle culture sans pour autant rejeter explicitement les valeurs de leur propre culture. En revanche, les « Passport Bros », par leur quête explicite de partenaires dans des régions conservatrices et leur rejet des normes de genre perçues comme restrictives dans leurs sociétés d’origine, illustrent une réaction spécifique à la globalisation et aux transformations sociales. Cette juxtaposition met en évidence non seulement les nuances qui existent avec le tourisme sexuel, mais aussi les défis éthiques persistants et les dynamiques de pouvoir complexes qui les caractérisent.

En conclusion, le mouvement des « Passport Bros » révèle une dimension sombre et complexe de la migration relationnelle moderne. Sous prétexte de chercher l’amour à l’étranger, ces hommes souvent motivés par des idéaux néo-coloniaux et machistes, cherchent à établir des dynamiques de pouvoir traditionnelles qui favorisent leur domination. Ce phénomène met en lumière non seulement les inégalités globales persistantes mais aussi les profondes insatisfactions culturelles et personnelles que vivent certains hommes dans leurs pays d’origine. En définitive, la critique de ce mouvement ne doit pas seulement porter sur les individus qui le composent, mais aussi sur les structures sociales et économiques qui le permettent, soulignant un besoin urgent de réformes globales en matière de genre, d’égalité et de justice sociale pour protéger les plus vulnérables dans ce dialogue transnational.

Références

(1)https://www.rtbf.be/article/passport-bros-simple-tendance-tiktok-ou-tourisme-sexuel-deguise-11295942

(2)Pour approfondir les thèmes discutés, comme les impacts des relations transnationales sur les femmes dans les pays en développement, les stigmates sociaux, et les implications sur l’égalité des sexes, voici une sélection de textes et d’études qui pourraient être utiles. Ces sources couvrent divers aspects de la sociologie, de l’anthropologie, et des études de genre :

  1. Jeffreys, Sheila. « Sex Tourism: Do Women Do It Too? » Dans *Leisure Studies*, vol. 22, no. 3, 2003, pp. 223-238.
  2. Kempadoo, Kamala. « Sexing the Caribbean: Gender, Race and Sexual Labor. » Routledge, 2004.
  3. Pruitt, Deborah, et LaFont, Suzanne. « For Love and Money: Romance Tourism in Jamaica. » Dans *Annals of Tourism Research*, vol. 27, no. 4, 2000, pp. 422-440.
  4. Wonders, Nancy A., et Michalowski, Raymond. « Bodies, Borders, and Sex Tourism in a Globalized World: A Tale of Two Cities—Amsterdam and Havana. » Dans *Social Problems*, vol. 48, no. 4, 2001, pp. 545-571.
  5. Constable, Nicole. « Romance on a Global Stage: Pen Pals, Virtual Ethnography, and « Mail Order » Marriages. » University of California Press, 2003.
  6. Zelizer, Viviana A. « The Purchase of Intimacy. » Princeton University Press, 2005.
  7. Enloe, Cynthia. « Bananas, Beaches and Bases: Making Feminist Sense of International Politics. » University of California Press, 1990.

(3)https://www.radiofrance.fr/mouv/podcasts/reporterter/reporterter-du-jeudi-29-fevrier-2024-8076613

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Anticor souhaite renforcer l’éthique dans les institutions européennes

Anticor souhaite renforcer l’éthique dans les institutions européennes

À l’approche des élections européennes de juin 2024, l’association Anticor, reconnue pour son engagement contre la corruption et pour la transparence de la vie publique, a mis en avant plusieurs propositions visant à renforcer l’intégrité et la transparence au sein de l’Union européenne. Ces mesures ciblent à la fois les candidats aux élections et les eurodéputés en exercice, dans l’espoir d’améliorer la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques.

La première proposition d’Anticor vise à assurer l’intégrité des candidats en exigeant qu’ils soient en règle avec l’administration fiscale et qu’ils aient un casier judiciaire vierge de toute infraction à la probité. Cette exigence serait également maintenue tout au long de leur mandat.

En matière de transparence, Anticor propose de rendre obligatoire la publication détaillée et régulière sur le site du Parlement européen des activités des eurodéputés et de leurs collaborateurs. Cela inclurait leur présence et leur participation aux votes en commission et en plénière, avec des sanctions automatiques pour l’absentéisme.

Pour ce qui est des indemnités, une réforme majeure serait l’introduction d’un système justificatif pour l’utilisation des indemnités de frais généraux, qui s’élèvent à 4 950€ par mois. Cela mettrait fin au système actuel de l’enveloppe et renforcerait la responsabilité des eurodéputés quant à l’usage de ces fonds publics.

Anticor appelle également à la création d’un organe éthique européen indépendant, chargé de surveiller l’application des règles d’éthique et de probité au sein des institutions et agences de l’UE. Cet organe permettrait également aux associations agréées de le saisir en cas de manquement.

Lutter contre les conflits d’intérêt et réguler le lobbying

La lutte contre les conflits d’intérêts est aussi une priorité, avec la demande pour tous les responsables publics européens de déclarer leur patrimoine et leurs intérêts à leur prise de fonction et de mettre à jour ces informations régulièrement. Anticor souhaite également un encadrement strict des activités parallèles et des reconversions, en particulier dans le domaine du lobbying.

En ce qui concerne le lobbying justement, la proposition est de rendre obligatoire un registre de transparence commun aux trois principales institutions européennes (Parlement, Conseil et Commission), qui détaillerait les activités des lobbyistes et garantirait la traçabilité des textes législatifs, de leur élaboration à leur vote.

Autres mesures importantes, l’interdiction pour les responsables publics de recevoir des cadeaux ou d’accepter que des tiers prennent en charge leurs frais, la lutte renforcée contre la corruption par une nouvelle directive européenne, la lutte contre l’évasion fiscale, et l’accès facilité aux données économiques d’intérêt général en abolissant la directive sur le secret des affaires.

Anticor souhaite aussi limiter la concentration des médias pour assurer la transparence et le pluralisme de l’information, ainsi que la création d’un fonds pour soutenir financièrement les lanceurs d’alerte et pour sanctionner les poursuites-bâillons, renforçant ainsi la protection de ceux qui dénoncent les abus.

Ces propositions, si elles étaient adoptées, marqueraient un tournant significatif dans la manière dont l’Union européenne gère l’éthique et la transparence, contribuant potentiellement à restaurer et à renforcer la confiance des citoyens européens dans leurs institutions.

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Des trains bientôt moins chers avec Kevin Speed ?

Des trains bientôt moins chers avec Kevin Speed ?

Ce nouvel opérateur promet des prix défiants toute concurrence : 3 euros pour 100km, dès 2028. Mais qu’en est-il réellement ? décryptage.

Avez-vous entendu parler de Kevin Speed, cette nouvelle start-up française qui entend révolutionner le secteur ferroviaire ? réalisons les présentations.

Ce nouvel opérateur souhaite faire rouler des trains « hybrides », entre le TGV et le RER, en France. Ces trains rouleront à la vitesse des TGV tout en étant conçu comme un système de RER : des trains desservants plusieurs communes, sans réservation, avec une tarification au trajet.

L’offre illisto, proposée par Kevin Speed, concerne à ce stade trois lignes : Paris-Lille ; Paris-Strasbourg ; Paris-Lyon. Des arrêts sont prévus sur plusieurs communes pour chacune de ces lignes (par exemple pour Strasbourg : Meuse TGV, Lorraine TGV ; pour Lyon : le Creusot, Mâcon). Surtout, le point fort apparent de cette offre, serait ses prix : Kevin Speed annonce un prix d’environ 3 euros pour 100 kilomètres (mais précisons, en heures creuses), avec pour Paris-Lille, un coût de trajet égal à 5 euros. Enfin, la fréquence de ces trois lignes serait assez importante, avec jusqu’à 16 passages quotidiens par ligne. L’entreprise compte également proposer des abonnements plus attractifs basés sur la fréquence : plus l’usager emprunte le service, plus le coût de son abonnement serait réduit. Nous ne connaissons pas encore le contour des abonnements qui seront proposés (prix, fréquences nécessaires pour bénéficier d’un tarif réduit, etc.)

Sur son site internet, l’entreprise évoque également que les cheminots seront actionnaires de l’entreprise, et qu’une première levée de fonds, soutenue par BPI France a été conduite. Enfin, Kevin Speed indique vouloir répondre à un nouveau besoin, lié à l’émergence du télétravail, et de l’éparpillement géographique de la population.

 Les premiers essais sont prévus pour 2026, et le lancement des circulations pour 2028, sous réserve de la validation du projet par l’Autorité de Régulation des Transports. L’opérateur vient de signer un contrat avec SNCF Réseau, lui permettant de bénéficier des sillons pour faire circuler ses trains(1).

L’entreprise s’appui sur le modèle du « low-cost »

Pour pouvoir proposer de tels prix, Kevin Speed s’appuie sur un modèle économique basé sur le « low-cost », similaire à ce qui peut être mis en place par certaines compagnies aériennes (comme Ryanair).  

D’abord, le nombre de sièges va être augmenté grâce à la suppression l’ensemble des services (ex. wagons-bar ; première classe), permettant ainsi un gain de place. Plus le nombre de sièges est important, moins le prix est élevé car le coût est davantage rentabilisé. Ce modèle est viable à condition que les trains ne roulent pas régulièrement à vide ou à moitié rempli. L’entreprise annonce que les trains seront équipés de portes supplémentaires par rapport à un TGV classique permettant aux voyageurs d’entrer et de sortir plus rapidement, réduisant ainsi le temps d’arrêt. La réduction de ce délai permet de gagner de précieuses minutes pour faire rouler davantage de trains sur une journée donnée. Ce principe est déjà utilisé pour les nouvelles rames de métro parisiennes (on pense notamment à la ligne 14 ou encore la ligne 11).

Il est fort à parier qu’en plus du tarif basique, de nombreuses options soient proposées, faisant ainsi augmenter les prix (ajout d’un bagage / d’un vélo / utilisation d’une prise, etc.).

L’entreprise annonce également que ses trains rouleront plus vite. Ce point reste à déterminer, puisque cela dépendra des trains dont il disposera et d’un certain nombre de paramètres techniques sur lesquels nous ne reviendrons pas ici.

Les limites de l’offre de Kevin Speed

L’offre est prometteuse. Nous sommes favorables à la démocratisation du transport ferroviaire pour tous et toutes, à la fois pour les déplacements du quotidien comme pour les vacances : pour des raisons d’égalité, et pour favoriser les modes de déplacement qui génèrent moins de gaz à effet de serre. Rappelons-le, le train est le mode de transport le moins polluant, en comparaison avec la voiture individuelle.

Pourtant, nous voyons plusieurs écueils à cette offre, et plusieurs points restent en suspens.

D’abord, le choix de ces 3 lignes n’est pas anodin : ce sont parmi celles qui sont le plus rentables du réseau. Le choix de se positionner sur des petites lignes, aurait été plus étonnant. Kevin Speed a certainement l’intention d’élargir son offre en cas de réussite pour ces trois premières lignes. Cette extension, concernera très certainement d’autres lignes rentables et déjà très fréquentées. Ainsi, les nouvelles entreprises ferroviaires à but lucratif qui émergent, ne se soucieront jamais des petites lignes déficitaires, pourtant essentielles pour dessertir de manière fine l’ensemble des communes du territoire. Leur financement restera à la charge des Régions, tant qu’elles et le gouvernement décideront de les maintenir.

Ensuite, sur le coût, effectivement les prix affichés sont très attractifs. Mais les tarifs annoncés porteront bien sur les heures creuses : les prix lors des horaires les plus fréquentés, restent encore un mystère. EDF pour l’électricité, la SNCF et son offre Ouigo, proposent déjà des tarifs réduits en heures creuses. Rien de révolutionnaire sur ce point.

Un autre problème majeur, porte sur la réservation. Il est effectivement révolutionnaire de ne pas avoir besoin de réserver son train (pour les TER, c’est déjà le cas) et cela réduit considérablement la charge mentale liée aux déplacements : cependant, les risques de congestion sur une même ligne, aux heures de pointe, ne sont pas à exclure.

De plus, plusieurs obstacles restent à lever pour l’entreprise. D’abord, elle ne dispose pas à ce stade de l’autorisation pour rouler, qui est desservit par l’ART : ce devrait a priori être réglé, il y a peu de chance que l’ART refuse à Kevin Speed son autorisation.

Autre point, l’achat des trains : Kevin Speed indique que les tests démarreront en 2026, pour mise en circulation en 2028, mais encore faut-il que les 20 rames commandées à Alstom, soient produites. Surtout, pour pouvoir disposer de ces rames, il faut pouvoir les payer. L’entreprise, après sa première levée de fonds, cherche à récolter un milliard d’euros pour pouvoir mettre son projet en route. Une somme colossale qui peut étonner. Il faut toutefois rappeler que le matériel roulant, et l’exploitation de lignes ferroviaires, coûtent très cher. Le coût d’entrée est d’ailleurs extrêmement dissuasif, ce qui explique aussi pourquoi la concurrence, qui devait sauver le train selon l’Union européenne, n’est pas si efficace(2).

La concurrence de Ouigo

La question qu’on pourrait légitimement se poser, est la différence entre l’offre de Kevin Speed et celle de Ouigo. Ouigo est l’offre « low-cost » de la SNCF, lancée en 2013. Elle représente aujourd’hui 20% du marché de la grande vitesse en France, comprend une cinquantaine de destinations et a transporté près de 110 millions de voyageurs sur la période 2013-2023.

Tout comme Kevin Speed, le modèle économique de Ouigo est basé sur le low-cost : des prix réduits (1 voyageur sur 2 a voyagé avec Ouigo pour moins de 25 euros), des trains et des plans de roulement optimisés, des wagons pouvant accueillir davantage de voyageurs (+25% par rapport à un TGV classique avec la suppression de wagons de type première classe ; wagon bar), des options payantes, le développement de différentes offres comme « Ouigo essentiel » ou « Ouigo plus ».

A propos des prix, nous pouvons légitimement nous interroger sur la capacité de Kevin Speed à maintenir des prix autour de 3 à 5 euros. Les prix affichés aujourd’hui, pourraient être l’exception plutôt que la norme. Ainsi, ses prix pourraient se rapprocher fortement de ceux de Ouigo.

Enfin, les dirigeants de Ouigo se fixent des objectifs ambitieux pour les prochaines années. D’abord, augmenter significativement le nombre de voyageurs d’ici 2030, de 110 aujourd’hui à 200. Ensuite, augmenter la part de marché de Ouigo, de 20% à 30% en 2030. Tout ceci sera possible grâce à l’acquisition de nouvelles rames dotées d’une capacité supérieure disponibles d’ici 2025, et également grâce à l’extension de son offre en Espagne.

En bref, Ouigo mène une politique offensive, et qui fonctionne. Celle que souhaite mettre en place Kevin Speed, se rapproche grandement de la stratégie Ouigo, elle-aussi, actrice du ferroviaire low-cost. L’existence de deux acteurs du low-cost sur le marché ferroviaire est possible, comme c’est le cas pour l’avion. Pour autant, le territoire étant réduit, et les lignes ayant des capacités finies, on peut s’interroger sur la capacité de ces deux acteurs, à coexister sur le même territoire.

Le train doit être le moyen de déplacement du futur, pour des raisons écologiques et sociales. Ses prix, pour permettre sa démocratisation au plus grand nombre, doivent diminuer. Pour autant, le réseau a une fin : il n’est pas possible de faire rouler un nombre infini de trains sur une même ligne, notamment sur les plus fréquentées, la ou la concurrence se concentre.

L’utilisation de la voiture individuelle reste encore trop importante. Mais nous ne pouvons pas condamner ce mode de transport, sans offrir une réelle alternative aux citoyens. Aujourd’hui, de nombreuses communes, ne sont pas desservies par le train ni aucun moyen de transport en commun viable. La voiture reste l’unique solution, et devient ainsi un goulot d’étranglement de plus en plus important, du fait de l’augmentation de son coût (assurance, essence, etc.). L’émergence de nouvelles entreprises est intéressante, bien que la coexistence de deux acteurs ferroviaires low-cost sur un même marché national, interroge. Pour autant, le problème majeur, reste l’exploitation des petites lignes, et de celles qui devraient être construites dans le futur pour mieux mailler le territoire. Ces entreprises à but lucratif, ne s’y intéresseront jamais puisqu’elles ne sont pas rentables. La puissance publique doit se saisir de ce sujet et mener une réelle politique autour des petites lignes ferroviaires. Les initiatives autour des RER métropolitains, sont une bonne chose, mais doivent être accompagnées de réels moyens.

Références

(1)Rappelons que le gestionnaire d’infrastructures est SNCF Réseau, que chaque entreprise ferroviaire souhaitant faire circuler des trains sur le réseau en libre-accès, doit lui adresser une demande. Les entreprises ferroviaires s’acquittent auprès de SNCF Réseau, de péages.

(2)Sur le sujet de l’ouverture à la concurrence, nous vous invitions à approfondir le sujet avec cet article

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Comment l’IA pourrait bénéficier à l’extrême droite

Comment l’IA pourrait bénéficier à l’extrême droite

L’IA révolutionne notre quotidien. Mais derrière ces progrès se cache une réalité plus sombre : le détournement de cette technologie par des mouvements politiques aux agendas clivants, notamment l’extrême droite.

À l’ère numérique, l’intelligence artificielle (IA) révolutionne notre quotidien, offrant la promesse d’avancées spectaculaires dans des domaines aussi variés que la santé, l’éducation, ou encore l’industrie. Mais derrière ces progrès se cache une réalité plus sombre : le détournement de cette technologie par des mouvements politiques aux agendas clivants, notamment l’extrême droite. Alors que cette frange politique cherche constamment à repenser ses méthodes d’influence, l’IA devient un outil de choix pour propager son idéologie, semer la division et manipuler l’opinion publique avec une précision et une efficacité sans précédent.

Propagande sur mesure

Dans cet univers digital omniprésent, nos interactions en ligne laissent derrière elles une traînée de données : chaque clic, chaque like, chaque partage devient une empreinte digitale, unique et révélatrice. Selon une étude d’IBM, l’individu moyen génère environ 2,5 quintillions d’octets de données chaque jour, des informations précieuses qui, une fois analysées, peuvent révéler des détails intimes sur nos vies. L’intelligence artificielle, avec sa capacité à analyser et à synthétiser ces immenses volumes d’informations, se positionne comme l’outil ultime de décryptage de ces signaux dispersés.

L’extrême droite, en s’emparant de telles technologies, pourrait franchir une nouvelle frontière dans l’art de la propagande. Plutôt que de s’adresser à la masse avec un message unique, elle pourrait personnaliser sa communication, ajustant son discours pour résonner de manière unique avec les récepteurs individuels. Imaginez recevoir des messages politiques si finement ajustés à vos peurs, à vos désirs, à vos convictions, qu’ils semblent émaner de votre propre conscience. Ce n’est plus de la propagande au sens traditionnel ; c’est une écho-chambre sur mesure, conçue pour amplifier vos inclinations, qu’elles soient basées sur des faits ou sur des fictions.

Un exemple frappant de cette stratégie fut observé lors des élections présidentielles américaines de 2016, où des acteurs étrangers ont utilisé Facebook pour cibler spécifiquement des électeurs indécis avec des publicités politiques personnalisées, exacerbant les divisions existantes. Une analyse de Buzzfeed a révélé que les fausses nouvelles sur la plateforme étaient partagées plus largement que les articles des médias traditionnels pendant les trois derniers mois de l’élection, montrant l’efficacité redoutable de ces approches ciblées.

Ce processus ne se contente pas de valider des opinions préexistantes ; il les renforce, les rendant plus extrêmes, plus inflexibles. « Les algorithmes d’IA sont conçus pour engager, mais ils finissent souvent par enfermer les individus dans des bulles de filtres, exacerbant les clivages« , explique Dr. Sophia A. Moore, experte en éthique de l’IA. En identifiant les fissures sociales, l’IA pourrait permettre à l’extrême droite de les creuser encore davantage, insérant ses messages clivants dans les interstices de nos désaccords, exacerbant les tensions latentes, notamment raciales.

Le danger ne réside pas uniquement dans la polarisation accrue de la société. En s’appropriant les outils d’IA pour diffuser une propagande ultra-personnalisée, l’extrême droite pourrait également saper les fondements de notre capacité collective à discerner la vérité de la manipulation. « Dans un monde où chaque information peut être personnalisée, comment distinguer la vérité du mensonge ?« , s’interroge encore Dr. Moore. Dans un tel monde, le consensus sur des faits objectifs, base de tout débat démocratique, pourrait devenir insaisissable.

Les réseaux sociaux, terreau de manipulation

Les réseaux sociaux ont révolutionné la façon dont nous communiquons, nous informons et interagissons avec le monde. Mais cette transformation digitale a également ouvert la porte à de nouvelles formes de manipulation. Avec plus de 3,6 milliards d’utilisateurs de réseaux sociaux dans le monde, selon un rapport de Statista, ces plateformes offrent un terrain fertile pour la propagation de fausses informations et la manipulation de l’opinion publique. « Les réseaux sociaux ont démocratisé l’information, mais ont aussi simplifié la désinformation, » affirme Dr. Emily Castor, experte en communication numérique. L’intégration de l’intelligence artificielle dans ces espaces numériques pourrait amplifier ces problématiques, transformant les réseaux sociaux en champs de bataille informationnels où la vérité devient de plus en plus difficile à discerner.

L’extrême droite, saisissant les opportunités offertes par les avancées technologiques, pourrait exploiter l’IA pour orchestrer des campagnes de désinformation sophistiquées. Par exemple, des algorithmes d’IA peuvent être entraînés pour générer des articles de presse faux mais convaincants, des tweets, des commentaires sur des forums ou des images truquées, inondant ainsi les fils d’actualité de contenus trompeurs. Ces contenus peuvent être conçus pour résonner émotionnellement avec certains segments de la population, exploitant des sujets sensibles tels que l’immigration, la sécurité ou l’économie, afin d’attiser la peur, la colère ou la méfiance.

Une technique particulièrement insidieuse implique l’utilisation de bots d’IA pour simuler des interactions humaines sur ces plateformes. Ces bots peuvent liker, partager, et commenter des contenus, créant artificiellement l’impression d’un large soutien populaire pour certaines idées. Cette illusion de consensus peut influencer les perceptions publiques, poussant des individus indécis à adopter des points de vue qu’ils percevraient autrement comme marginaux ou extrêmes.

De plus, l’IA peut être utilisée pour cibler de manière précise des groupes d’individus avec des publicités politiques personnalisées, basées sur leurs données comportementales collectées sur les réseaux sociaux. Ces publicités, invisibles au reste de la population, peuvent contenir des messages trompeurs conçus pour dénigrer les opposants politiques ou exagérer les succès d’une campagne, sans aucun moyen pour les cibles de ces campagnes de vérifier l’exactitude des informations reçues.

Les réseaux sociaux, avec l’aide de l’IA, pourraient donc devenir des outils puissants dans les mains de l’extrême droite pour façonner le discours politique, semer la division et miner la confiance dans les institutions démocratiques. La sophistication de ces techniques rend leur détection et leur contrôle particulièrement difficile pour les plateformes et les autorités réglementaires, posant un défi majeur pour la préservation de l’intégrité des processus démocratiques.

Surveillance de masse

L’évolution rapide de l’intelligence artificielle et sa capacité à analyser des quantités massives de données en temps réel ont transformé la surveillance de masse en un outil d’une efficacité et d’une précision sans précédent. Lorsque ces technologies sont détournées à des fins politiques, en particulier par des groupes ou des régimes d’extrême droite, elles représentent une menace sérieuse pour les libertés individuelles et la démocratie.

La surveillance de masse alimentée par l’IA peut prendre de nombreuses formes, allant du suivi des activités en ligne à l’analyse comportementale en passant par la reconnaissance faciale dans les espaces publics. Chacune de ces méthodes permet de collecter des données sur les citoyens à une échelle inimaginable auparavant. Par exemple, en scrutant les réseaux sociaux, les forums en ligne, et même les communications privées, l’IA peut identifier les schémas de comportement, les affiliations politiques, et même prédire les intentions futures des individus.

Aux États-Unis, il a été démontré que des agences gouvernementales avaient accès à de vastes bases de données de reconnaissance faciale, souvent sans le consentement explicite des citoyens. Ces bases de données peuvent être utilisées pour identifier les participants à des manifestations ou des événements politiques, soulevant des inquiétudes quant à la surveillance de masse et à la violation de la vie privée.

Ce niveau de surveillance permet à l’extrême droite de mettre en œuvre des stratégies de persuasion hyper ciblées, adaptées aux craintes et aux désirs spécifiques de segments de population précis. Plus inquiétant encore, cela donne les moyens de repérer et de cataloguer les opposants politiques, les militants, ou tout individu considéré comme une menace à l’ordre établi. Une fois identifiés, ces individus peuvent être ciblés par des campagnes de désinformation, être harcelés en ligne, ou pire, faire l’objet de répressions dans la vie réelle.

La Chine offre un autre exemple préoccupant de ce que pourrait être l’utilisation politique de la surveillance de masse par l’IA. Le système de crédit social chinois, par exemple, analyse le comportement des citoyens à travers une multitude de données pour attribuer des scores reflétant leur fiabilité. Bien que principalement conçu pour encourager des comportements jugés socialement bénéfiques, ce système peut aussi être utilisé pour réprimer la dissidence et renforcer le contrôle étatique.

Dans les démocraties, l’utilisation de technologies de surveillance par des groupes d’extrême droite peut ne pas être aussi ouverte ou étendue, mais la collecte et l’analyse clandestines de données sur les opposants politiques ou les minorités peuvent tout de même avoir des effets déstabilisateurs sur le tissu social et politique. Les technologies d’IA, capables de trier et d’analyser des données à une échelle gigantesque, peuvent faciliter cette surveillance discrète, permettant à ces groupes de raffiner leurs tactiques et d’étendre leur influence.

Deepfakes : la réalité distordue

Les deepfakes, ces imitations générées par intelligence artificielle qui manipulent audio et vidéo pour créer des contenus faussement réalistes, représentent une évolution troublante dans le domaine de la désinformation. À une époque où la véracité des informations est déjà mise à rude épreuve, ces créations sophistiquées pourraient aggraver considérablement la crise de confiance à l’égard des médias et des institutions.

Grâce aux progrès en matière d’apprentissage automatique et de traitement de l’image, les deepfakes sont devenus étonnamment convaincants, au point où il devient extrêmement difficile pour le grand public de distinguer le vrai du faux. Cette capacité à manipuler la réalité peut être utilisée pour diverses fins malveillantes, notamment pour discréditer des figures publiques en les montrant dans des situations compromettantes ou en les faisant dire des propos qu’ils n’ont jamais tenus. Par exemple, une vidéo deepfake bien conçue pourrait montrer un leader politique tenant des discours haineux ou des aveux de corruption, semant le doute même si la supercherie est révélée.

Une intervention de l’ancienne Présidente de la Chambre des États-Unis, Nancy Pelosi, a été modifiée pour la faire paraître ivre lors d’une conférence de presse : cette vidéo a rapidement circulé sur les réseaux sociaux, suscitant confusion et désinformation. Autre exemple frappant, un deepfake du PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, a été diffusé, dans lequel il semblait se vanter de contrôler des milliards de personnes grâce à la collecte de leurs données, mettant en lumière la puissance potentiellement déstabilisatrice de ces technologies.

Au-delà de la diffamation, les deepfakes posent le risque de créer des preuves falsifiées de méfaits qui pourraient être utilisées dans des campagnes de désinformation ou pour influencer l’opinion publique lors d’événements cruciaux comme les élections. Ces manipulations ne se limitent pas à des individus spécifiques ; elles peuvent aussi servir à réécrire l’histoire, en modifiant des images ou des vidéos d’événements passés pour les faire correspondre à une certaine idéologie ou narration révisionniste.

L’un des dangers les plus pernicieux des deepfakes est leur capacité à éroder la confiance dans les contenus médiatiques authentiques. Si tout peut être falsifié, alors tout peut être remis en question. Cette érosion de confiance menace les fondements même de notre démocratie, qui repose sur une base de faits partagés et la capacité des citoyens à prendre des décisions informées. Dans un monde où les deepfakes prolifèrent, le scepticisme généralisé pourrait mener à un cynisme où la vérité n’a plus d’importance, ouvrant la voie à la manipulation et au contrôle par ceux qui maîtrisent ces technologies.

La bataille contre les deepfakes et leur capacité à distordre la réalité est fondamentale pour préserver l’intégrité de notre espace public et le bon fonctionnement de nos démocraties. C’est une lutte qui exige une vigilance constante et une action collective de la part des gouvernements, de l’industrie technologique, des médias et des citoyens eux-mêmes.

L’IA au service du recrutement

L’intégration de l’intelligence artificielle dans les stratégies de recrutement politique ouvre des perspectives inédites pour les mouvements d’extrême droite, leur permettant de cibler des individus à une échelle et avec une précision jamais atteinte auparavant. Cette capacité à segmenter la population en fonction de critères psychologiques, démographiques, et comportementaux permet de personnaliser les messages de recrutement, les rendant bien plus efficaces. Par exemple, une personne exprimant des inquiétudes quant à l’emploi sur les réseaux sociaux pourrait recevoir des contenus spécifiquement conçus pour la convaincre que l’extrême droite propose les solutions les plus à même de répondre à ses préoccupations. De même, un individu manifestant une sensibilité à des thématiques culturelles ou identitaires pourrait être ciblé par des messages renforçant ces perceptions, tout en présentant l’extrême droite comme le défenseur de ces valeurs.

Au-delà du ciblage, l’IA facilite également l’automatisation du processus de recrutement. Des systèmes algorithmiques peuvent envoyer des messages personnalisés, initier des interactions via des bots ou des agents virtuels et même ajuster les stratégies de recrutement en temps réel en fonction des réponses obtenues. Cette automatisation permet de toucher un nombre beaucoup plus important d’individus qu’une approche manuelle traditionnelle, tout en réduisant les coûts et les ressources nécessaires.

L’utilisation de l’IA dans le recrutement par l’extrême droite soulève cependant des questions éthiques et légales importantes. En exploitant les vulnérabilités psychologiques et les insécurités des individus, ces pratiques peuvent être considérées comme manipulatrices, voire coercitives. De plus, elles posent le risque d’exacerber les divisions sociétales en renforçant des bulles idéologiques et en amplifiant les discours de haine et de discrimination.

Un appel à la vigilance

L’émergence de l’intelligence artificielle comme force dominante dans notre vie quotidienne et notre sphère politique exige une vigilance accrue dans tous les secteurs de la société. La capacité de l’IA à transformer les données en insights, à prédire les comportements et même à manipuler les perceptions ouvre la porte à des usages potentiellement bénéfiques mais aussi profondément préoccupants. Face à la menace de voir l’IA utilisée pour fragmenter et polariser, il est impératif d’adopter une approche proactive pour encadrer son développement et son application.

Des cadres législatifs doivent être élaborés pour assurer que l’utilisation de l’IA, en particulier dans les domaines sensibles tels que la politique et la sécurité publique, respecte les principes éthiques fondamentaux de transparence, d’équité et de respect de la vie privée. Ces lois devraient non seulement régir la collecte et l’utilisation des données personnelles mais aussi imposer des limites claires sur la manière dont l’IA peut être employée pour influencer l’opinion publique ou cibler des groupes spécifiques.

Au-delà de la réglementation, la promotion d’une IA responsable implique une collaboration étroite entre les développeurs, les chercheurs, les gouvernements et les organisations de la société civile. Les principes d’une conception éthique doivent être intégrés dès les premières étapes du développement des systèmes d’IA, garantissant que ces technologies se développent et sont utilisées dans le respect des droits humains.

L’éducation joue également un rôle crucial dans la préparation de la société à vivre dans un monde où l’IA occupe une place centrale. Les citoyens doivent être informés des potentialités et des risques associés à l’IA, y compris la manière dont elle peut être utilisée pour manipuler les informations et influencer les comportements. En développant l’esprit critique et la littératie numérique au sein de la population, on peut renforcer la résilience collective face aux tentatives de désinformation et de manipulation.

Le rôle des médias et des chercheurs est indispensable pour maintenir une veille constante sur les développements de l’IA et sensibiliser le public à ses implications. En scrutant les pratiques d’utilisation de l’IA et en exposant les abus, ils contribuent à un débat public informé et nuancé sur le futur de cette technologie.

 

En conclusion, l’intelligence artificielle détient un potentiel transformationnel pour notre société, mais son potentiel détournement par des forces extrémistes, notamment l’extrême droite, soulève de graves préoccupations. Les manipulations via les réseaux sociaux, la surveillance invasive, et la diffusion de deepfakes exigent une régulation et d’éduquer les citoyens sur les risques de l’IA. Face à ces défis, l’avenir de l’IA dépend de notre engagement collectif à promouvoir une utilisation éthique et responsable, assurant qu’elle serve à renforcer notre démocratie et non à la saper. Ensemble, nous pouvons orienter l’IA vers un avenir où elle contribue positivement à notre société.

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Fret : vers une mort imminente

Fret : vers une mort imminente

Alors que le fret est un outil stratégique pour la transition écologique, la France a annoncé un projet de refonte qui sonnera forcément la mort de fret SNCF.

Depuis les années 1950, la part modale du fret ferroviaire dans le total des échanges de marchandises n’a fait que baisser en France et en Europe. L’ouverture à la concurrence, effective totalement depuis 2005/2006(1), a accentué ce déclin, contrairement aux tendres rêveries de nos dirigeants français et européens.

Je décrivais dans un précédent article, les impacts de l’ouverture à la concurrence dans certains pays européens, du transport ferroviaire de voyageurs. En France, l’ouverture étant plus récente que celle du fret, il est encore difficile de formuler un constat clair, même s’il est évident que la concurrence ne résoudra pas les problèmes sans investissements massifs dans le réseau. Pour le fret, le bilan est aujourd’hui sans appel : c’est un fiasco. La réforme potentielle annoncée par Clément Beaune en mai 2023 pour répondre à l’enquête en cours de la Commission européenne pour non-respect des principes de la concurrence, signerait la mort définitive du fret.

L’Union européenne porte des enjeux forts en matière de réduction des gaz à effet de serre : elle s’est engagée, dans le plan fit for 55, à une réduction de 55% de ces émissions d’ici 2030. Pour ce faire, elle souhaite de manière assez évidente s’attaquer au secteur des transports, responsable d’environ 30% % de ces émissions, en commençant par le transport de marchandises. Ainsi, l’Union souhaite réaliser un report modal de 30% du transport de marchandises, de la route vers le ferroviaire. Si nous partageons totalement cet objectif, il faut se rendre à l’évidence : aucune des réformes de ces vingt dernières années n’est allée dans ce sens. A commencer par l’ouverture à la concurrence du fret, bien que présentée comme une solution miracle par l’Union européenne.

Pour comprendre les enjeux à l’œuvre et la schizophrénie de l’Union européenne qui promeut la réduction des gaz à effet de serre, tout en punissant les secteurs qui pourraient amorcer un véritable changement (comme le fret), il faut revenir sur le fonctionnement du fret ferroviaire et sur les causes de son déclin.

Le fonctionnement du secteur ferroviaire et les acteurs en présence

Comment fonctionne le transport ferroviaire de marchandises ? Le réseau est commun entre le transport de voyageurs et de marchandises : quelques liaisons sont propres à l’un ou à l’autre, et les infrastructures sont distinctes car ne répondant pas aux mêmes besoins (gares de triage / plateformes multimodales et installations terminales embranchées desservant des usines/entrepôts/entreprises), mais il n’existe pas deux réseaux distincts. Ce réseau et l’attribution de sillons (créneaux horaires durant lesquels les trains peuvent circuler sur une partie donnée du réseau) sont gérés par SNCF Réseau, le gestionnaire d’infrastructure.

Comme pour les trains de voyageurs, les trains de marchandises règlent à SNCF Réseau les prix des différents péages, qui varient en fonction des liaisons.

Il existe aujourd’hui plusieurs types de train fret (nous n’évoquerons pas ici le fonctionnement du transport combiné) : les trains massifs et les trains de lotissement. Contrairement aux premiers, ces derniers sont composés de wagons isolés, comprenant des marchandises différentes et appartenant à différents clients. Les différents wagons sont ensuite triés dans des gares de triage et iront potentiellement dans des sens différents en fonction de leurs destinations finales. Ce triage demande un certain travail, qui est plus coûteux par rapport aux trains massifs (à destination d’un seul et unique client).

Les types de marchandises peuvent varier dans le temps, aujourd’hui la majorité des produits proviennent des secteurs de la sidérurgie, de la chimie, de l’agroalimentaire, du bâtiment, du nucléaire : ce sont majoritairement des marchandises que l’on peut qualifier de « stratégiques ». A noter que la désindustrialisation française a également eu des effets sur l’attractivité du fret et les marchandises transportées.

Quel bilan depuis l’ouverture à la concurrence ?

L’ouverture à la concurrence est effective depuis 2005/2006 : un laps de temps suffisant pour nous permettre de réaliser un bilan de ses effets et de l’évolution du marché, qui n’est pas des plus glorieux.

D’abord, le marché du fret a énormément évolué à la suite de l’ouverture à la concurrence, en France et en Europe. En France, fret SNCF, l’opérateur historique, détient désormais environ 50% des parts de marché, alors qu’il en détenait 77% en 2010. Le marché français compte une vingtaine d’acteurs mais les plus importantes parts modales sont concentrées entre un nombre restreint d’entreprises (Fret SNCF, DB Cargo, Captrain notamment). La SNCF possède d’autres filiales qui réalisent également du transport de marchandises : CAPTRAIN France, VIIA, Naviland Cargo, Forwardis, 20% des parts de marchés(2). Elles forment avec Fret SNCF, Rail Logistics Europe. Dans un rapport publié en 2023(3), la CGT considère que la vision est trop silotée, et que cela ne permet pas une adaptation des activités ferroviaires. Le marché est aujourd’hui très divisé, alors que la part modale du transport ferroviaire n’a fait que baisser, oscillant désormais entre 10 et 9%(4).

Les entreprises de fret ne sont pas toujours rentables, ce qui favorise l’absorption des petits par les gros, comme a pu le faire l’entreprise allemande DB Cargo (filiale de la DB).

En France, la concurrence est la plus forte sur les sillons les plus rentables et connectés aux autres réseaux ferroviaires étrangers (au même titre que pour le transport de voyageurs). La plupart des trajets sont réalisés sur 6500 kilomètres de lignes, donc 24% du réseau ferré national. Le réseau étant le même pour le transport de voyageurs, une concurrence s’exerce entre ces deux activités pour l’attribution de sillons sur les lignes les plus fréquentées (le nombre de trains de voyageurs a augmenté significativement du fait d’une demande accrue), au détriment du fret ferroviaire qui est financièrement moins rentable.

Les parts modales ont également évolué : entre 2005 et 2015, la part modale du fret ferroviaire dans l’Union européenne est passée de 14% à 16,8%(5). En France, celle-ci est inférieure au niveau européen : le fret représente environ 10/9%% du transport de marchandises, et la route 80/85% et le fluvial 2 à 3%. Cette répartition est relativement stable depuis 2010. Alors que d’autres pays européens affichent des progressions intéressantes (entre 2019 et 2022, croissance de 22% en Italie, 10% en Allemagne, 2% en Suisse(6)), comment expliquer que la France reste à un niveau si bas ?

Le rapporteur d’un rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les effets de l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire publiée en décembre 2023(7), Hubert Wulfranc, estime qu’elle a été mal accompagnée en France et qu’elle a donc plombé la croissance du secteur. Une autre preuve de l’inefficacité de l’ouverture à la concurrence est la multiplication des plans de relance pour le fret depuis 2005, sans qu’on puisse observer de changements notoires(8). Le président de la commission d’enquête, David Valence, est plus nuancé, considérant que la désindustrialisation, la concurrence de la route, et la qualité de service (dégradée) du fret sont des explications plus probables. Ces divergences s’expliquent peut-être par l’appartenance politique de ces deux personnalités politiques. Toutes ces raisons sont valables, même si à géométrie variable, et ont mené le fret ferroviaire dans le ravin.   

La qualité de service (notamment la régularité) et également le manque de flexibilité, devaient être corrigés par la concurrence, mais restent pourtant deux problèmes majeurs. Dans un monde où l’offre et la demande s’ajustent constamment, le fret est un mode de transport lourd qui a du mal à s’adapter. Des solutions existent, notamment l’utilisation de technologies prédictives et d’anticipation, mais elles ne sont pas mises en œuvre.

Sur la régularité, un rapport d’information par le Sénat en 2008(9) indique qu’uniquement 70% des wagons isolés sont à l’heure, contre 80% pour les trains massifs. En 2022, près d’un train sur six (16%) a accusé un retard de plus de 30 minutes. La régularité des wagons isolés est encore plus dégradée, avec un train sur cinq en retard en moyenne d’une heure ou plus. En observant ses données, il est compréhensible que les acteurs se tournent vers le transport routier, plus adaptable, plus fiable. Comment ces retards peuvent-ils s’expliquer ? L’infrastructure détient une partie de la réponse. Le réseau est extrêmement dégradé : les lignes « capillaires », qui connectent les entrepôts / usines au réseau principal, ont en moyenne 73 ans. De nombreuses lignes ont été fermées ces dernières années, faute de travaux de remise en état. Comment pourrait-on penser que la régularité pourrait s’améliorer, sur un réseau de plus en plus vieux ?

Le fret ferroviaire se rapproche dangereusement du ravin, poussé par nos autorités publiques

La Commission européenne a ouvert en janvier 2023 une procédure d’examen à l’encontre de Fret SNCF. L’entreprise est accusée d’avoir bénéficié d’aides financières de l’Etat français allant à l’encontre du principe de la libre-concurrence (non-respect de l’article 107 du TFUE) : on parle notamment de l’annulation de la dette de l’entreprises en 2019, d’un montant d’environ 5 milliards, ou encore de sommes versées en 2019 pour permettre la recapitalisation de l’entreprise. D’autres entreprises ferroviaires, comme la DB Cargo, filiale de la DB, sont aussi dans le viseur de la Commission. Le verdict n’a, en date de février 2024, pas encore été rendu.

Comment l’Union européenne peut être se donner de tels objectifs de réduction de gaz à effet de serre, dont le transport de marchandises (notamment la route) est responsable à plus de 30%, tout en lançant des enquêtes, dont les sanctions pourraient aboutir au démantèlement du fret et à un report modal énorme vers le routier ?

Pour se faire pardonner, l’Etat français, en la personne de Clément Beaune, a annoncé un grand plan de refonte de fret SNCF. Un plan qui est censé, encore une fois, rendre ses titres de noblesse à l’entreprise. Quand on analyse les propositions de ce plan, on se rend compte qu’elles vont plutôt contribuer à pousser fret SNCF du ravin, qui n’en ai d’ailleurs aujourd’hui pas très loin. Ce plan n’est rien d’autre qu’un coup de massue.

L’idée principale est de diviser Fret SNCF en deux entités, une en charge de la gestion du trafic, l’autre de la maintenance des matériels, rassemblées dans un groupe holding (Rail Logistics Europe), mais toujours rattaché à la maison-mère SNCF. Le capital de l’entreprise serait également ouvert à des acteurs privés, bien que la proportion ne soit pas indiquée.  Pour la gestion du trafic, encore faut-il que cette société puisse se coordonner avec SNCF Réseau, responsable de l’allocation des sillons. Le plan reste flou sur la répartition exacte des missions. Enfin, autre élément majeur du plan : il propose de déposséder Fret SNCF de ses activités les plus importantes et rentables financières. Au total, 23 lignes seraient ouvertes obligatoirement à la concurrence puisque la nouvelle entreprise « new fret » ne pourrait pas candidater aux appels d’offres pour ces lignes pendant 10 ans(10). Ces flux représentent plus de 100 millions d’euros. Cela pourrait engendrer une réduction d’emplois ou une réallocation des travailleurs vers les sociétés privées, avec tout ce que ça implique comme perte de droits sociaux, et une perte financière importante pour Fret SNCF. Si le privé n’est pas intéressé par ces lignes, elles fermeront et les marchandises se retrouveront sur la route(11).

Comment fret SNCF peut-il survivre à une telle réforme ? C’est tout à fait impensable, l’entreprise n’étant déjà pas viable financièrement.

Le rapport de la commission d’enquête du Sénat dénonce fortement ce plan, qui n’implique d’ailleurs pas l’absence de sanctions complémentaires de la Commission à la suite de son enquête.  

Le souhait du gouvernement de développer la part modale du transport ferroviaire d’ici 2030 de 9% à 18%, semble encore davantage un horizon inatteignable.

Une concurrence qui ne dit pas son nom : la route

La Commission est vigilante au respect de la libre-concurrence. Pourtant, elle ne s’attaque nullement à la concurrence la plus déloyale qui touche le fret : celle du transport routier.

Le rapport de la commission d’enquête du Sénat évoquée précédemment indique qu’il y a un lien entre la baisse des parts modales du fret et le développement d’un réseau routier massif, permettant ainsi son accroissement.

Le réseau routier est donc plus dense (il permet notamment de desservir à une maille très fine les entreprises, ports, zones industrielles, villes, etc.) plus moderne, que le réseau ferroviaire. Contrairement aux trains, les camions peuvent facilement débarquer les marchandises n’importent où (disposant d’une porte de déchargement), ce qui n’est pas le cas des trains qui ont besoin d’infrastructures spécifiques pour accéder à certains points stratégiques (ports, entrepôts etc.). La route bénéficie également d’un certain nombre d’avantages(12). D’abord, les nuisances (pollution, dégradation du réseau, embouteillages, accidents) liées au transport routier ne sont nullement prises en compte : elles sont subies par la collectivité sans dédommagement financier. Ensuite, tout comme le fret, le transport routier de marchandises doit s’acquitter des péages en empruntant le réseau autoroutier. Il existe des alternatives gratuites au réseau autoroutier : on compte environ 9000 kilomètres de voies payantes, 12 000 kilomètres de routes nationales gratuites et 380 000 kilomètres de routes départementales. Ainsi, les transporteurs peuvent très facilement éviter de payer des péages. Cela est impossible pour les transporteurs ferroviaires.

Enfin, dernier avantage du transport routier, il est largement possible aujourd’hui de contourner la fiscalité en place. À la suite de l’abandon du projet d’écotaxe en 2014 (qui devait générer 900 millions par an), le gouvernement a majoré de deux centimes par litre la taxe sur l’achat de gazole en France pour les particuliers, et de quatre centimes pour les transporteurs (la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques, TICPE). Ainsi, lorsque les camions réalisent le plein en France, ils s’acquittent de manière indirecte d’une taxe liée à leur passage sur le réseau français. Mais cette taxe est un échec : en effet, les transporteurs s’arrangent pour réaliser le plein dans des pays limitrophes pour ne pas à avoir à le faire en France. Selon l’ADEME(13), les transporteurs étrangers achètent en France moins de 23% du carburant qu’ils y consomment. Ils passent en France en laissant le moins de trace possible. Cette taxe ne sert donc à rien, et pénalise les contribuables. De plus, avec la possibilité de faire appel à des transporteurs étrangers (moins chers), le nombre total de transporteurs français sur le total en Europe est passé de 50% en 1999 à 10% aujourd’hui(14). Nadia Hilal(15) pointe du doigt les effets pervers des dérèglementations du transport routier de marchandises en Europe. Au-delà du fait que les transporteurs routiers ne payent aucune taxe, cela impacte les emplois de ce secteur en France. Les transporteurs étrangers sont moins chers, interchangeables, ne bénéficient pas de la même protection sociale qu’en France. Tout ceci alimente un nivellement à la baisse des droits sociaux et des salaires en Europe alors que nous devrions justement militer pour le contraire.

Désinvestissement sur le réseau ferroviaire, investissement massif dans le réseau routier, mise en place de conditions d’évitement de la fiscalité pour les transporteurs routiers, concurrence déloyale, ouverture à la concurrence… voici une liste, même si non-exhaustive, des principaux facteurs qui sont en train de tuer le fret ferroviaire.

Changer de paradigme pour sauver un secteur

Le constat est affligeant et nous serions tenté de désespérer. Pourtant des solutions existent, il suffit de changer de direction.

  • Première rupture : rénover, moderniser, étendre le réseau et développer l’intermodalité

La première solution est très simple : rénover, moderniser le réseau. Un rapport sénatorial de 2022(16) estime qu’il faudrait investir à horizon 2030, 10 milliards d’euros.  

Au-delà des lignes, dont les lignes capillaires, il faut penser également aux diverses infrastructures du réseau (gares de triages, embranchements de ports, terminaux, installations terminales embranchées permettant de desservir les ports/entrepôts/usines, zones industrielles qui étaient au nombre de 12 000 en 1980, aujourd’hui nous n’en comptons plus que 1700) Si le fret veut toucher davantage de clients, il est fort probable que ces derniers privilégient le wagon isolé plutôt que les trains entiers, d’où la nécessaire attention à porter aux gares de triage. L’exemple de la gare de triage de Miramas est significatif : alors qu’y étaient triés environ 14 000 wagons par mois en 2009, ce n’est plus que 5200 en moyenne aujourd’hui(17). Les collectivités peinent à trouver et à obtenir des financements permettant de rénover cette gare de triage. Alliance 4F, collectif regroupant l’ensemble des acteurs du marché du fret français, pense qu’il est nécessaire d’investir 12 milliards d’euros sur la période 2025/2030 pour maintenir le réseau, les grands axes et les lignes capillaires (20% du réseau), augmenter les capacités de circulation et moderniser/créer de nouveaux terminaux et gares de triages.

Les sommes indiqués par l’Etat sont bien différentes. Dans les contrats plan Etat/Région, l’Etat s’engage à consacrer 500 millions d’euros au fret. En comptant d’éventuels projets annexes visant à financer le fret, sur la période 2023-2027, la somme totale investie serait de 900 millions. Le co-financement des collectivités permettrait d’atteindre 2 milliards. Il en manque plus de 8.  

Au-delà du réseau actuel et de sa modernisation, il faut également pouvoir l’enrichir. Alliance 4F propose de développer de nouvelles infrastructures et axes pour contourner les métropoles. Il faut également s’atteler au développement de plateformes multimodales entre les différents modes de transport, et également dans les grands ports. On peut prendre comme exemple la plateforme du Havre qui rencontre un certain succès, et dont le président du port souhaite l’extension.

Il faut sortir d’une logique en silo, et penser la connexion entre les modes de transports, à la fois pour le transport de voyageurs, mais aussi pour la logistique et l’acheminement des marchandises. Le fret doit faire partie intégrante de toute la chaîne : pour cela, le développement de plateformes multimodales, à l’échelle française mais aussi européenne, est nécessaire.

De tels projets sont coûteux, et souvent dénoncés pour leur empreinte écologique. On peut prendre l’exemple du Lyon-Turin, projet estimé à un montant de 18 milliards selon le Comité pour la Transalpine (les opposants au projet évoquent plutôt un montant de 26 milliards). Pourtant, ce projet permettrait d’augmenter de manière pharamineuse le nombre de marchandises transportées, de 6 à 40 millions de tonnes. Les arguments des opposants sont entendables. Toutefois, nous ne pouvons nous soustraire à de tels projets si nous voulons augmenter la part modale du ferroviaire et son importante. Pour le transport de marchandises, mais aussi pour permettre aux voyageurs d’envisager différemment leurs trajets, en utilisant des modes de transport plus verts. Il faut davantage questionner l’utilité des projets routiers et leur potentielle substitution par des lignes ferroviaires.

  • Deuxième rupture : mettre fin à la concurrence déloyale de la route

Outre les améliorations et la modernisation du réseau, il faut que le gouvernement mette en place des actions pour contrer la concurrence déloyale de la route. Le rapport d’information du Sénat de 2010(18) et le rapport de la commission d’enquête publié fin 2023 esquissent un certain nombre de propositions intéressantes.

D’abord, il faut sortir de la logique de taxation du carburant, qui ne produit pas suffisamment d’effet. Les rapports soutiennent la mise en place d’une taxe kilométrique (qui concernerait uniquement les poids lourds), permettant notamment de faire payer au transport routier les externalités qu’il engendre et de durcir la réglementation sur les circulations. L’Autriche et la Suisse ont eux-mêmes adopté une réglementation stricte : les jours et horaires de circulation sont par exemple restreints. Aucun camion de plus de 3,5 tonnes ne peut circuler le dimanche, et l’ensemble des camions ne peuvent pas circuler la nuit même en semaine. Il suffirait que la France prenne exemple sur ces restrictions.

  • Troisième rupture : améliorer la régularité et la qualité de service

La modernisation du réseau aura déjà des conséquences non-négligeables sur la régularité. Son extension, rendra l’utilisation du fret plus attractive. Pour perfectionner l’ensemble, l’Union européenne souhaite le développement de systèmes de transports intelligents. Ces systèmes, permettraient de mieux planifier, cadencer les trajets, de disposer de données plus fiables sur le transport et en temps réel (position en direct, vitesse, travaux routiers, etc.) de la marchandise. Cela permettrait évidemment de rassurer les clients du fret et également de mieux planifier et suivre une activité très complexe dans son organisation et chronométré au millimètre près.

  • Quatrième rupture : redonner son aspect stratégique au fret

Le fret pourrait être au cœur des enjeux de demain : notamment des enjeux autour de la réindustrialisation. Le fret doit faire partir de la chaîne et être exploité dans le cadre des politiques décidées par le gouvernement.

Au-delà de ces enjeux, le fret pourrait être rendu obligatoire pour le transport de produits et matériaux stratégiques, dangereux, nécessitant d’être maîtrisés par l’Etat : cette proposition émane de la CGT(19).

 

Le fret ferroviaire perd chaque année davantage de vitesse, et s’approche du ravin. Cet effondrement peut s’expliquer par de multiples facteurs. D’abord la libéralisation, qui a aggravé la situation et qui n’a pas été suivi d’effets, notamment d’investissements massifs dans le réseau. Ce sous-investissement chronique engendre un vieillissement des axes et des infrastructures, ne permettant pas de répondre aux critères de qualité de service, ni d’améliorer la régularité. Ce sous-investissement engendre également un report modal important vers la route : le transport de marchandises est plus pratique, le fret ne disposant pas et plus de suffisamment de plateformes multimodales, connectées aux grandes zones industrielles, aux entrepôts, aux entreprises, aux ports. Enfin, par la concurrence déloyale de la route.

Les potentielles sanctions de l’Union européenne et ou la mise en œuvre de la réforme présentée par l’exécutif en 2023 ne va pas arranger les choses. Tout ceci est symptomatique de la schizophrénie de l’Union européenne : nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre, mais nous ne devons pas soutenir le fret, essentiel pour la transition écologique.

Des solutions existent, mais il est urgent de ne plus tarder et d’opérer un réel revirement. L’Alliance 4F proposer de doubler la part modale du fret français de 9 à 18% en 2030 en mettant en œuvre un certain nombre de réformes, dont certaines ont été évoquées ici. L’Union européenne et la France doivent entendre ces propositions, au risque de condamner, définitivement, un secteur aux enjeux majeurs pour la transition écologique.

Références

(1)Les premiers trains fret ont circulé en 2005 (transport international) et en 2006 (transport national).  

(2) Pour en savoir plus sur les filiales : https://www.sncf.com/fr/logistique-transport/rail-logistics-europe /

(3) Rapport de la CGT publié en octobre 2023, accessible ici : https://www.cgt.fr/actualites/transport/environnement/la-defense-et-le-developpement-du-transport-public-de-marchandises-par-le-rail-est-un-enjeu-crucial

(4) Voir rapport : https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2022/07/art_bilan-ferroviaire-europe-2020.pdf

(5) Voir rapport : https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2022/07/art_bilan-ferroviaire-europe-2020.pdf

(6) Voir rapport : https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2022/07/art_bilan-ferroviaire-europe-2020.pdf

(7) Commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir, en date de décembre 2023 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/autres-commissions/commissions-enquete/ce-liberalisation-fret-ferroviaire

(8) Rapport de la CGT publié en octobre 2023, qui détaille l’ensemble des différentes réformes, accessible ici : https://www.cgt.fr/actualites/transport/environnement/la-defense-et-le-developpement-du-transport-public-de-marchandises-par-le-rail-est-un-enjeu-crucial

(9) Rapport accessible ici : https://www.senat.fr/rap/r08-220/r08-2207.html

(10) https://www.vie-publique.fr/discours/291200-clement-beaune-13092023-liberalisation-du-fret-ferroviaire

(11) A lire en complément : https://reporterre.net/Privatisation-du-fret-SNCF-On-fait-tout-pour-couler-le-ferroviaire

(12) Rapport accessible ici : https://www.senat.fr/rap/r08-220/r08-2207.html

(13) ADEME, 2021

(14) Commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir, en date de décembre 2023 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/autres-commissions/commissions-enquete/ce-liberalisation-fret-ferroviaire

(15) Selon Nadia Hilal dans le numéro 48 de sociologie du travail, publié en 2006

(16) Rapport d’information du Sénat accessible ici : https://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/finances/Rapports_provisoires/Rapport_SNCF_-_Version_provisoire.pdf

(17) Liquider fret SNCF, nuit gravement au climat : rapport du comité central du groupe public ferroviaire

(18) Rapport d’information sénatorial « Avenir du fret ferroviaire : comment sortir de l’impasse » du 20 octobre 2010 et commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir, en date de décembre 2023 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/autres-commissions/commissions-enquete/ce-liberalisation-fret-ferroviaire

(19) Rapport de la CGT publié en octobre 2023, qui détaille l’ensemble des différentes réformes, accessible ici : https://www.cgt.fr/actualites/transport/environnement/la-defense-et-le-developpement-du-transport-public-de-marchandises-par-le-rail-est-un-enjeu-crucial

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La souveraineté numérique française menacée

La souveraineté numérique française menacée

Le Comité de l’Intelligence Artificielle Générative créé en septembre 2023, intègre Google et Méta suscitant des inquiétudes profondes quant à son indépendance.

Depuis sa création en septembre 2023 par la Première ministre Élisabeth Borne, le Comité de l’Intelligence Artificielle Générative ambitionne de jouer un rôle prépondérant dans la définition des politiques gouvernementales françaises relatives à l’intelligence artificielle. Cependant, l’implication de grandes multinationales étrangères, telles que Google et Méta (la société mère de Facebook), suscite des inquiétudes profondes quant à l’indépendance et la souveraineté numérique de la France. Ces concepts sont cruciaux dans un contexte où les technologies de l’information et de la communication dominent de plus en plus, nécessitant que les nations maintiennent leur autorité et protègent leurs intérêts dans l’espace numérique.

Ainsi, dans le paysage actuel caractérisé par une mondialisation et une numérisation rapides, l’influence et le contrôle des sociétés technologiques étrangères, principalement issues des États-Unis et de la Chine, sur les infrastructures numériques françaises sont devenus palpables à travers divers secteurs. Google et Facebook dominent les espaces de recherche en ligne et de médias sociaux, façonnant l’accès à l’information et la communication sociale en France. Dans le domaine du commerce électronique, Amazon s’impose comme un acteur majeur, révolutionnant le commerce de détail et la logistique nationale. Le cloud computing est largement sous l’emprise de fournisseurs américains tels que Microsoft Azure, Amazon Web Services et Google Cloud, qui gèrent d’importantes quantités de données françaises. 

En matière de télécommunications, l’implication de Huawei dans le déploiement de la 5G en France a suscité des inquiétudes quant à la sécurité et la dépendance technologique. Enfin, des systèmes de paiement en ligne comme PayPal influencent le secteur financier, modifiant les pratiques bancaires et les transactions financières.

L’essor de l’intelligence artificielle représente simultanément une opportunité et un défi pour la France. Si cette technologie promet un potentiel d’innovation et de croissance économique considérable, elle soulève aussi d’importantes questions éthiques, sociales et politiques. La composition du Comité de l’intelligence artificielle générative est donc cruciale pour assurer la protection des intérêts nationaux et pour que les décisions reflètent authentiquement les besoins et valeurs de la société française. La présence de représentants de grandes entreprises technologiques internationales au sein du Comité génère de légitimes interrogations quant à leur impact sur les orientations prises. 

La participation de géants américains de la technologie, en particulier, fait craindre des risques en matière de protection des données, de vie privée, de désinformation et de souveraineté numérique française, ces entreprises ayant déjà été sanctionnées par le passé pour non-respect du Règlement général sur la protection des données (RGPD) européen. Leur intérêt financier dans le développement de l’IA en France pourrait potentiellement primer sur les intérêts nationaux.

Cette présence d’acteurs privés au Comité soulève également des questions quant au rôle des acteurs commerciaux dans l’élaboration des politiques publiques. Bien que leur expertise soit indéniablement précieuse, leur participation interroge sur la transparence, la neutralité et l’équité du processus décisionnel.

Il est primordial que le gouvernement français adopte des mesures pour s’assurer que le Comité de l’intelligence artificielle générative représente véritablement l’intérêt public et ne soit pas influencé par des intérêts commerciaux, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Cela implique l’instauration de règles strictes sur la transparence et la gestion des conflits d’intérêts, ainsi qu’une consultation élargie de la société civile et des parties prenantes.

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Portal Kombat, le réseau russe de manipulation de l’opinion des Etats européens

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Dans un rapport mis en ligne lundi 12 février, Viginum, le service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères révèle l’existence d’un réseau (Portal Kombat) constitué de 193 sites internet relayant de fausses informations et visant à déstabiliser la population ukrainienne mais également des Etats comme la France ou l’Allemagne.

Entre septembre et décembre 2023 Viginum a mené des analyses approfondies d’un réseau regroupant des sites d’informations diffusant des contenus pro-russes, certains ouvertement politiques et d’autres plus anodins.

Baptisé « Portal Kombat » en raison de sa « stratégie informationnelle offensive », le réseau regroupe pas moins de 193 sites actifs pour certains depuis 2013 (et pour les plus récents juin 2023) dont l’activité vise explicitement les Etats occidentaux affichant leur soutien à l’Ukraine depuis l’invasion russe. Comme l’indique le rapport de Viginum[1], ces sites ne diffusent aucun contenu original et fonctionnent comme des relais de publications issues majoritairement de trois sources : les comptes de réseaux sociaux russes et pro-russes, les agences de presses russes et les sites officiels d’institutions ou d’acteurs locaux.

Le principal objectif poursuivi par « Portal Kombat » est de présenter une image positive de « l’opération militaire spéciale » menée par la Russie en Ukraine et, dans le cas français à travers pravda-fr[.]com, de « polariser les échanges et le débat public numérique francophone »[2]. Plusieurs techniques sont également utilisées afin d’élargir au maximum l’audience des 193 sites : la sélection des sources pro-russes selon les localités visées, l’automatisation de la diffusion des contenus et l’optimisation du référencement sur les différents moteurs de recherche.

Considérées comme de potentielles cellules dormantes pouvant redoubler d’activité lors des nombreuses élections prévues en 2024 en Europe et dans le monde, Paris et Berlin ont communiqué ensemble sur le sujet ce lundi 12 février lors de la réunion à la Celle-Saint-Cloud du format Weimar[3].

Références

[1] https://www.sgdsn.gouv.fr/files/files/20240212_NP_SGDSN_VIGINUM_RAPPORT-RESEAU-PORTAL-KOMBAT_VF.pdf

[2] Toujours selon le rapport de Viginum

[3] Le « triangle de Weimar », est le nom de la plateforme d’échange entre la France, l’Allemagne et la Pologne. Crée en 1991 pour soutenir l’adhésion de la Pologne à l’Otan, le triangle de Weimar est désormais un outil diplomatique plus large et est actuellement utilisé par les trois pays pour contrer efficacement les attaques russes de désinformation et les tentatives d’ingérences.

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Dans le Canard Enchaîné de ce mercredi 14 février, on apprend que le premier producteur et fournisseur d’électricité de France vient de confier, à travers un contrat global de 860 millions d’euros, la planification de la maintenance de ses centrales nucléaires au géant américain Amazon.

A l’heure où les sénateurs, en séance plénière, et les députés, en commission des Finances, adoptent la proposition de loi visant à éviter tout démembrement d’EDF et à rétablir les tarifs réglementés de l’électricité, l’on pourrait se réjouir de voir la souveraineté énergétique française enfin protégée et assurée. C’est sans compter sur la coupable naïveté numérique des dirigeants de l’entreprise.

Dans le Canard Enchaîné de ce mercredi 14 février, on apprend que le premier producteur et fournisseur d’électricité de France vient de confier, à travers un contrat de 860 millions d’euros, la planification de la maintenance de ses centrales nucléaires au géant américain Amazon. Or si EDF n’est pas une administration, elle est, et c’est tout aussi stratégique, un opérateur d’importance vitale.

Par l’intermédiaire de sa filiale Amazon Web Service (AWS), le GAFAM sera effectivement chargé de procéder au référencement et à la numérisation des millions de pièces que contiennent les centrales nucléaires. S’il est compréhensible que l’entreprise publique se soucie de l’amélioration de la maintenance du parc nucléaire français, la décision de confier la planification à une multinationale américaine laisse pantois pour ne pas dire en colère. 

On ne peut qu’être effaré à l’idée que des données aussi sensibles soient hébergées par une société américaine quand on sait l’usage extensif que font la Chine ou les Etats-Unis de la notion d’extraterritorialité de leur droit national. Toutes les conditions se trouvent ainsi réunies pour qu’EDF rejoigne la longue liste des entreprises françaises pillées ou espionnées par un État étranger qui sait au besoin se parer des atours d’allié historique. Les dirigeants d’Alstom ou de la BNP pourraient doctement l’expliquer à leurs homologues d’EDF.  

Faire appel à un ou des acteurs tricolores de l’infonuagique (cloud) dûment labellisés par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) aurait été le minimum. Le Canard Enchaîné nous apprend par exemple qu’Outscale, filiale de Dassault, correspondant à ces exigences, aurait été disposée à répondre.

EDF aura beau jeu d’arguer de la difficulté de trouver un prestataire offrant les garanties nécessaires à la protection de ces données dans la mesure où la CNIL en ce début d’année 2024 a fait elle-même, de guerre lasse, le constat de l’absence de tels prestataires sur le marché européen.

Après sept ans de start-up nation et de discours angélique sur la souveraineté européenne, le tableau est bien sombre. C’est celui d’une incapacité des autorités publiques à faire émerger un écosystème numérique qui n’ait pas de souverain que le nom. Espérons qu’il ne soit pas trop tard pour éradiquer cette naïveté. Et ce mouvement salutaire et rationnel peut et doit venir de la gauche française et européenne qui se donnerait à nouveau les moyens de penser la souveraineté.

Hugo Guiraudou, Directeur de publication du Temps des Ruptures

Mickaël Vallet, Sénateur de la Charente-Maritime

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2024 : le déclin industriel de l’Europe continue

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Prix de l’énergie élevé, règles budgétaires trop strictes, pénurie de main d’œuvre qualifiée, malgré une image redorée, l’industrie française et européenne fait face à de nombreux défis en ce début d’année 2024. Se pose dès lors la question du décrochage industriel du Vieux Continent face aux Etats-Unis et à la Chine.

Une baisse de la production industrielle qui se confirme

Lundi 15 janvier, Eurostat a publié une étude[1] mettant en lumière la baisse de 0,2% de la production industrielle de l’Union européenne entre octobre et novembre 2023. Soit le troisième mois consécutif de baisse (et une baisse annuelle de 5,8% en novembre).

Concernant la production de biens d’investissements (bâtiments, machine, équipements), celle-ci a baissé de 0,8% en novembre 2023 à l’échelle de l’Union européenne (8,7% de baisse entre novembre 2023 et novembre 2022).

Un manque cruel de travailleurs qualifiés

Si le coût de l’énergie figure encore en 2023 comme l’une des principales raisons des difficultés rencontrées par les acteurs industriels français et européens d’autres arguments sont également avancés.

L’un d’entre eux n’est autre que le manque de main d’œuvre qualifiée. Selon une étude publiée par la Banque européenne d’investissement et citée par Euractiv, 85% des entreprises européennes affirment que le manque de personnel qualifié est une barrière à l’investissement (plaçant ce critère devant celui des prix élevés de l’énergie, 82%).

Marjut Falkstedt, la secrétaire générale du Fonds européen d’investissement (FEI), détenu majoritairement par la BEI, affirme de ce fait qu’« il est maintenant nécessaire que les autorités publiques se concentrent sur l’élargissement et l’amélioration des possibilités de formation et qu’elles portent un regard neuf sur le système universitaire et les écoles secondaires ». « Nous devons repenser les compétences [et] les ensembles de compétences de notre main-d’œuvre.[2]»

S’il est évident que les autorités publiques doivent désormais regarder la préservation et le développement des compétences et savoir-faire industriels comme une nécessité pour l’économie française et européenne, ils ne sont en revanche pas les seuls à devoir changer radicalement de politique.

La formation continue et le développement des compétences des salariés sont souvent trop peu valorisés et mis en œuvre au sein même des entreprises. De ce fait, même si, dans le cas français, l’Etat et les collectivités territoriales mettent en place des dispositifs favorisant la montée en compétences des salariés, ceux-ci sont encore trop peu utilisés par les entreprises.

Les droits des travailleurs : une condition sine qua non du renouveau industriel français et européen

La Confédération européenne des syndicats a récemment interpellé le Conseil « Compétitivité » de l’UE et les ministres européens sur les conditions d’octrois de financements européens. Elle demande que les entreprises bénéficiant de fonds publics respectent les droits de négociation des salariés. Elle prend également position en faveur du conditionnement des financements publics à la mise en œuvre d’une vraie politique de développement des compétences et de formation au sein de l’entreprise.

Le conditionnement des fonds publics à l’amélioration des compétences est par ailleurs au cœur de l’Inflation Reduction Act (IRA) américain, qui consacre environ 370 milliards de dollars à des mesures de soutien à la politique industrielle verte des États-Unis.

Plusieurs experts indépendants soutiennent par ailleurs les revendications de la Confédération européenne des syndicats : « Oui, les fonds publics alloués pour soutenir l’industrie européenne devraient être assortis de solides conditionnalités sociales », déclare Laura Rayner, analyste politique senior du programme « Europe sociale et bien-être » au sein du European Policy Centre (EPC) au micro d’Euractiv[3]. « Ces conditions devraient englober divers aspects des relations industrielles et d’emploi, garantissant que les entreprises bénéficiaires respectent le droit du travail, les négociations collectives et offrent des salaires décents, des conditions de travail adéquates et une formation de qualité qui permet d’accéder à des qualifications ».

Au-delà des conditions sociales et du manque d’investissement dans les compétences des salariés, ce sont également les règles budgétaires européennes qui sont décriées. Ainsi, Judith-Kirton Darling, co-secrétaire générale par intérim d’industriALL Europe, a déclaré à Euractiv que les règles budgétaires controversées récemment adoptées par les ministres des Finances de l’UE sont trop strictes et découragent les potentiels investissements dans l’industrie.  « Il est alarmant de constater que l’austérité budgétaire et le retour à des politiques d’austérité entravent encore davantage le développement industriel, ce qui risque de compromettre la position concurrentielle de l’Europe sur le marché mondial […] Plutôt que d’imposer des contraintes fiscales rigides, les dirigeants européens devraient promouvoir activement des industries résilientes, des emplois industriels de qualité et la cohésion sociale »[4].

Références

[1] https://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/18319935/4-15012024-AP-EN.pdf/99ef8c47-94d2-00b9-2b36-821dd95350ce

[2] https://www.euractiv.fr/section/economie/news/les-chefs-dentreprise-attribuent-le-declin-industriel-de-leurope-a-une-penurie-de-main-doeuvre-qualifiee/

[3] https://www.euractiv.fr/section/all/news/les-syndicats-exigent-que-lue-integre-les-droits-des-travailleurs-dans-sa-politique-industrielle/

[4] https://www.euractiv.fr/section/economie/news/les-syndicats-sinquietent-du-declin-industriel-de-lue/?_ga=2.9043767.309539485.1707110231-81770765.1697545644

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