La gauche à la pointe de la lutte contre le narcotrafic

La gauche à la pointe de la lutte contre le narcotrafic

Il est de bon ton pour les commentateurs politiques de partir du principe que la gauche est nulle en matière de lutte contre l’insécurité. Les termes, éculés, du débat sont connus : la gauche en serait restée au stade de l’angélisme et serait disqualifiée pour apporter des solutions efficaces. Pourtant certains à gauche se mobilisent, à l’instar du sénateur Jérôme Durain lors d’une commission d’enquête, et proposent des réponses sérieuses à une situation sécuritaire qui s’aggrave d’année en année.

Il est de bon ton pour les commentateurs politiques de partir du principe que la gauche est nulle en matière de lutte contre l’insécurité. Les termes, éculés, du débat sont connus : la gauche en serait restée au stade de l’angélisme et serait disqualifiée pour apporter des solutions efficaces. Alain Bauer, avec son style, est revenu sur ce serpent de mer du débat politique lors de son audition[1] devant la Commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France et les moyens pour y remédier le 29 janvier 2024 en évoquant une gauche « Janus » :

«  C’était d’ailleurs une gauche « Janus » – je peux le dire facilement, car j’ai connu beaucoup de ses membres, puisque j’ai été le collaborateur de Michel Rocard pendant très longtemps. Ses membres étaient extrêmement rationnels et prenaient en compte le problème au niveau local, mais une fois arrivés à Paris, ils se transformaient en négationnistes culturels, pour lesquels le problème n’existait pas et était une invention de la droite ».

Cette affirmation bien que caricaturale, trouve quelques éléments de confirmation dans notre histoire politique. Notons cependant qu’Alain Bauer a le bon goût de reconnaître que son constat est cyclique et qu’il arrive que la gauche ouvre en quelque sorte les yeux. On pourra également préciser que la gauche n’est pas monolithique, qu’elle n’affirme pas en bloc que la police tue ou que le sentiment d’insécurité est uniquement le résultat du martelage médiatique sur la question. Le temple de Janus, pour reprendre la métaphore d’Alain Bauer, était fermé en temps de paix et ouvert en temps de guerre. Or, la guerre semble bien s’imposer en ce qui concerne les drogues. Une guerre des narcotrafiquants entre eux et contre notre société davantage qu’une war on drugs chère aux américains.

Le terme de « guerre » apparaît d’ailleurs dans la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les violences à Marseille et sur le territoire français[2] déposée par les représentants des trois groupes de gauche du Sénat le 14 juin 2023 (Marie-Arlette Carlotti, Guy Benarroche, Jérémy Bacchi et Guy Benarroche et 88 de leurs collègues).  Après l’enchaînement des violences sur place et à la suite d’un déplacement que j’avais effectué sur place aux côtés de Mme Carlotti, mobilisée très tôt sur le sujet. Le court exposé des motifs de cette proposition de résolution cernait déjà bien les enjeux de la problématique du narcotrafic en soulignant que « les violences à Marseille se sont transformées, puisqu’elles ne se restreignent plus aux acteurs des trafics de drogues mais touchent des Marseillaises et des Marseillais » ou encore que « la politique lancée par le ministre de l’Intérieur, à savoir le matraquage des points de deal, s’avère inefficace ». Cette initiative, qui n’aurait pu voir le jour sans la mobilisation des élus des Bouches-du-Rhône, pointait déjà que « les violences qui la touchent ne sont plus propres à la cité phocéenne, mais un phénomène qui s’étend et qui concerne d’autres villes du territoire sujettes aux mêmes guerres liées aux trafics de drogue ».

La place particulière de Marseille dans la géopolitique des drogues n’est pas un phénomène nouveau. Mais il est intéressant de noter que c’est sous l’impulsion d’élus de gauche après que cette dernière ait repris les rênes de la ville, grâce à l’alliance du Printemps marseillais, que la mobilisation politique s’est enclenchée. Se retrouvant aux responsabilités et à portée de baffes, les responsables politiques de gauche ont fait le choix de réagir face à l’enchaînement macabre des victimes venant animer les colonnes des rubriques faits divers des journaux mais faisant surtout grimper la peur et le sentiment d’abandon de la population.

Cette proposition de commission d’enquête n’a pu cependant aboutir, en raison de l’épuisement du droit de tirage des groupes socialiste, communiste et écologiste en 2023. Le groupe Les Républicains, qui s’était fait doubler sur une thématique sécuritaire supposée constituer son pré carré, a eu tôt fait de réagir par le biais de sa propre résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier[3], avec un exposé des motifs plus succinct…[4] mais couronné de succès puisque la droite avait alors conservé son droit de tirage.

C’est donc la commission d’enquête dont les contours ont été définis par la droite qui a engagé ses auditions dès le 27 novembre 2023 avec 6 mois de travaux devant elle. Il n’est pas toujours aisé de travailler sur les sujets régaliens pour des parlementaires de gauche en raison du présupposé angélisme de notre bord politique. Cela l’est d’autant moins sur un sujet lié aux drogues, où nos positionnements progressistes peuvent être instrumentalisés par nos adversaires politiques. S’agissant d’un domaine où le bilan du Gouvernement semble perfectible et connaissant la propension des ministres en charge à endosser l’autocritique, la commission avait de grandes chances de se transformer en un piège politique redoutable. Cela n’a finalement pas du tout été le cas.

Le mérite en revient sans aucun doute aux parlementaires de gauche membres de cette structure temporaire (et je ne parle évidemment pas de moi). Ils se sont investis avec sérieux et régularité. Mais je veux également saluer le rapporteur, que personne n’oserait qualifier un seul instant d’homme de gauche. Etienne Blanc a su faire preuve tout au long de nos travaux d’une capacité d’écoute et de questionnement qui force l’admiration. Ce serait par ailleurs une faute d’oublier les élus locaux parmi les acteurs de cette commission d’enquête : maires de villes moyennes ou de métropoles et élus ruraux (que ce soit directement ou via les associations d’élus) ont participé avec enthousiasme à notre commission. Il s’agissait souvent d’hommes et de femmes de gauche. Non pas que la droite rechigne à s’exprimer sur le sujet, mais parce que les élus de nos territoires sont encore en grande partie issus de nos rangs, quand bien même on voudrait faire croire à une faiblesse du camp progressiste dans notre pays.

Je n’ai jamais perçu lors de leurs auditions une quelconque gêne à aborder la thématique du narcotrafic ou de la sécurité. Au contraire, leurs témoignages furent souvent denses, instructifs et ont contribué utilement à nos conclusions. Est-ce à dire qu’ils se seraient contentés de reprendre la doxa de droite répressive sur le sujet ? Évidemment non, ils ont tenu des propos étayés par une vision constructive et critique des actions déjà mises en place, assumant la nécessaire répression des trafiquants ainsi que le travail social et de prévention à mettre en place. Souvent, ils ont regretté de ne pas être toujours suffisamment associés à l’action de l’État en la matière, souhaitant contribuer plus largement encore grâce aux moyens de leurs collectivités.

Les moments de crispation politique ont, à dire vrai, été relativement rares lors de notre commission d’enquête. Je ne vois que les réactions aux déclarations des magistrats marseillais qui avaient créé une vague d’émotion en évoquant les risques d’échec. Isabelle Couderc, responsable du pôle criminalité organisée du parquet de Marseille avait ainsi déclaré « Nous sommes en train de perdre la guerre contre les trafiquants ». Il n’en fallait pas plus pour que l’extrême droite décide de souffler sur les braises. Stéphane Ravier rêve en réponse d’une ville de Marseille « sans immigration » ce qui témoigne d’une vision pour le moins surréaliste de la cité phocéenne et de son histoire. Les réseaux sociaux s’emballent, Marine Le Pen proposera quelques jours plus tard de maîtriser d’abord les frontières (nos services des douanes n’y avaient pas pensé !) avant d’appeler à « maîtriser notre politique migratoire » (il n’y aurait pas de trafiquants de drogue français !).

L’exécutif sent le soufre et met au point son concept des opérations Place nette XXL avec un déplacement en grande pompe du président de la République à Marseille. Place nette XXL sera par la suite déclinée dans d’autres territoires avec des résultats mitigés, que nous avons d’ailleurs abondamment discutés dans les conclusions de notre commission d’enquête. Cette réaction XXL au RN, était d’abord fondée sur la communication plutôt que sur une réorientation quelconque. A l’heure où j’écris ces lignes, il n’en reste d’ailleurs plus grand chose puisque les forces de sécurité ont surtout été concentrées sur les Jeux olympiques et paralympiques. Notre rapport, assumé tant par Etienne Blanc que par moi-même, a en quelque sorte profité de ce contexte d’affrontement politique. Alors que les écrits parlementaires sur cette thématique avaient manqué, nous avons comblé un vide en la matière, dont témoigne la réaction médiatique et institutionnelle quasi unanimement positive.

La gauche n’a pas à rougir de nos conclusions sur le fond.  Nous avons constaté un manque criant de moyens humains, juridiques et techniques pour les services répressifs et pour les juridictions, ce qui rend l’engagement des effectifs mobilisés sur le terrain encore plus admirable ; des défaillances à de nombreux niveaux, qui montrent que notre Etat n’a pas pris la mesure du risque existentiel que le narcotrafic fait peser sur nos institutions alors même que l’exemple de certains de nos voisins le montre : s’il devient assez puissant, il n’hésitera pas à s’attaquer à l’État.

Le narcotrafic s’affirme comme une menace pour les intérêts fondamentaux de la nation. Il faut un sursaut, c’est-à-dire une réponse rapide et ambitieuse des pouvoirs publics, et notamment du Gouvernement, pour donner des moyens supplémentaires aux forces de l’ordre et juridictions, pour repenser le régime d’incarcération des trafiquants et pour redonner toute sa place au renseignement. Ces conclusions sont-elles incompatibles avec l’ADN de nos partis ou avec les attentes de nos électeurs ? Je ne le crois pas.

Si je devais résumer nos propositions concrètes les plus marquantes, je dirais qu’il faut peser d’abord sur quatre chantiers essentiels :

– Rénover la procédure pénale ;

– Doter la lutte contre le narcotrafic de « chefs de file » ;

– Lutter contre un blanchiment devenu endémique pour redonner à l’État les fruits du narcotrafic ;

– Enfin faire barrage à la marée montante de la corruption.

Aucune de ces réponses ne me semble être « de droite ». J’ai d’ailleurs pu le constater lors du « service après-vente » que j’ai assuré après la publication de nos travaux. Les élus locaux de gauche, rencontrés lors de forums d’associations d’élus, étaient curieux et soulagés. Soulagés ! Enfin, ils pouvaient prendre la parole comme hommes et femmes de gauche sur ce sujet qui prend tant de place dans l’actualité et dans l’esprit de nos concitoyens. Prendre la parole avec des pistes de solution entendables, sans se faire taxer d’angélisme ou de dérive sécuritaire. Répondre à ce sujet en étant doté des arguments pour critiquer de manière constructive l’action du Gouvernement.

Ainsi pour en revenir à la réponse macroniste, il ne s’agit pas de contester l’utilité des opérations Place nette, XXL ou pas. Elles contribuent à ramener un peu de tranquillité et ont le mérite de pointer qu’il existe encore une volonté politique de lutte contre ces trafics. Mais en aucune façon ces opérations ne peuvent tenir lieu de politique globale. 473 opérations « place nette » ont été menées entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. Les saisies de drogues autres que le cannabis sont très faibles – moins de 40 kilogrammes pour la cocaïne -, à peine quelques millions d’euros saisis, pour plus de 50 000 gendarmes et policiers mobilisés. Si on se limite aux seules opérations dites « XXL », les résultats ne sont pas meilleurs, avec à peine de 18 kilogrammes de cocaïne saisis.

Des questions, non moins importantes, demeurent aussi sur l’articulation entre les opérations « place nette » et les enquêtes judiciaires et patrimoniales, seules à même de véritablement permettre de remonter une filière et de faire durablement tomber des réseaux – donc d’affaiblir la pieuvre du trafic.

Cela ne signifie pas qu’il ne subsiste pas de points de débat à gauche. Je pense ici à la question de la légalisation du cannabis. Des membres de la commission d’enquête – dont je suis – ont signé une proposition de loi en faveur de cette solution. Ce n’est pour autant pas une solution miracle qui ferait disparaître d’un coup de baguette magique le danger narco. D’autres membres de gauche de la commission d’enquête y restent fondamentalement opposés.

J’ai profité des universités d’été 2024 des partis de gauche pour poursuivre mon travail de popularisation de nos conclusions. L’accueil fut bon, si ce n’est très bon, chez les socialistes comme chez les insoumis ou les écologistes. Il subsiste des points de discussion sur l’encadrement de la procédure pénale (le fameux dossier coffre par exemple), certains craignant que nous ne restreignions trop les libertés publiques en suivant ce chemin. Certains prônent une légalisation d’autres drogues. Mais je ne crois pas qu’aucun de ces désaccords ne soit indépassable, surtout dans le cadre d’une discussion parlementaire qui devrait pouvoir avoir lieu sur des bases saines.

Le Temps des Ruptures a sollicité ce texte de ma part en me demandant de m’intéresser aux conséquences politiques de nos travaux parlementaires sur le narcotrafic. Je crois que la principale rupture est celle-ci : nous sommes désormais prêts à aller présenter nos propositions politiques aux Français (je suis d’ailleurs fier de la présence de la thématique narcotrafic dans le programme du Nouveau Front Populaire) et à le discuter avec la représentation nationale. Je ne doute pas que cela se fera dans les mois qui viennent. Le temps presse. Depuis le 1er janvier 2024, il n’y a plus de Plan Stup en vigueur en France…

[1]    https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20240129/ce_narco.html#toc2

[2]    https://www.senat.fr/leg/exposes-des-motifs/ppr22-741-expose.html

[3]   https://www.senat.fr/leg/ppr23-056.html

[4]   Nulle mention n’y était faite des victimes civiles ou de la réponse sociale devant accompagner la répression

Références

(1)https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-norvege-lance-la-prospection-miniere-de-ses-fonds-marins-2045453

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Anticor : un nouvel agrément après une bataille judiciaire sans précédent

Anticor : un nouvel agrément après une bataille judiciaire sans précédent

L’association Anticor, depuis sa création en 2002, s’est positionnée comme un acteur clé dans la lutte contre la corruption en France. Après une bataille judiciaire importante, Anticor a retrouvé, par arrêté du Premier ministre, son agrément le 5 septembre dernier.

L’association Anticor, depuis sa création en 2002, s’est positionnée comme un acteur clé dans la lutte contre la corruption en France. Forte de plus de 7 000 adhérents et d’une centaine de procédures judiciaires engagées, l’association a, pendant des années, bénéficié d’un agrément gouvernemental lui permettant de se constituer partie civile dans des affaires de corruption. Cet agrément, accordé en 2015, a permis à Anticor de jouer un rôle déterminant dans de nombreux dossiers politico-financiers, en contribuant à exposer et à combattre les dérives de certains responsables publics.

Cependant, l’association a récemment franchi une étape cruciale dans cette lutte. Le 5 septembre 2024, un nouvel arrêté signé par le Premier ministre Gabriel Attal a rétabli l’agrément d’Anticor pour une durée de trois ans, en vertu de l’article 2-23 du code de procédure pénale. Cet agrément, publié au *Journal officiel*, permet à Anticor de retrouver sa capacité à exercer les droits de la partie civile dans les affaires de corruption.

Ce retour à l’agrément est le fruit de mois d’attente et de procédures judiciaires complexes. En effet, après que l’agrément de l’association a été annulé en juin 2023 par le Tribunal administratif de Paris, l’association s’est lancée dans une bataille judiciaire pour le rétablir. Cette décision favorable intervient après que l’association a fourni des pièces complémentaires et prouvé son rôle fondamental dans la lutte contre la corruption et les atteintes à la probité, notamment par ses actions publiques au niveau national et local.

Le jugement du 9 août 2024, suspendant le refus implicite du gouvernement, a marqué un tournant dans ce bras de fer. Bien que le Premier ministre ait maintenu un silence prolongé sur la question, il a finalement cédé aux pressions judiciaires et a réexaminé la demande d’Anticor, comme en témoignent les termes de l’arrêté du 5 septembre.

Pour Anticor, cette victoire est essentielle non seulement pour l’association elle-même, mais aussi pour la démocratie française. L’association rappelle l’importance de son rôle dans la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Cet agrément renouvelé lui permet de continuer à contribuer activement à l’intérêt public en défendant les principes de transparence et d’éthique dans la vie publique.

Néanmoins, les obstacles ont soulevé des inquiétudes quant au respect de l’état de droit. Les longues périodes de silence du gouvernement et le refus initial de renouveler l’agrément ont soulevé des questions importantes sur la capacité de l’exécutif à respecter les décisions de justice. « En ne respectant pas une décision de justice, le Premier ministre envoie un message délétère aux citoyens, indiquant que l’état de droit peut être bafoué sans que cela n’entraîne de sanctions », a averti Paul Cassia, président d’Anticor.

Malgré ces défis, Anticor est résolue à poursuivre son combat. Avec ce nouvel agrément en main, l’association espère non seulement continuer à mener des actions en justice contre la corruption, mais aussi renforcer son rôle de vigie dans une société où la transparence et l’intégrité des responsables publics sont plus cruciales que jamais.

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Le Nouveau Front Populaire doit devenir le camp de la concorde nationale

Le Nouveau Front Populaire doit devenir le camp de la concorde nationale

La situation politique inédite dans laquelle nous nous trouvons, celle de la constitution de trois blocs sans majorité à l’Assemblée nationale, nécessite de ralentir et de s’accorder, chose difficile s’il en est dans le brouhaha ambiant, un temps de réflexion et d’analyse. Mettre fin au cocktail explosif entre bataille identitaire et réseaux sociaux, rompre avec l’impuissance publique qui mine le pays depuis 40 ans, renouer avec des politiques ambitieuses de cohésion sociale. Tel pourrait être le sens d’une gauche qui assumerait de nouveau être le camp d’une concorde nationale retrouvée.

Une Assemblée tripartite : résultat du rejet du RN

Alors que l’ensemble des sondages réalisés dans l’entre-deux tours donnait le Rassemblement national en tête (voire en situation de majorité relative ou absolue) c’est bien le Nouveau Front Populaire qui s’est imposé lors de ces élections législatives anticipées. Avec 182 députés, il devance Ensemble (168 sièges) et le Rassemblement national et ses alliés « ciottistes » (143 sièges, soit un gain de 54 sièges depuis 2022) F

Si le Nouveau Front Populaire s’impose, il reste en revanche très loin de la majorité absolue (289 sièges) tandis que la composition de l’Assemblée entérine la tripartition du paysage politique. Ce que le politiste Pierre Martin observait dès 2018 dans la majorité des démocratie occidentales.

Le nouveau système partisan qui se dessine sous nos yeux semble effectivement prendre la forme d’une structure tripolaire composée d’une droite conservatrice-identitaire (parfaitement incarnée par l’alliance Ciotti-RN), d’une gauche démocrate-écosocialiste et d’un centre libéral-mondialisateur[1].

S’il s’agit d’une tendance de fond qui travaille l’ensemble des systèmes partisans occidentaux, la situation reste inédite dans le cas de la Ve République française peu habituée aux logiques de coalition.

Il faut en revanche garder en tête que le résultat de ce second tour n’est dû qu’aux désistements de candidats NFP et macronistes afin d’éviter un Rassemblement national majoritaire à l’Assemblée. Le front républicain a fonctionné mais force est de constater qu’il se délite peu à peu et que le barrage est de moins en moins efficace.

A tel point que le politiste Jean-Yves Dormagen, considère qu’il s’agit désormais « d’une coalition électorale de barrage plus faible, plus incertaine, allant de l’électorat de gauche jusqu’à une partie des modérés[2] » et non d’un véritable front comme cela avait pu être le cas auparavant.

Et si le Nouveau Front Populaire arrive en tête en nombre de sièges, le Rassemblement national reste la première force en pourcentage des voix. Voilà pourquoi il est difficile de donner tort à Marine le Pen lorsqu’elle évoque, pour son propre camp, l’image d’une marée qui n’a pas fini de monter.

Reste à savoir ce que peut le Nouveau Front Populaire, et la gauche de manière générale, pour que le pire ne se produise pas. 

 

Le premier enjeu pour la gauche : le combat informationnel pour desserrer l’étau identitaire

Nul ne peut ignorer que le chaos qui survient en ce lendemain d’élections vient de loin et n’est pas simplement la conséquence de décisions irresponsables de la part du chef de l’Etat.  Il est avant tout le résultat de la séquence historique dans laquelle nous sommes plongés depuis les années 1980 : à savoir la montée irrémédiable des contestations suite au démantèlement des anciens cadres de régulations de la société par la mondialisation néolibérale.

Chaque sujet humain, pour se construire en tant qu’individu, est fondamentalement dépendant de sa reconnaissance par ses pairs et par la société. Le problème étant qu’avec la destruction des anciens cadres de régulation, c’est l’ensemble des processus de reconnaissance qui sont remis en cause : panne de l’ascenseur social, précarisation des différentes formes d’emploi, délabrement du système de santé et de l’école publique, disparition des services publics, ségrégation urbaine.

Et cette disparition des relations de reconnaissance débouche sur des expériences de mépris et d’humiliation qui ne sont pas sans conséquences sur la capacité d’une société à assurer l’intégration sociale de ses membres. Voilà pourquoi, à la place du lien social tel qu’il pouvait se constituer auparavant, nous assistons désormais dans nos sociétés contemporaines à un « déchirement du social ».

Il en résulte une situation de vulnérabilité et d’insécurité généralisée pour des pans entiers de la société (ceux que l’on désigne tour à tour comme les perdants de la mondialisation, les déclassés, la France des oubliés, etc…). Se forme alors peu à peu ce que Christopher Lash appelle « une société de survie » « composés d’individus désindividués, aux egos fragilisés, infantilisés, insécurisés, plébiscitant des leaders forts pour incarner inconsciemment la figure du « père » émasculé[3] ». Si bien que face à cette évolution, les besoins exprimés par les citoyens se matérialisent moins par une demande d’émancipation face à une société jugée trop corsetée et traditionnelle (comme c’était le cas lors de la révolte de mai 68) que par une demande de protection et de sécurité.

Ayant parfaitement saisi cette demande de protection, les droites et les extrêmes droites ont mis en place une dialectique redoutable : celle consistant à exacerber les paniques morales des déclassés à travers tout un réseau d’entrepreneur du chaos (influenceurs, médias Bollorés) et à incarner de l’autre une réponse politique à ce besoin d’autorité voire d’apaisement national (il n’y a qu’à voir le mot d’ordre du Rassemblement national sur certaines de ses affiches : « la France apaisée »)

Exit le débat d’idées entre des orientations politiques différentes[4], bienvenue dans le monde de la bataille identitaire et de la fragmentation nationale.

Les adeptes de la culture du clash et de l’enfermement communautaire peuvent par ailleurs compter sur des réseaux sociaux qui fonctionnent comme autant de démultiplicateurs de cette bataille des identités.

Leur modèle économique et algorithmique favorise l’entre-soi en ne présentant jamais que des contenus qui nous ressemblent ou avec lesquels nous sommes d’accord. Pire encore, ils favorisent l’étouffement des désaccords au sein de sa propre « communauté » : « sur les réseaux sociaux, on craint paradoxalement moins le camp adverse que les puristes de son propre camp, qui exercent une redoutable police de la pensée »[5]. Les réseaux sociaux ne sont rien d’autre que des ghettos 2.0.

Il en résulte « brutalisation, polarisation, instrumentalisation économique et politique de la violence et de la colère, déflagration des liens, explosion du réel, atomisation des socles communs.[6]»

Si les médias plus traditionnels (presses papiers et en ligne, radios, chaînes TV) assurent encore un rôle de régulateur de ces affects volontairement exacerbés par les réseaux sociaux, il leur est de plus en plus difficile d’assumer cette fonction. On se souvient par exemple en 2002 de l’affaire « Papy Voise » (ce retraité passé à tabac et dont la maison avait été incendiée) et de ses répercussions sur l’élection présidentielle. L’emballement médiatique de TF1, France 2 et LCI à propos de cette affaire (favorisant largement le sentiment d’insécurité) a régulièrement été analysé comme l’une des causes de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour.

Plus proche de nous, le drame de Crépol (cet adolescent poignardé à mort lors d’une fête de village) a été instrumentalisé par la droite et l’extrême droite afin de prouver le lien selon eux inextricable entre délinquance et immigration. Et ce, quelques mois après les émeutes de juin qui avaient aussi participé à la droitisation dont témoignaient les instituts de sondage à l’été 2023. Les chaînes d’information en continu (Cnews en tête) ont repris en boucle cette « démonstration identitaire » jusqu’à contaminer les journaux télévisés traditionnels.

Les milliardaires Vincent Bolloré, Daniel Kretinsky et Pierre-Edouard Sterin ont d’ailleurs bien compris ce rôle de régulateur des médias traditionnels. Comment expliquer autrement leurs volontés de rachat de médias dont la rentabilité économique fait souvent défaut. De même que Jordan Bardella qui affirmait encore il y a peu que l’une de ses premières mesures en tant que Premier ministre serait de privatiser les chaînes publiques d’information.  

Face à ce cocktail explosif que représente la fusion de la bataille identitaire, des réseaux sociaux et des médias, les gauches sont fondamentalement désarmées et ne peuvent pas gagner.

Les quelques partis à gauche ayant adapté leur stratégie médiatique à cette nouvelle donne identitaire et radicaliser leur communication finissent lentement de se discréditer : la France insoumise est désormais considérée comme une plus grande menace pour la démocratie que le Rassemblement national[7] et comme un parti qui attise la violence. Quant aux partis ayant refusé cette brutalisation du débat public, leur existence médiatique est somme toute assez relative.  

Desserrer l’étau identitaire nécessite de changer drastiquement les règles du jeu médiatique et de réglementer les plateformes et réseaux sociaux : voilà pourquoi le premier combat de la gauche est désormais le combat informationnel.

De nombreuses propositions peuvent être émises dans ce sens. Tant dans la régulation des médias (inscription dans la Constitution d’un droit à l’information et de son corollaire la liberté de la presse ; renforcement du contrôle du Parlement sur les nominations à la tête de l’audiovisuel public ; adoption d’une loi anti-concentration, renforcement de la protection du secret des sources des journalistes, etc…) que dans la régulation des réseaux sociaux (contrôle du rythme des likes, retweets et partages, remise en cause des rentes publicitaires des GAFAM, etc…)[8].

Dans le contexte actuel d’absence de majorité à l’Assemblée nationale, cette lutte pour la régulation médiatique au nom de l’apaisement du débat public, et plus largement de la liberté d’informer, est un des rares combats pour lesquels un compromis est possible entre les partis du Nouveau Front populaire, des députés centristes et de centre-droit. Nul doute également que la société civile est amenée à jouer un grand rôle dans cette lutte.

La fragmentation de la société française n’est pas un horizon irrémédiable. La France n’est pas Twitter comme le dit si bien Denis Maillard et l’image que nous renvoient les réseaux sociaux et les journaux télévisés n’est pas un calque exact de l’état d’esprit des Français (c’est en tout cas l’une des leçons que l’on doit tirer de ces élections législatives)

Lorsqu’éclatent les émeutes urbaines suites à la mort de Nahel Merzouk à l’été 2023, « le discours médiatique a instantanément opposé les « anti-flics » aux « anti-banlieues ». Or l’enquête réalisée par le think tank Destin commun montre qu’une grande majorité de Français ne se situait dans aucun des deux camps : « parmi ceux qui s’inquiétaient de l’hostilité envers les jeunes des quartiers, 80 % étaient aussi inquiets de l’hostilité envers la police, et réciproquement »[9].

La situation est peu ou prou la même en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, « trois mois après le début de la guerre, parmi les 66 % de Français qui se déclaraient inquiets pour la population palestinienne, 79 % exprimaient aussi de l’inquiétude pour la population israélienne »[10].

Certes la division et la fragmentation nationales sont vécues comme telles par une majorité de citoyens : « 75 % des Français jugent que notre pays est divisé et 56 % considèrent même que nos différences sont trop importantes pour que nous puissions continuer à avancer ensemble »[11]. Mais cette situation n’appelle rien d’autre qu’un renforcement de l’intervention des pouvoirs publics afin de retrouver le chemin de la cohésion nationale. Encore faut-il en avoir les moyens et les capacités.

 

Ne pas trahir l’espoir : le nécessaire combat capacitaire

S’engager dans la voie de ce combat informationnel est une nécessité à (très) court-terme mais cela ne peut en aucun cas être l’unique terrain de lutte. Les insécurités, peurs et angoisses vécues par des pans entiers de la population, exacerbées par les réseaux sociaux, n’en sont pas moins réelles. La société de survie, des égos meurtries et des humiliations n’a pas attendu l’avènement de Twitter et de TikTok pour exister.

La dérégulation économique et financière, la compression des salaires, le recul des services publics, la ségrégation urbaine, le développement des avantages fiscaux au profit du capital et des dirigeants des multinationales sont des réalités indéniables.

Et répondre à l’ensemble de ces défis nécessite, avant toute de chose, de disposer de marges de manœuvre. Chose plus simple à dire qu’à faire. Ces fameux pouvoirs publics subissent depuis les années 1980 un affaiblissement continu de leurs capacités d’intervention. Un affaiblissement autant externe qu’interne.

D’une part, l’entrée dans la mondialisation néolibérale n’a pu se faire qu’en dessaisissant les pouvoirs publics (l’Etat au premier titre) d’un certain nombre de prérogatives et de compétences au profit d’institutions internationales par nature libérales (FMI, Banque mondiale, OCDE, Union européenne).

La social-démocratie a notamment, et dès les années 1980, fait le « pari faustien » (selon l’expression du politiste Remi Lefebvre) de la construction européenne : renoncer à la régulation nationale pour retrouver d’hypothétiques marges de manœuvre au niveau européen. Or aucune marge nouvelle n’est apparue. Pire, l’Union européenne a légitimé les dérégulations économiques et financières[12].

Une situation par ailleurs parfaitement résumée par le sénateur de Charente-Maritime Mickaël Vallet dans un article publié par le Temps des Ruptures : « La structuration des institutions européennes pousse systématiquement (au sens littéral) à une politique libérale, alors que la mondialisation des échanges nécessiterait que les peuples conservent la maîtrise de leur choix face au marché pour pouvoir en tirer un bénéfice réel et que cette nouvelle étape dans l’histoire de l’humanité ne se résume pas à la délocalisation industrielle et à la concurrence entre des travailleurs du même continent.[13]»

D’autre part, cette entrée a été concomitante d’un démantèlement interne des pouvoirs publics. Les différentes vagues de décentralisation que l’on nous a vendues comme un remède à l’éloignement des décisions publiques et au cancer bureaucratique français ne se sont jamais réalisées qu’au profit d’élites et de notables locaux. Elles ont participé au désengagement de l’Etat et au recul des services publics. La décentralisation s’est faite sans le peuple[14].

Quant à l’Etat lui-même, à force de réductions des effectifs de fonctionnaires (enseignants, policiers, personnels de santé, etc..), de règlementations technocratiques absurdes et d’empilement de strates administratives, son action sur la société est devenue brouillonne et peu ambitieuse. Le lien de confiance qui l’unissait auparavant aux citoyens s’est peu à peu distendu.

« On peut s’interroger dès lors sur les conditions de possibilité d’une véritable politique de gauche ou arriver à la conclusion qu’elle implique des choix très radicaux et des ruptures auxquelles beaucoup de dirigeants de gauche ne sont pas prêt à consentir.[15]»

La gauche doit être une réponse à l’impuissance publique organisée depuis maintenant plus de 40 ans. Sans cela, lever l’espoir de grandes transformations sociales et écologiques ne servira à rien sauf à alimenter le ressentiment national.


Nouveau récit, nouveau modèle : la reconquête républicaine

Retrouver « au royaume morcelé du moi-je, le sens et la force du nous[16] » nécessite enfin de retrouver le chemin d’un nouveau récit, susceptible de mettre à bas la mythologie de la guerre civile que les entrepreneurs du chaos entretiennent tout aussi bien que l’apathie démocratique qui sévit dans l’Hexagone.

L’idée républicaine peut jouer ce rôle, si et seulement si, est mis un terme au faux consensus qui règne à son encontre. Manquant de rigueur dans l’analyse et dans le verbe, les faux républicains de la droite macroniste et de l’extrême droite ont réduit le projet républicain à une simple défense des droits civils, lui faisant faire un bon en arrière d’une bonne centaine d’années.

Ce faisant ils méprisent l’ensemble des combats menés au cours du XXe siècle pour la reconnaissance de droits sociaux (le droit du travail, la sécurité sociale, le droit à la retraite) et entrent en contradiction avec la Constitution de la Ve République (qui reconnaît dans son article 1er le caractère social de la République française)

« La gauche « sociale » celle de Louis Blanc, de Jaurès, de Blum, du Conseil national de la Résistance, est la force politique authentiquement porteuse d’un projet républicain qui suppose que les effets inégalitaires du marché soient maîtrisés, que certains biens essentiels à l’autonomie comme l’éducation et la santé demeurent accessibles à tous comme un droit et non pas réservés à ceux qui peuvent les payer.[17]»

Supposant une conception de la liberté comme « non domination », le projet républicain ne demande d’ailleurs qu’à être approfondi par l’intégration des luttes contre les différentes formes de discrimination[18] et du combat écologique (c’est tout le sens des travaux de Serge Audier sur l’éco-républicanisme).

Tel pourrait être en tout cas le sens d’une gauche qui ne se résigne pas à voir la bataille identitaire fracturer un peu plus le pays et qui assumerait de nouveau être le camp d’une concorde et d’une cohésion nationales retrouvées.

Références

[1] Selon la typologie mise en place par Pierre Martin dans son ouvrage Crise mondiale et systèmes partisans, Presses de Sciences Po, 2018,

[2] https://legrandcontinent.eu/fr/2024/07/08/legislatives-comment-la-mecanique-du-barrage-a-fonctionne/

[3] Asma Mhalla, Algorithmes sous tension : La Fièvre en trois équations technopolitiques

à résoudre, Fondation Jean Jaurès

[4] On observe d’ailleurs une réduction drastique du spectre des idées économiques et sociales représentées sur la place publique depuis les années 1980.

[5] Denis Maillard, De Baron noir à La Fièvre : portrait du conseiller en scénariste, Fondation Jean Jaurès

[6] Asma Mhalla, Algorithmes sous tension : La Fièvre en trois équations technopolitiques

à résoudre, Fondation Jean Jaurès

[7] https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/lfi-considere-comme-plus-dangereux-pour-la-democratie-que-le-rn-selon-un-sondage_6113646.html

[8] Voir à ce sujet Dominique Boullier, Comment sortir de l’emprise des réseaux sociaux, éditions du Passeur, 2020

[9] Denis Maillard, De Baron noir à La Fièvre : portrait du conseiller en scénariste, Fondation Jean Jaurès

[10] Idem

[11] Idem

[12] Voir à ce propos mon article sur la construction européenne : https://letempsdesruptures.fr/index.php/2024/05/22/une-certaine-idee-de-leurope/

[13] https://letempsdesruptures.fr/index.php/2024/06/17/du-resultat-des-europeennes-la-double-pression-2/

[14] Voir à ce sujet Aurélien Bernier, L’illusion localiste, l’arnaque de la décentralisation dans un monde globalisé, les éditions utopia, 2020.

[15] Rémi Lefebvre, Faut-il désespérer de la gauche, éditions textuel, 2022, p.44

[16] Régis Debray, Le moment fraternité, Gallimard, 2009

[17] https://aoc.media/analyse/2024/07/01/larc-republicain-une-mise-au-point/

[18] Voir à ce sujet les thèses de Philip Pettit.

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Célébrer la pride

Célébrer la pride

“Qui fait l’homme et qui fait la femme” ? Cette question, d’un ton plutôt daté, la plupart des couples queer l’ont entendue. Bien que la tolérance sexuelle ait gagné du terrain ces dernières années, dans la loi comme dans les médias , l’équilibre de ces couples questionne encore beaucoup. L’indiscrétion des personnes osant cette question est-elle plus à blâmer que l’origine de cette idée ? Si l’idée d’une répartition genrée dans le couple est si répandue, c’est bien parce qu’elle est socialement actée.

“Qui fait l’homme et qui fait la femme” ? Cette question, d’un ton plutôt daté, la plupart des couples queer l’ont entendue. Bien que la tolérance sexuelle ait gagné du terrain ces dernières années, dans la loi comme dans les médias(1), l’équilibre de ces couples questionne encore beaucoup. L’indiscrétion des personnes osant cette question est-elle plus à blâmer que l’origine de cette idée ? Si l’idée d’une répartition genrée dans le couple est si répandue, c’est bien parce qu’elle est socialement actée. L’attribution de rôles genrés aux femmes et aux hommes est intrinsèquement liée aux dynamiques en place dans la société patriarcale. Et ce constat s’étend également aux couples homosexuels, qui bien qu’hors de l’hétérosexualité, n’en subissent pas moins les injonctions hétéronormées.

Alors qui fait l’homme et qui fait la femme ?

Dans l’esprit de celui ou celle qui pose cette question, existe une version assez précise d’un couple homosexuel, tout d’abord visuellement. L’apparence est en effet le premier trait donné aux injonctions de genre, qui attribue certains traits physiques au domaine du féminin et du masculin. Cette caractérisation ne s’arrête pas aux portes de l’hétérosexualité, elle intervient également dans les milieux queer, catégorisant des personnes comme masculines ou féminines. La classification genrée qui est appliquée aux personnes queer est directement issue de la vision hétérosexuelle que nous avons de la société et plus précisément du couple. Une femme doit faire couple avec un homme et si ce n’est pas le cas alors il faut que cette dichotomie soit représentée dans le couple de femmes, avec l’une jouant le rôle de l’homme et l’autre jouant le rôle de la femme. Ces rôles ne se limitent pas à l’expression physique du genre, ils s’expriment également dans les attentes qui peuvent apparaître au sein du couple, qui bien que queer, n’est pas pour autant immunisé face aux exigences hétéronormées de la société. L’intériorisation de normes sociales genrées peut ainsi faire peser sur les épaules des membres du couple des attentes propres à leur expression de genre, qui se résume vulgairement aux personnes féminines à la cuisine et masculines au bricolage.

Le féminisme a beaucoup à apporter également aux couples queer, puisque venant déconstruire la vision patriarcale que nous impose la société. Nombre de sociologues(2), philosophes(3), ou encore anthropologues(4) féministes viennent repenser les rôles genrés voire même le genre, et ainsi nourrir une vision radicalement différente de celle imposée par le patriarcat. Ces travaux nous permettent alors de remettre en question les rôles genrés, dans le couple hétérosexuel comme queer. S’affranchir de ces considérations binaires permet d’accueillir plus librement les expressions d’identités multiples, plus que de genre, et en particulier dans les couples queers, dans lesquels ces questions ne se limitent pas toujours à la binarité du genre.

Il y a donc une multitude de réponses à la question que nous avons tous entendue. Monique Wittig répondrait que les lesbiennes ne sont pas des femmes(5), coupant ainsi court à l’injonction des rôles genrés dans le couple lesbien. Chacun(e) est libre d’apporter la réponse qu’il ou elle souhaite, même si le mieux serait que cette question ne soit plus posée.

Références

(1)En France

(2) Christine Delphy

(3) Monique Wittig

(4) Véra Nikolski

(5) Monique Wittig, La pensée Straight, 1992

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Front populaire contre Front national : les médias doivent choisir leur camp

Front populaire contre Front national : les médias doivent choisir leur camp

Depuis le dimanche 9 juin 2024, aux alentours de 21h, le monde politique est bouleversé par l’annonce présidentielle de la dissolution de l’Assemblée nationale. Entre alliance des gauches et explosion des partis de droite et d’extrême droite, ces journées politiques offrent un spectacle étonnant. Cet edito entend analyser un point saillant qui risque de déterminer en grande partie les résultats du 7 juillet : le cadrage médiatique.

Depuis le dimanche 9 juin 2024, aux alentours de 21h, le monde politique est bouleversé par l’annonce présidentielle de la dissolution de l’Assemblée nationale. Entre alliance des gauches et explosion des partis de droite et d’extrême droite, ces journées politiques offrent un spectacle étonnant. Le sujet de cet édito n’est pas de revenir sur ces tractations ou même de présenter une analyse globale des enjeux que recouvrent les prochaines élections législatives. Il entend simplement analyser un point saillant qui risque de déterminer en grande partie les résultats du 7 juillet : le cadrage médiatique.

Selon toute vraisemblance, et plus que jamais, les médias joueront un rôle crucial dans ces élections législatives. A chaque échéance électorale il en va de même, mais notre hypothèse est qu’ils seront, cette-fois ci, plus que jamais déterminants.

Selon Le Figaro(1), en se fondant sur les résultats des élections européennes du 9 juin, 536 (sur 577) circonscriptions pourraient voir un duel entre le Front populaire et le Rassemblement national au second tour. C’est évidemment une fourchette – très, très – haute, et on imagine mal les candidats de la majorité présidentielle ou de LR n’arriver au second tour que dans une quarantaine de circonscriptions. Toutefois ce qui ressort des différentes analyses, c’est qu’une majorité de duels se fera entre le RN et le Front populaire.

Dès lors, ce sont les suffrages des électeurs centristes, macronistes, qui détermineront le vainqueur d’un second tour. Plusieurs enquêtes menées en 2023 montrent que, désormais, Jean-Luc Mélenchon fait figure d’épouvantail pour la bourgeoisie centriste, bien plus que Marine Le Pen. Un sondage de mars 2023 indiquait que Marine Le Pen inquiétaient 39% des électeurs Renaissance ; Jean-Luc Mélenchon 44%. La situation s’est, du reste, empirée depuis le 7 octobre et l’attaque terroriste du Hamas : refus de qualifier le Hamas d’organisation terroriste, rupture de la NUPES par le Parti socialiste, sorties antisémites de Jean-Luc Mélenchon, attaques quotidiennes sur Raphaël Glucksmann, etc.

Un sondage IFOP du 8 février 2024 montre qu’en cas de second tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle, 66% des sympathisants Renaissance voteraient pour la candidate du Rassemblement national. Insistons sur ce point : les deux tiers de l’électorat macroniste voteraient pour l’extrême droite en cas de duel face au chef de la France insoumise. Il faut avoir cet élément essentiel en tête à l’heure d’appréhender le rôle que jouent et joueront les médias dans la campagne législative en cours.

En partant donc de l’hypothèse selon laquelle beaucoup de seconds tours verront s’affronter candidats estampillés Front populaire et candidats d’extrême droite, l’électeur centriste est à convaincre. La modération dont a fait preuve Jean-Luc Mélenchon au JT de France 2, et les compromis sur le programme commun (construction européenne, reconnaissance des actes terroristes du Hamas, soutien à l’Ukraine, etc) témoignent de cette prise de conscience. Il faut rassurer le bourgeois.

Mais si les femmes et hommes de gauche ont pris leur responsabilité, il reste un élément qu’ils n’ont pas entièrement entre les mains – même si leurs prises de position peuvent l’influencer -, le traitement médiatique des futurs seconds tours. Car rappelons-nous qu’en avril 2022, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, le président de la République Emmanuel Macron n’était crédité que de 53% des suffrages, contre 47% pour Marine Le Pen. Ici, c’étaient les électeurs de gauche qu’il fallait convaincre. Eux qui avaient déjà fait barrage à l’extrême droite en 2002, en 2017, étaient à nouveau appelés à voter pour le candidat de la casse sociale par excellence. Nombre d’entre eux souhaitaient s’abstenir.

Les deux semaines qui ont précédé le second tour ont vu, comme on pouvait s’y attendre, une campagne médiatique de front républicain se mettre en place. Progressivement, à mesure que le risque fasciste devenait réalité (les sondages inquiétants étaient dans les bouches de tous les chroniqueurs et journalistes politiques), à l’initial « ni-ni » était préféré un vote en faveur d’Emmanuel Macron. Finalement, l’on est passé de 6 points d’écart à 17.

La chose est dure à quantifier, mais je fais l’hypothèse que sur les électeurs centristes, les médias dits « traditionnels » ont encore une influence considérable. Que l’on pense aux millions d’auditeurs des matinales radio, ou aux millions de téléspectateurs du journal de 20h, l’audience touchée est grande et, surtout, c’est un audimat dont on peut fortement supposer qu’une grande partie aura voté pour un candidat de la majorité présidentielle au premier tour.

Ces médias ne vont pas appeler à voter pour tel ou tel camp, mais le cadrage médiatique qu’ils feront des sorties des uns et des autres sera décisif. Insidieusement, la diabolisation ou la dédiabolisation afférées au Front Populaire ou au Rassemblement national par la radio, la télévision ou les médias du « centre raisonnable » (qui, généralement, abhorre tout autant voire plus la France insoumise que le Rassemblement national) orienteront une partie non négligeable de l’électorat macroniste à se décider.

Car il ne s’agit pas de savoir si le RN aura 50 ou 100 députés. Il ne s’agit pas de savoir si LFI en aura 30, 50 ou 70. Il s’agit bel et bien de savoir si les électeurs centristes sont prêts à propulser l’extrême droite à la tête de la France.

Références

(1)Le Figaro, 12 juin 2024. 

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Du résultat des européennes : la double pression

Du résultat des européennes : la double pression

« Tirer les enseignements de ce qui s’est passé le dimanche 9 juin mériterait un livre en plusieurs tomes tant la densité politique du moment est d’une force rare, et tant ce qui arrive présentement ne peut s’expliquer que par des décennies d’affaiblissement du pouvoir politique, de la parole politique et du niveau général des dirigeants. »

Depuis le dimanche 9 juin au soir et la nouvelle période politique ouverte par le résultat des élections européennes et par la dissolution décidée par le président de la République, vous êtes nombreux sur le terrain à m’interroger sur cette situation et nous sommes nombreux à nous interroger tout court.

Tirer les enseignements de ce qui vient de se passer mériterait un livre en plusieurs tomes tant la densité politique du moment est d’une force rare, et tant ce qui arrive présentement ne peut s’expliquer que par des décennies d’affaiblissement du pouvoir politique, de la parole politique et du niveau général des dirigeants.

Je me limiterai donc, pour l’heure, aux considérations essentielles.

De nombreux maires m’ont fait part de leur effarement dès dimanche soir. « Je me bats dans ma commune pour mettre en place des services, des animations, de l’action culturelle, de l’écoute et de l’aide sociale. Nous faisons en sorte de faire vivre notre petite nation communale et le plus souvent en bonne entente avec la population. Et au moment du dépouillement je ne reconnais pas mes habitants et je ne comprends pas où se trouvent mes 40% d’électeurs d’extrême droite. Qu’est-ce que je peux faire de plus à la mairie pour éviter ça ? ». À ces maires, je veux dire que je comprends leur remise en question mais qu’elle n’est pas justifiée. Les électeurs ont, beaucoup plus que certains ne veulent le croire, l’intelligence de la compréhension du scrutin pour lequel ils se déplacent. Ils savent ce qu’est une élection européenne, ils savent ce qu’est une élection nationale et ils savent ce qu’est une élection locale. Ils savent surtout, et c’est un point fondamental, ce qu’est l’Etat. Si un maire exerce son mandat de la meilleure façon possible c’est en menant des projets dans le domaine d’action qui est le sien. Mais lorsqu’une agence du Trésor public ferme, lorsque des moyens en personnel de l’Education nationale manquent dans les écoles, lorsque la facture de l’énergie n’est pas maîtrisée, lorsque le prix de l’essence vient percuter toute l’organisation d’un ménage qui doit travailler, se déplacer, se chauffer, ces électeurs attendent d’abord de l’Etat qu’il joue son rôle. Nous sommes français et cela est profondément inscrit dans notre inconscient politique. Et les échecs, véritables, sur ces questions-là ne sont pas à imputer aux élus municipaux.

Un citoyen, même s’il se sent aussi bien que possible dans sa commune, peut en toute sincérité électorale faire connaître un choix dans une élection nationale à l’opposé des valeurs portées par son maire. Et le maire est dans son bon droit, c’est même son devoir, de dire lui aussi à ces électeurs ce qu’il pense de leur choix. Dans la commune où je vis, et dont je fus maire douze ans, l’extrême droite dépasse 40% des suffrages exprimés. Je sais les raisons de ce vote, je sais que les électeurs font des choix en conscience (il y a longtemps que je ne crois plus au vote « coup de gueule » ou « défouloir ») et j’assume de dire à ces électeurs qu’ils se leurrent, comme j’avais su le dire en 2017 lorsque tant de concitoyens s’enthousiasmaient pour Emmanuel Macron, alors que la supercherie de cette soi-disant posture ni gauche ni droite m’apparaissait évidente. J’avais alors tenu à être candidat à l’élection législative que je savais ingagnable, mais il me paraissait important de combattre pour les valeurs auxquelles je crois et de faire une campagne claire sur le refus de cette illusion du moment. Et d’affirmer haut et fort qu’à la différence de certains de mes désormais anciens camarades, je ne trouvais rien d’enthousiasmant chez le « Mozart de la finance ». Aujourd’hui, la supercherie du candidat TikTok Bardella et de toute la famille le Pen n’est pas moins évidente pour moi. Pour n’avoir pas voulu de Mozart en 2017, je ne suis pas demandeur de Wagner en 2024.

Si les électeurs savent parfaitement les enjeux de l’élection pour laquelle ils se déplacent, on peut en revanche constater que deux camps politiques ont perverti ce scrutin en en faisant autre chose qu’une élection européenne. Le RN a fait en sorte qu’elle ne soit pas une élection européenne mais un référendum contre le président de la République, et le président de la République à lui commis la faute de transformer l’élection européenne en élection législative par la décision de dissoudre de manière aussi soudaine.

Le paysage électoral en a été totalement modifié car la soupape ne demandait déjà qu’à sauter. Et c’est sous une double pression que le scrutin des européennes s’est déroulé.

La première pression provient de l’incapacité à répondre aux défis posés par la mondialisation et par le caractère libéral des institutions européennes. Je défends un point de vue eurocritique depuis que je milite et j’ai toujours chéri ma part de culture chevènementiste. Mais les patriotes de gauche n’ont pas réussi à persuader le reste de la gauche démocratique et de gouvernement qu’il y avait un problème dans la manière dont nous abordions la mondialisation des échanges et le fonctionnement de cette union particulière d’Etats qu’est l’Europe. Cette Europe ne peut se faire du jour au lendemain en forçant les peuples. Elle ne peut se faire sans respecter le fait national qui n’est pas un repli mais qui est la plus belle forme de solidarité politiquement inventée depuis la fin des empires au 19e siècle. Nous n’avons pas trouvé mieux que la nation pour faire d’un individu un citoyen. La structuration des institutions européennes pousse systématiquement (au sens littéral) à une politique libérale, alors que la mondialisation des échanges nécessiterait que les peuples conservent la maîtrise de leur choix face au marché pour pouvoir en tirer un bénéfice réel et que cette nouvelle étape dans l’histoire de l’humanité ne se résume pas à la délocalisation industrielle et à la concurrence entre des travailleurs du même continent.

La deuxième source de pression vient de la perversion de l’outil démocratique qui s’est accélérée grandement sous la présidence d’Emmanuel Macron. En 2005, à l’occasion du référendum par lequel les Français ont rejeté à raison le texte sur la constitution européenne, puis en 2008 lorsque le Congrès a adopté un texte quasi similaire, une plaie s’est ouverte et ne s’est jamais refermée. Les partis politiques qui ont participé à cette forfaiture n’ont pas fait l’analyse de leur acte et n’ont pas reconnu cette faute, ce qui a empêché la cicatrisation. Sous Emmanuel Macron, la plaie s’est même surinfectée. L’élection présidentielle de 2017 a vu la désignation d’un président par défaut au second tour. Comme pour Jacques Chirac en 2002, cette situation aurait dû conduire le premier des Français à une approche humble, ouverte et rassembleuse. Il aurait fallu se comporter en Athéna, déesse de la sagesse et nous avons eu un président se désignant Jupiter alors même qu’il était plus sûrement Saturne, le Titan qui dévorait ses enfants. Le garant de la Constitution a joué avec pour finir par la distordre. Au mouvement des gilets jaunes qui fut une expression concrète et sincère de la violence de la mondialisation ressentie par les classes populaires, il a répondu par une doctrine de maintien de l’ordre inadaptée et par un grand débat qui aura endormi l’opinion plutôt que de réveiller le gouvernement. D’autres sujets ont été étouffés par des procédures dont nous savons maintenant que le président de la République a le secret : Cent jours, Rendez-vous de Bercy, Ségur de la Santé, conventions citoyennes…Le pire fut à n’en pas douter le Conseil National de la Refondation empruntant honteusement les 3 lettres du Conseil National de la Résistance dont le programme aura été foulé aux pieds par le président Macron en tout point. L’élection présidentielle de 2022 a vu son débat réduit au minimum par l’actualité internationale tragique du fait de la guerre en Ukraine, ce dont le président Macron n’est pas personnellement responsable mais dont il n’a pas tiré les enseignements. Notamment lorsque à la majorité relative qui lui a été donnée à l’Assemblée il répond par le 49.3 systématique (abîmant au passage l’utilité ponctuelle du 49.3) au lieu de chercher réellement un accord global avec les forces politiques.

Nous étions nombreux à savoir que les Cent jours sous le gouvernement d’Elisabeth Borne et le Big Bang annoncé en janvier 2024 avec le gouvernement de Gabriel Attal n’étaient que pure communication. La démocratie politique compliquée par une majorité relative n’amena pas pour autant le pouvoir à pratiquer la démocratie sociale puisqu’il resta sourd aux demandes exprimées par des centaines de milliers de personnes manifestant à de nombreuses reprises pendant la réforme des retraites. La pression populaire ne trouvera pas non plus d’exutoire démocratique dans les tentatives de référendum d’initiative partagée que ni la gauche (sur les super-profits) ni la droite (sur l’immigration) ne parviendront à mettre en œuvre. Il peut paraître simpliste de comparer la politique au système d’une cocotte-minute mais c’est pourtant la meilleure illustration que nous puissions donner s’agissant des années Macron.

L’impensé et les contradictions anciennes de toute la classe politique sur la mondialisation et la question européenne, un positionnement tout en repli, en outrance et en xénophobie de la part de l’extrême droite et les réponses simplistes qui vont avec, des citoyens de plus en plus empêchés d’exprimer une volonté qui trouve un débouché politique, et un débat démocratique profondément abîmé par le recul des médias responsables avec de vraies rédactions chérissant le débat et hiérarchisant les sujets pour contenir l’infobésité auquel on ajoutera enfin les manipulations et le bruissement des réseaux sociaux dont l’extrême-droite fait un usage immodéré  : voilà la situation sur laquelle le pouvoir présidentiel était assis et les Européennes ont vu jaillir un geyser.

Il convient également d’avoir un mot sur la gauche et le camp du progrès. C’est mon camp et ça le sera toujours parce que je sais que la fraternité est la solution de long terme, parce que je sais qu’on ne construit une société que dans l’attention au plus faible, parce que je sais que l’éducation est la clé d’une cohésion nationale réussie et parce que la démocratie sans le progrès social n’est pas la République. La famille Le Pen (le père, la fille, la nièce et le petit prince) recueille aujourd’hui les suffrages de la classe ouvrière et des travailleurs. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que l’on abuse ainsi les classes populaires. Pour autant cela ne change rien à la conviction que c’est en se préoccupant du plus grand nombre et non pas en l’entretenant dans la haine de l’autre et de l’assisté mais en conquérant des droits nouveaux et en poursuivant l’idéal d’égalité que l’on fait œuvre utile pour sa nation et pour l’humanité. Mais mon camp a commis l’erreur de s’aligner sur l’européisme libéral de la droite et de ne pas savoir jouer le rapport de force avec l’économie allemande. Le quinquennat Hollande l’a montré et je reste très fier d’avoir accueilli en 2015 dans ma commune l’assemblée d’été de ceux que l’on a appelés les Frondeurs[1]. Même s’il doit être précisé que j’étais en accord sur le fond avec eux mais pas sur la méthode. Sous la Vème République la fronde parlementaire n’existe pas. Tout au plus peut-on scinder un groupe parlementaire.

Aucun débouché politique n’a été donné aux colères créées par la mondialisation libérale qui n’est pas seulement affaire de marchés, de bourses et de règlements européens mais surtout d’industrie disparue, d’anciens monopoles publics dépecés par des spéculateurs (le marché de l’énergie est l’exemple le plus ubuesque) et de renoncement au protectionnisme. Le bulletin de vote s’est démonétisé. Rien d’étonnant à ce qu’il soit utilisé contre le pouvoir national à l’occasion d’élections européennes.

Et voilà que la boucle est bouclée avec le début de mon propos.

Est-il trop tard pour bien faire ? Probablement pas. Mais c’est un long chemin que celui de l’éveil des consciences. Déjà en 2014 je publiais une tribune alertant sur ce sujet[2], et c’est régulièrement dans mes prises de paroles au Sénat que je rappelle la nécessité de parler clairement de souveraineté et de la nécessité que la France ne s’aligne pas sur les Etats-Unis comme un allié parmi d’autres. Certes, les victoires idéologiques sont longues, mais par histoire familiale et personnelle comme par connaissance de l’histoire de la France et de la gauche démocratique, je ne vois rien de mieux à faire que de poursuivre la lutte, quand bien même elle change indéniablement de nature puisque, si l’extrême-droite n’est pas au pouvoir à l’heure où je publie cette analyse, elle est devenue et pour un temps certain le nouveau pôle autour duquel s’organise la droite. Mais nous sommes demain le 18 juin et il y a des flammes qui ne s’éteindront pas. Et ce ne sont ni celles du RN, ni celles de ses alliés européens.

Références

[1] Vous retrouverez ici mon discours d’accueil :  https://www.youtube.com/watch?v=2rL9KE8l5SY&t=1s

[2] https://mickaelvallet.fr/2014/05/26/langoisse-du-premier-federal-au-moment-decrire-le-communique-de-la-defaite-reaction-personnelle-au-resultat-des-europeennes/, reprise par Marianne dans un entretien : https://mickaelvallet.fr/2014/05/27/comme-toute-structure-le-ps-peut-mourir

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