Le Nouveau Front Populaire doit devenir le camp de la concorde nationale

Le Nouveau Front Populaire doit devenir le camp de la concorde nationale

La situation politique inédite dans laquelle nous nous trouvons, celle de la constitution de trois blocs sans majorité à l’Assemblée nationale, nécessite de ralentir et de s’accorder, chose difficile s’il en est dans le brouhaha ambiant, un temps de réflexion et d’analyse. Mettre fin au cocktail explosif entre bataille identitaire et réseaux sociaux, rompre avec l’impuissance publique qui mine le pays depuis 40 ans, renouer avec des politiques ambitieuses de cohésion sociale. Tel pourrait être le sens d’une gauche qui assumerait de nouveau être le camp d’une concorde nationale retrouvée.

Une Assemblée tripartite : résultat du rejet du RN

Alors que l’ensemble des sondages réalisés dans l’entre-deux tours donnait le Rassemblement national en tête (voire en situation de majorité relative ou absolue) c’est bien le Nouveau Front Populaire qui s’est imposé lors de ces élections législatives anticipées. Avec 182 députés, il devance Ensemble (168 sièges) et le Rassemblement national et ses alliés « ciottistes » (143 sièges, soit un gain de 54 sièges depuis 2022) F

Si le Nouveau Front Populaire s’impose, il reste en revanche très loin de la majorité absolue (289 sièges) tandis que la composition de l’Assemblée entérine la tripartition du paysage politique. Ce que le politiste Pierre Martin observait dès 2018 dans la majorité des démocratie occidentales.

Le nouveau système partisan qui se dessine sous nos yeux semble effectivement prendre la forme d’une structure tripolaire composée d’une droite conservatrice-identitaire (parfaitement incarnée par l’alliance Ciotti-RN), d’une gauche démocrate-écosocialiste et d’un centre libéral-mondialisateur[1].

S’il s’agit d’une tendance de fond qui travaille l’ensemble des systèmes partisans occidentaux, la situation reste inédite dans le cas de la Ve République française peu habituée aux logiques de coalition.

Il faut en revanche garder en tête que le résultat de ce second tour n’est dû qu’aux désistements de candidats NFP et macronistes afin d’éviter un Rassemblement national majoritaire à l’Assemblée. Le front républicain a fonctionné mais force est de constater qu’il se délite peu à peu et que le barrage est de moins en moins efficace.

A tel point que le politiste Jean-Yves Dormagen, considère qu’il s’agit désormais « d’une coalition électorale de barrage plus faible, plus incertaine, allant de l’électorat de gauche jusqu’à une partie des modérés[2] » et non d’un véritable front comme cela avait pu être le cas auparavant.

Et si le Nouveau Front Populaire arrive en tête en nombre de sièges, le Rassemblement national reste la première force en pourcentage des voix. Voilà pourquoi il est difficile de donner tort à Marine le Pen lorsqu’elle évoque, pour son propre camp, l’image d’une marée qui n’a pas fini de monter.

Reste à savoir ce que peut le Nouveau Front Populaire, et la gauche de manière générale, pour que le pire ne se produise pas. 

 

Le premier enjeu pour la gauche : le combat informationnel pour desserrer l’étau identitaire

Nul ne peut ignorer que le chaos qui survient en ce lendemain d’élections vient de loin et n’est pas simplement la conséquence de décisions irresponsables de la part du chef de l’Etat.  Il est avant tout le résultat de la séquence historique dans laquelle nous sommes plongés depuis les années 1980 : à savoir la montée irrémédiable des contestations suite au démantèlement des anciens cadres de régulations de la société par la mondialisation néolibérale.

Chaque sujet humain, pour se construire en tant qu’individu, est fondamentalement dépendant de sa reconnaissance par ses pairs et par la société. Le problème étant qu’avec la destruction des anciens cadres de régulation, c’est l’ensemble des processus de reconnaissance qui sont remis en cause : panne de l’ascenseur social, précarisation des différentes formes d’emploi, délabrement du système de santé et de l’école publique, disparition des services publics, ségrégation urbaine.

Et cette disparition des relations de reconnaissance débouche sur des expériences de mépris et d’humiliation qui ne sont pas sans conséquences sur la capacité d’une société à assurer l’intégration sociale de ses membres. Voilà pourquoi, à la place du lien social tel qu’il pouvait se constituer auparavant, nous assistons désormais dans nos sociétés contemporaines à un « déchirement du social ».

Il en résulte une situation de vulnérabilité et d’insécurité généralisée pour des pans entiers de la société (ceux que l’on désigne tour à tour comme les perdants de la mondialisation, les déclassés, la France des oubliés, etc…). Se forme alors peu à peu ce que Christopher Lash appelle « une société de survie » « composés d’individus désindividués, aux egos fragilisés, infantilisés, insécurisés, plébiscitant des leaders forts pour incarner inconsciemment la figure du « père » émasculé[3] ». Si bien que face à cette évolution, les besoins exprimés par les citoyens se matérialisent moins par une demande d’émancipation face à une société jugée trop corsetée et traditionnelle (comme c’était le cas lors de la révolte de mai 68) que par une demande de protection et de sécurité.

Ayant parfaitement saisi cette demande de protection, les droites et les extrêmes droites ont mis en place une dialectique redoutable : celle consistant à exacerber les paniques morales des déclassés à travers tout un réseau d’entrepreneur du chaos (influenceurs, médias Bollorés) et à incarner de l’autre une réponse politique à ce besoin d’autorité voire d’apaisement national (il n’y a qu’à voir le mot d’ordre du Rassemblement national sur certaines de ses affiches : « la France apaisée »)

Exit le débat d’idées entre des orientations politiques différentes[4], bienvenue dans le monde de la bataille identitaire et de la fragmentation nationale.

Les adeptes de la culture du clash et de l’enfermement communautaire peuvent par ailleurs compter sur des réseaux sociaux qui fonctionnent comme autant de démultiplicateurs de cette bataille des identités.

Leur modèle économique et algorithmique favorise l’entre-soi en ne présentant jamais que des contenus qui nous ressemblent ou avec lesquels nous sommes d’accord. Pire encore, ils favorisent l’étouffement des désaccords au sein de sa propre « communauté » : « sur les réseaux sociaux, on craint paradoxalement moins le camp adverse que les puristes de son propre camp, qui exercent une redoutable police de la pensée »[5]. Les réseaux sociaux ne sont rien d’autre que des ghettos 2.0.

Il en résulte « brutalisation, polarisation, instrumentalisation économique et politique de la violence et de la colère, déflagration des liens, explosion du réel, atomisation des socles communs.[6]»

Si les médias plus traditionnels (presses papiers et en ligne, radios, chaînes TV) assurent encore un rôle de régulateur de ces affects volontairement exacerbés par les réseaux sociaux, il leur est de plus en plus difficile d’assumer cette fonction. On se souvient par exemple en 2002 de l’affaire « Papy Voise » (ce retraité passé à tabac et dont la maison avait été incendiée) et de ses répercussions sur l’élection présidentielle. L’emballement médiatique de TF1, France 2 et LCI à propos de cette affaire (favorisant largement le sentiment d’insécurité) a régulièrement été analysé comme l’une des causes de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour.

Plus proche de nous, le drame de Crépol (cet adolescent poignardé à mort lors d’une fête de village) a été instrumentalisé par la droite et l’extrême droite afin de prouver le lien selon eux inextricable entre délinquance et immigration. Et ce, quelques mois après les émeutes de juin qui avaient aussi participé à la droitisation dont témoignaient les instituts de sondage à l’été 2023. Les chaînes d’information en continu (Cnews en tête) ont repris en boucle cette « démonstration identitaire » jusqu’à contaminer les journaux télévisés traditionnels.

Les milliardaires Vincent Bolloré, Daniel Kretinsky et Pierre-Edouard Sterin ont d’ailleurs bien compris ce rôle de régulateur des médias traditionnels. Comment expliquer autrement leurs volontés de rachat de médias dont la rentabilité économique fait souvent défaut. De même que Jordan Bardella qui affirmait encore il y a peu que l’une de ses premières mesures en tant que Premier ministre serait de privatiser les chaînes publiques d’information.  

Face à ce cocktail explosif que représente la fusion de la bataille identitaire, des réseaux sociaux et des médias, les gauches sont fondamentalement désarmées et ne peuvent pas gagner.

Les quelques partis à gauche ayant adapté leur stratégie médiatique à cette nouvelle donne identitaire et radicaliser leur communication finissent lentement de se discréditer : la France insoumise est désormais considérée comme une plus grande menace pour la démocratie que le Rassemblement national[7] et comme un parti qui attise la violence. Quant aux partis ayant refusé cette brutalisation du débat public, leur existence médiatique est somme toute assez relative.  

Desserrer l’étau identitaire nécessite de changer drastiquement les règles du jeu médiatique et de réglementer les plateformes et réseaux sociaux : voilà pourquoi le premier combat de la gauche est désormais le combat informationnel.

De nombreuses propositions peuvent être émises dans ce sens. Tant dans la régulation des médias (inscription dans la Constitution d’un droit à l’information et de son corollaire la liberté de la presse ; renforcement du contrôle du Parlement sur les nominations à la tête de l’audiovisuel public ; adoption d’une loi anti-concentration, renforcement de la protection du secret des sources des journalistes, etc…) que dans la régulation des réseaux sociaux (contrôle du rythme des likes, retweets et partages, remise en cause des rentes publicitaires des GAFAM, etc…)[8].

Dans le contexte actuel d’absence de majorité à l’Assemblée nationale, cette lutte pour la régulation médiatique au nom de l’apaisement du débat public, et plus largement de la liberté d’informer, est un des rares combats pour lesquels un compromis est possible entre les partis du Nouveau Front populaire, des députés centristes et de centre-droit. Nul doute également que la société civile est amenée à jouer un grand rôle dans cette lutte.

La fragmentation de la société française n’est pas un horizon irrémédiable. La France n’est pas Twitter comme le dit si bien Denis Maillard et l’image que nous renvoient les réseaux sociaux et les journaux télévisés n’est pas un calque exact de l’état d’esprit des Français (c’est en tout cas l’une des leçons que l’on doit tirer de ces élections législatives)

Lorsqu’éclatent les émeutes urbaines suites à la mort de Nahel Merzouk à l’été 2023, « le discours médiatique a instantanément opposé les « anti-flics » aux « anti-banlieues ». Or l’enquête réalisée par le think tank Destin commun montre qu’une grande majorité de Français ne se situait dans aucun des deux camps : « parmi ceux qui s’inquiétaient de l’hostilité envers les jeunes des quartiers, 80 % étaient aussi inquiets de l’hostilité envers la police, et réciproquement »[9].

La situation est peu ou prou la même en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, « trois mois après le début de la guerre, parmi les 66 % de Français qui se déclaraient inquiets pour la population palestinienne, 79 % exprimaient aussi de l’inquiétude pour la population israélienne »[10].

Certes la division et la fragmentation nationales sont vécues comme telles par une majorité de citoyens : « 75 % des Français jugent que notre pays est divisé et 56 % considèrent même que nos différences sont trop importantes pour que nous puissions continuer à avancer ensemble »[11]. Mais cette situation n’appelle rien d’autre qu’un renforcement de l’intervention des pouvoirs publics afin de retrouver le chemin de la cohésion nationale. Encore faut-il en avoir les moyens et les capacités.

 

Ne pas trahir l’espoir : le nécessaire combat capacitaire

S’engager dans la voie de ce combat informationnel est une nécessité à (très) court-terme mais cela ne peut en aucun cas être l’unique terrain de lutte. Les insécurités, peurs et angoisses vécues par des pans entiers de la population, exacerbées par les réseaux sociaux, n’en sont pas moins réelles. La société de survie, des égos meurtries et des humiliations n’a pas attendu l’avènement de Twitter et de TikTok pour exister.

La dérégulation économique et financière, la compression des salaires, le recul des services publics, la ségrégation urbaine, le développement des avantages fiscaux au profit du capital et des dirigeants des multinationales sont des réalités indéniables.

Et répondre à l’ensemble de ces défis nécessite, avant toute de chose, de disposer de marges de manœuvre. Chose plus simple à dire qu’à faire. Ces fameux pouvoirs publics subissent depuis les années 1980 un affaiblissement continu de leurs capacités d’intervention. Un affaiblissement autant externe qu’interne.

D’une part, l’entrée dans la mondialisation néolibérale n’a pu se faire qu’en dessaisissant les pouvoirs publics (l’Etat au premier titre) d’un certain nombre de prérogatives et de compétences au profit d’institutions internationales par nature libérales (FMI, Banque mondiale, OCDE, Union européenne).

La social-démocratie a notamment, et dès les années 1980, fait le « pari faustien » (selon l’expression du politiste Remi Lefebvre) de la construction européenne : renoncer à la régulation nationale pour retrouver d’hypothétiques marges de manœuvre au niveau européen. Or aucune marge nouvelle n’est apparue. Pire, l’Union européenne a légitimé les dérégulations économiques et financières[12].

Une situation par ailleurs parfaitement résumée par le sénateur de Charente-Maritime Mickaël Vallet dans un article publié par le Temps des Ruptures : « La structuration des institutions européennes pousse systématiquement (au sens littéral) à une politique libérale, alors que la mondialisation des échanges nécessiterait que les peuples conservent la maîtrise de leur choix face au marché pour pouvoir en tirer un bénéfice réel et que cette nouvelle étape dans l’histoire de l’humanité ne se résume pas à la délocalisation industrielle et à la concurrence entre des travailleurs du même continent.[13]»

D’autre part, cette entrée a été concomitante d’un démantèlement interne des pouvoirs publics. Les différentes vagues de décentralisation que l’on nous a vendues comme un remède à l’éloignement des décisions publiques et au cancer bureaucratique français ne se sont jamais réalisées qu’au profit d’élites et de notables locaux. Elles ont participé au désengagement de l’Etat et au recul des services publics. La décentralisation s’est faite sans le peuple[14].

Quant à l’Etat lui-même, à force de réductions des effectifs de fonctionnaires (enseignants, policiers, personnels de santé, etc..), de règlementations technocratiques absurdes et d’empilement de strates administratives, son action sur la société est devenue brouillonne et peu ambitieuse. Le lien de confiance qui l’unissait auparavant aux citoyens s’est peu à peu distendu.

« On peut s’interroger dès lors sur les conditions de possibilité d’une véritable politique de gauche ou arriver à la conclusion qu’elle implique des choix très radicaux et des ruptures auxquelles beaucoup de dirigeants de gauche ne sont pas prêt à consentir.[15]»

La gauche doit être une réponse à l’impuissance publique organisée depuis maintenant plus de 40 ans. Sans cela, lever l’espoir de grandes transformations sociales et écologiques ne servira à rien sauf à alimenter le ressentiment national.


Nouveau récit, nouveau modèle : la reconquête républicaine

Retrouver « au royaume morcelé du moi-je, le sens et la force du nous[16] » nécessite enfin de retrouver le chemin d’un nouveau récit, susceptible de mettre à bas la mythologie de la guerre civile que les entrepreneurs du chaos entretiennent tout aussi bien que l’apathie démocratique qui sévit dans l’Hexagone.

L’idée républicaine peut jouer ce rôle, si et seulement si, est mis un terme au faux consensus qui règne à son encontre. Manquant de rigueur dans l’analyse et dans le verbe, les faux républicains de la droite macroniste et de l’extrême droite ont réduit le projet républicain à une simple défense des droits civils, lui faisant faire un bon en arrière d’une bonne centaine d’années.

Ce faisant ils méprisent l’ensemble des combats menés au cours du XXe siècle pour la reconnaissance de droits sociaux (le droit du travail, la sécurité sociale, le droit à la retraite) et entrent en contradiction avec la Constitution de la Ve République (qui reconnaît dans son article 1er le caractère social de la République française)

« La gauche « sociale » celle de Louis Blanc, de Jaurès, de Blum, du Conseil national de la Résistance, est la force politique authentiquement porteuse d’un projet républicain qui suppose que les effets inégalitaires du marché soient maîtrisés, que certains biens essentiels à l’autonomie comme l’éducation et la santé demeurent accessibles à tous comme un droit et non pas réservés à ceux qui peuvent les payer.[17]»

Supposant une conception de la liberté comme « non domination », le projet républicain ne demande d’ailleurs qu’à être approfondi par l’intégration des luttes contre les différentes formes de discrimination[18] et du combat écologique (c’est tout le sens des travaux de Serge Audier sur l’éco-républicanisme).

Tel pourrait être en tout cas le sens d’une gauche qui ne se résigne pas à voir la bataille identitaire fracturer un peu plus le pays et qui assumerait de nouveau être le camp d’une concorde et d’une cohésion nationales retrouvées.

Références

[1] Selon la typologie mise en place par Pierre Martin dans son ouvrage Crise mondiale et systèmes partisans, Presses de Sciences Po, 2018,

[2] https://legrandcontinent.eu/fr/2024/07/08/legislatives-comment-la-mecanique-du-barrage-a-fonctionne/

[3] Asma Mhalla, Algorithmes sous tension : La Fièvre en trois équations technopolitiques

à résoudre, Fondation Jean Jaurès

[4] On observe d’ailleurs une réduction drastique du spectre des idées économiques et sociales représentées sur la place publique depuis les années 1980.

[5] Denis Maillard, De Baron noir à La Fièvre : portrait du conseiller en scénariste, Fondation Jean Jaurès

[6] Asma Mhalla, Algorithmes sous tension : La Fièvre en trois équations technopolitiques

à résoudre, Fondation Jean Jaurès

[7] https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/lfi-considere-comme-plus-dangereux-pour-la-democratie-que-le-rn-selon-un-sondage_6113646.html

[8] Voir à ce sujet Dominique Boullier, Comment sortir de l’emprise des réseaux sociaux, éditions du Passeur, 2020

[9] Denis Maillard, De Baron noir à La Fièvre : portrait du conseiller en scénariste, Fondation Jean Jaurès

[10] Idem

[11] Idem

[12] Voir à ce propos mon article sur la construction européenne : https://letempsdesruptures.fr/index.php/2024/05/22/une-certaine-idee-de-leurope/

[13] https://letempsdesruptures.fr/index.php/2024/06/17/du-resultat-des-europeennes-la-double-pression-2/

[14] Voir à ce sujet Aurélien Bernier, L’illusion localiste, l’arnaque de la décentralisation dans un monde globalisé, les éditions utopia, 2020.

[15] Rémi Lefebvre, Faut-il désespérer de la gauche, éditions textuel, 2022, p.44

[16] Régis Debray, Le moment fraternité, Gallimard, 2009

[17] https://aoc.media/analyse/2024/07/01/larc-republicain-une-mise-au-point/

[18] Voir à ce sujet les thèses de Philip Pettit.

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“Qui fait l’homme et qui fait la femme” ? Cette question, d’un ton plutôt daté, la plupart des couples queer l’ont entendue. Bien que la tolérance sexuelle ait gagné du terrain ces dernières années, dans la loi comme dans les médias(1), l’équilibre de ces couples questionne encore beaucoup. L’indiscrétion des personnes osant cette question est-elle plus à blâmer que l’origine de cette idée ? Si l’idée d’une répartition genrée dans le couple est si répandue, c’est bien parce qu’elle est socialement actée. L’attribution de rôles genrés aux femmes et aux hommes est intrinsèquement liée aux dynamiques en place dans la société patriarcale. Et ce constat s’étend également aux couples homosexuels, qui bien qu’hors de l’hétérosexualité, n’en subissent pas moins les injonctions hétéronormées.

Alors qui fait l’homme et qui fait la femme ?

Dans l’esprit de celui ou celle qui pose cette question, existe une version assez précise d’un couple homosexuel, tout d’abord visuellement. L’apparence est en effet le premier trait donné aux injonctions de genre, qui attribue certains traits physiques au domaine du féminin et du masculin. Cette caractérisation ne s’arrête pas aux portes de l’hétérosexualité, elle intervient également dans les milieux queer, catégorisant des personnes comme masculines ou féminines. La classification genrée qui est appliquée aux personnes queer est directement issue de la vision hétérosexuelle que nous avons de la société et plus précisément du couple. Une femme doit faire couple avec un homme et si ce n’est pas le cas alors il faut que cette dichotomie soit représentée dans le couple de femmes, avec l’une jouant le rôle de l’homme et l’autre jouant le rôle de la femme. Ces rôles ne se limitent pas à l’expression physique du genre, ils s’expriment également dans les attentes qui peuvent apparaître au sein du couple, qui bien que queer, n’est pas pour autant immunisé face aux exigences hétéronormées de la société. L’intériorisation de normes sociales genrées peut ainsi faire peser sur les épaules des membres du couple des attentes propres à leur expression de genre, qui se résume vulgairement aux personnes féminines à la cuisine et masculines au bricolage.

Le féminisme a beaucoup à apporter également aux couples queer, puisque venant déconstruire la vision patriarcale que nous impose la société. Nombre de sociologues(2), philosophes(3), ou encore anthropologues(4) féministes viennent repenser les rôles genrés voire même le genre, et ainsi nourrir une vision radicalement différente de celle imposée par le patriarcat. Ces travaux nous permettent alors de remettre en question les rôles genrés, dans le couple hétérosexuel comme queer. S’affranchir de ces considérations binaires permet d’accueillir plus librement les expressions d’identités multiples, plus que de genre, et en particulier dans les couples queers, dans lesquels ces questions ne se limitent pas toujours à la binarité du genre.

Il y a donc une multitude de réponses à la question que nous avons tous entendue. Monique Wittig répondrait que les lesbiennes ne sont pas des femmes(5), coupant ainsi court à l’injonction des rôles genrés dans le couple lesbien. Chacun(e) est libre d’apporter la réponse qu’il ou elle souhaite, même si le mieux serait que cette question ne soit plus posée.

Références

(1)En France

(2) Christine Delphy

(3) Monique Wittig

(4) Véra Nikolski

(5) Monique Wittig, La pensée Straight, 1992

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Front populaire contre Front national : les médias doivent choisir leur camp

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Depuis le dimanche 9 juin 2024, aux alentours de 21h, le monde politique est bouleversé par l’annonce présidentielle de la dissolution de l’Assemblée nationale. Entre alliance des gauches et explosion des partis de droite et d’extrême droite, ces journées politiques offrent un spectacle étonnant. Cet edito entend analyser un point saillant qui risque de déterminer en grande partie les résultats du 7 juillet : le cadrage médiatique.

Depuis le dimanche 9 juin 2024, aux alentours de 21h, le monde politique est bouleversé par l’annonce présidentielle de la dissolution de l’Assemblée nationale. Entre alliance des gauches et explosion des partis de droite et d’extrême droite, ces journées politiques offrent un spectacle étonnant. Le sujet de cet édito n’est pas de revenir sur ces tractations ou même de présenter une analyse globale des enjeux que recouvrent les prochaines élections législatives. Il entend simplement analyser un point saillant qui risque de déterminer en grande partie les résultats du 7 juillet : le cadrage médiatique.

Selon toute vraisemblance, et plus que jamais, les médias joueront un rôle crucial dans ces élections législatives. A chaque échéance électorale il en va de même, mais notre hypothèse est qu’ils seront, cette-fois ci, plus que jamais déterminants.

Selon Le Figaro(1), en se fondant sur les résultats des élections européennes du 9 juin, 536 (sur 577) circonscriptions pourraient voir un duel entre le Front populaire et le Rassemblement national au second tour. C’est évidemment une fourchette – très, très – haute, et on imagine mal les candidats de la majorité présidentielle ou de LR n’arriver au second tour que dans une quarantaine de circonscriptions. Toutefois ce qui ressort des différentes analyses, c’est qu’une majorité de duels se fera entre le RN et le Front populaire.

Dès lors, ce sont les suffrages des électeurs centristes, macronistes, qui détermineront le vainqueur d’un second tour. Plusieurs enquêtes menées en 2023 montrent que, désormais, Jean-Luc Mélenchon fait figure d’épouvantail pour la bourgeoisie centriste, bien plus que Marine Le Pen. Un sondage de mars 2023 indiquait que Marine Le Pen inquiétaient 39% des électeurs Renaissance ; Jean-Luc Mélenchon 44%. La situation s’est, du reste, empirée depuis le 7 octobre et l’attaque terroriste du Hamas : refus de qualifier le Hamas d’organisation terroriste, rupture de la NUPES par le Parti socialiste, sorties antisémites de Jean-Luc Mélenchon, attaques quotidiennes sur Raphaël Glucksmann, etc.

Un sondage IFOP du 8 février 2024 montre qu’en cas de second tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle, 66% des sympathisants Renaissance voteraient pour la candidate du Rassemblement national. Insistons sur ce point : les deux tiers de l’électorat macroniste voteraient pour l’extrême droite en cas de duel face au chef de la France insoumise. Il faut avoir cet élément essentiel en tête à l’heure d’appréhender le rôle que jouent et joueront les médias dans la campagne législative en cours.

En partant donc de l’hypothèse selon laquelle beaucoup de seconds tours verront s’affronter candidats estampillés Front populaire et candidats d’extrême droite, l’électeur centriste est à convaincre. La modération dont a fait preuve Jean-Luc Mélenchon au JT de France 2, et les compromis sur le programme commun (construction européenne, reconnaissance des actes terroristes du Hamas, soutien à l’Ukraine, etc) témoignent de cette prise de conscience. Il faut rassurer le bourgeois.

Mais si les femmes et hommes de gauche ont pris leur responsabilité, il reste un élément qu’ils n’ont pas entièrement entre les mains – même si leurs prises de position peuvent l’influencer -, le traitement médiatique des futurs seconds tours. Car rappelons-nous qu’en avril 2022, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, le président de la République Emmanuel Macron n’était crédité que de 53% des suffrages, contre 47% pour Marine Le Pen. Ici, c’étaient les électeurs de gauche qu’il fallait convaincre. Eux qui avaient déjà fait barrage à l’extrême droite en 2002, en 2017, étaient à nouveau appelés à voter pour le candidat de la casse sociale par excellence. Nombre d’entre eux souhaitaient s’abstenir.

Les deux semaines qui ont précédé le second tour ont vu, comme on pouvait s’y attendre, une campagne médiatique de front républicain se mettre en place. Progressivement, à mesure que le risque fasciste devenait réalité (les sondages inquiétants étaient dans les bouches de tous les chroniqueurs et journalistes politiques), à l’initial « ni-ni » était préféré un vote en faveur d’Emmanuel Macron. Finalement, l’on est passé de 6 points d’écart à 17.

La chose est dure à quantifier, mais je fais l’hypothèse que sur les électeurs centristes, les médias dits « traditionnels » ont encore une influence considérable. Que l’on pense aux millions d’auditeurs des matinales radio, ou aux millions de téléspectateurs du journal de 20h, l’audience touchée est grande et, surtout, c’est un audimat dont on peut fortement supposer qu’une grande partie aura voté pour un candidat de la majorité présidentielle au premier tour.

Ces médias ne vont pas appeler à voter pour tel ou tel camp, mais le cadrage médiatique qu’ils feront des sorties des uns et des autres sera décisif. Insidieusement, la diabolisation ou la dédiabolisation afférées au Front Populaire ou au Rassemblement national par la radio, la télévision ou les médias du « centre raisonnable » (qui, généralement, abhorre tout autant voire plus la France insoumise que le Rassemblement national) orienteront une partie non négligeable de l’électorat macroniste à se décider.

Car il ne s’agit pas de savoir si le RN aura 50 ou 100 députés. Il ne s’agit pas de savoir si LFI en aura 30, 50 ou 70. Il s’agit bel et bien de savoir si les électeurs centristes sont prêts à propulser l’extrême droite à la tête de la France.

Références

(1)Le Figaro, 12 juin 2024. 

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Du résultat des européennes : la double pression

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« Tirer les enseignements de ce qui s’est passé le dimanche 9 juin mériterait un livre en plusieurs tomes tant la densité politique du moment est d’une force rare, et tant ce qui arrive présentement ne peut s’expliquer que par des décennies d’affaiblissement du pouvoir politique, de la parole politique et du niveau général des dirigeants. »

Depuis le dimanche 9 juin au soir et la nouvelle période politique ouverte par le résultat des élections européennes et par la dissolution décidée par le président de la République, vous êtes nombreux sur le terrain à m’interroger sur cette situation et nous sommes nombreux à nous interroger tout court.

Tirer les enseignements de ce qui vient de se passer mériterait un livre en plusieurs tomes tant la densité politique du moment est d’une force rare, et tant ce qui arrive présentement ne peut s’expliquer que par des décennies d’affaiblissement du pouvoir politique, de la parole politique et du niveau général des dirigeants.

Je me limiterai donc, pour l’heure, aux considérations essentielles.

De nombreux maires m’ont fait part de leur effarement dès dimanche soir. « Je me bats dans ma commune pour mettre en place des services, des animations, de l’action culturelle, de l’écoute et de l’aide sociale. Nous faisons en sorte de faire vivre notre petite nation communale et le plus souvent en bonne entente avec la population. Et au moment du dépouillement je ne reconnais pas mes habitants et je ne comprends pas où se trouvent mes 40% d’électeurs d’extrême droite. Qu’est-ce que je peux faire de plus à la mairie pour éviter ça ? ». À ces maires, je veux dire que je comprends leur remise en question mais qu’elle n’est pas justifiée. Les électeurs ont, beaucoup plus que certains ne veulent le croire, l’intelligence de la compréhension du scrutin pour lequel ils se déplacent. Ils savent ce qu’est une élection européenne, ils savent ce qu’est une élection nationale et ils savent ce qu’est une élection locale. Ils savent surtout, et c’est un point fondamental, ce qu’est l’Etat. Si un maire exerce son mandat de la meilleure façon possible c’est en menant des projets dans le domaine d’action qui est le sien. Mais lorsqu’une agence du Trésor public ferme, lorsque des moyens en personnel de l’Education nationale manquent dans les écoles, lorsque la facture de l’énergie n’est pas maîtrisée, lorsque le prix de l’essence vient percuter toute l’organisation d’un ménage qui doit travailler, se déplacer, se chauffer, ces électeurs attendent d’abord de l’Etat qu’il joue son rôle. Nous sommes français et cela est profondément inscrit dans notre inconscient politique. Et les échecs, véritables, sur ces questions-là ne sont pas à imputer aux élus municipaux.

Un citoyen, même s’il se sent aussi bien que possible dans sa commune, peut en toute sincérité électorale faire connaître un choix dans une élection nationale à l’opposé des valeurs portées par son maire. Et le maire est dans son bon droit, c’est même son devoir, de dire lui aussi à ces électeurs ce qu’il pense de leur choix. Dans la commune où je vis, et dont je fus maire douze ans, l’extrême droite dépasse 40% des suffrages exprimés. Je sais les raisons de ce vote, je sais que les électeurs font des choix en conscience (il y a longtemps que je ne crois plus au vote « coup de gueule » ou « défouloir ») et j’assume de dire à ces électeurs qu’ils se leurrent, comme j’avais su le dire en 2017 lorsque tant de concitoyens s’enthousiasmaient pour Emmanuel Macron, alors que la supercherie de cette soi-disant posture ni gauche ni droite m’apparaissait évidente. J’avais alors tenu à être candidat à l’élection législative que je savais ingagnable, mais il me paraissait important de combattre pour les valeurs auxquelles je crois et de faire une campagne claire sur le refus de cette illusion du moment. Et d’affirmer haut et fort qu’à la différence de certains de mes désormais anciens camarades, je ne trouvais rien d’enthousiasmant chez le « Mozart de la finance ». Aujourd’hui, la supercherie du candidat TikTok Bardella et de toute la famille le Pen n’est pas moins évidente pour moi. Pour n’avoir pas voulu de Mozart en 2017, je ne suis pas demandeur de Wagner en 2024.

Si les électeurs savent parfaitement les enjeux de l’élection pour laquelle ils se déplacent, on peut en revanche constater que deux camps politiques ont perverti ce scrutin en en faisant autre chose qu’une élection européenne. Le RN a fait en sorte qu’elle ne soit pas une élection européenne mais un référendum contre le président de la République, et le président de la République à lui commis la faute de transformer l’élection européenne en élection législative par la décision de dissoudre de manière aussi soudaine.

Le paysage électoral en a été totalement modifié car la soupape ne demandait déjà qu’à sauter. Et c’est sous une double pression que le scrutin des européennes s’est déroulé.

La première pression provient de l’incapacité à répondre aux défis posés par la mondialisation et par le caractère libéral des institutions européennes. Je défends un point de vue eurocritique depuis que je milite et j’ai toujours chéri ma part de culture chevènementiste. Mais les patriotes de gauche n’ont pas réussi à persuader le reste de la gauche démocratique et de gouvernement qu’il y avait un problème dans la manière dont nous abordions la mondialisation des échanges et le fonctionnement de cette union particulière d’Etats qu’est l’Europe. Cette Europe ne peut se faire du jour au lendemain en forçant les peuples. Elle ne peut se faire sans respecter le fait national qui n’est pas un repli mais qui est la plus belle forme de solidarité politiquement inventée depuis la fin des empires au 19e siècle. Nous n’avons pas trouvé mieux que la nation pour faire d’un individu un citoyen. La structuration des institutions européennes pousse systématiquement (au sens littéral) à une politique libérale, alors que la mondialisation des échanges nécessiterait que les peuples conservent la maîtrise de leur choix face au marché pour pouvoir en tirer un bénéfice réel et que cette nouvelle étape dans l’histoire de l’humanité ne se résume pas à la délocalisation industrielle et à la concurrence entre des travailleurs du même continent.

La deuxième source de pression vient de la perversion de l’outil démocratique qui s’est accélérée grandement sous la présidence d’Emmanuel Macron. En 2005, à l’occasion du référendum par lequel les Français ont rejeté à raison le texte sur la constitution européenne, puis en 2008 lorsque le Congrès a adopté un texte quasi similaire, une plaie s’est ouverte et ne s’est jamais refermée. Les partis politiques qui ont participé à cette forfaiture n’ont pas fait l’analyse de leur acte et n’ont pas reconnu cette faute, ce qui a empêché la cicatrisation. Sous Emmanuel Macron, la plaie s’est même surinfectée. L’élection présidentielle de 2017 a vu la désignation d’un président par défaut au second tour. Comme pour Jacques Chirac en 2002, cette situation aurait dû conduire le premier des Français à une approche humble, ouverte et rassembleuse. Il aurait fallu se comporter en Athéna, déesse de la sagesse et nous avons eu un président se désignant Jupiter alors même qu’il était plus sûrement Saturne, le Titan qui dévorait ses enfants. Le garant de la Constitution a joué avec pour finir par la distordre. Au mouvement des gilets jaunes qui fut une expression concrète et sincère de la violence de la mondialisation ressentie par les classes populaires, il a répondu par une doctrine de maintien de l’ordre inadaptée et par un grand débat qui aura endormi l’opinion plutôt que de réveiller le gouvernement. D’autres sujets ont été étouffés par des procédures dont nous savons maintenant que le président de la République a le secret : Cent jours, Rendez-vous de Bercy, Ségur de la Santé, conventions citoyennes…Le pire fut à n’en pas douter le Conseil National de la Refondation empruntant honteusement les 3 lettres du Conseil National de la Résistance dont le programme aura été foulé aux pieds par le président Macron en tout point. L’élection présidentielle de 2022 a vu son débat réduit au minimum par l’actualité internationale tragique du fait de la guerre en Ukraine, ce dont le président Macron n’est pas personnellement responsable mais dont il n’a pas tiré les enseignements. Notamment lorsque à la majorité relative qui lui a été donnée à l’Assemblée il répond par le 49.3 systématique (abîmant au passage l’utilité ponctuelle du 49.3) au lieu de chercher réellement un accord global avec les forces politiques.

Nous étions nombreux à savoir que les Cent jours sous le gouvernement d’Elisabeth Borne et le Big Bang annoncé en janvier 2024 avec le gouvernement de Gabriel Attal n’étaient que pure communication. La démocratie politique compliquée par une majorité relative n’amena pas pour autant le pouvoir à pratiquer la démocratie sociale puisqu’il resta sourd aux demandes exprimées par des centaines de milliers de personnes manifestant à de nombreuses reprises pendant la réforme des retraites. La pression populaire ne trouvera pas non plus d’exutoire démocratique dans les tentatives de référendum d’initiative partagée que ni la gauche (sur les super-profits) ni la droite (sur l’immigration) ne parviendront à mettre en œuvre. Il peut paraître simpliste de comparer la politique au système d’une cocotte-minute mais c’est pourtant la meilleure illustration que nous puissions donner s’agissant des années Macron.

L’impensé et les contradictions anciennes de toute la classe politique sur la mondialisation et la question européenne, un positionnement tout en repli, en outrance et en xénophobie de la part de l’extrême droite et les réponses simplistes qui vont avec, des citoyens de plus en plus empêchés d’exprimer une volonté qui trouve un débouché politique, et un débat démocratique profondément abîmé par le recul des médias responsables avec de vraies rédactions chérissant le débat et hiérarchisant les sujets pour contenir l’infobésité auquel on ajoutera enfin les manipulations et le bruissement des réseaux sociaux dont l’extrême-droite fait un usage immodéré  : voilà la situation sur laquelle le pouvoir présidentiel était assis et les Européennes ont vu jaillir un geyser.

Il convient également d’avoir un mot sur la gauche et le camp du progrès. C’est mon camp et ça le sera toujours parce que je sais que la fraternité est la solution de long terme, parce que je sais qu’on ne construit une société que dans l’attention au plus faible, parce que je sais que l’éducation est la clé d’une cohésion nationale réussie et parce que la démocratie sans le progrès social n’est pas la République. La famille Le Pen (le père, la fille, la nièce et le petit prince) recueille aujourd’hui les suffrages de la classe ouvrière et des travailleurs. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que l’on abuse ainsi les classes populaires. Pour autant cela ne change rien à la conviction que c’est en se préoccupant du plus grand nombre et non pas en l’entretenant dans la haine de l’autre et de l’assisté mais en conquérant des droits nouveaux et en poursuivant l’idéal d’égalité que l’on fait œuvre utile pour sa nation et pour l’humanité. Mais mon camp a commis l’erreur de s’aligner sur l’européisme libéral de la droite et de ne pas savoir jouer le rapport de force avec l’économie allemande. Le quinquennat Hollande l’a montré et je reste très fier d’avoir accueilli en 2015 dans ma commune l’assemblée d’été de ceux que l’on a appelés les Frondeurs[1]. Même s’il doit être précisé que j’étais en accord sur le fond avec eux mais pas sur la méthode. Sous la Vème République la fronde parlementaire n’existe pas. Tout au plus peut-on scinder un groupe parlementaire.

Aucun débouché politique n’a été donné aux colères créées par la mondialisation libérale qui n’est pas seulement affaire de marchés, de bourses et de règlements européens mais surtout d’industrie disparue, d’anciens monopoles publics dépecés par des spéculateurs (le marché de l’énergie est l’exemple le plus ubuesque) et de renoncement au protectionnisme. Le bulletin de vote s’est démonétisé. Rien d’étonnant à ce qu’il soit utilisé contre le pouvoir national à l’occasion d’élections européennes.

Et voilà que la boucle est bouclée avec le début de mon propos.

Est-il trop tard pour bien faire ? Probablement pas. Mais c’est un long chemin que celui de l’éveil des consciences. Déjà en 2014 je publiais une tribune alertant sur ce sujet[2], et c’est régulièrement dans mes prises de paroles au Sénat que je rappelle la nécessité de parler clairement de souveraineté et de la nécessité que la France ne s’aligne pas sur les Etats-Unis comme un allié parmi d’autres. Certes, les victoires idéologiques sont longues, mais par histoire familiale et personnelle comme par connaissance de l’histoire de la France et de la gauche démocratique, je ne vois rien de mieux à faire que de poursuivre la lutte, quand bien même elle change indéniablement de nature puisque, si l’extrême-droite n’est pas au pouvoir à l’heure où je publie cette analyse, elle est devenue et pour un temps certain le nouveau pôle autour duquel s’organise la droite. Mais nous sommes demain le 18 juin et il y a des flammes qui ne s’éteindront pas. Et ce ne sont ni celles du RN, ni celles de ses alliés européens.

Références

[1] Vous retrouverez ici mon discours d’accueil :  https://www.youtube.com/watch?v=2rL9KE8l5SY&t=1s

[2] https://mickaelvallet.fr/2014/05/26/langoisse-du-premier-federal-au-moment-decrire-le-communique-de-la-defaite-reaction-personnelle-au-resultat-des-europeennes/, reprise par Marianne dans un entretien : https://mickaelvallet.fr/2014/05/27/comme-toute-structure-le-ps-peut-mourir

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La victoire électorale du Rassemblement national et après ?

La victoire électorale du Rassemblement national et après ?

La victoire du Rassemblement National à l’élection française au parlement européen était annoncée par les instituts de sondage. Mais nous refusons de croire aux évènements catastrophiques qui nous attendent. Nous faisons comme s’ils n’allaient jamais se produire, jusqu’à ce qu’ils surviennent et nous sidèrent.

Photo : Libération

Voilà qui est fait.

La liste du Rassemblement national conduite par Jordan Bardella a devancé largement toutes les autres le 9 juin 2024, en recueillant 31,4% des suffrages, loin devant la liste soutenue, (pour ne pas dire conduite par procuration) par Emmanuel Macron qui n’en recueille pas la moitié, ou celle de Place publique – Parti socialiste et de la France insoumise qui font une performance encore inférieure.

Ce n’est pas la première fois que le Rassemblement national est en tête des résultats aux élections européennes; en 2019, il l’avait déjà emporté avec un peu plus de 23% des suffrages, devançant de peu la liste de la majorité présidentielle et toutes les listes de gauche. L’écart était beaucoup moins important qu’aujourd’hui, mais la défaite du président, élu moins de 2 ans auparavant, n’en était pas moins un sérieux avertissement.

Et puis, en 2022, sans faire alliance avec aucun autre parti et malgré la concurrence du nouveau parti lancé par Éric Zemmour, le Rassemblement national fit entrer 89 députés à l’Assemblée nationale, dans le cadre d’un scrutin de circonscription uninominal à deux tours qui ne lui était en principe pas favorable. Auparavant, le Front national, ancêtre du Rassemblement national, n’avait quasiment pas été représenté au Parlement à l’exception de la mandature ouverte en 1986, élue au scrutin proportionnel par la volonté de François Mitterrand, une décision dans laquelle le souci louable d’assurer une représentation plus démocratique de la population à l’Assemblée nationale rejoignait celui de limiter la défaite annoncée du parti socialiste.

Nous n’allons pas refaire ici l’analyse détaillée du résultat de l’élection au Parlement européen de dimanche dernier. La carte que chacun a pu voir dans les médias est beaucoup plus parlante que tous les discours : la couleur marron, généralement associée par les cartographes au Rassemblement national, couvre tout le pays. Seules subsistent quelques petites taches correspondant aux grandes agglomérations urbaines où la liste Renaissance, celle du Parti socialiste et celle de la France insoumise arrivent en tête.

Ces cartes ont l’avantage d’être très lisibles et frappantes. Elles ont aussi un inconvénient, c’est qu’elles ne font pas apparaître que le premier parti de France reste celui des abstentionnistes, avec près de 50% des inscrits, le parti de ceux qui ne font pas plus crédit au RN qu’aux autres partis politiques.

La réponse d’Emmanuel Macron, préparée à l’avance sans avoir été rendue publique, n’a pas tardé. Il a prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale et convoqué de nouvelles élections législatives le 30 juin et le 7 juillet 2024.

Les spéculations vont bon train sur les raisons de cette décision, souvent qualifiée de pari. Les supporters du président le trouvent courageux et ceux qui ne le soutiennent pas -ils sont plus nombreux- le qualifient de risqué, voire de suicidaire. Beaucoup de députés macronistes voient avec effroi arriver plus tôt que prévu la fin de leur carrière parlementaire.

Pour E. Macron, il s’agit d’essayer de faire vivre le clivage qu’il veut imposer depuis 2017 entre « progressistes et nationalistes », les deux camps qu’il voulait constituer après avoir fait disparaître le vieux clivage entre la droite et la gauche. Il n’y est pas parvenu, pas plus qu’il n’est parvenu à donner un contour politique précis au macronisme qui après sept ans de pouvoir, n’est pas autre chose que la politique économique et sociale de la droite française matinée de quelques réformes « sociétales » qui divisent autant la droite que la gauche. Le projet de loi sur la fin de vie, dont le débat est interrompu par la dissolution, en est un exemple. Par son nouveau « quitte ou double », il veut une fois de plus obliger tous les partis à se positionner soit dans le camp dont il veut être le leader, celui de ceux qui combattent l’extrême droite nationaliste, soit dans celui des complices de Le Pen. Ce faisant, loin d’affaiblir le RN il le renforce en le plaçant plus que jamais au centre de la vie politique française et il affaiblit encore plus sa propre position.

L’opposition de gauche, dont la faiblesse a été confirmée par ces élections, est encore plus divisée qu’en 2022 et cherche le moyen de refaire la nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES), qui avait permis à ses composantes d’échapper au désastre lors de la dernière élection législative de 2022. Chacun fait mine de poser ses conditions. Raphaël Glucksmann qui n’existe que grâce à l’inconsistance du Parti socialiste et ne dispose d’aucune base politique réelle, en a énuméré cinq lundi soir sur France 2, qui visaient toutes à interdire un accord électoral avec la France insoumise. Les Verts, forts de leurs 5%, proposaient dix piliers pour soutenir un éventuel accord. Au cours de la nuit, les négociateurs des quatre partis les plus importants de la gauche ont adopté une déclaration en faveur de la présentation d’un seul candidat de gauche par circonscription, dans laquelle aucune des conditions des uns et des autres ne figure, qui renvoie à (un peu) plus tard la définition du programme commun à ces formations. Pour y parvenir, il faudra éviter les nombreuses questions qui fâchent et s’entendre sur un programme minimum.

Au-delà des déclarations, toutes plus unitaires les unes que les autres, pour lutter contre le fascisme, il faudra s’accorder sur la répartition des circonscriptions. Elle était très favorable à la France insoumise en 2022. Le rapport de force électoral a changé et les partenaires de LFI exigeront un rééquilibrage. Les quelques jours qui viennent seront donc compliqués.

  • Comment en sommes-nous arrivés là ?

L’arrogance du président de la République, son inexpérience, sa conviction d’avoir toujours raison seul contre tous, son exercice de la fonction présidentielle comme l’acteur de théâtre qu’il aurait rêvé d’être, sa désinvolture qui le conduit à dire une chose et son contraire d’un jour à l’autre sur des sujets sensibles touchant aux relations internationales de la France, sa tendance à faire la leçon à tous ses interlocuteurs (son dernier discours sur l’Europe à la Sorbonne dura plus de deux heures !), tout cela a sans doute joué un rôle dans la descente aux abimes du parti présidentiel et de son chef et dans l’ascension du Rassemblement national. Mais un rôle secondaire.

Les résultats du 9 juin résultent essentiellement :

De l’incompréhension persistante de la signification du vote en faveur du Rassemblement national par E. Macron et son parti, comme par ses prédécesseurs.

Ils l’ont toujours considéré comme le vote de protestation de citoyens mal informés, incapables de s’adapter à la marche du monde, et ne l’ont jamais pris au sérieux. Ils n’y ont pas vu l’expression raisonnée du rejet du système économique et institutionnel responsable de leurs malheurs par un nombre croissant de citoyens. Le vote pour le RN n’a pas été compris comme le mouvement par lequel une partie de la population tournait le dos à des responsables politiques qui se disaient eux-mêmes impuissants à régler les problèmes, à modifier les rapports de forces internationaux et européens, tout en conduisant une politique favorable aux plus riches. Aux yeux des dirigeants, le vote RN ne pouvait être qu’une erreur passagère qui serait corrigée en expliquant mieux la politique mise en œuvre (refrain entendu après chaque défaite électorale).

Mais le vote pour le RN n’était pas une erreur commise par des Français ayant mal compris la bonne politique du gouvernement insuffisamment expliquée ; c’était une demande de modification d’une politique sociale et économique injuste et dont les résultats désastreux sont constatés par tous (désindustrialisation, disparition des services publics, endettement massif…).

L’utilisation répétée du Front puis du Rassemblement national comme un épouvantail pour obtenir le vote des Français, au nom de la défense des valeurs de la République, avant d’accabler ceux qui ont voté pour faire barrage au RN de mesures défavorables, est la seconde explication.

Emmanuel Macron a bénéficié du réflexe de « front républicain » lors de sa première élection en 2017 pour l’emporter malgré un score de premier tour assez faible (24% des voix). Il a dramatisé cet enjeu encore plus en 2022 sachant que la position relative de Marine Le Pen s’était améliorée par rapport à leur première confrontation. Il s’apprête à rejouer cette partition après avoir décidé de la dissolution de l’Assemblée nationale. Mais il sous-estime l’usure de cet argument, surtout qu’à peine réélu en 2022, Emmanuel Macron a imposé, notamment, la remise en cause des régimes des retraites à coups de recours à l’article 49-3 de la constitution et de répression policière. Avec la même hargne, il a imposé la réduction drastique de l’indemnisation des chômeurs à des partenaires sociaux qui n’en voulaient pas. A chaque fois, son discours fut le même : j’ai été élu sur un programme, je le mets en œuvre ! Comme s’il n’avait pas été élu aussi par ceux qui voulaient éviter l’élection de Marine Le Pen, et acceptaient pour un temps d’oublier leurs désaccords avec le programme d’E Macron! Ce mépris répété des électeurs qui croyaient, quelles que soient leurs convictions, à la légitimité du vote républicain, a fini par ruiner cette conviction et rompre ce barrage.

La diabolisation du RN, présenté comme un parti fasciste, finit par produire l’inverse de l’effet recherché. Je ne trouve pas le RN sympathique, je ne partage nullement ses orientations et ne voterai jamais pour ce parti. Mais le RN n’est pas un parti fasciste. Il respecte les institutions de la République, participe aux élections comme les autres partis et se soumet à leur verdict ; il ne déchaine pas la violence de milices, dont il ne dispose d’ailleurs pas, contre ses opposants. Il n’y a pas de squadristes ou de SA défilant dans nos rues. Le RN défend un programme que je n’aime pas, mais il a le droit de le faire dans un régime démocratique qui garantit la libre expression et la confrontation des idées, aussi longtemps que sont respectées les personnes et que l’ordre public n’est pas troublé.  Les tentatives d’isoler le RN de la société à coup de condamnations morales ont échoué. Elles pèsent peu dans une société qui n’accorde plus beaucoup de place à la morale et aux principes, en dépit de l’invocation abstraite incessante des « valeurs de la République ». Elle n’empêche pas que la liberté soit rognée et le pouvoir de l’autorité administrative sans cesse étendu ; la fraternité, elle, a été remplacée par la bienveillance. Quant à l’égalité, elle a disparu au profit de la lutte contre les discriminations qui s’accommode très bien de l’accroissement des inégalités.  

Si l’appel à faire barrage au fascisme est l’argument principal des élections du 30 juin et du 7 juillet, l’échec est assuré. On ne gagne pas une élection en s’opposant à un autre parti, mais en proposant une alternative.

Le populisme n’est pas une spécificité française, mais les institutions de la cinquième République et la présidentialisation sans cesse renforcée de l’exercice du pouvoir depuis 1962, lui donnent un caractère spécifique. C’est par sa participation régulière à l’élection présidentielle que le RN est devenu un parti national. Il est resté longtemps sans forces sur le territoire, avec une implantation locale limitée. Pourtant il pouvait, et peut aujourd’hui plus que jamais, se présenter comme un candidat potentiel à l’exercice du pouvoir susceptible de s’emparer de la présidence de la République puis en s’appuyant sur la dynamique de cette élection, de la majorité à l’Assemblée nationale. L’importance des pouvoirs dont dispose le président de la République (présidence du conseil des ministres, pouvoir de nomination étendu, direction réelle du pouvoir exécutif, etc.) donnerait en effet la capacité à Marine Le Pen si elle devenait présidente de la République et si elle pouvait s’appuyer sur une majorité parlementaire, de transformer assez profondément la composition et le fonctionnement de l’administration de l’État. L’absence de contre-pouvoir au président de la République, présenté depuis 1958 comme un gage d’efficacité de l’exécutif, apparaîtrait enfin pour ce qu’il est vraiment, un déni de démocratie.

La France n’est pas le seul pays d’Europe dans lequel un parti populiste de droite existe, mais dans aucun autre pays il ne réalise un score aussi important qu’en France.

Il faut le dire, avec ou sans Marine Le Pen, nous ne vivons pas dans une véritable démocratie. Le parlement est muselé et lorsqu’il dispose d’une majorité, le président peut faire décider ce qu’il veut. Lorsque le peuple s’exprime par referendum, comme en 2005 sur le projet de constitution européenne, le parlement, à l’instigation de l’exécutif, ratifie le traité rejeté par le peuple souverain. Il n’y a plus de domaine réservé du président de la République, tout lui est réservé, des choix de politique énergétique à l’envoi de troupes à l’étranger, en passant par celui des morts méritant d’être panthéonisés ou le dispositif de sécurité pour les Jeux Olympiques.

Cette confiscation du pouvoir par le président de la République est inadmissible du point de vue de la démocratie, paralysante pour le pays et profondément inefficace.

  • Et maintenant ?

On peut imaginer des dizaines de scénarios sur les événements des semaines à venir. Comme je n’ai aucun don pour prévoir l’avenir, je m’en tiendrai à quelques observations prudentes.

Les résultats électoraux de dimanche dernier ne tombent pas du ciel. Ils expriment des rapports de force installés dans le pays et qui ne se modifieront pas par le seul effet d’une dramaturgie de la situation voulue par le président de la République. Bien sûr, le nombre de députés élus sous l’étiquette du Rassemblement national le 7 juillet prochain dépendra de l’existence effective de candidature unique à gauche ; de la façon dont la droite s’organisera en vue de cette échéance, macronie comprise ; de la mobilisation de l’électorat dont une partie sera déjà en vacances d’été, etc. Mais dans tous les cas de figure, la représentation du Rassemblement national sortira renforcée de ce scrutin. Les spécialistes de politique font tourner leurs modèles et présentent des résultats parfois très élevés pour ce parti. Mais la situation est inédite et les projections restent sujettes à caution tant les conditions de cette courte campagne restent inconnues.

Cette élection législative précipitée n’apportera pas de solution à la crise institutionnelle à laquelle Emmanuel Macron est confronté.

Le macronisme est une fiction politique apparue dans des conditions exceptionnelles : Un président sortant complètement discrédité, n’étant plus en mesure de se présenter ; le parti socialiste qui avait permis à François Hollande d’accéder à la présidence de la République détruit par la politique suivie pendant les cinq ans de son mandat qui explose et disparaît presque ; le principal parti de droite après le choix de la candidature de François Fillon qui ne réussit pas à se qualifier face à Emmanuel Macron, notamment en raison de « l’affaire Pénélope ». Une partie de la classe dominante considérait que son rêve d’administrer le pays comme une entreprise du CAC 40 était enfin à portée de main avec ce jeune technocrate parlant couramment le langage du management et ne jurant que par la disparition des partis politiques traditionnels. Les arrivistes nombreux, de droite et de gauche, se rallièrent à cette candidature inattendue qui leur offrait de belles opportunités, comme on dit dans les annonces de recrutement.

Emmanuel Macron se fit élire en prétendant qu’il allait faire la révolution, il n’avait pas précisé laquelle. Après avoir promis la disruption, la transformation de la société « bottom-up » pour transformer la France en « start-up nation », il instaura un mode d’exercice du pouvoir plus centralisé que jamais, ignorant tous les pouvoirs intermédiaires, les élus locaux, les syndicats, et finalement le pays tout entier. Le Journal officiel peut témoigner du fait que, depuis 2017, la France a beaucoup progressé en matière de production de pages de lois bavardes et de décrets d’application interminables, de plans produits à jets continus sans jamais connaître de mise en œuvre véritable et sans qu’aucun bilan n’en soit jamais tiré. L’essentiel fut d’alimenter la machine médiatique quotidienne qui distille les dossiers de presse qu’elle reçoit et répercute les « annonces » qui tiennent lieu de politique, que tout le monde aura oubliées dès le lendemain.

Il ne restera rien de tout cela, si ce n’est un pays encore plus divisé et démoralisé qu’il ne l’était en 2017. Le parti d’Emmanuel Macron disparaîtra avec lui ; l’héritage est déjà en train d’être partagé.

E Macron ne sortira pas renforcé des élections anticipées qu’il a provoquées. Il est seul à ne pas avoir compris que son sort était scellé et que le roi était nu. Il est trop étourdi par son propre bavardage pour cela. Il ne dispose pas de majorité au Parlement. Il en aura encore moins après le 7 juillet, même si ce scrutin ne débouchera pas forcément sur une cohabitation Macron-Bardella. La deuxième partie du mandat d’E. Macron sera une agonie et non une renaissance.

La gauche ne gagnera pas les prochaines élections législatives, aussi unie soit-elle, pour la bonne raison qu’elle est très minoritaire dans le pays pour le moment, et n’est capable d’obtenir les suffrages que d’un bon tiers de l’électorat.

Elle ne peut dans l’immédiat que sauver le plus de meubles possibles par un accord électoral nécessaire, mobiliser autant que possible ses électeurs et empêcher l’extrême droite d’avoir la majorité absolue.

Dans l’adversité, elle peut cependant trouver le chemin de la reconstruction pour remporter d’autres succès plus tard.

La première condition de la reconstruction sera que les partis de gauche cessent de chercher le leader, le candidat idéal capable de gagner l’élection présidentielle, le vrai chef qui aura une réponse à chaque question, qui saura diriger la France avec fermeté. Le candidat de la gauche devrait être l’inverse de cela, un candidat qui précisera les limites de son pouvoir, de son intervention dans le fonctionnement de l’État, comment il respectera la représentation parlementaire, comment il permettra aux citoyens et aux corps intermédiaires de participer à la vie démocratique. La gauche doit se désintoxiquer du présidentialisme et contribuer à en guérir les Français.

Elle devra aussi travailler à un programme qui ne soit pas un catalogue de propositions techniques précises, un quiz des réponses à apporter aux demandes des différents lobbies dans l’espoir d’en additionner les voix.

Son programme devrait répondre aux questions principales que se pose la majorité des français :

  • Comment assurer à tous les Français un revenu leur permettant de se loger et de vivre dignement pendant leur formation, leur vie professionnelle et lorsqu’ils sont à la retraite et comment préserver les régimes sociaux de solidarité ? (Quelle politique économique, budgétaire et fiscale, quelle place redonner aux partenaire sociaux dans la gestion des dispositifs mutualisés, quelle démocratie sociale ?)
  • Quelles mesures et moyens permettront de faire fonctionner correctement les services publics de santé, d’éducation, de sécurité publique  ? (Quelle organisation et quel statut des services publics ; quels modes de financement ; quelles règles de coexistence et de concurrence entre les modes de gestion privés et publics des services publics)
  • Comment démocratiser le système politique français sans renvoyer à une hypothétique convention constituante qui aura pour tâche de modifier de fond en comble notre système institutionnel ? (Identifier les principales une mesure permettant de modifier le fonctionnement de la 5e République sans réviser la constitution et les modifications constitutionnelles susceptibles d’être adoptées de manière relativement consensuelle)
  • La souveraineté est la possibilité pour un État de garantir l’exercice des libertés par la loi sur un territoire donné. Quelle politique la gauche défendra-t-elle pour conjuguer la coopération européenne nécessaire et la préservation de la souveraineté nationale garantie par la constitution?
  • Les grandes orientations de la politique étrangère : Quelle politique de réduction des tensions internationales ? Quels objectifs de la politique de développement et de coopération ? Quelle industrie d’armement et quelle politique internationale en faveur du désarmement? Quelle armée française et/ou européenne  ?
  • Comment assurer le succès de la transition écologique nécessaire sans développer une bureaucratie galopante et en favorisant au maximum les initiatives locales plutôt que les solutions uniformes définies au niveau des administrations centrales et en répartissant justement les coûts de ce changement du mode de production été de consommation ?

Il s’agit de définir une démarche plutôt que d’élaborer un catalogue de recettes de gestion de gauche du pays; de proposer une orientation plutôt qu’une liste d’engagements assortie d’un calendrier d’exécution. Nous avons assez d’expérience pour savoir que les mesures techniques imaginées dans la perspective de l’élection suivante buttent, lorsqu’elles doivent être mises en œuvre, sur une multitude de difficultés imprévues, ce qui est normal. Certaines pourront être reconsidérées, modifiées ou abandonnées, sans que cela soit une trahison quelconque. C’est pourquoi ce qui doit être proposé c’est un cap, une ligne directrice à laquelle chacune des décisions prises dans l’exercice du pouvoir puisse être comparée, pour mesurer dans quelle mesure elle contribue à la réalisation des objectifs fixés ou au contraire elle s’en écarte.

Un programme ne devrait pas être la somme des propositions faites par les différentes organisations qui le soutiennent, l’addition des signes envoyés à son électorat de prédilection, mais un texte ne dépassant pas une trentaine de pages, qui puisse être lu par tout le monde et dont on se dise après l’avoir lu qu’il dresse le portrait du monde dans lequel on aimerait vivre.

Le programme du Conseil national de la résistance, auquel il est très souvent fait référence, ne faisait que quelques pages et ne comportait aucun détail technique précis sur les conditions de la mise en œuvre des orientations qu’il proposait. C’est ce qui a fait sa force. C’est pourquoi il a débouché sur la mise en place des éléments essentiels du système social qui permet encore à la majorité d’entre nous de vivre convenablement.

Il ne s’agit plus de mettre en avant telle ou telle radicalité, de rendre les angles plus aigus, les divisions plus profondes qu’elles ne le sont dans une société très éclatée. Au contraire, il faut chercher à rassembler bien au-delà de ce qui définit la gauche rabougrie qui subsiste aujourd’hui et qui ne pourra changer d’échelle et de place dans la société que si elle reprend un dialogue avec l’ensemble des français.

Le 11 juin 2024

Jean-François Collin

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Le train est-il un transport de riche ?

Le train est-il un transport de riche ?

Le train est un mode de transport très régulièrement considéré comme cher, notamment par rapport à d’autres types de transport. L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, effective depuis 2020, doit selon ses promoteurs, faire baisser les prix. Mais que se cache-t-il derrière le prix d’un billet ?

Le train est un mode de transport très régulièrement considéré comme cher, notamment par rapport à d’autres types de transport. L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, effective depuis 2020, doit selon ses promoteurs, faire baisser les prix.

Pour déterminer la capacité de la concurrence à avoir un effet réel sur les prix, il est important de connaître ce qui se cache derrière le prix d’un billet de train. Trois éléments clés peuvent être cités : les tarifs des péages ferroviaires, la rentabilité financière des entreprises, et le modèle de tarification qui s’ajuste à l’offre et à la demande (le yield management).

Le système du yield management

Commençons par expliquer ce qu’est le yield management et la manière dont sont fixés, au travers de ce système, les prix des trains, notamment ceux de la SNCF. A noter qu’elle n’est d’ailleurs pas la seule compagnie ferroviaire à utiliser ce système, c’est également le cas de Trenitalia, qui vient de faire son entrée sur le marché français.  

Le yield management est une pratique commerciale consistant à ajuster les prix en fonction de l’offre et de la demande, en temps réel. Les lignes les plus fréquentées sont donc les plus chères. Les prix vont également varier en fonction des heures creuses, de pointes, et des jours de la semaine, toujours du fait de l’ajustement de la demande. Ce qui peut être frustrant pour les passagers, c’est de se rendre compte qu’ils n’ont pas payé le même prix pour un même billet, et c’est d’ailleurs souvent le cas. Ainsi, vous pouvez consulter les prix pour un trajet à un instant T, et de nouveau quelques jours / semaines après, et constater une augmentation. Cette méthode est également valable pour le prix des billets d’avion, ce système est d’ailleurs majoritairement utilisé par les compagnies aériennes.

Cela s’explique par les avantages qu’il y a pour les entreprises, pour leur rentabilité certes, mais également pour inciter les potentiels voyageurs à planifier plus tôt leurs voyages, et ainsi s’assurer bien en amont d’un taux de remplissage suffisant.  

Les péages ferroviaires

40% du prix des billets TGV correspond au prix des péages ferroviaires, dont doivent s’acquitter les opérateurs ferroviaires : il s’agit du paiement d’un droit d’emprunter les infrastructures. Ce coût, est donc payé par le voyageur. Les tarifs de ces péages sont fixés par l’Etat (via SNCF Réseau), et vont varier en fonction des lignes. Si elles sont très fréquentées, en fonction de leur typologie (ligne TGV / ligne TER), et si elles nécessitent une maintenance plus importante, les prix des péages seront plus élevés et inversement. Les péages des lignes « alternatives » aux lignes très fréquentées (exemple : Marseille-Marne-la-Vallée / Marseille-Paris) sont moins élevés, ce qui explique la capacité de Ouigo à proposer des prix inférieurs sur ces types de trajet.

Les péages ferroviaires français sont parmi les plus élevés en Europe, et devraient encore augmenter dans les prochaines années : +7,6% en 2024, +4% en 2025 et 2026(1). Plusieurs régions, ont contesté auprès du Conseil d’Etat l’augmentation des péages ferroviaires sur leurs réseaux régionaux. Elles ont obtenu gain de cause, et SNCF Réseau doit désormais proposer une nouvelle tarification(2).

Le coût des péages pèse donc aujourd’hui énormément sur le billet de train, et cela va aller en s’accentuant, du fait du vieillissement important du réseau et de la nécessité d’y investir massivement. En effet, les péages permettent à SNCF Réseau de financer les coûts de maintenance, de modernisation et de rénovation du réseau ferroviaire. L’achat de billet de train contribue donc au maintien et à la rénovation du réseau. Ce coût pèse donc énormément sur les usagers.

Est-ce que de tels coûts existent pour les autres modes de transport ? C’est bien le cas pour la voiture individuelle avec le paiement des péages autoroutiers et de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques). Pour l’avion, les transporteurs payent également une taxe d’aviation civile et des redevances aéroportuaires, représentant environ 26% du billet d’avion, en moyenne, pour une compagnie comme Ryanair(3)

Toutefois, il y a quelques déséquilibres entre les taxes payées par les différents modes de transport : d’abord, sur la TVA. Alors que les billets de train y sont assujettis, ce n’est pas le cas des billets d’avion pour les vols internationaux. Ensuite, alors que les compagnies ferroviaires s’acquittent d’une taxe sur l’énergie et l’essence, les compagnies aériennes ne payent à ce jour aucune taxe sur le kérosène. Une première solution, largement réalisable immédiatement, pourrait être de baisser la TVA à 5,5%, sur les billets de train.

Le train est-il réellement plus cher que la voiture ?

L’INSEE publie régulièrement des données sur la variation des prix des trains. L’institut a ainsi constaté une augmentation des prix de 12%, entre 2021 et 2022, puis une augmentation de 5% en 2023 sur les billets TGV et TET. 

La SNCF justifie certaines de ces augmentations par la hausse des prix de l’électricité, elle qui consomme entre 1 et 2% de la production d’électricité française chaque année. Elle a ainsi accusé un surcoût sur son budget de 13%. La seule réponse de l’exécutif a été de l’encourager à réaliser des économies d’énergie, sans pour autant réduire son nombre de circulations. La demande semble comique, quand on sait que 82% de l’énergie que consomme la SNCF sert à faire rouler ses trains.

Bien que ces hausses soient difficilement entendables pour les voyageurs, le fond du problème reste le maintien de la France dans le marché de l’électricité européen, induisant des hausses importantes des coûts pour les entreprises, mais aussi les collectivités.

Au-delà de l’augmentation des coûts de l’électricité, les prix des TGV sont plus élevés que ceux des TER / TET du fait des coûts d’exploitation et de maintenance. Selon la Cour des Comptes(4), ceux qui les empruntent fréquemment font partie des catégories ayant des hauts revenus. Alors, le train, en comparaison avec la voiture, est-il réellement plus cher ?

A contre-courant de l’idée générale, les prix des trains en France n’apparaissent pas si élevés en comparaison avec les autres pays européens. Une étude menée par GoEuro, qui vend des billets de transport en ligne, considère que les prix des billets en France sont plutôt bas, surtout en comptant qu’une grande partie des billets concerne des trajets TGV. Le prix moyen en France pour 100 kilomètres serait de 7,8 euros, quand il est de 29,7 euros au Danemark, 28,6 euros en Suisse ou encore 24 euros en Autriche(5) 

Toutefois, même si nous faisons le constat que les prix moyens en France sont moins élevés qu’ailleurs, cela reste aujourd’hui dissuasif pour un certain nombre de français, qui arbitrent à l’instant T le montant à débourser entre le train ou la voiture. En effet, lorsque l’on prend le train, l’intégralité des coûts est comprise dans le billet. Ce n’est pas tout à fait le cas de la voiture. Les coûts pris en considération pour un trajet donné seront principalement l’essence et les péages. Pour autant, pour pouvoir réellement comparer le coût entre ces deux modes de transport, pour la voiture il faut aussi y intégrer les coûts amortis sur le long terme. Par exemple, les frais d’assurance, le prix de la voiture (à amortir donc sur la durée), les frais d’entretien, ou encore, plus difficile à chiffrer, le coût des externalités négatives que va supporter la société (pollution, particules, accidents, etc.).

La comparaison entre ces deux modes de transport va aussi varier en fonction du nombre de passagers. Prendre la voiture plutôt que le train, quand on est une famille, apparaît nécessairement moins cher et plus pratique.

Il faut bien sûr souligner le fait qu’au-delà de la question des coûts, les voyageurs peuvent préférer la voiture au train, tout simplement car ils ne disposent pas d’une gare à proximité permettant de réaliser le trajet souhaité. Parfois, ce choix est donc contraint.

Certains voyageurs choisissent parfois l’avion au détriment des trains par rapport au prix. Bien que la loi Climat et Résilience de 2021 prévoit la suppression des vols internes lorsqu’une alternative de deux heures trente existe, cette interdiction est partiellement mise en œuvre. En effet, certaines liaisons bénéficient de dérogation et des lignes ferroviaires comme Marseille-Paris vont au-delà du délai fixé de 2h30. Les prix plus bas de certains vols internes qui ne respectent pas cette réglementation, s’expliquent par l’absence de taxe sur le kérosène, à la différence de l’électricité. La TVA reste applicable sur les vols internes, mais ne l’est pas sur les vols internationaux.

Quelles solutions ?

Pour garantir des prix plus attractifs pour les trains et garantir le droit aux vacances / voyages de tous et toutes (en empruntant le train), plusieurs options peuvent être envisagées.

La baisse des péages ferroviaires est une proposition, mais elle reste compliquée à appliquer puisqu’ils permettent de financer la rénovation du réseau. Peut-être faudrait-il que ces frais ne ne soient pas totalement imputables aux usagers. Une proposition alternative serait de baisser la TVA sur les billets de train, à 5,5%. Toutefois, une baisse des prix des péages nécessite forcément de trouver des financements complémentaires pour les affecter à la modernisation / rénovation du réseau. Au-delà de la baisse des prix des péages, ce sont éventuellement les financements affectés à la rénovation / modernisation du réseau qui sont à repenser.

Sur le droit aux vacances, l’article 24 de la Déclaration universelle des droits de L’Homme, stipule que « toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée de travail et des congés payés périodiques ». Pour se faire, en lien avec le transport ferroviaire, plusieurs leviers d’actions peuvent être activés. D’abord, la mise en œuvre de tarifs préférentiels sur les trajets en train, pendant les périodes de vacances et de grandes vacances. En France, le gouvernement a décidé de proposer une offre aux moins de 27 ans, permettant de voyager en TER en illimité cet été, grâce à un pass rail au prix de 49 euros. Cette offre exclut les trajets en TGV, ce qui est dommageable. L’Allemagne a expérimenté un tel dispositif l’été dernier, mais au prix de 9 euros, et incluant tous les types de population et pas uniquement les jeunes. La Fondation Jean Jaurès propose également de pouvoir proposer un billet « populaire » en TGV pour la somme modique de 20 euros, pour garantir ce droit aux vacances(6).

Autre proposition intéressante de la Fondation, permettre aux régions qui disposent en partie de la compétence tourisme, de développer des offres de mobilité desservant les zones touristiques, dans sa région ou vers les régions environnantes. Elles consigneraient leurs stratégies dans un volet « mobilité et accès aux zones touristiques » dans leurs schémas centraux d’aménagements du territoire et des transports(7). Dans ces offres, le train, prendrait toute sa place.

Enfin, pour favoriser le train au détriment de l’avion et dans une perspective écologique et égalitaire, la loi de 2021 doit être applicable sur toutes les liaisons pertinentes sur le territoire national et le kérosène doit être taxé au même titre que l’électricité.

Ainsi, même si les prix des billets de train français semblent moins chers par rapport à nos voisins, ils restent toujours trop dissuasifs pour certaines catégories de la population dont un certain nombre de familles. Il faut donc à la fois : 

  • Repenser le système de tarification des péages et faire peser leur coût sur l’ensemble des acteurs et non pas uniquement sur les usagers ;
  • Réfléchir à une vraie politique publique nationale permettant de garantir le droit aux vacances ;
  • Appliquer concrètement la loi de 2021, sans dérogation injustifiée, en menant une étude sur l’entièreté du territoire pour étudier les principales liaisons et les alternatives.

Il s’agit prioritairement de proposer une vraie alternative à l’utilisation de la voiture individuelle dans l’ensemble des territoires, et de rendre les transports en commun et ferroviaire, accessibles financièrement à tous et toutes pour les transports du quotidien et les vacances.

Références

(1)Public Sénat (2023) : pourquoi les prix des billets de train continuent-ils d’augmenter ?  https://www.publicsenat.fr/actualites/territoires/pourquoi-les-prix-des-billets-de-train-continuent-ils-daugmenter

(2) FranceInfo (mars 2024) : Péages ferroviaires, le Conseil d’Etat demande à SNCF Réseau de revoir la fixation de sa redevance pour les régions : https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/sncf/peages-ferroviaires-le-conseil-d-etat-demande-a-sncf-reseau-de-revoir-la-fixation-de-sa-redevance-pour-les-regions_6406090.html

(3) Le Figaro (2023) : mais pourquoi les billets de train sont-ils si chers ? : https://www.lefigaro.fr/societes/mais-pourquoi-les-billets-de-train-sont-ils-si-chers-20230701

(4) Cour des Comptes (2014) : la grande vitesse ferroviaire, un modèle porté au-delà de sa pertinence : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-grande-vitesse-ferroviaire-un-modele-porte-au-dela-de-sa-pertinence

(5) Rapport au Premier Ministre (février 2018) : l’avenir du transport ferroviaire, https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2018.02.15_Rapport-Avenir-du-transport-ferroviaire.pdf

(6) Fondation Jean Jaurès (2023) : vers la vie pleine, réenchanter les vacances au XXIème siècle : https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2023/06/vie-pleine.pdf

(7) Ibid

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Que signifierait une victoire de la Russie sur l’Ukraine ?

Que signifierait une victoire de la Russie sur l’Ukraine ?

Depuis deux ans, le conflit entre la Russie et l’Ukraine fait rage, semant le chaos et provoquant des conséquences désastreuses pour la région et au-delà. Alors que la contre-offensive menée depuis cet été par l’Ukraine est considérée comme un échec, une question se pose de manière de plus en plus prégnante : quelles seraient les conséquences d’une victoire russe dans ce conflit ? Réponse courte en partenariat avec Yann Paris, créateur de Cartes du Monde.

Conséquences immédiates pour l’Ukraine

L’occupation russe de l’Ukraine engendrerait une série de conséquences humanitaires d’importance. Tout d’abord, elle plongerait la population ukrainienne dans un climat de terreur et de répression. Les récits de témoins oculaires et les rapports des organisations de défense des droits de l’homme décrivent déjà les atrocités commises dans les régions occupées. Des actes de torture, de violences sexuelles et d’abus systématiques des droits de l’Homme sont monnaie courante sous le régime d’occupation russe. Dans un récent rapport, Human Rights Watch souligne que « les atrocités commises par les forces d’occupation russes en Ukraine sont inacceptables et doivent être condamnées par la communauté internationale. » L’objectif principal de cette répression serait d’étouffer toute forme de résistance et de dissidence au sein de la population. Les Ukrainiens qui oseraient s’opposer à l’occupant russe seraient confrontés à des représailles brutales, allant de l’emprisonnement arbitraire à l’exécution sommaire. Outre la terreur imposée à la population, l’occupation russe aurait également un impact économique désastreux sur l’Ukraine. Selon les estimations de la Banque mondiale, l’économie ukrainienne pourrait subir une contraction de 10% dans les premières années suivant une occupation russe. En effet, la Russie chercherait à exploiter les ressources naturelles et industrielles du pays à son propre avantage, au détriment du développement économique et de la souveraineté de l’Ukraine. Les richesses agricoles, minières et énergétiques de l’Ukraine constitueraient une manne précieuse pour l’économie russe, alimentant ainsi son expansion économique et son pouvoir politique. Enfin, l’occupation russe compromettrait l’intégrité territoriale de l’Ukraine, avec le risque de voir certaines régions annexées ou transformées en entités semi-autonomes contrôlées par le Kremlin. Cette fragmentation du territoire ukrainien affaiblirait davantage le gouvernement central et renforcerait la mainmise russe sur le pays.

 

Répercussions pour l’Europe et l’Union Européenne

Une victoire russe aggraverait les clivages au sein de l’Union européenne (UE), en particulier entre les pays membres de l’Est et de l’Ouest. Les nations de l’Est de l’Europe, ayant vécu sous l’ombre de l’empire soviétique, percevraient cette victoire comme une menace directe pour leur sécurité et leur souveraineté. Comme l’a souligné l’ancien Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, « Une Ukraine sous contrôle russe serait une menace existentielle pour la Pologne et toute l’Europe de l’Est« . En réaction, ces pays se tourneraient vers une politique de réarmement, cherchant à renforcer leurs capacités militaires pour faire face à la menace russe. Selon les estimations de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les dépenses militaires dans la région pourraient augmenter de 20% dans les années suivant une victoire russe. Cette militarisation croissante de la région risque d’aggraver les tensions et de créer des dissensions au sein de l’Union européenne. Bien que les États membres de l’Union européenne aient initialement, et unanimement, condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie, des désaccords stratégiques ont rapidement émergé concernant les sanctions à imposer à la Russie. Les récentes déclarations du président français sur l’Ukraine, suggérant que « rien ne doit être exclu » quant à un éventuel envoi de troupes en Ukraine, ont exacerbé ces désaccords, même si Emmanuel Macron a justifié en privé ses prises de position par une nécessaire « ambiguïté stratégique ». Cette stratégie risquée s’inspire de la « stratégie du fou », popularisée par Richard Nixon, qui consiste à adopter un comportement imprévisible pour déstabiliser l’adversaire.

La Russie pourrait également exploiter la crise migratoire comme un outil de déstabilisation de l’Europe. En facilitant ou en encourageant les flux migratoires en provenance de régions instables ou en conflit, Moscou chercherait à créer des tensions sociales et politiques au sein des pays européens. Selon un rapport de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), une victoire russe en Ukraine pourrait entraîner un afflux massif de réfugiés et de migrants vers l’Europe, mettant ainsi à rude épreuve les capacités d’accueil et d’intégration des États membres. De plus, la Russie pourrait utiliser l’arme migratoire comme moyen de pression politique, menaçant de déclencher des vagues migratoires incontrôlées si l’UE adoptait des mesures contraires à ses intérêts.

 

Conséquences mondiales

La consolidation du pouvoir de Poutine en Russie serait le résultat direct d’une victoire sur l’Ukraine. Pour le politologue russe Andrei Kolesnikov, « une victoire en Ukraine serait un succès majeur pour Poutine et consoliderait sa position en tant que leader incontesté de la Russie. » Cette réussite militaire renforcerait la popularité et la légitimité de Poutine sur la scène politique russe, consolidant ainsi son autorité et son contrôle sur le pays. En renforçant son pouvoir intérieur, Poutine serait en mesure d’étendre son influence à l’extérieur, utilisant la victoire en Ukraine comme un levier pour accroître l’hégémonie russe dans la région et au-delà. De plus, une victoire russe pourrait entraîner un effet domino géopolitique, incitant d’autres acteurs régionaux à adopter une approche plus agressive en matière d’expansion territoriale. Comme l’a souligné le professeur britannique de relations internationales Richard Sakwa, « une victoire en Ukraine pourrait encourager d’autres puissances à suivre l’exemple russe et à remettre en question l’ordre mondial établi. » La Chine, en particulier, pourrait être encouragée à intensifier ses revendications territoriales en mer de Chine méridionale et à l’encontre de Taïwan. Une telle escalade des tensions aurait des répercussions majeures sur la stabilité régionale en Asie et pourrait déclencher une nouvelle course aux armements dans la région. Enfin, une victoire russe affaiblirait encore davantage la Pax Americana, le système d’alliances et de leadership mondial établi par les États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La perception d’une réduction de l’influence et de la fiabilité des États-Unis pourrait inciter d’autres acteurs régionaux à remettre en question l’alliance américaine et à rechercher de nouvelles alliances ou à adopter une politique étrangère plus autonome. En outre, en cas de conflit dans le détroit de Taïwan, une zone cruciale pour le commerce mondial, les répercussions économiques seraient significatives. Une perturbation des flux commerciaux dans cette région aurait des répercussions importantes sur les chaînes d’approvisionnement mondiales

En conclusion, une victoire de la Russie sur l’Ukraine serait bien plus qu’une simple défaite militaire pour ce pays. Elle représenterait un nouveau facteur de déstabilisation des relations internationales, affaiblissant une nouvelle fois l’influence mondiale des Etats-Unis. Les conséquences d’une telle issue toucheraient tous les domaines de la vie politique, économique et sociale. Outre la répression de la population ukrainienne et l’intensification des tensions en Europe, une telle victoire renforcerait également l’autoritarisme de Poutine en Russie et pourrait encourager d’autres actions territoriales de la part d’acteurs régionaux tels que la Chine.

Retrouvez le thread diffusé par le compte @CartesDuMonde sur X (anciennement Twitter), à l’origine de cet article, grâce au lien suivant : https://x.com/CartesDuMonde/status/1768998180366991569?s=20

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La dérive machiste des Passport Bros

La dérive machiste des Passport Bros

Les « Passport Bros », animés par une frustration vis-à-vis des mouvements d’égalité des sexes dans leur propre pays, ces hommes recherchent activement des partenariats où ils peuvent maintenir un contrôle et une supériorité clairs, souvent en exploitant leur statut économique et national dans des contextes moins développés. Cette démarche révèle non seulement des attitudes misogynes et néocolonialistes mais aussi une profonde croyance en une hiérarchie de genre traditionnelle qui devrait prévaloir, sous couvert de recherche de liberté et de relations « plus simples ».

Fuite machiste et quête de domination

À première vue, le mouvement des « Passport Bros » peut apparaître comme une échappatoire romantique, une quête de liberté personnelle et d’acceptation dans un monde globalisé. Sur les réseaux sociaux, forums en ligne et vidéos YouTube, ces hommes, majoritairement américains, narrent leurs aventures au-delà des frontières nationales. Ils décrivent des contrées comme les Philippines, la Colombie ou l’Ukraine, louant non seulement l’hospitalité et l’accueil chaleureux des populations locales, mais aussi la facilité apparente d’y vivre et de s’y établir financièrement. Ces récits, souvent teintés d’une excitation pour l’exotique et l’inexploré, projettent une image de liberté sans contraintes où les normes sociales américaines semblent diluées. En effet, ils soulignent souvent que 70 % des divorces aux Etats-Unis sont initiés par des femmes, ce qui les pousse à chercher ailleurs des dynamiques relationnelles qu’ils perçoivent comme plus équilibrées ou traditionnelles. Ces hommes cherchent avant tout des relations dans lesquelles les dynamiques de pouvoir leur sont plus favorables, et où ils peuvent, selon leurs termes, « retrouver leur virilité ». Cependant, cette quête de l’idéal cache souvent une réalité moins avouable. Loin d’être une simple recherche de nouveaux horizons ou d’une intégration harmonieuse dans une nouvelle culture, ce mouvement révèle une tentative de certains hommes de fuir les défis posés par les luttes modernes pour l’égalité des sexes. En recherchant des régions où les rôles traditionnels sont plus prononcés, ces « Passport Bros » aspirent non seulement à un changement de décor mais à un retour à un ordre social où leur statut dominant est moins contesté. Ce désir de domination se manifeste non seulement dans la préférence pour des partenaires perçus comme moins émancipés ou moins exigeants, mais aussi dans l’exploitation économique des disparités de richesse entre leur pays d’origine et les pays d’accueil. Cette démarche, souvent masquée sous le vernis de l’aventure et de l’auto-découverte, révèle des aspects profondément problématiques du mouvement, remettant en question les motivations réelles derrière leur désir d’expatriation(1).

Colonialisme de genre et exploitation des femmes locales

Dans les pays ciblés par les « Passport Bros », les conséquences pour les communautés féminines locales sont souvent sévères et problématiques. En attirant des hommes étrangers principalement intéressés par des relations asymétriques, fondées sur une dynamique de pouvoir déséquilibrée, ce mouvement exacerbe les inégalités existantes et renforce des stéréotypes de genre nocifs, tout en déconstruisant la notion de prostitution telle qu’elle est perçue dans les pays occidentaux. Les femmes sont fréquemment perçues et traitées comme des marchandises dans un marché transactionnel de mariages internationaux, où leur valeur est réduite à leur capacité à incarner des rôles traditionnels ou soumis, comme le souligne Marion Bottero, anthropologue et chercheuse au Centre de recherche bruxellois sur les inégalités sociales, dans une interview donnée à la RTBF. “Ce ne sont pas juste des passes, ça peut parfois durer tout le temps du voyage voire se transformer en union. C’est ce que l’on nomme un échange économico-sexuels et affectifs, ce n’est pas strictement des rapports sexuels pour de l’argent. D’ailleurs l’échange d’argent est souvent camouflé, il se fait indirectement, via une tierce personne. » Cette objectification contribue non seulement à la dégradation de l’image des femmes dans ces sociétés mais renforce également une structure patriarcale où les femmes sont économiquement et socialement dépendantes de leurs partenaires étrangers. Dans le contexte des « Passport Bros », cette dépendance économique joue un rôle prépondérant dans la restriction des opportunités pour les femmes dans les régions ciblées, notamment au Brésil où la prostitution est légale. Celles-ci se trouvent souvent dans l’impossibilité de poursuivre des études ou de développer une carrière, car leur survie économique dépend entièrement de leurs partenaires étrangers. Cette situation crée un cycle vicieux de dépendance, qui non seulement entrave leur développement personnel et professionnel, mais les prive également de toute autonomie. L’absence d’autonomie économique est un obstacle majeur à l’indépendance des femmes, car sans moyens financiers propres, il est extrêmement difficile de prendre des décisions libres concernant leur vie personnelle ou professionnelle. Le manque d’accès à l’éducation et à des opportunités professionnelles qualitatives perpétue leur position de dépendance et limite leur capacité à se libérer de relations potentiellement exploiteuses ou abusives. Les ruptures ou les conflits au sein de ces relations pourraient laisser des femmes sans ressources, confrontées à des stigmates sociaux et à l’isolement. L’impact de ces dynamiques ne se limite pas aux individus mais s’étend aux familles et aux communautés entières, altérant les attentes sociales et mettant en péril les progrès vers l’égalité des sexes(2). Des chercheurs et universitaires comme Cynthia Enloe, Kamala Kempadoo, ou encore Deborah Pruitt, alertent sur ces conséquences à long terme, soulignant la nécessité urgente de politiques et de programmes qui soutiennent l’émancipation et l’autonomie des femmes dans ces régions, tout en combattant les préjugés et les abus inhérents à ce phénomène complexe et souvent troublant.

Masculinité en crise et réponses transnationales

Le mouvement des « Passport Bros » soulève des questions significatives concernant la perception de la masculinité et des relations amoureuses dans différents contextes culturels. Cette quête transnationale pour des partenaires est intimement liée à la façon dont la masculinité est vécue et exprimée par ces hommes, souvent en réaction à leurs expériences dans leur pays d’origine où ils peuvent se sentir marginalisés ou dévalorisés. Dans de nombreux cas, les « Passport Bros » cherchent à réaffirmer une certaine image de la masculinité qu’ils perçoivent comme étant érodée dans leurs sociétés d’origine. Aux États-Unis, par exemple, les débats autour de la masculinité toxique, du féminisme et de l’égalité des genres ont conduit certains hommes à se sentir dépossédés de leur rôle traditionnel. En se tournant vers des pays où les structures de genre sont perçues comme plus traditionnelles ou moins contestées, ces hommes cherchent des environnements où leur autorité et leur rôle en tant que « chef de famille » ne sont pas remis en question. Cette recherche d’un retour à une masculinité « authentique » s’inscrit dans un cadre plus large de relations amoureuses transnationales. Les « Passport Bros » tendent à idéaliser les relations dans les pays cibles, perçues comme plus sincères ou authentiques en comparaison avec les relations dans leur pays d’origine, jugées comme étant trop régulées par des normes d’égalité ou d’indépendance des femmes. Pour Théo(3), qui a rencontré sa femme asiatique lors d’un échange ERASMUS : “ A l’étranger, on ne m’a pas parlé comme un sous-homme (…) Si on remettait au point la masculinité et la féminité, il n’y aurait pas de passport bros.”

Cette idéalisation ignore souvent la complexité des relations réelles dans ces pays et minimise les défis auxquels les couples peuvent être confrontés du fait de différences culturelles ou économiques importantes. Les réseaux sociaux utilisés par les passport bros jouent un rôle crucial dans la manière dont ce phénomène est perçu positivement dans les pays cibles, même si les médias internationaux, notamment occidentaux, sont souvent critiques, décrivant le mouvement des « Passport Bros » comme une forme de néo-colonialisme ou de sexisme, où des hommes profitent de leur privilège économique et de leur statut pour exploiter des femmes dans des contextes plus vulnérables.

Néo-colonialisme sexuel : une pratique aux racines anciennes

Dans le panorama du néo-colonialisme, le mouvement des « Passport Bros » émerge comme une incarnation moderne de pratiques bien plus anciennes, telles que les mariages par correspondance du XIXe siècle. Ces derniers, nés dans des contextes où les hommes de régions nouvellement peuplées des États-Unis cherchaient des épouses en zones urbaines via des catalogues détaillés, reflètent un désir similaire de stabilité domestique à travers des frontières géographiques. Cependant, les « Passport Bros » exploitent les technologies modernes pour établir des liens plus personnels et directs, tout en recherchant des partenaires dans des régions où les structures traditionnelles de genre sont prédominantes, ce qui constitue une forme de néo-colonialisme sexuel. Cette pratique implique l’utilisation de leur position privilégiée, souvent en termes économiques, pour influencer et établir des relations avec des partenaires issus de contextes moins favorisés, reflétant ainsi une dynamique de pouvoir inégale. Parallèlement, d’autres groupes contemporains, tels que certains expatriés occidentaux, montrent des comportements analogues mais souvent moins polarisés par une critique explicite des rôles de genre. Ces expatriés peuvent chercher à s’immerger ou à s’intégrer dans une nouvelle culture sans pour autant rejeter explicitement les valeurs de leur propre culture. En revanche, les « Passport Bros », par leur quête explicite de partenaires dans des régions conservatrices et leur rejet des normes de genre perçues comme restrictives dans leurs sociétés d’origine, illustrent une réaction spécifique à la globalisation et aux transformations sociales. Cette juxtaposition met en évidence non seulement les nuances qui existent avec le tourisme sexuel, mais aussi les défis éthiques persistants et les dynamiques de pouvoir complexes qui les caractérisent.

En conclusion, le mouvement des « Passport Bros » révèle une dimension sombre et complexe de la migration relationnelle moderne. Sous prétexte de chercher l’amour à l’étranger, ces hommes souvent motivés par des idéaux néo-coloniaux et machistes, cherchent à établir des dynamiques de pouvoir traditionnelles qui favorisent leur domination. Ce phénomène met en lumière non seulement les inégalités globales persistantes mais aussi les profondes insatisfactions culturelles et personnelles que vivent certains hommes dans leurs pays d’origine. En définitive, la critique de ce mouvement ne doit pas seulement porter sur les individus qui le composent, mais aussi sur les structures sociales et économiques qui le permettent, soulignant un besoin urgent de réformes globales en matière de genre, d’égalité et de justice sociale pour protéger les plus vulnérables dans ce dialogue transnational.

Références

(1)https://www.rtbf.be/article/passport-bros-simple-tendance-tiktok-ou-tourisme-sexuel-deguise-11295942

(2)Pour approfondir les thèmes discutés, comme les impacts des relations transnationales sur les femmes dans les pays en développement, les stigmates sociaux, et les implications sur l’égalité des sexes, voici une sélection de textes et d’études qui pourraient être utiles. Ces sources couvrent divers aspects de la sociologie, de l’anthropologie, et des études de genre :

  1. Jeffreys, Sheila. « Sex Tourism: Do Women Do It Too? » Dans *Leisure Studies*, vol. 22, no. 3, 2003, pp. 223-238.
  2. Kempadoo, Kamala. « Sexing the Caribbean: Gender, Race and Sexual Labor. » Routledge, 2004.
  3. Pruitt, Deborah, et LaFont, Suzanne. « For Love and Money: Romance Tourism in Jamaica. » Dans *Annals of Tourism Research*, vol. 27, no. 4, 2000, pp. 422-440.
  4. Wonders, Nancy A., et Michalowski, Raymond. « Bodies, Borders, and Sex Tourism in a Globalized World: A Tale of Two Cities—Amsterdam and Havana. » Dans *Social Problems*, vol. 48, no. 4, 2001, pp. 545-571.
  5. Constable, Nicole. « Romance on a Global Stage: Pen Pals, Virtual Ethnography, and « Mail Order » Marriages. » University of California Press, 2003.
  6. Zelizer, Viviana A. « The Purchase of Intimacy. » Princeton University Press, 2005.
  7. Enloe, Cynthia. « Bananas, Beaches and Bases: Making Feminist Sense of International Politics. » University of California Press, 1990.

(3)https://www.radiofrance.fr/mouv/podcasts/reporterter/reporterter-du-jeudi-29-fevrier-2024-8076613

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Anticor souhaite renforcer l’éthique dans les institutions européennes

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À l’approche des élections européennes de juin 2024, l’association Anticor, reconnue pour son engagement contre la corruption et pour la transparence de la vie publique, a mis en avant plusieurs propositions visant à renforcer l’intégrité et la transparence au sein de l’Union européenne. Ces mesures ciblent à la fois les candidats aux élections et les eurodéputés en exercice, dans l’espoir d’améliorer la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques.

La première proposition d’Anticor vise à assurer l’intégrité des candidats en exigeant qu’ils soient en règle avec l’administration fiscale et qu’ils aient un casier judiciaire vierge de toute infraction à la probité. Cette exigence serait également maintenue tout au long de leur mandat.

En matière de transparence, Anticor propose de rendre obligatoire la publication détaillée et régulière sur le site du Parlement européen des activités des eurodéputés et de leurs collaborateurs. Cela inclurait leur présence et leur participation aux votes en commission et en plénière, avec des sanctions automatiques pour l’absentéisme.

Pour ce qui est des indemnités, une réforme majeure serait l’introduction d’un système justificatif pour l’utilisation des indemnités de frais généraux, qui s’élèvent à 4 950€ par mois. Cela mettrait fin au système actuel de l’enveloppe et renforcerait la responsabilité des eurodéputés quant à l’usage de ces fonds publics.

Anticor appelle également à la création d’un organe éthique européen indépendant, chargé de surveiller l’application des règles d’éthique et de probité au sein des institutions et agences de l’UE. Cet organe permettrait également aux associations agréées de le saisir en cas de manquement.

Lutter contre les conflits d’intérêt et réguler le lobbying

La lutte contre les conflits d’intérêts est aussi une priorité, avec la demande pour tous les responsables publics européens de déclarer leur patrimoine et leurs intérêts à leur prise de fonction et de mettre à jour ces informations régulièrement. Anticor souhaite également un encadrement strict des activités parallèles et des reconversions, en particulier dans le domaine du lobbying.

En ce qui concerne le lobbying justement, la proposition est de rendre obligatoire un registre de transparence commun aux trois principales institutions européennes (Parlement, Conseil et Commission), qui détaillerait les activités des lobbyistes et garantirait la traçabilité des textes législatifs, de leur élaboration à leur vote.

Autres mesures importantes, l’interdiction pour les responsables publics de recevoir des cadeaux ou d’accepter que des tiers prennent en charge leurs frais, la lutte renforcée contre la corruption par une nouvelle directive européenne, la lutte contre l’évasion fiscale, et l’accès facilité aux données économiques d’intérêt général en abolissant la directive sur le secret des affaires.

Anticor souhaite aussi limiter la concentration des médias pour assurer la transparence et le pluralisme de l’information, ainsi que la création d’un fonds pour soutenir financièrement les lanceurs d’alerte et pour sanctionner les poursuites-bâillons, renforçant ainsi la protection de ceux qui dénoncent les abus.

Ces propositions, si elles étaient adoptées, marqueraient un tournant significatif dans la manière dont l’Union européenne gère l’éthique et la transparence, contribuant potentiellement à restaurer et à renforcer la confiance des citoyens européens dans leurs institutions.

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Des trains bientôt moins chers avec Kevin Speed ?

Des trains bientôt moins chers avec Kevin Speed ?

Ce nouvel opérateur promet des prix défiants toute concurrence : 3 euros pour 100km, dès 2028. Mais qu’en est-il réellement ? décryptage.

Avez-vous entendu parler de Kevin Speed, cette nouvelle start-up française qui entend révolutionner le secteur ferroviaire ? réalisons les présentations.

Ce nouvel opérateur souhaite faire rouler des trains « hybrides », entre le TGV et le RER, en France. Ces trains rouleront à la vitesse des TGV tout en étant conçu comme un système de RER : des trains desservants plusieurs communes, sans réservation, avec une tarification au trajet.

L’offre illisto, proposée par Kevin Speed, concerne à ce stade trois lignes : Paris-Lille ; Paris-Strasbourg ; Paris-Lyon. Des arrêts sont prévus sur plusieurs communes pour chacune de ces lignes (par exemple pour Strasbourg : Meuse TGV, Lorraine TGV ; pour Lyon : le Creusot, Mâcon). Surtout, le point fort apparent de cette offre, serait ses prix : Kevin Speed annonce un prix d’environ 3 euros pour 100 kilomètres (mais précisons, en heures creuses), avec pour Paris-Lille, un coût de trajet égal à 5 euros. Enfin, la fréquence de ces trois lignes serait assez importante, avec jusqu’à 16 passages quotidiens par ligne. L’entreprise compte également proposer des abonnements plus attractifs basés sur la fréquence : plus l’usager emprunte le service, plus le coût de son abonnement serait réduit. Nous ne connaissons pas encore le contour des abonnements qui seront proposés (prix, fréquences nécessaires pour bénéficier d’un tarif réduit, etc.)

Sur son site internet, l’entreprise évoque également que les cheminots seront actionnaires de l’entreprise, et qu’une première levée de fonds, soutenue par BPI France a été conduite. Enfin, Kevin Speed indique vouloir répondre à un nouveau besoin, lié à l’émergence du télétravail, et de l’éparpillement géographique de la population.

 Les premiers essais sont prévus pour 2026, et le lancement des circulations pour 2028, sous réserve de la validation du projet par l’Autorité de Régulation des Transports. L’opérateur vient de signer un contrat avec SNCF Réseau, lui permettant de bénéficier des sillons pour faire circuler ses trains(1).

L’entreprise s’appui sur le modèle du « low-cost »

Pour pouvoir proposer de tels prix, Kevin Speed s’appuie sur un modèle économique basé sur le « low-cost », similaire à ce qui peut être mis en place par certaines compagnies aériennes (comme Ryanair).  

D’abord, le nombre de sièges va être augmenté grâce à la suppression l’ensemble des services (ex. wagons-bar ; première classe), permettant ainsi un gain de place. Plus le nombre de sièges est important, moins le prix est élevé car le coût est davantage rentabilisé. Ce modèle est viable à condition que les trains ne roulent pas régulièrement à vide ou à moitié rempli. L’entreprise annonce que les trains seront équipés de portes supplémentaires par rapport à un TGV classique permettant aux voyageurs d’entrer et de sortir plus rapidement, réduisant ainsi le temps d’arrêt. La réduction de ce délai permet de gagner de précieuses minutes pour faire rouler davantage de trains sur une journée donnée. Ce principe est déjà utilisé pour les nouvelles rames de métro parisiennes (on pense notamment à la ligne 14 ou encore la ligne 11).

Il est fort à parier qu’en plus du tarif basique, de nombreuses options soient proposées, faisant ainsi augmenter les prix (ajout d’un bagage / d’un vélo / utilisation d’une prise, etc.).

L’entreprise annonce également que ses trains rouleront plus vite. Ce point reste à déterminer, puisque cela dépendra des trains dont il disposera et d’un certain nombre de paramètres techniques sur lesquels nous ne reviendrons pas ici.

Les limites de l’offre de Kevin Speed

L’offre est prometteuse. Nous sommes favorables à la démocratisation du transport ferroviaire pour tous et toutes, à la fois pour les déplacements du quotidien comme pour les vacances : pour des raisons d’égalité, et pour favoriser les modes de déplacement qui génèrent moins de gaz à effet de serre. Rappelons-le, le train est le mode de transport le moins polluant, en comparaison avec la voiture individuelle.

Pourtant, nous voyons plusieurs écueils à cette offre, et plusieurs points restent en suspens.

D’abord, le choix de ces 3 lignes n’est pas anodin : ce sont parmi celles qui sont le plus rentables du réseau. Le choix de se positionner sur des petites lignes, aurait été plus étonnant. Kevin Speed a certainement l’intention d’élargir son offre en cas de réussite pour ces trois premières lignes. Cette extension, concernera très certainement d’autres lignes rentables et déjà très fréquentées. Ainsi, les nouvelles entreprises ferroviaires à but lucratif qui émergent, ne se soucieront jamais des petites lignes déficitaires, pourtant essentielles pour dessertir de manière fine l’ensemble des communes du territoire. Leur financement restera à la charge des Régions, tant qu’elles et le gouvernement décideront de les maintenir.

Ensuite, sur le coût, effectivement les prix affichés sont très attractifs. Mais les tarifs annoncés porteront bien sur les heures creuses : les prix lors des horaires les plus fréquentés, restent encore un mystère. EDF pour l’électricité, la SNCF et son offre Ouigo, proposent déjà des tarifs réduits en heures creuses. Rien de révolutionnaire sur ce point.

Un autre problème majeur, porte sur la réservation. Il est effectivement révolutionnaire de ne pas avoir besoin de réserver son train (pour les TER, c’est déjà le cas) et cela réduit considérablement la charge mentale liée aux déplacements : cependant, les risques de congestion sur une même ligne, aux heures de pointe, ne sont pas à exclure.

De plus, plusieurs obstacles restent à lever pour l’entreprise. D’abord, elle ne dispose pas à ce stade de l’autorisation pour rouler, qui est desservit par l’ART : ce devrait a priori être réglé, il y a peu de chance que l’ART refuse à Kevin Speed son autorisation.

Autre point, l’achat des trains : Kevin Speed indique que les tests démarreront en 2026, pour mise en circulation en 2028, mais encore faut-il que les 20 rames commandées à Alstom, soient produites. Surtout, pour pouvoir disposer de ces rames, il faut pouvoir les payer. L’entreprise, après sa première levée de fonds, cherche à récolter un milliard d’euros pour pouvoir mettre son projet en route. Une somme colossale qui peut étonner. Il faut toutefois rappeler que le matériel roulant, et l’exploitation de lignes ferroviaires, coûtent très cher. Le coût d’entrée est d’ailleurs extrêmement dissuasif, ce qui explique aussi pourquoi la concurrence, qui devait sauver le train selon l’Union européenne, n’est pas si efficace(2).

La concurrence de Ouigo

La question qu’on pourrait légitimement se poser, est la différence entre l’offre de Kevin Speed et celle de Ouigo. Ouigo est l’offre « low-cost » de la SNCF, lancée en 2013. Elle représente aujourd’hui 20% du marché de la grande vitesse en France, comprend une cinquantaine de destinations et a transporté près de 110 millions de voyageurs sur la période 2013-2023.

Tout comme Kevin Speed, le modèle économique de Ouigo est basé sur le low-cost : des prix réduits (1 voyageur sur 2 a voyagé avec Ouigo pour moins de 25 euros), des trains et des plans de roulement optimisés, des wagons pouvant accueillir davantage de voyageurs (+25% par rapport à un TGV classique avec la suppression de wagons de type première classe ; wagon bar), des options payantes, le développement de différentes offres comme « Ouigo essentiel » ou « Ouigo plus ».

A propos des prix, nous pouvons légitimement nous interroger sur la capacité de Kevin Speed à maintenir des prix autour de 3 à 5 euros. Les prix affichés aujourd’hui, pourraient être l’exception plutôt que la norme. Ainsi, ses prix pourraient se rapprocher fortement de ceux de Ouigo.

Enfin, les dirigeants de Ouigo se fixent des objectifs ambitieux pour les prochaines années. D’abord, augmenter significativement le nombre de voyageurs d’ici 2030, de 110 aujourd’hui à 200. Ensuite, augmenter la part de marché de Ouigo, de 20% à 30% en 2030. Tout ceci sera possible grâce à l’acquisition de nouvelles rames dotées d’une capacité supérieure disponibles d’ici 2025, et également grâce à l’extension de son offre en Espagne.

En bref, Ouigo mène une politique offensive, et qui fonctionne. Celle que souhaite mettre en place Kevin Speed, se rapproche grandement de la stratégie Ouigo, elle-aussi, actrice du ferroviaire low-cost. L’existence de deux acteurs du low-cost sur le marché ferroviaire est possible, comme c’est le cas pour l’avion. Pour autant, le territoire étant réduit, et les lignes ayant des capacités finies, on peut s’interroger sur la capacité de ces deux acteurs, à coexister sur le même territoire.

Le train doit être le moyen de déplacement du futur, pour des raisons écologiques et sociales. Ses prix, pour permettre sa démocratisation au plus grand nombre, doivent diminuer. Pour autant, le réseau a une fin : il n’est pas possible de faire rouler un nombre infini de trains sur une même ligne, notamment sur les plus fréquentées, la ou la concurrence se concentre.

L’utilisation de la voiture individuelle reste encore trop importante. Mais nous ne pouvons pas condamner ce mode de transport, sans offrir une réelle alternative aux citoyens. Aujourd’hui, de nombreuses communes, ne sont pas desservies par le train ni aucun moyen de transport en commun viable. La voiture reste l’unique solution, et devient ainsi un goulot d’étranglement de plus en plus important, du fait de l’augmentation de son coût (assurance, essence, etc.). L’émergence de nouvelles entreprises est intéressante, bien que la coexistence de deux acteurs ferroviaires low-cost sur un même marché national, interroge. Pour autant, le problème majeur, reste l’exploitation des petites lignes, et de celles qui devraient être construites dans le futur pour mieux mailler le territoire. Ces entreprises à but lucratif, ne s’y intéresseront jamais puisqu’elles ne sont pas rentables. La puissance publique doit se saisir de ce sujet et mener une réelle politique autour des petites lignes ferroviaires. Les initiatives autour des RER métropolitains, sont une bonne chose, mais doivent être accompagnées de réels moyens.

Références

(1)Rappelons que le gestionnaire d’infrastructures est SNCF Réseau, que chaque entreprise ferroviaire souhaitant faire circuler des trains sur le réseau en libre-accès, doit lui adresser une demande. Les entreprises ferroviaires s’acquittent auprès de SNCF Réseau, de péages.

(2)Sur le sujet de l’ouverture à la concurrence, nous vous invitions à approfondir le sujet avec cet article

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