Les femmes : grandes perdantes des législatives 2024 et de la montée de l’extrême-droite

Les femmes : grandes perdantes des législatives 2024 et de la montée de l’extrême-droite

Suite aux élections législatives, les débats ont été houleux pour déterminer le grand gagnant. Pourtant, une partie de la population en sort perdante : les femmes. Elles sont encore davantage sous-représentées à l’Assemblée, mais surtout le vote pour l’extrême-droite augmente (même parmi elles), mettant fortement en danger leurs droits. Comment expliquer la progression du vote féminin pour l’extrême-droite ?

Le 09 juin 2024, peu après la publication des résultats des élections européennes, Emmanuel Macron annonce la dissolution de l’Assemblée nationale. Le 1er tour des élections aura lieu le 30 juin, le 2 nd, le 07 juillet :  cette annonce suscite une vague de stupeur dans tout le pays. Les citoyens ont deux nouvelles à assimiler : l’extrême-droite est en tête du scrutin européen et ils iront revoter plus tôt que prévu.

C’est alors que, déjouant les sondages, les Français et Françaises placent le Nouveau Front Populaire (alliance de la gauche et des écologistes) en tête du scrutin avec 192 sièges (en ajoutant les candidats divers gauche), Ensemble en 2ème force avec 163 députés et le Rassemblement National en 3ème position avec 143 sièges. Ensemble parvient ainsi à se stabiliser et bien que le Rassemblement National soit déçu de son positionnement dans l’échiquier politique, il double quasiment son nombre de députés par rapport à la précédente législature (89 députés en 2022). L’échec n’en est pas vraiment un.

Et ce, d’autant plus que le NFP ne dispose pas d’une majorité suffisante. Cela étant dit, il est encourageant de voir que le projet politique qui est porté à gauche parle toujours aux citoyens et citoyennes.

Une partie de la population française sort cependant perdante de ces élections : les femmes. Leur nombre a baissé au sein des institutions, atteignant un niveau assez bas en 2024 après de nombreuses améliorations depuis le début des années 2000, et la percée de l’extrême-droite est un signal dangereux pour leurs droits.

  1. Les femmes moins nombreuses au sein des institutions politiques

Quel est le nombre de femmes dans les institutions politiques ? On compte désormais 208 femmes au sein de l’Assemblée, quand il y en avait 215 en 2022 et 224 en 2017. Le Sénat compte lui 126 sénatrices sur 348[1] (environ 36%). A titre de comparaison, en Andorre, 50% des sénateurs sont des femmes, 46,7% pour la Suède.

Au-delà de la régression observée, la parité n’a jamais été atteinte à l’Assemblée ni au Sénat depuis l’adoption de la loi du 6 juin 2000 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. Cette loi oblige les partis politiques qui ne présentent pas à minima 50% de candidates lors des élections à s’acquitter de pénalités mais il n’y a pas d’obligation en termes de nombre de femmes élues.

Dans les différents partis présents à l’Assemblée, on compte 41,7% de femmes élues chez le NFP, 39,3% pour Ensemble, 32,2% pour le RN, 30,3% pour Les Républicains[2]. Pour une élection organisée aussi rapidement, les sortants ont bien évidemment un privilège et il s’agit en majorité d’hommes.

Afin d’être élues, les femmes doivent d’abord être candidates. En 2024, 41% des candidats étaient des femmes. Le NFP en a présenté 48%, le RN 49%, Ensemble 45%, LR 33%. Comment expliquer que le nombre d’élues soit sensiblement inférieur ? Nous pourrions évoquer des différences de configurations entre les territoires dans lesquels elles sont investies et ceux où candidatent les hommes, ou encore, une part de hasard. Mais ce n’est pas tout.

Une enquête du Monde[3] a analysé les candidatures aux législatives 2024 au regard des résultats des élections européennes sur l’ensemble des circonscriptions. Les conclusions révèlent que les femmes ont tendance à être investies dans des circonscriptions non-gagnables (41% d’entre elles). A titre d’exemple, dans les territoires ou le RN a surperformé aux européennes de 2024, les 2/3 des candidats sont des hommes.

La désignation des postes à l’Assemblée est davantage paritaire. D’abord, la présidente de l’Assemblée est une femme, même s’il faut mentionner que c’est la seule depuis le début de la Vème République. Sur les 21 membres du bureau de l’Assemblée (vice-présidents, questeurs, secrétaires), 13 sont des femmes. Les chiffres se compliquent pour la désignation des présidents des commissions permanentes : on ne retrouve que 2 femmes sur 8, à la tête des commissions des affaires culturelles / éducation et du développement durable et de l’aménagement durable. Les commissions dans les domaines « régaliens » tels que les affaires économiques, la défense, les finances sont confiées à des hommes.

Au-delà de la représentation dans les institutions, aucune femme n’a été présente lors des débats télévisés sur les grandes chaînes durant les élections législatives. Marine Tondelier devait représenter le NFP lors du troisième débat, mais cela lui a été refusé, Jordan Bardella prétextant ne pas vouloir débattre avec elle, et les médias considérant qu’un débat avec Jean-Luc Mélenchon serait sans doute meilleur pour les audiences.

  1. La progression du vote des femmes pour le Rassemblement National

Depuis le début des années 2000, on observe une progression importante du vote des femmes en faveur du Rassemblement National.

Aux élections européennes de 2024, 30% des femmes ont voté pour Jordan Bardella contre 19% en 2019[4]. Aux dernières législatives, 32% des femmes ont voté pour le RN. A titre de comparaison, 11% des femmes ont voté pour Jean-Marie Le Pen aux élections présidentielles de 2002[5].  

Cette augmentation peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Elle peut partiellement être corrélée aux sujets qui influencent le plus le vote des Français : pour 43% d’entre eux, il s’agit de l’immigration, pour 45% du pouvoir d’achat, devant la protection de l’environnement (27%) et le système de santé (26%). En 2019, l’immigration comptait pour 32%[6]. L’augmentation de l’influence de ce sujet sur les intentions de votes a certainement eu un impact positif pour le RN.

Par ailleurs, est-ce la fin de ce qu’on appelle le radical right gender gap en France ? Théorisé par Terri E. Givens, chercheuse afro-américaine, cette notion désigne le fait que les femmes rejettent massivement l’extrême-droite dans les élections, en raison de l’influence religieuse, d’une socialisation différenciée, ou encore des valeurs extrêmes et violentes prônées par ce courant politique[7]. Pourtant ce « gap » entre le vote des hommes et celui des femmes s’effondre en France, de manière importante depuis les années 2010 et ce, toutes élections confondues.

Il faut nuancer en indiquant que la réduction de ce gap ne trouve pas une équivalence similaire dans d’autres pays européens : en Allemagne, uniquement 12% des femmes ont voté pour l’AfD aux dernières élections européennes, en Espagne 5,3% des femmes ont voté pour Vox lors du même scrutin[8]. Ces données peuvent signifier que certains facteurs expliquant la montée de l’extrême-droite en France sont spécifiques à son paysage politique et social, notamment les effets de la dédiabolisation du RN, ainsi que la présence à sa tête d’une femme, ce qui peut tromper le message.

  1. Quelles sont les raisons expliquant la progression du vote des femmes pour l’extrême-droite ?

Lors des débats télévisés et des passages médiatiques de ces élections législatives, la question des droits des femmes a été peu abordée. Toutefois, une vidéo postée par Jordan Bardella le 17 juin a fait bondir bon nombre d’organisations féministes. Dans celle-ci, il promet de « garantir de manière indéfectible à chaque fille et à chaque femme de France ses droits et ses libertés » en cas de victoire du Rassemblement National. 

Force est de constater que malgré les alertes des féministes sur le danger de que représente l’extrême-droite pour les droits des femmes, ces paroles arrivent à convaincre. Comment l’expliquer ?

En 1983, Andrea Dworkin, autrice américaine spécialiste des questions relatives au féminisme, s’intéressait déjà à ce sujet dans son ouvrage intitulé : Les femmes de droite.

Selon elle, l’extrême-droite, par son idéologie et son programme, ne propose aux femmes qu’une protection de façade. En effet, cette protection repose sur l’idée que, si ces dernières se conforment à des rôles traditionnels, elles ne seront pas confrontées à la violence, ou du moins, pas à la violence extérieure à celle du foyer : « De la maison du père à la maison du mari et jusqu’à la tombe qui risque encore de ne pas être la sienne, une femme acquiesce à l’autorité masculine dans l’espoir d’une certaine protection contre la violence masculine[9] ». Selon elle, les femmes de droite pensent que le statut conjugal va les protéger de toutes les violences : physiques, sexuelles, économiques. Faut-il rappeler que le foyer est l’endroit qui les concentrent ? Dans 45% des cas, les viols sont commis dans l’enceinte du foyer ou par un conjoint ou un ex-conjoint selon le ministère de l’Intérieur[10].

L’extrême droite amène ainsi certaines femmes à préférer la sécurité à leur liberté.

Ce premier élément de lecture pourrait expliquer l’essor important des mouvements dits « antiféministes », ou conservateurs, notamment sur les réseaux sociaux. Des personnalités comme Thais d’Escufon, future chroniqueuse pour Hanouna et anciennement porte-parole de Génération identitaire avant sa dissolution, font la promotion d’idées d’extrême-droite en matière de droits des femmes, notamment issues du mouvement des « tradwife », qui prône le retour de la femme au foyer. Sans surprise, elles militent également contre le droit à l’avortement. Les propos de certaines sont très polémiques et instrumentalisent la science afin de propager des idées masculinistes. Dans ses vidéos youtube, Thais d’Escufon a notamment pu déclarer : « les femmes sont programmées biologiquement à désirer des hommes qui leur sont supérieurs[11] », ou encore : « le plus grand mensonge du féminisme a été de faire croire aux femmes qu’avoir une carrière était plus important que d’être chez elle à s’occuper des enfants ». Elle rejette ici toute forme d’indépendance de la femme vis-à-vis de l’homme. Elle cumule près de 40 millions de vues sur sa chaîne, 200 000 abonnés, près de 70 000 followers sur X : cette audience, tout comme les propos véhiculés, sont évidemment très inquiétants.

Une autre explication du vote pour l’extrême-droite réside dans la formation progressive de ce qu’on pourrait appeler un prolétariat de services. La tertiarisation du travail ainsi que l’augmentation de la part des femmes dans les emplois ouvriers ont entraîné une augmentation du vote féminin pour l’extrême-droite. Les femmes occupent aujourd’hui majoritairement des emplois soit dans les services, soit dans le secteur du care : ils sont généralement assez mal payés, précaires, à temps partiel. Ces profils sont donc également une cible pour l’extrême-droite. Lors des élections législatives de 2024, c’est pour le RN que les employés (44%) et les ouvriers (57%) ont le plus voté[12].   

Autre argument régulièrement évoqué : l’arrivée d’une femme à la tête d’un parti d’extrême-droite le rend plus respectueux des droits des femmes. Angelina La Marca, candidate RN aux législatives 2024 proclamait « notre tête de parti, Marine Le Pen est une femme. Notre place est bien primordiale au niveau du RN ». De nombreux contre-exemples à cet argument peuvent être évoqués : d’abord Giorgia Meloni. Avec son parti nationaliste Fratelli d’Italia, elle représente un énorme danger pour les droits des femmes : il n’y a pour cela qu’à regarder ce qui est fait dans ce pays à ce sujet depuis son accession au pouvoir. Ces dernières années, plusieurs femmes en Europe ont pris la tête de partis d’extrême-droite : hormis Meloni et Le Pen, on peut aussi mentionner Alice Weidel en Allemagne (Alternative für Deutschland).

Pour le Rassemblement National, l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête a contribué à sa dédiabolisation et à lisser ainsi son image, ce qui peut également expliquer l’augmentation des votes féminins. L’émergence de la stratégie de dédiabolisation du RN est en effet plus ou moins corrélée à l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête. Il est intéressant de constater que pour le parti d’Eric Zemmour, dont les idées d’extrême-droite sont davantage affirmés publiquement, le right gender gap est toujours présent : lors de la présidentielle de 2022, 6% des femmes (le double pour les hommes) ont voté pour Reconquête selon l’IFOP.

De plus, dans un pays où l’immigration est un sujet qui influence de plus en plus le choix du vote (43% selon un sondage IFOP), une lecture des violences faites aux femmes sous le prisme de l’immigration permet d’entretenir la peur et de gagner des voix. Jordan Bardella indiquait d’ailleurs à ce titre « Nous reprendrons le contrôle de notre politique migratoire en expulsant les délinquants criminels étrangers, en instaurant des peines planchers, en renforçant sévèrement les sanctions contre les violences faites aux femmes ». Il donne ici l’illusion de se préoccuper des violences commises contre les femmes : pourtant, il semble lui aussi ignorer que le foyer concentre l’essentiel des violences, et que 87% des auteurs de viols étaient de nationalité française en 2023[13]. Le Rassemblement National exacerbe les souffrances, et les relie toujours, en jouant sur les peurs individuelles, à une seule explication : l’immigration.

Dernier facteur explicatif de l’augmentation du vote féminin (comme masculin) pour l’extrême-droite : la banalisation de certains médias qui prônent ces idéaux. Leur audience ne fait d’ailleurs qu’augmenter : celle de CNEWS a notamment enregistré, entre juin 2023 et juin 2024, une augmentation de 1,1 point. Il s’agit de la chaîne qui enregistre la progression la plus importante ces dernières années[14]. Certains records sont également battus par certaines émissions phares, comme celle de Pascal Praud, connu pour ses propos extrêmement polémiques et ouvertement d’extrême-droite. CNews n’est qu’un bloc qui compose l’empire médiatique de Bolloré (avec Europe 1, le groupe Canal+, etc.), proche des idées d’extrême-droite. Les chaînes du groupe sont régulièrement épinglées par l’Arcom : au total, on peut dénombrer environ 46 mises en garde, en demeure et amendes depuis près de 10 ans. Le régulateur a d’ailleurs pris la décision à l’été 2024 de ne pas renouveler à C8 sa fréquence TNT[15].

 Ils font la promotion des idées d’extrême-droite, racistes, homophobes, antiféministes. Ils s’appuient sur l’instrumentalisation de certains évènements pour désigner l’immigration comme responsable de tous les maux, notamment de la violence faites aux femmes : ce fut par exemple le cas des évènements commis en 2015 lors de la Saint-Sylvestre à Cologne en Allemagne. Si l’extrême-droite s’intéressait réellement aux femmes, elle approfondirait son analyse sur les violences à leur encontre avec des données disponibles très facilement qui prouvent que l’immigration n’est pas le sujet.

  1. Le RN à l’épreuve de ses actes et de son programme

Rien ne sera plus parlant qu’une analyse approfondie des mesures proposées par le Rassemblement National en matière de droits des femmes, ainsi que de ses votes à ses sujets dans les institutions au sein desquelles il siège (notamment l’Assemblée nationale et le Parlement européen).

D’abord, sur l’égalité professionnelle et salariale. Les femmes ont plus de difficultés que les hommes à atteindre certains postes à haute responsabilité. En 2015 dans la haute fonction publique d’Etat, 61,7% des postes de catégorie A étaient occupés par des femmes ; ce chiffre tombe à 32% pour les postes de direction[16].

Enfin, les revenus salariaux moyens des femmes sont inférieurs de près de 24% à ceux des hommes dans le secteur privé[17]. Les femmes accumulent certaines discriminations et handicaps, les empêchant d’accéder à certains postes, à certaines filières (par exemple le numérique et la science) et d’avoir un niveau de rémunération similaire. Le Rassemblement National s’oppose à la stratégie conduite par l’Union européenne en faveur de l’égalité femmes-hommes[18]. En 2020, ils se sont également opposés à une résolution sur l’écart de salaire entre les hommes et les femmes[19]. En juillet 2023, cette fois-ci à l’Assemblée, le RN a voté contre la loi visant à renforcer l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique[20]. En 2021, les députés RN n’ont pas pris part au vote de la loi Rixain, visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle[21]. Supprimer les inégalités professionnelles et salariales n’est donc pas la priorité de ce parti.

Sur la santé des femmes, le RN propose de reconnaître l’endométriose comme une affection de longue durée. Il faut souligner qu’ils arrivent après la bataille, puisqu’une proposition de résolution sur cette maladie a été portée par des députés de gauche en 2021[22]. L’endométriose pèse sur la santé et la fertilité des femmes, mais ce n’est pas la seule : il faudrait pouvoir élargir le spectre et s’intéresser à l’ensemble des maladies et des violences médicales qui touchent les femmes, améliorer la sensibilisation et l’accompagnement tout au long de la vie notamment pour la ménopause, etc. L’endométriose et sa prise en compte ne constituent pas une politique de santé pour les femmes[23]. Il s’agit simplement ici pour le RN de surfer sur un sujet médiatisé ces dernières années.

Pour l’interruption volontaire de grossesse, le sujet est plus complexe. En effet, pour poursuivre sa dédiabolisation, le RN ne s’est pas opposé à sa constitutionnalisation : Marine Le Pen a voté pour, aux côtés de 46 des 88 députés que compte le parti (11 contre, 20 abstentions, 11 absents).

Si, en apparence, le RN ne semble ainsi pas s’opposer à l’IVG, certains actes indirects peuvent toutefois permettre à l’extrême-droite de réduire son accès et de dévoiler par là-même ses réelles intentions. Au-delà de la constitutionnalisation, les femmes doivent en effet disposer des moyens d’accès à cet acte médical. Or, des barrières telles que la clause de conscience, qui existe en Italie, peuvent entraîner certains médecins à refuser de le pratiquer et donc à obstruer indirectement son accès. La réduction du délai légal est également un moyen d’obstruction : en février 2022, des élus RN ont déposé au parlement un amendement contre l’allongement, de douze à quatorze semaines, du délai pour pratiquer une IVG[24].

De même, les votes du RN au Parlement européen, moins médiatisés au niveau national, traduisent son opposition à ce droit. En 2024, les eurodéputés RN se sont abstenus à de voter l’inscription du droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ils se sont également opposés en 2021 au projet de rendre l’accès à l’IVG gratuit, ainsi qu’à la condamnation de l’interdiction du droit à l’avortement en Pologne.

Concernant la lutte contre les violences (physiques, sexuelles, psychologiques) faites aux femmes, le RN propose d’inscrire les harceleurs de rue au fichier des délinquants sexuels. Qu’est-ce que cela implique concrètement ?

L’association Stop au harcèlement de rue considère que la répression ne peut être l’unique moyen de lutter contre ces actes. Cette proposition est encore un prétexte pour s’en prendre aux étrangers, considérés par l’extrême-droite comme des harceleurs. Rien ne le prouve, l’harceleur n’a pas de visage prédéfini. De plus, les syndicats de police dénoncent une mesure qui transformerait le fichier des délinquants sexuels (le Fijais) en « fourre-tout », regroupant les personnes qui ont commis des viols, des agressions sexuelles, des actes de pédocriminalité et des actes de harcèlement[25].

Aucune autre mesure phare n’est proposée en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Le RN propose toutefois de « régler la promesse de l’immigration pour mieux protéger les femmes dans l’espace public ». Le problème reste encore et toujours l’immigration, la solution, la sanction.

Au Parlement européen, le RN a également refusé que la France ratifie la convention d’Istanbul[26], texte contraignant en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Dans un communiqué de 2020, le parti indique au sujet de cette convention que : « Celle-ci, sous couvert de prévention contre les violences faites aux femmes, entend imposer des politiques immigrationnistes et reconnait la théorie du genre. Les États ayant fait le choix souverain de ne pas la ratifier, ou souhaitant en sortir, sont vilipendés, en particulier la Hongrie et la Pologne, boucs émissaires récurrents de la Commission européenne pour leur refus de se voir dicter leurs politiques nationales, en particulier en matière d’immigration[27]. ». Le RN indique ainsi refuser de lutter contre les violences faites aux femmes au prétexte que cela favoriserait une politique d’immigration et félicite des pays comme la Hongrie et la Pologne, qui bafouent depuis plusieurs années les droits des femmes. Tout un programme.

Sur la parentalité, le RN propose de soutenir les familles « françaises » avec des réductions d’impôts à partir du 2ème enfant et la possibilité de prétendre à un prêt à taux zéro pour les couples qui ont un 3ème enfant. Cette mesure interroge non seulement par son caractère nataliste, mais surtout parce que ce qui se cache derrière « couple » n’est pas explicitement évoqué. Il s’agit certainement de couples dits traditionnels, schéma donc les parents célibataires et les couples homosexuels seraient probablement exclus. Ces mesures n’ont rien d’étonnant, l’extrême-droite a toujours défendu des valeurs familiales traditionnalistes et pris avec attention le sujet de la natalité. Rien n’est indiqué dans le programme sur l’accès aux moyens de garde, ni sur les congés parentaux.

Enfin, en ce qui concerne l’éducation sexuelle des enfants, le RN souhaite la suppression des cours d’éducation sexuelle à l’école auxquels se substituerait une sensibilisation à la puberté et à la reproduction, tout en permettant aux parents de ne pas y inscrire leurs enfants. Selon le Haut Conseil à l’Egalité, une grande majorité des enfants scolarisés ne bénéficient déjà pas de ces enseignements. La sensibilisation par la puissance publique est importante « compte-tenu des enjeux posés en matière de citoyenneté, d’égalité femmes-hommes et de santé, il est de la responsabilité des pouvoirs publics de répondre à tou.te.s les jeunes par des informations objectives, sans jugement ni stéréotype »[28]. Selon l’OMS, le port de préservatifs par les jeunes lors de rapports a fortement baissé ces dernières années : la réduction de la sensibilisation sur ces sujets augmentera encore ce chiffre, et donc le développement de maladies sexuellement transmissibles. 

  1. L’extrême-droite au pouvoir en Europe : quelles politiques pour les droits des femmes ?

L’extrême-droite en France n’a jamais été essayée : cet argument est revenu à plusieurs reprises lors des élections législatives de 2024. Pourtant, cette affirmation est fausse. Surtout, l’expérience des pays voisins nous permet de tirer un bilan peu reluisant des politiques adoptées par l’extrême-droite en matière de droits des femmes.

Les sujets qui ont cristallisé les actions des partis d’extrême-droite au pouvoir en Europe sont, sans surprise, l’accès à l’IVG, la défense de la natalité et des valeurs familiales traditionnelles.

Comme l’a déclaré en 2023 Eugenie Rocalla, ministre de la famille et de la natalité en Italie[29], « oui, l’avortement fait malheureusement partie du droit des femmes ». En Italie la loi sur l’IVG (loi 194) n’a pas été attaquée. Toutefois, les entraves à ce droit sont nombreuses. Certaines régions restent sur un délai maximum de 7 semaines pour pratiquer une IVG médicamenteuse, alors que ce dernier a été étendu à 9 semaines dans la loi[30]. Les subventions à destination des hôpitaux publics pratiquant l’IVG ont été réduites, quand celles des hôpitaux privés catholiques ont fortement augmenté. Ce phénomène est particulièrement remarquable dans les régions italiennes dirigées par des partis fascistes tel que le Piémont qui a également doté des associations pro-vie d’un million d’euros de subventions. Toujours dans cette région, les associations pro-vie accueillent et « conseillent » les femmes souhaitant avoir recours à une IVG.

Un autre type d’entrave est l’objection de conscience, permettant aux médecins de refuser de pratiquer une IVG. Ils sont de plus en plus nombreux en Italie : on touche ici à l’accès des femmes à l’IVG, sans pour autant officiellement l’obstruer. Toujours dans l’idée de défendre « la vie », une proposition d’initiative populaire a été lancée pour insérer un amendement dans la loi 194 obligeant les femmes à écouter le cœur de l’embryon avant d’avorter. Une telle pratique a d’ailleurs été adoptée en 2022 en Hongrie. Ce pays a également signé en 2020 la déclaration du consensus de Genève, sur la promotion de la santé de la femme et le renforcement de la famille, qui s’attaque directement à l’accès et au droit à l’IVG.  Elle a été signée par près de 35 États, et est la plus grosse coalition mondiale pro-vie[31].

Autre exemple, la Pologne : en 2021, la Cour constitutionnelle polonaise a interdit pratiquement intégralement l’accès à l’avortement en rendant impossible les IVG même si le fœtus est atteint d’une malformation grave, irréversible ou encore, d’une maladie menaçant sa vie. Des témoignages indiquent également que les femmes polonaises souhaitant recourir à une IVG sont harcelées, soumises à des fouilles arbitraires.

Loin de favoriser la santé des femmes et de réduire le nombre d’IVG, de telles pratiques et obstructions mettent en danger les femmes qui vont pratiquer des avortements dans des conditions risquées, pouvant aboutir à la mort. Il s’agit d’un bond en arrière dans le temps et d’un recul important des droits des femmes.

Au sujet des droits des LGBTQIA+, l’extrême-droite défend une vision conservatrice et traditionnelle de la famille, ce n’est donc pas étonnant qu’elle s’attaque à ces minorités. En Italie, dans la région de la Vénétie, 33 actes de naissances ont été contestés, au titre que seulement les mères biologiques pouvaient être reconnues : une manière donc d’attaquer les couples lesbiens. Meloni se présente elle-même comme une défenseuse de la famille traditionnelle, en opposition au « lobby » LGBT[32].

En Hongrie, la répression est importante contre les minorités de genre. Des lois ont également été adoptés en 2021 pour interdire aux mineurs l’accès à des contenus LGBTQIA+[33].

Ce qu’il faut retenir de toutes ces attaques de l’extrême-droite c’est le changement de vision et de discours : ces partis ne se disent plus anti-avortement mais pro-vie. Ils ne sont plus en défaveur du mariage homosexuel, ils veulent défendre le modèle de la famille traditionnelle. Ce changement de rhétorique suffit à en convaincre quelques-uns, même s’il ne s’agit que d’un écran de fumée.

  1. Que nous dit l’histoire sur l’extrême-droite ?

S’il faut continuer à convaincre du fait que l’extrême-droite et ses idées n’ont pas évolué et situer la réflexion en France, il n’est pas non plus inutile de regarder du côté des politiques mises en œuvre sous certains régimes comme Vichy en matière de droits des femmes.

La famille et le maintien de la natalité ont toujours été des valeurs prônées par l’extrême-droite : c’était bien le cas sous Vichy avec cette fameuse devise « travail, famille, patrie ». La femme est assujettie à une seule fonction, celle de mère de famille, en charge de la procréation : la propagande va bon train. La journée des mères est instaurée le 25 mai 1941.

Leur accès à l’emploi va être réduit, notamment avec la loi du 11 octobre 1940 qui interdit aux services de l’Etat et aux collectivités locales d’embaucher des femmes. De nombreuses femmes sont licenciées, notamment dans les PPT[34]. Les conditions d’accès au divorce sont également considérablement réduites, l’avortement qualifié comme un « crime ».

C’est en ce sens un retour en arrière par rapport à la vision portée par le Front Populaire sur les droits des femmes (sans que toutefois cela puisse déboucher sur des réformes concrètes) : « il appartient au Front populaire de réaliser l’émancipation de la femme[35] ». En effet le FP, et Léon Blum en personne, portaient une vision émancipatrice des femmes, bien éloignée de l’idéal de la femme comme n’étant qu’une génitrice. Lors du procès politique de Léon Blum en 1942 (qui se tient dans le cadre du procès de Riom), ce dernier sera accusé, avec d’autres, d’avoir mené la France à la ruine et à la défaite, non seulement à cause de son programme, mais également de sa vision des droits des femmes. Dans Du mariage, il prône notamment leur libération sexuelle, l’ouverture des mœurs.

Pour conclure, il est indéniable qu’en France, les femmes votent de plus en plus pour l’extrême-droite. Diverses raisons peuvent expliquer la réduction du radical gender gap : d’abord, la stratégie de dédiabolisation du RN, mettant en avant une figure féminine forte, un discours plus lisse, soutenu par des médias écoutés par de nombreux Français et Françaises. Ensuite, une peur croissante de l’insécurité et de l’augmentation des violences, que les médias associent fréquemment et malheureusement à l’immigration.

Il n’y a qu’à observer les votes des élus RN dans diverses institutions, et les politiques mises en œuvre dans d’autres pays d’Europe pour se rendre compte que, malgré la dédiabolisation et les discours médiatiques, les idées et les actes n’ont pas changés : l’étranger est toujours le responsable de tous les maux, l’idéologie reste la même.

Mais la raison de l’augmentation du vote féminin pour l’extrême-droite n’est-elle qu’une question de genre ? Ce vote ne peut être décrypté uniquement sous ce prisme. La sociologie compte pour beaucoup, avec notamment l’émergence d’un prolétariat de service, majoritairement féminin et l’augmentation de la précarité au travail. Lors des élections législatives de 2024 :

  • 57% des ouvriers, 40% des chômeurs, 44% des employés ont voté pour le RN ;
  • 61% des personnes qui ne se disent pas du tout satisfaites de leur vie ont voté pour le RN ;
  • 54% des personnes qui se considèrent comme défavorisées ont voté pour le RN ;
  • 41% de ceux qui disent boucler juste leur budget, 46% de ceux qui indiquent vivre sur leurs économies ou grâce à un ou plusieurs crédits, ont voté pour le RN[36].

Le constat est clair : le vote RN capte les Français et les Françaises des milieux populaires et ayant des difficultés à joindre les deux bouts. Au-delà de la question du genre, il faut croiser cet élément de lecture avec celle de la situation sociale et professionnelle. La question sociale et économique doit être posée, pour espérer réduire le nombre de votantes pour l’extrême-droite et leur donner un réel et concret espoir à gauche.

Références

[1] Observatoire des Inégalités (2023) : la parité ne progresse plus au Sénat et à l’Assemblée nationale : https://inegalites.fr/paritefemmeshommespolitique

[2] France Info (2024) : résultats des élections législatives 2024 : https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/infographies-resultats-des-elections-legislatives-2024-visualisez-la-part-de-femmes-qui-siegeront-dans-le-nouvel-hemicycle-en-legere-baisse-par-rapport-a-2022_6653433.html

[3] Le Monde (2024) : les femmes sont-elles investies dans les circonscriptions les moins favorables ? https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/06/26/legislatives-2024-les-femmes-sont-elles-investies-dans-les-circonscriptions-les-moins-favorables_6243813_4355770.html

[4] IPSOS (2024) : décryptage du scrutin des élections européennes : https://www.ipsos.com/fr-fr/europeennes-2024/sociologie-des-electorats-2024#:~:text=En%20termes%20de%20sexe%20et,%25%20%C3%A0%2026%25%20des%20voix

[5] Public Sénat (2024) : élections législatives 2024, le profil des électeurs en 7 points : https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/elections-legislatives-2024-le-profil-des-electeurs-en-7-points#:~:text=Le%20vote%20n’a%20plus%20vraiment%20de%20genre&text=Seuls%20les%20%C3%A9lecteurs%20du%20RN,droite%20contre%2032%20%25%20de%20femmes

[6] IPSOS (2024) : comprendre le vote des Français: https://www.ipsos.com/fr-fr/europeennes-2024/comprendre-le-vote-des-francais-2024

[7] CNRS, Mathieu Stricot (2023) : droite radicale, les femmes s’y mettent aussi (et surtout en France) https://lejournal.cnrs.fr/articles/droite-radicale-les-femmes-sy-mettent-aussi-surtout-en-france

[8] TV5 Monde (2024) : le vote féminin pour l’extrême-droite : une spécificité française en Europe https://information.tv5monde.com/terriennes/le-vote-feminin-pour-lextreme-droite-une-specificite-francaise-en-europe-2728124

[9] Andrea Dworkin (1983), Les femmes de droite

[10] Insee, sécurité et société : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5763591?sommaire=5763633

[11] Chaîne youtube de Thais d’Escufon, « hypergamie le secret bien gardé des femmes » https://www.youtube.com/watch?v=l6PcVTHQxQw&t=149s

[12] IPSOS (2024) : sociologie des électorats et profil des abstentionnistes élections législatives 2024 : https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2024-06/ipsos-talan-sociologie-electorats-legislatives-30-juin-rapport-complet.pdf

[13] Insee, sécurité et société : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5763591?sommaire=5763633

[14] Pure Medias (2024) : record historique pour CNews plus forte que BFMTV pour le 2ème mois d’affilée, LCI chute, FranceInfo revit : https://www.ozap.com/actu/audiences-juin-2024-record-historique-pour-cnews-plus-forte-que-bfmtv-pour-le-deuxieme-mois-d-affilee-lci-chute-franceinfo-revit/644688#:~:text=Cinqui%C3%A8me%20cha%C3%AEne%20de%20France%2C%20elle,et%20r%C3%A9p%C3%A9t%C3%A9%20en%20mai%202024.

[15] Le Monde (2024) : C8 perd sa fréquence sur la TNT, retrouvez toutes les sanctions de l’Arcom contre C8 et Cnews : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/07/25/c8-perd-sa-frequence-sur-la-tnt-retrouvez-toutes-les-sanctions-de-l-arcom-contre-c8-et-cnews_6223105_4355771.html

[16] Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes : repères statistiques https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/parite/reperes-statistiques/

[17] Insee (2024) : écart de salaire entre femmes et hommes en 2022 https://www.insee.fr/fr/statistiques/7766515#:~:text=%C3%89cart%20de%20salaire%20entre%20femmes%20et%20hommes%20en%202022%20Dans,de%20travail%20et%20poste%20comparables&text=En%202022%2C%20le%20revenu%20salarial,hommes%20dans%20le%20secteur%20priv%C3%A9.

[18] Commission européenne : stratégie en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/policies/justice-and-fundamental-rights/gender-equality/gender-equality-strategy_fr

[19] Legislative observatory European Parliament : resolution sur l’écart entre hommes et femmes (2020) https://oeil.secure.europarl.europa.eu/oeil/popups/summary.do?id=1606927&t=e&l=fr

[20] Legifrance, loi n°2023-623 du 19 juillet 2023 visant à renforcer l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047862217

[21] Legifrance, loi n°2021-1774 du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044559192/

[22] Assemblée nationale, proposition de résolution n°4766 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4766_proposition-resolution

[23] Voir les propos de Suzy Rotman sur le sujet

[24] Assemblée nationale, proposition de loi constitutionnelle n°293 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0293_proposition-loi#:~:text=Enfin%2C%20en%202022%2C%20le%20Parlement,%C3%A0%2014%20semaines%20de%20grossesse.

[25] 20Minutes, présidentielle 2022 : pourquoi l’inscription des harceleurs de rue au fichier des délinquants sexuels ne convainc pas https://www.20minutes.fr/politique/3250107-20220310-presidentielle-2022-pourquoi-inscription-harceleurs-rue-fichier-delinquants-sexuels-convainc

[26] Parlement européen : la convention d’Istanbul, un outil pour lutter contre les violences à l’encontre des femmes et des filles https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2020/659334/EPRS_ATA(2020)659334_FR.pdf

[27] Rassemblement national (2020) : droits des femmes et des LGBT, quels sont les vrais objectifs de la commission européenne ? https://rassemblementnational.fr/communiques/droits-des-femmes-et-des-lgbt-quels-sont-les-vrais-objectifs-de-la-commission-europeenne

[28] Haut Conseil à l’Egalité (2016) : rapport relatif à l’éducation à la sexualité : https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_rapport_sur_l_education_a_la_sexualite_synthese_et_fiches_pratiques.pdf

[29] L’existence d’un tel ministère pose question et en dit long sur l’importance porté par l’extrême-droite à la famille et à la natalité.

[30] Politis (2024) : Italie, dans les régiosn Giorgia Meloni et ses alliés mettent en danger l’IVG https://www.politis.fr/articles/2024/03/italie-dans-les-regions-giorgia-meloni-et-ses-allies-mettent-en-danger-livg/

[31] European centre for law & justice : la déclaration de consensus de Genève, une coalition internationale pro-vie sans précédent https://eclj.org/abortion/un/the-geneva-consensus-declaration-an-unprecedented-international-pro-life-coalition?lng=fr

[32] Union syndicale Solidaires (2024) : l’extrême droite est et sera toujours l’ennemie des femmes et des minorités de genre https://solidaires.org/sinformer-et-agir/brochures/argumentaires/lextreme-droite-est-et-sera-toujours-lennemie-des-femmes-et-des-minorites-de-genre/

[33] Ibid

[34] France Info (2016) : à Vichy, la femme était exclusivement une mère https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/histoires-d-info-a-vichy-la-femme-etait-exclusivement-une-mere_1836569.html

[35] Juin 1936, déclaration du communiste Jacques Duclos

[36] L’ensemble de ces données proviennent du sondage IFOS mentionné plus tôt

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A Marseille, Videodrome 2 un festival permanent

A Marseille, Videodrome 2 un festival permanent

Avec plusieurs séances par jour, un esprit à mi-chemin entre le cinéclub et les principes de l’éducation populaire, Vidéodrome 2 est vivant à la fois des personnes qui le traversent et des images qu’on y découvre et forme un laboratoire culturel original au sein de la cité phocéenne.

Ma première interaction avec le cinéma marseillais Videodrome 2 s’est faite sur le comptoir d’un bar. Car voilà, si le lieu abrite évidemment un cinéma, on y accède d’abord par une petite buvette et, chose étrange dans un monde désormais régi par Netflix et consorts, on y trouve même un vidéo-club ! Un des derniers de France en l’occurrence…[1] Il ne m’en fallait pas plus pour m’enticher du lieu. Discrètement installé sur le Cours Julien, en plein cœur de la cité phocéenne, le Videodrome 2 est d’une espèce de cinéma qui se fait rare. Bien plus qu’une simple salle de projection, il est en réalité le domicile d’un projet culturel remarquable, pratiquant l’hospitalité comme philosophie. C’est avec cet esprit que j’ai été accueilli par Claire et Charlie dans leur charmante et conviviale salle obscure. La première est cofondatrice du projet, la seconde chargée de la coordination générale de la programmation. Pour Le Temps des Ruptures, elles ont bien voulu répondre à nos questions. 

Le Temps des Ruptures : Corrigez-moi si je me trompe, le Videodrome 2 est né d’une idée, d’une envie première, celle « d’ouvrir une salle où l’on montrera les films qu’on veut voir ». Cela pourrait surprendre mais, de fait, cette position initiale vous a d’emblée placé en marge de l’exploitation cinématographique conventionnelle, et plus précisément dans le champ de la diffusion non-commerciale. Un choix atypique et audacieux qui fait du Videodrome 2 un cinéma franchement pas comme les autres ! Non ?  

Charlie : L’histoire, telle que je l’ai apprise, c’est qu’il y a dix ans, le projet s’est fondé au regard d’un double manque dans le paysage cinématographique marseillais : à la fois de propositions et de lieux de projection (Marseille était alors une des villes en France avec le moins de sièges par habitant pour les salles de cinéma). Il y avait en effet ce besoin de créer un lieu qui puisse modestement répondre à ces ambitions. 

A mon sens, la meilleure façon de décrire le Videodrome 2 dans sa pratique quotidienne aujourd’hui, c’est de parler d’un festival permanent ; avec une et jusqu’à quatre séances par jour, chacune d’entre elle pensée comme un ciné-club (présentation-projection-discussion), le lieu est vivant à la fois des personnes qui le traversent et des images qu’on y découvre : patrimoine du cinéma redécouvert, art vidéo, films expérimentaux, courts métrages autoproduits ou documentaires visibles seulement en festival. Les projections sont d’ailleurs parfois accompagnées de gestes artistiques – des lectures, des performances. D’autres fois, des sélections de livres sont préparées par des librairies partenaires et installées dans le bar. Le lieu se fait aussi hôte d’ateliers, à destination ou non du jeune public, de montage, de bruitage, de programmation… Tout cela, à l’initiative de l’équipe mais aussi d’un collectif élargi du lieu : les ami·es, les ancien·nes de l’équipe, les voisin·es, les associations locales, les festivals, les chercheur·euses et curateur·ices, les cinéastes ! La programmation composite du Videodrome 2, combinée à la pratique du prix libre, permet l’accès à une vraie curiosité du regard. 

 

 

Claire : En effet, nous étions plusieurs à l’origine du projet à rêver un espace de cinéma qui accueillerait les films que nous souhaitions nous-mêmes découvrir. Un égoïste désir cinéphile. L’audace de repenser l’hétérotopie que la salle peut offrir. Le lieu d’une pratique de la mise en commun. Ce, en nous échappant de la logique de l’actualité cinématographique, de cet éternel présent qui fige tout retour dans un rapport de consommation refusé. Cette relation cinéphile nous semblait lovée dans l’idée de cinéclub, à même d’activer une relation vivante et historique au cinéma à travers, par exemple, la question patrimoniale. Le cinéma expérimental est aussi une frange de la production cinématographique qui trouve portes closes hors propositions festivalières. Si de belles propositions de diffusion existaient, aucun lieu marseillais ne se destinait à se faire l’écrin de ces propositions dans une démarche régulière, autre qu’événementielle. Enfin, à cette époque, Marseille était singulièrement peu dotée en cinémas d’exploitation, jouissait d’un marché immobilier accessible, ce qui nous a laissé la place pour imaginer cette aventure et la concrétiser dans une ville par ailleurs porteuse de dynamiques associatives riches et multiples, impliquant parfois à son corps défendant le “do it yourself” et l’autogestion. Avec le soutien d’origine de la Ville, en action dès le début, et les lignes budgétaires ESS (Économie Sociale et Solidaire) qui existaient à l’époque à la Région Sud, des allocations chômage suffisantes pour assumer une période bénévole de lancement pour certain.es, les conditions étaient réunies. 

Que veut le quartier dans son cinéma ? (et il peut vouloir des auteur.rices internationales !) Le Videodrome 2 a été pensé ainsi : être le miroir des relations au cinéma des personnes et des associations de personnes qui s’y impliquent, en embrassant diverses subjectivités, et donc les divers régimes d’images qu’elles mobilisent. Il a fallu alors, partant de cette envie première, inventer la structure administrative, juridique et économique qui nous permettrait de lui donner forme. La diffusion non commerciale s’est imposée du fait de la diversité des formes que nous serions amené.es à proposer, puisque l’exploitation commerciale amène à de nombreuses contraintes, notamment techniques, programmatiques, économiques donc organisationnelles. Ainsi, nous programmons tout, dans tous les formats, dans la limite des contraintes budgétaires et des ayants droit, sauf l’actualité cinématographique qui nous est strictement interdite.

Des réflexions stratégiques et des questions pragmatiques ont aussi influé sur la forme du projet. Nous ne pouvions espérer avec un mono écran et 49 places pouvoir proposer plus de 8 à 9 projections hebdomadaires. Avec le coût qu’elles impliquent.  Il nous fallait aussi respecter le régime juridique de la diffusion non commerciale. L’idée d’une profusion d’actes de programmation impliquait de multiplier les films et les partenaires et donc de partir sur le one shot. Ce, également avec la lucidité de pouvoir mobiliser les publics sur une projection unique ne faisant pas l’objet d’une communication puissante tout en multipliant les canaux de communication via les partenaires. Ce qui en effet a donné la forme d’un “festival permanent” avec une programmation cinématographique différente chaque soir où la question du public comme on l’appelle, s’est posée dans une relation de confiance construite dans le temps et la durée. 

Après 10 années d’existence, nous constatons un lieu dont l’identité est très forte mais qui paradoxalement se fonde sur la pluralité et l’hétérogénéité, à tout point de vue. Une cohabitation de multiples cinéclubs en quelque sorte. Une seule règle : que la personne ou le regroupement de personnes qui programme présente le film (la discussion après séance pouvant rebuter certain.es.) et puisse affirmer ses choix.

 

LTR : Lors de notre échange, vous avez qualifié à plusieurs reprises votre activité de « projet de programmation ». Qu’entendez-vous par là ? On sait qu’au cinéma, le programmateur ou la programmatrice est celui ou celle qui, en deux mots, choisit les films projetés dans l’établissement. Or chez vous – et en harmonie avec votre tradition d’hospitalité – « tout le monde peut programmer », selon votre chouette formule. Pourquoi cette vision et comment la mettez-vous en œuvre ?  

Charlie : Claire pourra le raconter mieux que moi, mais Videodrome 2 à la fondation du projet c’est d’abord une idée collective de ce qu’est le cinéma. À mi-chemin entre l’esprit du cinéclub dont je parlais plus haut, et les principes de l’éducation populaire, une des valeurs centrales du projet c’est l’idée de la programmation amateure (au sens de non-professionnelle) : l’acte de proposer des films, de les éditorialiser, de les présenter en salle, est réalisé presque uniquement par des personnes dont « programmateur » n’est pas le métier. 

C’est pourquoi il s’agit toujours d’abord d’une rencontre entre le lieu et une personne : parfois c’est un·e spectateur·ice qui, secrètement fan de western et inspiré·e par une présentation en salle, voudrait se lancer « devant l’écran » ; parfois c’est un·e client·e au bar qui nous dit « au fait, est-ce que ce serait pas super de montrer des films autours d’imaginaires afrofuturistes ? ». Dans ce cas, cette « vision » s’incarne alors dans les cartes blanches (rétrospectives, thématiques…) qui constituent l’ADN de notre programmation, et que nous faisons le choix d’accompagner professionnellement sur la partie technique (recherche des copies, négociation des droits, communication…). Par ailleurs, cela prend aussi forme dans l’accueil de et le travail avec plus d’une soixantaine de partenaires, à Marseille et plus loin (Image de Ville, Mémoire des Sexualités, Peuple et culture, Documentaire sur grand écran…) avec qui nous faisons des séances à l’année.

Même s’il nous tient à cœur que des pépites cinématographiques classées trop confidentielles puissent être vues (un même film a rarement l’occasion d’être montré plusieurs fois dans notre salle), ce que je trouve intéressant, ce n’est pas tant la projection d’un film en particulier, mais bien la construction d’un ensemble par une voix subjective, à destination d’une communauté de regard. Nous sommes hôtes de ces programmations, qui amènent à rencontrer les films différemment ; le lien qui se crée en salle avec le public est toujours particulier en fonction de la (des) personne(s) qui programme(nt). 

 

 

Claire : Tout ce qu’énonce Charlie est très juste. Je reviens donc sur la fondation pour comprendre la structuration (en termes de gestion, en termes politiques). Nous étions plusieurs à avoir envie de proposer des films aux autres. Partant de ce constat, il était strictement impossible d’imaginer que la programmation soit éditorialisée à partir du désir d’une ou deux personnes. Ce constat a rencontré des réflexions politiques plus larges sur la programmation, sur la place du ou de la programmateur.ice (ou de la curateur.ice) dans notre société, de la construction de nos espaces culturels légitimes. L’Histoire des cinéclubs est aussi une Histoire de l’éducation populaire. Ces Histoires nous ont nourri.es tout comme d’autres lieux en Europe nous ont inspiré.es. Un critique et penseur comme Serge Daney m’a personnellement énormément nourrie. Pour lui, l’essence du cinéma se trouve peut-être du côté de l’acte de montrer, plus que dans les images : « si je vous montre quelque chose, vous me dites quelque chose ». Le cinéma est un moment de l’Histoire qui a proposé une écologie de la question-réponse, « d’une balle envoyée comme au tennis et d’un receveur ayant l’occasion de relancer ». « Le cinéma c’est l’art d’inventer des objets transitionnels et d’inventer des distances » (Itinéraire d’un ciné-fils).

Nous partagions profondément cette relation à l’espace de la salle et au cinéma. Ce faisant, nous avions à déconstruire de nombreux points : l’amateurisme face au professionnalisme tout en ne cédant rien à l’exigence, dé-coïncider les notions de qualité et de professionnalité, déconcentrer l’instance de programmation, réfléchir le partage de l’acte de programmation en dehors même du lieu, réfléchir la question de la légitimité (ou non) construite des différents régimes de l’image en mouvement, réfléchir la relation dialectique entre le spectateur.rice et le film par le fait même qu’il puisse à son tour être dans une possibilité souveraine de programmer. La démarche expérimentale a été aussi principiellement essentielle. Nous nous expérimentions comme nous construisions un espace pour expérimenter, à la fois dans notre façon de montrer des films et dans notre façon de nous organiser. 

Il est apparu fondamental que tout un chacun puisse formuler le souhait de programmer. Les voies de formulation sont multiples comme énoncées par Charlie. Elles ont évolué avec le temps. Boîte mail contact, espace bar, contiguïté spatiale ou affective. Bien sûr, tout le monde ne programme pas. Tout le monde n’a pas envie de programmer. Et s’autoriser (au sens de se rendre auteur, même racine latine) à programmer repose en permanence la question d’une conquête d’une forme de liberté. Nous aurons toujours à la réfléchir. Qui vient dans ce lieu, par quel biais ? Comment animer cette hétérogénéité qui pour moi est le substrat politique ? Comment échapper à la reproduction du même (mêmes goûts, mêmes espaces socioculturels, mêmes langages…). 

Les méthodes sont toujours à revoir, réinventer, déplacer. C’est l’idée contenue dans le terme laboratoire. Et notre projet, tout en souhaitant rendre vivante et existentielle la relation aux films, se situe du côté d’une réflexion du public. Éducation Populaire, équipement de proximité, cinéma de quartier, cinémathèque et ciné-club en ont été les maîtres mots. 

 

 

LTR : Au Videodrome 2 on diffuse de tout et parfois des films inclassables, le prix du billet y est libre (!) et on peut, en plus, soi-même proposer une programmation. C’est dire si c’est un lieu ouvert ! Cette ouverture, cette hospitalité encore une fois, c’est me semble-t-il votre ADN. Et vous accueillez tour à tour festivals, associations, universités et nombre d’autres structures qui savent trouver dans votre établissement un espace d’une grande liberté. Fières d’être un « laboratoire », vous pensez que les politiques publiques culturelles devraient être plus attentives à vos réussites pour concevoir leurs modèles. A quels endroits pensez-vous pouvoir combler un vide ?

Charlie : Depuis le début du projet, le Videodrome 2 a fait l’objet d’une attention et d’un soutien grandissant de la part des institutions et des collectivités territoriales, notamment de la part de la Ville de Marseille, sur qui nous pouvons compter sur une aide en fonctionnement. Bien sûr, nous cherchons toujours aujourd’hui, à mettre en lumière le travail qui est accompli au Videodrome 2 quotidiennement auprès d’un maximum d’acteurs. La difficulté est qu’à l’heure actuelle, le modèle associatif est de plus en plus soumis à un financement par projet (des budgets soumis pour des actions spécifiques, ne recouvrant pas l’entièreté de l’activité de la structure). Des aides comme celle de la Ville sont donc d’autant plus précieuses qu’elles se raréfient ; c’est le cas pour nous, mais également pour les partenaires avec qui nous travaillons, dont les économies se retrouvent fragilisées. Ce soutien permet donc de ne pas faire reposer nos revenus sur nos partenaires, et de pouvoir adapter nos besoins respectifs afin de pouvoir accueillir le plus de projets possible. C’est sans doute à cet endroit que notre hospitalité devient un levier ; cela crée une vraie dynamique de mise en réseau entre différents acteurs des champs culturels et associatifs locaux, de façon organique autour des envies qui leurs sont propres, et non imposées par le cadre d’un appel à projet. 

 

 

Claire : La nature a horreur du vide dit-on. Je ne sais pas si nous comblons un vide. Nous pouvons disparaître et nous serions dans certaines thèses, on parlerait peut-être de nous avec nostalgie ! Nous sommes un espace investi, dans tous les sens du terme. La question est plutôt comment nous interrogeons ce qui se fait et ce qui est considéré comme légitime, efficace, naturel. Comment est perçu le rôle de la culture ? Quels construits fondent notre idée d’un lieu culturel de qualité ? Nous entendons beaucoup parler d’éducation populaire à un moment de crise de notre modèle culturel, crise qui est le résultat de nombreux paramètres. L’échec de « la démocratie culturelle » est souvent pointé du doigt. D’une certaine façon, nos réussites indiquent peut-être certaines vertus de ce que nous défendons. Il y a une réussite précieuse en effet dans ce que nous fabriquons ensemble : créer du commun dans la pluralité en inversant la relation à l’autorité programmatique, en étant un outil pour d’autres. C’est un processus long. Nous tentons de combiner le luxe de cette ligne (qui a un coût et qui est tenue en partie grâce à l’engagement et la conviction des salarié.es) avec les contraintes économiques grandissantes. Notamment celles citées par Charlie. Nous sommes loin d’être les seules victimes du passage du financement en fonctionnement au financement par projet, qui étouffe littéralement tout un secteur associatif socioculturel (vous pouvez lire les travaux de Viviane Tchernonog ou le rapport 2023 Financement et fonctionnement du monde associatif : la marchandisation et ses conséquences) et donc tous les possibles en termes d’innovation sociales, économiques… 

Nous sommes très reconnaissant.es, et ce depuis le début, de la confiance témoignée par la Ville de Marseille, et par d’autres agents des collectivités territoriales que sont la Région PACA et le Département des Bouches-du-Rhône. Et nous ne remettons pas en question la nécessité, à l’heure où les collectivités sont elles-mêmes soumises à des tensions budgétaires massives, de répondre de notre activité, de témoigner d’une maîtrise de nos coûts de fonctionnement dans une relation de confiance avec nos tutelles. Nous avons un enjeu qu’elles comprennent pleinement notre utilité sociale.

Nous souhaitons plutôt interroge   »es p’litiques publiques  du c inéma à l’heure d’une crise des salles de cinéma (moins en termes de fréquentation que sur le spectre des œuvres proposées, la durée d’exploitation des films dits fragiles), des signes de perturbation du modèle français du cinéma. Ici, nous avons quelque chose à dire et à transmettre, avoir voix au chapitre peut-être, aux côtés d’autres projets que sont l’Aquarium à Lyon ou encore l’Univers à Lille. Voire des projets comme le Cosmos à Strasbourg qui essaie un autre type de gouvernance programmatique.

L’inflation de l’offre cinématographique est allée de pair avec le mouvement général d’augmentation du nombre de films en sortie, et l’explosion quantitative et qualitative des plateformes VOD, que le contexte de la pandémie de la COVID a accentué. Ces constats invitent les exploitants de salle à travailler le lien avec leurs publics et à réfléchir les pratiques spectatorielles et la complémentarité avec les plateformes. Que serait un projet d’expérimentation d’exploitation cinématographique qui articule dans une salle d’exploitation un champ non-commercial travaillé à partir des propositions des spectateurs et spectatrices qui la fréquentent ? Et ce de façon conséquente. Pas une ou deux projections mensuelles. De nombreuses salles tentent certaines formules (ateliers de spectateurs.trices, séance mensuelle cinéclub…). Mais elles reposent souvent sur l’engagement de leurs salarié.es, n’intègrent souvent le projet qu’en périphérie. Elles reproduisent parfois des logiques de cinéclubs élitistes ou tombent en désuétude du fait d’une inefficacité ressentie, d’un épuisement des investissements humains nécessaires, souvent bénévoles. 

Ceci dû peut-être au final à un manque de radicalité des propositions qui n’engagent pas les changements organisationnels (et les investissements financiers) nécessaires, et ce faisant un véritable changement de perspective. Il ne faut pas oublier que les salles d’exploitation art et essai ont construit leurs publics sur L’héritage des cinéclubs. Comment le cinéclub, dont une des raisons d’être a été de permettre la diffusion d’œuvres innovatrices avant que les salles d’art et d’essai n’existent, peut-il être un possible levier d’une politique publique du cinéma et de la salle, (voire de l’action culturelle, pour user du langage du management culturel) et constituer, dans un cadre renouvelé, intégrant pourquoi pas de nouvelles logiques techniques et générationnelles (Twitch par exemple), le ferment permettant de renouveler les conceptions de la diffusion des films et de se trouver encore à l’avant-garde de l’exploitation cinématographique en tant que terrain d’expérimentation ? Ceci ne saurait être qu’une initiative à haut niveau, de type CNC (Centre national du Cinéma et de l’Image animée), dans la mesure où il y aurait la nécessité d’un accompagnement (juridique, administratif, financier…). 

 

 

LTR : Je crois que, pris dans la vie de tous les jours, on ne se rend pas toujours compte de ce que nous devons au monde associatif, des missions ô combien diverses et nombreuses qu’il prend en charge. Dans ce contexte, la question des ressources des associations est cruciale. Comment vous débrouillez-vous financièrement ? Vous évoquiez une précarisation du milieu associatif culturel par la généralisation d’un modèle de financement par projets. Comment pensez-vous pouvoir être mieux soutenues ?  

Charlie : Je vais reprendre le terme que j’employais plus tôt de « festival permanent ». Il me permet de souligner, entre autres, le caractère unique de chaque séance, qui fait événement, et donc le nombre de tâches afférentes : depuis les rendez-vous préliminaires d’organisation, jusqu’à la communication finale, en passant par la recherches de copies (en pellicule 35mm ou 16mm puisque nous sommes encore équipés pour les projeter), la négociation des droits avec chaque distributeur, les devis pour chaque partenaire avec qui nous travaillons, tout l’administratif lié, la partie technique en régie… le tout, sur environ 350 séances par an. Et ce n’est là que la partie liée à l’association en charge du projet de programmation ; il faut aussi prendre en compte l’activité du bar, fonctionnant en SCOP (société coopérative de production), et ouvert six jours sur sept sur l’espace animé du Cours Julien.

 

Lorsqu’on prend la mesure de l’éventail de missions qui recouvrent la vie du lieu, on commence à mieux comprendre pourquoi il nécessite le travail de plus de quinze personnes à l’année (bien que toutes au SMIC, et contrats à temps partiel). On regrette donc, notamment, la réduction des aides à l’emploi telles que les contrats aidés. Par ailleurs, si le bar était originellement conçu comme le poumon économique du projet et la possibilité d’assurer salaires et loyers, ce n’est plus le cas dans la perspective d’un voisinage de plus en plus concurrentiel.

 

 

Claire : Il est difficile de répondre à cette question tant elle touche tout le secteur culturel en son entier face à une ultra-libéralisation générale et massive qu’on présente comme inexorable dans une logique de performance économique (et qui est aussi le fruit d’une longue mutation). Il n’y a qu’à regarder les actions de Sous les écrans la dèche au Festival de Cannes actuellement. Et les politiques publiques de façon générale en font les frais. La soutenabilité est une bonne question en effet. La rapidité de la précarisation de grands pans de notre société (éducation, culture, santé) rend très difficile la mise en place de réponses structurelles et organisationnelles permettant une résilience (par exemple formation à la gestion, à la recherche de financement, à la conduite de projet…ce qui est du temps de travail donc du coût de fonctionnement) tandis que la place pour l’engagement associatif bénévole tend à diminuer. 

Par ailleurs, comme la productivité, l’efficience et l’efficacité ont leurs limites. L’appel à projet est différent du conventionnement de fonctionnement. Le financement par projet n’a pas vocation à prendre en charge les frais de fonctionnement et peut dévoyer le projet initial tout en déstabilisant la projection dans le long terme. Il suffit d’un changement de critères ou d’indicateurs pour sortir un projet d’un accès à une source de financement. Et donc de déstabiliser le projet général sur des associations ayant peu de marges de manœuvre. Les problèmes de calendrier sont récurrents (engager un projet sans avoir la réponse sur le financement) et rendent difficile la projection budgétaire et salariale, les investissements et la cohérence entre les résultats, les moyens annoncés et la réalité des moyens mobilisés. Comment le monde associatif doit-il réagir à la notion de performance de l’action publique quand il en est partie prenante ? En schématisant, la fragilisation du secteur associatif, c’est tout simplement la diminution de la capacité citoyenne à prendre des initiatives. Nous sommes le fruit de cette capacité citoyenne. 

Plus pragmatiquement, nous concernant, il est certain que nous avons des difficultés à intégrer certains réseaux de travail comme ceux que mobilise le volet cinéma du plan « Marseille en Grand ». Nous sommes sans doute trop petits. Ou peut-être nos logiques n’intéressent pas l’Institution. Je ne saurais répondre. Et encore plus pragmatiquement, à deux ans, il faut trouver les ressources qui permettent de poursuivre en l’état ou réduire la voilure, revoir à nouveau la proposition générale ou opérer des ajustements. Pour l’heure, nous sommes dans une économie mixte (sur une structuration administrative et juridique double), faite des bénéfices de la vente de boissons, de subventions, d’adhésions, de prestations et de recettes de billetterie. Le passage au prix libre n’a pas entraîné de perte financière. Au contraire, il a correspondu à une augmentation de la fréquentation et la possibilité pour des personnes, souvent jeunes et précaires, de venir découvrir ce qui était proposé. A noter aussi, que la majeure partie des festivals et des associations partenaires jouent le jeu du prix libre. 

 

LTR : Tout projet est à l’image de ses architectes, parfois moins visibles que celui-ci. Alors c’est à vous, Claire et Charlie, que cette dernière question s’adresse plus personnellement. Si vous le voulez bien, parlez-nous donc de ce que vous faites concrètement au Videodrome 2. Que symbolise-t-il à vos yeux, dans le vaste monde du cinéma ?  

Charlie : Je suis chargée de la coordination générale de la programmation, ce qui signifie que j’ai à charge la gestion générale de la grille calendaire. J’ai donc une vision à six mois et plus sur les grandes lignes de la programmation du lieu. En plus de coordonner un certain nombre de séances à l’année (accompagnement des programmateur·ices sur leurs cartes blanches, accueil des festivals, rendez-vous plus ponctuels avec des associations, …), j’ai globalement un œil sur tout ce qui se passe en salle, en concertation avec les autres personnes coordinatrices du lieu, et en lien avec la régie et l’équipe de service au bar. Mon quotidien au Videodrome 2, c’est beaucoup de préparation en amont, du suivi et de l’organisation, le tout récompensé par de chouettes moments en salle ! 

 

Pour moi, ce lieu, c’est une liberté d’approche du cinéma, un espace qui repense la question de l’argument d’autorité de l’écran et du programmateur, c’est la légitimité de porter les films qui nous touchent, et la curiosité de découvrir quelque chose qu’on n’irait peut-être pas voir a priori. C’est un endroit précieux et unique en son genre : c’est la possibilité que puissent se côtoyer dans une même salle (voir dans une même séance) des films fait à partir d’une pellicule super 8mm qui a été enterrée sous terre, des séances de court-métrages entrecoupés de tirage de cartes de tarot, du cinéma muet en noir et blanc, des expérimentations sonores, des films d’archives militants ou encore des classiques cinéphiles de tous les pays du monde.

 

Claire : Comme j’ai pu commencer à l’énoncer précédemment, je crois que Videodrome 2 symbolise un contre-exemple. Un possible. Quand nous avons créé ce lieu, personne dans le monde du cinéma, le monde “légitime” (l’industrie, l’institution), n’y croyait. C’est un lieu aujourd’hui reconnu. Pour moi plus personnellement, il a signifié beaucoup. Beaucoup de joies et de liberté. D’enthousiasme et d’émulation. Et de nombreux sacrifices. Après avoir œuvré pendant 10 ans à sa structuration, son développement, sa programmation aux côtés de mes complices, j’espère l’année qui vient retrouver le désir premier de cinéma, le voir comme le montrer, et continuer à nourrir ce projet autrement, d’un autre endroit (bénévole !), de mes compétences et en continuant d’investir cette question du cinéclub comme espace de travail du cinéma avec d’autres que moi. Et porter cette idée. Avec plus de légèreté ! Et pourquoi pas ailleurs. Videodrome 2 entre de bonnes mains, quoi qu’il advienne, je pourrai me dire : nous avons fait quelque chose. 

 

Références

[1] V. https://www.lesechos.fr/weekend/cinema-series/il-etait-une-fois-le-videoclub-1307401.  

 

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La gauche à la pointe de la lutte contre le narcotrafic

La gauche à la pointe de la lutte contre le narcotrafic

Il est de bon ton pour les commentateurs politiques de partir du principe que la gauche est nulle en matière de lutte contre l’insécurité. Les termes, éculés, du débat sont connus : la gauche en serait restée au stade de l’angélisme et serait disqualifiée pour apporter des solutions efficaces. Pourtant certains à gauche se mobilisent, à l’instar du sénateur Jérôme Durain lors d’une commission d’enquête, et proposent des réponses sérieuses à une situation sécuritaire qui s’aggrave d’année en année.

Il est de bon ton pour les commentateurs politiques de partir du principe que la gauche est nulle en matière de lutte contre l’insécurité. Les termes, éculés, du débat sont connus : la gauche en serait restée au stade de l’angélisme et serait disqualifiée pour apporter des solutions efficaces. Alain Bauer, avec son style, est revenu sur ce serpent de mer du débat politique lors de son audition[1] devant la Commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France et les moyens pour y remédier le 29 janvier 2024 en évoquant une gauche « Janus » :

«  C’était d’ailleurs une gauche « Janus » – je peux le dire facilement, car j’ai connu beaucoup de ses membres, puisque j’ai été le collaborateur de Michel Rocard pendant très longtemps. Ses membres étaient extrêmement rationnels et prenaient en compte le problème au niveau local, mais une fois arrivés à Paris, ils se transformaient en négationnistes culturels, pour lesquels le problème n’existait pas et était une invention de la droite ».

Cette affirmation bien que caricaturale, trouve quelques éléments de confirmation dans notre histoire politique. Notons cependant qu’Alain Bauer a le bon goût de reconnaître que son constat est cyclique et qu’il arrive que la gauche ouvre en quelque sorte les yeux. On pourra également préciser que la gauche n’est pas monolithique, qu’elle n’affirme pas en bloc que la police tue ou que le sentiment d’insécurité est uniquement le résultat du martelage médiatique sur la question. Le temple de Janus, pour reprendre la métaphore d’Alain Bauer, était fermé en temps de paix et ouvert en temps de guerre. Or, la guerre semble bien s’imposer en ce qui concerne les drogues. Une guerre des narcotrafiquants entre eux et contre notre société davantage qu’une war on drugs chère aux américains.

Le terme de « guerre » apparaît d’ailleurs dans la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les violences à Marseille et sur le territoire français[2] déposée par les représentants des trois groupes de gauche du Sénat le 14 juin 2023 (Marie-Arlette Carlotti, Guy Benarroche, Jérémy Bacchi et Guy Benarroche et 88 de leurs collègues).  Après l’enchaînement des violences sur place et à la suite d’un déplacement que j’avais effectué sur place aux côtés de Mme Carlotti, mobilisée très tôt sur le sujet. Le court exposé des motifs de cette proposition de résolution cernait déjà bien les enjeux de la problématique du narcotrafic en soulignant que « les violences à Marseille se sont transformées, puisqu’elles ne se restreignent plus aux acteurs des trafics de drogues mais touchent des Marseillaises et des Marseillais » ou encore que « la politique lancée par le ministre de l’Intérieur, à savoir le matraquage des points de deal, s’avère inefficace ». Cette initiative, qui n’aurait pu voir le jour sans la mobilisation des élus des Bouches-du-Rhône, pointait déjà que « les violences qui la touchent ne sont plus propres à la cité phocéenne, mais un phénomène qui s’étend et qui concerne d’autres villes du territoire sujettes aux mêmes guerres liées aux trafics de drogue ».

La place particulière de Marseille dans la géopolitique des drogues n’est pas un phénomène nouveau. Mais il est intéressant de noter que c’est sous l’impulsion d’élus de gauche après que cette dernière ait repris les rênes de la ville, grâce à l’alliance du Printemps marseillais, que la mobilisation politique s’est enclenchée. Se retrouvant aux responsabilités et à portée de baffes, les responsables politiques de gauche ont fait le choix de réagir face à l’enchaînement macabre des victimes venant animer les colonnes des rubriques faits divers des journaux mais faisant surtout grimper la peur et le sentiment d’abandon de la population.

Cette proposition de commission d’enquête n’a pu cependant aboutir, en raison de l’épuisement du droit de tirage des groupes socialiste, communiste et écologiste en 2023. Le groupe Les Républicains, qui s’était fait doubler sur une thématique sécuritaire supposée constituer son pré carré, a eu tôt fait de réagir par le biais de sa propre résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier[3], avec un exposé des motifs plus succinct…[4] mais couronné de succès puisque la droite avait alors conservé son droit de tirage.

C’est donc la commission d’enquête dont les contours ont été définis par la droite qui a engagé ses auditions dès le 27 novembre 2023 avec 6 mois de travaux devant elle. Il n’est pas toujours aisé de travailler sur les sujets régaliens pour des parlementaires de gauche en raison du présupposé angélisme de notre bord politique. Cela l’est d’autant moins sur un sujet lié aux drogues, où nos positionnements progressistes peuvent être instrumentalisés par nos adversaires politiques. S’agissant d’un domaine où le bilan du Gouvernement semble perfectible et connaissant la propension des ministres en charge à endosser l’autocritique, la commission avait de grandes chances de se transformer en un piège politique redoutable. Cela n’a finalement pas du tout été le cas.

Le mérite en revient sans aucun doute aux parlementaires de gauche membres de cette structure temporaire (et je ne parle évidemment pas de moi). Ils se sont investis avec sérieux et régularité. Mais je veux également saluer le rapporteur, que personne n’oserait qualifier un seul instant d’homme de gauche. Etienne Blanc a su faire preuve tout au long de nos travaux d’une capacité d’écoute et de questionnement qui force l’admiration. Ce serait par ailleurs une faute d’oublier les élus locaux parmi les acteurs de cette commission d’enquête : maires de villes moyennes ou de métropoles et élus ruraux (que ce soit directement ou via les associations d’élus) ont participé avec enthousiasme à notre commission. Il s’agissait souvent d’hommes et de femmes de gauche. Non pas que la droite rechigne à s’exprimer sur le sujet, mais parce que les élus de nos territoires sont encore en grande partie issus de nos rangs, quand bien même on voudrait faire croire à une faiblesse du camp progressiste dans notre pays.

Je n’ai jamais perçu lors de leurs auditions une quelconque gêne à aborder la thématique du narcotrafic ou de la sécurité. Au contraire, leurs témoignages furent souvent denses, instructifs et ont contribué utilement à nos conclusions. Est-ce à dire qu’ils se seraient contentés de reprendre la doxa de droite répressive sur le sujet ? Évidemment non, ils ont tenu des propos étayés par une vision constructive et critique des actions déjà mises en place, assumant la nécessaire répression des trafiquants ainsi que le travail social et de prévention à mettre en place. Souvent, ils ont regretté de ne pas être toujours suffisamment associés à l’action de l’État en la matière, souhaitant contribuer plus largement encore grâce aux moyens de leurs collectivités.

Les moments de crispation politique ont, à dire vrai, été relativement rares lors de notre commission d’enquête. Je ne vois que les réactions aux déclarations des magistrats marseillais qui avaient créé une vague d’émotion en évoquant les risques d’échec. Isabelle Couderc, responsable du pôle criminalité organisée du parquet de Marseille avait ainsi déclaré « Nous sommes en train de perdre la guerre contre les trafiquants ». Il n’en fallait pas plus pour que l’extrême droite décide de souffler sur les braises. Stéphane Ravier rêve en réponse d’une ville de Marseille « sans immigration » ce qui témoigne d’une vision pour le moins surréaliste de la cité phocéenne et de son histoire. Les réseaux sociaux s’emballent, Marine Le Pen proposera quelques jours plus tard de maîtriser d’abord les frontières (nos services des douanes n’y avaient pas pensé !) avant d’appeler à « maîtriser notre politique migratoire » (il n’y aurait pas de trafiquants de drogue français !).

L’exécutif sent le soufre et met au point son concept des opérations Place nette XXL avec un déplacement en grande pompe du président de la République à Marseille. Place nette XXL sera par la suite déclinée dans d’autres territoires avec des résultats mitigés, que nous avons d’ailleurs abondamment discutés dans les conclusions de notre commission d’enquête. Cette réaction XXL au RN, était d’abord fondée sur la communication plutôt que sur une réorientation quelconque. A l’heure où j’écris ces lignes, il n’en reste d’ailleurs plus grand chose puisque les forces de sécurité ont surtout été concentrées sur les Jeux olympiques et paralympiques. Notre rapport, assumé tant par Etienne Blanc que par moi-même, a en quelque sorte profité de ce contexte d’affrontement politique. Alors que les écrits parlementaires sur cette thématique avaient manqué, nous avons comblé un vide en la matière, dont témoigne la réaction médiatique et institutionnelle quasi unanimement positive.

La gauche n’a pas à rougir de nos conclusions sur le fond.  Nous avons constaté un manque criant de moyens humains, juridiques et techniques pour les services répressifs et pour les juridictions, ce qui rend l’engagement des effectifs mobilisés sur le terrain encore plus admirable ; des défaillances à de nombreux niveaux, qui montrent que notre Etat n’a pas pris la mesure du risque existentiel que le narcotrafic fait peser sur nos institutions alors même que l’exemple de certains de nos voisins le montre : s’il devient assez puissant, il n’hésitera pas à s’attaquer à l’État.

Le narcotrafic s’affirme comme une menace pour les intérêts fondamentaux de la nation. Il faut un sursaut, c’est-à-dire une réponse rapide et ambitieuse des pouvoirs publics, et notamment du Gouvernement, pour donner des moyens supplémentaires aux forces de l’ordre et juridictions, pour repenser le régime d’incarcération des trafiquants et pour redonner toute sa place au renseignement. Ces conclusions sont-elles incompatibles avec l’ADN de nos partis ou avec les attentes de nos électeurs ? Je ne le crois pas.

Si je devais résumer nos propositions concrètes les plus marquantes, je dirais qu’il faut peser d’abord sur quatre chantiers essentiels :

– Rénover la procédure pénale ;

– Doter la lutte contre le narcotrafic de « chefs de file » ;

– Lutter contre un blanchiment devenu endémique pour redonner à l’État les fruits du narcotrafic ;

– Enfin faire barrage à la marée montante de la corruption.

Aucune de ces réponses ne me semble être « de droite ». J’ai d’ailleurs pu le constater lors du « service après-vente » que j’ai assuré après la publication de nos travaux. Les élus locaux de gauche, rencontrés lors de forums d’associations d’élus, étaient curieux et soulagés. Soulagés ! Enfin, ils pouvaient prendre la parole comme hommes et femmes de gauche sur ce sujet qui prend tant de place dans l’actualité et dans l’esprit de nos concitoyens. Prendre la parole avec des pistes de solution entendables, sans se faire taxer d’angélisme ou de dérive sécuritaire. Répondre à ce sujet en étant doté des arguments pour critiquer de manière constructive l’action du Gouvernement.

Ainsi pour en revenir à la réponse macroniste, il ne s’agit pas de contester l’utilité des opérations Place nette, XXL ou pas. Elles contribuent à ramener un peu de tranquillité et ont le mérite de pointer qu’il existe encore une volonté politique de lutte contre ces trafics. Mais en aucune façon ces opérations ne peuvent tenir lieu de politique globale. 473 opérations « place nette » ont été menées entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. Les saisies de drogues autres que le cannabis sont très faibles – moins de 40 kilogrammes pour la cocaïne -, à peine quelques millions d’euros saisis, pour plus de 50 000 gendarmes et policiers mobilisés. Si on se limite aux seules opérations dites « XXL », les résultats ne sont pas meilleurs, avec à peine de 18 kilogrammes de cocaïne saisis.

Des questions, non moins importantes, demeurent aussi sur l’articulation entre les opérations « place nette » et les enquêtes judiciaires et patrimoniales, seules à même de véritablement permettre de remonter une filière et de faire durablement tomber des réseaux – donc d’affaiblir la pieuvre du trafic.

Cela ne signifie pas qu’il ne subsiste pas de points de débat à gauche. Je pense ici à la question de la légalisation du cannabis. Des membres de la commission d’enquête – dont je suis – ont signé une proposition de loi en faveur de cette solution. Ce n’est pour autant pas une solution miracle qui ferait disparaître d’un coup de baguette magique le danger narco. D’autres membres de gauche de la commission d’enquête y restent fondamentalement opposés.

J’ai profité des universités d’été 2024 des partis de gauche pour poursuivre mon travail de popularisation de nos conclusions. L’accueil fut bon, si ce n’est très bon, chez les socialistes comme chez les insoumis ou les écologistes. Il subsiste des points de discussion sur l’encadrement de la procédure pénale (le fameux dossier coffre par exemple), certains craignant que nous ne restreignions trop les libertés publiques en suivant ce chemin. Certains prônent une légalisation d’autres drogues. Mais je ne crois pas qu’aucun de ces désaccords ne soit indépassable, surtout dans le cadre d’une discussion parlementaire qui devrait pouvoir avoir lieu sur des bases saines.

Le Temps des Ruptures a sollicité ce texte de ma part en me demandant de m’intéresser aux conséquences politiques de nos travaux parlementaires sur le narcotrafic. Je crois que la principale rupture est celle-ci : nous sommes désormais prêts à aller présenter nos propositions politiques aux Français (je suis d’ailleurs fier de la présence de la thématique narcotrafic dans le programme du Nouveau Front Populaire) et à le discuter avec la représentation nationale. Je ne doute pas que cela se fera dans les mois qui viennent. Le temps presse. Depuis le 1er janvier 2024, il n’y a plus de Plan Stup en vigueur en France…

[1]    https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20240129/ce_narco.html#toc2

[2]    https://www.senat.fr/leg/exposes-des-motifs/ppr22-741-expose.html

[3]   https://www.senat.fr/leg/ppr23-056.html

[4]   Nulle mention n’y était faite des victimes civiles ou de la réponse sociale devant accompagner la répression

Références

(1)https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-norvege-lance-la-prospection-miniere-de-ses-fonds-marins-2045453

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Anticor : un nouvel agrément après une bataille judiciaire sans précédent

Anticor : un nouvel agrément après une bataille judiciaire sans précédent

L’association Anticor, depuis sa création en 2002, s’est positionnée comme un acteur clé dans la lutte contre la corruption en France. Après une bataille judiciaire importante, Anticor a retrouvé, par arrêté du Premier ministre, son agrément le 5 septembre dernier.

L’association Anticor, depuis sa création en 2002, s’est positionnée comme un acteur clé dans la lutte contre la corruption en France. Forte de plus de 7 000 adhérents et d’une centaine de procédures judiciaires engagées, l’association a, pendant des années, bénéficié d’un agrément gouvernemental lui permettant de se constituer partie civile dans des affaires de corruption. Cet agrément, accordé en 2015, a permis à Anticor de jouer un rôle déterminant dans de nombreux dossiers politico-financiers, en contribuant à exposer et à combattre les dérives de certains responsables publics.

Cependant, l’association a récemment franchi une étape cruciale dans cette lutte. Le 5 septembre 2024, un nouvel arrêté signé par le Premier ministre Gabriel Attal a rétabli l’agrément d’Anticor pour une durée de trois ans, en vertu de l’article 2-23 du code de procédure pénale. Cet agrément, publié au *Journal officiel*, permet à Anticor de retrouver sa capacité à exercer les droits de la partie civile dans les affaires de corruption.

Ce retour à l’agrément est le fruit de mois d’attente et de procédures judiciaires complexes. En effet, après que l’agrément de l’association a été annulé en juin 2023 par le Tribunal administratif de Paris, l’association s’est lancée dans une bataille judiciaire pour le rétablir. Cette décision favorable intervient après que l’association a fourni des pièces complémentaires et prouvé son rôle fondamental dans la lutte contre la corruption et les atteintes à la probité, notamment par ses actions publiques au niveau national et local.

Le jugement du 9 août 2024, suspendant le refus implicite du gouvernement, a marqué un tournant dans ce bras de fer. Bien que le Premier ministre ait maintenu un silence prolongé sur la question, il a finalement cédé aux pressions judiciaires et a réexaminé la demande d’Anticor, comme en témoignent les termes de l’arrêté du 5 septembre.

Pour Anticor, cette victoire est essentielle non seulement pour l’association elle-même, mais aussi pour la démocratie française. L’association rappelle l’importance de son rôle dans la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Cet agrément renouvelé lui permet de continuer à contribuer activement à l’intérêt public en défendant les principes de transparence et d’éthique dans la vie publique.

Néanmoins, les obstacles ont soulevé des inquiétudes quant au respect de l’état de droit. Les longues périodes de silence du gouvernement et le refus initial de renouveler l’agrément ont soulevé des questions importantes sur la capacité de l’exécutif à respecter les décisions de justice. « En ne respectant pas une décision de justice, le Premier ministre envoie un message délétère aux citoyens, indiquant que l’état de droit peut être bafoué sans que cela n’entraîne de sanctions », a averti Paul Cassia, président d’Anticor.

Malgré ces défis, Anticor est résolue à poursuivre son combat. Avec ce nouvel agrément en main, l’association espère non seulement continuer à mener des actions en justice contre la corruption, mais aussi renforcer son rôle de vigie dans une société où la transparence et l’intégrité des responsables publics sont plus cruciales que jamais.

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Le Nouveau Front Populaire doit devenir le camp de la concorde nationale

Le Nouveau Front Populaire doit devenir le camp de la concorde nationale

La situation politique inédite dans laquelle nous nous trouvons, celle de la constitution de trois blocs sans majorité à l’Assemblée nationale, nécessite de ralentir et de s’accorder, chose difficile s’il en est dans le brouhaha ambiant, un temps de réflexion et d’analyse. Mettre fin au cocktail explosif entre bataille identitaire et réseaux sociaux, rompre avec l’impuissance publique qui mine le pays depuis 40 ans, renouer avec des politiques ambitieuses de cohésion sociale. Tel pourrait être le sens d’une gauche qui assumerait de nouveau être le camp d’une concorde nationale retrouvée.

Une Assemblée tripartite : résultat du rejet du RN

Alors que l’ensemble des sondages réalisés dans l’entre-deux tours donnait le Rassemblement national en tête (voire en situation de majorité relative ou absolue) c’est bien le Nouveau Front Populaire qui s’est imposé lors de ces élections législatives anticipées. Avec 182 députés, il devance Ensemble (168 sièges) et le Rassemblement national et ses alliés « ciottistes » (143 sièges, soit un gain de 54 sièges depuis 2022) F

Si le Nouveau Front Populaire s’impose, il reste en revanche très loin de la majorité absolue (289 sièges) tandis que la composition de l’Assemblée entérine la tripartition du paysage politique. Ce que le politiste Pierre Martin observait dès 2018 dans la majorité des démocratie occidentales.

Le nouveau système partisan qui se dessine sous nos yeux semble effectivement prendre la forme d’une structure tripolaire composée d’une droite conservatrice-identitaire (parfaitement incarnée par l’alliance Ciotti-RN), d’une gauche démocrate-écosocialiste et d’un centre libéral-mondialisateur[1].

S’il s’agit d’une tendance de fond qui travaille l’ensemble des systèmes partisans occidentaux, la situation reste inédite dans le cas de la Ve République française peu habituée aux logiques de coalition.

Il faut en revanche garder en tête que le résultat de ce second tour n’est dû qu’aux désistements de candidats NFP et macronistes afin d’éviter un Rassemblement national majoritaire à l’Assemblée. Le front républicain a fonctionné mais force est de constater qu’il se délite peu à peu et que le barrage est de moins en moins efficace.

A tel point que le politiste Jean-Yves Dormagen, considère qu’il s’agit désormais « d’une coalition électorale de barrage plus faible, plus incertaine, allant de l’électorat de gauche jusqu’à une partie des modérés[2] » et non d’un véritable front comme cela avait pu être le cas auparavant.

Et si le Nouveau Front Populaire arrive en tête en nombre de sièges, le Rassemblement national reste la première force en pourcentage des voix. Voilà pourquoi il est difficile de donner tort à Marine le Pen lorsqu’elle évoque, pour son propre camp, l’image d’une marée qui n’a pas fini de monter.

Reste à savoir ce que peut le Nouveau Front Populaire, et la gauche de manière générale, pour que le pire ne se produise pas. 

 

Le premier enjeu pour la gauche : le combat informationnel pour desserrer l’étau identitaire

Nul ne peut ignorer que le chaos qui survient en ce lendemain d’élections vient de loin et n’est pas simplement la conséquence de décisions irresponsables de la part du chef de l’Etat.  Il est avant tout le résultat de la séquence historique dans laquelle nous sommes plongés depuis les années 1980 : à savoir la montée irrémédiable des contestations suite au démantèlement des anciens cadres de régulations de la société par la mondialisation néolibérale.

Chaque sujet humain, pour se construire en tant qu’individu, est fondamentalement dépendant de sa reconnaissance par ses pairs et par la société. Le problème étant qu’avec la destruction des anciens cadres de régulation, c’est l’ensemble des processus de reconnaissance qui sont remis en cause : panne de l’ascenseur social, précarisation des différentes formes d’emploi, délabrement du système de santé et de l’école publique, disparition des services publics, ségrégation urbaine.

Et cette disparition des relations de reconnaissance débouche sur des expériences de mépris et d’humiliation qui ne sont pas sans conséquences sur la capacité d’une société à assurer l’intégration sociale de ses membres. Voilà pourquoi, à la place du lien social tel qu’il pouvait se constituer auparavant, nous assistons désormais dans nos sociétés contemporaines à un « déchirement du social ».

Il en résulte une situation de vulnérabilité et d’insécurité généralisée pour des pans entiers de la société (ceux que l’on désigne tour à tour comme les perdants de la mondialisation, les déclassés, la France des oubliés, etc…). Se forme alors peu à peu ce que Christopher Lash appelle « une société de survie » « composés d’individus désindividués, aux egos fragilisés, infantilisés, insécurisés, plébiscitant des leaders forts pour incarner inconsciemment la figure du « père » émasculé[3] ». Si bien que face à cette évolution, les besoins exprimés par les citoyens se matérialisent moins par une demande d’émancipation face à une société jugée trop corsetée et traditionnelle (comme c’était le cas lors de la révolte de mai 68) que par une demande de protection et de sécurité.

Ayant parfaitement saisi cette demande de protection, les droites et les extrêmes droites ont mis en place une dialectique redoutable : celle consistant à exacerber les paniques morales des déclassés à travers tout un réseau d’entrepreneur du chaos (influenceurs, médias Bollorés) et à incarner de l’autre une réponse politique à ce besoin d’autorité voire d’apaisement national (il n’y a qu’à voir le mot d’ordre du Rassemblement national sur certaines de ses affiches : « la France apaisée »)

Exit le débat d’idées entre des orientations politiques différentes[4], bienvenue dans le monde de la bataille identitaire et de la fragmentation nationale.

Les adeptes de la culture du clash et de l’enfermement communautaire peuvent par ailleurs compter sur des réseaux sociaux qui fonctionnent comme autant de démultiplicateurs de cette bataille des identités.

Leur modèle économique et algorithmique favorise l’entre-soi en ne présentant jamais que des contenus qui nous ressemblent ou avec lesquels nous sommes d’accord. Pire encore, ils favorisent l’étouffement des désaccords au sein de sa propre « communauté » : « sur les réseaux sociaux, on craint paradoxalement moins le camp adverse que les puristes de son propre camp, qui exercent une redoutable police de la pensée »[5]. Les réseaux sociaux ne sont rien d’autre que des ghettos 2.0.

Il en résulte « brutalisation, polarisation, instrumentalisation économique et politique de la violence et de la colère, déflagration des liens, explosion du réel, atomisation des socles communs.[6]»

Si les médias plus traditionnels (presses papiers et en ligne, radios, chaînes TV) assurent encore un rôle de régulateur de ces affects volontairement exacerbés par les réseaux sociaux, il leur est de plus en plus difficile d’assumer cette fonction. On se souvient par exemple en 2002 de l’affaire « Papy Voise » (ce retraité passé à tabac et dont la maison avait été incendiée) et de ses répercussions sur l’élection présidentielle. L’emballement médiatique de TF1, France 2 et LCI à propos de cette affaire (favorisant largement le sentiment d’insécurité) a régulièrement été analysé comme l’une des causes de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour.

Plus proche de nous, le drame de Crépol (cet adolescent poignardé à mort lors d’une fête de village) a été instrumentalisé par la droite et l’extrême droite afin de prouver le lien selon eux inextricable entre délinquance et immigration. Et ce, quelques mois après les émeutes de juin qui avaient aussi participé à la droitisation dont témoignaient les instituts de sondage à l’été 2023. Les chaînes d’information en continu (Cnews en tête) ont repris en boucle cette « démonstration identitaire » jusqu’à contaminer les journaux télévisés traditionnels.

Les milliardaires Vincent Bolloré, Daniel Kretinsky et Pierre-Edouard Sterin ont d’ailleurs bien compris ce rôle de régulateur des médias traditionnels. Comment expliquer autrement leurs volontés de rachat de médias dont la rentabilité économique fait souvent défaut. De même que Jordan Bardella qui affirmait encore il y a peu que l’une de ses premières mesures en tant que Premier ministre serait de privatiser les chaînes publiques d’information.  

Face à ce cocktail explosif que représente la fusion de la bataille identitaire, des réseaux sociaux et des médias, les gauches sont fondamentalement désarmées et ne peuvent pas gagner.

Les quelques partis à gauche ayant adapté leur stratégie médiatique à cette nouvelle donne identitaire et radicaliser leur communication finissent lentement de se discréditer : la France insoumise est désormais considérée comme une plus grande menace pour la démocratie que le Rassemblement national[7] et comme un parti qui attise la violence. Quant aux partis ayant refusé cette brutalisation du débat public, leur existence médiatique est somme toute assez relative.  

Desserrer l’étau identitaire nécessite de changer drastiquement les règles du jeu médiatique et de réglementer les plateformes et réseaux sociaux : voilà pourquoi le premier combat de la gauche est désormais le combat informationnel.

De nombreuses propositions peuvent être émises dans ce sens. Tant dans la régulation des médias (inscription dans la Constitution d’un droit à l’information et de son corollaire la liberté de la presse ; renforcement du contrôle du Parlement sur les nominations à la tête de l’audiovisuel public ; adoption d’une loi anti-concentration, renforcement de la protection du secret des sources des journalistes, etc…) que dans la régulation des réseaux sociaux (contrôle du rythme des likes, retweets et partages, remise en cause des rentes publicitaires des GAFAM, etc…)[8].

Dans le contexte actuel d’absence de majorité à l’Assemblée nationale, cette lutte pour la régulation médiatique au nom de l’apaisement du débat public, et plus largement de la liberté d’informer, est un des rares combats pour lesquels un compromis est possible entre les partis du Nouveau Front populaire, des députés centristes et de centre-droit. Nul doute également que la société civile est amenée à jouer un grand rôle dans cette lutte.

La fragmentation de la société française n’est pas un horizon irrémédiable. La France n’est pas Twitter comme le dit si bien Denis Maillard et l’image que nous renvoient les réseaux sociaux et les journaux télévisés n’est pas un calque exact de l’état d’esprit des Français (c’est en tout cas l’une des leçons que l’on doit tirer de ces élections législatives)

Lorsqu’éclatent les émeutes urbaines suites à la mort de Nahel Merzouk à l’été 2023, « le discours médiatique a instantanément opposé les « anti-flics » aux « anti-banlieues ». Or l’enquête réalisée par le think tank Destin commun montre qu’une grande majorité de Français ne se situait dans aucun des deux camps : « parmi ceux qui s’inquiétaient de l’hostilité envers les jeunes des quartiers, 80 % étaient aussi inquiets de l’hostilité envers la police, et réciproquement »[9].

La situation est peu ou prou la même en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, « trois mois après le début de la guerre, parmi les 66 % de Français qui se déclaraient inquiets pour la population palestinienne, 79 % exprimaient aussi de l’inquiétude pour la population israélienne »[10].

Certes la division et la fragmentation nationales sont vécues comme telles par une majorité de citoyens : « 75 % des Français jugent que notre pays est divisé et 56 % considèrent même que nos différences sont trop importantes pour que nous puissions continuer à avancer ensemble »[11]. Mais cette situation n’appelle rien d’autre qu’un renforcement de l’intervention des pouvoirs publics afin de retrouver le chemin de la cohésion nationale. Encore faut-il en avoir les moyens et les capacités.

 

Ne pas trahir l’espoir : le nécessaire combat capacitaire

S’engager dans la voie de ce combat informationnel est une nécessité à (très) court-terme mais cela ne peut en aucun cas être l’unique terrain de lutte. Les insécurités, peurs et angoisses vécues par des pans entiers de la population, exacerbées par les réseaux sociaux, n’en sont pas moins réelles. La société de survie, des égos meurtries et des humiliations n’a pas attendu l’avènement de Twitter et de TikTok pour exister.

La dérégulation économique et financière, la compression des salaires, le recul des services publics, la ségrégation urbaine, le développement des avantages fiscaux au profit du capital et des dirigeants des multinationales sont des réalités indéniables.

Et répondre à l’ensemble de ces défis nécessite, avant toute de chose, de disposer de marges de manœuvre. Chose plus simple à dire qu’à faire. Ces fameux pouvoirs publics subissent depuis les années 1980 un affaiblissement continu de leurs capacités d’intervention. Un affaiblissement autant externe qu’interne.

D’une part, l’entrée dans la mondialisation néolibérale n’a pu se faire qu’en dessaisissant les pouvoirs publics (l’Etat au premier titre) d’un certain nombre de prérogatives et de compétences au profit d’institutions internationales par nature libérales (FMI, Banque mondiale, OCDE, Union européenne).

La social-démocratie a notamment, et dès les années 1980, fait le « pari faustien » (selon l’expression du politiste Remi Lefebvre) de la construction européenne : renoncer à la régulation nationale pour retrouver d’hypothétiques marges de manœuvre au niveau européen. Or aucune marge nouvelle n’est apparue. Pire, l’Union européenne a légitimé les dérégulations économiques et financières[12].

Une situation par ailleurs parfaitement résumée par le sénateur de Charente-Maritime Mickaël Vallet dans un article publié par le Temps des Ruptures : « La structuration des institutions européennes pousse systématiquement (au sens littéral) à une politique libérale, alors que la mondialisation des échanges nécessiterait que les peuples conservent la maîtrise de leur choix face au marché pour pouvoir en tirer un bénéfice réel et que cette nouvelle étape dans l’histoire de l’humanité ne se résume pas à la délocalisation industrielle et à la concurrence entre des travailleurs du même continent.[13]»

D’autre part, cette entrée a été concomitante d’un démantèlement interne des pouvoirs publics. Les différentes vagues de décentralisation que l’on nous a vendues comme un remède à l’éloignement des décisions publiques et au cancer bureaucratique français ne se sont jamais réalisées qu’au profit d’élites et de notables locaux. Elles ont participé au désengagement de l’Etat et au recul des services publics. La décentralisation s’est faite sans le peuple[14].

Quant à l’Etat lui-même, à force de réductions des effectifs de fonctionnaires (enseignants, policiers, personnels de santé, etc..), de règlementations technocratiques absurdes et d’empilement de strates administratives, son action sur la société est devenue brouillonne et peu ambitieuse. Le lien de confiance qui l’unissait auparavant aux citoyens s’est peu à peu distendu.

« On peut s’interroger dès lors sur les conditions de possibilité d’une véritable politique de gauche ou arriver à la conclusion qu’elle implique des choix très radicaux et des ruptures auxquelles beaucoup de dirigeants de gauche ne sont pas prêt à consentir.[15]»

La gauche doit être une réponse à l’impuissance publique organisée depuis maintenant plus de 40 ans. Sans cela, lever l’espoir de grandes transformations sociales et écologiques ne servira à rien sauf à alimenter le ressentiment national.


Nouveau récit, nouveau modèle : la reconquête républicaine

Retrouver « au royaume morcelé du moi-je, le sens et la force du nous[16] » nécessite enfin de retrouver le chemin d’un nouveau récit, susceptible de mettre à bas la mythologie de la guerre civile que les entrepreneurs du chaos entretiennent tout aussi bien que l’apathie démocratique qui sévit dans l’Hexagone.

L’idée républicaine peut jouer ce rôle, si et seulement si, est mis un terme au faux consensus qui règne à son encontre. Manquant de rigueur dans l’analyse et dans le verbe, les faux républicains de la droite macroniste et de l’extrême droite ont réduit le projet républicain à une simple défense des droits civils, lui faisant faire un bon en arrière d’une bonne centaine d’années.

Ce faisant ils méprisent l’ensemble des combats menés au cours du XXe siècle pour la reconnaissance de droits sociaux (le droit du travail, la sécurité sociale, le droit à la retraite) et entrent en contradiction avec la Constitution de la Ve République (qui reconnaît dans son article 1er le caractère social de la République française)

« La gauche « sociale » celle de Louis Blanc, de Jaurès, de Blum, du Conseil national de la Résistance, est la force politique authentiquement porteuse d’un projet républicain qui suppose que les effets inégalitaires du marché soient maîtrisés, que certains biens essentiels à l’autonomie comme l’éducation et la santé demeurent accessibles à tous comme un droit et non pas réservés à ceux qui peuvent les payer.[17]»

Supposant une conception de la liberté comme « non domination », le projet républicain ne demande d’ailleurs qu’à être approfondi par l’intégration des luttes contre les différentes formes de discrimination[18] et du combat écologique (c’est tout le sens des travaux de Serge Audier sur l’éco-républicanisme).

Tel pourrait être en tout cas le sens d’une gauche qui ne se résigne pas à voir la bataille identitaire fracturer un peu plus le pays et qui assumerait de nouveau être le camp d’une concorde et d’une cohésion nationales retrouvées.

Références

[1] Selon la typologie mise en place par Pierre Martin dans son ouvrage Crise mondiale et systèmes partisans, Presses de Sciences Po, 2018,

[2] https://legrandcontinent.eu/fr/2024/07/08/legislatives-comment-la-mecanique-du-barrage-a-fonctionne/

[3] Asma Mhalla, Algorithmes sous tension : La Fièvre en trois équations technopolitiques

à résoudre, Fondation Jean Jaurès

[4] On observe d’ailleurs une réduction drastique du spectre des idées économiques et sociales représentées sur la place publique depuis les années 1980.

[5] Denis Maillard, De Baron noir à La Fièvre : portrait du conseiller en scénariste, Fondation Jean Jaurès

[6] Asma Mhalla, Algorithmes sous tension : La Fièvre en trois équations technopolitiques

à résoudre, Fondation Jean Jaurès

[7] https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/lfi-considere-comme-plus-dangereux-pour-la-democratie-que-le-rn-selon-un-sondage_6113646.html

[8] Voir à ce sujet Dominique Boullier, Comment sortir de l’emprise des réseaux sociaux, éditions du Passeur, 2020

[9] Denis Maillard, De Baron noir à La Fièvre : portrait du conseiller en scénariste, Fondation Jean Jaurès

[10] Idem

[11] Idem

[12] Voir à ce propos mon article sur la construction européenne : https://letempsdesruptures.fr/index.php/2024/05/22/une-certaine-idee-de-leurope/

[13] https://letempsdesruptures.fr/index.php/2024/06/17/du-resultat-des-europeennes-la-double-pression-2/

[14] Voir à ce sujet Aurélien Bernier, L’illusion localiste, l’arnaque de la décentralisation dans un monde globalisé, les éditions utopia, 2020.

[15] Rémi Lefebvre, Faut-il désespérer de la gauche, éditions textuel, 2022, p.44

[16] Régis Debray, Le moment fraternité, Gallimard, 2009

[17] https://aoc.media/analyse/2024/07/01/larc-republicain-une-mise-au-point/

[18] Voir à ce sujet les thèses de Philip Pettit.

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Célébrer la pride

Célébrer la pride

“Qui fait l’homme et qui fait la femme” ? Cette question, d’un ton plutôt daté, la plupart des couples queer l’ont entendue. Bien que la tolérance sexuelle ait gagné du terrain ces dernières années, dans la loi comme dans les médias , l’équilibre de ces couples questionne encore beaucoup. L’indiscrétion des personnes osant cette question est-elle plus à blâmer que l’origine de cette idée ? Si l’idée d’une répartition genrée dans le couple est si répandue, c’est bien parce qu’elle est socialement actée.

“Qui fait l’homme et qui fait la femme” ? Cette question, d’un ton plutôt daté, la plupart des couples queer l’ont entendue. Bien que la tolérance sexuelle ait gagné du terrain ces dernières années, dans la loi comme dans les médias(1), l’équilibre de ces couples questionne encore beaucoup. L’indiscrétion des personnes osant cette question est-elle plus à blâmer que l’origine de cette idée ? Si l’idée d’une répartition genrée dans le couple est si répandue, c’est bien parce qu’elle est socialement actée. L’attribution de rôles genrés aux femmes et aux hommes est intrinsèquement liée aux dynamiques en place dans la société patriarcale. Et ce constat s’étend également aux couples homosexuels, qui bien qu’hors de l’hétérosexualité, n’en subissent pas moins les injonctions hétéronormées.

Alors qui fait l’homme et qui fait la femme ?

Dans l’esprit de celui ou celle qui pose cette question, existe une version assez précise d’un couple homosexuel, tout d’abord visuellement. L’apparence est en effet le premier trait donné aux injonctions de genre, qui attribue certains traits physiques au domaine du féminin et du masculin. Cette caractérisation ne s’arrête pas aux portes de l’hétérosexualité, elle intervient également dans les milieux queer, catégorisant des personnes comme masculines ou féminines. La classification genrée qui est appliquée aux personnes queer est directement issue de la vision hétérosexuelle que nous avons de la société et plus précisément du couple. Une femme doit faire couple avec un homme et si ce n’est pas le cas alors il faut que cette dichotomie soit représentée dans le couple de femmes, avec l’une jouant le rôle de l’homme et l’autre jouant le rôle de la femme. Ces rôles ne se limitent pas à l’expression physique du genre, ils s’expriment également dans les attentes qui peuvent apparaître au sein du couple, qui bien que queer, n’est pas pour autant immunisé face aux exigences hétéronormées de la société. L’intériorisation de normes sociales genrées peut ainsi faire peser sur les épaules des membres du couple des attentes propres à leur expression de genre, qui se résume vulgairement aux personnes féminines à la cuisine et masculines au bricolage.

Le féminisme a beaucoup à apporter également aux couples queer, puisque venant déconstruire la vision patriarcale que nous impose la société. Nombre de sociologues(2), philosophes(3), ou encore anthropologues(4) féministes viennent repenser les rôles genrés voire même le genre, et ainsi nourrir une vision radicalement différente de celle imposée par le patriarcat. Ces travaux nous permettent alors de remettre en question les rôles genrés, dans le couple hétérosexuel comme queer. S’affranchir de ces considérations binaires permet d’accueillir plus librement les expressions d’identités multiples, plus que de genre, et en particulier dans les couples queers, dans lesquels ces questions ne se limitent pas toujours à la binarité du genre.

Il y a donc une multitude de réponses à la question que nous avons tous entendue. Monique Wittig répondrait que les lesbiennes ne sont pas des femmes(5), coupant ainsi court à l’injonction des rôles genrés dans le couple lesbien. Chacun(e) est libre d’apporter la réponse qu’il ou elle souhaite, même si le mieux serait que cette question ne soit plus posée.

Références

(1)En France

(2) Christine Delphy

(3) Monique Wittig

(4) Véra Nikolski

(5) Monique Wittig, La pensée Straight, 1992

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Front populaire contre Front national : les médias doivent choisir leur camp

Front populaire contre Front national : les médias doivent choisir leur camp

Depuis le dimanche 9 juin 2024, aux alentours de 21h, le monde politique est bouleversé par l’annonce présidentielle de la dissolution de l’Assemblée nationale. Entre alliance des gauches et explosion des partis de droite et d’extrême droite, ces journées politiques offrent un spectacle étonnant. Cet edito entend analyser un point saillant qui risque de déterminer en grande partie les résultats du 7 juillet : le cadrage médiatique.

Depuis le dimanche 9 juin 2024, aux alentours de 21h, le monde politique est bouleversé par l’annonce présidentielle de la dissolution de l’Assemblée nationale. Entre alliance des gauches et explosion des partis de droite et d’extrême droite, ces journées politiques offrent un spectacle étonnant. Le sujet de cet édito n’est pas de revenir sur ces tractations ou même de présenter une analyse globale des enjeux que recouvrent les prochaines élections législatives. Il entend simplement analyser un point saillant qui risque de déterminer en grande partie les résultats du 7 juillet : le cadrage médiatique.

Selon toute vraisemblance, et plus que jamais, les médias joueront un rôle crucial dans ces élections législatives. A chaque échéance électorale il en va de même, mais notre hypothèse est qu’ils seront, cette-fois ci, plus que jamais déterminants.

Selon Le Figaro(1), en se fondant sur les résultats des élections européennes du 9 juin, 536 (sur 577) circonscriptions pourraient voir un duel entre le Front populaire et le Rassemblement national au second tour. C’est évidemment une fourchette – très, très – haute, et on imagine mal les candidats de la majorité présidentielle ou de LR n’arriver au second tour que dans une quarantaine de circonscriptions. Toutefois ce qui ressort des différentes analyses, c’est qu’une majorité de duels se fera entre le RN et le Front populaire.

Dès lors, ce sont les suffrages des électeurs centristes, macronistes, qui détermineront le vainqueur d’un second tour. Plusieurs enquêtes menées en 2023 montrent que, désormais, Jean-Luc Mélenchon fait figure d’épouvantail pour la bourgeoisie centriste, bien plus que Marine Le Pen. Un sondage de mars 2023 indiquait que Marine Le Pen inquiétaient 39% des électeurs Renaissance ; Jean-Luc Mélenchon 44%. La situation s’est, du reste, empirée depuis le 7 octobre et l’attaque terroriste du Hamas : refus de qualifier le Hamas d’organisation terroriste, rupture de la NUPES par le Parti socialiste, sorties antisémites de Jean-Luc Mélenchon, attaques quotidiennes sur Raphaël Glucksmann, etc.

Un sondage IFOP du 8 février 2024 montre qu’en cas de second tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle, 66% des sympathisants Renaissance voteraient pour la candidate du Rassemblement national. Insistons sur ce point : les deux tiers de l’électorat macroniste voteraient pour l’extrême droite en cas de duel face au chef de la France insoumise. Il faut avoir cet élément essentiel en tête à l’heure d’appréhender le rôle que jouent et joueront les médias dans la campagne législative en cours.

En partant donc de l’hypothèse selon laquelle beaucoup de seconds tours verront s’affronter candidats estampillés Front populaire et candidats d’extrême droite, l’électeur centriste est à convaincre. La modération dont a fait preuve Jean-Luc Mélenchon au JT de France 2, et les compromis sur le programme commun (construction européenne, reconnaissance des actes terroristes du Hamas, soutien à l’Ukraine, etc) témoignent de cette prise de conscience. Il faut rassurer le bourgeois.

Mais si les femmes et hommes de gauche ont pris leur responsabilité, il reste un élément qu’ils n’ont pas entièrement entre les mains – même si leurs prises de position peuvent l’influencer -, le traitement médiatique des futurs seconds tours. Car rappelons-nous qu’en avril 2022, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, le président de la République Emmanuel Macron n’était crédité que de 53% des suffrages, contre 47% pour Marine Le Pen. Ici, c’étaient les électeurs de gauche qu’il fallait convaincre. Eux qui avaient déjà fait barrage à l’extrême droite en 2002, en 2017, étaient à nouveau appelés à voter pour le candidat de la casse sociale par excellence. Nombre d’entre eux souhaitaient s’abstenir.

Les deux semaines qui ont précédé le second tour ont vu, comme on pouvait s’y attendre, une campagne médiatique de front républicain se mettre en place. Progressivement, à mesure que le risque fasciste devenait réalité (les sondages inquiétants étaient dans les bouches de tous les chroniqueurs et journalistes politiques), à l’initial « ni-ni » était préféré un vote en faveur d’Emmanuel Macron. Finalement, l’on est passé de 6 points d’écart à 17.

La chose est dure à quantifier, mais je fais l’hypothèse que sur les électeurs centristes, les médias dits « traditionnels » ont encore une influence considérable. Que l’on pense aux millions d’auditeurs des matinales radio, ou aux millions de téléspectateurs du journal de 20h, l’audience touchée est grande et, surtout, c’est un audimat dont on peut fortement supposer qu’une grande partie aura voté pour un candidat de la majorité présidentielle au premier tour.

Ces médias ne vont pas appeler à voter pour tel ou tel camp, mais le cadrage médiatique qu’ils feront des sorties des uns et des autres sera décisif. Insidieusement, la diabolisation ou la dédiabolisation afférées au Front Populaire ou au Rassemblement national par la radio, la télévision ou les médias du « centre raisonnable » (qui, généralement, abhorre tout autant voire plus la France insoumise que le Rassemblement national) orienteront une partie non négligeable de l’électorat macroniste à se décider.

Car il ne s’agit pas de savoir si le RN aura 50 ou 100 députés. Il ne s’agit pas de savoir si LFI en aura 30, 50 ou 70. Il s’agit bel et bien de savoir si les électeurs centristes sont prêts à propulser l’extrême droite à la tête de la France.

Références

(1)Le Figaro, 12 juin 2024. 

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Du résultat des européennes : la double pression

Du résultat des européennes : la double pression

« Tirer les enseignements de ce qui s’est passé le dimanche 9 juin mériterait un livre en plusieurs tomes tant la densité politique du moment est d’une force rare, et tant ce qui arrive présentement ne peut s’expliquer que par des décennies d’affaiblissement du pouvoir politique, de la parole politique et du niveau général des dirigeants. »

Depuis le dimanche 9 juin au soir et la nouvelle période politique ouverte par le résultat des élections européennes et par la dissolution décidée par le président de la République, vous êtes nombreux sur le terrain à m’interroger sur cette situation et nous sommes nombreux à nous interroger tout court.

Tirer les enseignements de ce qui vient de se passer mériterait un livre en plusieurs tomes tant la densité politique du moment est d’une force rare, et tant ce qui arrive présentement ne peut s’expliquer que par des décennies d’affaiblissement du pouvoir politique, de la parole politique et du niveau général des dirigeants.

Je me limiterai donc, pour l’heure, aux considérations essentielles.

De nombreux maires m’ont fait part de leur effarement dès dimanche soir. « Je me bats dans ma commune pour mettre en place des services, des animations, de l’action culturelle, de l’écoute et de l’aide sociale. Nous faisons en sorte de faire vivre notre petite nation communale et le plus souvent en bonne entente avec la population. Et au moment du dépouillement je ne reconnais pas mes habitants et je ne comprends pas où se trouvent mes 40% d’électeurs d’extrême droite. Qu’est-ce que je peux faire de plus à la mairie pour éviter ça ? ». À ces maires, je veux dire que je comprends leur remise en question mais qu’elle n’est pas justifiée. Les électeurs ont, beaucoup plus que certains ne veulent le croire, l’intelligence de la compréhension du scrutin pour lequel ils se déplacent. Ils savent ce qu’est une élection européenne, ils savent ce qu’est une élection nationale et ils savent ce qu’est une élection locale. Ils savent surtout, et c’est un point fondamental, ce qu’est l’Etat. Si un maire exerce son mandat de la meilleure façon possible c’est en menant des projets dans le domaine d’action qui est le sien. Mais lorsqu’une agence du Trésor public ferme, lorsque des moyens en personnel de l’Education nationale manquent dans les écoles, lorsque la facture de l’énergie n’est pas maîtrisée, lorsque le prix de l’essence vient percuter toute l’organisation d’un ménage qui doit travailler, se déplacer, se chauffer, ces électeurs attendent d’abord de l’Etat qu’il joue son rôle. Nous sommes français et cela est profondément inscrit dans notre inconscient politique. Et les échecs, véritables, sur ces questions-là ne sont pas à imputer aux élus municipaux.

Un citoyen, même s’il se sent aussi bien que possible dans sa commune, peut en toute sincérité électorale faire connaître un choix dans une élection nationale à l’opposé des valeurs portées par son maire. Et le maire est dans son bon droit, c’est même son devoir, de dire lui aussi à ces électeurs ce qu’il pense de leur choix. Dans la commune où je vis, et dont je fus maire douze ans, l’extrême droite dépasse 40% des suffrages exprimés. Je sais les raisons de ce vote, je sais que les électeurs font des choix en conscience (il y a longtemps que je ne crois plus au vote « coup de gueule » ou « défouloir ») et j’assume de dire à ces électeurs qu’ils se leurrent, comme j’avais su le dire en 2017 lorsque tant de concitoyens s’enthousiasmaient pour Emmanuel Macron, alors que la supercherie de cette soi-disant posture ni gauche ni droite m’apparaissait évidente. J’avais alors tenu à être candidat à l’élection législative que je savais ingagnable, mais il me paraissait important de combattre pour les valeurs auxquelles je crois et de faire une campagne claire sur le refus de cette illusion du moment. Et d’affirmer haut et fort qu’à la différence de certains de mes désormais anciens camarades, je ne trouvais rien d’enthousiasmant chez le « Mozart de la finance ». Aujourd’hui, la supercherie du candidat TikTok Bardella et de toute la famille le Pen n’est pas moins évidente pour moi. Pour n’avoir pas voulu de Mozart en 2017, je ne suis pas demandeur de Wagner en 2024.

Si les électeurs savent parfaitement les enjeux de l’élection pour laquelle ils se déplacent, on peut en revanche constater que deux camps politiques ont perverti ce scrutin en en faisant autre chose qu’une élection européenne. Le RN a fait en sorte qu’elle ne soit pas une élection européenne mais un référendum contre le président de la République, et le président de la République à lui commis la faute de transformer l’élection européenne en élection législative par la décision de dissoudre de manière aussi soudaine.

Le paysage électoral en a été totalement modifié car la soupape ne demandait déjà qu’à sauter. Et c’est sous une double pression que le scrutin des européennes s’est déroulé.

La première pression provient de l’incapacité à répondre aux défis posés par la mondialisation et par le caractère libéral des institutions européennes. Je défends un point de vue eurocritique depuis que je milite et j’ai toujours chéri ma part de culture chevènementiste. Mais les patriotes de gauche n’ont pas réussi à persuader le reste de la gauche démocratique et de gouvernement qu’il y avait un problème dans la manière dont nous abordions la mondialisation des échanges et le fonctionnement de cette union particulière d’Etats qu’est l’Europe. Cette Europe ne peut se faire du jour au lendemain en forçant les peuples. Elle ne peut se faire sans respecter le fait national qui n’est pas un repli mais qui est la plus belle forme de solidarité politiquement inventée depuis la fin des empires au 19e siècle. Nous n’avons pas trouvé mieux que la nation pour faire d’un individu un citoyen. La structuration des institutions européennes pousse systématiquement (au sens littéral) à une politique libérale, alors que la mondialisation des échanges nécessiterait que les peuples conservent la maîtrise de leur choix face au marché pour pouvoir en tirer un bénéfice réel et que cette nouvelle étape dans l’histoire de l’humanité ne se résume pas à la délocalisation industrielle et à la concurrence entre des travailleurs du même continent.

La deuxième source de pression vient de la perversion de l’outil démocratique qui s’est accélérée grandement sous la présidence d’Emmanuel Macron. En 2005, à l’occasion du référendum par lequel les Français ont rejeté à raison le texte sur la constitution européenne, puis en 2008 lorsque le Congrès a adopté un texte quasi similaire, une plaie s’est ouverte et ne s’est jamais refermée. Les partis politiques qui ont participé à cette forfaiture n’ont pas fait l’analyse de leur acte et n’ont pas reconnu cette faute, ce qui a empêché la cicatrisation. Sous Emmanuel Macron, la plaie s’est même surinfectée. L’élection présidentielle de 2017 a vu la désignation d’un président par défaut au second tour. Comme pour Jacques Chirac en 2002, cette situation aurait dû conduire le premier des Français à une approche humble, ouverte et rassembleuse. Il aurait fallu se comporter en Athéna, déesse de la sagesse et nous avons eu un président se désignant Jupiter alors même qu’il était plus sûrement Saturne, le Titan qui dévorait ses enfants. Le garant de la Constitution a joué avec pour finir par la distordre. Au mouvement des gilets jaunes qui fut une expression concrète et sincère de la violence de la mondialisation ressentie par les classes populaires, il a répondu par une doctrine de maintien de l’ordre inadaptée et par un grand débat qui aura endormi l’opinion plutôt que de réveiller le gouvernement. D’autres sujets ont été étouffés par des procédures dont nous savons maintenant que le président de la République a le secret : Cent jours, Rendez-vous de Bercy, Ségur de la Santé, conventions citoyennes…Le pire fut à n’en pas douter le Conseil National de la Refondation empruntant honteusement les 3 lettres du Conseil National de la Résistance dont le programme aura été foulé aux pieds par le président Macron en tout point. L’élection présidentielle de 2022 a vu son débat réduit au minimum par l’actualité internationale tragique du fait de la guerre en Ukraine, ce dont le président Macron n’est pas personnellement responsable mais dont il n’a pas tiré les enseignements. Notamment lorsque à la majorité relative qui lui a été donnée à l’Assemblée il répond par le 49.3 systématique (abîmant au passage l’utilité ponctuelle du 49.3) au lieu de chercher réellement un accord global avec les forces politiques.

Nous étions nombreux à savoir que les Cent jours sous le gouvernement d’Elisabeth Borne et le Big Bang annoncé en janvier 2024 avec le gouvernement de Gabriel Attal n’étaient que pure communication. La démocratie politique compliquée par une majorité relative n’amena pas pour autant le pouvoir à pratiquer la démocratie sociale puisqu’il resta sourd aux demandes exprimées par des centaines de milliers de personnes manifestant à de nombreuses reprises pendant la réforme des retraites. La pression populaire ne trouvera pas non plus d’exutoire démocratique dans les tentatives de référendum d’initiative partagée que ni la gauche (sur les super-profits) ni la droite (sur l’immigration) ne parviendront à mettre en œuvre. Il peut paraître simpliste de comparer la politique au système d’une cocotte-minute mais c’est pourtant la meilleure illustration que nous puissions donner s’agissant des années Macron.

L’impensé et les contradictions anciennes de toute la classe politique sur la mondialisation et la question européenne, un positionnement tout en repli, en outrance et en xénophobie de la part de l’extrême droite et les réponses simplistes qui vont avec, des citoyens de plus en plus empêchés d’exprimer une volonté qui trouve un débouché politique, et un débat démocratique profondément abîmé par le recul des médias responsables avec de vraies rédactions chérissant le débat et hiérarchisant les sujets pour contenir l’infobésité auquel on ajoutera enfin les manipulations et le bruissement des réseaux sociaux dont l’extrême-droite fait un usage immodéré  : voilà la situation sur laquelle le pouvoir présidentiel était assis et les Européennes ont vu jaillir un geyser.

Il convient également d’avoir un mot sur la gauche et le camp du progrès. C’est mon camp et ça le sera toujours parce que je sais que la fraternité est la solution de long terme, parce que je sais qu’on ne construit une société que dans l’attention au plus faible, parce que je sais que l’éducation est la clé d’une cohésion nationale réussie et parce que la démocratie sans le progrès social n’est pas la République. La famille Le Pen (le père, la fille, la nièce et le petit prince) recueille aujourd’hui les suffrages de la classe ouvrière et des travailleurs. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que l’on abuse ainsi les classes populaires. Pour autant cela ne change rien à la conviction que c’est en se préoccupant du plus grand nombre et non pas en l’entretenant dans la haine de l’autre et de l’assisté mais en conquérant des droits nouveaux et en poursuivant l’idéal d’égalité que l’on fait œuvre utile pour sa nation et pour l’humanité. Mais mon camp a commis l’erreur de s’aligner sur l’européisme libéral de la droite et de ne pas savoir jouer le rapport de force avec l’économie allemande. Le quinquennat Hollande l’a montré et je reste très fier d’avoir accueilli en 2015 dans ma commune l’assemblée d’été de ceux que l’on a appelés les Frondeurs[1]. Même s’il doit être précisé que j’étais en accord sur le fond avec eux mais pas sur la méthode. Sous la Vème République la fronde parlementaire n’existe pas. Tout au plus peut-on scinder un groupe parlementaire.

Aucun débouché politique n’a été donné aux colères créées par la mondialisation libérale qui n’est pas seulement affaire de marchés, de bourses et de règlements européens mais surtout d’industrie disparue, d’anciens monopoles publics dépecés par des spéculateurs (le marché de l’énergie est l’exemple le plus ubuesque) et de renoncement au protectionnisme. Le bulletin de vote s’est démonétisé. Rien d’étonnant à ce qu’il soit utilisé contre le pouvoir national à l’occasion d’élections européennes.

Et voilà que la boucle est bouclée avec le début de mon propos.

Est-il trop tard pour bien faire ? Probablement pas. Mais c’est un long chemin que celui de l’éveil des consciences. Déjà en 2014 je publiais une tribune alertant sur ce sujet[2], et c’est régulièrement dans mes prises de paroles au Sénat que je rappelle la nécessité de parler clairement de souveraineté et de la nécessité que la France ne s’aligne pas sur les Etats-Unis comme un allié parmi d’autres. Certes, les victoires idéologiques sont longues, mais par histoire familiale et personnelle comme par connaissance de l’histoire de la France et de la gauche démocratique, je ne vois rien de mieux à faire que de poursuivre la lutte, quand bien même elle change indéniablement de nature puisque, si l’extrême-droite n’est pas au pouvoir à l’heure où je publie cette analyse, elle est devenue et pour un temps certain le nouveau pôle autour duquel s’organise la droite. Mais nous sommes demain le 18 juin et il y a des flammes qui ne s’éteindront pas. Et ce ne sont ni celles du RN, ni celles de ses alliés européens.

Références

[1] Vous retrouverez ici mon discours d’accueil :  https://www.youtube.com/watch?v=2rL9KE8l5SY&t=1s

[2] https://mickaelvallet.fr/2014/05/26/langoisse-du-premier-federal-au-moment-decrire-le-communique-de-la-defaite-reaction-personnelle-au-resultat-des-europeennes/, reprise par Marianne dans un entretien : https://mickaelvallet.fr/2014/05/27/comme-toute-structure-le-ps-peut-mourir

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La victoire électorale du Rassemblement national et après ?

La victoire électorale du Rassemblement national et après ?

La victoire du Rassemblement National à l’élection française au parlement européen était annoncée par les instituts de sondage. Mais nous refusons de croire aux évènements catastrophiques qui nous attendent. Nous faisons comme s’ils n’allaient jamais se produire, jusqu’à ce qu’ils surviennent et nous sidèrent.

Photo : Libération

Voilà qui est fait.

La liste du Rassemblement national conduite par Jordan Bardella a devancé largement toutes les autres le 9 juin 2024, en recueillant 31,4% des suffrages, loin devant la liste soutenue, (pour ne pas dire conduite par procuration) par Emmanuel Macron qui n’en recueille pas la moitié, ou celle de Place publique – Parti socialiste et de la France insoumise qui font une performance encore inférieure.

Ce n’est pas la première fois que le Rassemblement national est en tête des résultats aux élections européennes; en 2019, il l’avait déjà emporté avec un peu plus de 23% des suffrages, devançant de peu la liste de la majorité présidentielle et toutes les listes de gauche. L’écart était beaucoup moins important qu’aujourd’hui, mais la défaite du président, élu moins de 2 ans auparavant, n’en était pas moins un sérieux avertissement.

Et puis, en 2022, sans faire alliance avec aucun autre parti et malgré la concurrence du nouveau parti lancé par Éric Zemmour, le Rassemblement national fit entrer 89 députés à l’Assemblée nationale, dans le cadre d’un scrutin de circonscription uninominal à deux tours qui ne lui était en principe pas favorable. Auparavant, le Front national, ancêtre du Rassemblement national, n’avait quasiment pas été représenté au Parlement à l’exception de la mandature ouverte en 1986, élue au scrutin proportionnel par la volonté de François Mitterrand, une décision dans laquelle le souci louable d’assurer une représentation plus démocratique de la population à l’Assemblée nationale rejoignait celui de limiter la défaite annoncée du parti socialiste.

Nous n’allons pas refaire ici l’analyse détaillée du résultat de l’élection au Parlement européen de dimanche dernier. La carte que chacun a pu voir dans les médias est beaucoup plus parlante que tous les discours : la couleur marron, généralement associée par les cartographes au Rassemblement national, couvre tout le pays. Seules subsistent quelques petites taches correspondant aux grandes agglomérations urbaines où la liste Renaissance, celle du Parti socialiste et celle de la France insoumise arrivent en tête.

Ces cartes ont l’avantage d’être très lisibles et frappantes. Elles ont aussi un inconvénient, c’est qu’elles ne font pas apparaître que le premier parti de France reste celui des abstentionnistes, avec près de 50% des inscrits, le parti de ceux qui ne font pas plus crédit au RN qu’aux autres partis politiques.

La réponse d’Emmanuel Macron, préparée à l’avance sans avoir été rendue publique, n’a pas tardé. Il a prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale et convoqué de nouvelles élections législatives le 30 juin et le 7 juillet 2024.

Les spéculations vont bon train sur les raisons de cette décision, souvent qualifiée de pari. Les supporters du président le trouvent courageux et ceux qui ne le soutiennent pas -ils sont plus nombreux- le qualifient de risqué, voire de suicidaire. Beaucoup de députés macronistes voient avec effroi arriver plus tôt que prévu la fin de leur carrière parlementaire.

Pour E. Macron, il s’agit d’essayer de faire vivre le clivage qu’il veut imposer depuis 2017 entre « progressistes et nationalistes », les deux camps qu’il voulait constituer après avoir fait disparaître le vieux clivage entre la droite et la gauche. Il n’y est pas parvenu, pas plus qu’il n’est parvenu à donner un contour politique précis au macronisme qui après sept ans de pouvoir, n’est pas autre chose que la politique économique et sociale de la droite française matinée de quelques réformes « sociétales » qui divisent autant la droite que la gauche. Le projet de loi sur la fin de vie, dont le débat est interrompu par la dissolution, en est un exemple. Par son nouveau « quitte ou double », il veut une fois de plus obliger tous les partis à se positionner soit dans le camp dont il veut être le leader, celui de ceux qui combattent l’extrême droite nationaliste, soit dans celui des complices de Le Pen. Ce faisant, loin d’affaiblir le RN il le renforce en le plaçant plus que jamais au centre de la vie politique française et il affaiblit encore plus sa propre position.

L’opposition de gauche, dont la faiblesse a été confirmée par ces élections, est encore plus divisée qu’en 2022 et cherche le moyen de refaire la nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES), qui avait permis à ses composantes d’échapper au désastre lors de la dernière élection législative de 2022. Chacun fait mine de poser ses conditions. Raphaël Glucksmann qui n’existe que grâce à l’inconsistance du Parti socialiste et ne dispose d’aucune base politique réelle, en a énuméré cinq lundi soir sur France 2, qui visaient toutes à interdire un accord électoral avec la France insoumise. Les Verts, forts de leurs 5%, proposaient dix piliers pour soutenir un éventuel accord. Au cours de la nuit, les négociateurs des quatre partis les plus importants de la gauche ont adopté une déclaration en faveur de la présentation d’un seul candidat de gauche par circonscription, dans laquelle aucune des conditions des uns et des autres ne figure, qui renvoie à (un peu) plus tard la définition du programme commun à ces formations. Pour y parvenir, il faudra éviter les nombreuses questions qui fâchent et s’entendre sur un programme minimum.

Au-delà des déclarations, toutes plus unitaires les unes que les autres, pour lutter contre le fascisme, il faudra s’accorder sur la répartition des circonscriptions. Elle était très favorable à la France insoumise en 2022. Le rapport de force électoral a changé et les partenaires de LFI exigeront un rééquilibrage. Les quelques jours qui viennent seront donc compliqués.

  • Comment en sommes-nous arrivés là ?

L’arrogance du président de la République, son inexpérience, sa conviction d’avoir toujours raison seul contre tous, son exercice de la fonction présidentielle comme l’acteur de théâtre qu’il aurait rêvé d’être, sa désinvolture qui le conduit à dire une chose et son contraire d’un jour à l’autre sur des sujets sensibles touchant aux relations internationales de la France, sa tendance à faire la leçon à tous ses interlocuteurs (son dernier discours sur l’Europe à la Sorbonne dura plus de deux heures !), tout cela a sans doute joué un rôle dans la descente aux abimes du parti présidentiel et de son chef et dans l’ascension du Rassemblement national. Mais un rôle secondaire.

Les résultats du 9 juin résultent essentiellement :

De l’incompréhension persistante de la signification du vote en faveur du Rassemblement national par E. Macron et son parti, comme par ses prédécesseurs.

Ils l’ont toujours considéré comme le vote de protestation de citoyens mal informés, incapables de s’adapter à la marche du monde, et ne l’ont jamais pris au sérieux. Ils n’y ont pas vu l’expression raisonnée du rejet du système économique et institutionnel responsable de leurs malheurs par un nombre croissant de citoyens. Le vote pour le RN n’a pas été compris comme le mouvement par lequel une partie de la population tournait le dos à des responsables politiques qui se disaient eux-mêmes impuissants à régler les problèmes, à modifier les rapports de forces internationaux et européens, tout en conduisant une politique favorable aux plus riches. Aux yeux des dirigeants, le vote RN ne pouvait être qu’une erreur passagère qui serait corrigée en expliquant mieux la politique mise en œuvre (refrain entendu après chaque défaite électorale).

Mais le vote pour le RN n’était pas une erreur commise par des Français ayant mal compris la bonne politique du gouvernement insuffisamment expliquée ; c’était une demande de modification d’une politique sociale et économique injuste et dont les résultats désastreux sont constatés par tous (désindustrialisation, disparition des services publics, endettement massif…).

L’utilisation répétée du Front puis du Rassemblement national comme un épouvantail pour obtenir le vote des Français, au nom de la défense des valeurs de la République, avant d’accabler ceux qui ont voté pour faire barrage au RN de mesures défavorables, est la seconde explication.

Emmanuel Macron a bénéficié du réflexe de « front républicain » lors de sa première élection en 2017 pour l’emporter malgré un score de premier tour assez faible (24% des voix). Il a dramatisé cet enjeu encore plus en 2022 sachant que la position relative de Marine Le Pen s’était améliorée par rapport à leur première confrontation. Il s’apprête à rejouer cette partition après avoir décidé de la dissolution de l’Assemblée nationale. Mais il sous-estime l’usure de cet argument, surtout qu’à peine réélu en 2022, Emmanuel Macron a imposé, notamment, la remise en cause des régimes des retraites à coups de recours à l’article 49-3 de la constitution et de répression policière. Avec la même hargne, il a imposé la réduction drastique de l’indemnisation des chômeurs à des partenaires sociaux qui n’en voulaient pas. A chaque fois, son discours fut le même : j’ai été élu sur un programme, je le mets en œuvre ! Comme s’il n’avait pas été élu aussi par ceux qui voulaient éviter l’élection de Marine Le Pen, et acceptaient pour un temps d’oublier leurs désaccords avec le programme d’E Macron! Ce mépris répété des électeurs qui croyaient, quelles que soient leurs convictions, à la légitimité du vote républicain, a fini par ruiner cette conviction et rompre ce barrage.

La diabolisation du RN, présenté comme un parti fasciste, finit par produire l’inverse de l’effet recherché. Je ne trouve pas le RN sympathique, je ne partage nullement ses orientations et ne voterai jamais pour ce parti. Mais le RN n’est pas un parti fasciste. Il respecte les institutions de la République, participe aux élections comme les autres partis et se soumet à leur verdict ; il ne déchaine pas la violence de milices, dont il ne dispose d’ailleurs pas, contre ses opposants. Il n’y a pas de squadristes ou de SA défilant dans nos rues. Le RN défend un programme que je n’aime pas, mais il a le droit de le faire dans un régime démocratique qui garantit la libre expression et la confrontation des idées, aussi longtemps que sont respectées les personnes et que l’ordre public n’est pas troublé.  Les tentatives d’isoler le RN de la société à coup de condamnations morales ont échoué. Elles pèsent peu dans une société qui n’accorde plus beaucoup de place à la morale et aux principes, en dépit de l’invocation abstraite incessante des « valeurs de la République ». Elle n’empêche pas que la liberté soit rognée et le pouvoir de l’autorité administrative sans cesse étendu ; la fraternité, elle, a été remplacée par la bienveillance. Quant à l’égalité, elle a disparu au profit de la lutte contre les discriminations qui s’accommode très bien de l’accroissement des inégalités.  

Si l’appel à faire barrage au fascisme est l’argument principal des élections du 30 juin et du 7 juillet, l’échec est assuré. On ne gagne pas une élection en s’opposant à un autre parti, mais en proposant une alternative.

Le populisme n’est pas une spécificité française, mais les institutions de la cinquième République et la présidentialisation sans cesse renforcée de l’exercice du pouvoir depuis 1962, lui donnent un caractère spécifique. C’est par sa participation régulière à l’élection présidentielle que le RN est devenu un parti national. Il est resté longtemps sans forces sur le territoire, avec une implantation locale limitée. Pourtant il pouvait, et peut aujourd’hui plus que jamais, se présenter comme un candidat potentiel à l’exercice du pouvoir susceptible de s’emparer de la présidence de la République puis en s’appuyant sur la dynamique de cette élection, de la majorité à l’Assemblée nationale. L’importance des pouvoirs dont dispose le président de la République (présidence du conseil des ministres, pouvoir de nomination étendu, direction réelle du pouvoir exécutif, etc.) donnerait en effet la capacité à Marine Le Pen si elle devenait présidente de la République et si elle pouvait s’appuyer sur une majorité parlementaire, de transformer assez profondément la composition et le fonctionnement de l’administration de l’État. L’absence de contre-pouvoir au président de la République, présenté depuis 1958 comme un gage d’efficacité de l’exécutif, apparaîtrait enfin pour ce qu’il est vraiment, un déni de démocratie.

La France n’est pas le seul pays d’Europe dans lequel un parti populiste de droite existe, mais dans aucun autre pays il ne réalise un score aussi important qu’en France.

Il faut le dire, avec ou sans Marine Le Pen, nous ne vivons pas dans une véritable démocratie. Le parlement est muselé et lorsqu’il dispose d’une majorité, le président peut faire décider ce qu’il veut. Lorsque le peuple s’exprime par referendum, comme en 2005 sur le projet de constitution européenne, le parlement, à l’instigation de l’exécutif, ratifie le traité rejeté par le peuple souverain. Il n’y a plus de domaine réservé du président de la République, tout lui est réservé, des choix de politique énergétique à l’envoi de troupes à l’étranger, en passant par celui des morts méritant d’être panthéonisés ou le dispositif de sécurité pour les Jeux Olympiques.

Cette confiscation du pouvoir par le président de la République est inadmissible du point de vue de la démocratie, paralysante pour le pays et profondément inefficace.

  • Et maintenant ?

On peut imaginer des dizaines de scénarios sur les événements des semaines à venir. Comme je n’ai aucun don pour prévoir l’avenir, je m’en tiendrai à quelques observations prudentes.

Les résultats électoraux de dimanche dernier ne tombent pas du ciel. Ils expriment des rapports de force installés dans le pays et qui ne se modifieront pas par le seul effet d’une dramaturgie de la situation voulue par le président de la République. Bien sûr, le nombre de députés élus sous l’étiquette du Rassemblement national le 7 juillet prochain dépendra de l’existence effective de candidature unique à gauche ; de la façon dont la droite s’organisera en vue de cette échéance, macronie comprise ; de la mobilisation de l’électorat dont une partie sera déjà en vacances d’été, etc. Mais dans tous les cas de figure, la représentation du Rassemblement national sortira renforcée de ce scrutin. Les spécialistes de politique font tourner leurs modèles et présentent des résultats parfois très élevés pour ce parti. Mais la situation est inédite et les projections restent sujettes à caution tant les conditions de cette courte campagne restent inconnues.

Cette élection législative précipitée n’apportera pas de solution à la crise institutionnelle à laquelle Emmanuel Macron est confronté.

Le macronisme est une fiction politique apparue dans des conditions exceptionnelles : Un président sortant complètement discrédité, n’étant plus en mesure de se présenter ; le parti socialiste qui avait permis à François Hollande d’accéder à la présidence de la République détruit par la politique suivie pendant les cinq ans de son mandat qui explose et disparaît presque ; le principal parti de droite après le choix de la candidature de François Fillon qui ne réussit pas à se qualifier face à Emmanuel Macron, notamment en raison de « l’affaire Pénélope ». Une partie de la classe dominante considérait que son rêve d’administrer le pays comme une entreprise du CAC 40 était enfin à portée de main avec ce jeune technocrate parlant couramment le langage du management et ne jurant que par la disparition des partis politiques traditionnels. Les arrivistes nombreux, de droite et de gauche, se rallièrent à cette candidature inattendue qui leur offrait de belles opportunités, comme on dit dans les annonces de recrutement.

Emmanuel Macron se fit élire en prétendant qu’il allait faire la révolution, il n’avait pas précisé laquelle. Après avoir promis la disruption, la transformation de la société « bottom-up » pour transformer la France en « start-up nation », il instaura un mode d’exercice du pouvoir plus centralisé que jamais, ignorant tous les pouvoirs intermédiaires, les élus locaux, les syndicats, et finalement le pays tout entier. Le Journal officiel peut témoigner du fait que, depuis 2017, la France a beaucoup progressé en matière de production de pages de lois bavardes et de décrets d’application interminables, de plans produits à jets continus sans jamais connaître de mise en œuvre véritable et sans qu’aucun bilan n’en soit jamais tiré. L’essentiel fut d’alimenter la machine médiatique quotidienne qui distille les dossiers de presse qu’elle reçoit et répercute les « annonces » qui tiennent lieu de politique, que tout le monde aura oubliées dès le lendemain.

Il ne restera rien de tout cela, si ce n’est un pays encore plus divisé et démoralisé qu’il ne l’était en 2017. Le parti d’Emmanuel Macron disparaîtra avec lui ; l’héritage est déjà en train d’être partagé.

E Macron ne sortira pas renforcé des élections anticipées qu’il a provoquées. Il est seul à ne pas avoir compris que son sort était scellé et que le roi était nu. Il est trop étourdi par son propre bavardage pour cela. Il ne dispose pas de majorité au Parlement. Il en aura encore moins après le 7 juillet, même si ce scrutin ne débouchera pas forcément sur une cohabitation Macron-Bardella. La deuxième partie du mandat d’E. Macron sera une agonie et non une renaissance.

La gauche ne gagnera pas les prochaines élections législatives, aussi unie soit-elle, pour la bonne raison qu’elle est très minoritaire dans le pays pour le moment, et n’est capable d’obtenir les suffrages que d’un bon tiers de l’électorat.

Elle ne peut dans l’immédiat que sauver le plus de meubles possibles par un accord électoral nécessaire, mobiliser autant que possible ses électeurs et empêcher l’extrême droite d’avoir la majorité absolue.

Dans l’adversité, elle peut cependant trouver le chemin de la reconstruction pour remporter d’autres succès plus tard.

La première condition de la reconstruction sera que les partis de gauche cessent de chercher le leader, le candidat idéal capable de gagner l’élection présidentielle, le vrai chef qui aura une réponse à chaque question, qui saura diriger la France avec fermeté. Le candidat de la gauche devrait être l’inverse de cela, un candidat qui précisera les limites de son pouvoir, de son intervention dans le fonctionnement de l’État, comment il respectera la représentation parlementaire, comment il permettra aux citoyens et aux corps intermédiaires de participer à la vie démocratique. La gauche doit se désintoxiquer du présidentialisme et contribuer à en guérir les Français.

Elle devra aussi travailler à un programme qui ne soit pas un catalogue de propositions techniques précises, un quiz des réponses à apporter aux demandes des différents lobbies dans l’espoir d’en additionner les voix.

Son programme devrait répondre aux questions principales que se pose la majorité des français :

  • Comment assurer à tous les Français un revenu leur permettant de se loger et de vivre dignement pendant leur formation, leur vie professionnelle et lorsqu’ils sont à la retraite et comment préserver les régimes sociaux de solidarité ? (Quelle politique économique, budgétaire et fiscale, quelle place redonner aux partenaire sociaux dans la gestion des dispositifs mutualisés, quelle démocratie sociale ?)
  • Quelles mesures et moyens permettront de faire fonctionner correctement les services publics de santé, d’éducation, de sécurité publique  ? (Quelle organisation et quel statut des services publics ; quels modes de financement ; quelles règles de coexistence et de concurrence entre les modes de gestion privés et publics des services publics)
  • Comment démocratiser le système politique français sans renvoyer à une hypothétique convention constituante qui aura pour tâche de modifier de fond en comble notre système institutionnel ? (Identifier les principales une mesure permettant de modifier le fonctionnement de la 5e République sans réviser la constitution et les modifications constitutionnelles susceptibles d’être adoptées de manière relativement consensuelle)
  • La souveraineté est la possibilité pour un État de garantir l’exercice des libertés par la loi sur un territoire donné. Quelle politique la gauche défendra-t-elle pour conjuguer la coopération européenne nécessaire et la préservation de la souveraineté nationale garantie par la constitution?
  • Les grandes orientations de la politique étrangère : Quelle politique de réduction des tensions internationales ? Quels objectifs de la politique de développement et de coopération ? Quelle industrie d’armement et quelle politique internationale en faveur du désarmement? Quelle armée française et/ou européenne  ?
  • Comment assurer le succès de la transition écologique nécessaire sans développer une bureaucratie galopante et en favorisant au maximum les initiatives locales plutôt que les solutions uniformes définies au niveau des administrations centrales et en répartissant justement les coûts de ce changement du mode de production été de consommation ?

Il s’agit de définir une démarche plutôt que d’élaborer un catalogue de recettes de gestion de gauche du pays; de proposer une orientation plutôt qu’une liste d’engagements assortie d’un calendrier d’exécution. Nous avons assez d’expérience pour savoir que les mesures techniques imaginées dans la perspective de l’élection suivante buttent, lorsqu’elles doivent être mises en œuvre, sur une multitude de difficultés imprévues, ce qui est normal. Certaines pourront être reconsidérées, modifiées ou abandonnées, sans que cela soit une trahison quelconque. C’est pourquoi ce qui doit être proposé c’est un cap, une ligne directrice à laquelle chacune des décisions prises dans l’exercice du pouvoir puisse être comparée, pour mesurer dans quelle mesure elle contribue à la réalisation des objectifs fixés ou au contraire elle s’en écarte.

Un programme ne devrait pas être la somme des propositions faites par les différentes organisations qui le soutiennent, l’addition des signes envoyés à son électorat de prédilection, mais un texte ne dépassant pas une trentaine de pages, qui puisse être lu par tout le monde et dont on se dise après l’avoir lu qu’il dresse le portrait du monde dans lequel on aimerait vivre.

Le programme du Conseil national de la résistance, auquel il est très souvent fait référence, ne faisait que quelques pages et ne comportait aucun détail technique précis sur les conditions de la mise en œuvre des orientations qu’il proposait. C’est ce qui a fait sa force. C’est pourquoi il a débouché sur la mise en place des éléments essentiels du système social qui permet encore à la majorité d’entre nous de vivre convenablement.

Il ne s’agit plus de mettre en avant telle ou telle radicalité, de rendre les angles plus aigus, les divisions plus profondes qu’elles ne le sont dans une société très éclatée. Au contraire, il faut chercher à rassembler bien au-delà de ce qui définit la gauche rabougrie qui subsiste aujourd’hui et qui ne pourra changer d’échelle et de place dans la société que si elle reprend un dialogue avec l’ensemble des français.

Le 11 juin 2024

Jean-François Collin

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Le train est-il un transport de riche ?

Le train est-il un transport de riche ?

Le train est un mode de transport très régulièrement considéré comme cher, notamment par rapport à d’autres types de transport. L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, effective depuis 2020, doit selon ses promoteurs, faire baisser les prix. Mais que se cache-t-il derrière le prix d’un billet ?

Le train est un mode de transport très régulièrement considéré comme cher, notamment par rapport à d’autres types de transport. L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, effective depuis 2020, doit selon ses promoteurs, faire baisser les prix.

Pour déterminer la capacité de la concurrence à avoir un effet réel sur les prix, il est important de connaître ce qui se cache derrière le prix d’un billet de train. Trois éléments clés peuvent être cités : les tarifs des péages ferroviaires, la rentabilité financière des entreprises, et le modèle de tarification qui s’ajuste à l’offre et à la demande (le yield management).

Le système du yield management

Commençons par expliquer ce qu’est le yield management et la manière dont sont fixés, au travers de ce système, les prix des trains, notamment ceux de la SNCF. A noter qu’elle n’est d’ailleurs pas la seule compagnie ferroviaire à utiliser ce système, c’est également le cas de Trenitalia, qui vient de faire son entrée sur le marché français.  

Le yield management est une pratique commerciale consistant à ajuster les prix en fonction de l’offre et de la demande, en temps réel. Les lignes les plus fréquentées sont donc les plus chères. Les prix vont également varier en fonction des heures creuses, de pointes, et des jours de la semaine, toujours du fait de l’ajustement de la demande. Ce qui peut être frustrant pour les passagers, c’est de se rendre compte qu’ils n’ont pas payé le même prix pour un même billet, et c’est d’ailleurs souvent le cas. Ainsi, vous pouvez consulter les prix pour un trajet à un instant T, et de nouveau quelques jours / semaines après, et constater une augmentation. Cette méthode est également valable pour le prix des billets d’avion, ce système est d’ailleurs majoritairement utilisé par les compagnies aériennes.

Cela s’explique par les avantages qu’il y a pour les entreprises, pour leur rentabilité certes, mais également pour inciter les potentiels voyageurs à planifier plus tôt leurs voyages, et ainsi s’assurer bien en amont d’un taux de remplissage suffisant.  

Les péages ferroviaires

40% du prix des billets TGV correspond au prix des péages ferroviaires, dont doivent s’acquitter les opérateurs ferroviaires : il s’agit du paiement d’un droit d’emprunter les infrastructures. Ce coût, est donc payé par le voyageur. Les tarifs de ces péages sont fixés par l’Etat (via SNCF Réseau), et vont varier en fonction des lignes. Si elles sont très fréquentées, en fonction de leur typologie (ligne TGV / ligne TER), et si elles nécessitent une maintenance plus importante, les prix des péages seront plus élevés et inversement. Les péages des lignes « alternatives » aux lignes très fréquentées (exemple : Marseille-Marne-la-Vallée / Marseille-Paris) sont moins élevés, ce qui explique la capacité de Ouigo à proposer des prix inférieurs sur ces types de trajet.

Les péages ferroviaires français sont parmi les plus élevés en Europe, et devraient encore augmenter dans les prochaines années : +7,6% en 2024, +4% en 2025 et 2026(1). Plusieurs régions, ont contesté auprès du Conseil d’Etat l’augmentation des péages ferroviaires sur leurs réseaux régionaux. Elles ont obtenu gain de cause, et SNCF Réseau doit désormais proposer une nouvelle tarification(2).

Le coût des péages pèse donc aujourd’hui énormément sur le billet de train, et cela va aller en s’accentuant, du fait du vieillissement important du réseau et de la nécessité d’y investir massivement. En effet, les péages permettent à SNCF Réseau de financer les coûts de maintenance, de modernisation et de rénovation du réseau ferroviaire. L’achat de billet de train contribue donc au maintien et à la rénovation du réseau. Ce coût pèse donc énormément sur les usagers.

Est-ce que de tels coûts existent pour les autres modes de transport ? C’est bien le cas pour la voiture individuelle avec le paiement des péages autoroutiers et de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques). Pour l’avion, les transporteurs payent également une taxe d’aviation civile et des redevances aéroportuaires, représentant environ 26% du billet d’avion, en moyenne, pour une compagnie comme Ryanair(3)

Toutefois, il y a quelques déséquilibres entre les taxes payées par les différents modes de transport : d’abord, sur la TVA. Alors que les billets de train y sont assujettis, ce n’est pas le cas des billets d’avion pour les vols internationaux. Ensuite, alors que les compagnies ferroviaires s’acquittent d’une taxe sur l’énergie et l’essence, les compagnies aériennes ne payent à ce jour aucune taxe sur le kérosène. Une première solution, largement réalisable immédiatement, pourrait être de baisser la TVA à 5,5%, sur les billets de train.

Le train est-il réellement plus cher que la voiture ?

L’INSEE publie régulièrement des données sur la variation des prix des trains. L’institut a ainsi constaté une augmentation des prix de 12%, entre 2021 et 2022, puis une augmentation de 5% en 2023 sur les billets TGV et TET. 

La SNCF justifie certaines de ces augmentations par la hausse des prix de l’électricité, elle qui consomme entre 1 et 2% de la production d’électricité française chaque année. Elle a ainsi accusé un surcoût sur son budget de 13%. La seule réponse de l’exécutif a été de l’encourager à réaliser des économies d’énergie, sans pour autant réduire son nombre de circulations. La demande semble comique, quand on sait que 82% de l’énergie que consomme la SNCF sert à faire rouler ses trains.

Bien que ces hausses soient difficilement entendables pour les voyageurs, le fond du problème reste le maintien de la France dans le marché de l’électricité européen, induisant des hausses importantes des coûts pour les entreprises, mais aussi les collectivités.

Au-delà de l’augmentation des coûts de l’électricité, les prix des TGV sont plus élevés que ceux des TER / TET du fait des coûts d’exploitation et de maintenance. Selon la Cour des Comptes(4), ceux qui les empruntent fréquemment font partie des catégories ayant des hauts revenus. Alors, le train, en comparaison avec la voiture, est-il réellement plus cher ?

A contre-courant de l’idée générale, les prix des trains en France n’apparaissent pas si élevés en comparaison avec les autres pays européens. Une étude menée par GoEuro, qui vend des billets de transport en ligne, considère que les prix des billets en France sont plutôt bas, surtout en comptant qu’une grande partie des billets concerne des trajets TGV. Le prix moyen en France pour 100 kilomètres serait de 7,8 euros, quand il est de 29,7 euros au Danemark, 28,6 euros en Suisse ou encore 24 euros en Autriche(5) 

Toutefois, même si nous faisons le constat que les prix moyens en France sont moins élevés qu’ailleurs, cela reste aujourd’hui dissuasif pour un certain nombre de français, qui arbitrent à l’instant T le montant à débourser entre le train ou la voiture. En effet, lorsque l’on prend le train, l’intégralité des coûts est comprise dans le billet. Ce n’est pas tout à fait le cas de la voiture. Les coûts pris en considération pour un trajet donné seront principalement l’essence et les péages. Pour autant, pour pouvoir réellement comparer le coût entre ces deux modes de transport, pour la voiture il faut aussi y intégrer les coûts amortis sur le long terme. Par exemple, les frais d’assurance, le prix de la voiture (à amortir donc sur la durée), les frais d’entretien, ou encore, plus difficile à chiffrer, le coût des externalités négatives que va supporter la société (pollution, particules, accidents, etc.).

La comparaison entre ces deux modes de transport va aussi varier en fonction du nombre de passagers. Prendre la voiture plutôt que le train, quand on est une famille, apparaît nécessairement moins cher et plus pratique.

Il faut bien sûr souligner le fait qu’au-delà de la question des coûts, les voyageurs peuvent préférer la voiture au train, tout simplement car ils ne disposent pas d’une gare à proximité permettant de réaliser le trajet souhaité. Parfois, ce choix est donc contraint.

Certains voyageurs choisissent parfois l’avion au détriment des trains par rapport au prix. Bien que la loi Climat et Résilience de 2021 prévoit la suppression des vols internes lorsqu’une alternative de deux heures trente existe, cette interdiction est partiellement mise en œuvre. En effet, certaines liaisons bénéficient de dérogation et des lignes ferroviaires comme Marseille-Paris vont au-delà du délai fixé de 2h30. Les prix plus bas de certains vols internes qui ne respectent pas cette réglementation, s’expliquent par l’absence de taxe sur le kérosène, à la différence de l’électricité. La TVA reste applicable sur les vols internes, mais ne l’est pas sur les vols internationaux.

Quelles solutions ?

Pour garantir des prix plus attractifs pour les trains et garantir le droit aux vacances / voyages de tous et toutes (en empruntant le train), plusieurs options peuvent être envisagées.

La baisse des péages ferroviaires est une proposition, mais elle reste compliquée à appliquer puisqu’ils permettent de financer la rénovation du réseau. Peut-être faudrait-il que ces frais ne ne soient pas totalement imputables aux usagers. Une proposition alternative serait de baisser la TVA sur les billets de train, à 5,5%. Toutefois, une baisse des prix des péages nécessite forcément de trouver des financements complémentaires pour les affecter à la modernisation / rénovation du réseau. Au-delà de la baisse des prix des péages, ce sont éventuellement les financements affectés à la rénovation / modernisation du réseau qui sont à repenser.

Sur le droit aux vacances, l’article 24 de la Déclaration universelle des droits de L’Homme, stipule que « toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée de travail et des congés payés périodiques ». Pour se faire, en lien avec le transport ferroviaire, plusieurs leviers d’actions peuvent être activés. D’abord, la mise en œuvre de tarifs préférentiels sur les trajets en train, pendant les périodes de vacances et de grandes vacances. En France, le gouvernement a décidé de proposer une offre aux moins de 27 ans, permettant de voyager en TER en illimité cet été, grâce à un pass rail au prix de 49 euros. Cette offre exclut les trajets en TGV, ce qui est dommageable. L’Allemagne a expérimenté un tel dispositif l’été dernier, mais au prix de 9 euros, et incluant tous les types de population et pas uniquement les jeunes. La Fondation Jean Jaurès propose également de pouvoir proposer un billet « populaire » en TGV pour la somme modique de 20 euros, pour garantir ce droit aux vacances(6).

Autre proposition intéressante de la Fondation, permettre aux régions qui disposent en partie de la compétence tourisme, de développer des offres de mobilité desservant les zones touristiques, dans sa région ou vers les régions environnantes. Elles consigneraient leurs stratégies dans un volet « mobilité et accès aux zones touristiques » dans leurs schémas centraux d’aménagements du territoire et des transports(7). Dans ces offres, le train, prendrait toute sa place.

Enfin, pour favoriser le train au détriment de l’avion et dans une perspective écologique et égalitaire, la loi de 2021 doit être applicable sur toutes les liaisons pertinentes sur le territoire national et le kérosène doit être taxé au même titre que l’électricité.

Ainsi, même si les prix des billets de train français semblent moins chers par rapport à nos voisins, ils restent toujours trop dissuasifs pour certaines catégories de la population dont un certain nombre de familles. Il faut donc à la fois : 

  • Repenser le système de tarification des péages et faire peser leur coût sur l’ensemble des acteurs et non pas uniquement sur les usagers ;
  • Réfléchir à une vraie politique publique nationale permettant de garantir le droit aux vacances ;
  • Appliquer concrètement la loi de 2021, sans dérogation injustifiée, en menant une étude sur l’entièreté du territoire pour étudier les principales liaisons et les alternatives.

Il s’agit prioritairement de proposer une vraie alternative à l’utilisation de la voiture individuelle dans l’ensemble des territoires, et de rendre les transports en commun et ferroviaire, accessibles financièrement à tous et toutes pour les transports du quotidien et les vacances.

Références

(1)Public Sénat (2023) : pourquoi les prix des billets de train continuent-ils d’augmenter ?  https://www.publicsenat.fr/actualites/territoires/pourquoi-les-prix-des-billets-de-train-continuent-ils-daugmenter

(2) FranceInfo (mars 2024) : Péages ferroviaires, le Conseil d’Etat demande à SNCF Réseau de revoir la fixation de sa redevance pour les régions : https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/sncf/peages-ferroviaires-le-conseil-d-etat-demande-a-sncf-reseau-de-revoir-la-fixation-de-sa-redevance-pour-les-regions_6406090.html

(3) Le Figaro (2023) : mais pourquoi les billets de train sont-ils si chers ? : https://www.lefigaro.fr/societes/mais-pourquoi-les-billets-de-train-sont-ils-si-chers-20230701

(4) Cour des Comptes (2014) : la grande vitesse ferroviaire, un modèle porté au-delà de sa pertinence : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-grande-vitesse-ferroviaire-un-modele-porte-au-dela-de-sa-pertinence

(5) Rapport au Premier Ministre (février 2018) : l’avenir du transport ferroviaire, https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2018.02.15_Rapport-Avenir-du-transport-ferroviaire.pdf

(6) Fondation Jean Jaurès (2023) : vers la vie pleine, réenchanter les vacances au XXIème siècle : https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2023/06/vie-pleine.pdf

(7) Ibid

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