« Favoriser la mixite sociale et scolaire » Entretien avec la sénatrice Colombe Brossel

« Favoriser la mixite sociale et scolaire » Entretien avec la sénatrice Colombe Brossel

Autrice d’une proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire, Colombe Brossel l’a présentée et défendue au Sénat. Si le texte a été rejeté par la droite sénatoriale, reste que son combat doit être entendu face à une dynamique de plus en plus criante : la ségrégation de l’école, publique mais surtout privée.

LTR : Jusqu’il y a quelques années, le ministère de l’Education nationale refusait de rendre publiques l’IPS, indice de position sociale, des collèges et écoles. En juillet 2022, le tribunal administratif de Paris l’a enjoint à fournir ces documents à un journaliste qui les lui demandait. Ce fut finalement chose faite en octobre 2022. On y découvre qu’au collège, les inégalités sont criantes à la fois entre les établissements publics et privés, mais également entre les établissements publics. Est-ce à partir de ce constat que vous avez décidé de déposer votre proposition de loi ?

 

CB: Vous faites bien de le rappeler, la publication des IPS n’a pas été une volonté totalement manifeste du ministère de l’Éducation Nationale puisqu’il a fallu un jugement du tribunal administratif sur le sujet. Cette publication a eu un mérite : illustrer ce que l’on savait toutes et tous comme élu.es de nos territoires, soit de façon très instinctive, soit de façon plus étayée. Moi par exemple, j’ai été adjointe aux affaires scolaires à Paris, donc j’avais déjà une bonne visibilité des différences qui pouvaient exister d’un collège à un autre. Mais là, ça a eu le mérité d’objectiver la situation nationale, avec un indicateur qui, certes n’est pas parfait, mais a le mérite d’exister. La publication des IPS a mis en lumière une chose : les phénomènes de ségrégation ne sont pas exclusivement parisiens et ne concernent pas que les grandes métropoles, mais toute la France.

La PPL est donc en effet la fille de la publication des IPS, car finalement, elle part de ce constat objectif et objectivé, mais aussi de toutes les politiques publiques qui sont mises en place par les collectivités territoriales pour favoriser la mixité sociale et scolaire. La PPL revient à se demander comment donner des outils à l’ensemble des élus locaux pour mettre en œuvre des politiques publiques à l’échelle de leur territoire.

 

LTR : La situation est surtout catastrophique entre les écoles privées et publiques. Car si d’importantes disparités existent aussi dans le public, en 2021, 18,3% des élèves du secteur privé sous contrat étaient de milieu défavorisé contre 42,6% des élèves du secteur public. Comme vous l’avez précisé dans votre intervention au Sénat, la situation empire d’année en année. 

Le sujet est double : l’objectivation et les dynamiques. Ce sont deux sujets qui accroissent les inégalités et la ségrégation. Après, je reste fermement persuadée qu’on ne peut pas travailler sur les questions de mixité sociale et scolaire sans, au préalable, 1. S’occuper de mixité sociale et scolaire – il n’y en a pas un qui est le supplément d’âme de l’autre, c’est bien en travaillant sur les deux que l’on arrive en profondeur à travailler sur les résultats scolaires, mais aussi sur le climat scolaire, la capacité des enfants à vivre ensemble, à élargir leurs horizons – et 2. Se dire que ce n’est qu’une question de public ou de privé.

Je suis élue parisienne, je sais bien vous donner la liste des collèges publics qui sont à moins de 300m l’un de l’autre avec des IPS radicalement différents. Cela veut dire qu’il y a des dynamiques à enclencher pour rétablir de la mixité sociale et scolaire. Une fois que nous avons dit ça, on ne peut pas omettre la question de l’enseignement privé sous contrat qui, pour le coup, montre que si nous ne mettons pas un frein, il y aura dans 10 ans à Paris, plus d’élèves scolarisés dans les collèges privés que dans les collèges publics. Donc, à l’évidence, il faut travailler sur les deux leviers. C’est ce qu’on a proposé dans notre texte au Sénat.

 

LTR : Pour répondre aux critiques faites à la suite de la publication des IPS des établissements scolaires, le ministre Pap Ndiaye avait annoncé vouloir faire de la mixité sociale sa priorité. Il a en ce sens signé un protocole non-contraignant avec l’enseignement catholique. La ministre Anne Genetet l’a d’ailleurs rappelé lors de l’examen de votre proposition de loi. Pensez-vous que cela puisse avoir des effets conséquents ?

CB : Nous n’avons aucune nouvelle du protocole, à part voir défiler des ministres qui nous disent « on vous donnera des nouvelles de la mise en œuvre du protocole ». J’ai entendu Nicole Belloubet nous dire « ne vous inquiétez pas, on vous fera un point d’étape sur la mise en œuvre du protocole » bon, au revoir Nicole Belloubet, bonjour Anne Genetet qui nous a dit la même chose. Moi je suis comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois.

On est pour l’instant sur un protocole non-contraignant. J’ai entendu toutes les bonnes raisons qui ont été données, notamment par le secrétariat de l’enseignement catholique, sur le fait qu’ils avaient extrêmement envie de participer à l’effort national, mais que c’était très compliqué pour eux. Je pense fondamentalement que la question de la mixité sociale et scolaire n’est pas une question de contrainte, mais de politique publique. Faire de la politique publique, c’est mettre de la régulation. On voudrait nous expliquer qu’au nom de « il ne faut pas relancer la guerre scolaire », on est dans un système de concurrence libre et non-faussée. Or, cette concurrence n’est, ni libre, ni non-faussée. L’enseignement privé et sous contrat ne peut pas être exonéré de régulation et de règles.

 

LTR : Vous qui êtes élue du 19ème arrondissement, avez-vous un état des lieux de la mixité sociale et scolaire dans cet arrondissement ? Diffère-t-il des autres ? 

Pour rappel, en 2013 le ministre socialiste de l’Éducation nationale Vincent Peillon inscrit pour la première fois la notion de mixité sociale dans le code de l’éducation. A la fin du mandat de François Hollande, les premières expérimentations en matière de mixité sociale et scolaire voient le jour lorsque Najat Vallaud Belkacem devient ministre de l’Éducation Nationale. À l’époque, Paris est l’académie la plus ségréguée de France, donc c’est un sujet dont on ne pouvait pas s’exonérer. On décide de mettre en place dans 3 binômes d’établissements – 2 dans le 18e et 1 dans le 19e – une expérimentation de collèges multi-secteurs avec des modalités différentes. Dans le 18e on a un exemple un peu paroxystique avec des collèges très proches géographiquement et très ségrégués (de manières différentes), ou nous avons fait 1 seul et même secteur afin de mélanger tous les élèves. Ce n’était pas simple du tout à mettre en place, en particulier avec la communauté éducative, mais ça a produit des résultats, notamment scolaires.

Dans le 19e, on a une modalité un peu particulière puisqu’on rapproche dans un secteur commun 2 collèges d’une même rue, ils n’ont pas des écarts aussi importants que les collèges du 18e, mais on les met dans un secteur commun avec ce qu’on appelle le choix régulé : les parents émettent une préférence et un algorithme régule l’affectation. Là, nous n’avons pas une réduction notable d’écart entre ces collèges, en revanche nous faisons revenir, de fait, tous les élèves qui disparaissaient entre le CM2 et la 6e et qui n’arrivaient pas dans le collège public. C’est-à-dire, pour être transparente, ceux qui partaient dans le privé. Cette opération a pour vertu de faire cesser le contournement de la carte scolaire. Si après tout, la politique publique ne sert pas à ça, je ne sais pas à quoi elle sert. Elle redonne confiance dans le collège public de secteur.

À Paris, au-delà de ces dispositifs, on a continué, pas sous la forme de secteur multi-collèges, mais sur un travail sur la carte scolaire, y compris en intégrant les sectorisations en « tâche de léopard ». La sectorisation peut ne pas être un carré, il peut y avoir différentes poches qui ne sont pas collées les unes aux autres. Cela implique des investissements, notamment sur les transports. À Toulouse, quand ils détruisent le collège en cœur de quartier politique de la ville et qu’ils emmènent les gamins dans un collège de centre-ville, alors il y a une gratuité des transports scolaires qui est mise en œuvre.

 

LTR : Votre PPL entend garantir la mixité sociale en contraignant l’État à en contrôler l’effectivité dans les établissements publics et privés sous contrat. Mais, concrètement, aurait-il des moyens de sanction en cas de manquement à ces obligations ? 

CB : On commençait par une contrainte positive, c’est-à-dire qu’on rehaussait le niveau de la loi : dans le code de l’éducation, il est écrit depuis 2013 qu’il faut « veiller » à la mixité sociale et scolaire. Nous proposions dans la PPL de la « garantir », donc on change d’échelle. On déclinait dans le code de l’éducation toutes les obligations qui en découlaient et ce, à tous les échelons des collectivités territoriales.

Maintenant qu’on a évoqué la contrainte positive, il faut trouver les moyens de garantir cette mixité. Donc il faut se doter d’outils. C’est à partir de là qu’on a proposé de donner une base légale aux IPS et d’obliger à ce que ces informations soient transmises tous les ans aux différents élus et établissements concernés. Si demain, la ministre ou son administration décide qu’il n’y a plus de calcul des IPS, tout ça peut disparaître du jour au lendemain. Alors c’est bien d’avoir obtenu la publication par le tribunal administratif, mais si l’administration décide de ne plus objectiver ce sujet, alors il n’y a plus d’objectivation. C’est pour ça que ça nous semblait important de donner une base légale aux IPS, qu’elle ne se fonde pas uniquement sur une jurisprudence.

De la même façon, on proposait de donner une base légale à Affelnet, qui existe au niveau national. Si ça n’est pas dans la loi, si le ministère décide pour une raison ou une autre de revenir à tout autre chose, il n’y aura plus de dispositif d’affectation, y compris sa variante permettant d’intégrer des critères de mixité sociale et scolaire.

Il y avait aussi l’idée d’un moratoire de 3 ans qui interdisait de faire dans un même mouvement, une ouverture dans le privé sur un niveau donné, quand dans le même bassin de recrutement, était fermée une classe du même niveau dans le public, pour éviter les phénomènes de contournements et de mise en concurrence.

La 3e partie de la PPL était la plus polémique avec la droite sénatoriale, il s’agissait de considérer que la loi s’appliquait à tous, et que donc si loi existe et qu’on fournit les outils de politiques publiques, alors la loi doit s’appliquer au privé et l’on doit adosser le financement public considérable de l’enseignement privé sous contrat au respect de la loi.

 

LTR : Suite à la publication des IPS et à l’affaire Stanislas dernièrement, derrière la question du financement public des écoles privées (qui est à hauteur de 76%), se pose la question de la contrepartie que ces écoles sous contrat doivent à la République.

CB : Il y a bien sur la question du respect des valeurs de la République, d’autant plus depuis l’affaire Stanislas où un climat latent d’homophobie était révélé, ce qui n’est pas rien. Il y a aussi le respect des objectifs de mixité sociale et scolaire.

Un exemple : il y a quelques mois, nous avons reçu au Sénat le secrétaire général de l’enseignement catholique. Je l’ai interrogé sur le fait que le réseau des écoles catholiques privées sous contrat percevait une partie d’argent public dédiée à certaines politiques publiques comme celle de la réduction du nombre d’enfants par classe. On aboutissait à des résultats extrêmement divergents entre écoles publiques et privées. En Bretagne par exemple, tu avais une application à 90% dans le réseau des écoles publiques de cette politique, tandis que dans le privé, la différence était considérable.

Le secrétaire général de l’enseignement catholique m’a répondu « oui, mais il peut y avoir des écoles dans lesquelles finalement, il n’y a pas tellement d’intérêt à ce que l’on soit moins de 25 par classe ». Soit, mais dans ce cas-là, l’argent n’a pas à être perçu. Le rapport de la Cour des comptes montrait bien justement à quel point l’enseignement privé sous contrat est rarement contrôlé, que ce soit du point de vue administratif, financier ou du respect de l’allocation des moyens.

 

Depuis l’affaire Stanislas, ne faut-il pas relancer le débat sur la guerre scolaire, être plus radical dans l’énoncé de nos propos ? L’échec scolaire étant aujourd’hui l’un des vecteurs essentiels du vote RN, ne serait-ce pas un moyen de montrer que la gauche prend la question scolaire à bras le corps ?

Moi j’avais 7 ans en 1984, donc je n’ai défilé ni dans un sens, ni dans un autre. On est 2024 là, moi mon sujet c’est de faire de la politique en 2024, pas en 1984. Donc, on peut bien m’accuser sur tous les bancs de la droite de vouloir raviver la guerre scolaire, je me sens assez peu concernée par cette expression, car le sujet aujourd’hui c’est : « comment on arrive à faire en sorte que les gamins dans ce pays puissent grandir et apprendre ensemble ? ». Je ne sais pas si c’est radical ou pas, mais c’est en soit un projet de société qui mérite de se sortir les mains des poches, y compris dans le contexte que vous décrivez.

Il n’y a pas un parent de ce pays qui n’a pas envie de la réussite de ses enfants. En revanche, aujourd’hui, on est dans un pays où ce qui conditionne le plus la réussite scolaire, c’est l’origine sociale des parents. Par ailleurs, ce qui nous différencie de 1984, c’est que les écarts se creusent. Donc le sujet politique, c’est de réussir à stopper cette mécanique infernale. En plus, on a une chance folle : 15 années de science de l’éducation viennent étayer ce que l’on dit. Ce qui me rend le plus dingue dans les débats que l’on a, c’est qu’on se fait taxer de dogmatisme idéologique, alors qu’au contraire nous nous reposons sur des enquêtes scientifiques.

Des classes hétérogènes sont des classes qui font réussir tout le monde. Elles font mieux réussir ceux qui réussissaient moins bien, en gros les enfants scolairement et socialement les plus fragiles, issus des familles les plus défavorisées, et elles n’altèrent en rien la réussite de ceux qui réussissaient le mieux. C’est du gagnant-gagnant ! Ça produit en plus de ça, des compétences psycho-sociales pour tous.

Dans un pays où tu arriverais à faire progresser le niveau scolaire et à lutter contre les déterminismes sociaux pour une partie de la population, et par ailleurs à développer les compétences psychosociales de tous, normalement c’est un pays qui va bien. Certainement c’est radical si j’en vois la force des réactions à droite. Mais ça n’est jamais posé, peut-être parce que j’ai été adjointe en charge de l’éducation, ni comme un jugement de valeur, ni comme une volonté de rallumer la guerre scolaire. L’enseignement privé sous contrat, il existe. J’ai des camarades ou des amis qui considèrent qu’il faudrait rayer d’un trait de plume son existence. Je n’en fais pas partie. Il y a aujourd’hui plusieurs millions d’enfants qui y sont scolarisés.

En revanche la loi doit s’appliquer à tous et on ne peut pas avoir un système qui désavantage l’école publique. Ce n’est pas de l’idéologie, ce ne sont pas de grands mots, ça se fonde sur des enquêtes détaillées. Par exemple sur l’académie de Paris que je connais bien, on fermait une classe dans le public pour un delta de dix élèves, on la fermait dans le privé pour un delta de vingt-cinq élèves. Ça, ce n’est pas de la concurrence libre et non faussée.

Le financement public est un levier pour ça, parce qu’il est à hauteur de 76%. C’est pour cela qu’on demande une contrepartie à ce financement public. Des écarts qui se creusent, un enseignement privé qui quelque part se spécialise dans l’accueil des populations qui vont de toute façon réussir à l’école, cela tire tout l’enseignement public vers le bas. Pour autant, ça n’exonère pas de travailler sur la mixité au sein de l’enseignement public.

 

LTR : La Haute-Garonne a mis en place un dispositif innovant en remodelant la sectorisation, en intégrant des publics défavorisés et excentrés dans des secteurs du centre de Toulouse. Est-ce possible de le faire au niveau national ?

CB: Ce qui est passionnant dans l’expérience de la Haute-Garonne, c’est qu’au-delà de ce dont on a beaucoup parlé (la destruction de collèges en bas de tours, la reconstruction dans des espaces plus mixtes, les déplacements en bus des public défavorisés vers le centre), les politiques publiques ne se sont pas arrêtées là ! Tous les ans, la re-sectorisation est retravaillée, en utilisant de la sectorisation en tâche de léopard, en n’hésitant pas à casser des formes trop rectangulaires. Il y a l’élément fondateur mais derrière il y a aussi dix ans de travail. Résultat, aujourd’hui les résultats scolaires des élèves concernés sont meilleurs, et la mixité sociale et scolaire est largement améliorée.

C’est en ça que le travail est vraiment intéressant, c’est qu’au-delà de l’élément de départ qui forcément marque un peu les esprits, c’est la démarche dans la durée qui est absolument passionnante. Ils n’ont jamais rien lâché.

Il y a plein de villes, plein de départements qui font des choses : et ça fonctionne ! Pendant la construction de ma PPL on a rencontré plein de gens, et tous nous ont présenté des systèmes qui permettent davantage de mixité sociale et scolaire. L’objectif, c’est de pouvoir conforter ceux qui font des choses et donner des outils à ce qui n’en font pas encore pour le faire. Dans les paroles des élus de droite on nous a beaucoup accusés de centralisme, de dirigisme et de dogmatisme, alors que l’objectif de la PPL était clairement l’inverse : les solutions partent du terrain, il faut donner des outils au terrain pour que soient mises en œuvre des solutions.

Je ne pense malgré tout pas que nous n’aurions pas eu un débat comme ça il y a cinq ou dix ans. Pas un seul élu de droite n’a contesté le constat, à savoir l’accroissement des inégalités sociales à l’école. Tous ont commencé leur propos par « oui, il y a un problème ». La grande vertu de la publication des IPS, c’est qu’on ne peut plus contester la réalité, nier le sujet de l’accroissement de la ségrégation. Quand Gabriel Attal est devenu ministre de l’Éducation nationale en 2023, il avait balayé nos questions sur la mixité sociale à l’école en disant « circulez y a rien à voir ».

Donc il y a déjà une évolution positive. Bon, c’est un peu facile de dire qu’on est d’accord sur le constat ma,is pas les solutions, d’autant plus lorsqu’en face aucune solution n’est proposée. Dans dix ans, si rien n’est fait, il y aura plus d’un collégien sur deux qui sera scolarisé dans le privé à Paris. Mais au moins, il y a un constat qui est posé et un débat qui n’est pas esquivé. Et désormais un texte législatif existe et propose des solutions.

 

LTR : La Courneuve n’a que des établissements en REP+. Stéphane Troussel, président du département de Seine-Saint-Denis, avait proposé une solution complètement balayée, celle de fusionner les académies de Créteil et de Paris. A la Courneuve on ne peut pas détruire un collège et le reconstruire là où une autre population vit, puisqu’on a la même population dans toute la ville. Comment faire dans ce cas-là ?

CB : La Seine-Saint-Denis vient de sortir un grand plan qui consiste à mettre de gros moyens dans les collèges. En réalité, la Seine-Saint-Denis non plus n’est pas homogène, et tous les quartiers de toutes les villes ne se ressemblent pas et pour autant on y retrouve de la ségrégation. Il faut donc utiliser les mêmes leviers, même si les résultats seront de moindre ampleur. On va se dire les choses franchement, une partie des enfants de Seine-Saint-Denis, des villes limitrophes à Paris, sont scolarisés dans le privé à Paris.

Faisons en sorte que ces enfants des villes limitrophes trouvent dans leur ville des conditions de travail et d’épanouissement que leurs parents recherchent à Paris. Par ailleurs il y a un sujet spécifique à la Seine-Saint-Denis de sous-dotation chronique dans le champ éducatif de la part de l’État, c’est là où les professeurs sont les moins bien payés, où il n’y a pas d’infirmiers scolaires, etc. Il faut quand même agir sur les mêmes leviers.

 

LTR : Comme on pouvait s’y attendre, la droite sénatoriale a rejeté ta proposition de loi. Quelles suites comptes-tu donner à ce texte, et plus largement à ce combat ?

CB : On ne va rien lâcher sur le sujet. L’un des objectifs c’est surtout de ne pas laisser considérer que cette PPL étant battue, on devrait passer à autre chose. Ce sujet existe, il n’existe peut-être plus au Sénat, mais il existe dans la société, dans la tête des parents, des enseignants, des maires. Pas que de gauche !

Quand on a fait tout notre travail de préparation de la PPL, on a rencontré le Maire UDI de la ville de Vendôme. Confronté dans sa ville aux problèmes de ségrégation, il a fermé une école en plein cœur d’un quartier prioritaire de la ville, a redispatché les enfants sur les autres écoles, et de mémoire il avait six secteurs scolaires, il passe à quatre. Ce maire fait de la mixité sociale et scolaire. Donc le débat continue à exister, et doit continuer à exister. On va continuer à la faire vivre, pour montrer qu’il y a des solutions crédibles.

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Un vent de régression souffle sur l’Irak, et ce sont les droits des femmes qui risquent d’être emportés. Le Parlement irakien vient d’adopter une proposition de loi qui, sous couvert de liberté religieuse, pourrait permettre aux autorités islamiques de régenter des pans entiers de la vie familiale. Si le président irakien décidait de ratifier ce texte, il pourrait entraîner l’autorisation du mariage des filles dès l’âge de neuf ans en vertu de la loi islamique.

Crédits photo : Ahmad Al-Rubaye – AFP

Oui, neuf ans. Comment ne pas voir dans ce projet un recul vertigineux ? En 1959, l’Irak adoptait la loi 188, considérée comme l’une des plus progressistes du Moyen-Orient. Elle garantissait des protections pour les femmes, établissait des règles d’héritage égalitaires et permettait aux femmes de divorcer. Ce texte était alors un phare de modernité dans une région souvent minée par l’obscurantisme islamiste. Aujourd’hui, ces acquis sont attaqués de toutes parts par des forces qui se drapent dans la religion pour mieux asseoir leur domination politique.

La coalition chiite au pouvoir s’obstine à faire passer cet amendement depuis de nombreuses années, mais cette fois, elle y est parvenue, notamment grâce au soutien des autorités religieuses sunnites.

Les divisions religieuses, si elles ont provoqué au fil des siècles guerres et massacres, s’estompent dès lors qu’il est question de violer les droits des femmes. 

Avec cet amendement adopté, les Irakiens auront la possibilité de choisir entre les autorités religieuses et l’Etat pour légiférer sur des questions comme l’héritage, le divorce, la garde des enfants, mais aussi le mariage. Permettre de choisir entre loi civile et loi religieuse en matière familiale n’est pas une liberté. Sous la loi islamique, les droits des femmes s’effondrent : mariage dès 9 ans, interdiction de divorcer, inégalités flagrantes en matière d’héritage. Paré des atours de la liberté, ce « choix » n’est qu’une façade : dans une société patriarcale, les femmes subiront la pression sociale et familiale les pressant de se soumettre à la loi religieuse. Selon une formule bien connue d’Henri Lacordaire, député d’extrême-gauche de la Constituante[1] de 1848, « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur », et l’on pourrait ajouter entre l’homme et la femme, « c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». La loi civile protège bien davantage que la loi des pairs et des pères.

En fragmentant la justice, en fragmentant le droit familial, cette mesure détruit l’égalité devant la loi et sacrifie les plus vulnérables. L’État abdique son rôle de garant des droits fondamentaux et laisse le patriarcat sanctifié dicter ses règles.

Les femmes adultes ne seraient, du reste, pas épargnées. Finie la possibilité de divorcer, adieu à la garde des enfants ou aux droits successoraux. Ce projet, porté par une coalition de partis chiites conservateurs, n’est rien de moins qu’une tentative de renvoyer les femmes irakiennes à l’époque où leur seul rôle social se limitait à servir leur mari et leur famille. Sous couvert de piété, c’est une entreprise méthodique de dépossession des droits élémentaires. Mais peut-être se risquerait-on à dire que la piété ne peut qu’entrainer, lorsqu’elle est politisée, qu’une entre entreprise méthodique de dépossession des droits élémentaires.

Cette mesure réactionnaire n’est que le prolongement d’une politique répressive et régressive des conservateurs chiites. En avril dernier, ceux-ci ont criminalisé les relations homosexuelles et les interventions médicales pour les personnes transgenres, marquant une autre étape dans leur croisade (sans mauvais jeu de mot) contre les libertés individuelles. Leur stratégie est claire : utiliser la religion pour saper les droits individuels, diviser la société et asseoir leur pouvoir.

Le danger est immense. Cette loi envoie un message désastreux : celui qu’il est acceptable, au XXIe siècle, de sacrifier les femmes et les filles sur l’autel de la loi religieuse.

Références

[1] Et pourtant moine ! Dans un temps, celui de la révolution de 1848, où républicanisme et catholicisme n’étaient pas encore devenus des ennemis. 

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Depuis des années, le Soudan s’enfonce dans une guerre civile aux conséquences dramatiques pour sa population. Un conflit dévastateur qui s’intensifie et frappe surtout les femmes et les enfants, où la famine et les viols sont utilisés comme de véritables armes de guerre. Face à cette catastrophe humanitaire, la communauté internationale et notre pays ne peuvent rester indifférents.

 Crédits photo : Amaury Falt-Brown – Khartoum Nord (AFP)

Depuis des années, le Soudan s’enfonce dans une guerre civile aux conséquences dramatiques pour sa population. Un conflit dévastateur qui s’intensifie et frappe surtout les femmes et les enfants, où la famine et les viols sont utilisés comme de véritables armes de guerre. Dans un silence assourdissant de la communauté internationale, des populations entières sont prises au piège des violences et des exactions de groupes armés sans aucune limite; déplacées, tuées, et meurtries par un conflit profondément enraciné. Face à cette catastrophe humanitaire, la communauté internationale et notre pays ne peuvent rester indifférents.

Les populations sont en première ligne de ce conflit. Depuis le 15 avril 2023, l’armée soudanaise et les Forces de Soutien Rapide (RSF) se disputent à travers une guerre civile sans pitié le contrôle du Soudan. Selon les derniers chiffres de l’ONU publié le 4 novembre 2024, 3 millions de personnes ont quitté le pays, 11,4 ont été déplacées, laissant tout derrière eux, et 14 millions d’enfants ont besoin d’assistance. Les infrastructures vitales sont détruites. Les hôpitaux sont débordés ou saccagés et 80% d’entre eux ne fonctionnent plus. L’aide humanitaire internationale peine à atteindre les zones les plus durement touchées. En toute impunité, des violences sexuelles et des massacres ont lieu, Le recrutement d’enfants-soldats se multiplie dans un contexte de terreur pour les populations. Au cœur de ce drame, une fois encore, ce sont les civils qui sont les premières victimes, particulièrement les femmes et les enfants. Des familles entières sont contraintes à un exode dangereux, sans garantie de pouvoir se nourrir ou se protéger. Il y a urgence à agir dans une situation où des millions de vies sont en jeu.

La communauté internationale doit sortir de sa léthargie. Alors que des millions de Soudanais sombrent dans la misère, aucune réponse internationale n’est à la hauteur des besoins et ce malgré plusieurs initiatives prises par l’ONU. Pire, cette crise semble passer au second plan de l’agenda international, éclipsée par d’autres conflits et des considérations géopolitiques. Ce silence est inadmissible. Nous ne pouvons plus nous contenter de déclarations d’indignation. Un soutien humanitaire massif est indispensable, en facilitant l’accès des organisations aux zones de conflit et par l’instauration de corridors humanitaires. Nous devons aller plus loin et réfléchir à des politiques d’accueil pour les Soudanais.

Une transition démocratique est impérative alliée à une exigence de justice. Après 2019 et la chute d’Omar el-Béchir – chef d’État autoritaire du Soudan,  à la suite de son coup d’État en 1989, le peuple soudanais avait entamé une transition vers une gouvernance civile. Ce processus, bien que fragile, portait en lui les graines d’un Soudan plus libre et plus juste. Aujourd’hui, ces aspirations sont anéanties par ce conflit sanglant. Notre rôle, aux côtés de la société civile soudanaise, doit être de soutenir toutes les initiatives qui permettront un retour à un dialogue inclusif, pour ramener la paix et aboutir à un véritable changement de régime. Les responsables de crimes de guerre doivent être traduits en justice, et la Cour pénale internationale (CPI) doit poursuivre sans relâche les auteurs de massacres et de violences. Cette démarche est essentielle pour restaurer la confiance populaire  et dissuader d’éventuelles nouvelles atrocités.

Le peuple soudanais a le droit de vivre en paix, en sécurité et dans la dignité. Je refuse que cette crise soit réduite au silence. Car au-delà de la question géopolitique, il s’agit de défendre des droits humains fondamentaux. C’est une question de justice. C’est une question de solidarité. Nous ne pouvons pas continuer à baisser les yeux.

Dieynaba Diop, députée des Yvelines, membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale

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Elections américaines 2024 : La guerre culturelle n’a pas eu lieu

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Contrairement à ce que beaucoup de commentateurs français mal renseignés prétendent, la guerre culturelle n’est pas le facteur principal de la victoire de Trump. La grande différence par rapport à 2020 et même 2016, c’est la bascule des indécis et des indépendants. Ils avaient largement plébiscité Joe Biden il y a 4 ans, Donald Trump y est fortement majoritaire cette année. Explications.

Deux Amériques qui s’affrontent, ne se parlent plus, se haïssent viscéralement, considèrent la victoire de l’autre comme un péril démocratique, et se livrent à une guerre civique tous les deux ans, voilà la base de toute analyse politique digne de ce nom pour expliquer la situation électorale américaine.

Difficile de le nier, entre l’Amérique blanche, rurale, évangélique, masculine et non diplômée, et l’Amérique colored, urbaine, peu croyante, féminine et diplômée, le dialogue est rompu. La première vote systématiquement pour le parti républicain et ses candidats, la seconde pour les démocrates.

Peut-on cependant imputer le résultat de chaque élection, depuis maintenant dix ans que Donald Trump a chamboulé le paysage politique américain, à une simple fluctuation de participation électorale de ces deux Amériques ? Le triomphe trumpiste, indéniable et sans appel, du 5 novembre 2024, invite à plus de prudence.

A l’heure actuelle, Donald Trump réalise un score historique. Il dépasserait le parti démocrate au suffrage direct, une première en 20 ans, et pour la seconde fois seulement en 32 ans. Il accroît son nombre de voix par rapport à 2020, qui était déjà un record. Sous réserve des résultats définitifs au Nevada, il gagnerait cet Etat et ferait donc mieux qu’en 2016, quand il l’avait perdu de peu. Les républicains reprennent également le contrôle du Sénat, en défaisant au moins 2 sénateurs démocrates sortants, et potentiellement encore deux autres d’ici la fin du décompte. Le résultat à la Chambre des Représentants n’est pas encore net, mais les tendances actuelles donnent les républicains gagnants, accroissant peut-être leur majorité de 2022.

Comment expliquer cette déroute démocrate, alors que Donald Trump et son colistier JD Vance sont, selon les enquêtes d’opinion, largement plus impopulaires que Kamala Harris et Tim Walz ? Alors que les mensonges et le coup d’Etat manqué de janvier 2021 ont marqué profondément les Américains, pas seulement démocrates. Alors les démocrates ont réussi leur stratégie de conquête des banlieues huppées ?

La réponse est toute trouvée pour les partisans de la théorie de la guerre culturelle. Pour la droite culturelle, les minorités auraient compris que le « wokisme » serait une impasse, la preuve, Trump progresse chez les afro-américains et talonne les démocrates chez les latinos, malgré (ou grâce, selon les plus radicaux) les multiples propos racistes tenus à l’égard d’à peu près toutes les minorités. Pour la gauche culturelle, Gaza et le soutien à Israël seraient la cause unique de la défaite démocrate, qui aurait démobilisé les jeunes et les minorités, la preuve, la ville jadis démocrate de Dearborn au Michigan, majoritairement musulmane, a voté pour Trump, et les villes étudiantes du Michigan sont dans la même situation.

Ces données électorales sont vraies, elles sont aussi anecdotiques. La grande différence par rapport à 2020 et même 2016, c’est la bascule des indécis et des indépendants. Ils avaient largement plébiscité Joe Biden il y a 4 ans, Donald Trump y est fortement majoritaire cette année.

L’électeur indécis et indépendant moyen américain est favorable à l’avortement mais opposé à l’immigration. Partant de ce fait, à chaque élection, les démocrates tentent d’orienter le débat sur l’avortement, et les républicains sur l’immigration. Las, ces sujets n’étaient que les troisième et quatrième priorités des électeurs d’après les sondages de sortie d’urne. Le ciblage communautaire est également un échec pour les deux campagnes : les démocrates misaient grandement sur le basculement de l’électorat blanc et féminin, il n’a que peu bougé, et c’est en faveur des républicains. Les républicains misaient sur une participation renforcée des hommes blancs, ce fut le cas, mais les démocrates y ont légèrement comblé leur retard abyssal.

La première préoccupation des électeurs, l’avenir de la démocratie aux Etats-Unis, est un sujet partagé chez les bases démocrate, effrayée des annonces autoritaristes de Donald Trump, et républicaine, toujours persuadée d’un grand complot du Parti Démocrate ayant dérobé l’élection de 2020.

Finalement, le sujet qui a déterminé les indécis et les indépendants, c’est l’état de l’économie, et l’inflation considérable qui touche les Etats-Unis depuis 2021. Si cette préoccupation arrive en seconde position nationalement, elle est la première dans les Swing States et chez les électeurs qui se sont décidés dans la dernière semaine avant le vote.

C’est d’abord et avant tout la mise en avant de ce sujet qui explique la victoire de Donald Trump. Il a réussi à tenir sa coalition, les évangéliques et la classe ouvrière blanche, en y agrégeant les indécis et les indépendants. En se faisant discret sur l’avortement et en martelant sur l’immigration. Les démocrates, en se faisant discret sur l’immigration et en martelant sur l’avortement, ont aussi maintenu leur coalition des diplômés, des minorités, des femmes et des urbains, même si elle est légèrement en retrait.

Ce qui semble manquer à la plupart des analyses, c’est qu’au-delà de la guerre culturelle, bien réelle, en cours au Etats-Unis, il y a une crise économique persistante, et que c’est celle-ci qui a déterminé les électeurs pas ou peu politisés, pour qui les appels du pied identitaire, d’un camp ou de l’autre, n’ont pas fonctionné.

Donald Trump, en parlant plus d’économie et en s’associant avec des hommes d’affaires tout au long de la campagne, est apparu plus crédible sur le sujet. Il gagne largement dans des Etats où des référendums sur l’avortement ont été perdus par les républicains. La guerre culturelle n’a pas été déterminante la nuit dernière, les républicains comme les démocrates devraient s’en souvenir s’ils veulent engranger de futures victoires.

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Présidentielle américaine : le grand gagnant et la grande perdante !

Présidentielle américaine : le grand gagnant et la grande perdante !

A quelques heures de la fin du vote, s’il est difficile de prédire la victoire de Kamala Harris ou de Donald Trump, l’on peut d’ores et déjà parler d’un cas d’école et tirer la sonnette d’alarme pour que les dérives de cette campagne ne se produisent pas en France.

JIM WATSON/AFP via Getty Images

Les campagnes de Donald Trump et de Kamala Harris sont elles révolutionnaire ? Je ne le pense pas.

Renversent-elles la table, bousculent-elles fondamentalement les codes ? Je ne le pense pas non plus, du moins, si l’on ne fantasme pas sur Elon Musk.

Mais il y a déjà deux grands gagnants dans cette campagne — et ce n’est pas forcément une bonne nouvelle : d’abord, le réseau social X, qui prouve, malgré ses 18 ans d’existence, que les journalistes et la sphère médiatico-politique n’arrivent toujours pas à s’en défaire, comme un vieux Chewing-gum collé à une semelle.
→ Et vraiment, il va falloir que cela change !

Deuxième gagnant, Elon Musk, qui rafle tout. Entre autopromotion de lui-même et valorisation de ses entreprises à commencer par X bien sûr. C’est un strike. Car s’il l’on parle d’Elon Musk alors bien sûr l’on parle de ses entreprises.

En effet, non seulement le milliardaire à mis son réseau social et ses algorithmes à son entière disposition — il n’y a qu’à voir la surreprésentation de ses publications dans la rubrique “for you” au quotidien dès l’ouverture de l’application (plus encore pour ceux qui le follow), ce qui lui permet d’obtenir une visibilité monstrueuse et sans précédent (10, 20, 30, voire 50 millions d’impressions par posts) — mais il profite également de cette campagne présidentielle 2024 pour faire directement et indirectement la promotion de son réseau social qui n’est autre qu’une plateforme privée à but lucratif : comme si demain, Xavier Niel décidait, pendant la campagne présidentielle, d’utiliser le réseau Free et le journal Le Monde pour envoyer tous les jours à ses clients, ses opinions, des clashs, etc.

Elon Musk est allé encore plus loin en proposant 1 million de $ par tirage au sort aux Américains qui soutiennent Donald Trump et vont voter pour lui. Là encore, un nouveau coup du milliardaire plus motivé par la publicité et son autopromotion finalement à moindres frais puisque le monde entier s’est fait le relai de cette information. 1 million / jour pour avoir la visibilité publicitaire d’un Super Bowl, franchement, ce n’est rien du tout ! Ce n’est donc ni de la générosité ni de l’altruisme et probablement encore moins lié à un véritable engagement politique. Non seulement terrifiant, mais, là encore, l’on constate des failles contre lesquelles personne ne semble en mesure de lutter.

43,6 millions : c’est la somme en dollars qu’Elon Musk a ajoutée au financement de la campagne de Donald Trump, rapporte le Monde.

À titre de comparaison, le tarif du spot publicitaire au Super Bowl était d’environ 7 millions de dollars les 30 secondes. 43,6 millions de dollars pour Elon Musk correspondraient à seulement 7 spots publicitaires de 30 secondes… Clairement, cet investissement lui est plus que favorable d’autant qu’une partie non négligeable (la moitié) de l’Amérique est acquise à la cause des républicains : une magnifique audience, une source de business gigantesque.

→ LIRE AUSSI : Elon Musk a transformé X en arme politique

Ainsi, j’en arrive à la grande perdante de cette période de campagne et de cette élection américaine : la démocratie* !

*Forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple ; État ainsi gouverné.

À deux jours d’un scrutin qui s’annonce très serré, le monde entier se voit suspendu à un choix effrayant entre un Donald Trump de plus en plus grotesque, mais nationaliste, et une Kamala Harris qui, malgré ses trois gros défauts (être une femme, une femme de couleur, et être l’héritière de Joe Biden), est, selon moi, la meilleure candidate. D’ailleurs, du point de vue de la communication, je trouve la campagne de Kamala Harris très réussie. Particulièrement sur la tonalité très bien illustrée par la chanson FREEDOM de Beyoncé. Les contenus vidéos, en nombre, ont été savamment calculés et s’accordent parfaitement au storytelling de la campagne de la candidate. Cela mérite un article complet sur le sujet !

Je reviens sur notre triste perdante : la démocratie.

Là encore, je vais parler des deux milliardaires républicains, qui sont tous les deux en plein égotrip. Il y a d’abord la marionnette “Donald Trump” et son manipulateur, notre cher Elon. Deux hommes et des équipes, dont il manque vraisemblablement la case “éthique” dans leur logiciel, sont prêts à se battre pour gagner un pays, à diviser sa population pour la faire s’affronter, annonçant déjà la non-reconnaissance du scrutin et laissant planer le doute d’une nouvelle prise du Capitole. Pour arriver à ses fins, Elon Musk s’est transformé en machine à troll russe et l’on sait à quel point cela fonctionne. N’ayons pas peur de faire le lien avec les méthodes utilisées pour faire monter l’extrême droite et ses valeurs partout dans le monde …

Comme le souligne Matt Navarra , Elon Musk est désormais le plus grand promoteur de complots anti-immigrés de sa plateforme X.

 

En effet, cette année, l’immigration et la fraude électorale (qui met en danger la démocratie américaine) sont devenues les sujets les plus fréquemment postés par Elon Musk, récoltant un nombre d’impressions absolument gargantuesque de 10 MILLIARDS DE VUES = très inquiétant.

Je ne suis pas certain qu’il soit très utile de prolonger la démonstration sur le cas Trump x Elon tout deux en position d’abus de pouvoir.

Je propose cependant, à celles et ceux que cela intéresse de rédiger un Projet de Loi pour qu’une telle dérive ne puisse se produire en France et, pourquoi pas, en Europe. La lutte contre la désinformation, et celle de réguler le pouvoir du privé sur le public me semblent essentielles. La protection de nos démocraties passe par l’adaptation des règles qui les protègent en fonction des évolutions de la société. Nous avons un cas d’école, tirons-en dès maintenant une bonne leçon.

N’oublions pas qu’il est bon de s’indigner : cela évite de tomber.

Par ailleurs, le danger Bolloré (CNEWS, C8, Fayard, le JDD …) est bien présent en France. je vous invite d’ailleurs à lire le livre suivant : POP fascisme, comment l’extrême droite a gagné la bataille culturelle, Pierre Plotu et Maxime Macé, éditions Divergences, 2024. 

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Comment l’exécutif organise l’augmentation des prix de l’électricité

Comment l’exécutif organise l’augmentation des prix de l’électricité

Alors que les prix de l’électricité ont enregistré de nombreuses hausses insoutenables ces dernières années pour les ménages et les entreprises, du fait notamment de la guerre en Ukraine et de l’organisation du marché de l’électricité européen , le gouvernement échoue encore à les réguler. Au contraire, il a proposé dans le projet de loi de finances 2025 d’augmenter les taxes.

Alors que les prix de l’électricité ont enregistré de nombreuses hausses insoutenables ces dernières années pour les ménages et les entreprises, du fait notamment de la guerre en Ukraine et de l’organisation du marché de l’électricité européen[1], le gouvernement échoue encore à les réguler. Au contraire, il a proposé dans le projet de loi de finances 2025 d’augmenter les taxes.

Pourtant en dépit de ces augmentations, le gouvernement indique que les prix vont baisser d’environ 10%, pour les ménages et entreprises qui bénéficient du tarif réglementé. Rien n’est moins sûr pour ceux qui n’en bénéficient pas.

De quoi se compose le prix de l’électricité ?

Le prix de l’électricité peut être découpé en trois catégories : la fourniture de l’électricité (plus de 50% du prix en moyenne) ; la TURPE (tarif d’utilisation du réseau public d’électricité) qui n’est rien d’autre qu’un « péage » payé au gestionnaire pour pouvoir emprunter ses infrastructures et acheminer l’électricité du fournisseur jusqu’au domicile ; et différentes taxes (la TVA ou encore ce que l’on appelle l’accise).   

L’augmentation va porter sur deux catégories :  

  • D’abord sur l’accise, c’est-à-dire la taxe intérieure de consommation finale sur l’électricité (TICFE). Cette taxe avait fortement baissé en 2022, pour compenser l’augmentation des prix : la TICFE était de 1 euro par mégawattheure pour les ménages et de 50 centimes pour les entreprises. Le gouvernement souhaite remonter cette taxe pour qu’elle revienne à son niveau d’avant crise en février 2025, c’est-à-dire 32 euros par mégawattheure. Pour autant, les discussions actuelles proposent d’augmenter encore davantage cette taxe, à un tarif aux alentours de 50 euros par mégawattheure, sans que rien ne soit encore officialisé ;
  • Le Turpe devrait également augmenter d’environ 5% en février 2025[2].

Le message est inaudible pour les Français et les Françaises : comment est-il possible que les prix baissent tout en augmentant les taxes ? Il est d’ailleurs impossible de savoir si la baisse des prix du marché sera pérenne. Qui peut prédire l’avenir ? Nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle crise comme en 2022. Le gouvernement fait donc un pari risqué.

 

La contre-productivité des orientations gouvernementales

Au-delà du caractère inaudible du message, ces augmentations sont contre-productives à plus d’un titre.

D’abord, la baisse des prix du marché aurait pu permettre aux ménages et aux entreprises de reprendre leur souffle et baisser leurs dépenses dans ce domaine. Pourtant, il n’en est rien.

Ensuite, alors que l’électrification des services (notamment des transports, ou encore du secteur du bâtiment) est un réel levier pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre en France, ces augmentations vont en sens inverse. Pour rappel, cette électrification serait d’autant plus intéressante que la France produit une énergie décarbonée.

Par cette proposition, le gouvernement a décidé de rembourser le déficit, creusé non pas par des dépenses excessives mais par des choix politiques de baisse des recettes, sur le dos des ménages et des entreprises.

Références

[1] Voir pour plus d’explications sur son fonctionnement, l’article de David Cayla : https://letempsdesruptures.fr/index.php/2023/01/11/comment-et-pourquoi-le-marche-de-lelectricite-a-deraille/

[2] https://www.cre.fr/actualites/toute-lactualite/la-commission-de-regulation-de-lenergie-confirme-lactualisation-du-turpe-au-1er-novembre-2024-et-propose-de-reporter-exceptionnellement-cette-evolution-dans-les-tarifs-reglementes-de-lelectricite-au-1er-fevrier-2025.html

 

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Martinique, une colère qui vient de loin

Martinique, une colère qui vient de loin

Le 16 octobre dernier, les services de l’Etat et les acteurs économiques ont signé un accord de lutte contre la vie chère en Martinique. Pourtant, loin d’être un soulagement pour la population, cet accord laisse un goût amer pour de nombreux habitants, notamment les plus pauvres.

Un accord entre l’Etat et les entreprises qui laisse un goût amer

Le 16 octobre dernier, à l’issue de sept tables rondes réunissant représentants de la collectivité territoriale de Martinique, services de l’État, parlementaires, acteurs économiques et associations locales, un « protocole d’objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère » a été signé.

Ce protocole vise « une réduction de 20 % en moyenne des prix de vente actuellement pratiqués sur une liste de cinquante-quatre familles de produits correspondant aux produits alimentaires les plus consommés »[1]. Une baisse des prix qui devrait donc concerner entre 6 000 et 7 000 produits.

Pourtant, loin d’être un soulagement pour la population, cet accord laisse un goût amer pour de nombreux habitants, notamment les plus pauvres. La revendication principale du collectif à l’origine du mouvement de contestation, le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC), qui demandait l’alignement systématique des prix avec ceux pratiqués dans l’Hexagone sur l’ensemble de l’alimentaire, et non pas uniquement sur les produits de base, n’a donc pas été satisfaite.

En conséquence, l’accord est resté amputé d’une signature, celle du RPPRAC, et ses militants ont annoncé la poursuite de la mobilisation jusqu’à ce que le mouvement « obtienne gain de cause ».  

Des luttes contre la vie chère qui viennent de loin

Plusieurs facteurs sont régulièrement cités afin d’expliquer cette « vie chère » : géographie (insularité ou éloignement vis-à-vis de l’Hexagone), dispositifs spécifiques (à l’image du complément de rémunération appliqués aux fonctionnaires exerçant outre-mer et communément désigné comme une « sur-rémunération »), mais également octroi de mer (une taxe spécifique aux territoires ultramarins). Ces éléments servent néanmoins de cache-sexe à des causes plus profondes.

La première d’entre elles tient à la structure des échanges avec l’Hexagone (qui se font généralement au détriment du commerce local) et à la présence d’oligopoles sur le marché alimentaire favorisant des prix élevés.

La deuxième tient à un passé colonial qui ne passe pas. Comment expliquer qu’aux Antilles, les « békés », la population blanche descendant des premiers colons esclavagistes, alors même qu’ils représentent moins de 1 % de la population, possèdent la moitié des terres agricoles et dominent le secteur de l’import-distribution et des industries agroalimentaires ?[2]

Leur présence à la table des négociations, notamment au travers de la figure de Stéphane Hayot, directeur général du groupe d’import-export Bernard Hayot, a été vécu comme un affront supplémentaire.

De l’exploitation financière qui est faite de ces territoires – si peu justifiable que les distributeurs ont jusqu’ici préféré la sanction à la publicité comptable de leurs marges (qui est pourtant une obligation légale du code des sociétés) – découle une forme d’ethnicisation des questions sociales, que le Rassemblement National tente d’exploiter à son profit.

Une instrumentalisation par l’extrême-droite des luttes contre la vie chère

Les territoires ultramarins disposent d’une fiscalité spécifique : outre une TVA réduite, y est également appliqué l’octroi de mer, une taxe applicable aux importations et aux livraisons de biens dans les régions d’Outre-mer. Si la fonction de cette taxe est a priori de lutter contre la vie chère, son efficacité est remise en cause depuis de nombreuses années.

Une fois n’est pas coutume, l’extrême droite s’est emparée de ce sujet de manière démagogique. Dans le cadre du débat budgétaire actuel, elle a proposé, par la voix de ses représentants, de supprimer cet octroi de mer sur tous les produits venant de France hexagonale et de l’Union européenne, à l’exception des produits qui pourraient concurrencer la production locale. Loin d’être efficace, cette suppression lèserait en premier lieu les collectivités territoriales ultramarines, l’octroi de mer leur garantissant une autonomie fiscale.

Afin de compenser à l’euro près cette perte de recettes pour les collectivités, le Rassemblement national a également proposé que soit appliqué une majoration de la dotation globale de fonctionnement (qui serait elle-même assise sur une nouvelle taxe, on ne peut plus floue, sur les transactions financières). Des propositions budgétaires que le RN propose d’autant plus volontairement qu’il sait qu’elles ne seront jamais appliquées.

Une stratégie, dans les territoires ultramarins comme dans l’Hexagone, déjà adoptée depuis de nombreuses années par le parti de Marine le Pen. Redoublant d’inventivités dans leurs slogans contre l’inflation, la vie chère, la fiscalité punitive touchant les classes populaires, les députés du Rassemblement national ont pourtant refusé, en commissions des finances de l’Assemblée nationale, de voter la première partie sur les recettes d’un budget largement remanié et empreint de plus de justice sociale.

Exit l’augmentation du SMIC, la taxation des superprofits, ou encore la taxation légitime des armateurs, ceux-là même qui fixent discrétionnairement le prix des conteneurs et remettent en cause l’autonomie alimentaire des territoires ultramarins.

Références

[1] https://www.martinique.gouv.fr/Actualites/Signature-du-protocole-d-objectifs-et-de-moyens-de-lutte-contre-la-vie-chere

[2] GAY Jean-Christophe.  Les multiples facettes des outre-mer. Cahiers français, 2023/3 n°433, p.16-23.

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Crise du logement : les classes populaires en première ligne

Crise du logement : les classes populaires en première ligne

Face à la crise du logement qui touche notre pays, Maxence Pigrée dénonce l’inaction d’Emmanuel Macron depuis 2017 pour résorber cette crise. Par manque de volonté politique, le gouvernement a laissé sombrer le logement – et notamment le logement social – dans une situation catastrophique qui n’a fait que multiplier les inégalités sociales et territoriales de notre pays.

Les chiffres sont sans appel : 2,4 millions de ménages sont en attente d’un logement social et 330 000 personnes sont sans domicile fixe selon les données de la Fondation Abbé Pierre[1]. Depuis 2017, le président de la République et les différents gouvernements se sont désengagés de ce combat.  Dès l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron et de sa majorité, le ton était donné : 6,5 millions des français bénéficiaires de l’aide personnalisée au logement (APL) se voyaient retirer 5€ de leur allocation. Les coupes budgétaires se sont ensuite multipliées avec notamment le gel du barème des allocations-logement ou encore la baisse du budget total du logement : 42 milliards en 2017 contre 37,6 milliards en 2022 alors même que la crise n’a fait que s’accentuer. Dans cette situation, ce sont les classes populaires qui ont subi de plein fouet ces mesures.

Depuis près de 7 ans, la crise du logement s’aggrave et le gouvernement regarde ailleurs. Malgré des promesses de construction, le nombre de logements sociaux n’a pas suivi la demande croissante. Cela a aggravé la précarité des ménages les plus modestes, pour qui l’accès à un logement abordable est de plus en plus difficile.  Des mesures comme la loi de 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) visaient à faciliter la construction de logements, mais celles-ci ont finalement trop favorisé la libéralisation du secteur immobilier, au détriment du logement social. En outre, ces réformes n’ont pas permis de réduire significativement les délais de construction ou les coûts du logement.

Le logement est la matrice des inégalités sociales et territoriales dans notre pays. La part du revenu des classes populaires qui lui est consacrée est toujours plus élevée. En 2021, selon l’INSEE, toute catégorie sociale confondue, 26,7 % du budget des ménages est consacré au logement et 25 % des ménages les plus modestes consacrent 32% de leurs revenus à leurs dépenses en logement, contre 14,1 % pour les ménages les plus aisés. Par ailleurs, les inégalités territoriales se manifestent par des écarts importants entre les zones urbaines attractives, où les activités et opportunités économiques et culturelles sont nombreuses, et les zones rurales ou périphériques, souvent moins bien desservies en termes d’emplois, d’infrastructures et de services publics. Les ménages qui n’ont pas les moyens de se loger dans les centres-villes ou les quartiers proches des pôles économiques sont contraints de s’installer en périphérie, ce qui renforce la ségrégation spatiale. Cette situation oblige les classes populaires à s’installer dans des lieux d’où il leur sera quasiment impossible d’en sortir, les assignant inévitablement à résidence avec toutes les conséquences que cela leur imposera : manque de transport, difficultés à accéder à un emploi, à des activités culturelles ou sportives.

Dans de nombreuses villes, les quartiers autrefois populaires subissent des phénomènes de gentrification. Sous l’effet de l’arrivée de populations plus aisées, cette gentrification entraîne une hausse des prix de l’immobilier et des loyers, rendant l’accès au logement de plus en plus difficile pour ces classes populaires qui y vivaient historiquement. Ces familles, souvent déjà fragilisées économiquement, sont contraintes de quitter leurs quartiers, repoussées vers des zones périphériques. Cette gentrification – loin de n’être qu’un simple renouveau urbain – exacerbe les inégalités sociales en déplaçant les habitants les plus vulnérables. Cette dynamique accroît les inégalités territoriales et favorise une polarisation sociale : les centres-villes deviennent des espaces pour les classes plus aisées tandis que les classes populaires sont reléguées en périphérie.

Face à ce constat, les dernières annonces en matière de logement sont celles de l’ancien Premier ministre Gabriel Attal en février 2024 et restent très insuffisantes au regard de l’immense crise que les gouvernements successifs ont laissé prospérer. La construction de 30 000 nouveaux logements paraît dérisoire au regard des 4,1  millions français mal-logés. Si gouverner, c’est prévoir, alors que le gouvernement ne prévoit aucune politique du logement social depuis 2017. Pire, Emmanuel Macron a guidé son action en faveur du logement en pensant que les acteurs privés seraient  en capacité de résorber une grande partie de la crise du logement. Force est de constater qu’en 2023, les chantiers ont chuté de près de 22% selon la Fondation AP.

Le nouveau gouvernement de Michel Barnier ne semble pas prendre la mesure de cette crise au regard des annonces très insuffisantes qui ont été faites ces derniers jours, notamment dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025 : aucune impulsion budgétaire majeure pour le logement. Pire, la politique de rénovation énergétique est rabotée de près d’un milliard d’euros dans ce projet de loi de finances, passant 1,2 milliard sur 3 ans à 350 millions d’euros sur 2 ans.

Ces données alarmantes devraient créer un véritable électrochoc face à cette crise sociale. La politique du logement a trop souvent manqué de coordination entre les différentes échelles locales et nationales. Les zones tendues, comme Paris, Lyon, Marseille ou Toulouse, nécessitent des politiques spécifiques, mais les réponses apportées ont souvent été jugées trop générales ou mal adaptées aux réalités locales. L’accès au logement détermine en grande partie l’accès à d’autres droits fondamentaux, comme l’éducation, la santé, et l’emploi, et contribue ainsi à perpétuer ou à renforcer les inégalités sociales et économiques dans le pays. Réduire ces inégalités nécessite des politiques publiques ambitieuses et ciblées, tant en matière de construction de logements accessibles que de lutte contre la ségrégation spatiale et les discriminations.

Certains chiffres de cet article sont issus de la Fondation Abbé Pierre dans un climat où celle-ci a annoncé réfléchir à un changement de nom suite aux dernières révélations sur les agressions sexuelles commises par l’Abbé Pierre. Cela ne change en rien la qualité et l’immense travail de cette Fondation, dont l’engagement des salariés pour éclairer sur l’ampleur de cette crise est plus que jamais nécessaire.

Références

[1] 29ème rapport sur l’état du mal-logement en France 2024, p12.

 

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RSA, quand le gouvernement expérimente le travail gratuit

RSA, quand le gouvernement expérimente le travail gratuit

Le Secours Catholique, ATD Quart Monde et AequitaZ publient ce 14 octobre 2025 un rapport particulièrement critique sur l’expérimentation des 15h-20h d’activités pour les allocataires du RSA. Les effets de la réforme risquent selon eux d’être particulièrement délétères, suffisamment en tout cas pour en appeler à sa suspension.

La loi plein emploi ou la légitimation du travail gratuit

Présenté comme l’un des grands projets du gouvernement au cours du second quinquennat d’Emmanuel Macron, la loi Plein emploi du 18 décembre 2023 est à l’origine de la création de France Travail et poursuit l’objectif de réduire le chômage en France autour de 5% d’ici 2027.

Parmi les mesures phares se trouvent la réforme de l’accompagnement des demandeurs d’emploi handicapés, l’inscription généralisée auprès de France Travail (y compris les allocataires du RSA, les jeunes en missions locales, les demandeurs d’emploi handicapés) mais également la mise en œuvre d’un nouveau contrat d’engagement.

Désormais tous les demandeurs d’emploi devront signer un contrat d’engagement commun à la suite de la réalisation d’un diagnostic global de leurs situations. Ce contrat a vocation à remplacer les dispositifs existants : projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE) pour France Travail, contrat d’engagement réciproque (CER) pour certains allocataires du RSA, contrat d’engagement jeune (CEJ).

Il s’accompagne néanmoins d’une autre obligation pour les allocataires du RSA : celle d’effectuer obligatoirement 15h à 20h d’activités par semaine (la non-réalisation de ces heures entraînant une suspension du versement de l’allocation). Expérimentées tout d’abord dans 18 départements pilotes, les 15h-20h d’activités concernent désormais 47 d’entre eux et seront généralisées à l’ensemble du territoire national au 1er janvier 2025.

Engagés dès les premières discussions sur la loi Plein Emploi en 2023,le Secours Catholique, ATD Quart Monde et AequitaZ publient ce 14 octobre 2025 un rapport[1] particulièrement critique sur l’expérimentation des 15h-20h d’activités pour les allocataires du RSA. Les effets de la réforme risquent selon eux d’être particulièrement délétères, suffisamment en tout cas pour en appeler à sa suspension.

Construit autour d’entretiens réalisés auprès d’allocataires, de professionnels de l’insertion et sur la base de données quantitatives collectées par France Travail, le rapport formule quatre alertes :

    1. Le risque de glissement vers le travail gratuit réalisé par des allocataires du RSA ;
    2. L’accompagnement renforcé qui met en cause le pouvoir d’agir des allocataires ;
    3. L’aggravation possible de la mécanique des radiations ;
    4. Les réalités contrastées du retour à l’emploi.

Des allocataires bénévoles

Comme cela avait été pressenti dès les discussions sur la loi Plein emploi, ce que recouvre effectivement les 15h à 20h d’activités obligatoires des allocataires du RSA est particulièrement vague : heures d’activité dans des structures d’insertion, heures d’accompagnement… ? Le Conseil constitutionnel lui-même a semblé embarrassé par ce flou. Par une réserve d’interprétation, il a jugé que « cette durée devra être adaptée à la situation personnelle et familiale de l’intéressé et limitée au temps nécessaire à l’accompagnement requis, sans pouvoir excéder la durée légale du travail en cas d’activité salariée ».

Le flou qui accompagne cette obligation de 15h à 20h d’activités concerne également les hypothèses à l’origine de la mesure : aucune étude scientifique ne démontre que l’obligation de travail accélère la reprise d’emploi des allocataires du RSA, d’autant qu’il s’agit dans de nombreux cas de personnes particulièrement éloignées du marché du travail. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un caprice de sénateurs LR qui, lors de la discussion sur la loi Plein emploi, souhaitaient passer pour plus inflexibles que le gouvernement (la mesure ne figurait pas dans le texte initial).

L’un des risques qui entoure également une telle obligation est celui d’empêcher la création de véritables emplois au motif qu’il faut trouver des heures d’activités pour les allocataires du RSA. Le rapport mentionne par exemple la commune de Villers-en-Vexin dans l’Eure, dont le maire a décidé de faire travailler les allocataires du RSA sur la végétalisation du cimetière au motif qu’il n’a « qu’un agent communal à 15h par semaine et [qu’il n’a] pas les moyens d’embaucher du personnel ».

Une situation pareille est possible et même généralisée puisqu’elle s’inscrit dans le cadre d’un appel à projet du département de l’Eure qui invite les communes et les EPCI à contacter leurs services sociaux si elles ont « besoin de bras pour une mission ponctuelle ». Appelées « missions d’intérêts collectifs », elles rappellent, comme le souligne le Secours catholique, les « travaux d’intérêt général », soit une peine sanctionnant une infraction et qui concerne les personnes sous main de justice.

Le poids des algorithmes

Si quelques départements n’ont pas souhaité recourir à un tel mécanisme, la majorité des territoires expérimentaux s’appuie sur un algorithme de traitement des informations fournies par les allocataires. Sur la base de ces données est réalisé un pré-diagnostic visant à orienter la personne vers l’organisme (France Travail, le département, la mission locale, Cap emploi…) et le parcours les plus adéquats.

Sans même mentionner le peu de place qui est laissé à l’allocataire dans le choix du parcours, un tel traitement algorithmique soulève de nombreuses questions : quels sont les critères d’orientation sur lesquels s’appuie l’algorithme, comment ont-ils été définis, qui est à l’origine de cet algorithme ?

Comme le mentionne le rapport, la Quadrature du Net a d’ores et déjà enquêté sur le poids des algorithmes dans le traitement des données d’organismes tels que la CNAF ou encore France Travail. Un poids croissant qui favorise le tri, le classement et le contrôle des usagers et « participe d’une déshumanisation de l’accompagnement social ».

Le risque d’une mauvaise orientation existe d’ailleurs bel et bien. Les données du dossier d’inscription au RSA sur lesquelles se base l’algorithme ne couvrent pas l’ensemble de la situation de l’allocataire (données de santé physique et psychologique notamment). Les premiers chiffres de l’expérimentation confirment d’ailleurs cette hypothèse : 30% des personnes orientées dans le parcours emploi (il s’agit du parcours mis en place pour les personnes les plus proches de l’emploi) déclarent présenter au moins deux freins à l’emploi (mobilité, santé, etc…). Le risque est grand pour elles de se retrouver sanctionnées, et de perdre une partie de leur allocation, puisqu’elles n’auront pas la capacité de réaliser les 15h à 20h d’activités. De quoi alimenter une véritable trappe à pauvreté.

La radiation et le non-recours au bout du chemin

De nombreux économistes ont déjà exprimé leurs craintes quant aux conséquences matérielles mais également psychologiques de cette obligation de travail pour les allocataires du RSA. Le rapport mentionne notamment Audrey Rain qui pointe le risque accru d’une augmentation du non-recours[2] en raison d’une « défiance plus grande de certains bénéficiaires vis-à-vis des institutions, ou une augmentation des radiations ». Le son de cloche est sensiblement le même du côté de Mickaël Zemmour qui condamne « le discours de la carotte et du bâton qui a des conséquences psychologiques fortes sur les allocataires du RSA et peut générer du non-recours ».

Une nouvelle fois ces craintes sont confirmées par les chiffres. Dans les départements qui expérimentent les 15h à 20h d’activités, une hausse de 10,8% du non-recours au RSA est enregistrée depuis le début de l’expérimentation (alors même que le taux de non-recours était déjà supérieur à 30% avant l’entrée en vigueur de la loi Plein emploi). A l’inverse, dans les autres départements, ce taux recule de 0,8% sur la même période.

Pire…la France semble être en retard sur les études internationales menées sur le sujet : le chercheur Markus Wolf de l’Institute for Employment Research de Nuremberg a été auditionné le 4 juillet 2023 par le groupe de travail du CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale) au sujet des sanctions. Selon lui « plusieurs études ont démontré que les sanctions ont un effet négatif sur les revenus les plus bas et ont un impact négatif à long terme sur la qualité de l’emploi. Certaines études démontrent sans surprise que les bénéficiaires sanctionnés de manière répétée connaissent une détérioration de leur situation matérielle. Dans certains cas, les sanctions peuvent avoir des conséquences très dures, allant jusqu’à l’insécurité alimentaire ou la perte de logement, mais aussi une dégradation du bien-être mental. Tous ces effets constituent eux-mêmes des obstacles à l’intégration sur le marché du travail »[3].

Le rapport alerte également sur un autre point : l’austérité budgétaire souhaitée par le gouvernement (et qui se concrétise par des baisses effectives et potentielles de plusieurs milliards pour le budget Emploi-Travail) favorise un objectif sous-jacent de la loi Plein Emploi : la réalisation d’économies par la baisse des effectifs des allocataires du RSA et des demandeurs d’emploi et l’augmentation des contrôles et des radiations.

En effet, France Travail souhaite augmenter drastiquement les contrôles : « En 2023, les 520 000 contrôles réalisés ont abouti à 90 000 radiations. A l’avenir, les équipes dédiées au contrôle devront en assurer 600 000 en 2025 et 1,5 million en 2027 »[4].

Dans le même temps, certains départements à l’instar de l’Eure, annoncent vouloir baisser de 3000 le nombre d’allocataires du RSA d’ici 2028. De quoi s’interroger quant aux motivations poursuivies tant par les exécutifs départementaux que par le ministère du Travail : est-ce l’amélioration de l’accompagnement des allocataires ou la simple poursuite d’économies budgétaires ?

La généralisation de la précarité

Si les données relatives au taux de retour à l’emploi durable des allocataires du RSA concernés par l’expérimentation sont rares, rien ne présage pour autant d’une embellie. Au contraire : la conjugaison de la loi Plein emploi et de la réforme de l’assurance chômage de 2019 risque d’être profondément délétère pour le marché du travail.

Parmi les allocataires qui retrouvent un emploi, la majorité d’entre eux dispose de contrats de moins de 6 mois. Or, comme s’interroge le rapport : que peut bien faire une personne après un CDD de moins de 6 mois ? Sans indemnité chômage en raison de l’augmentation de la durée d’affiliation requise (passant de 4 à 6 mois), elle n’aura pas d’autre choix que de se réinscrire au RSA (faute de pouvoir rebondir sur un autre emploi).

Bien que spécifique, le cas du département de la Réunion n’en reste pas moins éclairant. En mai 2023, les élus du conseil départemental ont voté en commission permanente une motion dans laquelle ils se disent « défavorables à toute évolution du régime des sanctions qui serait inadaptée à la situation réunionnaise » et soulignent que « la levée des freins sociaux relève d’une logique d’accompagnement renforcé et d’encouragement et non d’une logique de sanctions ».

Disposant de 40 000 postes disponibles pour 150 000 demandeurs d’emploi et allocataires du RSA, la Réunion est tout simplement en incapacité d’appliquer les obligations d’activités comprises dans la loi Plein emploi. Ce que résume parfaitement le président du Conseil départemental : « Il y a des conditions économiques, sociales qui doivent être réunies. […] Vous voulez sanctionner les personnes alors qu’il est impossible de leur proposer ce que propose la loi. [5]»

On ne peut, à la lecture de ce rapport, qu’être d’accord avec sa conclusion « Pousser les personnes à enchaîner des petits boulots de subsistance qui ne respectent ni le métier, ni le projet professionnel, ni le temps de travail souhaité, ni le niveau de qualification de la personne est un immense gâchis humain en plus d’être inefficace en matière de lutte contre la pauvreté. »

Références

[1] https://www.secours-catholique.org/m-informer/nos-positions/reforme-du-rsa-nos-inquietudes

[2] Le fait de ne pas demander ses droits, notamment les allocations.

[3] Citation tirée du rapport du Secours catholique, Avis du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) : “sanctions : le point de vue du vécu”, mars 2024. Consultable ici : https://solidarites.gouv.fr/sites/solidarite/files/2024-04/CNLE-Avis-sanctions-27-03-2024.pdf

[4] https://www.lemonde.fr/emploi/article/2024/04/26/des-demandeurs-d-emploi-toujours-plus-controles_6230067_1698637.html

[5] https://www.clicanoo.re/article/societe/2024/05/07/video-le-departement-contre-les-sanctions-envers-les-beneficiaires-du-rsa

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Apple, Google et la transformation du droit de la concurrence par l’UE

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Au sein de l’Union européenne, le droit de la concurrence est aujourd’hui utilisé pour lutter contre l’évasion fiscale et les abus des plates-formes numériques. Pour efficace qu’il soit, cet usage est quelque peu problématique, à l’heure où les plates-formes numériques tendent à remplacer les marchés eux-mêmes.

Le 10 septembre dernier, après une longue procédure judiciaire qui avait d’abord conduit la Commission européenne à condamner Apple à une amende de 13 milliards d’euros en 2016, puis le Tribunal de l’UE à annuler cette décision en 2020, la Cour de justice de l’UE (CJUE) jugeait finalement que les exonérations fiscales accordées à Apple par le gouvernement irlandais constituaient bien des aides d’État et devaient donc être remboursées. Autrement dit, Apple devra régler 13 milliards d’euros d’amende à l’État irlandais qui n’en demandait pas tant.

S’il n’en demandait pas tant, c’est parce que l’Irlande mène, depuis la fin des années 1980, une politique agressive de baisse de la fiscalité des entreprises. L’objectif est d’attirer sur son territoire les investissements industriels et productifs au détriment de ses partenaires européens.

Moins de 1 % des bénéfices comme impôt

Tout le monde connaît le faible taux d’imposition sur les sociétés de 12,5 % que demande l’Irlande aux entreprises installées sur son sol. Ce qu’on sait moins et que l’affaire Apple a révélé, c’est que le géant des smartphones n’a même pas payé l’impôt officiel. Pendant plus de deux décennies, Apple s’est acquitté d’un impôt qui représentait moins de 1 % de ses bénéfices. La Commission, dans son enquête, a même calculé que le montant versé par Apple au fisc irlandais a représenté en 2014 à peine 0,005 % de ses bénéfices. Elle a ainsi estimé que l’immense écart entre l’impôt théorique et l’impôt effectivement versé constituait une aide d’État qui faussait la concurrence et a condamné Apple à rembourser cette somme.

Comment une telle manœuvre a-t-elle été rendue possible ? En fait, depuis le début des années 1990, Apple négociait directement avec le fisc irlandais. Pour ce faire, elle constituait un montage grossier, diminuant artificiellement ses bénéfices, qu’elle faisait ensuite valider en demandant un rescrit fiscal à l’administration irlandaise. Un rescrit constitue une réponse administrative à la suite d’une demande de clarification de la part d’un administré. Cela permet, en théorie, d’éviter les erreurs puisque la réponse du fisc vaut validation. Dans le cas d’Apple, les rescrits ont servi à faire valider des montages parfaitement illégaux mais que la réponse du fisc rendait légaux.

Le fléau de la concurrence fiscale

En rendant sa décision, la CJUE a donc condamné Apple, mais elle a aussi condamné le gouvernement irlandais qui s’était livré à ce genre de pratique. Pour le gouvernement irlandais, la condamnation est paradoxale, car elle lui permet d’encaisser de l’argent. De fait, depuis quelques années, les pays européens et l’OCDE tentent d’uniformiser leurs règles fiscales et d’imposer un taux minimal d’impôt sur les sociétés à 15 %.

La concurrence fiscale à laquelle se livrent les États est un fléau. Elle risque d’aboutir à la disparition de toute fiscalité sur les entreprises, ce qui pourrait entraîner à terme une hausse de la pression fiscale qui pèse sur les ménages. Mais comment contraindre un pays comme l’Irlande à renoncer à sa stratégie fiscale ? Comment obliger un pays souverain à collecter l’impôt ? La réponse de la Commission a été d’utiliser le droit de la concurrence. La décision de la CJUE valide donc cette stratégie et enfonce un coin important dans l’un des principes de l’UE, à savoir la liberté fiscale des États membres.


2,4 milliards d’euros d’amende pour Google

Le droit de la concurrence a trouvé une nouvelle fonction qui n’était pas prévue à l’origine, celle de lutter contre le dumping fiscal que se livrent les États membres de l’UE. Mais cela peut aller encore plus loin. Dans une autre affaire, également tranchée le 10 septembre, la CJUE a confirmé la condamnation de Google à payer 2,4 milliards d’euros au titre d’un abus de position dominante. Là aussi, l’affaire remonte à plusieurs années. En 2017, Google est condamné par l’autorité européenne de la concurrence pour avoir avantagé ses propres services dans son moteur de recherche. L’année suivante, l’entreprise est condamnée à 4,34 milliards d’euros d’amende pour avoir imposé l’usage de ce même moteur dans le système d’exploitation Android qui est massivement utilisé dans les smartphones.

Dans ces deux cas, la Commission s’attaque à une stratégie qui est au cœur de l’industrie du numérique et qui consiste à exploiter une plate-forme de mise en relation pour centraliser les services et contrôler ce qu’en font les utilisateurs. En contrôlant le système d’exploitation et le moteur de recherche favori des internautes, Google peut, en quelque sorte, manipuler les comportements de ses usagers et ainsi pousser les internautes à aller vers des sites commerciaux qu’elle contrôle, ou passer des accords avec d’autres entreprises pour les faire bénéficier de ses consommateurs captifs.

Un problème de concurrence. Vraiment ?

À l’évidence, ces pratiques ne constituent pas qu’un problème de concurrence. Certes, Google profite de sa situation dominante pour tordre le marché à son avantage, et c’est ce qui lui est reproché. Mais le véritable danger de ces pratiques est plutôt que ses propres utilisateurs n’ont aucune conscience d’être manipulés puisque tout le processus passe par des algorithmes qui sont le plus souvent invisibles. Les pratiques de Google illustrent donc un problème plus général de l’économie numérique, celui de l’opacité des plates-formes et de la manière dont elles manipulent nos comportements pour gagner de l’argent.

Dans un ouvrage très remarqué, la sociologue Shoshana Zubof dénonçait déjà la manipulation comportementale qu’exerce Google sur les individus. Plus largement, le fonctionnement des réseaux sociaux tels Twitter ou TikTok sont accusés de créer une addiction et d’enfermer leurs utilisateurs dans des bulles informationnelles qui favorisent les idées complotistes ou d’extrême droite. Enfin, des entreprises comme Uber, Airbnb ou Amazon, pour ne prendre que ces exemples, parviennent à contrôler la mise en relation des offreurs et des demandeurs qui sont chacun leurs clients. C’est ce qu’on appelle un marché biface. Ce contrôle à la fois de l’offre et de la demande leur permet de détourner les ressources et le travail de leurs utilisateurs en les mettant en relation.

Plus d’algorithmes, moins de marchés

Pour éviter les abus et le développement de rapports de force inégaux qui apparaissent avec la croissance de l’économie numérique, l’Union européenne essaie d’agir de deux manières. D’une part, elle entend réglementer davantage les pratiques en améliorant l’information et la transparence des usagers. C’est ce que permettent des législations telles que le RGPD (Règlement général de protection des données) instauré en 2018 ou le DSA (Digital service act), en vigueur depuis 2023. Mais, comme on le voit, le droit de la concurrence est aussi largement mis à contribution et permet de défendre des droits et des principes qui dépassent la simple question de la concurrence.

Il reste néanmoins un problème. La plupart des plates-formes numériques qui mettent en relation les services des uns et la demande des autres ne font rien d’autre que de se substituer aux marchés. Ainsi, au lieu de se retrouver sur une place publique pour effectuer des transactions de manière autonome, les agents de l’économie numérique évoluent de plus en plus au sein d’espaces privés dans lesquels les transactions sont gérées par des algorithmes et où ils n’ont pratiquement plus de capacité de négociation.

Autrement dit, le développement de l’économie numérique tend à faire disparaître les marchés pour les remplacer par des systèmes d’échanges dirigés et contrôlés par quelques acteurs dominants. Or, le droit de la concurrence ne peut se déployer, par définition, que s’il existe réellement un marché. Si on n’a pas de marché, on ne peut pas avoir de concurrence et donc le droit de la concurrence n’a plus lieu de s’appliquer. Aussi, l’effacement progressif des marchés et l’apparition de ces plates-formes suggère qu’il faudra peut-être inventer autre chose, à terme, si l’on veut éviter les abus qui, sinon, risquent de se multiplier au sein de l’espace numérique.

Cet article a été tout d’abord publié par l’auteur sur le site du média The Conversation : Apple, Google et la transformation du droit de la concurrence par l’UE (theconversation.com)

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