Le mot « Populaire » en étendard : un piège politique ? Oui.

Le mot « Populaire » en étendard : un piège politique ? Oui.

Entre flou sémantique et déconnexion, le mot « populaire » sonne faux. Voici pourquoi ce terme est devenu un piège politique. La politique est mise à l’épreuve des mots : il est temps de penser à nouveau le langage politique et notamment à gauche, pour reconquérir l’engagement et la confiance.

La majorité des Français se voit chaque jour classer dans la case “populaire” pour en sortir le lendemain et y entrer à nouveau le jour d’après. Ce mot, comme la société française a changé. Il sonne faux.

Les « classes populaires », le « Nouveau Front populaire », le « Front populaire » ou encore le « Nouveau Populaire »… Bien qu’ancien, le mot « populaire » refait surface en France comme le porte-drapeau d’une bataille sociale et politique qui tend la main à cette frange de plus en plus floue de la population. Pour les partis, conquérir cet électorat est devenu le Graal, la promesse d’une victoire électorale, un objectif que se disputent de nombreux camps. Ce mot, à lui seul, est devenu l’épicentre de la bataille culturelle en cours. Pourtant, je suis convaincu que la gauche française devrait repenser l’usage de ce terme, et ce, avant l’élection présidentielle de 2027.

Premièrement, un flou entoure ce mot et sa représentation concrète dans la société. Récemment, je lisais ce titre dans Libération : « Les classes populaires possèdent-elles un savoir-faire alimentaire que les classes aisées n’ont pas ? ». De qui parle-t-on exactement ? Cette question révèle, sinon une confusion, du moins une fracture de représentation entre les villes et les campagnes, les urbains et les périurbains. Cette catégorisation imprécise crée une confusion, surtout dans les pays occidentaux où de nombreuses problématiques sociétales transcendent désormais les catégories traditionnelles, que l’on soit ouvrier ou cadre supérieur : difficultés d’accès aux services publics, inquiétudes face à l’éducation des enfants, inflation, etc.

Deuxièmement, le mot « populaire » s’est immiscé dans le discours des responsables politiques et des journalistes, souvent parisiens. Servi à toutes les sauces, il relève peut-être les plats des commentateurs mais ne semble pas trouver le même écho chez les premiers concernés, c’est-à-dire une très large majorité de Français. Employer à tout-va un terme pour désigner des personnes qui ne l’utilisent pas, voire jamais, pour se définir est, à mon sens, contre-productif, sinon dangereux. Cette rupture de confiance avec le monde politique se nourrit d’un sentiment de mépris, qui n’est plus seulement un mépris de classe, mais un mépris de pouvoir. Selon moi, le mot « populaire » contribue à cette perte de confiance et accentue le sentiment d’une classe politique et médiatique déconnectée, représentante d’une « mégalopolitique » (association de mégalopole et de politique, dont la sonorité avec « mégalo » me semble pertinente). Cette pensée est souvent façonnée dans des bulles éducatives comme Sciences Po et nourrie par les biais, volontaires ou non, des métropoles, plus perméables au libéralisme qu’aux aspirations réelles de la société. Ainsi, l’angle « populaire » mine toute tentative d’identification et creuse un fossé entre ceux qui pensent maîtriser le mot et ceux qui le subissent.

Troisièmement, on assiste à un glissement de sens du mot « populaire ». Autrefois associé à un combat noble faisant référence au Front populaire de 1936 et à ses avancées sociales (congés payés, semaine de 40h), puis au progrès des Trente Glorieuses, il semble aujourd’hui désigner une majorité au quotidien moins désirable et à l’avenir incertain, voire figé (l’ascenseur social en panne). Son sens le moins glorieux prend le dessus, dévalorisant l’ordinaire, soulignant un aspect vulgaire, commun. Ironiquement, cette dévalorisation du « populaire » (le commun) survient dans une société qui nous incite chaque jour à devenir plus « populaire » (célèbre et singulier), notamment via l’accumulation de vues et de likes, pour échapper à notre déterminisme social. Pour le dire autrement, nous appartenons à des générations plus caméléons, mobiles, créatives, voire transfuges, capables de se réinventer, notamment sur les réseaux sociaux et cela ne transpire pas dans l’utilisation du mot “populaire”.

Pour terminer, je crois que l’utilisation du mot « populaire » ignore la grande porosité qui existe désormais entre les différentes classes sociales face aux difficultés et aux combats du quotidien. La véritable fracture est celle entre les ultra-riches et le reste de la population. Sur 68 millions d’habitants, seulement 10 % des salariés dépassent les 4 000 euros nets mensuels. Le corps social français ne peut se satisfaire d’un mot fourre-tout qui nous force à nous jauger mutuellement : « Es-tu plus ou moins “populaire” que moi ? ».

Il ne s’agit pas ici de censurer ce mot, mais de rouvrir le dialogue, notamment à gauche. C’est l’ambition de cette réflexion : envisager d’autres manières de nommer les Français et de porter les combats à venir. Cela pourrait passer par la réhabilitation de la notion de « peuple » pour désigner le corps de la nation, par l’affirmation simple de « la gauche » et de son héritage, ou encore en plaçant la « justice », la «fraternité» et l’« équité » au cœur du projet, pour faire face à un monde devenu aussi insaisissable que le mot « populaire ».

Mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde

— Albert Camus

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A quelques heures de la fin du vote, s’il est difficile de prédire la victoire de Kamala Harris ou de Donald Trump, l’on peut d’ores et déjà parler d’un cas d’école et tirer la sonnette d’alarme pour que les dérives de cette campagne ne se produisent pas en France.

JIM WATSON/AFP via Getty Images

Les campagnes de Donald Trump et de Kamala Harris sont elles révolutionnaire ? Je ne le pense pas.

Renversent-elles la table, bousculent-elles fondamentalement les codes ? Je ne le pense pas non plus, du moins, si l’on ne fantasme pas sur Elon Musk.

Mais il y a déjà deux grands gagnants dans cette campagne — et ce n’est pas forcément une bonne nouvelle : d’abord, le réseau social X, qui prouve, malgré ses 18 ans d’existence, que les journalistes et la sphère médiatico-politique n’arrivent toujours pas à s’en défaire, comme un vieux Chewing-gum collé à une semelle.
→ Et vraiment, il va falloir que cela change !

Deuxième gagnant, Elon Musk, qui rafle tout. Entre autopromotion de lui-même et valorisation de ses entreprises à commencer par X bien sûr. C’est un strike. Car s’il l’on parle d’Elon Musk alors bien sûr l’on parle de ses entreprises.

En effet, non seulement le milliardaire à mis son réseau social et ses algorithmes à son entière disposition — il n’y a qu’à voir la surreprésentation de ses publications dans la rubrique “for you” au quotidien dès l’ouverture de l’application (plus encore pour ceux qui le follow), ce qui lui permet d’obtenir une visibilité monstrueuse et sans précédent (10, 20, 30, voire 50 millions d’impressions par posts) — mais il profite également de cette campagne présidentielle 2024 pour faire directement et indirectement la promotion de son réseau social qui n’est autre qu’une plateforme privée à but lucratif : comme si demain, Xavier Niel décidait, pendant la campagne présidentielle, d’utiliser le réseau Free et le journal Le Monde pour envoyer tous les jours à ses clients, ses opinions, des clashs, etc.

Elon Musk est allé encore plus loin en proposant 1 million de $ par tirage au sort aux Américains qui soutiennent Donald Trump et vont voter pour lui. Là encore, un nouveau coup du milliardaire plus motivé par la publicité et son autopromotion finalement à moindres frais puisque le monde entier s’est fait le relai de cette information. 1 million / jour pour avoir la visibilité publicitaire d’un Super Bowl, franchement, ce n’est rien du tout ! Ce n’est donc ni de la générosité ni de l’altruisme et probablement encore moins lié à un véritable engagement politique. Non seulement terrifiant, mais, là encore, l’on constate des failles contre lesquelles personne ne semble en mesure de lutter.

43,6 millions : c’est la somme en dollars qu’Elon Musk a ajoutée au financement de la campagne de Donald Trump, rapporte le Monde.

À titre de comparaison, le tarif du spot publicitaire au Super Bowl était d’environ 7 millions de dollars les 30 secondes. 43,6 millions de dollars pour Elon Musk correspondraient à seulement 7 spots publicitaires de 30 secondes… Clairement, cet investissement lui est plus que favorable d’autant qu’une partie non négligeable (la moitié) de l’Amérique est acquise à la cause des républicains : une magnifique audience, une source de business gigantesque.

→ LIRE AUSSI : Elon Musk a transformé X en arme politique

Ainsi, j’en arrive à la grande perdante de cette période de campagne et de cette élection américaine : la démocratie* !

*Forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple ; État ainsi gouverné.

À deux jours d’un scrutin qui s’annonce très serré, le monde entier se voit suspendu à un choix effrayant entre un Donald Trump de plus en plus grotesque, mais nationaliste, et une Kamala Harris qui, malgré ses trois gros défauts (être une femme, une femme de couleur, et être l’héritière de Joe Biden), est, selon moi, la meilleure candidate. D’ailleurs, du point de vue de la communication, je trouve la campagne de Kamala Harris très réussie. Particulièrement sur la tonalité très bien illustrée par la chanson FREEDOM de Beyoncé. Les contenus vidéos, en nombre, ont été savamment calculés et s’accordent parfaitement au storytelling de la campagne de la candidate. Cela mérite un article complet sur le sujet !

Je reviens sur notre triste perdante : la démocratie.

Là encore, je vais parler des deux milliardaires républicains, qui sont tous les deux en plein égotrip. Il y a d’abord la marionnette “Donald Trump” et son manipulateur, notre cher Elon. Deux hommes et des équipes, dont il manque vraisemblablement la case “éthique” dans leur logiciel, sont prêts à se battre pour gagner un pays, à diviser sa population pour la faire s’affronter, annonçant déjà la non-reconnaissance du scrutin et laissant planer le doute d’une nouvelle prise du Capitole. Pour arriver à ses fins, Elon Musk s’est transformé en machine à troll russe et l’on sait à quel point cela fonctionne. N’ayons pas peur de faire le lien avec les méthodes utilisées pour faire monter l’extrême droite et ses valeurs partout dans le monde …

Comme le souligne Matt Navarra , Elon Musk est désormais le plus grand promoteur de complots anti-immigrés de sa plateforme X.

 

En effet, cette année, l’immigration et la fraude électorale (qui met en danger la démocratie américaine) sont devenues les sujets les plus fréquemment postés par Elon Musk, récoltant un nombre d’impressions absolument gargantuesque de 10 MILLIARDS DE VUES = très inquiétant.

Je ne suis pas certain qu’il soit très utile de prolonger la démonstration sur le cas Trump x Elon tout deux en position d’abus de pouvoir.

Je propose cependant, à celles et ceux que cela intéresse de rédiger un Projet de Loi pour qu’une telle dérive ne puisse se produire en France et, pourquoi pas, en Europe. La lutte contre la désinformation, et celle de réguler le pouvoir du privé sur le public me semblent essentielles. La protection de nos démocraties passe par l’adaptation des règles qui les protègent en fonction des évolutions de la société. Nous avons un cas d’école, tirons-en dès maintenant une bonne leçon.

N’oublions pas qu’il est bon de s’indigner : cela évite de tomber.

Par ailleurs, le danger Bolloré (CNEWS, C8, Fayard, le JDD …) est bien présent en France. je vous invite d’ailleurs à lire le livre suivant : POP fascisme, comment l’extrême droite a gagné la bataille culturelle, Pierre Plotu et Maxime Macé, éditions Divergences, 2024. 

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