Front populaire contre Front national : les médias doivent choisir leur camp

Front populaire contre Front national : les médias doivent choisir leur camp

Depuis le dimanche 9 juin 2024, aux alentours de 21h, le monde politique est bouleversé par l’annonce présidentielle de la dissolution de l’Assemblée nationale. Entre alliance des gauches et explosion des partis de droite et d’extrême droite, ces journées politiques offrent un spectacle étonnant. Cet edito entend analyser un point saillant qui risque de déterminer en grande partie les résultats du 7 juillet : le cadrage médiatique.

Depuis le dimanche 9 juin 2024, aux alentours de 21h, le monde politique est bouleversé par l’annonce présidentielle de la dissolution de l’Assemblée nationale. Entre alliance des gauches et explosion des partis de droite et d’extrême droite, ces journées politiques offrent un spectacle étonnant. Le sujet de cet édito n’est pas de revenir sur ces tractations ou même de présenter une analyse globale des enjeux que recouvrent les prochaines élections législatives. Il entend simplement analyser un point saillant qui risque de déterminer en grande partie les résultats du 7 juillet : le cadrage médiatique.

Selon toute vraisemblance, et plus que jamais, les médias joueront un rôle crucial dans ces élections législatives. A chaque échéance électorale il en va de même, mais notre hypothèse est qu’ils seront, cette-fois ci, plus que jamais déterminants.

Selon Le Figaro(1), en se fondant sur les résultats des élections européennes du 9 juin, 536 (sur 577) circonscriptions pourraient voir un duel entre le Front populaire et le Rassemblement national au second tour. C’est évidemment une fourchette – très, très – haute, et on imagine mal les candidats de la majorité présidentielle ou de LR n’arriver au second tour que dans une quarantaine de circonscriptions. Toutefois ce qui ressort des différentes analyses, c’est qu’une majorité de duels se fera entre le RN et le Front populaire.

Dès lors, ce sont les suffrages des électeurs centristes, macronistes, qui détermineront le vainqueur d’un second tour. Plusieurs enquêtes menées en 2023 montrent que, désormais, Jean-Luc Mélenchon fait figure d’épouvantail pour la bourgeoisie centriste, bien plus que Marine Le Pen. Un sondage de mars 2023 indiquait que Marine Le Pen inquiétaient 39% des électeurs Renaissance ; Jean-Luc Mélenchon 44%. La situation s’est, du reste, empirée depuis le 7 octobre et l’attaque terroriste du Hamas : refus de qualifier le Hamas d’organisation terroriste, rupture de la NUPES par le Parti socialiste, sorties antisémites de Jean-Luc Mélenchon, attaques quotidiennes sur Raphaël Glucksmann, etc.

Un sondage IFOP du 8 février 2024 montre qu’en cas de second tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle, 66% des sympathisants Renaissance voteraient pour la candidate du Rassemblement national. Insistons sur ce point : les deux tiers de l’électorat macroniste voteraient pour l’extrême droite en cas de duel face au chef de la France insoumise. Il faut avoir cet élément essentiel en tête à l’heure d’appréhender le rôle que jouent et joueront les médias dans la campagne législative en cours.

En partant donc de l’hypothèse selon laquelle beaucoup de seconds tours verront s’affronter candidats estampillés Front populaire et candidats d’extrême droite, l’électeur centriste est à convaincre. La modération dont a fait preuve Jean-Luc Mélenchon au JT de France 2, et les compromis sur le programme commun (construction européenne, reconnaissance des actes terroristes du Hamas, soutien à l’Ukraine, etc) témoignent de cette prise de conscience. Il faut rassurer le bourgeois.

Mais si les femmes et hommes de gauche ont pris leur responsabilité, il reste un élément qu’ils n’ont pas entièrement entre les mains – même si leurs prises de position peuvent l’influencer -, le traitement médiatique des futurs seconds tours. Car rappelons-nous qu’en avril 2022, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, le président de la République Emmanuel Macron n’était crédité que de 53% des suffrages, contre 47% pour Marine Le Pen. Ici, c’étaient les électeurs de gauche qu’il fallait convaincre. Eux qui avaient déjà fait barrage à l’extrême droite en 2002, en 2017, étaient à nouveau appelés à voter pour le candidat de la casse sociale par excellence. Nombre d’entre eux souhaitaient s’abstenir.

Les deux semaines qui ont précédé le second tour ont vu, comme on pouvait s’y attendre, une campagne médiatique de front républicain se mettre en place. Progressivement, à mesure que le risque fasciste devenait réalité (les sondages inquiétants étaient dans les bouches de tous les chroniqueurs et journalistes politiques), à l’initial « ni-ni » était préféré un vote en faveur d’Emmanuel Macron. Finalement, l’on est passé de 6 points d’écart à 17.

La chose est dure à quantifier, mais je fais l’hypothèse que sur les électeurs centristes, les médias dits « traditionnels » ont encore une influence considérable. Que l’on pense aux millions d’auditeurs des matinales radio, ou aux millions de téléspectateurs du journal de 20h, l’audience touchée est grande et, surtout, c’est un audimat dont on peut fortement supposer qu’une grande partie aura voté pour un candidat de la majorité présidentielle au premier tour.

Ces médias ne vont pas appeler à voter pour tel ou tel camp, mais le cadrage médiatique qu’ils feront des sorties des uns et des autres sera décisif. Insidieusement, la diabolisation ou la dédiabolisation afférées au Front Populaire ou au Rassemblement national par la radio, la télévision ou les médias du « centre raisonnable » (qui, généralement, abhorre tout autant voire plus la France insoumise que le Rassemblement national) orienteront une partie non négligeable de l’électorat macroniste à se décider.

Car il ne s’agit pas de savoir si le RN aura 50 ou 100 députés. Il ne s’agit pas de savoir si LFI en aura 30, 50 ou 70. Il s’agit bel et bien de savoir si les électeurs centristes sont prêts à propulser l’extrême droite à la tête de la France.

Références

(1)Le Figaro, 12 juin 2024. 

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Du résultat des européennes : la double pression

Du résultat des européennes : la double pression

« Tirer les enseignements de ce qui s’est passé le dimanche 9 juin mériterait un livre en plusieurs tomes tant la densité politique du moment est d’une force rare, et tant ce qui arrive présentement ne peut s’expliquer que par des décennies d’affaiblissement du pouvoir politique, de la parole politique et du niveau général des dirigeants. »

Depuis le dimanche 9 juin au soir et la nouvelle période politique ouverte par le résultat des élections européennes et par la dissolution décidée par le président de la République, vous êtes nombreux sur le terrain à m’interroger sur cette situation et nous sommes nombreux à nous interroger tout court.

Tirer les enseignements de ce qui vient de se passer mériterait un livre en plusieurs tomes tant la densité politique du moment est d’une force rare, et tant ce qui arrive présentement ne peut s’expliquer que par des décennies d’affaiblissement du pouvoir politique, de la parole politique et du niveau général des dirigeants.

Je me limiterai donc, pour l’heure, aux considérations essentielles.

De nombreux maires m’ont fait part de leur effarement dès dimanche soir. « Je me bats dans ma commune pour mettre en place des services, des animations, de l’action culturelle, de l’écoute et de l’aide sociale. Nous faisons en sorte de faire vivre notre petite nation communale et le plus souvent en bonne entente avec la population. Et au moment du dépouillement je ne reconnais pas mes habitants et je ne comprends pas où se trouvent mes 40% d’électeurs d’extrême droite. Qu’est-ce que je peux faire de plus à la mairie pour éviter ça ? ». À ces maires, je veux dire que je comprends leur remise en question mais qu’elle n’est pas justifiée. Les électeurs ont, beaucoup plus que certains ne veulent le croire, l’intelligence de la compréhension du scrutin pour lequel ils se déplacent. Ils savent ce qu’est une élection européenne, ils savent ce qu’est une élection nationale et ils savent ce qu’est une élection locale. Ils savent surtout, et c’est un point fondamental, ce qu’est l’Etat. Si un maire exerce son mandat de la meilleure façon possible c’est en menant des projets dans le domaine d’action qui est le sien. Mais lorsqu’une agence du Trésor public ferme, lorsque des moyens en personnel de l’Education nationale manquent dans les écoles, lorsque la facture de l’énergie n’est pas maîtrisée, lorsque le prix de l’essence vient percuter toute l’organisation d’un ménage qui doit travailler, se déplacer, se chauffer, ces électeurs attendent d’abord de l’Etat qu’il joue son rôle. Nous sommes français et cela est profondément inscrit dans notre inconscient politique. Et les échecs, véritables, sur ces questions-là ne sont pas à imputer aux élus municipaux.

Un citoyen, même s’il se sent aussi bien que possible dans sa commune, peut en toute sincérité électorale faire connaître un choix dans une élection nationale à l’opposé des valeurs portées par son maire. Et le maire est dans son bon droit, c’est même son devoir, de dire lui aussi à ces électeurs ce qu’il pense de leur choix. Dans la commune où je vis, et dont je fus maire douze ans, l’extrême droite dépasse 40% des suffrages exprimés. Je sais les raisons de ce vote, je sais que les électeurs font des choix en conscience (il y a longtemps que je ne crois plus au vote « coup de gueule » ou « défouloir ») et j’assume de dire à ces électeurs qu’ils se leurrent, comme j’avais su le dire en 2017 lorsque tant de concitoyens s’enthousiasmaient pour Emmanuel Macron, alors que la supercherie de cette soi-disant posture ni gauche ni droite m’apparaissait évidente. J’avais alors tenu à être candidat à l’élection législative que je savais ingagnable, mais il me paraissait important de combattre pour les valeurs auxquelles je crois et de faire une campagne claire sur le refus de cette illusion du moment. Et d’affirmer haut et fort qu’à la différence de certains de mes désormais anciens camarades, je ne trouvais rien d’enthousiasmant chez le « Mozart de la finance ». Aujourd’hui, la supercherie du candidat TikTok Bardella et de toute la famille le Pen n’est pas moins évidente pour moi. Pour n’avoir pas voulu de Mozart en 2017, je ne suis pas demandeur de Wagner en 2024.

Si les électeurs savent parfaitement les enjeux de l’élection pour laquelle ils se déplacent, on peut en revanche constater que deux camps politiques ont perverti ce scrutin en en faisant autre chose qu’une élection européenne. Le RN a fait en sorte qu’elle ne soit pas une élection européenne mais un référendum contre le président de la République, et le président de la République à lui commis la faute de transformer l’élection européenne en élection législative par la décision de dissoudre de manière aussi soudaine.

Le paysage électoral en a été totalement modifié car la soupape ne demandait déjà qu’à sauter. Et c’est sous une double pression que le scrutin des européennes s’est déroulé.

La première pression provient de l’incapacité à répondre aux défis posés par la mondialisation et par le caractère libéral des institutions européennes. Je défends un point de vue eurocritique depuis que je milite et j’ai toujours chéri ma part de culture chevènementiste. Mais les patriotes de gauche n’ont pas réussi à persuader le reste de la gauche démocratique et de gouvernement qu’il y avait un problème dans la manière dont nous abordions la mondialisation des échanges et le fonctionnement de cette union particulière d’Etats qu’est l’Europe. Cette Europe ne peut se faire du jour au lendemain en forçant les peuples. Elle ne peut se faire sans respecter le fait national qui n’est pas un repli mais qui est la plus belle forme de solidarité politiquement inventée depuis la fin des empires au 19e siècle. Nous n’avons pas trouvé mieux que la nation pour faire d’un individu un citoyen. La structuration des institutions européennes pousse systématiquement (au sens littéral) à une politique libérale, alors que la mondialisation des échanges nécessiterait que les peuples conservent la maîtrise de leur choix face au marché pour pouvoir en tirer un bénéfice réel et que cette nouvelle étape dans l’histoire de l’humanité ne se résume pas à la délocalisation industrielle et à la concurrence entre des travailleurs du même continent.

La deuxième source de pression vient de la perversion de l’outil démocratique qui s’est accélérée grandement sous la présidence d’Emmanuel Macron. En 2005, à l’occasion du référendum par lequel les Français ont rejeté à raison le texte sur la constitution européenne, puis en 2008 lorsque le Congrès a adopté un texte quasi similaire, une plaie s’est ouverte et ne s’est jamais refermée. Les partis politiques qui ont participé à cette forfaiture n’ont pas fait l’analyse de leur acte et n’ont pas reconnu cette faute, ce qui a empêché la cicatrisation. Sous Emmanuel Macron, la plaie s’est même surinfectée. L’élection présidentielle de 2017 a vu la désignation d’un président par défaut au second tour. Comme pour Jacques Chirac en 2002, cette situation aurait dû conduire le premier des Français à une approche humble, ouverte et rassembleuse. Il aurait fallu se comporter en Athéna, déesse de la sagesse et nous avons eu un président se désignant Jupiter alors même qu’il était plus sûrement Saturne, le Titan qui dévorait ses enfants. Le garant de la Constitution a joué avec pour finir par la distordre. Au mouvement des gilets jaunes qui fut une expression concrète et sincère de la violence de la mondialisation ressentie par les classes populaires, il a répondu par une doctrine de maintien de l’ordre inadaptée et par un grand débat qui aura endormi l’opinion plutôt que de réveiller le gouvernement. D’autres sujets ont été étouffés par des procédures dont nous savons maintenant que le président de la République a le secret : Cent jours, Rendez-vous de Bercy, Ségur de la Santé, conventions citoyennes…Le pire fut à n’en pas douter le Conseil National de la Refondation empruntant honteusement les 3 lettres du Conseil National de la Résistance dont le programme aura été foulé aux pieds par le président Macron en tout point. L’élection présidentielle de 2022 a vu son débat réduit au minimum par l’actualité internationale tragique du fait de la guerre en Ukraine, ce dont le président Macron n’est pas personnellement responsable mais dont il n’a pas tiré les enseignements. Notamment lorsque à la majorité relative qui lui a été donnée à l’Assemblée il répond par le 49.3 systématique (abîmant au passage l’utilité ponctuelle du 49.3) au lieu de chercher réellement un accord global avec les forces politiques.

Nous étions nombreux à savoir que les Cent jours sous le gouvernement d’Elisabeth Borne et le Big Bang annoncé en janvier 2024 avec le gouvernement de Gabriel Attal n’étaient que pure communication. La démocratie politique compliquée par une majorité relative n’amena pas pour autant le pouvoir à pratiquer la démocratie sociale puisqu’il resta sourd aux demandes exprimées par des centaines de milliers de personnes manifestant à de nombreuses reprises pendant la réforme des retraites. La pression populaire ne trouvera pas non plus d’exutoire démocratique dans les tentatives de référendum d’initiative partagée que ni la gauche (sur les super-profits) ni la droite (sur l’immigration) ne parviendront à mettre en œuvre. Il peut paraître simpliste de comparer la politique au système d’une cocotte-minute mais c’est pourtant la meilleure illustration que nous puissions donner s’agissant des années Macron.

L’impensé et les contradictions anciennes de toute la classe politique sur la mondialisation et la question européenne, un positionnement tout en repli, en outrance et en xénophobie de la part de l’extrême droite et les réponses simplistes qui vont avec, des citoyens de plus en plus empêchés d’exprimer une volonté qui trouve un débouché politique, et un débat démocratique profondément abîmé par le recul des médias responsables avec de vraies rédactions chérissant le débat et hiérarchisant les sujets pour contenir l’infobésité auquel on ajoutera enfin les manipulations et le bruissement des réseaux sociaux dont l’extrême-droite fait un usage immodéré  : voilà la situation sur laquelle le pouvoir présidentiel était assis et les Européennes ont vu jaillir un geyser.

Il convient également d’avoir un mot sur la gauche et le camp du progrès. C’est mon camp et ça le sera toujours parce que je sais que la fraternité est la solution de long terme, parce que je sais qu’on ne construit une société que dans l’attention au plus faible, parce que je sais que l’éducation est la clé d’une cohésion nationale réussie et parce que la démocratie sans le progrès social n’est pas la République. La famille Le Pen (le père, la fille, la nièce et le petit prince) recueille aujourd’hui les suffrages de la classe ouvrière et des travailleurs. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que l’on abuse ainsi les classes populaires. Pour autant cela ne change rien à la conviction que c’est en se préoccupant du plus grand nombre et non pas en l’entretenant dans la haine de l’autre et de l’assisté mais en conquérant des droits nouveaux et en poursuivant l’idéal d’égalité que l’on fait œuvre utile pour sa nation et pour l’humanité. Mais mon camp a commis l’erreur de s’aligner sur l’européisme libéral de la droite et de ne pas savoir jouer le rapport de force avec l’économie allemande. Le quinquennat Hollande l’a montré et je reste très fier d’avoir accueilli en 2015 dans ma commune l’assemblée d’été de ceux que l’on a appelés les Frondeurs[1]. Même s’il doit être précisé que j’étais en accord sur le fond avec eux mais pas sur la méthode. Sous la Vème République la fronde parlementaire n’existe pas. Tout au plus peut-on scinder un groupe parlementaire.

Aucun débouché politique n’a été donné aux colères créées par la mondialisation libérale qui n’est pas seulement affaire de marchés, de bourses et de règlements européens mais surtout d’industrie disparue, d’anciens monopoles publics dépecés par des spéculateurs (le marché de l’énergie est l’exemple le plus ubuesque) et de renoncement au protectionnisme. Le bulletin de vote s’est démonétisé. Rien d’étonnant à ce qu’il soit utilisé contre le pouvoir national à l’occasion d’élections européennes.

Et voilà que la boucle est bouclée avec le début de mon propos.

Est-il trop tard pour bien faire ? Probablement pas. Mais c’est un long chemin que celui de l’éveil des consciences. Déjà en 2014 je publiais une tribune alertant sur ce sujet[2], et c’est régulièrement dans mes prises de paroles au Sénat que je rappelle la nécessité de parler clairement de souveraineté et de la nécessité que la France ne s’aligne pas sur les Etats-Unis comme un allié parmi d’autres. Certes, les victoires idéologiques sont longues, mais par histoire familiale et personnelle comme par connaissance de l’histoire de la France et de la gauche démocratique, je ne vois rien de mieux à faire que de poursuivre la lutte, quand bien même elle change indéniablement de nature puisque, si l’extrême-droite n’est pas au pouvoir à l’heure où je publie cette analyse, elle est devenue et pour un temps certain le nouveau pôle autour duquel s’organise la droite. Mais nous sommes demain le 18 juin et il y a des flammes qui ne s’éteindront pas. Et ce ne sont ni celles du RN, ni celles de ses alliés européens.

Références

[1] Vous retrouverez ici mon discours d’accueil :  https://www.youtube.com/watch?v=2rL9KE8l5SY&t=1s

[2] https://mickaelvallet.fr/2014/05/26/langoisse-du-premier-federal-au-moment-decrire-le-communique-de-la-defaite-reaction-personnelle-au-resultat-des-europeennes/, reprise par Marianne dans un entretien : https://mickaelvallet.fr/2014/05/27/comme-toute-structure-le-ps-peut-mourir

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Zéphyrin Camélinat, Commun Commune

Zéphyrin Camélinat, Commun Commune

Zéphyrin Camélinat, monteur en bronze, né en 1840, fut le premier candidat du Parti Communiste à une élection présidentielle, en 1924. Figure de la Commune, où il fut directeur de la monnaie, Camélinat a tout connu des soubresauts de la Gauche de la fin du XIXe siècle et du début du XXe.

Portrait.

Né à Mailly la Ville, le 14 septembre 1840, Zéphyrin est le fils de Rémy Camélinat, tailleur de vigne, dit Camélinat le Rouge ou Camélinat le Républicain.

Le socialisme dans le sang.

A 17 ans, il déménage à Paris où il travaille dans un premier temps comme fabricant de tubes de cuivre puis comme ouvrier bronzier. En parallèle, il apprend l’anglais aux Arts et Métiers, met un pied dans le syndicalisme et fit la connaissance de Proudhon. Doué, adroit, consciencieux, Camélinat devint vite une référence dans son métier. Charles Garnier fit appel à lui durant cinq ans afin d’exécuter les palmes de bronze du nouvel opéra.

Signataire du Manifeste de Soixante, Camélinat est mobilisé lors de la Guerre de 1870.

La Commune démarre. Elle le rattrape.

Camélinat est nommé directeur de la monnaie et fait graver sur les pièces une nouvelle devise : « Travail. Garantie nationale. ».

Arrive la débâcle. Les Versaillais triomphent. Camélinat se bat jusqu’au bout. Il se lie d’amitié avec Jules Vallès, futur auteur de l’Insurgé. La répression ne le rattrape pas, il s’exile à Londres comme de nombreux communards. Il y exerce son métier de bronzier et y fréquente le cercle des expatriés, nombreux à Londres. La Réaction le condamne en 1872 à la déportation. Il ne sera gracié que 7 ans plus tard, puis rentre en France en 1880.

Dans un mouvement socialiste naissant, Camélinat prend toute sa place et participe à la naissance de la SFIO tout en reprenant ses activités syndicales des ouvriers bronziers dont il organise une grande grève en 1882.

En 1885, il est candidat à la chambre des députés, sur une liste républicaine large comprenant également la candidature de Georges Clemenceau. Camélinat est élu. Cette élection considérée par Engels comme un grand événement.

A l’Assemblée, militant infatigable, le député se bat pour la réforme de la Constitution, l’indemnisation des accidents du travail, la gratuité de la justice, la limitation du travail des enfants. Il porte également une des premières tentatives de Loi de Séparation de l’Église et de l’État. Le député-militant soutient depuis la Tribune les mineurs de Decazeville. Victime du manque d’unité de la famille socialiste, il est battu successivement aux législatives de 1889,1893,1898,1902 et 1906.

Il prend alors sa part dans le processus d’unification des socialiste français, notamment en participant à la naissance de la SFIO. Président en avril 1905 du premier Congrès de la nouvelle maison, il en devient le trésorier. Partisan de l’Union Sacrée en 1914, démissionnant de son poste de trésorier en 1916, Camélinat se rallie ensuite aux partisans de la scission au Congrès de Tours.

Le voilà communiste.

« Camélinat le Communard » devient ainsi une légende du PCF.

Transmettant les actions de l’Humanité qui sont les siennes, au PCF ainsi que celles qu’il détenait au nom de la SFIO, il favorise le passage du quotidien sous l’autorité du Parti. Ainsi né la légende : « Camélinat apporte l’Humanité au PCF ».

Légende qui n’a depuis jamais été démenti.

Juin 1924, Camélinat est candidat à l’élection présidentielle. Premier candidat communiste de l’histoire, l’ancien communard est battu par Gaston Doumergue de seulement 21 voix.

Battu par Alexandre Millerand aux élections sénatoriales de 1925, Camélinat le rouge quitte la vie politique et devient président de l’Association des anciens combattants et amis de la Commune de Paris. Il meurt en 1932.

Cent ans après sa candidature à l’élection présidentielle, Camélinat reste une figure importante du Parti Communiste Français, et de la gauche en général. Ouvrier devenu homme politique, militant devenu candidat, Camélinat représente ce qui fait la fierté du mouvement socialiste français.

Peu connu du grand public, son image reste pourtant indissociable d’une des plus belles et des plus importantes périodes de l’histoire de France : La Commune.

Vive la Commune.

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La victoire électorale du Rassemblement national et après ?

La victoire électorale du Rassemblement national et après ?

La victoire du Rassemblement National à l’élection française au parlement européen était annoncée par les instituts de sondage. Mais nous refusons de croire aux évènements catastrophiques qui nous attendent. Nous faisons comme s’ils n’allaient jamais se produire, jusqu’à ce qu’ils surviennent et nous sidèrent.

Photo : Libération

Voilà qui est fait.

La liste du Rassemblement national conduite par Jordan Bardella a devancé largement toutes les autres le 9 juin 2024, en recueillant 31,4% des suffrages, loin devant la liste soutenue, (pour ne pas dire conduite par procuration) par Emmanuel Macron qui n’en recueille pas la moitié, ou celle de Place publique – Parti socialiste et de la France insoumise qui font une performance encore inférieure.

Ce n’est pas la première fois que le Rassemblement national est en tête des résultats aux élections européennes; en 2019, il l’avait déjà emporté avec un peu plus de 23% des suffrages, devançant de peu la liste de la majorité présidentielle et toutes les listes de gauche. L’écart était beaucoup moins important qu’aujourd’hui, mais la défaite du président, élu moins de 2 ans auparavant, n’en était pas moins un sérieux avertissement.

Et puis, en 2022, sans faire alliance avec aucun autre parti et malgré la concurrence du nouveau parti lancé par Éric Zemmour, le Rassemblement national fit entrer 89 députés à l’Assemblée nationale, dans le cadre d’un scrutin de circonscription uninominal à deux tours qui ne lui était en principe pas favorable. Auparavant, le Front national, ancêtre du Rassemblement national, n’avait quasiment pas été représenté au Parlement à l’exception de la mandature ouverte en 1986, élue au scrutin proportionnel par la volonté de François Mitterrand, une décision dans laquelle le souci louable d’assurer une représentation plus démocratique de la population à l’Assemblée nationale rejoignait celui de limiter la défaite annoncée du parti socialiste.

Nous n’allons pas refaire ici l’analyse détaillée du résultat de l’élection au Parlement européen de dimanche dernier. La carte que chacun a pu voir dans les médias est beaucoup plus parlante que tous les discours : la couleur marron, généralement associée par les cartographes au Rassemblement national, couvre tout le pays. Seules subsistent quelques petites taches correspondant aux grandes agglomérations urbaines où la liste Renaissance, celle du Parti socialiste et celle de la France insoumise arrivent en tête.

Ces cartes ont l’avantage d’être très lisibles et frappantes. Elles ont aussi un inconvénient, c’est qu’elles ne font pas apparaître que le premier parti de France reste celui des abstentionnistes, avec près de 50% des inscrits, le parti de ceux qui ne font pas plus crédit au RN qu’aux autres partis politiques.

La réponse d’Emmanuel Macron, préparée à l’avance sans avoir été rendue publique, n’a pas tardé. Il a prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale et convoqué de nouvelles élections législatives le 30 juin et le 7 juillet 2024.

Les spéculations vont bon train sur les raisons de cette décision, souvent qualifiée de pari. Les supporters du président le trouvent courageux et ceux qui ne le soutiennent pas -ils sont plus nombreux- le qualifient de risqué, voire de suicidaire. Beaucoup de députés macronistes voient avec effroi arriver plus tôt que prévu la fin de leur carrière parlementaire.

Pour E. Macron, il s’agit d’essayer de faire vivre le clivage qu’il veut imposer depuis 2017 entre « progressistes et nationalistes », les deux camps qu’il voulait constituer après avoir fait disparaître le vieux clivage entre la droite et la gauche. Il n’y est pas parvenu, pas plus qu’il n’est parvenu à donner un contour politique précis au macronisme qui après sept ans de pouvoir, n’est pas autre chose que la politique économique et sociale de la droite française matinée de quelques réformes « sociétales » qui divisent autant la droite que la gauche. Le projet de loi sur la fin de vie, dont le débat est interrompu par la dissolution, en est un exemple. Par son nouveau « quitte ou double », il veut une fois de plus obliger tous les partis à se positionner soit dans le camp dont il veut être le leader, celui de ceux qui combattent l’extrême droite nationaliste, soit dans celui des complices de Le Pen. Ce faisant, loin d’affaiblir le RN il le renforce en le plaçant plus que jamais au centre de la vie politique française et il affaiblit encore plus sa propre position.

L’opposition de gauche, dont la faiblesse a été confirmée par ces élections, est encore plus divisée qu’en 2022 et cherche le moyen de refaire la nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES), qui avait permis à ses composantes d’échapper au désastre lors de la dernière élection législative de 2022. Chacun fait mine de poser ses conditions. Raphaël Glucksmann qui n’existe que grâce à l’inconsistance du Parti socialiste et ne dispose d’aucune base politique réelle, en a énuméré cinq lundi soir sur France 2, qui visaient toutes à interdire un accord électoral avec la France insoumise. Les Verts, forts de leurs 5%, proposaient dix piliers pour soutenir un éventuel accord. Au cours de la nuit, les négociateurs des quatre partis les plus importants de la gauche ont adopté une déclaration en faveur de la présentation d’un seul candidat de gauche par circonscription, dans laquelle aucune des conditions des uns et des autres ne figure, qui renvoie à (un peu) plus tard la définition du programme commun à ces formations. Pour y parvenir, il faudra éviter les nombreuses questions qui fâchent et s’entendre sur un programme minimum.

Au-delà des déclarations, toutes plus unitaires les unes que les autres, pour lutter contre le fascisme, il faudra s’accorder sur la répartition des circonscriptions. Elle était très favorable à la France insoumise en 2022. Le rapport de force électoral a changé et les partenaires de LFI exigeront un rééquilibrage. Les quelques jours qui viennent seront donc compliqués.

  • Comment en sommes-nous arrivés là ?

L’arrogance du président de la République, son inexpérience, sa conviction d’avoir toujours raison seul contre tous, son exercice de la fonction présidentielle comme l’acteur de théâtre qu’il aurait rêvé d’être, sa désinvolture qui le conduit à dire une chose et son contraire d’un jour à l’autre sur des sujets sensibles touchant aux relations internationales de la France, sa tendance à faire la leçon à tous ses interlocuteurs (son dernier discours sur l’Europe à la Sorbonne dura plus de deux heures !), tout cela a sans doute joué un rôle dans la descente aux abimes du parti présidentiel et de son chef et dans l’ascension du Rassemblement national. Mais un rôle secondaire.

Les résultats du 9 juin résultent essentiellement :

De l’incompréhension persistante de la signification du vote en faveur du Rassemblement national par E. Macron et son parti, comme par ses prédécesseurs.

Ils l’ont toujours considéré comme le vote de protestation de citoyens mal informés, incapables de s’adapter à la marche du monde, et ne l’ont jamais pris au sérieux. Ils n’y ont pas vu l’expression raisonnée du rejet du système économique et institutionnel responsable de leurs malheurs par un nombre croissant de citoyens. Le vote pour le RN n’a pas été compris comme le mouvement par lequel une partie de la population tournait le dos à des responsables politiques qui se disaient eux-mêmes impuissants à régler les problèmes, à modifier les rapports de forces internationaux et européens, tout en conduisant une politique favorable aux plus riches. Aux yeux des dirigeants, le vote RN ne pouvait être qu’une erreur passagère qui serait corrigée en expliquant mieux la politique mise en œuvre (refrain entendu après chaque défaite électorale).

Mais le vote pour le RN n’était pas une erreur commise par des Français ayant mal compris la bonne politique du gouvernement insuffisamment expliquée ; c’était une demande de modification d’une politique sociale et économique injuste et dont les résultats désastreux sont constatés par tous (désindustrialisation, disparition des services publics, endettement massif…).

L’utilisation répétée du Front puis du Rassemblement national comme un épouvantail pour obtenir le vote des Français, au nom de la défense des valeurs de la République, avant d’accabler ceux qui ont voté pour faire barrage au RN de mesures défavorables, est la seconde explication.

Emmanuel Macron a bénéficié du réflexe de « front républicain » lors de sa première élection en 2017 pour l’emporter malgré un score de premier tour assez faible (24% des voix). Il a dramatisé cet enjeu encore plus en 2022 sachant que la position relative de Marine Le Pen s’était améliorée par rapport à leur première confrontation. Il s’apprête à rejouer cette partition après avoir décidé de la dissolution de l’Assemblée nationale. Mais il sous-estime l’usure de cet argument, surtout qu’à peine réélu en 2022, Emmanuel Macron a imposé, notamment, la remise en cause des régimes des retraites à coups de recours à l’article 49-3 de la constitution et de répression policière. Avec la même hargne, il a imposé la réduction drastique de l’indemnisation des chômeurs à des partenaires sociaux qui n’en voulaient pas. A chaque fois, son discours fut le même : j’ai été élu sur un programme, je le mets en œuvre ! Comme s’il n’avait pas été élu aussi par ceux qui voulaient éviter l’élection de Marine Le Pen, et acceptaient pour un temps d’oublier leurs désaccords avec le programme d’E Macron! Ce mépris répété des électeurs qui croyaient, quelles que soient leurs convictions, à la légitimité du vote républicain, a fini par ruiner cette conviction et rompre ce barrage.

La diabolisation du RN, présenté comme un parti fasciste, finit par produire l’inverse de l’effet recherché. Je ne trouve pas le RN sympathique, je ne partage nullement ses orientations et ne voterai jamais pour ce parti. Mais le RN n’est pas un parti fasciste. Il respecte les institutions de la République, participe aux élections comme les autres partis et se soumet à leur verdict ; il ne déchaine pas la violence de milices, dont il ne dispose d’ailleurs pas, contre ses opposants. Il n’y a pas de squadristes ou de SA défilant dans nos rues. Le RN défend un programme que je n’aime pas, mais il a le droit de le faire dans un régime démocratique qui garantit la libre expression et la confrontation des idées, aussi longtemps que sont respectées les personnes et que l’ordre public n’est pas troublé.  Les tentatives d’isoler le RN de la société à coup de condamnations morales ont échoué. Elles pèsent peu dans une société qui n’accorde plus beaucoup de place à la morale et aux principes, en dépit de l’invocation abstraite incessante des « valeurs de la République ». Elle n’empêche pas que la liberté soit rognée et le pouvoir de l’autorité administrative sans cesse étendu ; la fraternité, elle, a été remplacée par la bienveillance. Quant à l’égalité, elle a disparu au profit de la lutte contre les discriminations qui s’accommode très bien de l’accroissement des inégalités.  

Si l’appel à faire barrage au fascisme est l’argument principal des élections du 30 juin et du 7 juillet, l’échec est assuré. On ne gagne pas une élection en s’opposant à un autre parti, mais en proposant une alternative.

Le populisme n’est pas une spécificité française, mais les institutions de la cinquième République et la présidentialisation sans cesse renforcée de l’exercice du pouvoir depuis 1962, lui donnent un caractère spécifique. C’est par sa participation régulière à l’élection présidentielle que le RN est devenu un parti national. Il est resté longtemps sans forces sur le territoire, avec une implantation locale limitée. Pourtant il pouvait, et peut aujourd’hui plus que jamais, se présenter comme un candidat potentiel à l’exercice du pouvoir susceptible de s’emparer de la présidence de la République puis en s’appuyant sur la dynamique de cette élection, de la majorité à l’Assemblée nationale. L’importance des pouvoirs dont dispose le président de la République (présidence du conseil des ministres, pouvoir de nomination étendu, direction réelle du pouvoir exécutif, etc.) donnerait en effet la capacité à Marine Le Pen si elle devenait présidente de la République et si elle pouvait s’appuyer sur une majorité parlementaire, de transformer assez profondément la composition et le fonctionnement de l’administration de l’État. L’absence de contre-pouvoir au président de la République, présenté depuis 1958 comme un gage d’efficacité de l’exécutif, apparaîtrait enfin pour ce qu’il est vraiment, un déni de démocratie.

La France n’est pas le seul pays d’Europe dans lequel un parti populiste de droite existe, mais dans aucun autre pays il ne réalise un score aussi important qu’en France.

Il faut le dire, avec ou sans Marine Le Pen, nous ne vivons pas dans une véritable démocratie. Le parlement est muselé et lorsqu’il dispose d’une majorité, le président peut faire décider ce qu’il veut. Lorsque le peuple s’exprime par referendum, comme en 2005 sur le projet de constitution européenne, le parlement, à l’instigation de l’exécutif, ratifie le traité rejeté par le peuple souverain. Il n’y a plus de domaine réservé du président de la République, tout lui est réservé, des choix de politique énergétique à l’envoi de troupes à l’étranger, en passant par celui des morts méritant d’être panthéonisés ou le dispositif de sécurité pour les Jeux Olympiques.

Cette confiscation du pouvoir par le président de la République est inadmissible du point de vue de la démocratie, paralysante pour le pays et profondément inefficace.

  • Et maintenant ?

On peut imaginer des dizaines de scénarios sur les événements des semaines à venir. Comme je n’ai aucun don pour prévoir l’avenir, je m’en tiendrai à quelques observations prudentes.

Les résultats électoraux de dimanche dernier ne tombent pas du ciel. Ils expriment des rapports de force installés dans le pays et qui ne se modifieront pas par le seul effet d’une dramaturgie de la situation voulue par le président de la République. Bien sûr, le nombre de députés élus sous l’étiquette du Rassemblement national le 7 juillet prochain dépendra de l’existence effective de candidature unique à gauche ; de la façon dont la droite s’organisera en vue de cette échéance, macronie comprise ; de la mobilisation de l’électorat dont une partie sera déjà en vacances d’été, etc. Mais dans tous les cas de figure, la représentation du Rassemblement national sortira renforcée de ce scrutin. Les spécialistes de politique font tourner leurs modèles et présentent des résultats parfois très élevés pour ce parti. Mais la situation est inédite et les projections restent sujettes à caution tant les conditions de cette courte campagne restent inconnues.

Cette élection législative précipitée n’apportera pas de solution à la crise institutionnelle à laquelle Emmanuel Macron est confronté.

Le macronisme est une fiction politique apparue dans des conditions exceptionnelles : Un président sortant complètement discrédité, n’étant plus en mesure de se présenter ; le parti socialiste qui avait permis à François Hollande d’accéder à la présidence de la République détruit par la politique suivie pendant les cinq ans de son mandat qui explose et disparaît presque ; le principal parti de droite après le choix de la candidature de François Fillon qui ne réussit pas à se qualifier face à Emmanuel Macron, notamment en raison de « l’affaire Pénélope ». Une partie de la classe dominante considérait que son rêve d’administrer le pays comme une entreprise du CAC 40 était enfin à portée de main avec ce jeune technocrate parlant couramment le langage du management et ne jurant que par la disparition des partis politiques traditionnels. Les arrivistes nombreux, de droite et de gauche, se rallièrent à cette candidature inattendue qui leur offrait de belles opportunités, comme on dit dans les annonces de recrutement.

Emmanuel Macron se fit élire en prétendant qu’il allait faire la révolution, il n’avait pas précisé laquelle. Après avoir promis la disruption, la transformation de la société « bottom-up » pour transformer la France en « start-up nation », il instaura un mode d’exercice du pouvoir plus centralisé que jamais, ignorant tous les pouvoirs intermédiaires, les élus locaux, les syndicats, et finalement le pays tout entier. Le Journal officiel peut témoigner du fait que, depuis 2017, la France a beaucoup progressé en matière de production de pages de lois bavardes et de décrets d’application interminables, de plans produits à jets continus sans jamais connaître de mise en œuvre véritable et sans qu’aucun bilan n’en soit jamais tiré. L’essentiel fut d’alimenter la machine médiatique quotidienne qui distille les dossiers de presse qu’elle reçoit et répercute les « annonces » qui tiennent lieu de politique, que tout le monde aura oubliées dès le lendemain.

Il ne restera rien de tout cela, si ce n’est un pays encore plus divisé et démoralisé qu’il ne l’était en 2017. Le parti d’Emmanuel Macron disparaîtra avec lui ; l’héritage est déjà en train d’être partagé.

E Macron ne sortira pas renforcé des élections anticipées qu’il a provoquées. Il est seul à ne pas avoir compris que son sort était scellé et que le roi était nu. Il est trop étourdi par son propre bavardage pour cela. Il ne dispose pas de majorité au Parlement. Il en aura encore moins après le 7 juillet, même si ce scrutin ne débouchera pas forcément sur une cohabitation Macron-Bardella. La deuxième partie du mandat d’E. Macron sera une agonie et non une renaissance.

La gauche ne gagnera pas les prochaines élections législatives, aussi unie soit-elle, pour la bonne raison qu’elle est très minoritaire dans le pays pour le moment, et n’est capable d’obtenir les suffrages que d’un bon tiers de l’électorat.

Elle ne peut dans l’immédiat que sauver le plus de meubles possibles par un accord électoral nécessaire, mobiliser autant que possible ses électeurs et empêcher l’extrême droite d’avoir la majorité absolue.

Dans l’adversité, elle peut cependant trouver le chemin de la reconstruction pour remporter d’autres succès plus tard.

La première condition de la reconstruction sera que les partis de gauche cessent de chercher le leader, le candidat idéal capable de gagner l’élection présidentielle, le vrai chef qui aura une réponse à chaque question, qui saura diriger la France avec fermeté. Le candidat de la gauche devrait être l’inverse de cela, un candidat qui précisera les limites de son pouvoir, de son intervention dans le fonctionnement de l’État, comment il respectera la représentation parlementaire, comment il permettra aux citoyens et aux corps intermédiaires de participer à la vie démocratique. La gauche doit se désintoxiquer du présidentialisme et contribuer à en guérir les Français.

Elle devra aussi travailler à un programme qui ne soit pas un catalogue de propositions techniques précises, un quiz des réponses à apporter aux demandes des différents lobbies dans l’espoir d’en additionner les voix.

Son programme devrait répondre aux questions principales que se pose la majorité des français :

  • Comment assurer à tous les Français un revenu leur permettant de se loger et de vivre dignement pendant leur formation, leur vie professionnelle et lorsqu’ils sont à la retraite et comment préserver les régimes sociaux de solidarité ? (Quelle politique économique, budgétaire et fiscale, quelle place redonner aux partenaire sociaux dans la gestion des dispositifs mutualisés, quelle démocratie sociale ?)
  • Quelles mesures et moyens permettront de faire fonctionner correctement les services publics de santé, d’éducation, de sécurité publique  ? (Quelle organisation et quel statut des services publics ; quels modes de financement ; quelles règles de coexistence et de concurrence entre les modes de gestion privés et publics des services publics)
  • Comment démocratiser le système politique français sans renvoyer à une hypothétique convention constituante qui aura pour tâche de modifier de fond en comble notre système institutionnel ? (Identifier les principales une mesure permettant de modifier le fonctionnement de la 5e République sans réviser la constitution et les modifications constitutionnelles susceptibles d’être adoptées de manière relativement consensuelle)
  • La souveraineté est la possibilité pour un État de garantir l’exercice des libertés par la loi sur un territoire donné. Quelle politique la gauche défendra-t-elle pour conjuguer la coopération européenne nécessaire et la préservation de la souveraineté nationale garantie par la constitution?
  • Les grandes orientations de la politique étrangère : Quelle politique de réduction des tensions internationales ? Quels objectifs de la politique de développement et de coopération ? Quelle industrie d’armement et quelle politique internationale en faveur du désarmement? Quelle armée française et/ou européenne  ?
  • Comment assurer le succès de la transition écologique nécessaire sans développer une bureaucratie galopante et en favorisant au maximum les initiatives locales plutôt que les solutions uniformes définies au niveau des administrations centrales et en répartissant justement les coûts de ce changement du mode de production été de consommation ?

Il s’agit de définir une démarche plutôt que d’élaborer un catalogue de recettes de gestion de gauche du pays; de proposer une orientation plutôt qu’une liste d’engagements assortie d’un calendrier d’exécution. Nous avons assez d’expérience pour savoir que les mesures techniques imaginées dans la perspective de l’élection suivante buttent, lorsqu’elles doivent être mises en œuvre, sur une multitude de difficultés imprévues, ce qui est normal. Certaines pourront être reconsidérées, modifiées ou abandonnées, sans que cela soit une trahison quelconque. C’est pourquoi ce qui doit être proposé c’est un cap, une ligne directrice à laquelle chacune des décisions prises dans l’exercice du pouvoir puisse être comparée, pour mesurer dans quelle mesure elle contribue à la réalisation des objectifs fixés ou au contraire elle s’en écarte.

Un programme ne devrait pas être la somme des propositions faites par les différentes organisations qui le soutiennent, l’addition des signes envoyés à son électorat de prédilection, mais un texte ne dépassant pas une trentaine de pages, qui puisse être lu par tout le monde et dont on se dise après l’avoir lu qu’il dresse le portrait du monde dans lequel on aimerait vivre.

Le programme du Conseil national de la résistance, auquel il est très souvent fait référence, ne faisait que quelques pages et ne comportait aucun détail technique précis sur les conditions de la mise en œuvre des orientations qu’il proposait. C’est ce qui a fait sa force. C’est pourquoi il a débouché sur la mise en place des éléments essentiels du système social qui permet encore à la majorité d’entre nous de vivre convenablement.

Il ne s’agit plus de mettre en avant telle ou telle radicalité, de rendre les angles plus aigus, les divisions plus profondes qu’elles ne le sont dans une société très éclatée. Au contraire, il faut chercher à rassembler bien au-delà de ce qui définit la gauche rabougrie qui subsiste aujourd’hui et qui ne pourra changer d’échelle et de place dans la société que si elle reprend un dialogue avec l’ensemble des français.

Le 11 juin 2024

Jean-François Collin

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La leçon de Jean Zay

La leçon de Jean Zay

Il est des hommes dont le destin brisé hante l’Histoire. Des hommes dont la lumière s’est éteinte trop tôt. Jean Zay était de ceux-là. Son ascension fut fulgurante. on action intense et efficace. Sa fin tragique. Son souvenir brûlant. Portrait d’un homme qui voua sa vie à la République jusqu’à en mourir, et leçon pour une Gauche en quête de repères.

Il est des hommes dont le destin brisé hante l’Histoire. Des hommes dont la lumière s’est éteinte trop tôt. Des hommes dont l’ombre plane encore sur une patrie vacillante. Des martyrs républicains que les livres d’histoire ont longtemps occultés. Jean Zay était de ceux-là. Député à 27 ans. Secrétaire d’État en 1931. Ministre en 1932. Assassiné en 1940. L’ascension de Jean Zay fut fulgurante. Sa carrière brillante. Son action intense et efficace. Sa fin tragique. Son souvenir brûlant. Portrait d’un homme qui voua sa vie à la République jusqu’à en mourir, et leçon pour une Gauche en quête de repères.

Un engagement Républicain et intellectuel

Né à Orléans en 1904, d’un père juif Alsacien et d’une mère institutrice protestante, Jean Zay est très vite influencé par les idées républicaines. Bachelier brillant, le voilà d’abord devenu journaliste puis avocat au barreau d’Orléans à seulement 24 ans. C’est à la même époque qu’il entre au Parti Radical, alors parti le plus puissant à Gauche, foncièrement laïque, républicain et patriote. Il est élu député du Loiret en 1932. Il y côtoie Pierre Mendès-France. Les deux hommes se lient rapidement d’une amitié aussi solide que la haine qu’ils inspirent de la part de leurs adversaires politiques. Farouchement patriote et antifasciste, Jean Zay, partisan de l’union à gauche parvient à rallier à sa cause Édouard Herriot et la majorité du Parti Radical lors du Congrès de 1935, dont il est le rapporteur. Le Front Populaire est né.

Porté par la vague, Jean Zay est réélu député en Mai 1936. Le 4 juin de la même année, il est nommé ministre de l’Éducation Nationale et des Beaux-Arts. À 32 ans, il devient le plus jeune ministre de la IIIe République. Ministre sous cinq gouvernements successifs, il détient le record absolu à ce poste sous la IIIe République, soit trente-neuf mois.

Le Grand Ministère

À la tête du ministère de l’Éducation Nationale, auquel furent rattachés le Secrétariat d’État de la Jeunesse et des Sports, ainsi que celui de la Recherche, Jean Zay tente de mener une politique ambitieuse mais parfois contrariée, que ce soit par la frilosité de ses amis ou par l’opposition conservatrice du Sénat. Par la Loi du 9 août 1936, il porte l’obligation de scolarité à 14 ans, contre 13 ans auparavant. Son action est guidée par l’ambition de démocratiser le système éducatif français, dans la continuité des Lois Ferry. En effet, si depuis la Loi du 28 Mars 1882, l’école de la République est gratuite et obligatoire, elle n’est pas accessible à tous. Jean Zay exprime sa vision en ces termes : »La justice sociale n’exige-telle point que, quel que soit le point de départ, chacun puisse aller dans la direction choisie aussi loin et aussi haut que ses aptitudes le lui permettront ? » (Exposé des motifs du projet de réforme de l’enseignement le 5 mars 1937)

Ce projet ambitieux, qui préfigure notre système éducatif organisé en trois degrés, ne voit pas le jour du fait de l’opposition du Sénat, mais sera repris en partie à la Libération.

Bloqué par le Parlement dans ses velléités de réformes, Jean Zay légifère par décrets ; il développe alors les activités dirigées, réorganise les directions, donne au premier et au second degré un programme identique, met en place les loisirs dirigés dans le secondaire, encourage Célestin Freynet, développe les bourses d’études, crée les cantines scolaires, met en place des classes de 6e d’orientation, et encourage par circulaire ministérielle l’enseignement de l’espéranto dans le cadre d’activités socio-éducatives.

Dans Souvenirs et Solitude, Jean Zay explique ainsi le sens de ses réformes : « Il s’agissait, là comme ailleurs, d’éveiller les aptitudes et la curiosité des élèves, d’ouvrir plus largement à la vie le travail scolaire, de familiariser l’enfant avec les spectacles de la nature et de la société, de lui faire connaître l’histoire et la géographie locale, et de remplacer, comme dit Montaigne, le savoir appris par le savoir compris. »

Jean Zay expérimente d’ailleurs l’Éducation Physique et Sportive à l’école, dont il veut faire un outil d’émancipation et de libération de l’individu. Comme Secrétaire d’État à la Recherche, il participe à la fondation du CNRS en octobre 1939. À l’aide de Jean Perrin, il développe le Palais de la Découverte, construit pour l’Exposition internationale de 1937. En 1938, il imagine un projet de réforme pour la haute fonction publique, conscient qu’il faut démocratiser l’accès aux postes les plus hauts, par un recrutement dans le cadre d’une formation publique, ouverte à toutes les classes sociales et non plus à l’intérieur d’une élite fermée. C’est ainsi qu’il crée l’ENA, dont la naissance effective aura lieu à la Libération, le projet s’étant une fois de plus heurté au refus des sénateurs.

Ministre des Beaux-Arts, Jean Zay a pour ambition de rendre la culture accessible à tous. Il rénove la Comédie française, en nommant Edouard Bourdet administrateur, entouré de quatre metteurs en scène novateurs : Gaston Baty, Jacques Copeau, Charles Dullin et Louis Jouvet. Le Ministre Zay participe à la création des grands musées parmi lesquels le musée de l’Homme ou le musée d’Arts Modernes.

Jean Zay prévoit aussi un plan de soutien au cinéma par la création de la Cinémathèque Française. Pour lutter contre l’influence fasciste de la Mostra de Venise, il crée le Festival de Cannes dont la première édition prévue en 1939 ne peut avoir lieu pour cause de déclaration de guerre. Il est également à l’origine d’un projet de loi visant à soutenir les auteurs, mais ce projet se heurte aux éditeurs. Jean Zay crée également les bibliobus.

La cinémathèque française

Laïque et sensible à la question de la neutralité, le Ministre Zay, promulgue deux circulaires importantes :

–     l’une du 31 décembre 1936 portant sur l’absence d’agitation politique dans les établissements scolaires;

–     l’autre, du 15 mai 1937 interdisant le prosélytisme religieux, loi qui précise que : « L’enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements ».

Volontariste et résolument moderne, l’œuvre législative de Jean Zay a profondément marqué le Front Populaire. Il a déjà accompli beaucoup en moins de quatre ans, construit une œuvre politique et définit des orientations dont la majorité sont demeurées et ont été confortées dans le futur. Mais le grand ministre n’est pas allé jusqu’au au bout de ces immenses ambitions de construction et de réformes en matière culturelle et d’éducation, stoppé en plein vol par la défaite et l’occupation.

« Je vous Zay »

De gauche, républicain, laïc, franc-maçon d’origine juive, Jean Zay fut, dès le commencement de sa carrière politique la cible d’attaques incessantes de l’extrême-droite. Anti-Munichois farouche, partisan inconditionnel d’une intervention de soutien aux Républicains espagnols, il est régulièrement attaqué par tout ce que la France compte d’élus et de plumes antisémites. De Jouhandeau à Maurras, de Céline aux journaux tels Gringoire ou l’Action Française, tous tirent à vue sur le « juif Zay ». Céline écrit en 1937 dans l’École des Cadavres : « Vous savez sans doute que sous le haut patronage du négrite juif Zay, la Sorbonne n’est plus qu’un ghetto. Tout le monde le sait » et d’ajouter un peu plus loin un jeu de mot aussi terrible qu’immortel : « Je vous Zay ».

Marcel Jouhandeau, lui, écrit dans Le Péril Juif « Monsieur Jean Zay, un juif, a entre les mains l’avenir vivant de ce pays ». Quand l’extrême-droite n’attaque pas le « Juif Zay », elle prend pour cible celui qu’elle considère comme un mauvais patriote, prenant comme prétexte un pamphlet de jeunesse intitulé Le Drapeau (texte antimilitariste) écrit en 1924 et publié dans un journal pacifiste. Ce texte, qui n’est qu’un pastiche, sera tout au long de la vie de Jean Zay et même après sa mort, utilisé contre lui par les thuriféraires de la revanche.

La République assassinée

Survient la guerre. En tant que membre du gouvernement, Jean Zay n’est pas mobilisable. Il démissionne pourtant de son poste de ministre et s’engage dès la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939. Sous-lieutenant, il rejoint Bordeaux en juin 1940 avec l’autorisation de ses supérieurs, afin de participer aux sessions gouvernementales. Le 20 juin, il s’embarque sur le paquebot Massilia en compagnie notamment de Pierre Mendès-France et Georges Mandel. Au total ce sont vingt-sept parlementaires qui rejoignent le Maroc, dans le but d’y continuer le combat. Le 15 juin, trahi par le gouvernement en exil, Jean Zay est arrêté à Casablanca pour désertion devant l’ennemi. Le 20 août 1940, il est incarcéré à la prison de Clermont-Ferrand.

Les revanchards réclament sa tête, et à travers lui celle de la République. Les campagnes de haine repartent de plus belle, le collaborateur Henriot réclamant sa mort par voie de presse. Jean Zay comparait devant le tribunal militaire de Clermont-Ferrand le 4 octobre 1940. Il y est condamné à la déportation à vie ainsi qu’à la dégradation militaire.

Cette condamnation, qui rappelle celle de Dreyfus, transpire la haine et la revanche. Jean Zay est enfermé à la prison de Riom, prisonnier politique qui n’en a pas le statut, il y reçoit régulièrement sa femme Madeleine et ses deux filles, Catherine et Hélène. Refusant de s’évader, sans doute pour protéger sa famille d’éventuelles représailles, et sûr de son destin, il trouve refuge dans l’écriture.

Il consigne ses idées pour le futur, ses réflexions sur sa condition de prisonnier et sur la guerre. Particulièrement sévère vis-à-vis du commandement militaire, à l’image de Marc Bloch et son Étrange défaite. Ce livre, brillant, sans concession, lucide sur le bilan du front populaire est publié à la libération sous le titre Souvenirs et Solitude. Ses dernières lignes, écrites la veille de son exécution, témoigne de son extrême optimisme : « Je pars plein de bonne humeur et de force. Je n’ai jamais été si sûr de mon destin et de ma route. J’ai le cœur et la conscience tranquilles. Je n’ai aucune peur. J’attendrai comme je le dois.

Le 20 juin 1944, trois miliciens se présentent à la prison de Riom. Après avoir extrait Jean Zay de sa cellule, lui ayant laissé entendre qu’ils appartenaient à un réseau de résistance devant le conduire dans le maquis, ils l’abattent à Molles dans l’Allier. Jean Zay n’avait pas 40 ans.

Ainsi se brise le destin de celui dont Mendès-France dira plus tard, qu’il était voué à une grande carrière politique après-guerre. Son corps n’est retrouvé qu’en septembre 1946 par des chasseurs dans une forêt près de Cusset. Enterré dans la fosse commune de la ville de Cusset, son corps est exhumé en 1947. Son assassin, le milicien Charles Develle est condamné aux travaux forcés à perpétuité en 1953. Jean Zay est réhabilité à titre posthume le 5 juillet 1945 par la cour d’appel de Riom. Il est inhumé à Orléans le 15 mai 1948.

Entre ici, Jean Zay.

Coincée entre les Gaullistes et le martyr des 75 000 fusillés, l’œuvre de Jean Zay est absente des commémorations qui suivent la Libération. Son œuvre est vaillamment défendue par ses filles et quelques amis, parmi lesquels l’historien Antoine Prost. Jusqu’au 27 mai 2015. Ce jour-là, accompagnant Geneviève Anthonioz-De Gaulle et Germaine Tillon, Jean Zay entre au Panthéon. Soixante et onze ans après son assassinat, au Grand Ministre, la Patrie est enfin reconnaissante. Une reconnaissance pour la gauche aussi. Et pour son œuvre durant la courte expérience du Front Populaire, pendant laquelle elle a démontré sa capacité à « Faire » et à innover, en respectant les valeurs de la République.

Et pour cette gauche, il s’agit là d’une leçon universelle : quand elle veut, elle peut.

 

Bibliographie indicative :

Jean ZAY, Écrits de prison 1940-1944, Paris, Belin, 2014.
Jean ZAY, Souvenirs et Solitude, Paris, Belin, 2017.
Olivier LOUBES, Jean Zay, l’inconnu de la République, Paris,Armand Colin, 2012.
Antoine PROST, Jean Zay et la gauche du radicalisme, Paris, Presse de Sciences- Po, 2003.
Gérard BOULANGER, L’affaire Jean Zay, La République assassinée, Paris, Calmann-Lévy, 2003.

Cécilien GREGOIRE

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Le train est-il un transport de riche ?

Le train est-il un transport de riche ?

Le train est un mode de transport très régulièrement considéré comme cher, notamment par rapport à d’autres types de transport. L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, effective depuis 2020, doit selon ses promoteurs, faire baisser les prix. Mais que se cache-t-il derrière le prix d’un billet ?

Le train est un mode de transport très régulièrement considéré comme cher, notamment par rapport à d’autres types de transport. L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, effective depuis 2020, doit selon ses promoteurs, faire baisser les prix.

Pour déterminer la capacité de la concurrence à avoir un effet réel sur les prix, il est important de connaître ce qui se cache derrière le prix d’un billet de train. Trois éléments clés peuvent être cités : les tarifs des péages ferroviaires, la rentabilité financière des entreprises, et le modèle de tarification qui s’ajuste à l’offre et à la demande (le yield management).

Le système du yield management

Commençons par expliquer ce qu’est le yield management et la manière dont sont fixés, au travers de ce système, les prix des trains, notamment ceux de la SNCF. A noter qu’elle n’est d’ailleurs pas la seule compagnie ferroviaire à utiliser ce système, c’est également le cas de Trenitalia, qui vient de faire son entrée sur le marché français.  

Le yield management est une pratique commerciale consistant à ajuster les prix en fonction de l’offre et de la demande, en temps réel. Les lignes les plus fréquentées sont donc les plus chères. Les prix vont également varier en fonction des heures creuses, de pointes, et des jours de la semaine, toujours du fait de l’ajustement de la demande. Ce qui peut être frustrant pour les passagers, c’est de se rendre compte qu’ils n’ont pas payé le même prix pour un même billet, et c’est d’ailleurs souvent le cas. Ainsi, vous pouvez consulter les prix pour un trajet à un instant T, et de nouveau quelques jours / semaines après, et constater une augmentation. Cette méthode est également valable pour le prix des billets d’avion, ce système est d’ailleurs majoritairement utilisé par les compagnies aériennes.

Cela s’explique par les avantages qu’il y a pour les entreprises, pour leur rentabilité certes, mais également pour inciter les potentiels voyageurs à planifier plus tôt leurs voyages, et ainsi s’assurer bien en amont d’un taux de remplissage suffisant.  

Les péages ferroviaires

40% du prix des billets TGV correspond au prix des péages ferroviaires, dont doivent s’acquitter les opérateurs ferroviaires : il s’agit du paiement d’un droit d’emprunter les infrastructures. Ce coût, est donc payé par le voyageur. Les tarifs de ces péages sont fixés par l’Etat (via SNCF Réseau), et vont varier en fonction des lignes. Si elles sont très fréquentées, en fonction de leur typologie (ligne TGV / ligne TER), et si elles nécessitent une maintenance plus importante, les prix des péages seront plus élevés et inversement. Les péages des lignes « alternatives » aux lignes très fréquentées (exemple : Marseille-Marne-la-Vallée / Marseille-Paris) sont moins élevés, ce qui explique la capacité de Ouigo à proposer des prix inférieurs sur ces types de trajet.

Les péages ferroviaires français sont parmi les plus élevés en Europe, et devraient encore augmenter dans les prochaines années : +7,6% en 2024, +4% en 2025 et 2026(1). Plusieurs régions, ont contesté auprès du Conseil d’Etat l’augmentation des péages ferroviaires sur leurs réseaux régionaux. Elles ont obtenu gain de cause, et SNCF Réseau doit désormais proposer une nouvelle tarification(2).

Le coût des péages pèse donc aujourd’hui énormément sur le billet de train, et cela va aller en s’accentuant, du fait du vieillissement important du réseau et de la nécessité d’y investir massivement. En effet, les péages permettent à SNCF Réseau de financer les coûts de maintenance, de modernisation et de rénovation du réseau ferroviaire. L’achat de billet de train contribue donc au maintien et à la rénovation du réseau. Ce coût pèse donc énormément sur les usagers.

Est-ce que de tels coûts existent pour les autres modes de transport ? C’est bien le cas pour la voiture individuelle avec le paiement des péages autoroutiers et de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques). Pour l’avion, les transporteurs payent également une taxe d’aviation civile et des redevances aéroportuaires, représentant environ 26% du billet d’avion, en moyenne, pour une compagnie comme Ryanair(3)

Toutefois, il y a quelques déséquilibres entre les taxes payées par les différents modes de transport : d’abord, sur la TVA. Alors que les billets de train y sont assujettis, ce n’est pas le cas des billets d’avion pour les vols internationaux. Ensuite, alors que les compagnies ferroviaires s’acquittent d’une taxe sur l’énergie et l’essence, les compagnies aériennes ne payent à ce jour aucune taxe sur le kérosène. Une première solution, largement réalisable immédiatement, pourrait être de baisser la TVA à 5,5%, sur les billets de train.

Le train est-il réellement plus cher que la voiture ?

L’INSEE publie régulièrement des données sur la variation des prix des trains. L’institut a ainsi constaté une augmentation des prix de 12%, entre 2021 et 2022, puis une augmentation de 5% en 2023 sur les billets TGV et TET. 

La SNCF justifie certaines de ces augmentations par la hausse des prix de l’électricité, elle qui consomme entre 1 et 2% de la production d’électricité française chaque année. Elle a ainsi accusé un surcoût sur son budget de 13%. La seule réponse de l’exécutif a été de l’encourager à réaliser des économies d’énergie, sans pour autant réduire son nombre de circulations. La demande semble comique, quand on sait que 82% de l’énergie que consomme la SNCF sert à faire rouler ses trains.

Bien que ces hausses soient difficilement entendables pour les voyageurs, le fond du problème reste le maintien de la France dans le marché de l’électricité européen, induisant des hausses importantes des coûts pour les entreprises, mais aussi les collectivités.

Au-delà de l’augmentation des coûts de l’électricité, les prix des TGV sont plus élevés que ceux des TER / TET du fait des coûts d’exploitation et de maintenance. Selon la Cour des Comptes(4), ceux qui les empruntent fréquemment font partie des catégories ayant des hauts revenus. Alors, le train, en comparaison avec la voiture, est-il réellement plus cher ?

A contre-courant de l’idée générale, les prix des trains en France n’apparaissent pas si élevés en comparaison avec les autres pays européens. Une étude menée par GoEuro, qui vend des billets de transport en ligne, considère que les prix des billets en France sont plutôt bas, surtout en comptant qu’une grande partie des billets concerne des trajets TGV. Le prix moyen en France pour 100 kilomètres serait de 7,8 euros, quand il est de 29,7 euros au Danemark, 28,6 euros en Suisse ou encore 24 euros en Autriche(5) 

Toutefois, même si nous faisons le constat que les prix moyens en France sont moins élevés qu’ailleurs, cela reste aujourd’hui dissuasif pour un certain nombre de français, qui arbitrent à l’instant T le montant à débourser entre le train ou la voiture. En effet, lorsque l’on prend le train, l’intégralité des coûts est comprise dans le billet. Ce n’est pas tout à fait le cas de la voiture. Les coûts pris en considération pour un trajet donné seront principalement l’essence et les péages. Pour autant, pour pouvoir réellement comparer le coût entre ces deux modes de transport, pour la voiture il faut aussi y intégrer les coûts amortis sur le long terme. Par exemple, les frais d’assurance, le prix de la voiture (à amortir donc sur la durée), les frais d’entretien, ou encore, plus difficile à chiffrer, le coût des externalités négatives que va supporter la société (pollution, particules, accidents, etc.).

La comparaison entre ces deux modes de transport va aussi varier en fonction du nombre de passagers. Prendre la voiture plutôt que le train, quand on est une famille, apparaît nécessairement moins cher et plus pratique.

Il faut bien sûr souligner le fait qu’au-delà de la question des coûts, les voyageurs peuvent préférer la voiture au train, tout simplement car ils ne disposent pas d’une gare à proximité permettant de réaliser le trajet souhaité. Parfois, ce choix est donc contraint.

Certains voyageurs choisissent parfois l’avion au détriment des trains par rapport au prix. Bien que la loi Climat et Résilience de 2021 prévoit la suppression des vols internes lorsqu’une alternative de deux heures trente existe, cette interdiction est partiellement mise en œuvre. En effet, certaines liaisons bénéficient de dérogation et des lignes ferroviaires comme Marseille-Paris vont au-delà du délai fixé de 2h30. Les prix plus bas de certains vols internes qui ne respectent pas cette réglementation, s’expliquent par l’absence de taxe sur le kérosène, à la différence de l’électricité. La TVA reste applicable sur les vols internes, mais ne l’est pas sur les vols internationaux.

Quelles solutions ?

Pour garantir des prix plus attractifs pour les trains et garantir le droit aux vacances / voyages de tous et toutes (en empruntant le train), plusieurs options peuvent être envisagées.

La baisse des péages ferroviaires est une proposition, mais elle reste compliquée à appliquer puisqu’ils permettent de financer la rénovation du réseau. Peut-être faudrait-il que ces frais ne ne soient pas totalement imputables aux usagers. Une proposition alternative serait de baisser la TVA sur les billets de train, à 5,5%. Toutefois, une baisse des prix des péages nécessite forcément de trouver des financements complémentaires pour les affecter à la modernisation / rénovation du réseau. Au-delà de la baisse des prix des péages, ce sont éventuellement les financements affectés à la rénovation / modernisation du réseau qui sont à repenser.

Sur le droit aux vacances, l’article 24 de la Déclaration universelle des droits de L’Homme, stipule que « toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée de travail et des congés payés périodiques ». Pour se faire, en lien avec le transport ferroviaire, plusieurs leviers d’actions peuvent être activés. D’abord, la mise en œuvre de tarifs préférentiels sur les trajets en train, pendant les périodes de vacances et de grandes vacances. En France, le gouvernement a décidé de proposer une offre aux moins de 27 ans, permettant de voyager en TER en illimité cet été, grâce à un pass rail au prix de 49 euros. Cette offre exclut les trajets en TGV, ce qui est dommageable. L’Allemagne a expérimenté un tel dispositif l’été dernier, mais au prix de 9 euros, et incluant tous les types de population et pas uniquement les jeunes. La Fondation Jean Jaurès propose également de pouvoir proposer un billet « populaire » en TGV pour la somme modique de 20 euros, pour garantir ce droit aux vacances(6).

Autre proposition intéressante de la Fondation, permettre aux régions qui disposent en partie de la compétence tourisme, de développer des offres de mobilité desservant les zones touristiques, dans sa région ou vers les régions environnantes. Elles consigneraient leurs stratégies dans un volet « mobilité et accès aux zones touristiques » dans leurs schémas centraux d’aménagements du territoire et des transports(7). Dans ces offres, le train, prendrait toute sa place.

Enfin, pour favoriser le train au détriment de l’avion et dans une perspective écologique et égalitaire, la loi de 2021 doit être applicable sur toutes les liaisons pertinentes sur le territoire national et le kérosène doit être taxé au même titre que l’électricité.

Ainsi, même si les prix des billets de train français semblent moins chers par rapport à nos voisins, ils restent toujours trop dissuasifs pour certaines catégories de la population dont un certain nombre de familles. Il faut donc à la fois : 

  • Repenser le système de tarification des péages et faire peser leur coût sur l’ensemble des acteurs et non pas uniquement sur les usagers ;
  • Réfléchir à une vraie politique publique nationale permettant de garantir le droit aux vacances ;
  • Appliquer concrètement la loi de 2021, sans dérogation injustifiée, en menant une étude sur l’entièreté du territoire pour étudier les principales liaisons et les alternatives.

Il s’agit prioritairement de proposer une vraie alternative à l’utilisation de la voiture individuelle dans l’ensemble des territoires, et de rendre les transports en commun et ferroviaire, accessibles financièrement à tous et toutes pour les transports du quotidien et les vacances.

Références

(1)Public Sénat (2023) : pourquoi les prix des billets de train continuent-ils d’augmenter ?  https://www.publicsenat.fr/actualites/territoires/pourquoi-les-prix-des-billets-de-train-continuent-ils-daugmenter

(2) FranceInfo (mars 2024) : Péages ferroviaires, le Conseil d’Etat demande à SNCF Réseau de revoir la fixation de sa redevance pour les régions : https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/sncf/peages-ferroviaires-le-conseil-d-etat-demande-a-sncf-reseau-de-revoir-la-fixation-de-sa-redevance-pour-les-regions_6406090.html

(3) Le Figaro (2023) : mais pourquoi les billets de train sont-ils si chers ? : https://www.lefigaro.fr/societes/mais-pourquoi-les-billets-de-train-sont-ils-si-chers-20230701

(4) Cour des Comptes (2014) : la grande vitesse ferroviaire, un modèle porté au-delà de sa pertinence : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-grande-vitesse-ferroviaire-un-modele-porte-au-dela-de-sa-pertinence

(5) Rapport au Premier Ministre (février 2018) : l’avenir du transport ferroviaire, https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2018.02.15_Rapport-Avenir-du-transport-ferroviaire.pdf

(6) Fondation Jean Jaurès (2023) : vers la vie pleine, réenchanter les vacances au XXIème siècle : https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2023/06/vie-pleine.pdf

(7) Ibid

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L’Europe doit avant tout être l’outil des plus faibles, Entretien avec Annah Bikouloulou

L’Europe doit avant tout être l’outil des plus faibles, Entretien avec Annah Bikouloulou

A l’approche des élections européennes, nous avons interrogé des jeunes cadres de partis de gauche. Nous avons donné la parole à Annah Bikouloulou, Secrétaire nationale des Jeunes écologistes

Le Temps des Ruptures :  Qu’est-ce que l’Europe symbolise et signifie pour vous ? Quelles distinctions apportez-vous entre l’Europe comme concept historique, culturel ou politique, et l’Union européenne en tant qu’institution(s) ? Où s’arrête l’Europe géographiquement ?

En tant qu’écologistes nous sommes fédéralistes et la construction européenne occupe une place centrale dans la transformation politique que nous portons. Nous n’envisageons pas l’Europe comme une civilisation homogène, comme un espace culturel à défendre – cela relève de logiques identitaires voire suprémacistes que nous combattons. Au contraire, nous défendons un projet démocratique, écologique et social, ouvert sur le Monde et aux pays n’étant pas encore intégrés dans le projet européen.

De fait, l’Union européenne actuelle ne nous satisfait pas à bien des égards. C’est pour cela que nos eurodéputé·es se battent pour la transformer, et iels continueront à le faire après le 9 juin prochain.

 

LTR :  Quel regard portez-vous sur l’histoire de la construction européenne ? Est-ce véritablement une construction démocratique et sociale ?

La construction européenne s’est concrétisée dans le cadre d’un équilibre précaire avec les souverainetés étatiques européennes. Les avancées sont intervenues dans leur majorité dans des contextes inter-étatiques.

L’expérience du référendum établissant une Constitution pour l’Europe de 2005, dont la substance a été en grande partie reprise dans le traité de Lisbonne en 2007, témoigne du peu d’égard accordé à la voix des populations.

Cet exemple constitue pour nous une cicatrice qui nous oblige à envisager la poursuite d’une construction européenne seulement dans un cadre démocratique, associant citoyen·nes, société civile, associations pour la protection de l’environnement, élu·es locaux·ales, …

Par ailleurs, ces dernières décennies ont aussi été le théâtre du déploiement de politiques néolibérales, de dumping social et d’abus de tout ordre ont durablement écorné l’image que les citoyen·nes se font de l’Europe. Beaucoup ne l’envisage plus que sous le prisme de la corruption des lobbys ou d’un rouleau compresseur qui les broie et ne pense pas que c’est un échelon en mesure de leur redonner une voix. Nous Écologistes nous battons pour changer cette perception car il nous semble que l’Europe doit avant tout être l’outil des plus faibles. L’Europe doit être l’outil qui leur apporte un filet de sécurité minimal de droits – droits fondamentaux, comme droit à un salaire minimum ou à un temps de travail maximum – face à leurs Etats membres. Pour réussir à développer le plein potentiel de l’UE, et en faire le véritable outil de démocratie qu’il devrait être il nous faut élire une majorité écologiste et fédéraliste qui sera prête à renforcer le volet social de l’Europe et à entamer les transformations institutionnelles nécessaires.

 

LTR : A l’heure actuelle, quels sont les principaux dysfonctionnements que vous percevez dans l’Union européenne ? L’Europe peut-elle sortir de sa naïveté économique et géopolitique ?

Un vice originel affecte l’Union européenne : la volonté d’imposer sur le continent un modèle économique homogène. Les conséquences sont aujourd’hui palpables : le virage écologique nécessaire n’a pas été amorcé, des secteurs clés comme l’agriculture ou l’industrie sont mis en concurrence de façon insensée, l’absence d’une dimension sociale à la construction européenne aggrave les inégalités, …

Dans le même temps, les logiques nationales et souverainistes empêchent les membres de l’Union de parler d’une seule voix sur la scène mondiale. Pourtant, le moment nous oblige, la guerre est à nos portes en Ukraine et l’entreprise génocidaire du gouvernement Netanyahu à Gaza suppose une réaction collective forte et ambitieuse. De manière plus globale, l’emprise impérialiste des États-Unis reste forte dans nombre d’États-membres, des brèches dans ce collectif européen permettent à la Chine ou la Russie d’influencer de manière inquiétante certains de ses membres. Avec les Écologistes, nous portons l’idéal d’une diplomatie et d’une défense européenne commune, en renonçant au principe d’unanimité régissant la PESC au profit d’une majorité qualifiée renforcée.

 

LTR : Quelles sont les mesures à court-terme que proposent vos partis politiques pour réformer l’Europe ? Et quelles sont leurs visions à long terme pour celle-ci ? L’Europe est-elle réformable face aux blocages de certains Etats ?

À court terme, il y a tant à faire. Deux points semblent se démarquer. Face au mur climatique vers lequel nous nous dirigeons à une vitesse folle, une action résolue et coordonnée doit être mise en œuvre pour lutter contre le dérèglement climatique tant qu’il est encore temps, en réencastrant l’économie dans les limites planétaires et les besoins humains. Cette action est indissociable d’une politique sociale européenne à la hauteur, la question sociale étant intimement liée à la question écologique. De manière concrète, il est également nécessaire de mettre au pas l’agence Frontex et de sortir de la logique d’une Europe forteresse, laquelle transforme la Méditerranée et maintenant la Manche en cimetière à ciel ouvert. Il est fondamental de réunir les conditions d’un accueil digne et inconditionnel des personnes exilées ou migrantes en Europe.

À plus long terme, nous défendons depuis toujours une transformation de l’Union européenne, pour en faire une organisation fédérale et démocratique forte, permettant de choisir les ruptures nécessaires aux enjeux du XXIe siècle. Les défis sont nombreux sur le plan environnemental et écologique, pour la protection de la biodiversité, la lutte contre les dérèglements climatiques, la réappropriation des moyens de production par les travailleur·euses … Cela doit passer par des actes forts comme l’adoption d’un traité environnemental européen.

Le blocage de certains États n’est pas une fatalité mais affecte la crédibilité des institutions européennes. Il est plus que jamais nécessaire d’initier un processus constituant pour construire un cadre institutionnel capable d’encaisser les désaccords tout en laissant une voix au chapitre pour les citoyen·nes ou leurs représentant·es et en évitant une instrumentalisation des blocages par certains pays membres.

 

LTR : Est-ce que les politiques européennes sont à la hauteur des attentes et des besoins de la jeunesse ?

Notre génération est la première à avoir seulement connu l’Europe du traité de Lisbonne. La construction européenne est un acquis, une figure familière dans le paysage institutionnel. Pour autant, son action en direction des jeunes est limitée, se cantonnant au programme Erasmus et ses déclinaisons. Cet acquis important est malheureusement limité et s’adresse souvent à un segment déjà privilégié des jeunes européen·nes. Nous sommes également la génération Climat, descendue dans les rues de toute l’Europe en 2019. Nos exigences en matière environnementale sont plus élevées que jamais, pour autant, il est difficile de percevoir quelconque inflexion dans les politiques néo-libérales et productivistes portée par la majorité néolibérale au sein de l’Union.

Avec les Écologistes, nous portons une volonté d’approfondir largement les politiques publiques européennes à destination des jeunes, en les soutenant notamment à leur entrée dans l’âge adulte. Les jeunes sont particulièrement exposé·es à la précarité, notamment dans le sud de l’Europe, c’est pourquoi nous défendons la mise en place d’un revenu européen de formation pour les jeunes de 18 à 25 ans ou l’interdiction des stages non rémunérés.

Nous nous réjouissons de voir de nombreux jeunes figurer sur les différentes listes qui s’affronteront le 9 juin prochain. Toutefois, il ne faut pas se limiter à de l’affichage. Nous comptons sur tous les jeunes de gauche qui seront élu·es pour pousser de véritables politiques jeunesse.

 

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« L’Europe peut sortir de sa naïveté », Entretien avec Emma Rafowicz

« L’Europe peut sortir de sa naïveté », Entretien avec Emma Rafowicz

A l’approche des élections européennes, nous avons interrogé des jeunes cadres de partis de gauche. Emma Rafowicz , présidente des Jeunes socialistes et candidate sur la liste PS-Place publique porte ici un regard critique sur la construction européenne et défend une nécessaire réforme de son mode de fonctionnement.

Le Temps des Ruptures : Qu’est-ce que l’Europe symbolise et signifie pour vous ? Quelles distinctions apportez-vous entre l’Europe comme concept historique, culturel ou politique, et l’Union européenne en tant qu’institution(s) ? Où s’arrête l’Europe géographiquement ?

Emma Rafowicz  : L’Europe, c’est une grande partie de mon parcours et de mon histoire. Ma famille a souffert de ce que l’Europe pouvait produire de pire, l’antisémitisme et la guerre, mais je crois que c’est finalement l’espoir que représentent l’Europe et la construction européenne qui nous anime surtout toutes et tous.

Mon parcours étudiant et professionnel, c’est aussi un parcours européen. Mes études étaient tournées vers l’Allemagne et c’est grâce à mon parcours universitaire de germaniste que j’ai pu étudier à Hanovre et bâtir aussi une partie de mes expériences.

L’Europe, ce sont bien sûr des institutions. Celles qu’on connaît aujourd’hui. Celles qui ont permis de concrétiser une véritable union des peuples européens. Pour autant, l’Europe n’est pas née après 1945. C’est pour moi une culture plurimillénaire, une “civilisation pluraliste” pour citer Albert Camus qui s’est toujours nourri d’une multiplicité d’influences et pas simplement les plus structurantes que sont l’héritage gréco-romain, le christianisme et la philosophie des Lumières. Je crois que l’idée de “dialogue” résume très bien cette idée : le génie européen est le fruit d’un dialogue de pluralités. Des pluralités qui ont permis la naissance d’un espace civilisationnel dont les principes centraux sont la liberté, la démocratie et la dignité humaine.

Quant à l’Europe politique, la souveraineté nationale aurait pu lui être opposée. Je pense néanmoins que les deux sont compatibles et je crois à la “souveraineté partagée”… Cela ne veut pas dire que je sois une fédéraliste-béate. Je crois à la souveraineté nationale à condition de ne pas verser dans le souverainisme. Je crois à l’Europe politique à condition qu’elle demeure démocratique et préserve les marges de manœuvres des Etats-membres. Mais l’Europe politique est une nécessité à l’heure des transitions du siècle et en particulier face à la menace climatique.

 

LTR : Quel regard portez-vous sur l’histoire de la construction européenne ? Est-ce véritablement une construction démocratique et sociale ?

Il est toujours très facile de porter un regard critique sur le passé. Cela ne veut pas dire dans le même temps, qu’il ne faut pas porter un regard lucide sur des échecs passés. Mais à condition d’en tirer des leçons pour l’avenir et de conserver un optimisme de la volonté nourri du pessimisme de l’action.

Nous avons cru, nous socialistes, dans l’avènement d’une Europe sociale après celle du marché. Nous avons cru comme Léon Blum “qu’en rendant à l’Europe un peu de bien-être et un commencement de prospérité, nous travaillerons non pour le capitalisme, mais pour le socialisme”.

Nous avons cru, comme Guy Mollet, que nous pourrions faire aboutir “le marché commun général en Europe” et que “des mesures (soient) prises qui mettent les travailleurs à l’abri de tout risque qui résulterait de l’ouverture des frontières”.

Or ce pari d’une Europe sociale et protectrice des travailleurs après l’Europe du marché n’a pas véritablement fonctionné. Je ne partage pas entièrement le constat très dur qu’a formulé Michel Rocard en 2016 mais je pense qu’il y a du vrai quand il déclare que “nous n’avons pas su utiliser l’Europe pour lutter contre le chômage, la précarité ou le ralentissement de la croissance” et que l’Europe a davantage été synonyme de “maintien de l’austérité” ces dernières années.

Faut-il pour autant chercher une voie alternative en dehors de l’Union Européenne ? Je ne le crois pas. Car l’Europe a évolué, car la Commission européenne a progressivement compris que les dogmes néolibéraux nous amenaient dans le mur. Depuis la crise de la Covid-19 et la guerre en Ukraine, nous avons ouvert de nombreuses brèches qu’il faut désormais élargir !

Quant à la question démocratique, les peuples européens ont été consultés. Lors du référendum sur le traité de Maastricht en 1992. En 2005 à l’occasion de la ratification du traité constitutionnel européen. Faut-il pour autant considérer que cela était parfaitement démocratique ? Seuls 51% des Français ont voté en faveur du traité de Maastricht en 1992. Quant au traité constitutionnel européen, malgré le “non” de 2005, la plupart de ses dispositions seront ensuite intégrées au traité de Lisbonne sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Sans réelle démocratisation de l’Europe, nous fonçons dans le mur.

 

LTR : A l’heure actuelle, quels sont les principaux dysfonctionnements que vous percevez dans l’Union européenne ? L’Europe peut-elle sortir de sa naïveté économique et géopolitique ?

 

Ces dysfonctionnements sont de plusieurs ordres et en particulier institutionnels. Le maintien par exemple de l’unanimité sur les questions fiscales perpétue des situations de dumping et de concurrence déloyale au sein même de l’Europe. Ces dysfonctionnements sont aussi liés aux politiques de l’Union.

L’Europe a fait le choix de demeurer un nain géopolitique, convaincu que le doux commerce était le meilleur moyen de pacifier les relations internationales. Le réveil a été brutal.   L’élection de Donald Trump nous a rappelé que les Etats-Unis pouvaient du jour au lendemain balancer par-dessus bord l’architecture de sécurité conçue après 1945.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a balayé les derniers espoirs des tenants d’une approche conciliatrice.  Il faut que l’Union mette fin à son impuissance.

Le retour du protectionnisme en particulier en Chine et aux Etats-Unis a également détruit les dernières illusions d’une prétendue mondialisation heureuse au cœur du logiciel européen. Car oui, l’Europe a péché par naïveté. Elle a longtemps été l’idiot utile du village global. En s’imposant des règles qu’aucun de ses concurrents ne respectait et considérant dans un même temps le protectionnisme comme un blasphème alors qu’il était allègrement utilisé ailleurs.

Mais l’Europe peut sortir de sa naïveté. Les sanctions tombent contre le dumping chinois et les enquêtes antidumping de la Commission se multiplient : deux nouvelles ont été lancées le 16 mai dernier. C’est la preuve que l’Europe déconstruit progressivement le mythe de la mondialisation heureuse.

 

LTR :  Quelles sont les mesures à court-terme que proposent vos partis politiques pour réformer l’Europe ? Et quelles sont leurs visions à long terme pour celle-ci ? L’Europe est-elle réformable face aux blocages de certains Etats ?

D’un point de vue institutionnel, réformer l’Europe prendra du temps et passer par exemple de l’unanimité en matière fiscale à la majorité qualifiée demande une action de moyen terme. De même pour la politique agricole commune qui devra nécessairement être réformée pour rompre avec sa logique productiviste et transitionner vers un modèle fondé sur l’emploi et l’utilité écologique. Bien sûr qu’il y aura des blocages. Mais l’Europe a cette particularité, contrairement au fait majoritaire français, de laisser la possibilité à des coalitions de se constituer et de faire naître des compromis. De même, il faudra relancer le couple franco-allemand qui a réussi par exemple à donner l’impulsion nécessaire pour faire adopter un plan de relance fondé sur un endettement commun alors même qu’on disait la chose impossible du fait des blocages des pays frugaux.

Cela étant, si la réforme de l’Europe s’étend dans un sens large, plusieurs priorités de court terme sont au cœur des propositions de la liste du Parti Socialiste et de Place Publique.

En premier lieu, pour rompre avec notre impuissance géopolitique, il faut d’urgence accélérer les livraisons d’armes à l’Ukraine, saisir les 206 milliards d’avoir russes gelées dans nos banques pour les affecter à l’aide militaire que nous devons à la résistance ukrainienne et mettre fin aux exemptions dans nos sanctions à l’égard de la Russie.

A court-terme, se pose aussi la question de l’avenir du Pacte vert qui ne peut pas être simplement un ensemble d’engagements normatifs. Il faut engager la conclusion d’un deuxième pacte qui puisse à la fois accompagner les ménages modestes qui seront les plus touchés par la transition écologique mais aussi investir massivement dans les technologies et l’industrie verte.

Enfin à long-terme, il nous faut réfléchir au récit de l’Union européenne vis-à-vis des Européens et du reste du monde. Nous avons longtemps cru que le modèle démocratique des sociétés ouvertes européennes et leurs valeurs ne seraient jamais remis en cause et étaient naturellement vouées à inspirer le reste du monde. Or, les narratifs autoritaires qu’ils soient chinois ou russe gagnent du terrain. De même, les peuples européens sont de plus en plus tentés par des partis d’extrême-droite qui ont réussi à imposer le récit raciste d’une civilisation européenne blanche qui serait l’ultime rempart face à une immigration incontrôlée. Dans cette bataille culturelle, je pense que la culture peut jouer un rôle. Il faut construire une véritable puissance culturelle européenne tout en investissant massivement dans l’éducation critique aux médias et dans l’éducation de manière générale.

 

LTR : Est-ce que les politiques européennes sont à la hauteur des attentes et des besoins de la jeunesse ?

D’abord, il faut le reconnaître. Contrairement aux idées reçues, les jeunesses françaises sont certes attachées à l’Europe mais elles ne sont pas totalement convaincues par la construction européenne. 40% des jeunes français ne se considèrent pas comme citoyens européens selon l’INJEP. Dans le même temps, 67% environ des jeunes français considèrent que l’Europe peut améliorer leur vie quotidienne, c’est donc qu’ils ne demandent qu’à être convaincus et à constater les effets positifs du levier européen.

Si l’on creuse, l’attachement ou non à l’Europe traduit des clivages économiques et sociaux très forts au sein des jeunesses françaises. Les jeunes satisfaits de leur vie, confiants dans leur avenir, aisés, titulaires d’un bac ou d’un diplôme du supérieur ou étudiants ont plus souvent une image positive de l’Union. À l’inverse, les perceptions négatives sont particulièrement présentes chez les jeunes peu ou pas diplômés. Et je pense que derrière cette perception négative, il y a bien sûr un sentiment d’éloignement mais aussi la perception que l’Europe a davantage promu l’austérité libérale plutôt que les droits sociaux ces dernières décennies, ce qui est une réalité !

Cela étant dit, l’Europe a permis des avancées considérables pour les jeunesses. Je pense en particulier à Erasmus qui a permis à des millions d’Européens de venir étudier, se former ou faire un stage dans un pays européen.

Pour autant, les limites d’Erasmus symbolisent la difficulté pour l’Europe d’être aux côtés des jeunesses les plus modestes. En réalité, seule une minorité d’étudiants bénéficient d’Erasmus à cause d’obstacles économiques mais aussi psychologiques.

De manière générale, la construction européenne n’a pas permis d’enrayer la montée de la précarité et de l’exclusion sociale chez les jeunes. C’est pourquoi, nous plaidons pour une Allocation d’autonomie pour tous les jeunes Européens de 15 à 25 ans, ni en emploi, ni en études ainsi qu’un accompagnement personnalisé et une formation afin d’améliorer leur insertion professionnelle, par l’extension du contrat d’engagement jeune.

Pour ce qui est des attentes des jeunes générations, les millenials, nés après 1980 ou la génération Z, née après 1995 sont très exigeants vis-à-vis de l’Europe sur les enjeux climatiques. Et l’Union européenne doit être à la hauteur de leurs attentes et répondre en particulier au scepticisme des jeunesses européenne et française. Rappelons tout de même que deux-tiers des jeunes européens considèrent que l’Union n’en fait pas assez dans la lutte contre le changement climatique et la protection de l’environnement et que les jeunes français ne placent l’engagement de l’UE dans la lutte contre le changement climatique qu’en dernière position de la liste des atouts proposés de l’Union.

De manière concrète, nous proposons la création d’un ticket climat ferroviaire européen pour les jeunes qui permettrait de combiner émancipation et lutte contre le changement climatique.

Nous voulons enfin permettre aux jeunes de faire irruption dans la politique européenne. Pour cela, nous voulons accorder aux jeunes européens la possibilité dès 16 ans de participer aux « Initiatives citoyennes européennes » pour leur permettre de participer dès leur plus jeune âge à la démocratie européenne.

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