Bruits de bottes en Ukraine : éternel retour du XXe siècle ou nouvelle donne ?

Édito

Bruits de bottes en Ukraine : éternel retour du XXe siècle ou nouvelle donne ?

Édito de la rédaction
Alors que le Conseil de sécurité s’est réuni hier à la demande des Etats-Unis pour évoquer la situation en Ukraine, on aurait tort de ne voir dans cette première grande crise géopolitique de l’année rien d’autre que la manifestation d’un expansionnisme russe désuet et la réaction pavlovienne d’un bloc occidental soudé autour de l’OTAN. Si la menace d’une intervention militaire en Europe de l’Est semble raviver le souvenir – et la rhétorique – de la Guerre froide, elle permet surtout de mesurer le chemin parcouru depuis la chute de l’URSS.

Les acteurs ont tous revêtu leur ancien costume, bien que certains l’aient fait à contre-cœur et de guerre lasse, mais ce qui ressemble à la représentation de trop d’une pièce surjouée au XXe siècle révèle en réalité toutes les métamorphoses du monde en quelques trente années.

La Russie d’abord, écroulée sous son propre poids en 1991, s’est relevée et a renoué depuis avec le langage de la puissance. Si ses dirigeants ont conscience d’être à la tête d’une puissance économique moyenne à la population vieillissante, ils valorisent avec succès les quatre avantages de fait dont la Russie dispose : sa position géographique, qui en fait une puissance pivot entre l’Europe et la Chine ; sa profondeur stratégique, qui la rend invulnérable ; ses ressources naturelles, qui lui permettent de constituer de considérables réserves de changes pour absorber l’effet des sanctions économiques ; et, last but not least, son indéniable puissance militaire grâce à laquelle elle se projette désormais avec une redoutable efficacité sur différents théâtres d’opération (Géorgie, Crimée, Syrie).

Obsédée par sa sécurité face à l’expansion de l’OTAN comme de l’UE et la reconstitution d’une sphère d’influence historiquement russophone à défaut d’être russophile, la Russie est devenue, dixit Emmanuel Macron, « une puissance de déséquilibre » de l’ordre international et un trouble-fête d’envergure dans la nouvelle Guerre froide que se livrent les États-Unis et la Chine.

La ligne rouge a été franchie avec le projet d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, pays écartelé entre deux aires géographiques dont l’une cède aux sirènes du nationalisme Grand-russe quand l’autre regarde l’Union Européenne avec les yeux de Chimène. »

Pour Vladimir Poutine, les graines de la discorde ont été plantées par les occidentaux qui ont, par conviction autant que par opportunisme, allègrement soutenu les révolutions de couleur dans les pays de l’ex-bloc soviétique et intégré les anciens « régimes frères » à l’OTAN. La ligne rouge a été franchie avec le projet d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, pays écartelé entre deux aires géographiques dont l’une cède aux sirènes du nationalisme Grand-russe quand l’autre regarde l’Union Européenne avec les yeux de Chimène.

Gérer la puissance russe est donc un défi, certes, mais un défi pour qui ? C’est là que le bât blesse… Les occidentaux ont, en trente ans, perdu les réflexes qui prévalaient dans l’ancien monde et l’Amérique a perdu son assurance – certains diraient sa morgue – de vainqueur.

L’Union Européenne livrée à elle-même depuis 1992, donne le spectacle de la désunion entre des États baltes tétanisés par l’ambition russe, une France attentiste, soucieuse de ménager la chèvre et le chou, et surtout une Allemagne manifestement peu encline à sacrifier ses intérêts économiques – balance commerciale et gazoduc Nordstream 2 – pour sauver une Ukraine déjà virtuellement perdue. Il faut dire que l’Allemagne, singulièrement lorsqu’elle est dirigée par des coalitions menées par le SPD, adopte traditionnellement une attitude ambivalente vis-à-vis de la Russie, entre réticence au conflit ouvert, dépendance énergétique, préoccupations commerciales et culpabilité historique.

Le Royaume-Uni désormais parfaitement aligné sur le grand-frère américain depuis le Brexit, et peu enclin à dialoguer avec la Russie de Vladimir Poutine, rejoue le cirque de 2003 et alimente par ses déclarations sur l’imminence de l’invasion un climat déjà étouffant.

Après la débâcle afghane, nul doute que Xi Jinping saura tirer tous les enseignements de l’attitude américaine vis-à-vis de son allié ukrainien lorsque sera venu le temps de la crise taiwanaise. »

Les États-Unis, enfin, ont conscience que cette crise est une conséquence indirecte de la faiblesse qu’ils ont montré sur le front afghan, et se passeraient bien du dossier Ukrainien pour mieux se concentrer sur la mer de Chine, mais aussi panser les plaies béantes laissées par le mandat de Donald Trump dont l’ombre plane toujours sur Washington. D’une façon tristement performative, l’âge avancé de Joe Biden renvoie l’image d’une Amérique déboussolée et fatiguée, qui rechigne à l’usage de la force. Malheureusement, rien n’indique que les sanctions économiques soient une arme suffisamment dissuasive face à une Russie revigorée par la hausse du prix des énergies fossiles et qui bénéficie toujours de l’arme des gazoducs contre l’Europe qui traverse une crise énergétique aiguë. Après la débâcle afghane, nul doute que Xi Jinping saura tirer tous les enseignements de l’attitude américaine vis-à-vis de son allié ukrainien lorsque sera venu le temps de la crise taïwanaise.

De sommets virtuels en déclarations officielles, les discours sur l’unité du camp occidental relèvent donc, comme disent les anglo-saxons, du wishful thinking. A tel point que le premier effet de la crise ukrainienne est, de l’avis unanime des observateurs, d’avoir ressuscité une OTAN jusqu’alors impotente et hagarde, qui retrouve sa vigueur des grandes années de guerre fraîche sous l’ère Reagan. Mais l’OTAN, dont l’essence même est de contenir, pour ne pas dire affaiblir, la Russie, ne pourra pas être éternellement le cache-misère d’un camp occidental, et singulièrement d’une Europe incapable d’aligner ses intérêts et d’adopter une position commune, fusse-t-elle intransigeante ou bien de compromis, sur le dossier russe.

L’Union Européenne doit prendre conscience qu’influence n’est pas puissance. Le projet d’une Europe du soft power est un mythe à dépasser de toute urgence pour ne pas disparaître dans une reconfiguration internationale qui signe le retour de l’usage de la force brute, du hard power militaire. La France semble en avoir pris conscience depuis plusieurs années déjà, qu’en est-il désormais de l’Union et, surtout, de l’Allemagne ? Les nations européennes feraient bien de se rappeler que la faiblesse ne pardonne pas.

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DEBOUT LES FEMMES !

Édito

DEBOUT LES FEMMES !

Édito de la rédaction
Au cours des derniers mois, de nouvelles affaires de violences à l’égard des femmes ont émergé. Du lancement du #metoopolitique à l’affaire ppda, du #metoothéâtre à la création du collectif double peine et à l’appel du boycott des boîtes de nuit en angleterre et en belgique, il est de plus en plus évident qu’aucun milieu ne sera épargné. Et ce n’est pas surprenant, puisque les violences faites aux femmes sont érigées en système et que la prise de conscience collective est très progressive.

La lutte contre ces violences n’est cependant pas née avec la récente mise au jour dont elle a bénéficié ces dernières années. Les militantes féministes luttent depuis des décennies contre les violences conjugales, les agressions sexuelles, les vexations et les humiliations. Dès 1922, les féministes soviétiques parviennent à criminaliser le viol conjugal. Les pionnières du MLF se battaient déjà pour faire comprendre que la violence contre les femmes n’est pas une fatalité, mais un drame social qui peut, doit être éradiqué.

À l’heure où l’extrême droite cherche à récupérer le combat féministe et se sert de la lutte contre les violences faites aux femmes pour défendre son agenda identitaire et xénophobe, il ne faut pas se tromper. Nous devons réaffirmer sans crainte que le féminisme est à l’opposé de tout essentialisme, qu’il soit envers les femmes, les hommes, les étrangers ou les musulmans : un sexe, une nationalité ou une religion ne sauraient définir complètement l’individu et ses actes. Il faut rappeler haut et fort que le féminisme, comme l’universalisme, a pour but l’émancipation collective. Plutôt que de laisser la voix aux identitaires qui ont perturbé la marche féministe du 20 novembre, il faut donc saluer l’espoir qu’elle représente. Car ce cortège jeune, joyeux, mélangeant les générations et les genres est le signe que le féminisme a de beaux jours devant lui et que la lutte est loin d’être enterrée.

À l’heure où l’extrême droite cherche à récupérer le combat féministe et se sert de la lutte contre les violences faites aux femmes pour défendre son agenda identitaire et xénophobe, il ne faut pas se tromper. Nous devons réaffirmer sans crainte que le féminisme est à l’opposé de tout essentialisme, qu’il soit envers les femmes, les hommes, les étrangers ou les musulmans : un sexe, une nationalité ou une religion ne sauraient définir complètement l’individu et ses actes. Il faut rappeler haut et fort que le féminisme, comme l’universalisme, a pour but l’émancipation collective. Plutôt que de laisser la voix aux identitaires qui ont perturbé la marche féministe du 20 novembre, il faut donc saluer l’espoir qu’elle représente. Car ce cortège jeune, joyeux, mélangeant les générations et les genres est le signe que le féminisme a de beaux jours devant lui et que la lutte est loin d’être enterrée.

Ce cortège, et les autres avant lui, sont aussi le signe que la société peut être en avance sur ses lois et ses responsables politiques. Que la rue qui parle est entendue, même si ce n’est pas au sommet de l’Etat. Que la solidarité et l’entraide qui naissent entre celles qui ont été agressées sont capables de faire tomber des murs de silence. Aujourd’hui, il est difficile de croire à une marche de l’Histoire vers le mieux, et pourtant. L’élan qui s’est manifesté samedi et qui continue à se manifester, qui rassemble au-delà des âges, des genres, des quartiers, ne peut pas être arrêté.

En cette journée internationale de lutte pour l’éradication des violences à l’égard des femmes, il est donc plus que jamais nécessaire de rappeler notre soutien à ce mouvement. Le fait de naître femme ne doit plus être un danger. Nous devons être intransigeants, refuser la complaisance envers les agresseurs, dans tous les milieux. Alors debout les femmes, et tous les autres !

Vous pouvez signer la pétition pour demander une réelle lutte contre les violences sexistes et sexuelles en politique ici.

Dans le prochain numéro du Temps des Ruptures, un article sera consacré au sujet des féminicides et de la lutte contre les violences faites aux femmes.

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