Penser nos villes à l’échelle des métropoles – Entretien avec Isabelle Hardy

Penser nos villes à l’échelle des métropoles – Entretien avec Isabelle Hardy

Dans cet entretien, Isabelle Hardy, esquisse une conception de la métropole qui cherche à organiser une solidarité territoriale fondée sur le dialogue, la participation et la transition écologique. Son regard d’élue expérimentée révèle ainsi combien penser l’avenir de Toulouse exige de dépasser les réflexes de puissance pour construire une gouvernance qui embrasse réellement l’ensemble du bassin de vie. Entretien réalisé par Maxence Pigrée.
Le terme métropole vient du grec ancien “metropolis” qui signifie “ville-mère”. De la Grèce antique à la période actuelle, les métropoles continuent d’évoquer la puissance, la centralité et même parfois la domination à l’égard de certains territoires, et notamment l’urbain sur le rural. Quelle signification politique lui donnes-tu en tant qu’élue métropolitaine depuis plus de 15 ans ?


Isabelle Hardy : Tu as raison. Le mot métropole porte en lui toute une histoire : celle de la centralité, du pouvoir, et même de la domination.
Mais aujourd’hui, je crois qu’il faut lui redonner un sens politique plus moderne. Être élue métropolitaine depuis plus de quinze ans m’a permis de mesurer combien cette notion doit évoluer.
La métropole doit être un territoire moteur, mais responsable et solidaire, capable d’entraîner les autres sans les écraser.
Ce qui compte au fond, c’est la manière dont elle exerce son influence. Si la métropole ne se pense qu’en termes de puissance, elle reproduit les logiques d’exclusion. Mais si elle se conçoit comme un partenaire, alors elle devient un levier de cohésion et d’équité territoriale.
Sa force, ce n’est pas de rayonner seule, c’est d’irriguer autour d’elle : les communes, les intercommunalités voisines et les territoires ruraux.
La responsabilité politique, c’est d’affirmer et de porter cette vision. Faire de la métropole un acteur de coopération plutôt que de concurrence, un espace de lien plutôt que de séparation.

Le pouvoir de nos métropoles s’exerce souvent sur des temporalités longues notamment grâce à ses compétences en matière de climat, d’urbanisme ou encore de mobilités. Quelle responsabilité éthique cela confère-t-il à celles et ceux qui décident aujourd’hui ?

La Métropole doit d’abord dépasser le simple objectif de mission pour instaurer dans les moyen et long termes une puissance publique qui organise des droits et des devoirs, guidée par l’éthique, les valeurs et la réponse aux défis sociaux, écologiques et démocratiques.

Gouverner, c’est penser l’avenir d’un territoire pas seulement sur l’échelle du mandat qui nous est confié mais sur le temps long. Quand on décide de faire construire une infrastructure de transports, de créer un nouveau quartier, ou de développer des services publics, on crée des projets, des dynamiques de territoire qui dépassent très largement l’échelle temporelle d’un mandat.

Pour cela, nous ne devons pas décider seul dans une tour d’ivoire, mais nous appuyer sur deux leviers : celui de la connaissance et celui de la participation des habitants mais aussi des acteurs économiques, des experts… à la construction des politiques publiques.

Ils nous permettent d’éclairer nos choix, de mesurer l’impact réel de nos décisions et d’orienter nos politiques vers des modèles plus sobres et plus justes. C’est ce que nous proposions durant la campagne électorale de 2020 avec la création un parlement de l’urgence climatique, une instance indépendante composée de personnalités scientifiques, pour que chaque projet de la collectivité puisse être passé au crible sous le prisme de sa soutenabilité écologique. 6 ans plus tard, cette proposition reste plus que jamais d’actualité.

La participation citoyenne n’est donc pas un supplément d’âme, c’est une condition de réussite. Elle permet de confronter les visions, d’enrichir les projets, de renforcer la légitimité des décisions. C’est aussi une manière de redonner du sens à l’action publique, dans une période où la confiance envers les institutions est parfois fragilisée.

Faire dialoguer l’expertise et l’expérience du terrain, c’est cela, la responsabilité éthique des élu·e·s d’aujourd’hui. C’est reconnaître que l’intelligence collective, nourrie par la connaissance scientifique et la parole citoyenne, reste notre meilleur outil pour construire des politiques à la fois ambitieuses, justes et soutenables dans le temps.

Nous vivons aujourd’hui une crise de défiance du citoyen envers le politique. À ce titre, les intercommunalités, et d’autant plus les métropoles par leur échelle, ont parfois été accusées d’éloigner la décision des citoyens. Comment réussir à concilier gouvernance métropolitaine et proximité démocratique ?

Accusées à juste titre ! Je qualifierai même de scandale démocratique le fait qu’une collectivité qui concentre autant de pouvoir, de budget et d’influence sur un territoire ne soit pas directement élue par nos concitoyens. Cette situation interroge la légitimité du pouvoir métropolitain et fragilise, de fait, le lien entre les citoyens et la décision publique.

Une collectivité de cette importance ne peut durablement reposer sur un système électoral indirect. Il est temps d’ouvrir le débat et de porter un véritable plaidoyer pour une élection au suffrage universel direct des conseils métropolitains. Ce changement n’est pas une option technique, c’est une exigence démocratique.

Mais tant que la loi n’évolue pas, il appartient aux élu·e·s métropolitains de prendre leurs responsabilités : investir le terrain, créer des espaces de dialogue et de participation, retisser ce lien vivant entre la métropole et ses habitants. Cela suppose de privilégier la transparence, la pédagogie et la co-construction.

Et ce travail de reconquête démocratique passe d’abord par les communes, qui restent les premières portes d’entrée de la citoyenneté. C’est à l’échelle municipale que se vit la proximité, que se construisent la confiance et le lien social, que s’expriment les attentes. La métropole doit donc agir en partenariat étroit avec les maires et les équipes locales, non comme une superstructure technocratique, mais comme un allié au service des projets de territoire.

Il faut s’appuyer sur les communes pour faire vivre la démocratie. Les communes sont la base de la démocratie locale, les métropoles doivent à la fois entendre la légitimité des maires qui sont élus au suffrage universel sur leurs territoires et en même temps porter des orientations et des grands projets fixés par une majorité politique au conseil métropolitain. C’est dans cette articulation équilibrée entre vision stratégique et ancrage de terrain que se joue l’avenir de nos territoires.

C’est en ouvrant les portes, en partageant le pouvoir de décider, et en travaillant main dans la main avec les communes que la métropole pourra véritablement incarner ce qu’elle prétend être : un espace d’innovation, de coopération et de confiance.
Justement, Toulouse Métropole est composée de 37 communes, avec des villes moyennes comme Blagnac ou Colomiers mais aussi de petites communes comme Mons ou Pin-Balma. Comment réussir à concilier les besoins de l’ensemble de ces communes qui n’ont, de fait, pas les mêmes défis ?

C’est tout l’enjeu de la gouvernance métropolitaine : tenir ensemble la diversité des territoires. Toulouse Métropole, ce sont 37 communes, des réalités multiples et des besoins très différents — et c’est précisément cette diversité qui fait sa richesse. L’équilibre métropolitain ne se décrète pas, il se construit dans le dialogue, la reconnaissance mutuelle et la coopération.
Ce n’est pas seulement la taille des communes qui est complexe, mais aussi les sociologies qui sont différentes car il y a du rural, du péri urbain et de l’urbain et il faut prendre en compte cette diversité.

Il faut garder une exigence en tête : ne pas prolonger les rapports naturels de domination qu’ont les métropoles vis-à-vis des autres territoires en son sein entre les communes les plus grandes, comme Toulouse ou Colomiers, et les communes les plus petites.

Les grandes communes, comme Toulouse, Blagnac ou Colomiers, concentrent naturellement des fonctions structurantes : emploi, services, mobilité. Mais les plus petites communes apportent tout autant à l’équilibre global : elles préservent des espaces naturels, offrent un cadre de vie de qualité, maintiennent des liens sociaux de proximité. La métropole ne peut fonctionner que si elle reconnaît et valorise cette complémentarité.
L’objectif de la métropole doit être de construire cette coopération et ne pas rester focalisée sur les intérêts de la ville centre.

La clé, c’est une gouvernance partagée, fondée sur l’écoute et la co-construction. Les décisions doivent être prises non pas “pour” les communes, mais avec elles. Chaque maire doit pouvoir trouver sa place et faire entendre la voix de son territoire. Cela suppose des instances de concertation plus régulières, une transparence accrue dans les arbitrages, et une répartition équilibrée des investissements.

Une métropole juste est celle qui n’oppose pas le centre et la périphérie, mais qui fait de la solidarité territoriale un principe d’action. C’est cette approche collective qui permet de construire un projet commun : une métropole forte de ses différences, cohérente dans ses choix et fidèle à une ambition partagée pour l’ensemble du bassin de vie.

Les métropoles jouent un rôle fondamental dans l’adaptation de nos villes au changement climatique. Toulouse et son aire urbaine ne sont pas épargnées. Quels leviers Toulouse Métropole dispose-t-elle et comment pourrait-elle aller plus loin ?

Encore une fois c’est d’une vision dont la métropole a besoin car elle a les atouts et les leviers pour poursuivre les trois objectifs principaux : réduire les gaz à effet de serre, adapter le territoire et accompagner les habitant.e.s. Je pense par exemple au Plan local d’Urbanisme intercommunal et de l’habitat (PLUIH) qui est un outil puissant pour répondre aux enjeux climatiques, sociaux et démocratiques. Rappelons que celui de Jean-Luc Moudenc a été annulé par le tribunal administratif pour surconsommation d’espaces naturels et agricoles ! Je pense aussi à la nécessité de travailler sur les trames verte et bleue, à la nécessité de porter un projet autour du Canal du midi mais aussi de la Garonne. Répondre aux enjeux climatiques c’est aussi avoir une politique du logement à l’échelle de la métropole, en favorisant la mixité sociale et en luttant contre les passoires thermiques. C’est avoir une vraie politique de végétalisation, c’est avoir une politique pour aller vers une souveraineté alimentaire, quand on sait que l’alimentation est à la fois un enjeu de pouvoir d’achat, de santé publique et de démocratie. Bien sûr il ne faut pas oublier les enjeux liés au développement économique et aux commerces et artisans de proximité. Là encore, c’est notamment dans le PLUIH que tout cela s’organise.
Et bien sûr, un des grands enjeux en termes de baisse des gaz à effet de serre réside dans une politique de transports et de mobilité qui réponde aux besoins des habitants de la métropole et pas seulement des Toulousains. Je ne peux passer sous silence l’annulation par le tribunal administratif du Plan de Déplacement urbain par le tribunal administratif pour manque d’alternative à la voiture !


Tu parles justement de mobilités. La question du changement climatique est indéniablement liée à celle du développement des transports en commun. La ligne C (3ème ligne de métro), mesure phare du programme de Jean-Luc Moudenc en 2020, sera achevée dans quelques années. Pourquoi selon toi ce projet reste insuffisant ? Pourquoi une vraie révolution des transports est indispensable à Toulouse, notamment grâce au RER ?

Toulouse et son agglomération connaissent une croissance démographique exceptionnelle , qui s’est traduite par un étalement urbain massif, bien au-delà des seules frontières métropolitaines. Pourtant, en matière de mobilités, la stratégie reste pensée dans une logique encore trop centrée sur le cœur de la métropole, comme si les enjeux de déplacements s’arrêtaient aux portes de Toulouse.

Les projets actuels – la ligne A, la ligne B, demain la ligne C – desservent principalement le centre et la première couronne : Balma, Ramonville, Labège, Colomiers. Mais c’est au-delà que se concentre aujourd’hui la vraie demande de solutions alternatives à la voiture individuelle : dans les territoires périurbains, dans les communes où l’habitat s’est développé plus vite que les infrastructures, là où l’offre de transport collectif reste insuffisante, voire inexistante. Mais les modes doux (vélo, marche à pied) sont aussi insuffisants.

Les études multimodales nous le disent : à trajectoire constante, nous allons droit vers une situation de thrombose d’ici 2030. Cela veut dire plus de congestion, plus d’émissions, plus d’inégalités territoriales. Il devient donc urgent de changer d’échelle et de rythme.

C’est tout le sens du RER toulousain : un projet de maillage global, qui dépasse les frontières administratives et s’appuie sur un réseau ferroviaire déjà existant. Contrairement aux grands chantiers d’infrastructures, il peut être phasant, évolutif, rapide à déployer, et répondre concrètement aux besoins quotidiens des habitants de l’ensemble du bassin de vie.

Le RER, c’est plus qu’un projet de transport : c’est une vision de territoire, celle d’une métropole qui pense ses mobilités à l’échelle de sa réalité vécue. C’est aussi une réponse directe à l’urgence climatique, sociale et économique : offrir à chacun une alternative crédible à la voiture, réduire les fractures territoriales et redonner du souffle à une agglomération qui, sans cela, risque tout simplement l’asphyxie.

 

Les élections municipales – et dont métropolitaines – auront lieu dans moins de 6 mois. Dirais-tu que Toulouse Métropole est en retard si l’on se compare à d’autres métropoles ?

Oui, très clairement. Quand la gauche et les écologistes sont arrivés au pouvoir entre 2008 et 2014 sous l’impulsion de Pierre Cohen, la logique métropolitaine n’existait pas encore à Toulouse. La ville était alors gérée comme un grand village, sans réelle vision d’ensemble à l’échelle du bassin de vie. Il a fallu l’impulser, poser les premières pierres d’une gouvernance métropolitaine moderne — et je veux ici saluer le travail de Pierre Cohen et de Claude Raynal, qui ont porté ce travail.

Aujourd’hui, cette ambition s’est essoufflée. Jean-Luc Moudenc ne s’est pas emparé de la logique métropolitaine, et cela explique pourquoi Toulouse et sa métropole accusent un retard évident : retard dans la manière de penser les mobilités, retard dans la bifurcation écologique, retard dans la gouvernance démocratique. Il n’a pas de vision pour ce territoire, le dialogue métropolitain avec les villes à une heure de Toulouse s’est enlisé et force est de constater que le travail avec le Département et la Région se concentre sur des projets toulousains.

Ce constat est d’autant plus paradoxal que notre territoire a tous les atouts pour être en avance : un dynamisme économique exceptionnel, une population jeune, un tissu scientifique et industriel d’excellence. Les politiques publiques peinent à dépasser la logique de grands chantiers d’infrastructure pour s’attaquer aux vrais défis : le logement abordable, les mobilités du quotidien, la transition énergétique, l’équilibre entre territoires.

Le prochain mandat devra marquer un véritable tournant politique. Il ne s’agit plus de gérer la métropole comme une juxtaposition de communes, mais de la penser comme un espace de solidarité, d’équilibre et de transformation. Cela veut dire aussi qu’il faudra favoriser l’émergence de compétences sur l’ensemble du territoire, car on voit bien que Toulouse concentre beaucoup de talents (universitaire, culturel, économique…) et que le ruissellement ne se fait pas.

 

 

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Alors que le 16 novembre prochain se tiendra l’élection présidentielle au Chili, une grande coalition de gauche est donnée favorite face au candidat de l’extrême-droite, dans un pays où le spectre du dictateur Augusto Pinochet continue de peser au sein de la société chilienne.

Jeannette Jara, avocate et ancienne ministre communiste du Travail, mènera cette grande coalition qui rassemble l’ensemble de la gauche, du Parti socialiste au parti de la gauche radicale de l’actuel président en passant par le parti écologiste, et bien sûr, le parti communiste. Cette première grande coalition aura, pour la première fois, la lourde responsabilité de mener cet espoir au pouvoir. Car l’enjeu est colossal dans un pays profondément marqué par la dictature.

L’espoir face aux cicatrices du passé

Plus de cinquante ans après le coup d’État militaire du Général Pinochet et près de trente-cinq ans après le retour de la démocratie au Chili, la société chilienne n’a pas encore guéri des exactions commises durant seize années de dictature. Pire encore, le pays est encore très divisé sur cette période. Une partie des Chiliens continuent de penser que la dictature a permis d’éviter le chaos qu’auraient provoqué le président élu démocratiquement Salvador Allende et son projet socialiste. L’autre partie des Chiliens continuent de réclamer justice face aux heures sombres d’un régime responsable de la mort de plus de 3 000 personnes, de plus de 38 000 personnes torturées et de près d’un demi-million de personnes contraintes à l’exil. Les débats autour des «commémorations» du coup d’État du 11 septembre 1973 ou de l’enseignement de cette période montrent la persistance du clivage qui fracture, encore en 2025, les mémoires d’une période traumatique pour des millions de Chiliens.

L’illustration de ce clivage est sûrement le projet de constitution soumis à l’adoption du peuple chilien en décembre 2023. Alors qu’en 2021 les électeurs avaient élu à la présidence de la République Gabriel Boric, ancien syndicaliste étudiant proche de la gauche radicale, ils n’ont pas souhaité une nouvelle constitution probablement jugée trop progressiste. En effet, celle-ci prévoyait de reconnaître le Chili comme État plurinational en reconnaissant l’existence des peuples autochtones, d’accorder de nouveaux droits sociaux – notamment l’accès à l’avortement, ou encore de consacrer la protection de l’environnement dans le marbre constitutionnel. Dans un pays encore marqué par les fondements néolibéraux institués par Pinochet, ce projet de constitution est apparu trop en rupture avec les repères traditionnels d’une partie de la société chilienne. C’est dans ce contexte que le gauche devra relever le défi de réconcilier les Chiliens face à leur propre histoire.

 

Une coalition dans l’unité pour préparer l’après-Boric

À quelques semaines d’une élection présidentielle décisive et alors que les regards sont tournés vers l’après-mandat du président Gabriel Boric, l’unité se construit à gauche afin de ne pas transmettre La Moneda (siège de la présidence de la République) à la droite, ou pire, à l’extrême-droite, dont le candidat José Antonio Kast semble être en capacité d’accéder au second tour.  La primaire présidentielle de la coalition Unité pour le Chili organisée en juin 2025 a permis, pour la première fois depuis le retour de la démocratie, la victoire de la candidate du Parti communiste Jeannette Jara face notamment au candidat du parti présidentiel Gonzalo Winter et de la candidate du Parti socialiste Carolina Tohá.

Dans un esprit de rassemblement et d’unité de toute la gauche, Jeannette Jara revendique les combats du président Salvador Allende jusqu’au bilan de la présidence de Boric en passant par celle de Michelle Bachelet. Issue d’une famille ouvrière de la banlieue de Santiago, elle milite très jeune auprès des jeunesses communistes et adhère à 25 ans au Parti communiste chilien. Après une carrière dans l’administration où elle a notamment exercé des responsabilités syndicales, elle devient sous-secrétaire à la Protection sociale dans le gouvernement de Michelle Bachelet. Elle exerce ensuite le métier d’avocate avant d’être nommée ministre du Travail en 2022. Membre du gouvernement Boric, elle met en œuvre la réduction du temps de travail de 45 à 40 heures hebdomadaires, la hausse du salaire minimum ou encore une réforme des retraites où les entreprises sont désormais mises à contribution alors que le dictateur Pinochet avait institué en 1981 un  système à capitalisation individuelle privé. Forte de ce bilan, elle revendique sa capacité à parler au nom de toute la gauche.

Dans cette campagne présidentielle aux enjeux multiples, Jeannette Jara n’élude aucun sujet et particulièrement celui de la sécurité. «Je n’ai aucun complexe avec la sécurité. Et j’ai la main bien ferme» a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse rassemblant la presse étrangère.[1] Confrontée au dilemme de parler à un électorat plus large dans la perspective de rassurer le centre et le centre-droit face à l’extrême-droite, Jeannette Jara n’hésite pas à s’écarter des positions historiques du PCC, notamment sur la question du Venezuela qu’elle qualifie de dictature. Pour parler à la classe ouvrière, elle n’hésite pas non plus à rappeler ses origines modestes, qui, selon elle, lui permettent d’être légitime à représenter «les oubliés» du pays. En ce sens, lors d’un meeting dans le nord du Chili, elle a indiqué vouloir mettre en œuvre 10 mesures pour l’emploi grâce au projet «Chile Más y Mejores Empleos». Finalement, dans cette campagne, Jara mise sur une approche pragmatique : défendre la justice sociale sans craindre d’affirmer l’autorité de l’État tout en assumant la complexité de parler à tous les Chiliens dans un contexte où l’extrême-droite pourrait être son adversaire au second tour.

 

Une leçon pour les gauches du monde

Depuis le coup d’État du 11 septembre 1973, qui mit fin dans le sang à l’expérience socialiste et démocratique du président Salvador Allende, la gauche chilienne vit avec la mémoire douloureuse d’un espoir brisé. Les années de dictature d’Augusto Pinochet ont laissé un traumatisme collectif — des milliers de disparus, un peuple bâillonné, et un modèle économique ultralibéral imposé par la force et l’appui des États-Unis.

Le 16 novembre prochain, le risque que l’extrême-droite accède au second tour de l’élection présidentielle chilienne est réel. Comme partout dans le monde, les mouvements identitaires, anti-immigration et prônant des valeurs traditionnelles menacent nos démocraties. L’enjeu pour la coalition Unité pour le Chili est donc de combiner vision radicale et réformes pragmatiques pour répondre aux aspirations d’une société chilienne hétéroclite. Et face à cette situation, la gauche chilienne est à la hauteur. En dépit de ses fractures et des désillusions liées au processus constituant de 2023, elle a choisi la voie de l’unité, de la co-construction et de la responsabilité. En ce sens, le Chili ne parle pas seulement à l’Amérique latine : il envoie un message à toutes les gauches du monde. Cette unité doit inspirer tous les pays menacés par des forces réactionnaires et populistes. Partout dans le monde où la gauche s’est fragmentée, elle a dû s’incliner. Et derrière, ce sont des populations qui souffrent de régimes conservateurs : aux États-Unis, en Argentine, en Hongrie où les droits et libertés ne cessent de régresser.

[1] Conférence de presse, Santiago du Chili, 15 octobre 2025.

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Faut-il abolir l’héritage ?

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Et si l’égalité républicaine exigeait de rompre avec le plus inégalitaire des privilèges ? Dans une société où la richesse se transmet davantage qu’elle ne se mérite, l’héritage cristallise la contradiction entre le mythe du mérite et la réalité de la reproduction sociale. Dans son dernier ouvrage, Rémy Goubert propose d’abolir l’héritage.

Il est venu le temps de la rupture. Celle qui accomplira enfin l’œuvre républicaine.

Il est venu le temps de la rupture avec l’outil le plus favorable à la reproduction des inégalités. Il est venu le temps de la rupture avec l’héritage.

Ces mots ne sont pas vains. Ils ne relèvent pas d’une fulgurance de militant passionné. Ils ne sont pas utopiques. Ils sont le fruit d’une étude approfondie de notre système fiscal, des propositions les plus sérieuses et des analyses les plus pointues des savants contemporains.

Ils visent à mettre le doigt sur un sujet si risqué que la plupart des responsables politiques n’osent pas en parler. Ils n’osent pas pour des raisons parfois idéologiques, c’est vrai, mais aussi et surtout par lâcheté. Notre pays est aujourd’hui davantage porté sur la rente que sur le travail. Pourtant, vous entendez chaque jour ces déclarations hâtives où l’on répète que “le travail doit payer”.

Certains diront que si le travail ne paie pas, c’est à cause des cotisations sociales, qu’ils appellent “charges”. Pourtant, elles servent à financer les retraites de nos vieux et nos chacune de nos dépenses de santé. Quelle honte à cela ?

D’autres affirment que le souci vient des étrangers, nourrissant des discours haineux sur l’Aide Médicale d’État ou la prétendue “belle vie” des migrants en France.

Ensemble, en attaquant le modèle social ou les étrangers, ils appliquent une stratégie simple mais efficace pour dévier l’attention de l’opinion publique de ce qui structure les inégalités dans ce pays : le patrimoine.

Parlons-en.

L’impôt sur les successions est le plus impopulaire. Il est aussi le moins appliqué.

87 % des Français ne paient pas de droits de succession, bénéficiant de la franchise en ligne directe (parents/enfants) de 100 000 euros.

Il en est de même pour les plus riches, mais pour des raisons bien différentes. Ceux-là ne paient pas ou peu d’impôts grâce à des optimisations fiscales organisées sur le long terme, à travers des donations répétées ou des successions préparées. C’est ce que j’appelle le grand contournement.

Ce grand contournement de l’impôt fait des victimes : l’État, d’abord privé de ressources essentielles pour financer l’école, l’hôpital, les infrastructures, la transition écologique. Mais surtout la société tout entière, biberonnée au mythe méritocratique.

Car lorsque les plus riches échappent à l’impôt, ce sont les autres qui paient. Paient en impôts indirects, paient en services publics dégradés, paient en renoncement permanent. La solidarité nationale repose aujourd’hui sur les épaules de ceux qui n’ont rien à transmettre, pendant que les héritiers de la fortune accumulent ce qu’ils n’ont pas gagné.

C’est le hasard qui a décidé. A votre place et à la place de vos parents.

Voilà le vrai scandale. Pas celui, imaginaire, des “trop d’impôts”, mais celui du privilège héréditaire. Dans une République née pour abolir les privilèges, comment tolérer qu’ils se soient simplement transformés, troquant le titre de noblesse pour un relevé de compte en banque ?

La France ne souffre pas d’un excès d’impôts, elle souffre d’un excès d’inégalités. Et ces inégalités ne sont pas le produit du hasard, mais celui d’un système organisé autour de la transmission du capital. Dans un pays où la moitié des jeunes adultes n’a aucun actif, où l’âge moyen de l’héritier est de cinquante ans, l’héritage n’a plus rien d’un soutien familial : il est devenu un instrument de rente, un verrou de classe.

Il y a ceux qui héritent, et ceux qui attendent. Ceux qui peuvent rêver, et ceux qui survivent.

C’est pourquoi j’en appelle à un nouveau pacte républicain, fondé non sur la transmission des fortunes, mais sur le partage de la valeur. À la place de l’héritage, une dotation universelle verrait le jour : un capital de départ, égal pour toutes et tous, financé par la taxation intégrale des grandes successions et des rentes inutiles. Une dotation pour la vie, qui donnerait à chaque jeune de ce pays la liberté d’entreprendre, d’étudier, de créer, d’aimer.

Son montant serait de 50 000 euros. Conditionnée à l’exercice d’un service civique de 6 mois, elle viendrait sanctionner cet effort vers autrui, guidé par l’intérêt général. Elle serait accompagnée de l’exonération complète de la transmission de la maison désignée comme familiale, car c’est le principal blocage dans le débat et que cela ne constitue pas pour autant l’élément le plus inégalitaire.

Abolir l’héritage, ce n’est pas détruire la famille, au contraire. C’est la libérer de ce moment où, en plus des inégalités économiques s’ajoute la confrontation des frères et des sœurs sur ce qu’il reste de vivant.

Combien de familles se sont-elles déchirées pour une histoire de succession ?

C’est refuser que la famille devienne une frontière. C’est libérer les individus de la dette du sang et leur garantir une véritable émancipation.

Nous n’avons pas à craindre la rupture : c’est elle qui a bâti la République. Chaque progrès social, chaque conquête démocratique est né d’un refus du statu quo.

C’est le sens de mon livre « Faut-il abolir l’héritage ? De l’impôt sur la mort à la dotation pour la vie ».

Alors oui, il est venu le temps de la rupture. Celui d’en finir avec l’héritage.

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Changer de logiciel : réenraciner nos entreprises

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La gauche n’a jamais été allergique à l’entreprise, ce serait une erreur de le penser. En revanche, ce qui l’indigne, c’est lorsque l’économie se plie aux lois de la finance, réduisant la réussite à un concours de graphiques toujours plus croissants et négligeant volontairement le développement économique de l’ensemble des parties prenantes du territoire.

Changer de logiciel ne consiste pas seulement à réformer des règles économiques ; c’est un changement de regard sur la place de l’entreprise dans notre société.

Mais de quelles entreprises la gauche parle-t-elle ? Regardons autour de nous : l’artisan qui réalise des travaux que nous sommes incapables de faire, parfois accompagné d’un apprenti à qui il transmet son savoir. Une PME innovante, prise en étau entre acteurs locaux et concurrents étrangers, investit pour innover et recrute afin de répondre à la demande de ses clients, sans avoir beaucoup de visibilité à long terme. Une ETI poursuit son développement commercial à l’étranger sans entrer dans une logique de délocalisation. Une coopérative regroupe des éleveurs et des producteurs qui s’associent pour faire face aux ogres de la distribution ou à l’instabilité des récoltes. Enfin, il y a les services qui enseignent, soignent, réparent, codent ou transportent. Ces acteurs sont profondément présents dans nos quartiers et nos campagnes. Ils composent l’économie réelle et enracinée.

Dans ces chaînes de valeur, tout ne se résume pas à un taux de rentabilité. L’ensemble des acteurs compte. L’ancrage produit des biens et des services, mais aussi de la confiance et du savoir‑faire. Il exige que chacun se complète plutôt que de s’écraser. Produire et servir, investir et transmettre, c’est regarder des visages connus et respecter des délais réalistes. On évite ainsi des profits fondés sur des sacrifices humains ou des pressions absurdes imposées à ceux qui travaillent et qui conduisent, in fine, à la dégradation de l’écosystème.

Pourtant, une autre logique domine trop souvent : le trimestre boursier et la performance dictée par des fonds d’investissement invisibles. Beaucoup de grands groupes n’ont plus que le cours de Bourse comme boussole. Les profits stagnent ? Aucun souci : on commence par ajuster les comptes ; concrètement, on coupe les investissements et les formations, on renonce à l’innovation et, en dernier ressort, on supprime des emplois au nom d’une rentabilité jugée insuffisante. Ces décisions, prises à distance, ne visent qu’à satisfaire des actionnaires impatients et toujours plus gourmands. La fermeture de l’usine Samsonite à Hénin‑Beaumont, malgré son activité, en est un exemple tragique¹ : l’exigence de marges plus élevées par un fonds américain a brisé des vies et fragilisé une région. Quand le cours de l’action devient la seule priorité, le territoire cesse d’être un bassin économique et devient un paillasson ; il ne s’agit là que d’un exemple parmi tant d’autres, sans aucune considération pour les acteurs locaux.

Ce mécanisme n’est pas neuf. En 1889, Jaurès alertait : « Les industriels petits et moyens, les commerçants petits et moyens fléchissent sous le poids des grands capitaux. »² Cette phrase, on pourrait la publier aujourd’hui, sans changer une virgule. Nous sommes bien loin des caricatures de la droite, des politiques obnubilés par le dogme du « pro‑business » ou du MEDEF qui ne cesse de caricaturer notre camp politique. Réaffirmons avec force que la gauche ne se bat pas contre l’entreprise ; elle se bat contre une économie souillée par les exigences d’une rente hors-sol, à l’image d’une agriculture intensive qui saccage tout en ignorant le terrain sur lequel elle œuvre. Notre camp, c’est celui de l’entreprise ancrée qui alimente un écosystème profitant à l’ensemble de ses acteurs. L’économie ne vaut que si elle profite au plus grand nombre.

L’économie utile ne répond pas aux logiques spéculatives. Une entreprise ne doit pas privilégier son cours de Bourse en saccageant le long terme et le territoire sur lequel elle opère. Tout repose sur la justice dans les échanges. Les fruits de l’activité doivent d’abord revenir à celles et ceux qui y consacrent leur temps et leur talent. Le profit doit irriguer les territoires et améliorer les salaires, tout en renforçant les biens communs, au lieu de s’évaporer vers des sommets inaccessibles. Reconstruire cette justice est indispensable pour remettre l’économie au service de la société et non au service d’une caste qui semble invisible mais est très présente.

Cet article affirme une orientation politique assumée : défendre une économie enracinée et durable. Une économie qui s’appuie sur les femmes et les hommes qui produisent et investissent ici. Le cadre posé, des réflexions à venir s’attacheront à construire les outils concrets pour donner corps à cette ambition. Toujours dans le même esprit : faire primer l’ancrage sur la spéculation et préférer le long terme en replaçant l’humain au centre du jeu.

Notes

  1. « La vente de l’usine Samsonite était bien illicite selon la cour d’appel », La Voix du Nord, 17 mai 2018.

  2. Jean Jaurès, « Le capitalisme et la classe moyenne », La Dépêche (Toulouse), 10 mars 1889.

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Vue du perchoir – Socialistes : la censure ou le déshonneur

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Jaurès nous disait il y a plus d’un siècle, « le courage, c’est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces […] le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel, c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond ». Depuis longtemps , le PS confond le fait de comprendre le réel, d’y passer certainement, et celui de s’y perdre. Chaque semaine, Romain Troussel-Lamoureux chronique l’actualité parlementaire et politique pour Le Temps des ruptures.

Le réel ou l’idéal, la grande confusion socialiste ? Difficile de voir clair dans une période aussi incertaine. Cela semble être un des plusieurs traits de la crise, une conjoncture fluide comme la considérait Michel Dobry. Un autre tient à une progression par-à-coups. Les moments charnières d’approfondissement d’une crise sont accompagnés de périodes de calme relatif pendant lesquelles les acteurs tentent de reprendre pied. Sans succès.

Fluide, cette crise l’est de plus en plus, au moins dans le monde politique. Le remplacement de la droite conservatrice par la l’extrême-droite nationaliste et xénophobe suit son cours. Une étape de plus, symbolique mais tout de même, a été franchie dans l’hémicycle ce jeudi 30 octobre lors du vote réussi de la résolution du Rassemblement national visant à dénoncer les accords de 1968 avec l’Algérie.

Mais que dire de la gauche. Ou plutôt du Parti socialiste dans cette période. Dans les périodes de doute, les socialistes ont une boussole, un talisman, une incantation fétiche. Celle des grandes figures. Que nous disent-elles aujourd’hui. Las, bien peu de choses. Où est donc la « rupture avec l’ordre établi[1] » après huit ans de macronisme ? Plus encore. Jaurès nous disait il y a plus d’un siècle, « le courage, c’est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces […] le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel, c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond[2] ».

Depuis longtemps[3], le PS confond le fait de comprendre le réel, d’y passer certainement, et celui de s’y perdre. Les (bonnes) raisons sont toujours là : le programme économique de François Hollande, précurseur de celui d’Emmanuel Macron, intègre l’idée d’une concurrence socio-fiscale européenne sans vergogne et il produit des emplois peu qualifiés ; la non-censure de Sébastien Lecornu sauve la France d’un président sans aucune éthique politique et épargne les citoyen.nes d’un moment charnière de la crise en cours. Mais à quel prix ? L’adoption, avec ou sans les voix socialistes, d’un budget issu du socle macroniste permettra-t-elle au pays de sortir de la crise politique installée par le président ?

Ce moment pose une question plus vaste. Quel est l’espace pour le compromis chez les socialistes ? Une maxime y répond parfaitement, inlassablement, inévitablement : « c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ». Où est l’idéal dans le budget négocié en ce moment au Parlement ? Où est l’idéal dans le moindre mal ? Le moindre mal, c’est la ligne politique du radicalisme finissant de la Troisième République. Le moindre mal, c’est la ligne de la SFIO à bout de souffle de la IVe République. Le moindre mal, est-ce de soutenir implicitement un budget austéritaire ?

Alors voilà le chemin de l’idéal : la suspension de la réforme des retraites, la taxation à hauteur de plus de 10 milliards des patrimoines les plus importants et la réduction de la pression fiscale sur les trois premiers déciles. Sans cela, il n’y a qu’un seul chemin : la censure ou le déshonneur.

Le compromis dans le socialisme français ne trouve son sens que lorsqu’il permet la victoire politique. Pas le moindre mal, pas la demi-mesure. Ce sont là les rôles politiques d’autres formations : les centristes et les conservateurs. A trop craindre la crise, nous risquons d’être emportés avec. 

 

[1] : Discours de François Mitterrand à la tribune du congrès d’Epinay en 1971 avant le vote qui l’investira Premier secrétaire

[2] : Discours à la jeunesse, 1903 au lycée d’Albi

[3] : dès 1983 pour certains, 2005 pour d’autres, 2016 pour les derniers

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Jusqu’à ce que la censure vous sépare

Jusqu’à ce que la censure vous sépare

Que diable fait le PS depuis 2017 ? Conscient de son rejet massif dans la population, de l’hémorragie militante qui suivit le quinquennat Hollande et de la défection d’une partie de ses élus vers Emmanuel Macron, le Parti socialiste fit ce qu’il sait faire de mieux, c’est-à-dire, s’adapter aux circonstances. Pas de refondation en fanfare, pas de prise en main par une nouvelle génération, mais une rupture dans la continuité, comme à l’accoutumée.

En toile de fond, une stratégie : celle du moindre mal. En guise de méthode : le coup de billard à trois bandes. C’est la recette du gâteau socialiste. Le résultat, lui, ne change jamais : des coups de barre à droite, à gauche, qui le ramène de plus en plus souvent dans les jupes du macronisme.

Cette obsession pour sa propre image et la conservation de son implantation territoriale semble faire oublier au PS une évidence. Car survivre dans le paysage institutionnel ne donne aucun gage d’influence par défaut. Or aujourd’hui, le diagnostic est limpide. Le PS souffre d’une forme aigue de « syndrome du bon élève ». Il persiste à croire que les médias et l’opinion publique récompenseront ses synthèses tièdes, souvent intenables, et ses tentatives de consensus artificiels. Convaincu de pouvoir façonner à sa guise les séquences politique, il n’hésite pas à sacrifier la cohérence pour sauver l’apparence, persuadé que les électeurs y verront une forme de raison. C’est au nom de cette logique qu’il justifie, une fois encore, son refus de censurer le nouveau gouvernement d’Emmanuel Macron

A force de se définir contre les agents du « chaos », il finit par se définir comme ceux du statut quo. Or l’équilibre actuel des choses est insupportable. Le PS devient, in fine, la béquille d’un chaos figé, amendable à la marge.

Et puis, non-censure pour quoi faire ? Raphaël Glucksmann et son parti, au moins, assument pleinement le fait d’incarner un nouveau macronisme. Ils ne se contorsionnent pas devant leurs homologues de gauche ou de centre. Ils ne rendront des comptes qu’à eux-mêmes.

Face à la question existentielle – « Que pense le PS ? » –, on croit toujours lever un lièvre, un argument qui révélerait une profondeur cachée. En réalité, on ne fait que tirer sur le fil d’une confusion permanente, qui ne relève pas tant d’une incapacité à trancher une ligne que d’un refus obstiné d’en tenir une.

Mais le culte de l’ambiguïté stratégique a un défaut majeur. Comme dans le domaine nucléaire, il ne tient que par le bluff. Si plus personne n’y croit, tout s’effondre.

En pratique, le PS nage à petite brasse et s’épanouie dans la guérilla tactique, là où ses homologues de gauche, même condamnées à échouer, préfèrent la percée stratégique à grands renforts de moyens.

Pendant ce temps, l’extrême droite multiplie les offensives : contre les journalistes et l’information avec la réforme de l’audiovisuel ; contre la culture avec l’arrêt du financement de certains festivals ou associations ; contre la justice fiscale et la solidarité avec le slogan « C’est Nicolas qui paie ». Et le PS, de quand date sa dernière offensive ? La pétition pour un référendum sur les superprofits ? La taxe Zucman lâchée en rase campagne lors des discussions avec Lecornu ? La non-censure pour retarder l’application de la réforme Borne ? Au mieux, des escarmouches sans lendemain ; au pire, des semi-renoncements à des ambitions plus grandes. La vérité, c’est que le PS n’a d’autre solution que de se fondre dans une posture défensive, une stratégie de la digue qui le menace d’un procès en conservatisme. Heureusement, la population résiste encore. Du moins jusqu’à la prochaine dissolution.

Or l’extrême droite vit dans des fictions qu’elle martèle jusqu’à en faire des réalités de fait. Un procédé déjà utilisé avec succès par le passé. Si, en bons munichois, tétanisés par son insolence et ses victoires en série, le PS persiste dans le choix de l’impuissance, alors les mêmes causes produiront les mêmes effets.

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Le Nobel de Machado : prime à la guerre ?

Le Nobel de Machado : prime à la guerre ?

En couronnant Maria Corina Machado, le comité Nobel confond résistance démocratique et impérialisme libéral. Figure de la droite radicale vénézuélienne, partisane assumée d’une intervention militaire étrangère, elle incarne l’exact opposé de la paix. Un article de Vincent Arpoulet, également publié sur le site de la GRS.

Commençons par une évidence : Nicolas Maduro est un autocrate responsable de l’exil de près de 8 millions de vénézuéliens et dont la dernière réélection dans un contexte caractérisé par l’interdiction d’un certain nombre de candidatures d’opposition sur la base de motifs parfois litigieux est plus que questionnable. Et ce, d’autant plus que les autorités électorales se refusent toujours, plus d’un an après le scrutin, à publier les procès-verbaux de l’intégralité des bureaux de vote. Cependant, dire cela n’exonère pas de dénoncer d’une même voix l’indécence de décerner le prix Nobel de la Paix à l’une des artisans de l’intensification de la crise politique vénézuélienne. Figure de proue de la droite radicale, Maria Corina Machado suit en effet un credo assez clair : « La seule façon de faire céder le gouvernement, c’est la menace de l’utilisation d’une force internationale ». Si l’on pourrait arguer de la légitimité de ce type de pratiques en contexte autoritaire, il se trouve que celle-ci prenait déjà activement part au coup d’État perpétré en 2002 à l’encontre d’Hugo Chavez, alors même que celui-ci bénéficiait d’une indéniable légitimité populaire et électorale. Citons aussi son soutien appuyé, en 2019, à l’auto-proclamation à la présidence du Venezuela de Juan Guaido. Or, en bloquant notamment un certain nombre d’actifs nationaux placés dans les institutions bancaires de pays lui ayant apporté leur soutien, ce dernier a sciemment concouru à déstabiliser un peu plus une économie déjà fragilisée par un modèle rentier non questionné par le chavisme, ainsi qu’une série de sanctions économiques imposées par les Etats-Unis dont l’impact sur l’industrie pétrolière vénézuélienne s’élèverait à près de 232 milliards de dollars[1]. Or, ces sanctions ne sont précisément pas étrangères au dysfonctionnement du système démocratique du pays : le Centre de Recherche Économique et Politique (CEPR) affirme notamment que de telles mesures sont susceptibles de : « convaincre les gens de voter comme le souhaitent les Etats-Unis ou de se débarrasser du gouvernement par d’autres moyens »[2].

           

            Parmi ces autres moyens, l’option d’une intervention militaire étasunienne est sur la table et ouvertement plébiscitée par Machado. C’est ce qui la conduit à se féliciter des assassinats ciblés perpétrés au large des côtes vénézuéliennes par une flotte étasunienne chargée par Trump de lutter contre le « narcoterrorisme ». Un qualificatif loin d’être anodin puisqu’il ouvre la voie à des opérations extrajudiciaires dont la légitimité est d’autant plus questionnable que les suspicions de liens entre le trafic de drogue et une entreprise bananière étroitement liée au gouvernement équatorien voisin aligné sur les positions géopolitiques trumpiennes[3] suscite bien moins d’émotions au sein de l’appareil d’État étasunien. Cette instrumentalisation politique de la nécessaire lutte contre le narcotrafic n’est ainsi pas sans rappeler la fable des armes chimiques ayant conduit à l’intervention en Irak, là encore soutenue publiquement par Machado qui a rendu visite en personne à George W. Bush en 2005, avec le succès que l’on connaît … Tout ceci interroge quant aux raisons ayant conduit le comité Nobel à primer une personnalité portant à minima atteinte à deux des trois critères établis dans le testament d’Alfred Nobel, à savoir la résistance à la militarisation de la société et le soutien à une transition pacifique vers la démocratie.

 

            Cela interroge d’autant plus que l’opposition à Maduro est loin d’être réductible à la seule figure de Machado : au sein même de l’opposition de droite, les méthodes qu’elle prône sont notamment contestées par Henrique Capriles, autre opposant historique du chavisme qui rejette quant à lui toute forme d’ingérence extérieure dans la résolution de cette crise politique. Si, au-delà du désaccord stratégique, celui-ci soutient cependant la cure néolibérale par ailleurs prônée par Machado – qui s’est notamment vu attribuer le sobriquet de « Thatcher vénézuélienne » pour avoir par exemple prôné à plusieurs reprises la privatisation intégrale d’entreprises stratégiques telles que le pétrolier PDVSA[4] -, il est également nécessaire de préciser que ce rejet de l’intervention publique dans le marché ne traverse pas non plus toute l’opposition vénézuélienne. Le parti communiste vénézuélien (PCV) lui-même est notamment entré dans l’opposition en vue de dénoncer le revirement idéologique d’un gouvernement qui rompt à leurs yeux avec l’ère Chavez en consolidant un « modèle de capitalisme dépendant (…) en contradiction avec les intérêts des travailleurs »[5]. Notons également que c’est à l’heure actuelle l’opposition de gauche qui subit le plus les foudres de l’administration maduriste[6], pour qui la consolidation d’une opposition de droite radicale est nécessaire à la perpétuation d’une rhétorique anti-impérialiste indispensable à sa survie, bien que dévoyée par la présence accrue d’intérêts russes et chinois dans les secteurs stratégiques du pays.

 

            C’est ainsi que ce prix Nobel de la Paix risque paradoxalement d’intensifier la perspective d’escalade guerrière au Venezuela : d’une part, il vient appuyer, à travers la figure de Machado, la conception trumpienne des relations internationales qui, derrière la rhétorique isolationniste, s’apparente plus à un recentrage de l’impérialisme étasunien sur la sécurisation de sa zone d’influence traditionnelle. Par-là même, ce prix risque d’autre part d’exacerber la répression interne au Venezuela sous couvert de lutte contre toute forme de subversion susceptible d’être aux mains de l’impérialisme trumpien.

 

            Si cette décision semble ainsi difficilement compréhensible, une piste d’explication pourrait être le confusionnisme ambiant consistant à assimiler libéralisation de l’économie et défense des libertés individuelles, l’engagement actif de Machado en faveur de l’ouverture de l’économie vénézuélienne aux capitaux privés semblant suffire pour occulter, aux yeux du comité Nobel, le fait qu’elle ait mêlé sa signature à celles de figures d’extrême-droite telles que Javier Milei, Marion Maréchal Le Pen ou encore, le pinochetiste José Antonio Kast dans le cadre de la charte de Madrid lancée en 2020 par le parti néo-franquiste Vox[7]. La joie non dissimulée de nombre d’éditorialistes et élus libéraux à la suite de sa nomination vient mettre encore un peu plus en lumière cette porosité entre droite radicale et marchés, ces derniers omettant de rappeler que la première expérimentation concrète de l’idéologie néolibérale s’est accompagnée d’une limitation considérable des libertés individuelles dans le Chili d’Augusto Pinochet. Il est ainsi regrettable de constater que les mêmes qui appellent la gauche à la responsabilité et à la nuance à longueur de journée ne s’imposent pas ces deux impératifs lorsqu’il s’agit de défendre la paix et le droit international …

 

           

[1] VENTURA Christophe, « Au Venezuela, une crise sans fin », Le Monde diplomatique, octobre 2024.

[2] CEPR, « Venezuela’s disputed election and the pathforward”, 12 août 2024.

[3] https://insightcrime.org/es/noticias/acusan-presidente-ecuador-vinculos-con-narcotrafico/

[4] POSADO Thomas, « Venezuela : Maria Corina Machado, nouvelle figure du radicalisme de droite », France Culture, 26 octobre 2023 ; https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/venezuela-maria-corina-machado-nouvelle-figure-du-radicalisme-de-droite-7868137

[5] BENOIT Cyril, « Venezuela : les communistes pour une alternative populaire à la crise », PCF, Secteur International ; https://www.pcf.fr/venezuela_les_communistes_pour_une_alternative_populaire_la_crise

[6] BRACHO Yoletty, « Venezuela : du Nobel de la Paix au spectre de la guerre », 17 octobre 2025 ; https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/venezuela-du-nobel-de-la-paix-au-spectre-de-la-guerre-5933320

[7] https://fundaciondisenso.org/wp-content/uploads/2021/09/FD-Carta-Madrid-AAFF-V29.pdf

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La France va-t-elle laisser passer sous pavillon américain le champion européen de la sécurisation des emails ?

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A chaque semaine son lot de déconvenue dans la France de Macron. Qui s’intéresse un minimum aux questions de souveraineté industrielle, technologique ou numérique ne peut qu’être effaré par le nombre d’entreprises stratégiques françaises qui passent, dans le silence des médias, sous pavillon américain. Dernier exemple en date, l’entreprise Vade security.

Fondée en 2008, l’entreprise française Vade s’est imposée comme l’un des champions européens de la protection de la messagerie électronique et de la lutte contre les cyberattaques. Pour diligenter chaque année un rapport au PLF sur les questions de cybersécurité, je suis bien placé pour savoir qu’un tel savoir-faire est indispensable à notre pays, et plus largement à notre continent. Le président Macron, en 2021 lors de la présentation de sa stratégie pour la cybersécurité, d’abonder en ce sens, lui qui citait Vade comme « l’une des entreprises les plus prometteuses ». Son savoir-faire technologique est aujourd’hui mobilisé par de nombreux opérateurs publics et entreprises stratégiques, y compris dans des secteurs régaliens.

Rachetée en 2024 par le groupe allemand Hornetsecurity, Vade devait poursuivre son développement au sein d’un écosystème européen de la cybersécurité. Si l’eurosceptique en moi aurait pu voir d’un mauvais œil un tel rachat, ce dernier était en réalité destiné à créer un champion européen de la cybersécurité en unissant les forces des deux entreprises. Ce qui, à mes yeux, va dans le bon sens tant l’échelle continentale bien aiguillée permet d’amplifier la puissance d’une entreprise d’une telle importance stratégique.

Or, en mai 2025, coup de tonnerre. Hornetsecurity a annoncé son projet de cession à Proofpoint, son concurrent américain, pour un montant estimé à plus d’un milliard de dollars.

Cette perspective suscite de vives inquiétudes. Et c’est un euphémisme. Y verrait-on une nouvelle forfaiture qu’on ne s’y tromperait d’ailleurs certainement pas.

D’une part, parce que Proofpoint avait entretenu par le passé des relations conflictuelles avec Vade, allant jusqu’à l’attaquer en justice pour « vol de secrets d’affaires » en 2019, litige qui avait coûté près de 50 millions d’euros à la start-up française avant sa résolution.

D’autre part, parce qu’elle pourrait placer une technologie française stratégique sous la juridiction extraterritoriale américaine, notamment au regard du Cloud Act, qui autorise, dans certaines conditions, l’accès par les autorités américaines à des données hébergées hors du territoire des États-Unis. Ce rachat, s’il devait aboutir sans garantie claire, constituerait une énième perte de contrôle. Une perte de souveraineté, en somme. Que la France laisse filer, dans un silence coupable, un joyau technologique cité par le président de la République lui-même comme emblème de la cybersécurité nationale relève d’une faute politique majeure.

La France n’a pas les mains liées. Le décret Montebourg pris en 2014 dans le sillage du rachat d’Alstom par General Electric, confère à l’État le pouvoir de poser son veto à toute acquisition étrangère portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation dans des secteurs jugés stratégiques – parmi lesquels figure depuis 2019 la cybersécurité. En vertu de ce dispositif, le ministre de l’Économie peut subordonner une telle opération à des engagements précis, voire l’interdire purement et simplement si la cession compromet la sécurité nationale ou la maîtrise des technologies critiques.

Autrement dit, le gouvernement dispose des leviers juridiques nécessaires pour bloquer la vente de Vade à Proofpoint, ou à tout le moins pour en encadrer strictement les conditions. Ne pas s’en saisir reviendrait à admettre que notre souveraineté n’est pas qu’un slogan creux, brandi lors des crises mais abandonné dès qu’il s’agit de résister à la puissance de l’argent.

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VUE DU PERCHOIR – LA TRAGI-COMEDIE MARXIENNE DE SEBASTIEN LECORNU, UNE CRISE DES ECHELLES ?

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Dix mois après sa nomination ratée, un mois après sa nomination, une semaine après son premier gouvernement, deux jours avant son deuxième gouvernement, on ne sait plus si l’on doit en rire ou en pleurer. Chaque semaine, Romain Troussel-Lamoureux chronique l’actualité parlementaire et politique pour Le Temps des ruptures.

Combien de fois l’histoire doit-elle se répéter pour que la farce devienne impossible ? Pour que l’esprit d’Emmanuel Macron ait épuisé entièrement notre réel politique ? C’est peut-être en géographe qu’il faut réfléchir ici, emboîter les échelles pour saisir l’ampleur de la crise politique et institutionnelle dans laquelle nous nous trouvons.

Et ainsi commencer par repartir de la plus petite échelle qui soit. La mondialisation et son association avec un capitalisme de la fragmentation[1] réduisent de manière croissante les États à des entrepreneurs d’eux-mêmes, s’offrant à qui mieux mieux à des firmes transnationales gargantuesques. Longtemps réticent à ces logiques et doté d’une très grande estime de lui-même, l’État français s’y plonge résolument grâce à François Hollande. Las, cette ligne politico-économique est poussée depuis à l’extrême. Le dumping socio-fiscal est une des grandes lois économiques de notre Europe.

Mais derrière cette échelle mondiale se déploient nos réels politiques, encore profondément nationaux. Brexit, Meloni, AfD, PiS ici, Trump là-bas, nos matrices socio-politiques déraillent face à des logiques mondiales intangibles à leurs pouvoirs d’action. Où se situe la France dans cet ensemble ?

Juste avant la crise, si dure à définir, semble-t-il. Mais qui pourrait nier aujourd’hui la définition du Trésor de la Langue Française. La crise est une « situation de trouble profond dans laquelle se trouve la société ou un groupe social et laissant craindre ou espérer un changement profond. » Tout y est. La situation de trouble est commune à toutes les démocraties libérales capitalistes, incapables de s’organiser politiquement pour gérer leur dépassement par un système économique mondialisé. La société française s’y trouve plongée. Certains espèrent, ou encouragent un profond changement dont on ne sait néanmoins pas comment il aura lieu puisque leur marge de manœuvre reste avant tout nationale. D’autres craignent la crise, craintifs de gauche et craintifs de droite, mais sont bien en peine de l’empêcher.

Reste le briquet. Un briquet aux yeux azurs qui depuis des mois à l’Élysée presse frénétiquement la pierre à briquet contre la molette pour produire le plus d’étincelles possibles, tentant de faire accroire à tous qu’il est une lampe-tempête inextinguible. 

Alors attention mesdames et messieurs, dans un instant, on va commencer. Installez-vous dans votre fauteuil bien gentiment. Le spectacle se déroule sous nos yeux, quasiment cathartique étant donné l’éloignement actuel entre la politique et les citoyens.

Vieux routier de la politique gourmand de prophéties auto-réalisatrices, Jean-Luc Mélenchon le dit depuis 2022 : cela ne s’arrêtera plus avant la démission du Président de la République. Et, en l’absence de tout horizon rationnel qui caractérise l’époque, qui sait ce qu’il adviendra après …

[1] : Quinn Slobodian, Le Capitalisme de la fragmentation

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VUE DU PERCHOIR – LA TRAGI-COMEDIE MARXIENNE DE SEBASTIEN LECORNU, UNE CRISE DES ECHELLES ?

Dix mois après sa nomination ratée, un mois après sa nomination, une semaine après son premier gouvernement, deux jours avant son deuxième gouvernement, on ne sait plus si l’on doit en rire ou en pleurer. Chaque semaine, Romain Troussel-Lamoureux chronique l’actualité parlementaire et politique pour Le Temps des ruptures.

Le mardi 9 janvier, les parlementaires norvégiens ont voté en faveur de l’exploration minière d’une partie de ses grands fonds marins. C’est l’archipel arctique de Svalbard qui fera l’objet des premières explorations : plus de 280 000 kilomètres carrés.

La Norvège devient ainsi l’un des premiers Etats au monde à autoriser ces explorations qui ont pour objectif final de faire du pays l’un des grands producteurs mondiaux de minerais. Le Royaume espère à moyen-terme être un maillon essentiel du commerce mondial de cuivre, manganèse, colbalt, zinc ou encore de lithium. Autant de métaux stratégiques nécessaires à la production de nombreux appareils électroniques mais également à la transition énergétique : « Nous avons besoin de minéraux (car) nous devons mener une transition verte sous la forme de cellules et de panneaux solaires, de voitures électriques, de téléphones mobiles », explique la députée travailliste Marianne Sivertsen Naess, cité dans les Echos(1).

Au-delà des enjeux commerciaux, la Norvège souhaite ainsi réduire sa dépendance (qui est d’ailleurs commune à l’ensemble des pays européens) vis-à-vis de la Russie et de la Chine en métaux stratégiques. L’exploitation des métaux stratégiques que contiennent les grands fonds marins répond, selon le Premier ministre Jonas Gahr Støre, constituerait un atout indénaible pour l’industrie norvégienne.

Une autorisation parlementaire sur fond de contestation

Loin de faire l’unanimité, l’autorisation de la prospection minière des grands fonds marins a entraîné des manifestations de militants internationaux et d’associations environnementales. L’extraction des minerais pourrait avoir des répercussions irréversibles sur des habitats naturels et des espèces encore peu connus mais possiblement essentiels pour l’écosystème. Le risque est également grand d’endiguer la capacité d’absorption du plus grand réservoir mondial de carbone qu’est l’océan. 

Références

(1)https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-norvege-lance-la-prospection-miniere-de-ses-fonds-marins-2045453

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VUE DU PERCHOIR – LE PARADOXE DU FOU SAGE

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Il y a depuis huit ans à l’Elysée un homme dont la marque de fabrique politique a été la torsion constante de nos institutions démocratiques. Plus que depuis un demi-siècle. Le cadre, les règles, les garde-fous lui font horreur. Son credo est la limite, toujours sur la brèche, jamais dedans. Chaque semaine, Romain Troussel-Lamoureux chronique cette actualité parlementaire et politique pour Le Temps des ruptures.

On le dit proche de Giulano Da Empoli. Ses modèles, ce seraient donc ces prédateurs dont l’illimitation des désirs passe parfois pour de la puissance politique ? Las, la comparaison s’épuise vite. Le président de la République française ne fait pas découper ses opposants, il n’organise pas de coups d’Etat.

Pourtant la situation a de quoi interroger. Hormis les partis antisystèmes, les demandes de présidentielle anticipée se font maintenant entendre depuis l’intérieur même de ce qui fut le cœur du pouvoir macroniste. Le dernier tireur en date est Edouard Philippe qui réclame avec force l’organisation rapide d’une présidentielle anticipée après un vote expédié d’un budget technique. L’héritier Attal ne va pas aussi loin mais désormais, « il ne comprend plus » ce président qui cherche à tout prix à garder la main. Appétits élyséens de Brutus patentés diront les éditorialistes habituels de la vie politique française.

Et si la question était plus grave ? Et si le président, de toujours jupitérien, se révélait peu à peu dans une figure de fou sage. Ce dernier, trope classique de la littérature depuis l’antiquité, fait d’un personnage reconnu comme fou une source paradoxale de sagesse. On a longtemps mis en avant sa disruption. Il cassait les codes, il n’a maintenant plus de limites ni de barrières. Il n’était ni de droite ni de gauche, il est aujourd’hui le contempteur autoritaire du Parlement qui, fort d’une nouvelle méthode, pourrait sauver le pays de la ruine. Il possédait une vision révolutionnaire pour un pays endormi et englué par sa classe politique, il n’est plus qu’un César ombrageux arc-bouté sur de maigres réussites.

En réalité, Emmanuel Macron n’a pas changé. Ce qui a changé, ce sont les regards d’une élite qui protège de moins en moins le fils prodigue de la caste. Ces huit années, les interrogations ont été constantes sur sa lucidité politique et sur la solidité de ses valeurs démocratiques : les ordonnances, l’affaire Benalla, les Gilets Jaunes, la gestion du début de la pandémie, la réforme des retraites, la dissolution, la triple nomination de Premiers ministres issus de partis politiques affaiblis.

On n’a de cesse, à raison, de pointer les risques pour l’Etat de droit en cas d’accès au pouvoir du Rassemblement national. Mais il y a depuis huit ans à l’Elysée un homme dont la marque de fabrique politique a été la torsion constante de nos institutions démocratiques. Plus que depuis un demi-siècle. Le cadre, les règles, les garde-fous lui font horreur. Son credo est la limite, toujours sur la brèche, jamais dedans.

« Les institutions étaient dangereuses avant moi. Elles le seront après moi » disait un de ces prédécesseurs. Nul besoin du RN pour vérifier la formule. Ce président a essoré des institutions faites pour résister à une guerre civile.

Sa principale œuvre, c’est la négation de la politique et la diffusion de cette négation dans la société. Nous en sommes plus à nous questionner sur le flot montant de l’extrême-droite, mais à nous rendre compte que 44% des Français souhaitent désormais un Premier ministre issu d’aucun parti politique, issu de la société civile ou du monde de l’entreprise.

Voilà son bilan. Il a prouvé méthodiquement, en bafouant peu à peu toutes les pratiques politiques de la Ve République, que la politique ne pouvait pas transformer le réel. Dès lors, à quoi sert-elle ?

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