Mariage dès 9 ans en Irak : Quand la loi de Dieu s’impose, les droits des femmes reculent

Mariage dès 9 ans en Irak : Quand la loi de Dieu s’impose, les droits des femmes reculent

Un vent de régression souffle sur l’Irak, et ce sont les droits des femmes qui risquent d’être emportés. Le Parlement irakien s’apprête à débattre d’un projet d’amendement qui, sous couvert de liberté religieuse, pourrait permettre aux autorités islamiques de régenter des pans entiers de la vie familiale. Adopté, cet amendement autoriserait le mariage des filles dès l’âge de neuf ans en vertu de la loi islamique.

Crédits photo : Ahmad Al-Rubaye – AFP

Oui, neuf ans. Comment ne pas voir dans ce projet un recul vertigineux ? En 1959, l’Irak adoptait la loi 188, considérée comme l’une des plus progressistes du Moyen-Orient. Elle garantissait des protections pour les femmes, établissait des règles d’héritage égalitaires et permettait aux femmes de divorcer. Ce texte était alors un phare de modernité. Aujourd’hui, ces acquis sont attaqués de toutes parts par des forces qui se drapent dans la religion pour mieux asseoir leur domination politique.

La coalisation chiite au pouvoir s’obstine à faire passer cet amendement depuis de nombreuses années, mais il semble selon les experts que cette fois, elle y parviendra, notamment grâce au soutien des autorités religieuses sunnites.

Les divisions religieuses, si elles ont provoqué au fil des siècles guerres et massacres, s’estompent dès lors qu’il est question de violer les droits des femmes. 

Avec cet amendement, les Irakiens auraient la possibilité de choisir entre les autorités religieuses et l’Etat pour légiférer sur des questions comme l’héritage, le divorce, la garde des enfants, mais aussi le mariage. Permettre de choisir entre loi civile et loi religieuse en matière familiale n’est pas une liberté. Sous la loi islamique, les droits des femmes s’effondrent : mariage dès 9 ans, interdiction de divorcer, inégalités flagrantes en matière d’héritage. Paré des atours de la liberté, ce « choix » n’est qu’une façade : dans une société patriarcale, les femmes subiront la pression sociale et familiale les pressant de se soumettre à la loi religieuse. Selon une formule bien connue d’Henri Lacordaire, député d’extrême-gauche de la Constituante[1] de 1848, « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur », et l’on pourrait ajouter entre l’homme et la femme, « c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». La loi civile protège bien davantage que la loi des pairs et des pères.

En fragmentant la justice, en fragmentant le droit familial, cette mesure détruit l’égalité devant la loi et sacrifie les plus vulnérables. L’État abdique son rôle de garant des droits fondamentaux et laisse le patriarcat sanctifié dicter ses règles.

Les femmes adultes ne seraient, du reste, pas épargnées. Finie la possibilité de divorcer, adieu à la garde des enfants ou aux droits successoraux. Ce projet, porté par une coalition de partis chiites conservateurs, n’est rien de moins qu’une tentative de renvoyer les femmes irakiennes à l’époque où leur seul rôle social se limitait à servir leur mari et leur famille. Sous couvert de piété, c’est une entreprise méthodique de dépossession des droits élémentaires. Mais peut-être se risquerait-on à dire que la piété ne peut qu’entrainer, lorsqu’elle est politisée, qu’une entreprise méthodique de dépossession des droits élémentaires.

Cette mesure réactionnaire n’est que le prolongement d’une politique répressive et régressive des conservateurs chiites. En avril dernier, ont été criminalisées les relations homosexuelles et les interventions médicales pour les personnes transgenres, marquant une autre étape dans leur croisade (sans mauvais jeu de mot) contre les libertés individuelles. Leur stratégie est claire : utiliser la religion pour saper les droits, diviser la société et asseoir leur pouvoir.

Le danger est immense. Si cet amendement est finalement adopté, il enverra un message désastreux : celui qu’il est acceptable, au XXIe siècle, de sacrifier les femmes et les filles sur l’autel de la loi religieuse.

Références

[1] Et pourtant moine ! Dans un temps, celui de la révolution de 1848, où républicanisme et catholicisme n’étaient pas encore devenus des ennemis. 

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Droitisation de la France, mythe ou réalité ? Entretien avec Vincent Tiberj

Droitisation de la France, mythe ou réalité ? Entretien avec Vincent Tiberj

La droitisation française, mythe et réalités », le sociologue Vincent Tiberj met en cause l’hypothèse d’une droitisation des Français, qu’il distingue de la droitisation de l’offre politique. Il nous a accordé un entretien pour en débattre.

LTR : La thèse principale de votre ouvrage consiste à montrer que la droitisation électorale ne se traduit pas par une droitisation politique des Français. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

C’est un paradoxe vieux comme la démocratie. Il revient au hiatus existant entre ce que les citoyens pensent, ce qu’ils sont politiquement, et ce qu’on leur laisse exprimer par des instruments particuliers, en l’occurrence souvent le vote. La démocratie est théoriquement le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Mais en réalité en démocratie représentative ce sont des élus qui font parler le peuple. On ne sait pas trop comment faire s’exprimer la voix du peuple, fut un temps c’était par les urnes, mais ça ne suffit plus.

Selon la question qu’on pose, la façon dont on la pose, on n’aurait pas les mêmes votes. Imaginez qu’on fasse un référendum par exemple sur la réforme des retraites, les réponses seraient très différentes d’une élection où la voix d’un citoyen se transforme (éventuellement contre son gré) uniquement en soutien pour un candidat ou une liste. Rien que cette transformation-là déforme les voix. Des voix aux votes, il y a beaucoup d’éléments qui ne se perçoivent pas. D’autant plus quand, c’est le cas en 2017 et 2022, on vote non pas pour son candidat favori mais pour des questions tactiques – notamment pour éliminer le pire candidat.

Quand on se contente de regarder les équilibres au sein des institutions nationales, les voix des citoyens ne se reflètent pas nécessairement.


LTR : Dans votre deuxième chapitre, vous revenez sur la droitisation par le haut, notamment du monde médiatique intellectuel et politique. En précisant qu’en réalité ce n’est pas tant une droitisation quantitative qu’un accroissement de la résonnance de ces « intellectuels ». Ne pourrait-on pas vous objecter que cette visibilité grandissante n’est que « justice » face à ce qui a été longtemps une hégémonie intellectuelle de la gauche ?

Dans mon livre, j’ai cherché le moyen méthodologique le moins mauvais possible pour discerner les évolutions idéologiques de la société française et des citoyens. Ce qui me permet de dire que ce qui se passe en haut n’est pas ce qui se passe en bas, c’est parce que j’ai travaillé sur le « en bas ». A travers des indices longitudinaux, qui permettent de compiler des séries de questions sur des mêmes sujets, je peux analyser des tendances sur le temps moyen et long. C’est à cette aune-là que je dis qu’il n’y a pas de droitisation sur les questions d’immigration, les questions culturelles, et même les questions sociales. On est plus ouverts, largement plus ouverts, quant au respect des droits LGTBQUIA+, de la diversité, etc. Pour le socioéconomique c’est plus compliqué, il y a des hauts et des bas, mais les demandes de redistribution remontent.

Alors que les voix de la droitisation, celles qui participent à ce que j’appelle un conservatisme d’atmosphère, qui s’appuie sur le « bon sens de la majorité silencieuse ». Ils seraient « la voix des sans-voix ». Donc ça interroge, d’autant plus que ces intellectuels conservateurs sont moins importants qu’on le pense, ou du moins ils sont circonscrits à certains champs. Ils arrivent toutefois à peser sur l’agenda, sur le cadrage médiatique. Ils parviennent à régulièrement mobiliser sur le grand remplacement, l’ensauvagement, l’islam, le wokisme, les impôts, les services publics etc. Ces cadrages mettent surtout dans l’embarras les journalistes.

Prenons l’exemple de Crépol. C’est un affrontement entre deux bandes de jeunes, et ça aboutit à la mort de Thomas. Mais des affrontements de ce type, on en avait connus dans les précédentes décennies, vous avez même un chanteur comme Renaud qui en parlait. Les journalistes locaux ont par exemple expliqué que l’affaire était plus compliquée qu’une affaire de « lutte des civilisations », mais le cadrage de l’extrême-droite a pris dans les grands médias, dans les médias traditionnels. Ça pose des questions sur le fonctionnement du journalisme aujourd’hui.

Ce qui permet aussi de relativiser, c’est la part d’audience de cette extrême-droite. CNews, pour parler de l’éléphant dans la pièce, n’est qu’à 3,2% de part d’audience en septembre 2024. Très loin de TF1, France 2, en matière de part d’audience Cnews ce n’est guère plus qu’Arte (2,8%). Mais ce qui est frappant, c’est l’écho que parviennent à avoir les thématiques et cadrages abordés dans les émissions de la chaîne de Bolloré. Il y a eu le travail de Frédérique Matonti, Comment sommes-nous devenus réac’ ?, qui interrogeait la centralité de nombreux acteurs intellectuels, qui d’ailleurs souvent se disent de gauche, d’une gauche déçue. Mais en fait la prétendue trahison intellectuelle de la gauche dont ils parlent, c’est déjà présent dans les années 1990. Cette figure de la trahison de la gauche, on la retrouve aussi parmi des jeunes, je pense notamment à Paul Melun. Il a 30 ans, et il vient nous expliquer que la gauche a trahi, que ce n’est plus sa gauche, mais il n’a rien connu d’autre ! C’est quelque chose que montrent très bien Étienne Ollion et Michaël Foessel dans Une étrange victoire, l’extrême droite contre la politique. Ces intellectuels-là sont d’abord dans une logique de dénonciation de la gauche, ils ne proposent rien de concret. Ils donnent beaucoup d’importance à des enjeux ou des sujets minoritaires à gauche, comme la transidentité ou le véganisme. Quand ils rentrent en panique morale sur l’enseignement à la sexualité au collège, c’est paradoxal parce que selon eux la gauche est à la fois complaisante vis-à-vis des islamistes, mais en même temps promotrice d’un agenda LGBTQUIA+. Il faut savoir ! La cohérence n’est pas leur problème.

Souvent ils parlent de la note de Terra Nova, la fameuse note de 2011 (dans laquelle mon travail est mobilisé d’ailleurs). Lucas Blériot dans son mémoire de master montre le retour régulier de cette note dans le débat public. Ces intellectuels de droite considèrent que la gauche a abandonné la question sociale. Mais c’est beaucoup plus compliqué, certes le Parti socialiste de Hollande l’a délaissée, mais les intellectuels de gauche, les syndicats et le reste de la gauche partisane qui aujourd’hui est plus important que le PS, eux ne l’ont absolument pas abandonnée. Vous remarquerez que cette droite dénonce l’abandon de la question sociale par la gauche, mais elle ne parle quant à elle jamais de la lutte des classes.

La droitisation par en haut n’est pas si hégémonique. La gauche n’a pas l’équivalent de CNews. C’est faux à cet égard de penser que France Inter serait le pendant de CNews. Oui on peut comparer au niveau des publics celui d’Inter est autant à gauche que celui de CNews est à droite, mais ça ne l’est pas en matière d’exercice du métier, en matière de déontologie, de force de la rédaction. De là à penser que Nicolas Demorand est le double inversé de Pascal Praud… Mais la droite joue sur l’idée qu’il y aurait une hégémonie intellectuelle de la gauche, et que c’est simplement un retour de balancier. Mais c’était quand l’hégémonie intellectuelle de la gauche ? Libération n’a jamais eu les ventes du Parisien, France Inter était derrière Europe 1, et avant vous aviez l’ORTF !

En revanche ce qui est différent aujourd’hui c’est la capacité de ces intellectuels de droite à peser sur l’agenda d’élus qui ne sont pas du Rassemblement national. Là ça doit nous interroger et ça renvoie probablement à la perte d’enracinement, notamment à droite, au centre et dans une partie du Parti socialiste. Les déracinés, ce ne sont pas les sociologues mais bien les politiques qui pensent que CNews est représentatif de la France.


LTR : Sur l’indice longitudinal des questions économiques, il y a une demande de redistribution mais par ailleurs vous pointez une idéologie anti-assistanat qui semble être devenue dominante. Par ailleurs, sur les questions culturelles, le RN ne se revendique plus tant que ça conservateur. Sur l’évolution électorale, pourrait-on parler de lepénisation électorale ? Le programme du RN ne serait-il pas le programme idéal de l’électeur moyen ?

Non, le RN n’a réussi à engranger qu’un tiers des voix. C’est beaucoup, mais c’est loin d’être suffisant pour gouverner avec une majorité des citoyens (mais est-ce le but ?). Le front républicain, bien que fragile chez nombre d’électeurs du centre et encore plus à droite, a tenu. Comme vous dites, sur les questions sociétales, le RN épouse la composante majoritaire de l’électorat français. On ne sait pas si c’est de l’adhésion ou de la stratégie, il y a évidemment des ultra-conservateurs au RN qui promeuvent un conservatisme culturel, mais les figures comme Marion Maréchal Le Pen ont quitté le navire, participant ainsi à la dédiabolisation sur les enjeux sociétaux. Et malgré tout cela, ils sont vent debout contre le « péril woke ». Reprenez le discours de Marine Le Pen le 1er mai l’année dernière, elle part dans une diatribe sur le wokisme comme danger. De la même façon, le RN a plusieurs fois essayé de mettre en place des systèmes de contrôle de « l’islamo-gauchisme », l’écriture inclusive ou autre.

Je reviens sur la question de l’assistanat, vous mettez le doigt sur un élément trop peu souligné. Il y a clairement une demande de redistribution, notamment chez les ouvriers et les employés. Mais en même temps cette idée de conscience triangulaire qu’évoquait Olivier Schwartz est très clairement dans les imaginaires, notamment dans la classe de ceux qui ont un emploi mais ne s’en sortent pas très bien. Il y a cette idée des « petits moyens », qu’on a vue émerger dans les années 2000/2010. Ils se sentent d’abord moyens alors qu’ils sont plus proches économiquement des petits, et donc en matière d’imaginaire ils ne sentent pas solidaires avec les plus pauvres. Cela permet de faire comme s’il n’y avait pas d’inégalités de classe. Les inégalités sont individualisées, chacun voit ses problèmes et l’injustice qu’’il subit sans faire le lien avec les autres. Ça s’est vu avec le « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy, avec Wauquiez qui voulait incarner la « droite sociale » contre « l’assistanat ». En plus, le RN racialise cette question sociale, en attestent les travaux de Félicien Faury. L’identité subjective de classe est donc essentielle. Auparavant, vous aviez plus de gens qui se sentaient appartenir à la classe ouvrière que de personnes qui étaient vraiment des ouvrières et des ouvriers ! Il y avait une logique du « nous », d’un « nous » capable de faire changer les choses. Désormais, les gens ont moins conscience d’appartenir à une classe sociale, et quand c’est le cas c’est souvent la classe moyenne. Cela crée un changement d’imaginaire majeur.


LTR : Selon vous, un des facteurs de réussite du RN est sa capacité à jouer sur des « cordes normatives », en l’occurrence bien davantage sur les enjeux culturels (identité, immigration) que socioéconomiques, sachant que sur ces derniers il est moins bon que la gauche par exemple. Vous ajoutez que la gauche a aussi joué sur ses cordes pour s’attirer de nouveaux électeurs, ce que vous appelez les « libéraux-libertaires ». Cela appelle deux questions. D’une part, lorsqu’un sujet de gauche est mis à l’agenda médiatique, avec en plus un cadrage plutôt favorable – je pense notamment à la mobilisation contre la réforme des retraites – force est de constater que la gauche ne monte pas dans les sondages. D’autre part, votre analyse ne prête-elle pas le flanc à ceux qui pensent que « la gauche » aurait abandonné la question socio-économique pour des questions plus culturelles et sociétales ?

Il faut bien avoir en tête que Jean-Marie Le Pen a politisé les enjeux culturels depuis longtemps, mais en réalité la gauche avait commencé aussi à le faire. En 1981 avec la dépénalisation de l’homosexualité ou la peine de mort, Mitterrand cherchait à faire jouer des cordes normatives plutôt libérales qui pouvaient plaire à des femmes et hommes pas forcément intéressés par les questions sociales. Hollande, en 2012, récupère une partie des socio-autoritaires parce que Sarkozy était trop libéral, mais il récupère aussi des libéraux-libertaires qui votaient plutôt Bayrou parce qu’il était crédible sur cette question. En gros, « mon ennemi c’est la finance » et le mariage pour tous c’était un combo gagnant.

Le deuxième axe, l’axe culturel, est autant mobilisé à gauche qu’à droite. En revanche se pose à gauche la question de la crédibilité sur le socio-économique, notamment au Parti socialiste qui a été le parti dominant et qui a fortement déçu une partie de l’électorat de la gauche. LFI, je ne pense pas qu’ils aient ce problème. Les Verts, il faut aussi qu’ils s’y mettent. Le vrai souci aujourd’hui, c’est la question de la doctrine économique du PS. On sait que ça a commencé à travailler le PS depuis un certain moment. D’accord, il y a le tournant de la rigueur de 1983. Mais quand vous y réfléchissez, le mandat de Jospin Premier ministre de 1997 à 2002 ça fonctionne bien ! Le PS marchait sur ses jeux jambes : jambe sociale (35h, CMU) et jambe culturelle (PACS, loi sur la parité, régularisation). A ce titre, l’analyse de la défaite de Jospin en 2002 est à mon avis mauvaise. 50% des proches du PS n’ont pas voté Jospin parce qu’ils trouvaient son programme pas assez à gauche… Ce n’est pas l’enjeu de la sécurité qui explique sa défaite.

On peut se demander si le PS, notamment Hollande, n’a pas utilisé les questions socio-économiques comme un marqueur identitaire, un marqueur obligé d’un programme de gauche, sans pour autant adhérer à un véritable « socialisme ». Ceux qui tenaient le PS étaient plus favorables à la troisième voie de Blair et Schröder, une sorte de « there is no alternative » de gauche. Le PS ne se sentait plus d’investir sur ces questions-là. Surtout cela a cassé dans l’électorat : entre 2012 et2014 la gauche recule chez les employés, les ouvriers, les jeunes, ; sans que cela ne profite à la droite et cela n’est toujours pas résorbé.

Mais pour revenir à votre question sur la mobilisation contre la réforme des retraites, on touche à une théorie que je défends dans mon livre, celle de la « Grande démission ». Les citoyens n’avaient pas forcèment les idées très claires sur la réforme Borne, mais après 3 mois de débat, ils savaient. Donc indubitablement il y avait une forte opposition à la réforme chez les Français. Mais ça n’a rien fait bouger en matière de positionnement politique, parce que les partis politiques qui incarnent la gauche, chacun présente des lacunes qui déplaisent à une partie de l’électorat. Un nombre conséquent d’électeurs de gauche ont voté pour Mélenchon en 2022 mais ne l’apprécient pas. De la même manière, beaucoup d’électeurs de gauche ont toujours une forte défiance vis-à-vis du Parti socialiste. En revanche quand il y a une alliance, comme avec la NUPES ou le NFP, ça fonctionne quand même mieux. Pendant ce temps-là, le RN a affirmé être contre la réforme, mais ça s’arrête là. La crédibilité de leur programme économique n’est pas un problème pour leur électorat.

A l’inverse, la mise à l’agenda des thématiques migratoires et le cadrage de ces questions ont largement favorisé le RN. L’extrême-droite n’a même pas besoin de lutter pour que ses thématiques soient sur le devant de la scène, la droite et les macronistes le font déjà très bien. Or on préférera toujours l’original à la copie, et dès lors que le centre et la droite parlent comme le RN, alors au fond le vote RN n’apparaît plus comme fondamentalement dérangeant ou marginal. Il n’y a pas de droitisation générale mais il y a une extrême-droitisation des électeurs de droite. Cette bascule est d’autant plus dangereuse que les générations les plus xénophobes et conservatrices, notamment celle des boomers, étaient celles qui résistaient malgré tout au vote RN. Désormais, c’est fini, le RN parvient à activer chez ces vieux électeurs (qui votent beaucoup) des cordes normatives très à droite. Vraisemblablement, les faire revenir en arrière maintenant qu’elles ont franchi le pas, ça va être très compliqué. Nous sommes donc dans une situation où le RN est favori. Il a un électorat constant, un électorat solide.


LTR : Dans votre indice longitudinal sur les questions de tolérance, vous évoquez l’immigration et la diversité. Vous n’incluez donc pas la sécurité, alors que cet enjeu est généralement parmi les plus plébiscités par les Français lorsqu’on leur demande ce qui les préoccupe. Comment vous appréhendez ce facteur dans l’hypothèse d’une éventuelle droitisation ?

C’est une bonne question. On n’a pas suffisamment de données pour en faire un facteur à part entière. Les quelques données que j’ai sont inscrites dans l’indice longitudinal culturel, mais de ce fait elles sont noyées dans d’autres éléments comme le genre ou la sexualité. Les questions qu’on retrouve alors sont celles de la peine de mort ou du laxisme de la justice. Et même sur cela, ça a quand même pas mal bougé. Contrairement à ce que beaucoup avancent, les Français sont bien plus opposés à la peine de mort qu’il y a quelques décennies.

Mais de fait, il n’y a plus de contestation du cadre imposé par Chirac, Sarkozy, Darmanin et les autres. L’insécurité, on en parle sur des faits divers, on part du principe qu’il faut des peines de plus en plus dures. Les questions de prévention, des services publics, des services sociaux, sont totalement mises de côté. Seule la répression est plébiscitée. Toutefois lorsqu’on teste des citoyens sur la proposition de police de proximité, ça fonctionne bien ! Sa mise en place par la gauche avait fait ses preuves, avant que Sarkozy ne la supprime. Faire exister des cadrages alternatifs sur les questions sécuritaires, c’est presque devenu impossible.


LTR : Ce que montre Faury, c’est aussi que la question de la sécurité est racialisée. Elle se fonde certes sur un vécu, mais sur un vécu qui par la suite est généralisé et essentialisé. Et ça semble être un élément de droitisation.

Vous avez raison. De la même façon, pourquoi des gens croient que le grand remplacement existe ? Ce n’est pas forcément parce qu’ils se font abrutir par CNews. Ces gens vivent dans le périurbain, et dès qu’ils se déplacent dans les grands centres urbains, ils sont frappés par la diversité ethnique, et craignent que leur lieu de vie devienne identique. Alors que pour les habitants des grands centres urbains, la diversité c’est leur quotidien depuis des décennies donc ils n’y voient aucun problème. La droitisation fonctionne parce que les acteurs qui la souhaitent mettent l’accent que sur certaines dimensions, naturellement celles qui leur sont favorables.

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Les Etats-Unis au bord de la guerre civile ? Entretien avec Mathieu Gallard

Les Etats-Unis au bord de la guerre civile ? Entretien avec Mathieu Gallard

Alors que l’élection présidentielle américaine arrive à grands pas, Mathieu Gallard, directeur d’études chez Ipsos publie Les États-Unis au bord de la guerre civile ? (Éditions de l’Aube). Il revient pour Le Temps des Ruptures sur les enjeux du scrutin et la polarisation idéologique et affective qui touche la scène politique américaine.
  • La thèse centrale de votre ouvrage consiste à montrer comment les électeurs américains, ainsi que leurs représentants, se sont progressivement polarisés pour aujourd’hui déboucher sur deux camps qui se font face. D’un pays faiblement politisé où le vote se faisait sur un attachement affectif à un parti, les États-Unis voient désormais des taux de participation record et des électeurs plus idéologiques que jamais. Quels facteurs expliquent cette lente homogénéisation sociale et idéologique des démocrates et des républicains ?

Effectivement, le paysage politique américain de l’après Seconde Guerre mondiale était l’exact opposé de ce qu’il est aujourd’hui : des partis politiques à la fois très modérés et composé d’élus très hétérogènes idéologiquement, et des électeurs mus par un attachement affectif aux partis souvent hérité de leur socialisation familiale, mais très peu par un attachement idéologique.

 

Tout change dans les années 1960, quand l’aile progressiste du parti démocrate menée par le Président Lyndon Johnson prend suffisamment de poids pour imposer à son aile conservatrice le vote de lois sur les droits civiques qui imposent la fin de la ségrégation raciale dans le Sud du pays. Conséquence, l’électorat conservateur – en fait, raciste et réactionnaire – du parti l’abandonne pour rallier le parti républicain, dont les électeurs progressistes font alors défection en sens inverse, en faveur des démocrates. En quelques années, les deux partis deviennent relativement cohérents idéologiquement, avec un parti démocrate qui se situe désormais assez clairement au centre-gauche et un parti républicain au centre-droit.

 

Ensuite, à partir des années 1980-1990, les deux partis s’éloignent de plus en plus. Ce phénomène a des causes très diverses. Tout d’abord, le phénomène de mise en cohérence idéologique des deux partis est évidemment lent : les flux d’électeurs et d’élus démocrates conservateurs vers le parti républicain (et vice-versa) s’étalent sur des décennies, ce qui renforce progressivement la radicalisation des partis. Il y a aussi des aspects liés au fonctionnement du système politique américain : le système des primaires, où la base électorale de chaque parti se mobilise fortement, ce qui favorise les candidats radicaux par rapport aux modérés ; le charcutage des circonscriptions électorales qui crée des districts très sûrs et dispense de plus en plus d’élus de faire campagne en direction de l’électorat modéré ; le système de financement de la vie politique, qui pousse les candidats à satisfaire les intérêts souvent radicaux des grandes entreprises, des riches donateurs ou des lobbys ; la montée dans les années 1990 des chaînes de télévision partisanes (Fox News à droite, MSNBC à gauche), suivies des réseaux sociaux dans les années 2010, qui créent des phénomènes de « bulles de filtres » enfermant les bases électorales politisées des deux partis dans des représentations du monde de plus en plus opposées…

 

 

  • Dans le sens inverse, l’on pourrait dire qu’au fossé politique se superpose dorénavant un fossé affectif entre électeurs. Aujourd’hui, à quel point les relations sociales entre électeurs démocrates et électeurs républicains sont-elles dans un déplorable état ?

Depuis une quinzaine d’année, on parle effectivement de plus en plus d’un phénomène de polarisation « affective » qui s’ajoute à la polarisation idéologique. Non seulement, les électeurs d’un parti sont de plus en plus éloignés de ceux de l’autre parti du point de vue idéologique, mais ils ont effectivement une perception de plus en plus dégradée de ces derniers : avant, ils étaient des adversaires, désormais ils deviennent des ennemis. De fait, le pourcentage de démocrates qui perçoivent les républicains comme malintentionnés, stupides ou malhonnêtes – et vice-versa – est désormais nettement majoritaire.

 

Cela a des conséquences sociales bien concrètes, avec des pans entiers de la population qui ont du mal à parler non seulement de politique, mais aussi de tous les enjeux qui ont trait de près ou de loin à leurs valeurs avec des personnes de l’autre bord, quand bien même il s’agit d’amis ou de membres de sa famille. On constate ainsi que seuls 9% des couples américains sont constitués d’un(e) démocrate et d’un(e) républicain(e) – un véritable effondrement au cours des dernières décennies.

 

 

  • Dans votre ouvrage, vous mettez en avant l’importance croissante des « guerres culturelles » dans le débat politique américain. Par quel(s) processus celles-ci ont supplanté les questions socio-économiques ? Et dans quelle mesure les questions économiques restent-elles prégnantes ?

Je ne sais pas si on peut vraiment résumer l’histoire politique américaine à une lente montée en puissance des enjeux culturels au détriment des enjeux socio-économiques. Après tout, des sujets éminemment culturels comme l’esclavage dans les années 1850-1860, la prohibition dans les années 1920-1930 ou les droits civiques dans les années 1950-1960 ont exercé une influence électorale majeure. Et a contrario, actuellement, les enjeux socio-économiques restent très importants aussi bien pour les candidats que pour les électeurs.

 

Il est néanmoins vrai que les débats sur l’accès à l’IVG, les droits des personnes LGBT ou des minorités raciales et l’acceptation de l’immigration sont très mis en avant par les candidats et jouent un rôle croissant dans les choix électoraux des Américains. Les mécanismes qui expliquent cette montée des enjeux culturels sont assez simples : ils sont plus propices à la polarisation, car il peut très facilement y avoir un rapport direct entre l’identité des citoyens et le positionnement des candidats. C’est moins le cas pour les enjeux socio-économiques, qui sont souvent plus complexes et nécessitent pour être décryptés un minimum d’intérêt et de connaissances. Pour un candidat qui, dans un contexte de polarisation, souhaite chauffer à blanc sa base électorale, les enjeux culturels sont bien plus porteurs que les enjeux économiques et sociaux.

 

 

  • La politique économique interventionniste d’un Joe Biden, notamment son plan de relance de 1 900 milliards de dollars en 2021, a-t-elle malgré tout des effets électoraux ?

C’est très difficile de démontrer clairement qu’une politique publique a des effets électoraux, et en tout cas qu’elle peut contribuer à modifier l’opinion et le vote des individus à grande échelle. J’aurais tendance à dire que non, tant la perception de la réalité par les électeurs est désormais totalement décidée à travers leurs a priori partisans. C’est particulièrement vrai sur le plan économique : les sondages sur le moral des ménages de l’université du Michigan indiquent que ce qui détermine le plus le sentiment des Américains vis-à-vis de la situation économique du pays, c’est leur proximité à un parti. Les républicains jugeaient très majoritairement que la situation économique était bonne sous le mandat de Donald Trump, avant que ce sentiment ne s’effondre au moment de l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche. Et pour les démocrates, le mouvement a été inverse. Dans ce contexte, les politiques publiques telles que le plan de relance de 2021 n’ont probablement pas convaincu beaucoup d’électeurs républicains de changer de camp, de même que les baisses d’impôts massives votées sous le mandat de Trump n’ont pas eu d’impact sur les électeurs démocrates.

 

 

  • L’on craint souvent, à tort ou à raison, que ce qui se déroule aux États-Unis arrive en France avec quelques années de décalage. De plus en plus, en France aussi, c’est notamment une des thèses du dernier livre de Vincent TIberj, les questions socio-économiques laissent place aux questions identitaires, culturelles, dans le débat public. S’achemine-t-on donc dans notre pays vers la même forme de polarisation politique ?

Certains des facteurs qui alimentent le processus de polarisation idéologique et affective aux Etats-Unis, comme le charcutage électoral des circonscriptions le système de primaires, l’utilisation massive de publicités politiques ou le financement privé quasi-illimité des campagnes électorales n’existent pas en France, ou en tous cas pas à la même échelle. En conséquence, nous n’en sommes clairement pas au même degré de polarisation dans notre pays

 

Mais clairement, la tendance à la polarisation des élus est à l’œuvre ici : la réforme des retraites, la loi sur l’immigration ou les débats actuels sur le budget sont l’occasion d’une hostilité virulente entre les députés, et les gouvernements utilisent toutes les ressources du « parlementarisme rationnalisé » face à des oppositions qui sont tentées par une obstruction farouche.

 

Mais est-ce qu’il y a, parallèlement à cette polarisation des élus, une polarisation des électorats ? C’est moins évident. Il me semble que les électorats de nos trois blocs sont à ce stade beaucoup moins homogènes socialement et idéologiquement que ceux des deux partis américains. Il reste des électeurs qui passent d’un bloc à l’autre – comme les électeurs de la liste Glucksmann aux européennes qui sont revenus vers le camp macroniste aux législatives, ce qui devient rarissime aux Etats-Unis. Enfin, le simple fait que nous sommes actuellement dans un contexte de tripartition est sans doute moins propice à un affrontement très fort dans les électorats qu’une situation binaire qui favorise la rhétorique du « eux contre nous ». Mais la dynamique en cours n’en reste pas moins à surveiller.

 

 

  • Vers la fin de votre livre, vous nuancez votre propos sur l’extrême polarisation américaine en démontrant que deux tiers de la population restent modérés. Quels seraient, selon vous, les leviers pour que ces modérés puissent reprendre une place centrale dans le débat politique ? Pensez-vous que la dépolarisation passe nécessairement par une refonte des institutions, des médias ou de l’éducation politique des citoyens ?

Effectivement, un point à garder en tête c’est qu’une part importante des Américains se qualifient encore de modérés malgré le contexte de polarisation. Mais déjà, cela ne veut pas forcément dire qu’ils le sont effectivement dans leurs valeurs et leurs idées. De plus, la très grande majorité de ces modérés s’identifient néanmoins, à des degrés plus ou moins fort, à un des deux partis : les vrais « indépendants », qui n’acceptent aucune proximité avec les deux partis, sont désormais très rares ; et les républicains « modérés » comme les démocrates « modérés » votent au final autant que les républicains « conservateurs » et les démocrates « libéraux » pour les candidats de leur parti.

 

Quand on regarde ce que proposent les experts et les universitaires pour ralentir voire affaiblir la dynamique de polarisation, cela passe souvent par redonner à ces modérés un poids plus important dans la vie politique. Tout d’abord, en renforçant leur participation électorale – car ils ont tendance à moins voter que les autres – en simplifiant les procédures (par exemple, vote le week-end ou un jour férié). Ensuite, en favorisant les moments d’échanges et de discussion entre des électeurs modérés des deux camps, qui se rendraient compte qu’ils sont en fait proches sur de nombreux sujets et pourraient influer sur leur parti. Enfin, en renforçant les procédures visant au compromis et aux projets bipartisans au Congrès pour redonner du poids aux élus modérés.

 

Tout ceci est très intéressant, mais il y a un écueil : dans le contexte actuel de polarisation massive, comment pousser les dirigeants de deux partis, qui sont très hostiles, à mettre en place des réformes institutionnelles et politiques qui les pousseront à travailler ensemble, alors que les bases électorales militantes ne le souhaitent pas ? A court-terme, ces pistes ne semble pas très opérationnelles, et il n’y a donc pas de solution évidente.

 

 

  • Le titre de votre ouvrage est plus radical que son contenu. Pensez-vous qu’une véritable guerre civile sourde à bas bruit outre-Atlantique ?

La conclusion, c’est effectivement qu’on n’en est sans doute pas rendu au point où une guerre civile stricto sensu pourrait se déclencher aux Etats-Unis, en tous cas à court et moyen-terme. Le poids de l’électorat modéré reste important dans les deux partis, et leur influence est donc forte. En tout état de cause Donald Trump ne dispose plus de ses pouvoirs présidentiels de 2020 et sa base la plus radicalisée a sans doute été refroidie par les peines très lourdes qui ont été infligées à certains des participants à l’invasion du Capitole le 6 janvier 2021. Il sera donc plus difficile de rééditer un évènement de ce type.

 

On peut donc éventuellement parler de guerre « civique » entre deux électorats qui ne partagent désormais plus guère de valeurs et d’aspirations communes, mais le vocable de « guerre civile » paraît donc trop fort pour qualifier la situation actuelle. Mais si la dynamique de polarisation s’amplifie dans les années à venir, alors rien n’est impossible.

 

 

  • Quelles seraient les conséquences d’une victoire des démocrates aux prochaines élections sur la polarisation américaine ? Et d’une victoire des républicains ?

Je ne vois pas très bien comment la victoire d’un des deux camps pourrait conduire à une réduction de la dynamique de polarisation. Il n’en reste pas moins qu’une victoire de Donald Trump pourrait avoir des conséquences majeures sur le fonctionnement de la démocratie américaine. C’est vrai par les mesures qu’il pourrait prendre, mais c’est aussi et surtout vrai par le signal envoyé par un Président sans doute mieux préparé qu’en 2016 à sa base électorale. On sait que la montée de la polarisation conduit à une montée de l’autoritarisme : dans un contexte d’opposition viscérale entre deux camps, de plus en plus d’électeurs préfèrent troquer les principes démocratiques contre leurs intérêts partisans. Ainsi, depuis 2020, une majorité d’électeurs républicains s’obstine à penser que le scrutin présidentiel ayant conduit à la défaite de leur poulain a été truqué et à penser que les élus conservateurs au Congrès n’auraient pas dû en certifier les résultats. Après quatre années de radicalisation supplémentaire, je ne suis pas certain qu’ils pourraient supporter, le cas échéant, d’abandonner le pouvoir à un démocrate

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Penser le rap : entretien avec Kévin Boucaud-Victoire

Penser le rap : entretien avec Kévin Boucaud-Victoire

Dans cet entretien, Kévin Boucaud-Victoire revient sur les origines du rap, son histoire dans les quartiers populaires, sa signification au travers de l’histoire.

Le Temps des Ruptures : Votre livre revient sur l’histoire du rap, de ses origines américaines jusqu’à ses différents embranchements contemporains. Vous montrez bien qu’au départ, loin d’être une musique contestataire, il s’invite dans les block parties. Comment expliquez-vous alors la confusion qui existe dans l’esprit de nombre de nos contemporains lorsqu’ils affirment que le rap serait, par essence et origine, protestataire ?

Kévin Boucaud-Victoire : 

Le rap est né du hip-hop, lui-même issu des block parties. La première d’entre elles se déroule le 11 août 1973, dans le Bronx, à New York, à l’initiative de Clive Campbell – plus connu sous le blaze de DJ Kool Herc – et de sa sœur Cindy Campbell. Il s’agit de l’anniversaire de cette dernière : la soirée a lieu en plein air, la rue est bloquée, l’entrée est payante et le frère est aux platines. Nous sommes après les morts de Malcolm X et Martin Luther King et le Black panthers party est mal-en-point. Les ghettos sont en pleine dépolitisation et sont rongés par la violence et la drogue. Le hip-hop, avec les block parties, est avant tout festif. On peut néanmoins noter que certains acteurs ont déjà une ambition sociale. C’est par exemple le cas d’Afrika Bambaataa, DJ auteur du slogan « Peace, Unity, Love and Having Fun », qui voit dans le mouvement un moyen d’éloigner les jeunes des gangs. Après cette première période, vient celle des premiers tubes : «Rapper’s Delight », de The Sugarhill Gang, en 1979, et «The Message » de Grandmaster Flash, en 1982. Les deux sont sortis sur le même label. Le premier morceau est purement festif. Je qualifierai le second de social – plutôt qu’ “engagé”, car il ne revendique rien. C’est avec ces deux tubes que prend racine le mythe d’un rap qui marcherait sur deux jambes, l’une festive et l’autre engagée.

En France, le rap arrive alors que les médias comme les responsables politiques découvrent le «problème des banlieues ». Le rap lui est immédiatement associé. Ajoutons que durant cette période les banlieues sont bien plus politisées qu’aujourd’hui et le rap le reflète.

Mais la vraie raison est politique. Après l’échec de Mai 68, une partie de l’intelligentsia de gauche cherche un nouvel agent révolutionnaire à même de remplacer le prolétariat. Les jeunes – qui ont fait une apparition foudroyante sur la scène sociale en Mai 68 – et les immigrés font partie des candidats. Les banlieues sont peuplées – quand on les analyse de manière caricaturale – de jeunes, d’origine immigrée et pauvres. Cela en fait de parfaits sujets révolutionnaires. Leur musique ne peut être que subversive. En pratique, le rap du début, à quelques exceptions notables, a mêlé revendications sociales et volonté de s’intégrer au système, rejet des institutions et rêves consuméristes.

Le Temps des Ruptures : dans les années 1990/2000, le rap est perçu comme «la musique des ghettos ». D’une part parce qu’il provient des quartiers populaires français, et y est grandement écouté, d’autre part parce qu’il est supposé incarner ses maux. À l’époque, comment les hommes et femmes politiques appréhendent cette musique «porte-voix » ?

Kévin Boucaud-Victoire : 

Au départ, ils en ont eu peur. Après avoir été un mouvement cool et branché, notamment grâce à l’émission H. I. P. H.O. P., animée par Sidney. Ce sont, pour faire simple, des  jeunes sympas qui tournent sur la tête, parlent en argot et s’habillent de manières originales.

Les choses basculent à la fin des années 1980. Rap, cités, immigration, délinquance, violence et vandalisme commencent alors à être amalgamés. Le rap est en outre de plus en plus associé au tag, qui commence à coûter cher à la RATP et fait l’objet de plusieurs articles et reportages. Que le premier grand groupe français se nomme NTM («Nique ta mère ») n’a pas dû aider. Le rap effraie les hommes et femmes politiques. La droite condamne unanimement et tente même à certains moments de faire censurer des textes. Le rap lui rend bien cette hostilité et la droite devient une de ses cibles favorites. C’est plus clivé à gauche : certains veulent apparaître «dans le coup », y voient justement une musique révolutionnaire ou au moins la musique d’une partie de leur électorat. Le rap obtient alors  la reconnaissance du ministère de la Culture et des soutiens de la politique de la ville.

Le Temps des Ruptures : vous montrez bien dans votre ouvrage que «se présentant souvent volontiers comme anti-systèmes, les rappeurs sont le fruit de la société de consommation ». Le rap, du moins celui qui vend, est incontestablement capitaliste et l’argent y fait office de réussite suprême. Booba a bien résumé cela avec sa phrase : «mes victoires sont des échecs mes échecs sont des chefs d’œuvre ». Mais ne subsiste-t-il pas dans le rap une subversion de la morale (pour le meilleur et souvent pour le pire) ? En témoignent les provocations d’un artiste comme Freeze Corleone.

Kévin Boucaud-Victoire : 

En réalité, tous les biens culturels contemporains, qui sont produits avec des méthodes industrielles – supposant une consommation de masse et une fabrication standardisée – s’insèrent dans le capitalisme. Mais la spécificité du rap, qui le rapproche du rock d’ailleurs, c’est d’avancer avec le masque de la rébellion. Il existe effectivement dans le rap une forme de subversion morale, que ça soit dans les noms des artistes ou groupes («Nique ta mère » de JoeyStarr et Kool Shen par exemple), dans les textes (il suffit d’écouter “Sacrifice de poulet » de Ministère A.M.E.R. ou «Saint-Valentin » d’Orelsan pour s’en convaincre) et même dans le vocabulaire utilisé (il faudrait compter le nombre de «putes » utilisé par morceau d’Alkpote). Le rap est parfaitement calibré pour choquer le bourgeois, même quand il n’est pas revendicatif. C’est d’ailleurs pour cela que les jeunes bourgeois aiment tant écouter du rap en soirée, c’est leur rébellion à eux, leur manière de tuer le père à peu de frais. Malheureusement, depuis au moins les années 1970, l’ordre moral n’est plus le carburant du capitalisme. C’est au contraire la subversion qui est son moteur, comme l’a si bien souligné le philosophe communiste Michel Clouscard. Ce mode de production, devenu un «fait social total », comme dirait l’anthropologue socialiste Marcel Mauss, aime dynamiter la morale, pour mieux favoriser l’extension du domaine du marché.

Le Temps des Ruptures : votre livre présente l’évolution musicale du rap qui, avec le tournant des années 2010 (La Fouine, Soprano, Sexion d’Assaut), devient la nouvelle pop écoutée par tous. Mais ce succès du rap n’est-il pas également dû au métissage avec des musiques dansantes ? Je pense par exemple à l’afrotrap (MHD), ou une sorte de raï rappé (Soolking). La mélodie semble désormais prendre le pas sur les paroles. 

Kévin Boucaud-Victoire : 

Oui,  bien sûr. Comme je le dis, le rap se marie avec tous les styles musicaux. Le rap n’a jamais existé par lui-même musicalement. Au départ, il se nourrit de la funk et de la soul, à travers le sampling, technique qui permet de créer une musique à partir d’un échantillon sonore. Aujourd’hui, le rap puise dans tous les registres, si bien qu’il y en a pour tous les goûts.

Le Temps des Ruptures : vous revenez dans Penser le rap sur l’ultra-conservatisme de nombreux rappeurs. Toutefois, le passage sur le sexisme est assez court alors que cet aspect est prégnant dans le rap. Dans quelle mesure l’imaginaire misogyne véhiculé par le rap prend-il sa source dans un imaginaire mental plus large des quartiers populaires ? Ou au contraire l’exacerbe, voire le pervertit-il ? 

Kévin Boucaud-Victoire : 

En fait, cette question est assez difficile et mérite nombre de nuances. Comme l’écrit Bénédicte Delorme-Montini, dans La gloire du rap : «Étant donné la diversité des profils des rappeurs, en France, il semble en tout cas qu’il faille se résoudre à renoncer à une explication englobante en termes de motivation culturelle, ce qui laisse la question ouverte en ce qui concerne les individus». Je vais essayer néanmoins de fournir un début d’explication. Schématiquement, je dirais qu’il y a deux formes de sexisme dans le rap français : un sexisme «traditionnel » et un sexisme «capitaliste ». Le premier repose sur certaines valeurs traditionnelles, et trouve probablement écho dans une forme de sexisme effectivement courant en banlieue – même s’il faut être prudent et éviter les généralisations. C’est, pour faire simple, la réduction de la femme à la bonne mère, à la bonne ménagère, pure, etc. À titre d’exemple, Rohff rappe dans «Pour ceux » : «Pour les pucelles, celles qui puent pas d’la chatte des aisselles / Qui prennent soin d’elles, font la cuisine, la vaisselle, qui ont fait le mariage hallal ».Ou Seth Gueko dans «Adria music » : «Elle se prennent toutes pour Nicki Minaj / Elles font plus le ménage, elles ont le balai dans la schneck.» Élégant… Le second n’est pas propre au rap, mais ce dernier l’exacerbe et, je pense, influe sur les mentalités. Il repose sur l’objectivation du corps de la femme et sa marchandisation, au moins symbolique.

En effet, Bénédicte Delorme-Montini évoque un « mouvement général de fond qui met le sexe à la une, rencontre du trash commercial et de la spectacularisation de l’intime qui révèle un nouveau rapport au corps et modifie les termes de la présentation de soi. Caractéristique du nouvel univers médiatique impudique et spectaculaire sous-tendu par Internet, la télé-réalité qui explose aussi illustre exemplairement le succès de ce nouveau modèle féminin ». En clair, le rap s’inscrit dans un phénomène d’hyper-sexualisation de la femme, qui touche plus largement la pop music et qui débute dans les années 2000. Si Booba s’est particulièrement bien illustré sur ce mode, celui qui a été le plus loin, c’est sans nul doute Kaaris, dont le premier album, Or noir, a été qualifié de «version cul de Scarface » par le youtubeur Jhon Rachid, et qui a fêté récemment ses dix ans en concert, avec sur scène, des danseuses avec des godes dans les fesses. On peut par exemple y entendre : «J’leur mets profond, j’fais d’la spéléo / J’t’ouvre la gorge comme une trachée / Une facial j’te refais la déco » («Bouchon de liège ») ; «Vingt mille lieues toute l’année, ma bite dans ton cul fait d’l’apnée » («Bouchon de liège ») ; ou encore «Si j’devais choisir entre tout ce biff et toutes ces bitchs / Je prendrais le gros chèque, parce que l’oseille est la plus bonne des schnecks » («Or noir »).

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Front populaire contre Front national : les médias doivent choisir leur camp

Front populaire contre Front national : les médias doivent choisir leur camp

Depuis le dimanche 9 juin 2024, aux alentours de 21h, le monde politique est bouleversé par l’annonce présidentielle de la dissolution de l’Assemblée nationale. Entre alliance des gauches et explosion des partis de droite et d’extrême droite, ces journées politiques offrent un spectacle étonnant. Cet edito entend analyser un point saillant qui risque de déterminer en grande partie les résultats du 7 juillet : le cadrage médiatique.

Depuis le dimanche 9 juin 2024, aux alentours de 21h, le monde politique est bouleversé par l’annonce présidentielle de la dissolution de l’Assemblée nationale. Entre alliance des gauches et explosion des partis de droite et d’extrême droite, ces journées politiques offrent un spectacle étonnant. Le sujet de cet édito n’est pas de revenir sur ces tractations ou même de présenter une analyse globale des enjeux que recouvrent les prochaines élections législatives. Il entend simplement analyser un point saillant qui risque de déterminer en grande partie les résultats du 7 juillet : le cadrage médiatique.

Selon toute vraisemblance, et plus que jamais, les médias joueront un rôle crucial dans ces élections législatives. A chaque échéance électorale il en va de même, mais notre hypothèse est qu’ils seront, cette-fois ci, plus que jamais déterminants.

Selon Le Figaro(1), en se fondant sur les résultats des élections européennes du 9 juin, 536 (sur 577) circonscriptions pourraient voir un duel entre le Front populaire et le Rassemblement national au second tour. C’est évidemment une fourchette – très, très – haute, et on imagine mal les candidats de la majorité présidentielle ou de LR n’arriver au second tour que dans une quarantaine de circonscriptions. Toutefois ce qui ressort des différentes analyses, c’est qu’une majorité de duels se fera entre le RN et le Front populaire.

Dès lors, ce sont les suffrages des électeurs centristes, macronistes, qui détermineront le vainqueur d’un second tour. Plusieurs enquêtes menées en 2023 montrent que, désormais, Jean-Luc Mélenchon fait figure d’épouvantail pour la bourgeoisie centriste, bien plus que Marine Le Pen. Un sondage de mars 2023 indiquait que Marine Le Pen inquiétaient 39% des électeurs Renaissance ; Jean-Luc Mélenchon 44%. La situation s’est, du reste, empirée depuis le 7 octobre et l’attaque terroriste du Hamas : refus de qualifier le Hamas d’organisation terroriste, rupture de la NUPES par le Parti socialiste, sorties antisémites de Jean-Luc Mélenchon, attaques quotidiennes sur Raphaël Glucksmann, etc.

Un sondage IFOP du 8 février 2024 montre qu’en cas de second tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle, 66% des sympathisants Renaissance voteraient pour la candidate du Rassemblement national. Insistons sur ce point : les deux tiers de l’électorat macroniste voteraient pour l’extrême droite en cas de duel face au chef de la France insoumise. Il faut avoir cet élément essentiel en tête à l’heure d’appréhender le rôle que jouent et joueront les médias dans la campagne législative en cours.

En partant donc de l’hypothèse selon laquelle beaucoup de seconds tours verront s’affronter candidats estampillés Front populaire et candidats d’extrême droite, l’électeur centriste est à convaincre. La modération dont a fait preuve Jean-Luc Mélenchon au JT de France 2, et les compromis sur le programme commun (construction européenne, reconnaissance des actes terroristes du Hamas, soutien à l’Ukraine, etc) témoignent de cette prise de conscience. Il faut rassurer le bourgeois.

Mais si les femmes et hommes de gauche ont pris leur responsabilité, il reste un élément qu’ils n’ont pas entièrement entre les mains – même si leurs prises de position peuvent l’influencer -, le traitement médiatique des futurs seconds tours. Car rappelons-nous qu’en avril 2022, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, le président de la République Emmanuel Macron n’était crédité que de 53% des suffrages, contre 47% pour Marine Le Pen. Ici, c’étaient les électeurs de gauche qu’il fallait convaincre. Eux qui avaient déjà fait barrage à l’extrême droite en 2002, en 2017, étaient à nouveau appelés à voter pour le candidat de la casse sociale par excellence. Nombre d’entre eux souhaitaient s’abstenir.

Les deux semaines qui ont précédé le second tour ont vu, comme on pouvait s’y attendre, une campagne médiatique de front républicain se mettre en place. Progressivement, à mesure que le risque fasciste devenait réalité (les sondages inquiétants étaient dans les bouches de tous les chroniqueurs et journalistes politiques), à l’initial « ni-ni » était préféré un vote en faveur d’Emmanuel Macron. Finalement, l’on est passé de 6 points d’écart à 17.

La chose est dure à quantifier, mais je fais l’hypothèse que sur les électeurs centristes, les médias dits « traditionnels » ont encore une influence considérable. Que l’on pense aux millions d’auditeurs des matinales radio, ou aux millions de téléspectateurs du journal de 20h, l’audience touchée est grande et, surtout, c’est un audimat dont on peut fortement supposer qu’une grande partie aura voté pour un candidat de la majorité présidentielle au premier tour.

Ces médias ne vont pas appeler à voter pour tel ou tel camp, mais le cadrage médiatique qu’ils feront des sorties des uns et des autres sera décisif. Insidieusement, la diabolisation ou la dédiabolisation afférées au Front Populaire ou au Rassemblement national par la radio, la télévision ou les médias du « centre raisonnable » (qui, généralement, abhorre tout autant voire plus la France insoumise que le Rassemblement national) orienteront une partie non négligeable de l’électorat macroniste à se décider.

Car il ne s’agit pas de savoir si le RN aura 50 ou 100 députés. Il ne s’agit pas de savoir si LFI en aura 30, 50 ou 70. Il s’agit bel et bien de savoir si les électeurs centristes sont prêts à propulser l’extrême droite à la tête de la France.

Références

(1)Le Figaro, 12 juin 2024. 

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L’Europe doit avant tout être l’outil des plus faibles, Entretien avec Annah Bikouloulou

L’Europe doit avant tout être l’outil des plus faibles, Entretien avec Annah Bikouloulou

A l’approche des élections européennes, nous avons interrogé des jeunes cadres de partis de gauche. Nous avons donné la parole à Annah Bikouloulou, Secrétaire nationale des Jeunes écologistes

Le Temps des Ruptures :  Qu’est-ce que l’Europe symbolise et signifie pour vous ? Quelles distinctions apportez-vous entre l’Europe comme concept historique, culturel ou politique, et l’Union européenne en tant qu’institution(s) ? Où s’arrête l’Europe géographiquement ?

En tant qu’écologistes nous sommes fédéralistes et la construction européenne occupe une place centrale dans la transformation politique que nous portons. Nous n’envisageons pas l’Europe comme une civilisation homogène, comme un espace culturel à défendre – cela relève de logiques identitaires voire suprémacistes que nous combattons. Au contraire, nous défendons un projet démocratique, écologique et social, ouvert sur le Monde et aux pays n’étant pas encore intégrés dans le projet européen.

De fait, l’Union européenne actuelle ne nous satisfait pas à bien des égards. C’est pour cela que nos eurodéputé·es se battent pour la transformer, et iels continueront à le faire après le 9 juin prochain.

 

LTR :  Quel regard portez-vous sur l’histoire de la construction européenne ? Est-ce véritablement une construction démocratique et sociale ?

La construction européenne s’est concrétisée dans le cadre d’un équilibre précaire avec les souverainetés étatiques européennes. Les avancées sont intervenues dans leur majorité dans des contextes inter-étatiques.

L’expérience du référendum établissant une Constitution pour l’Europe de 2005, dont la substance a été en grande partie reprise dans le traité de Lisbonne en 2007, témoigne du peu d’égard accordé à la voix des populations.

Cet exemple constitue pour nous une cicatrice qui nous oblige à envisager la poursuite d’une construction européenne seulement dans un cadre démocratique, associant citoyen·nes, société civile, associations pour la protection de l’environnement, élu·es locaux·ales, …

Par ailleurs, ces dernières décennies ont aussi été le théâtre du déploiement de politiques néolibérales, de dumping social et d’abus de tout ordre ont durablement écorné l’image que les citoyen·nes se font de l’Europe. Beaucoup ne l’envisage plus que sous le prisme de la corruption des lobbys ou d’un rouleau compresseur qui les broie et ne pense pas que c’est un échelon en mesure de leur redonner une voix. Nous Écologistes nous battons pour changer cette perception car il nous semble que l’Europe doit avant tout être l’outil des plus faibles. L’Europe doit être l’outil qui leur apporte un filet de sécurité minimal de droits – droits fondamentaux, comme droit à un salaire minimum ou à un temps de travail maximum – face à leurs Etats membres. Pour réussir à développer le plein potentiel de l’UE, et en faire le véritable outil de démocratie qu’il devrait être il nous faut élire une majorité écologiste et fédéraliste qui sera prête à renforcer le volet social de l’Europe et à entamer les transformations institutionnelles nécessaires.

 

LTR : A l’heure actuelle, quels sont les principaux dysfonctionnements que vous percevez dans l’Union européenne ? L’Europe peut-elle sortir de sa naïveté économique et géopolitique ?

Un vice originel affecte l’Union européenne : la volonté d’imposer sur le continent un modèle économique homogène. Les conséquences sont aujourd’hui palpables : le virage écologique nécessaire n’a pas été amorcé, des secteurs clés comme l’agriculture ou l’industrie sont mis en concurrence de façon insensée, l’absence d’une dimension sociale à la construction européenne aggrave les inégalités, …

Dans le même temps, les logiques nationales et souverainistes empêchent les membres de l’Union de parler d’une seule voix sur la scène mondiale. Pourtant, le moment nous oblige, la guerre est à nos portes en Ukraine et l’entreprise génocidaire du gouvernement Netanyahu à Gaza suppose une réaction collective forte et ambitieuse. De manière plus globale, l’emprise impérialiste des États-Unis reste forte dans nombre d’États-membres, des brèches dans ce collectif européen permettent à la Chine ou la Russie d’influencer de manière inquiétante certains de ses membres. Avec les Écologistes, nous portons l’idéal d’une diplomatie et d’une défense européenne commune, en renonçant au principe d’unanimité régissant la PESC au profit d’une majorité qualifiée renforcée.

 

LTR : Quelles sont les mesures à court-terme que proposent vos partis politiques pour réformer l’Europe ? Et quelles sont leurs visions à long terme pour celle-ci ? L’Europe est-elle réformable face aux blocages de certains Etats ?

À court terme, il y a tant à faire. Deux points semblent se démarquer. Face au mur climatique vers lequel nous nous dirigeons à une vitesse folle, une action résolue et coordonnée doit être mise en œuvre pour lutter contre le dérèglement climatique tant qu’il est encore temps, en réencastrant l’économie dans les limites planétaires et les besoins humains. Cette action est indissociable d’une politique sociale européenne à la hauteur, la question sociale étant intimement liée à la question écologique. De manière concrète, il est également nécessaire de mettre au pas l’agence Frontex et de sortir de la logique d’une Europe forteresse, laquelle transforme la Méditerranée et maintenant la Manche en cimetière à ciel ouvert. Il est fondamental de réunir les conditions d’un accueil digne et inconditionnel des personnes exilées ou migrantes en Europe.

À plus long terme, nous défendons depuis toujours une transformation de l’Union européenne, pour en faire une organisation fédérale et démocratique forte, permettant de choisir les ruptures nécessaires aux enjeux du XXIe siècle. Les défis sont nombreux sur le plan environnemental et écologique, pour la protection de la biodiversité, la lutte contre les dérèglements climatiques, la réappropriation des moyens de production par les travailleur·euses … Cela doit passer par des actes forts comme l’adoption d’un traité environnemental européen.

Le blocage de certains États n’est pas une fatalité mais affecte la crédibilité des institutions européennes. Il est plus que jamais nécessaire d’initier un processus constituant pour construire un cadre institutionnel capable d’encaisser les désaccords tout en laissant une voix au chapitre pour les citoyen·nes ou leurs représentant·es et en évitant une instrumentalisation des blocages par certains pays membres.

 

LTR : Est-ce que les politiques européennes sont à la hauteur des attentes et des besoins de la jeunesse ?

Notre génération est la première à avoir seulement connu l’Europe du traité de Lisbonne. La construction européenne est un acquis, une figure familière dans le paysage institutionnel. Pour autant, son action en direction des jeunes est limitée, se cantonnant au programme Erasmus et ses déclinaisons. Cet acquis important est malheureusement limité et s’adresse souvent à un segment déjà privilégié des jeunes européen·nes. Nous sommes également la génération Climat, descendue dans les rues de toute l’Europe en 2019. Nos exigences en matière environnementale sont plus élevées que jamais, pour autant, il est difficile de percevoir quelconque inflexion dans les politiques néo-libérales et productivistes portée par la majorité néolibérale au sein de l’Union.

Avec les Écologistes, nous portons une volonté d’approfondir largement les politiques publiques européennes à destination des jeunes, en les soutenant notamment à leur entrée dans l’âge adulte. Les jeunes sont particulièrement exposé·es à la précarité, notamment dans le sud de l’Europe, c’est pourquoi nous défendons la mise en place d’un revenu européen de formation pour les jeunes de 18 à 25 ans ou l’interdiction des stages non rémunérés.

Nous nous réjouissons de voir de nombreux jeunes figurer sur les différentes listes qui s’affronteront le 9 juin prochain. Toutefois, il ne faut pas se limiter à de l’affichage. Nous comptons sur tous les jeunes de gauche qui seront élu·es pour pousser de véritables politiques jeunesse.

 

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« L’Europe peut sortir de sa naïveté », Entretien avec Emma Rafowicz

« L’Europe peut sortir de sa naïveté », Entretien avec Emma Rafowicz

A l’approche des élections européennes, nous avons interrogé des jeunes cadres de partis de gauche. Emma Rafowicz , présidente des Jeunes socialistes et candidate sur la liste PS-Place publique porte ici un regard critique sur la construction européenne et défend une nécessaire réforme de son mode de fonctionnement.

Le Temps des Ruptures : Qu’est-ce que l’Europe symbolise et signifie pour vous ? Quelles distinctions apportez-vous entre l’Europe comme concept historique, culturel ou politique, et l’Union européenne en tant qu’institution(s) ? Où s’arrête l’Europe géographiquement ?

Emma Rafowicz  : L’Europe, c’est une grande partie de mon parcours et de mon histoire. Ma famille a souffert de ce que l’Europe pouvait produire de pire, l’antisémitisme et la guerre, mais je crois que c’est finalement l’espoir que représentent l’Europe et la construction européenne qui nous anime surtout toutes et tous.

Mon parcours étudiant et professionnel, c’est aussi un parcours européen. Mes études étaient tournées vers l’Allemagne et c’est grâce à mon parcours universitaire de germaniste que j’ai pu étudier à Hanovre et bâtir aussi une partie de mes expériences.

L’Europe, ce sont bien sûr des institutions. Celles qu’on connaît aujourd’hui. Celles qui ont permis de concrétiser une véritable union des peuples européens. Pour autant, l’Europe n’est pas née après 1945. C’est pour moi une culture plurimillénaire, une “civilisation pluraliste” pour citer Albert Camus qui s’est toujours nourri d’une multiplicité d’influences et pas simplement les plus structurantes que sont l’héritage gréco-romain, le christianisme et la philosophie des Lumières. Je crois que l’idée de “dialogue” résume très bien cette idée : le génie européen est le fruit d’un dialogue de pluralités. Des pluralités qui ont permis la naissance d’un espace civilisationnel dont les principes centraux sont la liberté, la démocratie et la dignité humaine.

Quant à l’Europe politique, la souveraineté nationale aurait pu lui être opposée. Je pense néanmoins que les deux sont compatibles et je crois à la “souveraineté partagée”… Cela ne veut pas dire que je sois une fédéraliste-béate. Je crois à la souveraineté nationale à condition de ne pas verser dans le souverainisme. Je crois à l’Europe politique à condition qu’elle demeure démocratique et préserve les marges de manœuvres des Etats-membres. Mais l’Europe politique est une nécessité à l’heure des transitions du siècle et en particulier face à la menace climatique.

 

LTR : Quel regard portez-vous sur l’histoire de la construction européenne ? Est-ce véritablement une construction démocratique et sociale ?

Il est toujours très facile de porter un regard critique sur le passé. Cela ne veut pas dire dans le même temps, qu’il ne faut pas porter un regard lucide sur des échecs passés. Mais à condition d’en tirer des leçons pour l’avenir et de conserver un optimisme de la volonté nourri du pessimisme de l’action.

Nous avons cru, nous socialistes, dans l’avènement d’une Europe sociale après celle du marché. Nous avons cru comme Léon Blum “qu’en rendant à l’Europe un peu de bien-être et un commencement de prospérité, nous travaillerons non pour le capitalisme, mais pour le socialisme”.

Nous avons cru, comme Guy Mollet, que nous pourrions faire aboutir “le marché commun général en Europe” et que “des mesures (soient) prises qui mettent les travailleurs à l’abri de tout risque qui résulterait de l’ouverture des frontières”.

Or ce pari d’une Europe sociale et protectrice des travailleurs après l’Europe du marché n’a pas véritablement fonctionné. Je ne partage pas entièrement le constat très dur qu’a formulé Michel Rocard en 2016 mais je pense qu’il y a du vrai quand il déclare que “nous n’avons pas su utiliser l’Europe pour lutter contre le chômage, la précarité ou le ralentissement de la croissance” et que l’Europe a davantage été synonyme de “maintien de l’austérité” ces dernières années.

Faut-il pour autant chercher une voie alternative en dehors de l’Union Européenne ? Je ne le crois pas. Car l’Europe a évolué, car la Commission européenne a progressivement compris que les dogmes néolibéraux nous amenaient dans le mur. Depuis la crise de la Covid-19 et la guerre en Ukraine, nous avons ouvert de nombreuses brèches qu’il faut désormais élargir !

Quant à la question démocratique, les peuples européens ont été consultés. Lors du référendum sur le traité de Maastricht en 1992. En 2005 à l’occasion de la ratification du traité constitutionnel européen. Faut-il pour autant considérer que cela était parfaitement démocratique ? Seuls 51% des Français ont voté en faveur du traité de Maastricht en 1992. Quant au traité constitutionnel européen, malgré le “non” de 2005, la plupart de ses dispositions seront ensuite intégrées au traité de Lisbonne sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Sans réelle démocratisation de l’Europe, nous fonçons dans le mur.

 

LTR : A l’heure actuelle, quels sont les principaux dysfonctionnements que vous percevez dans l’Union européenne ? L’Europe peut-elle sortir de sa naïveté économique et géopolitique ?

 

Ces dysfonctionnements sont de plusieurs ordres et en particulier institutionnels. Le maintien par exemple de l’unanimité sur les questions fiscales perpétue des situations de dumping et de concurrence déloyale au sein même de l’Europe. Ces dysfonctionnements sont aussi liés aux politiques de l’Union.

L’Europe a fait le choix de demeurer un nain géopolitique, convaincu que le doux commerce était le meilleur moyen de pacifier les relations internationales. Le réveil a été brutal.   L’élection de Donald Trump nous a rappelé que les Etats-Unis pouvaient du jour au lendemain balancer par-dessus bord l’architecture de sécurité conçue après 1945.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a balayé les derniers espoirs des tenants d’une approche conciliatrice.  Il faut que l’Union mette fin à son impuissance.

Le retour du protectionnisme en particulier en Chine et aux Etats-Unis a également détruit les dernières illusions d’une prétendue mondialisation heureuse au cœur du logiciel européen. Car oui, l’Europe a péché par naïveté. Elle a longtemps été l’idiot utile du village global. En s’imposant des règles qu’aucun de ses concurrents ne respectait et considérant dans un même temps le protectionnisme comme un blasphème alors qu’il était allègrement utilisé ailleurs.

Mais l’Europe peut sortir de sa naïveté. Les sanctions tombent contre le dumping chinois et les enquêtes antidumping de la Commission se multiplient : deux nouvelles ont été lancées le 16 mai dernier. C’est la preuve que l’Europe déconstruit progressivement le mythe de la mondialisation heureuse.

 

LTR :  Quelles sont les mesures à court-terme que proposent vos partis politiques pour réformer l’Europe ? Et quelles sont leurs visions à long terme pour celle-ci ? L’Europe est-elle réformable face aux blocages de certains Etats ?

D’un point de vue institutionnel, réformer l’Europe prendra du temps et passer par exemple de l’unanimité en matière fiscale à la majorité qualifiée demande une action de moyen terme. De même pour la politique agricole commune qui devra nécessairement être réformée pour rompre avec sa logique productiviste et transitionner vers un modèle fondé sur l’emploi et l’utilité écologique. Bien sûr qu’il y aura des blocages. Mais l’Europe a cette particularité, contrairement au fait majoritaire français, de laisser la possibilité à des coalitions de se constituer et de faire naître des compromis. De même, il faudra relancer le couple franco-allemand qui a réussi par exemple à donner l’impulsion nécessaire pour faire adopter un plan de relance fondé sur un endettement commun alors même qu’on disait la chose impossible du fait des blocages des pays frugaux.

Cela étant, si la réforme de l’Europe s’étend dans un sens large, plusieurs priorités de court terme sont au cœur des propositions de la liste du Parti Socialiste et de Place Publique.

En premier lieu, pour rompre avec notre impuissance géopolitique, il faut d’urgence accélérer les livraisons d’armes à l’Ukraine, saisir les 206 milliards d’avoir russes gelées dans nos banques pour les affecter à l’aide militaire que nous devons à la résistance ukrainienne et mettre fin aux exemptions dans nos sanctions à l’égard de la Russie.

A court-terme, se pose aussi la question de l’avenir du Pacte vert qui ne peut pas être simplement un ensemble d’engagements normatifs. Il faut engager la conclusion d’un deuxième pacte qui puisse à la fois accompagner les ménages modestes qui seront les plus touchés par la transition écologique mais aussi investir massivement dans les technologies et l’industrie verte.

Enfin à long-terme, il nous faut réfléchir au récit de l’Union européenne vis-à-vis des Européens et du reste du monde. Nous avons longtemps cru que le modèle démocratique des sociétés ouvertes européennes et leurs valeurs ne seraient jamais remis en cause et étaient naturellement vouées à inspirer le reste du monde. Or, les narratifs autoritaires qu’ils soient chinois ou russe gagnent du terrain. De même, les peuples européens sont de plus en plus tentés par des partis d’extrême-droite qui ont réussi à imposer le récit raciste d’une civilisation européenne blanche qui serait l’ultime rempart face à une immigration incontrôlée. Dans cette bataille culturelle, je pense que la culture peut jouer un rôle. Il faut construire une véritable puissance culturelle européenne tout en investissant massivement dans l’éducation critique aux médias et dans l’éducation de manière générale.

 

LTR : Est-ce que les politiques européennes sont à la hauteur des attentes et des besoins de la jeunesse ?

D’abord, il faut le reconnaître. Contrairement aux idées reçues, les jeunesses françaises sont certes attachées à l’Europe mais elles ne sont pas totalement convaincues par la construction européenne. 40% des jeunes français ne se considèrent pas comme citoyens européens selon l’INJEP. Dans le même temps, 67% environ des jeunes français considèrent que l’Europe peut améliorer leur vie quotidienne, c’est donc qu’ils ne demandent qu’à être convaincus et à constater les effets positifs du levier européen.

Si l’on creuse, l’attachement ou non à l’Europe traduit des clivages économiques et sociaux très forts au sein des jeunesses françaises. Les jeunes satisfaits de leur vie, confiants dans leur avenir, aisés, titulaires d’un bac ou d’un diplôme du supérieur ou étudiants ont plus souvent une image positive de l’Union. À l’inverse, les perceptions négatives sont particulièrement présentes chez les jeunes peu ou pas diplômés. Et je pense que derrière cette perception négative, il y a bien sûr un sentiment d’éloignement mais aussi la perception que l’Europe a davantage promu l’austérité libérale plutôt que les droits sociaux ces dernières décennies, ce qui est une réalité !

Cela étant dit, l’Europe a permis des avancées considérables pour les jeunesses. Je pense en particulier à Erasmus qui a permis à des millions d’Européens de venir étudier, se former ou faire un stage dans un pays européen.

Pour autant, les limites d’Erasmus symbolisent la difficulté pour l’Europe d’être aux côtés des jeunesses les plus modestes. En réalité, seule une minorité d’étudiants bénéficient d’Erasmus à cause d’obstacles économiques mais aussi psychologiques.

De manière générale, la construction européenne n’a pas permis d’enrayer la montée de la précarité et de l’exclusion sociale chez les jeunes. C’est pourquoi, nous plaidons pour une Allocation d’autonomie pour tous les jeunes Européens de 15 à 25 ans, ni en emploi, ni en études ainsi qu’un accompagnement personnalisé et une formation afin d’améliorer leur insertion professionnelle, par l’extension du contrat d’engagement jeune.

Pour ce qui est des attentes des jeunes générations, les millenials, nés après 1980 ou la génération Z, née après 1995 sont très exigeants vis-à-vis de l’Europe sur les enjeux climatiques. Et l’Union européenne doit être à la hauteur de leurs attentes et répondre en particulier au scepticisme des jeunesses européenne et française. Rappelons tout de même que deux-tiers des jeunes européens considèrent que l’Union n’en fait pas assez dans la lutte contre le changement climatique et la protection de l’environnement et que les jeunes français ne placent l’engagement de l’UE dans la lutte contre le changement climatique qu’en dernière position de la liste des atouts proposés de l’Union.

De manière concrète, nous proposons la création d’un ticket climat ferroviaire européen pour les jeunes qui permettrait de combiner émancipation et lutte contre le changement climatique.

Nous voulons enfin permettre aux jeunes de faire irruption dans la politique européenne. Pour cela, nous voulons accorder aux jeunes européens la possibilité dès 16 ans de participer aux « Initiatives citoyennes européennes » pour leur permettre de participer dès leur plus jeune âge à la démocratie européenne.

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L’Europe se limite-elle à son versant occidental ? (Re)lire « l’Occident kidnappé » de Milan Kundera

L’Europe se limite-elle à son versant occidental ? (Re)lire « l’Occident kidnappé » de Milan Kundera

Un débat agite fréquemment les milieux culturels et politiques : l’art doit-il être, ou est-il même intrinsèquement, politique ? L’adage « tout est politique » répond de façon radicale à cette question en intégrant chaque sphère de la création dans un espace social imprégné de forces qui nous agissent. C’est ainsi que s’est déconstruit, en sociologie, le mythe du « créateur incréé » . Milan Kundera prend quant à lui le contrepied de cette approche en forgeant le concept de « misomusie » dans son essai L’art du roman.

(image : L’Enlèvement d’Europe Rubens, 1628-1629)

Voici ce qu’il en dit : « Ne pas avoir de sens pour l’art, ce n’est pas grave. On peut ne pas lire Proust, ne pas écouter Schubert, et vivre en paix. Mais le misomuse ne vit pas en paix. Il se sent humilié par l’existence d’une chose qui le dépasse et il la hait. Il existe une misomusie populaire comme il y a un antisémitisme populaire. Les régimes fascistes et communistes savaient en profiter quand ils donnaient la chasse à l’art moderne. Mais il y a la misomusie intellectuelle, sophistiquée : elle se venge sur l’art en l’assujettissant à un but situé au-delà de l’esthétique. La doctrine de l’art engagé : l’art comme moyen d’une politique. Les théoriciens pour qui une œuvre d’art n’est qu’un prétexte pour l’exercice d’une méthode (psychanalytique, sémiologique, sociologique, etc.). La misomusie démocratique : le marché en tant que juge suprême de la valeur esthétique ».

Milan Kundera ira jusqu’au bout de la « dépolitisation » de son œuvre littéraire en expurgeant ses volumes en pléiade de toute préface ou notice biographique. A ses yeux son Œuvre[1] se suffit à elle-même, sans fioriture politique, hagiographique ou sociologique. L’écrivain tchèque espère donc que sa personne, et donc in fine ses engagements personnels, s’effacent derrière les œuvres romanesques qu’il a pu écrire.

Pourtant, après le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie de Poutine, c’est un tout autre Kundera qui s’est montré à nous. La réédition en 2022 dans la collection Le Débat (Gallimard) d’un texte initialement publié en 1983, Un occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale a beaucoup fait parler. De sorte qu’à l’annonce de sa mort, le 11 juillet 2023, une myriade d’articles de presse et de revues littéraires et politiques se sont concentrés sur cet ouvrage et ont quelque peu laissé de côté le Kundera romancier. Car ce dont il s’agit dans Un occident kidnappé, c’est certes de culture, mais aussi d’une sorte de politisation de la culture, du moins d’un essai comme on n’a pas l’habitude d’en voir dans la bibliographie de l’écrivain.

Il n’existe pas de définition consensuelle de l’Europe. Certains la trouvent dans la géographie, la religion ou l’histoire. Pour donner un sens à l’Europe, des frontières sont nécessaires. « Partout où un nous s’installe sur cette terre, on trouvera à la fois une frontière et des cérémonies, une ligne de démarcation et des objets de superstition, une identité en aval et une sacralité en amont. C’est un invariant. Qui ne se délimite pas ne se transcendera pas. Pas d’ici-bas tant soit peu consistant sans, pour boucler l’affaire, un au-delà ou un par-delà » précise Régis Debray[2].

Quelle que soit celle que l’on choisit, il faut avoir l’humilité de comprendre que sa propre vision est socialement et historiquement située. Dans Europe, la voie romaine, Rémi Brague énumère les divisions qui ont dans l’histoire séparé l’Europe d’un « autre ». La démonstration du paragraphe suivant sert principalement à montrer que l’Europe de notre horizon (disons qu’aujourd’hui les deux conceptions qui ressortent le plus souvent sont soit les pays de l’Union européenne, soit les pays allant de l’Atlantique à l’Oural Russie exceptée).

Le philosophe montre qu’il y eut avant tout une division entre pays romanisés et pays qui ne le furent pas (l’Algérie est-elle davantage européenne que la Pologne ?) ; puis une division ouest/est entre l’Empire romain d’Occident et l’Empire romain d’Orient ; puis une division nord/sud avec la conquête musulmane qui « expulsa » le monde musulman hors de l’Europe (mais si la définition est religieuse, quid de l’Albanie ou de la Bosnie aujourd’hui ?) ; puis une division entre latins et byzantins aux XI-XIIème siècles avec le schisme religieux puis le sac de Constantinople en 1204 (les Grecs ne seraient-ils alors pas européens ?) ; enfin une nouvelle division nord/sud avec l’émergence du protestantisme. Pour comprendre à quel point l’Europe est un concept flou et historiquement situé, Rémi Brague raconte que jusqu’aux années 1980, les Grecs qui partaient en vacances en Europe occidentale disaient qu’ils « allaient en Europe ». Cette affirmation du philosophe n’est en rien « scientifique », puisqu’elle se fonde sur des anecdotes pas forcément représentatives, mais elle illustre tout de même l’idée que pour bon nombre de Grecs, alors même qu’on considère aujourd’hui la Grèce comme le berceau de la civilisation européenne, leur pays ne faisait pas réellement partie de l’Europe !

A ces divisions il faut évidemment en ajouter une autre qui fonde la réflexion de Milan Kundera : celle entre l’Ouest capitaliste et l’Est communiste issue de la guerre froide. Mais cette dichotomie ouest/est nous fait oublier qu’il existe un milieu, une Mitteleuropa bien plus centrale qu’orientale. Si l’on regarde un planisphère, au regard de l’Europe géographique, c’est la France qui est une périphérie, alors que la Hongrie, Pologne et la Tchécoslovaquie (aujourd’hui Tchéquie et Slovaquie) sont au centre ! Au moment de la Guerre froide, cette Europe centrale a été rejetée dans l’Europe byzantine et orthodoxe, dans l’Europe de l’Est. Cette Europe centrale est pour Kundera « culturellement à l’ouest et politiquement à l’est ». Sa tragédie tient dans ce kidnapping d’un bout d’Europe par une autre, en témoigne d’ailleurs le fait que les grandes révoltes des pays du bloc communiste se déroulèrent dans ces patries (Budapest 1956, Prague 1968, Solidarnosc 1980).

Kundera les considère alors comme des « petites nations », concept qu’il forge à ce moment-là et fera par la suite florès. Cette qualification ne tient pas à leur taille ou à leur population, mais est existentielle : ce sont des nations « dont l’existence peut être à n’importe quel moment remise en question, qui peut disparaître et qui le sait ». En tant que Français, nous n’avons jamais eu dans l’histoire des siècles récents la crainte de voir notre pays englouti. Même dans les pires tempêtes (le traumatisme du 17 juin 1940), nous savions qu’en miettes, le navire resterait à flot – les nazis n’ont à ce titre jamais eu de quelconques velléités de faire disparaître la France à terme. De la même manière, un Russe ou un Anglais ne se pose jamais la question de la survie de sa patrie, nos « hymnes ne parlent que de grandeur et d’éternité. Or, l’hymne polonais commence par le vers : « La Pologne n’a pas encore péri… » ». Alors que pour les Tchèques, Estoniens, Polonais ou Ukrainiens (ce qui explique au demeurant le succès immense de la republication de l’essai de Kundera en 2022), leurs nations « ne connaissent pas la sensation heureuse d’être là depuis toujours et à jamais ; elles sont toutes passées, à tel ou tel moment de leur histoire, par l’antichambre de la mort ; toujours confrontées à l’arrogante ignorance des grands, elles voient leur existence perpétuellement menacée ou mise en question »[3].

Or pour l’écrivain tchèque, l’existence même des petites nations se fonde sur leur particularité culturelle. Une existence mal assurée nécessite un foyer singulier, et n’est-ce pas le rôle de la culture que d’assurer une pérennité à travers les âges ? En témoigne la résistance du monde juif malgré les persécutions millénaires. Pendant la Guerre froide, la culture est dans ces pays essentielle puisqu’elle permet de conserver et de nourrir l’identité nationale happée politiquement par la Grande Russie. Ces nations ne se définissent ni par un régime politique, ni par des frontières stables, mais par une « même mémoire, la même expérience, la même communauté de tradition » perpétuées par une culture, sinon commune du moins partagée par beaucoup. Dans ce cadre, les langues jouent un relai primordial : le tchèque a failli disparaître au XIXème siècle au profit de l’allemand, ou le polonais au profit du russe. Les petits peuples sans langue ne résistent pas longtemps à l’assimilation de la grande nation.

Ces petites nations voulaient plus que tout être rattachées à l’Europe, à une Europe qu’elles savaient dénuée de désir impérialiste, du moins vers l’est. Elles voulaient « en être ». Car si aujourd’hui la démocratie et la prospérité apparaissent comme les deux attraits principaux de l’Union européenne pour les petites nations, la culture a joué et joue un rôle tout aussi déterminant. En 1956, alors que les chars russes déboulaient sur Budapest, le directeur de l’agence de presse de Hongrie envoyait une dépêche avant de voir son bureau détruit par les soviétiques. Voilà comment elle finissait : « Nous mourrons pour la Hongrie, et pour l’Europe ». Si l’Union européenne est incontestablement un foyer de droits de l’Homme et de croissance économique pour les pays européens « en développement » (en comparaison avec les grandes nations européennes occidentales), la limiter à ce versant très contemporain et contingent serait une grande erreur.

Peut-être est venu le temps de suivre la vision kundérienne d’une Europe culturelle qui, loin d’être figée dans le marbre des siècles passés, s’en inspirerait. Aux réactionnaires nostalgiques d’une civilisation uni(qu)e qui n’a jamais existé, opposons le foisonnement des divers foyers culturels de notre continent. Comme l’annonçait Jaurès, « c’est nous qui sommes les vrais héritiers du foyer des aïeux ; nous en avons pris la flamme, vous n’en avez gardé que la cendre ».

Références

[1] Remarquons du reste que son « Œuvre » publié aux pléiades est la seule à s’écrire au singulier, là où celle des autres est indiquée « Œuvres » au pluriel.

[2] Debray Régis, L’exil à domicile, Gallimard, 2022.

[3] Milan Kundera, Les testaments trahis, Gallimard, 1993.

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La Moldavie et le projet européen

La Moldavie et le projet européen

Le 3 mars 2022, quelques jours après le déclenchement de la guerre en Ukraine, la Moldavie dépose sa candidature d’adhésion à l’Union européenne. Quelques mois plus tard, le statut de candidat leur est officiellement accordé. Ce petit État, enclavé entre la Roumanie et l’Ukraine, compte 2,6 millions d’habitants qui, face à la menace russe, voient de plus en plus l’adhésion à l’UE comme une protection tant économique que sécuritaire. L’ambassadeur de France en Moldavie, Paul Graham, a accepté de répondre à nos questions.

Le Temps des Ruptures : Historiquement, quelles relations entretient la Moldavie avec le reste du continent européen ? Dans quel(s) espace(s) géographiques s’est-elle constituée au fil des siècles ?

Paul Graham : La République de Moldavie, partie orientale de la principauté médiévale de Moldavie, a une histoire particulièrement tourmentée, celle d’une région disputée, aux marches des Empires ottoman, russe mais aussi autrichien. Son appartenance à l’aire linguistique et culturelle roumanophone, qui en fait la singularité, atteste de l’empreinte laissée par la civilisation romaine dans cette partie de l’Europe.

L’époque contemporaine est essentiellement marquée par la domination de l’Empire russe puis soviétique avec une parenthèse roumaine entre les deux guerres mondiales. En 1812, le Traité de Bucarest partage en deux la principauté historique de Moldavie vassale de l’Empire Ottoman, dont la partie orientale est rattachée à l’Empire russe sous le nom de Bessarabie. Ce territoire est un siècle plus tard intégré à la « grande Roumanie » entre 1918 et 1940. Attribuée à l’Union soviétique sur la base des accords Molotov-Ribbentrop, la Bessarabie, dont les frontières ont été modifiées par Staline, devient, après la Seconde Guerre Mondiale, la République Socialiste Soviétique Moldave qui comprend également la Transnistrie, ancienne République Socialiste Soviétique Autonome Moldave, créée ex nihilo par les Soviétiques en 1924 sur la rive gauche du Dniestr. Indépendante depuis 1991, la République de Moldavie a vu son développement entravé par sa dépendance économique à l’égard de la Russie, le conflit avec l’entité séparatiste de Transnistrie appuyée par Moscou, ainsi que des problèmes de corruption et de gouvernance dans un contexte géopolitique compliqué.

LTR : Le XXème siècle a-t-il contribué à renforcer le sentiment européen des Moldaves ? Ou au contraire la domination russe a-t-elle introduit une appartenance “slave” ?

Paul Graham : Les Moldaves sont des Européens tant sur les plans historique et géographique que culturel et linguistique. Cela étant, ballotés par l’histoire, ils ont développé une identité composite où, pour ne prendre que l’exemple des langues, le Roumain, langue officielle et majoritaire du pays, cohabite avec le Russe, l’Ukrainien, le Bulgare et le Gagaouze, langue turcique. Il faut également se souvenir que, avant la Seconde Guerre Mondiale, la Bessarabie accueillait également une importante communauté juive parlant yiddish qui représentait jusqu’à 40 % de la population de certaines villes moldaves au début du XXème siècle. Si on ne peut pas parler de sentiment d’appartenance à un quelconque espace slave, la soviétisation s’est néanmoins accompagnée d’une forme de « russification », le russe bénéficiant du statut privilégié de langue interethnique et l’alphabet cyrillique étant imposé au détriment de la graphie latine pour l’écriture du roumain. Il faudra attendre la grande manifestation populaire du 31 août 1989 pour que le Roumain soit proclamé langue de l’Etat et sa graphie en cyrillique abandonnée.

LTR : Depuis l’indépendance de 1991, le sentiment d’appartenance européenne s’est-il renforcé ?

Paul Graham : Le sentiment d’appartenance européenne a évolué. Dans les années 1990, il était sans doute principalement orienté vers l’unification avec la Roumanie voisine qui apparaissait comme le chemin le plus court pour régler les nombreux problèmes auxquels la jeune République de Moldavie était confrontée. Depuis, ce sentiment d’appartenance s’est plutôt structuré autour de l’Union européenne, principal partenaire commercial et soutien au développement du pays, où de nombreux moldaves voyagent, étudient, et travaillent. A partir de 2014, l’accord d’association et celui sur la dispense de visa de court séjour ont permis de renforcer encore davantage les échanges tandis que l’agression russe de l’Ukraine a confirmé la nécessité d’un fort ancrage européen du pays en réponse aux menaces de Moscou. Aujourd’hui, les sondages indiquent que plus de 60 % de la population est en faveur de l’adhésion à l’Union européenne, dont le drapeau flotte fièrement devant et à l’intérieur de la plupart des édifices publics.

LTR : Comment s’envisage “l’européanité” de la Moldavie et des Moldaves ? Politique, culturelle, religieuse ?

Paul Graham : L’européanité de la République de Moldavie et des Moldaves est multidimensionnelle : historique, géographique, culturelle, linguistique, religieuse. Quand vous visitez la capitale Chisinau, vous vous sentez en Europe, l’aménagement urbain est européen, la gastronomie est européenne, les musées, salles de théâtres et de spectacles sont européens, l’art de vivre y est européen. J’ajouterai qu’il faut également prendre en compte le rôle de l’importante diaspora moldave, dont les représentants vivent majoritairement dans les pays de l’Union européenne. Dans presque chaque famille moldave, vous avez un ou plusieurs membres travaillant en Italie, en Roumanie, en Espagne, en Allemagne ou en France.

LTR : Quel est l’état actuel des rapports diplomatiques entre la Moldavie et l’Union européenne ? Et quel est-il concernant la Russie ? 

Paul Graham : Depuis le 23 juin 2022, la République de Moldavie bénéficie du statut de candidat à l’Union européenne. Elle est déjà bien avancée sur le chemin de l’intégration grâce à un accord d’association appliqué depuis 2014 qui prévoit une zone de libre-échange approfondi et complet, à un accord de dispense de visa de court séjour et à l’appartenance au partenariat oriental qui offre un accès privilégié à d’importants financements. L’Union européenne apporte son soutien dans tous les secteurs de l’appui aux médias indépendants à la cybersécurité en passant par l’énergie et les transports. Entre octobre 2021 et juin 2022, ce sont 1,2 milliard € qui ont été mis à la disposition de la République de Moldavie par l’UE, la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) et la BEI (Banque européenne d’investissement).

En revanche, les rapports diplomatiques avec Moscou se sont considérablement dégradés depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022. Les autorités moldaves ont condamné avec force l’agression des forces russes et participent à l’isolement diplomatique de la Russie. Sans s’associer formellement aux sanctions européennes, elles veillent à en éviter le contournement. Différentes mesures ont été prises pour réduire les relations de dépendance de la République de Moldavie envers la Russie, notamment dans le domaine énergétique. La République de Moldavie, qui estime être la cible d’une « guerre hybride » visant à déstabiliser le pays et à entraver le bon fonctionnement de ses institutions démocratiques, accueille, depuis juin dernier, une mission civile de l’UE notamment chargée de l’aider à faire face aux menaces hybrides russes.

LTR : Quelles sont les principales motivations de l’adhésion à l’Union européenne ? A quel horizon la Moldavie peut-elle espérer rejoindre l’UE ?

Paul Graham : La Présidente Sandu présente l’adhésion à l’Union européenne comme un enjeu existentiel, comme une question de survie pour la République de Moldavie qui, en raison de son positionnement géopolitique, est particulièrement vulnérable. Il s’agit également de relever un défi mobilisateur, susceptible de transcender les divisions du pays et de donner du sens aux indispensables réformes structurelles nécessaires (notamment la consolidation de l’Etat de droit) pour assurer son développement économique et social mais également sa sécurité. Pour la République de Moldavie, qui a connu un parcours chaotique depuis l’indépendance, le processus d’adhésion est aujourd’hui une véritable « boussole » qui indique la direction à suivre.

Tout en se voulant réalistes, les autorités moldaves déclarent vouloir tout mettre en œuvre pour que le pays soit prêt à adhérer à l’Union européenne en 2030. On verra si ce pari volontariste pourra être tenu. En tout cas, la volonté est forte de progresser aussi rapidement que possible sur le chemin de l’intégration européenne.

LTR : Le 1er juin 2023, 47 pays européens se sont réunis à Bulboaca, en Moldavie, pour le deuxième sommet de la Communauté politique européenne (CPE). À quoi peut-on s’attendre au-delà de la lutte contre la menace russe ? Le Sommet de Chisinau a-t-il joué comme accélérateur ou frein à l’adhésion de la Moldavie à l’Union européenne ?

Paul Graham : La tenue du Sommet de la CPE à Bulboaca, au plus près du front ukrainien, a été un symbole fort qui a apporté la démonstration de l’utilité et de l’importance de ce cadre politique de discussions au plus haut niveau, entre égaux, avec comme principal objectif de relever collectivement les défis qui se posent à l’ensemble du continent européen sur les plans de la sécurité, de la connectivité, de l’énergie ou du climat

Pour la République de Moldavie, au-delà du défi organisationnel, le Sommet de la CPE a été avant tout une manifestation internationale de soutien avec l’annonce du déploiement d’une mission PESD civile pour lutter contre les menaces hybrides, l’adoption d’un régime européen de sanctions contre ceux qui cherchent à la déstabiliser, l’association au mécanisme pour l’interconnexion en Europe, et la réduction volontaire des frais d’itinérance.

Ce Sommet a également servi de caisse de résonance à l’ambition européenne de la République de Moldavie qui a été amplement relayée et médiatisée. A titre d’exemple, le Président de la République a notamment déclaré publiquement que « l’adhésion de la République de Moldavie n’est pas seulement réaliste, elle est un fait qui doit être accompli » en exprimant sa « grande confiance dans sa capacité d’avancer rapidement dans son parcours d’adhésion à l’UE ».

Pour répondre à votre question, le pari réussi de l’accueil du Sommet de la CPE par la République de Moldavie ne peut que jouer en faveur de ce pays dans le contexte des discussions sur l’élargissement de l’Union européenne.

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