Travail, emploi et transformation agroécologique : partie 3

La Cité

Travail, emploi et transformation agroécologique : partie 3

Une modification profonde du métier d'agriculteur : naissance d'un cultivateur de territoires
La rupture avec les logiques libérales et mondialisées actuelles de l’agriculture nous impose une transformation des systèmes agricoles par les principes de l’agroécologie, ainsi qu’une reterritorialisation des circuits de distribution alimentaires.
1.    Une transformation des compétences requises

La transformation agroécologique des systèmes agricoles et alimentaires devrait entraîner une complexification du métier d’agriculteur alors basé sur la compréhension des écosystèmes et l’observation quotidienne de son évolution. En effet, l’agroécologie est multidisciplinaire et rassemble l’agronomie, l’écologie ou encore les sciences sociales (1). Cela implique une augmentation importante de la diversité de savoirs nécessaires à la bonne tenue d’un système agroécologique. L’agriculteur était jusqu’ici un agronome. Avec l’agroécologie, il va aussi falloir qu’il devienne écologue et se coordonne avec les autres acteurs de son territoire afin de constituer des systèmes agricoles et alimentaires cohérents à l’échelle territoriale.

Cela implique donc, entre autres, une formation plus longue et plus poussée que les niveaux de formation passés. La tendance est d’ailleurs, chez les jeunes générations, à l’augmentation du niveau d’éducation, qui plus est dans les exploitations mettant en place de l’agroécologie(2). De plus, l’agroécologie repose sur une création partagée du savoir entre les agriculteurs, les conseillers et les chercheurs. Ainsi, la posture du métier d’agriculteur s’en voit elle aussi modifiée. Il n’est plus receveur de connaissances mais co-créateur. Cela implique un aménagement des dispositifs de recherche et de conseil propice au dialogue et aux innovations ainsi qu’une capacité de l’agriculteur à non seulement observer plus fortement son système mais aussi à comprendre ou apporter des hypothèses d’explications ensuite confirmées, confrontées ou réfutées en collaboration avec la recherche. Les conseillers seraient alors des relais et des animateurs de ces dispositifs de création de savoirs locaux en support aux différentes échelles de concertation et de réflexion. L’observation est primordiale pour la création d’un savoir localisé mais aussi indispensable à la bonne tenue d’un système agroécologique. En effet, par l’observation, l’agriculteur va pouvoir prendre des décisions rapides en vue de s’adapter à un environnement économique, social et environnemental mouvant. Les décisions seront alors de l’ordre de la production ou encore de la gestion économique de l’exploitation.

De plus, les exploitations en agriculture biologique sont plus nombreuses à avoir recours à la commercialisation en circuits courts et à la transformation à la ferme (2). Avec la transformation agroécologique des systèmes agricoles et alimentaires, cette tendance devrait se confirmer et s’amplifier. Cela créerait ainsi de nouvelles compétences sur les exploitations, des compétences en techniques de transformation ou encore des compétences commerciales. Néanmoins, la transformation et la commercialisation des produits agricoles ne pourraient être redistribuées uniquement au sein des exploitations agricoles sous peine d’un manque d’efficience des circuits alimentaires (3). La renaissance d’un artisanat agro-alimentaire territorial en synergie avec les systèmes agroécologiques et avec la demande alimentaire locale créerait de nouvelles compétences sur les territoires ainsi qu’un dynamisme économique retrouvé.

2.    Une nouvelle organisation du travail tournée vers la mutualisation

La transformation agro-écologique requiert une augmentation très importante du nombre de travailleurs agricoles et d’installation. Aujourd’hui, cela n’est pas permis par la pénibilité du travail d’agriculteur, incluant la faible rémunération et la difficile transmissibilité des exploitations, du fait du niveau de capital trop important pour une reprise hors du cercle familial, entre autres(4). Nous défendons dans cet article l’opportunité unique que nous offre la cessation d’activité du tiers des agriculteurs de plus de 55 ans dans les prochaines années (4) pour changer de modèle de développement agricole, mais aussi de l’organisation du travail agricole. La mutualisation est une solution pour relever le défi de la transformation agroécologique des systèmes agricoles et de la perte des actifs agricoles.

Les exploitations agricoles sont aujourd’hui en moyenne d’une taille de 64 hectares avec des niveaux de capital variés selon les productions (2). En effet, les productions en grandes cultures sont fortement capitalisées alors que celles en maraîchage le sont peu par exemple. Pour en faciliter la reprise, le niveau de capital par UTA participant à ce capital doit être réduite. Il y a donc deux options possibles : le démantèlement des exploitations existantes en exploitations plus petites et adaptées à l’agroécologie ; l’installation collective d’un nombre important d’agriculteurs alors sociétaires sur ces exploitations afin de permettre leur diversification.

La première option peut amener des réticences dans la transmission des exploitations par les cédants, qui ne veulent parfois pas voir le fruit du travail de toute une vie, voire de plusieurs générations, être démantelé. Ainsi, la deuxième option semble être la plus acceptable dans la majorité des cas et en plein essor actuellement en substitution des modèles familiaux(2) . La mise en place de formes sociétaires d’exploitation agricole telles que des GAEC (Groupement Agricole d’Exploitation en Commun ou encore des SCOP (Société Coopérative de Production), permettrait de réduire le capital à apporter par sociétaire ainsi que la diversification des exploitations agricoles aujourd’hui spécialisées. On peut aussi en faire découler une certaine mutualisation des risques et des bénéfices liés à la mise en place de l’agroécologie, notamment dans la jeunesse du système en création. Néanmoins, la mise en place de ces formes sociétaires peut faire face à des difficultés liées à l’entente des sociétaires et aux aspirations de chacun. Ce processus devrait donc être fortement accompagné par les conseillers agricoles des territoires afin de limiter ces risques.

De plus, une augmentation de la diversité des cultures au sein de l’exploitation agricole du fait de l’application des principes de l’agroécologie pourrait entraîner une augmentation du besoin en matériels différents, qui seraient individuellement moins utilisés que dans un système simplifié et rationnalisé. Ainsi, il semble pertinent de mutualiser le matériel agricole. Cela permettrait un amortissement optimal de ces matériels par leurs utilisations complémentaires entre les différents agriculteurs du groupe d’usagers ainsi qu’une répartition du coût que le matériel représente, aussi bien à l’achat que pour sa maintenance. Néanmoins, certaines expériences spontanées ont montré qu’il est parfois difficile pour les agriculteurs de s’endetter mutuellement pour un matériel (5). L’institutionnalisation de cette mutualisation sous la forme d’une CUMA (Coopérative d’Utilisation du Matériel Agricole) par exemple est une solution intéressante pour couvrir collectivement les frais financiers et de maintenance liés aux différents matériels tout en dépersonnifiant l’investissement initial.

Enfin, une dernière mutualisation semble intéressante dans le contexte de la transformation agroécologique des systèmes agricoles, celle de la main d’œuvre et des compétences. Tout comme pour le matériel, la diversification des productions et la complexification des agrosystèmes nécessitent une diversification des compétences qui ne doivent parfois être mobilisées qu’à certains moments précis du calendrier agricole de chaque exploitation. Ainsi, les pics de travail, tout comme le recours ponctuel à certaines compétences ou encore le remplacement temporaire d’agriculteurs en congés ou en arrêt maladie entraînent la nécessité de mutualiser des emplois au niveau des territoires. Ces emplois seront alors permanents, de qualité et répondront aux demandes temporaires de différentes natures sur les exploitations agricoles. Ils pourront être créés dans des CUMA ou encore au sein de groupements coopératifs d’employeurs agricoles.

Conclusion

Pour conclure, la mutualisation du capital, des risques, des bénéfices, des compétences et de la force de travail semble être tout à fait adaptée à la transformation agroécologique des systèmes agricoles et alimentaires. Elle doit néanmoins être fortement accompagnée financièrement et techniquement par les instances de l’Etat et de conseils. Cela est indispensable aux agriculteurs pour faire face aux investissements conséquents que nécessitent un changement de système et aux incertitudes liées au caractère innovant de cette transformation dans un contexte de surendettement déjà important. L’accompagnement technique est aussi nécessaire pour faire face à la complexité et à la diversité des systèmes de production à mettre en place. Enfin, cette transformation agroécologique fera des agriculteurs des acteurs majeurs de l’architecture des systèmes alimentaires. Au cœur de la production des savoirs et du design des systèmes alimentaires territorialisés, l’agriculteur de demain sera un cultivateur de territoires.

Références

(1)Thierry Doré, Stephane Bellon. Les mondes de l’agroécologie. QUAE. 2019. ffhal-02264190, https://core.ac.uk/download/pdf/226790057.pdf

(2) Forget V., Depeyrot J.-N., Mahé M., Midler E., Hugonnet M., Beaujeu R., Grandjean A., Hérault B., 2019, Actif’Agri. Transformations des emplois et des activités en agriculture, Centre d’études et de prospective, Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, la Documentation française, Paris, https://agriculture.gouv.fr/actifagri-de-lemploi-lactivite-agricole-determinants-dynamiques-et-trajectoires

(3) ADEME, 2017, Alimentation – Les circuits courts de proximité, https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/avis-ademe-circuits-courts.pdf

(4) Coly B., 2020, Entre transmettre et s’installer, l’avenir de l’agriculture, Avis du CESE, 99p, https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2020/2020_10_avenir_agriculture.pdf

(5)Lutz J., Smetschka B., Grima N., 2017, Farmer Cooperation as a Means for Creating Local Food Systems – Potentials and Challenges, Sustainability, 9, 925, http://dx.doi.org/10.3390/su9060925

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Travail, emploi et transformation agroécologique : partie 2

La Cité

Travail, emploi et transformation agroécologique : partie 2

Combattre une distorsion entre emplois et travail agricoles menaçant notre souveraineté alimentaire
Les logiques libérales de marché ont transformé au fil des décennies les systèmes alimentaires et agricoles, faisant que sur 100€ de consommation finale, seuls 6€ reviennent aux producteurs en 2016, selon les données France Agrimer [1]. De plus, l’agriculture industrielle est responsable de nombreux dommages sanitaires, environnementaux et sociaux. Cela impose une transformation radicale de nos systèmes agricoles et alimentaires. Le scénario Afterres 2050 [2] propose un plan pour cette transformation en France. Il prône notamment une transformation agroécologique de notre production agricole. L’augmentation des surfaces de productions intenses en main d’œuvre telle que le maraîchage ou encore une augmentation des tâches non mécanisables dans les systèmes agroécologiques [3] entraîneront l’augmentation importante du besoin en travail au niveau national. Or, nous observons déjà aujourd’hui une distorsion entre emploi et travail agricole qui n’ira alors qu’en s’aggravant si rien n’est fait.
1.    Les causes d’une distorsion entre emploi et travail agricole

La transformation agroécologique de notre système agricole et alimentaire impose une augmentation importante de nombre de travailleurs. En effet, le besoin important en emploi agricole révèle d’une augmentation importante du besoin en travail que représente cette transformation. Rappelons ainsi la définition du travail et de l’emploi. Dans le Larousse, le travail est défini comme « activité de l’homme appliquée à la production, à la création, à l’entretien de quelque chose » alors que l’emploi est défini comme « un travail rémunéré dans une administration, une entreprise, chez quelqu’un ». En d’autres termes l’emploi ne représente donc qu’une partie d’un travail qui fait l’objet d’un contrat et d’un encadrement juridique, qui induit une rémunération.

Actuellement en agriculture, une partie du travail réalisé n’est pas rémunéré. En effet, en 2019, les exploitants agricoles non-salariés déclarent se verser une indemnité nette mensuelle de 1 457€ (3) contre environ 1 840 € si on applique à la quantité d’heures de travail réalisée en moyenne, la rémunération d’un emploi payé au SMIC horaire (janvier 2021). Ainsi, non seulement l’activité agricole ne permet actuellement pas la rémunération du travail nécessaire mais ce besoin en travail va fortement augmenter.

La première des causes de cette distorsion travail-emploi en agriculture est donc la faible rémunération du travail, à mettre en lien avec l’importante pénibilité du travail de travailleurs agricoles. En outre, les contrats temporaires et saisonniers qui se multiplient dans le domaine agricole, afin de faire face à la forte charge de travail ainsi qu’aux pics de travail occasionnés par la nature saisonnière de l’agriculture et amplifiés par la spécialisation des exploitations agricoles, sont aussi un élément important de cette précarisation.

De plus, en France, de nombreux emplois agricoles et agro-alimentaires sont dépendants des filières mondialisées (3), ce qui les rend dépendants des marchés mondiaux. Les rapports de force au sein des filières agricoles mondialisées sont ainsi fortement en défaveur des producteurs, qui, mis face aux oligopoles de l’agro-fourniture, de l’agro-alimentaire et de la grande distribution, sont victimes d’une guerre des prix qu’ils ne peuvent gagner, et ce, même en spécialisant et industrialisant leurs exploitations agricoles. Or, la rentabilité des fermes va à l’avenir devenir un point de plus en plus critique, du fait de la tendance à la diminution du modèle familial à 2 UTH (Unité de Travail Humain) des exploitations agricoles françaises et au recours de plus en plus important au salariat ou aux formes sociétaires (l’exploitation agricole appartient à plusieurs associés), par les impératifs juridiques et économiques auxquels ils obéissent. En effet, une société agricole qui ne serait pas assez rentable verrait vite ses sociétaires se retirer du jeu et s’écroulerait alors. Il est donc urgent de traiter cette faible rentabilité des exploitations agricoles et ainsi la faible rémunération des travailleurs agricoles.

Autre cause importante de cette distorsion emploi-travail agricole : la pénibilité du travail en agriculture se caractérise en premier lieu par le stress occasionné par l’endettement et les aléas climatiques de plus en plus fréquents et violents dus au dérèglement climatique (3). En deuxième lieu, les risques biologiques engendrés par l’utilisation des produits phytosanitaires et les risques physiques liés aux différents travaux manuels, dangers de mécanisation ou encore port de charges lourdes sont deux autres caractéristiques de la pénibilité du métier d’agriculteur (3). Enfin, il est bon de citer aussi l’isolement que peuvent subir de nombreux agriculteurs, un isolement physique mais aussi et surtout social, du fait d’une distorsion entre l’agriculture en place aujourd’hui et les attentes sociétales ainsi que d’un faible dynamisme économique des zones rurales(3).

2.    Reformer un dynamisme économique des campagnes

Les impératifs de meilleure répartition équitable de la valeur ajoutée dans les filières agroalimentaires et d’une diminution de la pénibilité du travail d’agriculteur semblent mener à l’impératif d’une reterritorialisation des systèmes alimentaires.

La maximisation de l’efficience des systèmes agricoles et de leurs synergies, principes de l’agroécologie, est à élargir aux systèmes alimentaires. Ils doivent alors être pensés comme un ensemble d’acteurs économiques privés, mixtes ou publics, permettant de proposer aux producteurs locaux des débouchés à la diversité augmentée de leurs productions, et aux populations une offre diversifiée et de qualité, leur permettant non seulement de se nourrir mais aussi de jouir des services écosystémiques issus de ces systèmes agroécologiques. La diversification des productions et des paysages ainsi que l’adaptation aux conditions locales, principes mêmes de l’agroécologie, nécessiteront une adaptation de toutes les filières à des productions très diverses et hétérogènes rendant la rationalisation et la standardisation des processus industriels et de la grande distribution obsolètes à grande échelle. La constitution d’un artisanat agro-alimentaire composé d’un tissu de PME résilient, complémentaire et territorialisé est le seul à même de s’adapter à une telle diversité et hétérogénéité de productions et ainsi de répondre aux besoins des populations localement de manière efficiente. Les populations seraient fortement impliquées dans le design de ces systèmes alimentaires du fait, dans un premier temps, de la nécessité pour ces derniers de répondre à la demande locale en priorité, et dans un deuxième temps, de la mobilisation de fonds publics pour engager cette transformation agroécologique des systèmes agricoles et alimentaires, puis combler les lacunes laissées par le marché dans la construction de ce tissu artisanal agro-alimentaire. Ce processus ramènerait ainsi la fixation des prix agricoles et agroalimentaires au niveau local avec un encadrement nécessaire des marges réalisées tout au long des chaînes de production. Cela permettrait de contrer la précarisation des travailleurs agricoles et de redynamiser l’économie rurale et territoriale par un retour de la valeur ajoutée des filières agroalimentaires auprès des populations et notamment des travailleurs agricoles.

A la base de ces systèmes alimentaires territorialisés, la transformation agroécologique des systèmes agricoles devrait permettre de s’attaquer durablement à la première des caractéristiques de la pénibilité du travail d’agriculteur : le stress. En effet, cette transformation entrainerait une diminution de la taille et donc du capital des exploitations dans leur globalité du fait de la ré-articulation des productions à l’échelle nationale mais aussi de la mutualisation du matériel ou encore des bâtiments (2) (3). De plus, l’augmentation importante de la main d’œuvre dans les fermes, couplée à la diminution globale du capital sur les exploitations, réduirait la part de capital par UTH, donc l’endettement relatif et diminuerait ainsi les frais financiers par UTH. Enfin, l’agroécologie, par la diversification des productions, permettrait une résilience plus importante face aux aléas climatiques et permettrait une stabilité et une visibilité économique favorable à la diminution du stress des agriculteurs. En outre, les risques biologiques seraient fortement réduits du fait de la baisse drastique, voire de l’élimination de l’utilisation de produits phytosanitaires et des engrais de synthèse. En revanche, l’augmentation du recours à des travaux manuels et donc physiques entraînerait une hausse des risques physiques à contrebalancer par une utilisation raisonnée de la mécanisation.

Conclusion

Pour conclure, principalement due à une faible rémunération du travail et à un fort stress lié au surendettement, la distorsion emploi-travail agricole devrait être combattue par une forte intervention des pouvoirs publics dans la construction de conditions favorables au développement de systèmes agricoles et alimentaires agroécologiques et territorialisés. La stimulation et l’accompagnement de la construction d’un tissu agroalimentaire artisanal et territorial, couplés à un soutien financier et technique au développement de systèmes agroécologiques composés de productions d’intérêts agronomique, économique et social sont absolument indispensables. Cela permettrait la création d’une cohérence territoriale à même de maximiser les synergies, combattre la distorsion actuelle emploi-travail et ainsi recouvrir notre souveraineté alimentaire. Ainsi, une activité économique et une population plus importante en zone rurale seraient alors le début d’un cercle vertueux d’un dynamisme économique retrouvé permettant l’installation de commerces, de loisirs ou encore de services publics et ainsi de nombreuses familles jeunes et dynamiques dont certaines comprenant des travailleurs agricoles, alors sujets de nouveaux emplois agricoles diminuant drastiquement l’isolement des agriculteurs.

Références

(1)France AgriMer, 2020, Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires – Rapport au Parlement 2020, 448p, https://www.franceagrimer.fr/content/download/64646/document/Rapport_2020_OfPM.pdf

(2) Association Solagro, Courturier C., Charru M., Doublet S. et Pointereau P., 2016, Afterres 2050, 96p, https://afterres2050.solagro.org/wp-content/uploads/2015/11/Solagro_afterres2050-v2-web.pdf

(3) Forget V., Depeyrot J.-N., Mahé M., Midler E., Hugonnet M., Beaujeu R., Grandjean A., Hérault B., 2019, Actif’Agri. Transformations des emplois et des activités en agriculture, Centre d’études et de prospective, Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, la Documentation française, Paris, https://agriculture.gouv.fr/actifagri-de-lemploi-lactivite-agricole-determinants-dynamiques-et-trajectoires  

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Travail, emploi et transformation agroécologique : partie 1

La Cité

Travail, emploi et transformation agroécologique : partie 1

Garantir le droit à l'alimentation et une juste rémunération des travailleurs agricoles
Les conditions socio-économiques et environnementales déplorables au sein desquelles évolue actuellement l’agriculture nous imposent une transformation radicale de nos systèmes agricoles et alimentaires. Ils devront revenir de leur course vers toujours plus de mondialisation, de libéralisation et de recherche de productivité maximale du travail qui ne se traduit que trop souvent par une détérioration des conditions des travailleurs agricoles.

Les logiques libérales de marché ont transformé, au fil des décennies, les systèmes alimentaires et agricoles. Elles ont créé un goulot d’étranglement par la constitution d’oligopoles au niveau des industries agro-alimentaires et des centrales d’achat des entreprises de la grande distribution. Alors livrées à une concurrence mondiale, seules les entreprises pouvant suivre la course folle à la compétitivité et aux économies d’échelle ont pu survivre. Cette concentration en aval de la production agricole et a précipité l’agriculture dans ce même engrenage, par la spécialisation et la standardisation des exploitations agricoles et des territoires, au gré des « avantages comparatifs ». Par nature, l’agriculture ne peut suivre le rythme de concentration des multinationales de l’agro-alimentaire et de la grande distribution. En effet, entre autres raisons, travailler avec le vivant limite la standardisation et la mécanisation possible des systèmes de production. Cette course à la compétitivité était perdue d’avance, et les rapports de force dans la répartition de la valeur ajoutée au sein des filières agro-alimentaires sont aujourd’hui fortement en défaveur des producteurs. De plus, cette course à la compétitivité, symbolisée par la naissance d’une agriculture industrielle, a permis la naissance de multinationales de l’agro-fourniture, elles aussi constituées en oligopoles pour les mêmes raisons que pour les multi-nationales de l’agro-alimentaire et de la distribution. Ainsi, en 2016, sur 100€ de consommation finale, seuls 6€ reviennent aux producteurs, selon les données France Agrimer(1). De plus, l’agriculture industrielle, née de cette dynamique suicidaire, est responsable de nombreux dommages sanitaires, environnementaux et sociaux.

Ainsi, une rupture avec les logiques libérales et mondialisées actuelles nous est imposée entres autres par les défis sanitaires, climatiques, de maintien de la biodiversité mais aussi de redynamisation des territoires pour recouvrir notre souveraineté alimentaire. Cependant, elle se révèle être aussi une solution. En effet, une transformation des systèmes agricoles par les principes de l’agroécologie, ainsi qu’une reterritorialisation des circuits de distribution alimentaires, alors composés d’un artisanat agro-alimentaire diversifié, complémentaire et dynamique, est la seule à même de répondre aux enjeux économiques, environnementaux et sociaux de notre époque.

Cet article (en 3 parties) se propose donc de donner à voir sur les implications de cette transformation agroécologique des systèmes agricoles et alimentaires sur le travail en agriculture. Basée sur le scénario Afterres 2050(2), il se veut prospectif et permettra de donner un ordre d’idée de l’effort économique à demander aux acteurs des filières ainsi qu’au consommateur pour une bonne rémunération des travailleurs agricoles, une redynamisation de nos campagnes et la garantie du droit à une alimentation saine pour tous dans des systèmes agricoles et alimentaires alors durables.

1.    Le besoin en travail dans les systèmes agroécologiques
Une modification du système agricole français

Afin de concrétiser et d’illustrer la transformation des systèmes agricoles et alimentaires appelée ces dernières années par une partie toujours croissante de la société, plusieurs scénarios prospectifs sur l’alimentation et l’agriculture de demain ont été proposés. Parmi eux, peuvent être cités, les scénarios Afterres 2050 ou encore TYFA. Le premier scenario prône, entre autres, une diminution drastique de la consommation de protéines animales ainsi qu’une compensation partielle de cette diminution par la consommation de protéines végétales(2). L’augmentation des protéagineux est indispensable à notre souveraineté protéique (soit l’atteinte d’une production de protéines végétales qui permettent de répondre à nos besoins pour l’alimentation animale et humaine aujourd’hui couverts par de massives importations en provenance d’Amérique du Sud) ainsi qu’à la modification de nos habitudes alimentaires en substitution de protéines animales. Ces dernières seraient alors produites par des systèmes en polyculture élevage afin d’en maximiser les synergies(3). De plus, au regard du besoin de recouvrer notre souveraineté alimentaire, dont les fragilités ont été mis à jour lors de la crise sanitaire de la Covid-19, l’augmentation de la production de fruits et de légumes est indispensable en France. En effet, 50% de notre consommation de fruits et légumes est aujourd’hui importée(4). Les conclusions de cette étude sont donc en phase avec les transformations nécessaires au recouvrement de notre souveraineté alimentaire ainsi qu’à une réinsertion des systèmes agricoles au sein des cycles naturels.

Ainsi, notre analyse prospective s’est basée sur le scénario Afterres 2050 (2) dans sa variante généralisation de l’agriculture biologique. En effet, au vu de la concentration des données disponibles relevant de l’agroécologie autour de l’agriculture biologique, il semblait pertinent de se focaliser sur cette variante afin de pouvoir réaliser notre prospective.  Le scénario Afterres 2050 met en avant quatre changements majeurs à l’échelle nationale dans les systèmes agricoles :

  • Une diminution de 300 000ha et de 15 900 milliers de tonnes de blé tendre ;
  • Une augmentation de 1 900 000ha et de 3 300 milliers de tonnes de protéagineux à destination aussi bien de l’alimentation animale comme humaine avec tout de même une large augmentation de la part dédiée à cette dernière ;
  • Une augmentation de 70 000ha et de 200 milliers de tonnes de fruits ainsi que de 270 000ha et 6 100 milliers de tonnes de légumes ;
  • Une diminution de 910 000 têtes de vaches laitières et de 7 180 milliers de tonnes de lait ainsi que de 2 610 000 têtes de vaches allaitantes et de 660 milliers de tonnes poids carcasse.

Au vu des données disponibles et des principaux axes de la transformation du système agricole français, cette prospective se centrera sur les ateliers céréales et oléo-protéagineux (COP), le  maraîchage et l’élevage laitier.

Une augmentation du besoin en travail

Le premier résultat de cette prospective que nous pouvons mettre en avant est l’augmentation du besoin en travail d’environ 380 000 emplois supplémentaires dans les trois filières ciblées par cet article. Cette augmentation du nombre de travailleurs agricoles, aussi bien permanents que temporaires, est nécessaire à la mise en place de systèmes agroécologiques. En effet, ces systèmes impliquent une augmentation des surfaces de productions intenses en main d’œuvre, telle que le maraîchage, ou encore une augmentation des tâches non mécanisables(5).

Donc, du fait de la combinaison de l’augmentation de la main d’œuvre par exploitation agricole pour les productions maraîchères, de grandes cultures et laitières, et de la diminution de la taille des exploitations, la main d’œuvre totale au niveau national devrait augmenter(5).

Ainsi, si l’on reprend les surfaces de production maraîchères et de grandes cultures ainsi que le nombre de têtes de vaches laitières que compterait la France en 2050 selon le scénario Afterres 2050 et qu’on les divise par la surface moyenne, ou nombre de têtes de chacune des productions en agriculture biologique, il est alors possible de dire qu’au niveau national, nous aurions une augmentation de 111%, 809% et de 55% du nombre d’UTH (Unité de Travail Humain) respectivement pour les productions de céréales et oléo-protéagineux, de légumes frais et de lait (graphique ci-dessus). De plus, il convient d’ajouter que le nombre relatif de salariés temporaires et donc précaires serait réduit par rapport à la situation actuelle (5), notamment grâce au lissage de la charge de travail sur l’année, du fait d’une diversification des productions sur les exploitations agricoles(6). Une transformation agroécologique des systèmes agricoles, selon le scénario Afterres 2050, entraînerait donc une forte augmentation de la main d’œuvre agricole ainsi que de la qualité des emplois.

Une productivité du travail fortement impactée

Une augmentation du besoin en main d’œuvre pour une SAU (Surface Agricole Utile) française stable se traduira obligatoirement par une diminution de la productivité du travail en termes d’homme à l’hectare, mais aussi en termes de quantité de travail humain nécessaire pour produire une unité de rendement. En effet, les rendements en agriculture biologique sont 20% plus faibles qu’en agriculture dite conventionnelle(7). Or, cette diminution de la productivité physique n’est en rien préoccupante, au regard du contexte français, caractérisé par un chômage important et une surproduction évidente par rapport aux besoins de sa population, notamment sur certaines productions telle que le blé tendre ou encore le lait.

Il faut néanmoins s’attarder sur le cas de la rentabilité de l’agriculture suite à la transformation agroécologique des systèmes agricoles et alimentaires. Ainsi, la production de valeur ajoutée au niveau de l’exploitation agricole dépend de plusieurs paramètres :

  • Le prix de vente final au consommateur, qui régit la création totale de valeur ajoutée à l’échelle des filières.
  • Le prix de vente au producteur, qui dépend du prix précédent ainsi que la répartition du montant total de valeur ajoutée au sein des filières, sa fixation étant dominée par des rapports de force défavorables aux producteurs du fait des oligopoles créées en amont et en aval(8).
  • Les charges opérationnelles des exploitations agricoles qui, soustraites au prix précédent, donne à voir sur leur marge brute.

Du fait de cette modification en profondeur de la composition du système agricole français à l’horizon 2050, selon le scénario Afterres 2050 et les hypothèses posées pour cette prospective (cf annexe), les résultats économiques sont fortement modifiés. Ainsi, du fait des données disponibles, nous centrons notre analyse à l’échelle des filières suivantes : le blé tendre panifiable, la lentille, le maraîchage ainsi que la production laitière sans transformation. Cela permet d’avoir une bonne représentativité des principaux changements du système agricole suivant le scénario Afterres 2050 et ainsi d’obtenir une prospective plausible.

Une rentabilité encore majoritairement insuffisante

En 2050, d’après notre prospective, la rentabilité hors subventions (calculée comme la marge brute/UTA) des productions céréales-protéagineux et maraîchères serait augmentée respectivement de 56% et de 99% tandis que celle de la production laitière diminuerait respectivement de 22%. On peut en conclure un trop faible prix du lait ainsi qu’une non viabilité des exploitations spécialisées en élevage. En effet, l’élevage ne pourra entrer dans une transformation agroécologique des systèmes agricoles qu’intégré aux productions végétales et avec une production animale mixte (lait et viande) (3). A noter qu’une forte hausse de la rémunération serait à attendre sur le maraîchage avec une rentabilité qui double en parallèle d’une multiplication par neuf des travailleurs agricoles dans cette filière.

2.    Pour l’engagement d’une transformation agroécologique des systèmes agricoles et alimentaires
Rémunérer correctement les travailleurs agricoles

Trois options pour combler les écarts de rentabilité observés se présentent alors :

D’après les données issues d’une étude de 2018 de l’Atelier des Etudes Economiques, la part des marges brutes utilisées pour la rémunération des actifs, en agriculture biologique, pour les grandes cultures est de 28% et pour le lait de 40% (10). Le reste est destiné à financer les charges de structure. Une des solutions serait donc d’augmenter la part de marge brute utilisée pour la rémunération des actifs. La transformation agroécologique des systèmes agricoles par une mutualisation du matériel ou encore des bâtiments ainsi que par une diminution du recours à la mécanisation du fait d’une maitrise plus importante encore des itinéraires techniques pourraient permettre une diminution des charges fixes ainsi que des amortissements. Enfin, cette transformation visant une diminution de l’endettement des exploitations par une augmentation de leur autonomie, permettrait une diminution des frais financiers.

Notre prospective nous permet d’avancer que, sans répercussion à la hausse sur le prix au consommateur additionnelle à la généralisation des prix du bio, pour les céréales-protéagineux, 5,1% de la marge de l’aval de la filière pain et/ou 4,3% de la marge de l’aval de la filière lentille redistribuée aux producteurs permettrait aux travailleurs agricoles de cette filière d’obtenir le salaire minimum défini dans cette note. Il en va de même avec une redistribution de 21,9% pour la filière laitière. A noter que la majorité de la marge de l’aval de la filière céréales-protéagineux est captée par les enseignes de la grande distribution alors que pour la filière lait l’industrie agro-alimentaire capte la majorité de la valeur ajoutée. 

Enfin, la dernière solution est bien évidemment d’augmenter la marge brute, non pas par une augmentation du prix au consommateur qui menacerait l’accessibilité alimentaire, mais par une diminution des charges opérationnelles (charges variables liées notamment aux intrants : engrais, semences, produits phytosanitaires, etc) qui pourrait être permise par une meilleure maitrise et un meilleur équilibre des écosystèmes en maximisant ainsi les synergies.

Mais une fois cela dit, il reste un point essentiel à traiter. L’augmentation importante des prix alimentaires au consommateur du fait de la généralisation des prix du bio pourrait détériorer l’accessibilité alimentaire déjà insuffisante actuellement. Comment faire en sorte de conjuguer rémunération correcte des travailleurs agricoles dans des systèmes agricoles agroécologiques et accessibilité alimentaire ?

Garantir le droit à l’alimentation

Afin de traiter cette question, mettons en perspective les données d’augmentation des prix alimentaires liée à la généralisation des prix du bio avec le besoin de redistribution de la marge captée par l’aval des filières pour une bonne rémunération des travailleurs agricoles (selon le revenu minimum défini dans cet article)

Répartition de la valeur ajoutée à l’aval des filières et augmentation de la rémunération nécessaire au producteur

 

 

Pain (€/kg)

Lentille (€/kg)

Légumes (€/kg)

Lait (€/l)

Prix de produits issus de l’agriculture conventionnelle au consommateur

3,471

2,552

2,363

0,764

Prix de produits issus de l’agriculture biologique au consommateur

3,721

52

4,223

0,875

Variation

+7 %

+96 %

+79 %

+15 %

Variation de la VA destinée à la rémunération des producteurs/unité de production pour rémunération minimum

+0,17€

+0,17€

-0,45€

+0,09€

Part de la VA de l’aval des filières à redistribuer au producteur

5,1 %

4,3 %

21,9 %

Augmentation du prix au consommateur des légumes si rémunération au min

59,7 %

 

 

(1) : Moyenne sur 5 ans de 2012 à 2016

: (11)

: (12) Moyenne 2018-2019

: (1) données 2019 lait UHT demi-écrémé

5 : Répercussion seule de la variation du prix au producteur (Hypothèse : marge constante pour le lait biologique et le lait conventionnel) – Données indisponibles  

Or, pour les filières blé tendre panifiable, lentilles, légumes et lait, la part de la valeur ajoutée captée par l’aval des filières est de respectivement 90%, 79%, 45% et 47% du prix final dont respectivement 88%, 99%, 100% et 34% de cette part de la valeur ajoutée finale récupérée par la grande distribution (pour le lait 78% de la valeur ajoutée est captée par l’industrie agro-alimentaire).

Il semble donc tout à fait plausible, au vu des chiffres, qu’un encadrement des marges couplé à une reterritorialisation et à une simplification des circuits de distribution permettent une bonne rémunération des actifs agricoles ainsi qu’un prix au consommateur probablement moins élevé que le prix actuel des produits issus de l’agriculture biologique. En effet, pour les filières blé tendre panifiable, lentilles et lait, une redistribution au producteur de 5,1%, 4,3% et 21,9% de la valeur ajoutée captée par l’aval des filières permettrait une rémunération des actifs agricoles au simple salaire minimum calculé dans cet article.  Pour ce qui est des légumes nous pouvons même affirmer que cette rémunération minimum serait permise même avec une diminution de 45% des prix au consommateur à partir des prix actuels du bio.

En outre, afin de garantir le droit à l’alimentation et ainsi l’accessibilité à une alimentation saine, diversifiée et de qualité à tous les individus, l’État devrait aussi adopter une fiscalité avantageuse pour certains produits, développer des systèmes de protection sociale tels que la Sécurité sociale de l’Alimentation ou encore agir sur la diminution des autres postes de dépenses contraints des ménages tels que l’énergie. En effet, d’après notre prospective, l’effort de redistribution de la valeur ajoutée demandé pour la production de lait serait assez important malgré l’augmentation déjà considérable du prix au consommateur du fait de la généralisation du prix bio. De plus, l’effort de redistribution de la valeur ajoutée pour les lentilles ne serait pas très important mais, du fait de la généralisation du bio, le prix au consommateur aurait déjà presque doublé. Les prix des légumes, par la généralisation des prix du bio, augmenteraient toujours de 59,7%, en comparaison à une augmentation initiale de 79%, si le surplus de rémunération au producteur par rapport.

Ainsi, afin de prendre en compte l’évolution des circuits de distribution vers les circuits courts de proximité, une fiscalité avantageuse devrait s’appliquer à l’échelle du producteur combinée à un encadrement des marges sur toute la filière. Ainsi, dans un objectif de recouvrement de notre souveraineté agricole et alimentaire et de modification de nos habitudes alimentaires, le soutien économique devrait se concentrer principalement sur les fruits et légumes ainsi que sur les protéagineux afin d’en augmenter significativement la production ainsi que l’accessibilité pour les consommateurs tout en permettant une bonne rémunération des travailleurs agricoles. Sur le blé tendre panifiable ainsi que sur le lait, un simple encadrement des marges devrait être effectué, permettant ainsi d’éviter une augmentation additionnelle du prix du pain et de limiter l’augmentation du prix du lait. Cette légère augmentation va dans le sens de la nécessité de réduire notre consommation de produits animaux.

Conclusion

La transformation agroécologique des systèmes agricoles et alimentaires est absolument nécessaire, au vu des défis climatiques et de santé publique auxquels nous faisons face. C’est aussi une solution pour notre souveraineté alimentaire, ainsi que pour la bonne rémunération des travailleurs de toutes les filières agro-alimentaires. Cet article prospectif a montré que la transformation agroécologique des systèmes agricoles et alimentaires allait nécessiter une forte augmentation du besoin en travail. Mais l’arrivée de ces nouveaux travailleurs dans le secteur agricole ne se fera pas sans une meilleure rémunération au niveau de la production.

Pour cela, l’augmentation du prix au consommateur serait indispensable, mais elle ne doit pas pour autant mettre en péril l’accessibilité à l’alimentation. Des mesures fiscales et facilitatrices devront donc être prises afin d’encadrer les marges des différents intermédiaires au sein des filières. En effet, cette prospective a montré que l’effort de redistribution de l’aval vers les producteurs n’était globalement pas très important et pourrait donc se faire sans mal. En plus de cela, des mécanismes de subvention au niveau des producteurs mais aussi des distributeurs devront être mis en place pour favoriser les productions et aliments bruts ou peu transformés, permettant à chaque consommateur de composer des repas sains et nutritifs. Il faut noter qu’à terme, une alimentation saine aussi bien du point de vue sanitaire qu’écosystémique permettra une diminution des coûts indirects de santé et de dépollution des eaux qui pourrait ne pas entraîner de perte de pouvoir d’achat des ménages.

Annexe : Les hypothèses de cette étude prospective
  • La comparaison entre les résultats économiques actuels et ceux probables en 2050 en suivant le scénario Afterres 2050 porte sur la comparaison des différents prix au producteur, au consommateur et des charges opérationnelles entre agriculture dite conventionnelle et agriculture biologique.
  • Les résultats économiques finaux sont basés sur la généralisation des prix actuels des produits issus de l’agriculture biologique du fait d’une impossibilité à prévoir avec précision l’évolution des prix de l’agriculture biologique dans le cas de sa généralisation à l’échelle nationale.
  • Le revenu minimum d’un travailleur agricole à temps plein a été calculé selon la charge hebdomadaire de travail d’en moyenne 54,4h [9] multipliée par le SMIC horaire brut qui est de 10,15 € au mois de janvier 2021.
  • L’analyse économique des céréales est centrée sur les résultats économiques du blé tendre qui représente majoritairement les céréales produites en France.
  • L’analyse économique des protéagineux s’est centrée sur les résultats économiques de la culture de lentille qui est un protéagineux aujourd’hui principalement utilisé dans l’alimentation humaine. Par cette hypothèse, nous tâchons de prendre en compte une probable augmentation du prix moyen des protéagineux du fait d’une part croissante dédiée à l’alimentation humaine.
  • Les résultats économiques pris en compte dans l’analyse pour les exploitations en COP en agriculture biologique sont ceux des associations céréales-protéagineux dont nous faisons l’hypothèse qu’elles seront majoritaires à l’issue d’une transformation agroécologique des systèmes agricoles.
  • L’analyse économique de la filière laitière est centrée sur une production laitière sans transformation dans son analyse des prix au consommateur (prix au litre de lait UHT demi-écrémé).

Références

(1)France AgriMer, 2020, Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires – Rapport au Parlement 2020, 448p, https://www.franceagrimer.fr/content/download/64646/document/Rapport_2020_OfPM.pdf

(2)Association Solagro, Courturier C., Charru M., Doublet S. et Pointereau P., 2016, Afterres 2050, 96p, https://afterres2050.solagro.org/wp-content/uploads/2015/11/Solagro_afterres2050-v2-web.pdf

(3) Collin P., Levard L., 2020, L’élevage au cœur des transformations agricoles et alimentaires, Laboratoire d’idées UTAA, 20p

(4) Duplomb L., 2019, La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ?, Rapport d’information au Sénat n° 528, 31p, https://www.senat.fr/rap/r18-528/r18-5281.pdf

(5) Forget V., Depeyrot J.-N., Mahé M., Midler E., Hugonnet M., Beaujeu R., Grandjean A., Hérault B., 2019, Actif’Agri. Transformations des emplois et des activités en agriculture, Centre d’études et de prospective, Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, la Documentation française, Paris, https://agriculture.gouv.fr/actifagri-de-lemploi-lactivite-agricole-determinants-dynamiques-et-trajectoires

(6) Pimentel D., Hepperly P., Hanson J., Douds D. et Seidel R., 2005, Environmental, Energetic, and Economic Comparisons of Organic and Conventional Farming Systems, BioScience, 55, 7, 573-582, https://academic.oup.com/bioscience/article/55/7/573/306755

(7) de Ponti T., Rijk B. Van Ittersum MK., 2012, The crop yield gap between organic and conventional agriculture, Agricultural Systems, 108, 1-9, https://doi.org/10.1016/j.agsy.2011.12.004

(8) Ritzenthaler A., 2016, Les circuits de distribution des produits alimentaires, Avis du CESE, 186p, https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2016/2016_03_circuit_produits_alimentaires.pdf

(9) Chambre d’Agriculture, 2018, Repères socio-économiques sur l’agriculture française – Evolutions sur longue période, 19p, https://chambres-agriculture.fr/fileadmin/user_upload/National/FAL_commun/publications/National/memento-agriculture-VD-version-web.pdf

(10) L’atelier des Etudes Economiques, 2019, Références économiques en Agriculture Biologique – Normandie et Pays de la Loire, 52p, Étude_bio_2018_gl_20191118.pdf (agriculteurs-85.fr)

(11) Denhartigh C. et Metayer N., 2015, Diagnostic des filières légumineuses à destination de l’alimentation humaine en France – Intérêt environnemental et perspectives de développement, 53p, https://solagro.org/images/imagesCK/files/publications/f12_diagnosticlegumineusesalim.pdf

(12) Familles rurales, 2019, Observatoire des prix des fruits et légumes 2019 – Dossier de Presse, 12p, https://www.famillesrurales.org/sites/multisite.famillesrurales.org._www/files/ckeditor/actualites/fichiers/DP%20Observatoire%20des%20Prix%20FL%20%202019_0.pdf

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La Politique Agricole commune : un outil à réorienter partie 1/2

L'État et les grandes transitions

La Politique Agricole commune : un outil à réorienter partie 1/2

La Politique agricole commune, mise en place dès les débuts de l’Union européenne, est une politique communautaire centrale des systèmes agricoles européens. Confrontée à un contexte en constante évolution depuis 60 ans, la PAC entrera sous peu dans sa prochaine réforme. Il est intéressant de se replonger dans ses évolutions historiques avant de développer les prévisions de la prochaine réforme 2023-2027 et d’exposer notre analyse et nos propositions pour une PAC comme outil de la transformation agroécologique des systèmes agricoles et alimentaires.

La Politique agricole commune (PAC) est un outil central de l’évolution de l’agriculture européenne. Elle ne peut être laissée de côté dans la transformation indispensable de notre système agricole et alimentaire. Alors que la prochaine réforme de la PAC 2023-2027 approche à grands pas, il est nécessaire de se replonger dans les évolutions historiques de cette politique communautaire. Avant même de parler de souveraineté, de reterritorialisation et de transformation agroécologique il faut comprendre les mécanismes de la politique agricole européenne en place et ce qui nous y a mené. La rupture avec notre système agricole et alimentaire actuel ne se fera pas sans la compréhension des succès et échecs des précédentes transformations agricoles dans lesquelles la PAC a joué un rôle majeur.

Une politique européenne cen­tralisée dès ses débuts

1957, le traité de Rome institue la Communauté économique européenne (CEE). Ce même traité fixe les objectifs d’une politique à six pays répondant à la nécessité de nourrir l’Europe. C’est la Politique agricole commune (PAC). Apparue dans le contexte de l’après-guerre et d’absence d’autosuffisance alimentaire, elle s’accorde à la volonté d’un marché commun de la CEE et à la libre circulation des marchandises, y compris celles du secteur agricole. Héritage partiel des politiques nationales préexistantes, elle est mise en place en 1962 avec pour but d’accroître la productivité agricole, d’assurer un niveau de vie à la population agricole, de stabiliser les marchés et de garantir une sécurité d’approvisionnement et des prix raisonnables aux consommateurs. La PAC est alors une politique active, répondant à des besoins majeurs et s’inscrivant dans des objectifs de reconstruction. Elle vise, de plus, le renforcement de l’alliance européenne face aux autres puissances qui l’entourent – consolidation des régimes socialistes de l’Est et toute-puissance économique des Etats-Unis. Replacer cette politique communautaire dans son contexte est nécessaire pour comprendre le choix des leviers mobilisés par la PAC. Cette dernière par exemple, joue un rôle particulier dans la construction européenne. Dès sa première version, elle est très centralisée et laisse peu de place aux gouvernements nationaux – on parlera d’ailleurs de “renationalisation” de la PAC lors de la réforme de 2014. Dans le contexte de l’époque, limiter les mécanismes d’interventions nationaux a pour ambition de réduire les distorsions de concurrence au sein de l’Europe et de rendre compatible l’intervention publique et le marché commun.

La PAC est le symbole de l’ambition commune des Etats membres et sera longtemps la politique communautaire la plus importante – elle représente 80% du budget de la CEE dans les années 70. Elle repose sur trois principes fondateurs : l’unicité de marché, la préférence communautaire et la solidarité financière.

Le premier principe, qui annonce en partie le marché unique de 1993, permet la libre circulation des produits agricoles d’un État membre à l’autre. Ainsi, après une phase transitoire, les droits de douane, les subventions et les entraves à la circulation des produits sont supprimés entre ces États. La préférence communautaire quant à elle se traduit par des quotas et des droits de douane communs – par ajuste- ment variable et non pas fixe – imposés sur les produits agricoles importés vis à vis des pays tiers. Ce principe, très mal perçu par les autres pays du monde, devait protéger contre les importations à faible prix et les fluctuations des cours du marché mondial. Il est de moins en moins structurant pour la PAC, par exemple du fait des nombreux accords commerciaux bilatéraux. Le dernier principe fondateur, un peu plus tardif, de solidarité financière fixe la partici- pation à la PAC des Etats membres au prorata de leur Produit Intérieur Brut (PIB). Ce budget commun du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) est distribué selon les besoins des pays, c’est-à-dire souvent en fonction de l’importance du secteur agricole de chaque pays. A ce financement de la PAC sont ajoutées des ressources propres de droits de douanes à l’entrée des produits industriels et agricoles importés du reste du monde, ainsi qu’une part de la TVA collectée par les Etats membres.

En vue d’atteindre les objectifs de la PAC, le traité de Rome établit également des organisations communes des marchés agricoles (OCM) – qui deviendront une unique organisation en 2007. La CEE met ainsi au point des mécanismes pour assurer des prix minimums reposant sur des méthodes de soutien financées par le FEOGA – ces dépenses se révéleront bien plus importantes que la partie “orientation” du fonds qui ne représentera jamais plus de 10% du budget. Suivant les produits, les OCM peuvent comporter des réglementations des prix, des subventions à la production et à la commercialisation, des systèmes de stockage et de report, des mécanismes communs de stabilisation à l’importation ou à l’exportation. Par exemple, les prélèvements à l’importation joueront un rôle crucial, de même que le prix d’intervention dont l’action se verra cependant limitée avec l’engorgement des marchés.

Les premiers mécanismes d’intervention mis en place sont les prix garantis, aussi appelés prix d’intervention. Les organismes nationaux relayant les services communautaires étaient tenus d’accepter à un prix minimal toute la production livrée – jusqu’au milieu des années 80. Des critères de qualité seront progressivement mis en place et les achats d’intervention seront limités. Les mécanismes d’intervention ont longtemps constitué le cœur de la PAC mais seront mis en sommeil dans les années 2000. Aucun moyen de régulation de l’offre n’est prévu à l’origine sauf dans le secteur du sucre. Cette absence de régulation entraînera des stocks considérables et coûteux en retirant de la vente les quantités non absorbables par le marché pour conserver le prix garanti. Les subventions aux exportations, ou restitutions, sont des subventions pour compenser l’écart entre les prix européens et les prix mondiaux plus faibles. Elles répondent partiellement aux limites des mécanismes d’intervention et per- mettent d’écouler les stocks mais représentent dans les années 90 une grosse part du budget européen. Liés au principe de préférence communautaire, les droits de douanes vers les pays tiers ou prélèvements variables sont aussi des leviers pour certaines OCM.

La PAC est le symbole de l’ambition commune des Etats membres.

Une politique communautaire en évolution permanente

En soixante ans, la politique agricole commune a été confrontée à un contexte en constante évolution, de l’industrialisation galopante à la mondialisation globale, en passant par l’agrandissement de l’UE. La PAC va traverser une succession de réformes qui reflète une politique en mouvement perpétuel. Les institutions et le processus de décision communautaire particulier de la PAC ne sont pas développés ici, bien qu’expliquant certaines de ses évolutions. En revanche, nous aborderons quelques événements majeurs liés à la PAC qui ont influencé le monde agricole et nous amènent au système actuel.

Les mécanismes de la PAC de 62, développés précédemment, vont entraîner une surproduction. En effet, l’auto-suffisance alimentaire de la CEE est largement dépassée en 1967 et de premières interrogations apparaissent quant à la gestion des surplus. Les mécanismes de régulation des prix par le stockage voire la destruction de ces surplus mènent à une explosion des coûts. Des tensions internationales apparaissent alors du fait de la concurrence déloyale créée par l’inondation des marchés de produits agricoles européens subventionnés. En outre, après 1973, les chocs pétroliers entraînent une augmentation des coûts de production du fait de l’augmentation du coût de l’énergie. Le prix d’intervention qui garantissait jusqu’ici des prix stables, prévisibles et élevés aux agriculteurs, favorise alors un déséquilibre de l’offre et de la demande du fait de l’augmentation plus rapide de la production par rapport à celle de la consommation. Ces deux derniers mécanismes ont entraîné une pression sur les prix agricoles et limité l’augmentation des revenus des agriculteurs. De plus, la diminution des importations (dont les prélèvements permettaient d’alimenter le budget de la PAC), l’augmentation des exportations dans un contexte de différentiel de prix parfois majeur entre les marchés, mondial et intérieurs, entraînent une explosion des dépenses de soutien des marchés dans le milieu des années 70. Du fait de cette évolution, la CEE cherche donc à freiner la progression des dépenses budgétaires et à répondre au déséquilibre croissant entre offre et demande. En 1984, la CEE met en place les quotas laitiers pour répondre à la surproduction tirée par des prix garantis.

Ils visent à limiter les excédents de produits laitiers et ainsi à en limiter les coûts de régulation associés. D’autres plafonnements des volumes de production de filières agricoles vont lui succéder, comme les quantités maximales garanties (QMG). Par la suite, le système des stabilisateurs en 1988 reprend l’idée de plafond à partir duquel se déclenche une série de réduction de prix, par exemple dans le secteur des céréales.

En 1992, une nouvelle réforme de la PAC, dite de Mac Sharry, remet en cause ces mécanismes de fonc- tionnement et s’inscrit en rupture des réformes précédentes. Trente ans après la mise en place de la PAC, la sécurité alimentaire européenne est atteinte. Les autres résultats sont mitigés. En effet, les revenus agricoles sont très variables selon les Etats-membres et des disparités se maintiennent entre les agricultures nationales (taille moyenne des exploitations, revenus…). La réforme de 92 s’attaque au financement budgétaire, ce qui doit permettre d’intégrer des politiques d’aménagement du territoire et faciliter la restructuration des exploitations agricoles. Elle abaisse les prix garantis et propose de les compenser par des aides directes aux producteurs proportionnelles à la taille des exploitations. Ce découplage des aides – indépendantes de la nature des produits – est allié à des mesures de réduction de la production. La réforme Mac Sharry inscrit dès lors la PAC dans une logique libérale, et considère que l’orientation des productions agricoles doit davantage résulter du libre jeu du marché. Elle permet à l’UE de mieux se conformer aux règles du commerce mondial et de répondre à la remise en question des restitutions aux exportations au niveau international dans le cadre du GATT, particulièrement par les Etats-Unis.

Dans le cadre de l’agenda 2000, la réforme de 1999 s’empare de la multifonctionnalité de l’agriculture. En effet, l’agriculture est reconnue comme n’ayant pas qu’une vocation alimentaire mais aussi de développement rural ou d’impact environnemental. Dans un contexte de baisse de la population rurale, la PAC est alors considérée comme ayant un rôle à jouer. Ainsi, l’agenda 2000 légitime l’idée d’un second pilier de la PAC en phase avec la multifonctionnalité nouvellement reconnue de l’agriculture. Il est financé par le Fonds européen agricole de développement rural (FEADER). La crise de la vache folle entraîne de son côté des orienta- tions de sécurité alimentaire dans la PAC. La réforme de 1999 poursuit la diminution des prix garantis et ainsi des montants de restitutions aux exportations. Les aides directes les remplaçant ne couvrent pas complètement ces diminutions et permettent à l’UE de ré- duire la part de la PAC dans son budget – en perspective de l’élargissement à l’Est qui nécessite une augmentation du FEADER et des fonds de cohésion. Depuis les an- nées 90 les réformes apportent aux Etats membres plus de marge de manœuvre. Celle de 2000 introduit le principe de subsidiarité, c’est-à-dire un retour de l’échelle nationale dans l’action de la PAC avec par exemple la modulation possible des paiements compensatoires par les Etats-membres.

La réforme de 2003 s’attache à couper complètement le lien entre les volumes produits et les aides perçues par les agriculteurs. En effet, les aides directes sont toujours liées aux surfaces ensemencées et au nombre de têtes de bétail, elles incitent donc encore à la production. Elles sont alors découplées et remplacées par le droit au paiement unique par exploitation (DPU). Ce levier est lié aux surfaces éligibles sans obligation de production sur celles-ci. La réforme de 2003 va également plafonner le budget du Pilier I de la PAC (avec une modulation possible). Le Pilier II est renforcé avec un objectif de soutien des politiques de développement rural. Cette réforme introduit aussi la conditionnalité des aides selon 18 normes relatives à l’environnement, à la sécurité alimentaire et au bien-être animal. Leur non-respect entraîne des réductions totales ou partielles des aides. La réforme de 2003 est une orientation de la PAC par l’UE vers un modèle souhaité plus durable. Elle permet à l’UE de répondre aux attentes sociétales concernant l’environnement et la qualité des produits. Cette réforme continue de connecter davantage l’agriculture aux marchés mondiaux et entraîne une libéralisation des prix et du commerce, en préparation de l’élargissement de l’UE. La réforme de 2008 poursuit la réforme précédente avec la mise en place du paiement unique simplifié et des filets de sécurité remplacent les mécanismes d’intervention. D’anciens leviers comme les gels de terres ou les quotas laitiers sont supprimés. Le second pilier est renforcé pour répondre aux défis environnementaux.

En soixante ans, la politique agricole commune a été confrontée à un contexte en constante évolution.

La politique agricole commune actuelle

La réforme de 2014 a prolongé les logiques libérales accompagnant la PAC depuis la réforme de 1992. Pour un budget total annuel de 60 milliards d’euros à l’échelle européenne dont 9,1 milliards sont destinés à l’agriculture française, la PAC 2015-2020 conserve sa construction autour de deux piliers issus de la précédente réforme de 1999.

En France, le premier pilier de la PAC reste important. Il est financé par le Fonds Européen agricole de garantie (FEAGA) à hauteur de 7 milliards d’euros. Par des mécanismes majoritairement découplés, c’est-à-dire n’étant pas calculés proportionnellement à une production donnée. Ce premier pilier a pour objectif le soutien des marchés, des prix et des revenus agricoles. Il est géré par les Etats au niveau national.

Le deuxième pilier, quant à lui, reste plus réduit avec un budget de 2 milliards d’euros financé par le Fonds européen agricole de développement rural (FEADER). Ses objectifs sont de promouvoir l’aménagement des zones rurales, la protection de l’environnement et le maintien d’une population active sur le territoire. En France, l’attribution de ce fonds est gérée par les Régions.

Alors quels ont été les changements apportés par cette réforme de 2014 ? Plusieurs choses sont à mentionner. Premièrement, la PAC de 2014 est orientée vers un soutien plus important à l’élevage. Ce dernier souffre, en effet, d’un manque de compétitivité ne permettant pas aux éleveurs de vivre dignement de leur métier (en 2017, entre 620 et 1100€ de salaire mensuel en moyenne d’après l’Insee). Deuxièmement, elle vise à soutenir l’emploi et l’installation de nouveaux agriculteurs en réponse à une diminution continue du nombre d’actifs agricoles depuis les années 60 et à la prévision d’un départ de la moitié des agriculteurs d’ici une dizaine d’années. Troisièmement, elle se propose d’améliorer la performance économique de l’agriculture européenne en faisant face, notamment en France, d’une part, à une rémunération très faible des agriculteurs, et d’autre part, à une balance commerciale, autrefois positive, se rapprochant inexorablement de l’équilibre. Quatrièmement, prenant acte du fort impact environnemental avéré de l’agriculture qui représente actuellement 19% des GES en France selon l’ADEME, la PAC 2015 a pour objectif d’augmenter sa performance environnementale. Enfin, elle vise l’amélioration de la performance sociale de l’agriculture et la redynamisation des territoires.

Les objectifs et orientations de la PAC paraissent donc louables et tout à fait pertinents au vu des défis auxquels fait face l’agriculture. Néanmoins, un tour d’horizon rapide des dispositifs en place en France pour cette période de 2015 à 2022 est nécessaire afin d’illustrer les moyens avec lesquels ces objectifs se veulent atteints.

Les aides majeures du premier pilier sont les aides découplées. Elles sont rattachées au nombre d’hectares que représentent les terres cultivables de chaque exploitation agricole. Ainsi, un paiement de base est attribué par hectare en fonction du montant historique de ces aides découplées à l’hectare : les droits à paiement de base (DPB). Ces aides visent à soutenir les revenus des agriculteurs et leur compétitivité sur les marchés. A cela viennent s’ajouter plusieurs bonus pour inciter à la mise en œuvre de pratiques favorables à l’environnement, les exploitations de taille petite et moyenne ainsi que l’installation de jeunes agriculteurs. Au DPB, se rajoutent donc respectivement le paiement vert, le paiement redistributif et le paiement additionnel aux jeunes agriculteurs. En 2017, ces aides s’élevaient au total à environ 6 milliards d’euros soit les deux tiers du budget total de la PAC pour la France.

Ces premières aides de base sont de différents ordres. Pour ce qui est de l’objectif d’amélioration des performances environnementales, le paiement vert est complété par les mesures agroécologiques et climatiques du second pilier. Les MAEC éligibles font l’objet d’un cahier des charges et s’organisent autour de trois catégories : MAEC système qui s’applique à des types de produc- tion comme les systèmes herbagers et pastoraux dans une logique de maintien des pratiques actuelles ; MAEC plus spécifique à des par- celles théâtre d’enjeux environnementaux localisés et MAEC ayant un objectif de préservation des ressources génétiques comme la préservation de races particulières. Elles viennent donc s’ajouter à la valorisation par le paiement vert des surfaces d’intérêt écologique (haies, mares, etc), à la diversification des cultures et à la préservation des prairies permanentes (prairies en place depuis plus de 5 ans consécutifs).

Cet objectif d’amélioration de la performance environnementale vient se combiner à l’amélioration de la performance sociale par le soutien à l’installation des jeunes agriculteurs avec une majoration, notamment, dans le cadre de projets favorables à l’environnement. Le paiement additionnel aux jeunes agriculteurs est renforcé par la do- tation jeunes agriculteurs. Cette aide concerne, tout comme la première, les agriculteurs de moins de 40 ans, non installés dans les 5 an- nées précédentes et dont les compétences sont officiellement reconnues par des certificats d’aptitudes ou diplômes par exemple. Cette dotation est majorée pour les installations hors cadres familiaux, aux projets répondant aux principes de l’agroécologie et aux projets générateurs de valeur ajoutée et d’emploi. Une revalorisation de cette aide peut aussi se faire en fonction de l’effort de reprise et de modernisation de l’exploitation par le jeune agriculteur.

Enfin, l’objectif de performance économique améliorée poursuivi par les aides découplées, est renforcé par des aides plus spécifiques aux secteurs et zones en difficulté économique ou à faible compétiti­vité. Ces aides sont l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) ou encore des aides couplées à la production concernant majoritairement l’élevage et les protéines végétales. L’ICHN est l’aide principale du second pilier avec 1,1 milliards d’euros annuel soit 55% du montant total de ce dernier. Accès sur les zones dites défavorisées, principalement montagneuses, elle vise à soutenir l’activité agricole dans ces zones et ainsi principalement l’élevage. En effet, ce dernier est majoritaire dans ces zones montagneuses et a un rôle primordial dans le dynamisme de ces campagnes et dans l’entretien des paysages d’une grande richesse biologique. Enfin, les aides couplées viennent en complément de ce soutien de l’ICHN à l’élevage et viennent aussi inciter à la production de protéines végétales indispensables à la reconquête de la balance protéique de la France, notamment pour son alimentation animale. Néanmoins, n’oubliant pas la surproduction qu’avaient engendré les aides couplées du passé, l’octroie de celles-ci est désormais dégressif et plafonné. La PAC soutient aussi l’agriculture biologique par la mise en place d’aides à la conversion et au maintien en agriculture biologique. Ces aides ont été doublées sur la période 2015-2020, de façon à accompagner les objectifs du plan «Ambition bio» qui prévoit le doublement des surfaces en agriculture biologique d’ici 2022. Elles se proposent de faire face à l’incertitude des premières années de l’installation d’un système en agriculture biologique ainsi qu’à la réduction de la production sans ajustement des prix sur la phase de conversion.

Enfin, la PAC porte l’ambition de financer une stratégie commune pour la compétitivité et l’adaptation des exploitations agricoles ainsi que, par le programme national de gestion des risques et d’assistance technique (PNGRAT), de sou- tenir l’agriculture face aux différents aléas climatiques ou en- core sanitaires qu’elle doit affronter. Ainsi, le plan pour la compétitivité et l’adaptation des exploitations agricoles se décline autour de la modernisation des exploitations d’élevage (investissements pour l’amélioration des conditions de travail et de l’autonomie du cheptel entre autres), de la recherche de la performance économique et environnementale, par la maîtrise des intrants et la protection des ressources naturelles (érosion des sols, eau, biodiversité…), de la réponse aux problématiques particulières de certaines de ces filières : rénovation du verger, investissement dans les serres, investissement dans secteur du chanvre, lin, fécule de pommes de terre et riz pour éviter leur disparition au profit des céréales, etc, de l’amélioration de la performance énergétique des exploitations et de l’encouragement de projets s’inscrivant dans une démarche de développement de l’agroécologie. Le PNGRAT, quant à lui, repose sur deux types de soutien que sont l’aide à l’assurance multirisques climatique des récoltes et l’aide aux fonds de mutualisation en cas d’aléas sanitaires et d’incidents environnementaux.

Depuis sa création en 1962, la PAC s’est inscrite dans le cadre général des politiques européennes et a donc suivi les évolutions de celles- ci tout au long des décennies. Ainsi, se créant autour d’une logique de préférence communautaire puis de libéralisation des échanges, la PAC a été un outil majeur de l’évolution de l’agriculture en Europe. Elle a dans un premier temps réussi son pari de construire une sécurité alimentaire de l’Union Européenne et de faire de l’agriculture un secteur économique porteur avant de de- venir à partir de 1992 un instrument de compensation des logiques libérales. La PAC est un outil puissant qui a été utilisé de manière active et stratégique dans ces premières années avant d’être ensuite utilisé de manière tout à fait passive comme un lot de consolation à des agriculteurs alors enfermés dans une agriculture qui ne leur permet pas de vivre dignement et qui menace les générations actuelles et futures. Il est grand temps de mobiliser à nouveau activement les potentialités majeures de cet outil qu’est la PAC pour l’Union Européenne en collaboration avec les Etats qui la composent pour relever les défis économiques, sociaux et environnementaux auxquels fait face l’agriculture européenne et française. Les Etats n’ont pas hésité à utiliser des dispositifs de protection de l’agriculture européenne pour la transformer face aux défis auxquels ils faisaient face à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale. Nous verrons dans la seconde partie de cet article (publiée dans le n°3 du Temps des Ruptures) pourquoi il est possible de le faire de nouveau.

La réforme de 2014 a prolongé les logiques libérales accompagnant la PAC depuis la réforme de 1992.

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