Le consentement au cœur de la définition pénale du viol : une réforme féministe ?

Le consentement au cœur de la définition pénale du viol : une réforme féministe ?

Le 29 octobre dernier, le Sénat a définitivement adopté la proposition de loi modifiant la définition pénale de viol. Alors qu’auparavant, les quatre critères pouvant définir un viol étaient la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, c’est désormais l’absence de consentement à un acte sexuel qui prime. Cette décision fait suite à la signature de la Convention d’Istanbul par l’Union européenne en 2023, qui impose à l’ensemble de ses membres d’introduire le critère de non-consentement dans la définition pénale de viol. Présentée comme une avancée progressiste, cette modification fait pourtant des remous parmi les rangs féministes. Esther Martin, doctorante à l’Ecole de Droit de Sciences Po Paris, nous éclaire sur les enjeux d’une telle réforme.

« Le mot « consentante », Mouglalis a essayé de le prononcer […]. Je ne connaissais pas [ce terme] aussi couramment que lui […] et ça m’a fort étonnée de l’entendre. Mais le débat aujourd’hui ne se fait que sur le consentement. C’est pour cela que je veux vous expliquer que nous n’avons jamais été consentantes ».

Ces mots, ce sont ceux d’Anne-Marie Tonglet, lors du procès très médiatisé d’Aix-en-Provence en 1978. Défendues par Gisèle Halimi, les deux victimes obtiennent gain de cause et leurs agresseurs, parmi lesquels M. Mouglalis, sont jugés et condamnés pour viol. Alors que le critère de non-consentement vient d’être introduit dans la définition pénale de viol en France, on peut s’étonner de l’exaspération de cette victime. Comment se fait-il que celle-ci se plaigne qu’on parle de consentement au tribunal, alors que c’est précisément pour mieux défendre les victimes que cette notion vient d’être introduite dans la loi ?


Pour mieux comprendre, il faut se remettre dans le contexte de l’époque : au moment où se déroule le procès d’Aix, le viol est défini par la jurisprudence comme un « coït illicite avec une femme que l’on sait ne pas consentir ». Le consentement est donc bien présent dans la loi, mais pas dans le sens qu’on lui attribue aujourd’hui : il ne s’applique qu’aux femmes, dans le cadre de relations sexuelles « illicites » – c’est-à-dire en dehors du mariage. Ainsi, durant tout le procès d’Aix, le débat portera sur le consentement présumé des victimes, alors même que ces dernières sont les victimes « idéales » au regard de l’image stéréotypée du viol : elles se sont violemment débattues et sont allées porter plainte le jour-même. Au vu de la teneur des débats d’audience, on peut comprendre pourquoi Gisèle Halimi, alors avocate de Madame Tonglet, s’est activement battue pour que le consentement n’apparaisse pas dans la définition pénale du viol. L’absence de la notion de consentement dans la définition française était donc le résultat du combat féministe mené par Gisèle Halimi dans les années 1980.


Encore aujourd’hui, le consentement cristallise un certain nombre de désaccords dans les mouvements féministes. À l’instar de Catharine MacKinnon, certains plaident pour son effacement de la loi pénale, pour des raisons tant juridiques que théoriques. Sur le plan des idées, la notion de consentement est ambiguë : étymologiquement, elle renvoie au fait de sentir ensemble, à l’unisson dans un même mouvement (cum sentire, « sentir avec » en latin). Mais son usage contemporain semble induire la présence d’un individu actif qui propose des actes sexuels, et d’un individu passif qui consent ou non à les recevoir. Alors qu’il y a moins de cinquante ans, le consentement s’appliquait seulement aux femmes du point de vue légal, on peut légitimement se demander si l’introduction de cette notion dans la loi ne va pas renforcer une conception binaire de l’acte sexuel : véritablement désiré par les hommes, les femmes ne feraient que consentir à ce dernier sans participation réelle de leur volonté.
De plus, la notion de consentement masque les rapports structurels d’inégalités entre les genres qui entravent la liberté des sujets. Hommes et femmes ne peuvent pas consentir de la même manière dans un monde où ils ne sont pas à égalité. Le consentement prolonge l’illusion néolibérale d’un individu autonome et indépendant, capable de prendre librement des décisions indépendamment du contexte social dans lequel il est ancré. Qu’elle soit physique ou sociale, l’inégalité peut pourtant être un moyen de coercition. Les agresseurs peuvent mettre en place des stratégies de manipulation qui reposent sur les inégalités en présence pour faire plier leurs victimes devant des demandes sexuelles qu’elles n’auraient pas choisies au départ. La capacité à consentir requiert de connaître ses limites et de pouvoir les communiquer à autrui. Acquérir cette aptitude nécessite un apprentissage à la sexualité, dont toutes les victimes n’ont malheureusement pas bénéficié.


Dernière limite théorique du consentement : il repose sur une conception de l’individu séparé d’autrui, souverain dans ses désirs, qui n’est pas influencé par la perspective de l’autre dans ses décisions sexuelles. Pourtant, c’est l’enjeu de tout un pan des luttes féministes de mettre en avant la façon dont les personnes morales sont façonnées par leur rapport à autrui. L’usage extensif de la notion de consentement ne permet pas de mettre en lumière une conception relationnelle du sexe, défini par la relation qui se tisse à travers les actes intimes. Dans cette perspective, une agression sexuelle ne se caractérise pas par une absence de consentement, mais plus simplement par une absence de connexion à autrui. Pour pallier ce défaut conceptuel, plusieurs autrices proposent une définition relationnelle du consentement – mais cette pirouette rhétorique permet-elle réellement d’occulter les fondements de la tradition libérale dans laquelle s’ancre la notion de consentement ? Vouloir combattre le viol avec la notion de consentement reviendrait peut-être à instaurer une république en conservant les titres de noblesse de l’aristocratie.

Pour revenir au plan strictement judiciaire, le consentement a aussi des effets contrastés sur la machinerie judiciaire. En faisant porter le regard de la justice sur la victime, il invite à remettre en cause son récit plutôt que celui de la défense. Cela mène les juges à porter une attention redoublée à son témoignage, alors même qu’il est régulièrement discrédité dans les cours de justice. Introduire la notion de consentement dans la définition légale du viol incite à questionner les victimes sur leur consentement, et non les accusés sur les potentiels actes criminels commis. Pourtant, la crédibilité des victimes de violences sexuelles est constamment mise en doute en raison de préjugés sociaux et d’attentes contradictoires à leur égard. En effet, si la « victime idéale » doit faire le témoignage le plus cohérent possible, on attend aussi d’elle qu’elle apparaisse à la barre traumatisée par une agression intime. Ainsi, si la victime est traumatisée sans être cohérente, ou cohérente sans être traumatisée, sa crédibilité pourra être mise en doute. Le problème central est que la voix des personnes violées n’est pas audible dans les cours de justice aujourd’hui. Vouloir faire reposer toute l’accusation de viol sur cette voix inaudible n’est pas une méthode efficace pour résoudre ce problème. Elle risquerait au contraire d’invisibiliser ce crime.


Cette notion de consentement s’intègre également mal aux dynamiques légales déjà en place. Démultiplier les critères peut avoir comme effet pervers de rendre moins précise une définition, faisant ainsi baisser le taux de condamnation. De plus, on peut aussi faire valoir en droit une définition objective et une définition subjective du consentement. Cela permet une double-défense aux accusés. D’une part, ils peuvent plaider que la victime était consentante (définition objective). Si la procédure judiciaire révèle que cela est faux, ils peuvent toujours faire valoir qu’ils croyaient que la victime était consentante (définition subjective). Ainsi, l’élément intentionnel du crime peut être plus difficile à prouver lorsqu’on fait intervenir la notion de consentement. Cela explique peut-être pourquoi même absent de la définition légale de viol, le consentement restait la principale défense des accusés. C’est ce qui fait dire à Catharine MacKinnon que le consentement est la version légale du « elle en avait envie », permettant de légitimer un acte sexuel. En définitive, c’est bien l’absence de consentement de la victime qui définit désormais le viol. Or il est toujours plus difficile de prouver l’absence d’un élément que la présence effective d’un autre – comme la violence, la menace, la contrainte ou la surprise, les quatre critères précédemment retenus pour la définition de viol.


Ces hésitations dans les débats féministes ont des effets concrets sur les définitions pénales de viol dans le monde. Il en existe aujourd’hui une pluralité à l’international, parfois contradictoires entre elles. La convention d’Istanbul de 2014, ratifiée par l’Union européenne en 2023, impose à tous les pays membres une définition du viol qui prenne en compte le critère de consentement. À l’inverse, les statuts de la Cour pénale internationale, autre texte de droit international, ne mentionnent pas le consentement dans la définition du viol.

Ces deux textes contradictoires sont l’aboutissement de luttes féministes ayant mené à des résultats inverses. Elles montrent la virulence des débats actuels sur cette question. Dès lors, pourquoi vouloir imposer une définition unique à l’échelle de l’Union européenne ? Ne devrait-on pas plutôt laisser ouverte la possibilité d’une pluralité de définitions, en accord avec les mouvements féministes de terrain ?

Ainsi, l’introduction du consentement dans la loi n’est peut-être pas si progressiste qu’elle y paraît. Reste à voir les effets concrets qu’elle aura sur les procédures de justice. Ces dernières ne sauraient être égalitaires tant que les juges eux-mêmes n’auront pas été sensibilisés sur la manière dont leurs biais sociaux influencent leurs jugements. À l’inverse d’une réforme législative, ce projet d’ampleur nécessiterait des moyens financiers dont manque aujourd’hui cruellement la justice.

Esther Martin


Pour aller plus loin :

CHRISTIE, Nils. (1986). « The ideal victim ». in From crime policy to victim policy: Reorienting the justice system (pp. 17-30). London, Palgrave Macmillan UK.

FRAISSE, Geneviève. (2007). Du consentement. Paris, Seuil.

FRICKER, Miranda. (2007). Epistemic injustice: Power and the ethics of knowing. Oxford university press.

GARCIA, Manon. (2023). La Conversation des sexes. La philosophie du consentement. Flammarion.

HALIMI, Gisèle. (1978). Viol, le procès d’Aix. Paris, Gallimard.

MACKINNON, Catharine. (2023). Le viol redéfini. Vers l’égalité, contre le consentement. Paris, Climats.

SERRA, Clara. (2024). La doctrine du consentement. Paris, La fabrique.

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Penser nos villes à l’échelle des métropoles – Entretien avec Isabelle Hardy

Penser nos villes à l’échelle des métropoles – Entretien avec Isabelle Hardy

Dans cet entretien, Isabelle Hardy, esquisse une conception de la métropole qui cherche à organiser une solidarité territoriale fondée sur le dialogue, la participation et la transition écologique. Son regard d’élue expérimentée révèle ainsi combien penser l’avenir de Toulouse exige de dépasser les réflexes de puissance pour construire une gouvernance qui embrasse réellement l’ensemble du bassin de vie. Entretien réalisé par Maxence Pigrée.
Le terme métropole vient du grec ancien “metropolis” qui signifie “ville-mère”. De la Grèce antique à la période actuelle, les métropoles continuent d’évoquer la puissance, la centralité et même parfois la domination à l’égard de certains territoires, et notamment l’urbain sur le rural. Quelle signification politique lui donnes-tu en tant qu’élue métropolitaine depuis plus de 15 ans ?


Isabelle Hardy : Tu as raison. Le mot métropole porte en lui toute une histoire : celle de la centralité, du pouvoir, et même de la domination.
Mais aujourd’hui, je crois qu’il faut lui redonner un sens politique plus moderne. Être élue métropolitaine depuis plus de quinze ans m’a permis de mesurer combien cette notion doit évoluer.
La métropole doit être un territoire moteur, mais responsable et solidaire, capable d’entraîner les autres sans les écraser.
Ce qui compte au fond, c’est la manière dont elle exerce son influence. Si la métropole ne se pense qu’en termes de puissance, elle reproduit les logiques d’exclusion. Mais si elle se conçoit comme un partenaire, alors elle devient un levier de cohésion et d’équité territoriale.
Sa force, ce n’est pas de rayonner seule, c’est d’irriguer autour d’elle : les communes, les intercommunalités voisines et les territoires ruraux.
La responsabilité politique, c’est d’affirmer et de porter cette vision. Faire de la métropole un acteur de coopération plutôt que de concurrence, un espace de lien plutôt que de séparation.

Le pouvoir de nos métropoles s’exerce souvent sur des temporalités longues notamment grâce à ses compétences en matière de climat, d’urbanisme ou encore de mobilités. Quelle responsabilité éthique cela confère-t-il à celles et ceux qui décident aujourd’hui ?

La Métropole doit d’abord dépasser le simple objectif de mission pour instaurer dans les moyen et long termes une puissance publique qui organise des droits et des devoirs, guidée par l’éthique, les valeurs et la réponse aux défis sociaux, écologiques et démocratiques.

Gouverner, c’est penser l’avenir d’un territoire pas seulement sur l’échelle du mandat qui nous est confié mais sur le temps long. Quand on décide de faire construire une infrastructure de transports, de créer un nouveau quartier, ou de développer des services publics, on crée des projets, des dynamiques de territoire qui dépassent très largement l’échelle temporelle d’un mandat.

Pour cela, nous ne devons pas décider seul dans une tour d’ivoire, mais nous appuyer sur deux leviers : celui de la connaissance et celui de la participation des habitants mais aussi des acteurs économiques, des experts… à la construction des politiques publiques.

Ils nous permettent d’éclairer nos choix, de mesurer l’impact réel de nos décisions et d’orienter nos politiques vers des modèles plus sobres et plus justes. C’est ce que nous proposions durant la campagne électorale de 2020 avec la création un parlement de l’urgence climatique, une instance indépendante composée de personnalités scientifiques, pour que chaque projet de la collectivité puisse être passé au crible sous le prisme de sa soutenabilité écologique. 6 ans plus tard, cette proposition reste plus que jamais d’actualité.

La participation citoyenne n’est donc pas un supplément d’âme, c’est une condition de réussite. Elle permet de confronter les visions, d’enrichir les projets, de renforcer la légitimité des décisions. C’est aussi une manière de redonner du sens à l’action publique, dans une période où la confiance envers les institutions est parfois fragilisée.

Faire dialoguer l’expertise et l’expérience du terrain, c’est cela, la responsabilité éthique des élu·e·s d’aujourd’hui. C’est reconnaître que l’intelligence collective, nourrie par la connaissance scientifique et la parole citoyenne, reste notre meilleur outil pour construire des politiques à la fois ambitieuses, justes et soutenables dans le temps.

Nous vivons aujourd’hui une crise de défiance du citoyen envers le politique. À ce titre, les intercommunalités, et d’autant plus les métropoles par leur échelle, ont parfois été accusées d’éloigner la décision des citoyens. Comment réussir à concilier gouvernance métropolitaine et proximité démocratique ?

Accusées à juste titre ! Je qualifierai même de scandale démocratique le fait qu’une collectivité qui concentre autant de pouvoir, de budget et d’influence sur un territoire ne soit pas directement élue par nos concitoyens. Cette situation interroge la légitimité du pouvoir métropolitain et fragilise, de fait, le lien entre les citoyens et la décision publique.

Une collectivité de cette importance ne peut durablement reposer sur un système électoral indirect. Il est temps d’ouvrir le débat et de porter un véritable plaidoyer pour une élection au suffrage universel direct des conseils métropolitains. Ce changement n’est pas une option technique, c’est une exigence démocratique.

Mais tant que la loi n’évolue pas, il appartient aux élu·e·s métropolitains de prendre leurs responsabilités : investir le terrain, créer des espaces de dialogue et de participation, retisser ce lien vivant entre la métropole et ses habitants. Cela suppose de privilégier la transparence, la pédagogie et la co-construction.

Et ce travail de reconquête démocratique passe d’abord par les communes, qui restent les premières portes d’entrée de la citoyenneté. C’est à l’échelle municipale que se vit la proximité, que se construisent la confiance et le lien social, que s’expriment les attentes. La métropole doit donc agir en partenariat étroit avec les maires et les équipes locales, non comme une superstructure technocratique, mais comme un allié au service des projets de territoire.

Il faut s’appuyer sur les communes pour faire vivre la démocratie. Les communes sont la base de la démocratie locale, les métropoles doivent à la fois entendre la légitimité des maires qui sont élus au suffrage universel sur leurs territoires et en même temps porter des orientations et des grands projets fixés par une majorité politique au conseil métropolitain. C’est dans cette articulation équilibrée entre vision stratégique et ancrage de terrain que se joue l’avenir de nos territoires.

C’est en ouvrant les portes, en partageant le pouvoir de décider, et en travaillant main dans la main avec les communes que la métropole pourra véritablement incarner ce qu’elle prétend être : un espace d’innovation, de coopération et de confiance.
Justement, Toulouse Métropole est composée de 37 communes, avec des villes moyennes comme Blagnac ou Colomiers mais aussi de petites communes comme Mons ou Pin-Balma. Comment réussir à concilier les besoins de l’ensemble de ces communes qui n’ont, de fait, pas les mêmes défis ?

C’est tout l’enjeu de la gouvernance métropolitaine : tenir ensemble la diversité des territoires. Toulouse Métropole, ce sont 37 communes, des réalités multiples et des besoins très différents — et c’est précisément cette diversité qui fait sa richesse. L’équilibre métropolitain ne se décrète pas, il se construit dans le dialogue, la reconnaissance mutuelle et la coopération.
Ce n’est pas seulement la taille des communes qui est complexe, mais aussi les sociologies qui sont différentes car il y a du rural, du péri urbain et de l’urbain et il faut prendre en compte cette diversité.

Il faut garder une exigence en tête : ne pas prolonger les rapports naturels de domination qu’ont les métropoles vis-à-vis des autres territoires en son sein entre les communes les plus grandes, comme Toulouse ou Colomiers, et les communes les plus petites.

Les grandes communes, comme Toulouse, Blagnac ou Colomiers, concentrent naturellement des fonctions structurantes : emploi, services, mobilité. Mais les plus petites communes apportent tout autant à l’équilibre global : elles préservent des espaces naturels, offrent un cadre de vie de qualité, maintiennent des liens sociaux de proximité. La métropole ne peut fonctionner que si elle reconnaît et valorise cette complémentarité.
L’objectif de la métropole doit être de construire cette coopération et ne pas rester focalisée sur les intérêts de la ville centre.

La clé, c’est une gouvernance partagée, fondée sur l’écoute et la co-construction. Les décisions doivent être prises non pas “pour” les communes, mais avec elles. Chaque maire doit pouvoir trouver sa place et faire entendre la voix de son territoire. Cela suppose des instances de concertation plus régulières, une transparence accrue dans les arbitrages, et une répartition équilibrée des investissements.

Une métropole juste est celle qui n’oppose pas le centre et la périphérie, mais qui fait de la solidarité territoriale un principe d’action. C’est cette approche collective qui permet de construire un projet commun : une métropole forte de ses différences, cohérente dans ses choix et fidèle à une ambition partagée pour l’ensemble du bassin de vie.

Les métropoles jouent un rôle fondamental dans l’adaptation de nos villes au changement climatique. Toulouse et son aire urbaine ne sont pas épargnées. Quels leviers Toulouse Métropole dispose-t-elle et comment pourrait-elle aller plus loin ?

Encore une fois c’est d’une vision dont la métropole a besoin car elle a les atouts et les leviers pour poursuivre les trois objectifs principaux : réduire les gaz à effet de serre, adapter le territoire et accompagner les habitant.e.s. Je pense par exemple au Plan local d’Urbanisme intercommunal et de l’habitat (PLUIH) qui est un outil puissant pour répondre aux enjeux climatiques, sociaux et démocratiques. Rappelons que celui de Jean-Luc Moudenc a été annulé par le tribunal administratif pour surconsommation d’espaces naturels et agricoles ! Je pense aussi à la nécessité de travailler sur les trames verte et bleue, à la nécessité de porter un projet autour du Canal du midi mais aussi de la Garonne. Répondre aux enjeux climatiques c’est aussi avoir une politique du logement à l’échelle de la métropole, en favorisant la mixité sociale et en luttant contre les passoires thermiques. C’est avoir une vraie politique de végétalisation, c’est avoir une politique pour aller vers une souveraineté alimentaire, quand on sait que l’alimentation est à la fois un enjeu de pouvoir d’achat, de santé publique et de démocratie. Bien sûr il ne faut pas oublier les enjeux liés au développement économique et aux commerces et artisans de proximité. Là encore, c’est notamment dans le PLUIH que tout cela s’organise.
Et bien sûr, un des grands enjeux en termes de baisse des gaz à effet de serre réside dans une politique de transports et de mobilité qui réponde aux besoins des habitants de la métropole et pas seulement des Toulousains. Je ne peux passer sous silence l’annulation par le tribunal administratif du Plan de Déplacement urbain par le tribunal administratif pour manque d’alternative à la voiture !


Tu parles justement de mobilités. La question du changement climatique est indéniablement liée à celle du développement des transports en commun. La ligne C (3ème ligne de métro), mesure phare du programme de Jean-Luc Moudenc en 2020, sera achevée dans quelques années. Pourquoi selon toi ce projet reste insuffisant ? Pourquoi une vraie révolution des transports est indispensable à Toulouse, notamment grâce au RER ?

Toulouse et son agglomération connaissent une croissance démographique exceptionnelle , qui s’est traduite par un étalement urbain massif, bien au-delà des seules frontières métropolitaines. Pourtant, en matière de mobilités, la stratégie reste pensée dans une logique encore trop centrée sur le cœur de la métropole, comme si les enjeux de déplacements s’arrêtaient aux portes de Toulouse.

Les projets actuels – la ligne A, la ligne B, demain la ligne C – desservent principalement le centre et la première couronne : Balma, Ramonville, Labège, Colomiers. Mais c’est au-delà que se concentre aujourd’hui la vraie demande de solutions alternatives à la voiture individuelle : dans les territoires périurbains, dans les communes où l’habitat s’est développé plus vite que les infrastructures, là où l’offre de transport collectif reste insuffisante, voire inexistante. Mais les modes doux (vélo, marche à pied) sont aussi insuffisants.

Les études multimodales nous le disent : à trajectoire constante, nous allons droit vers une situation de thrombose d’ici 2030. Cela veut dire plus de congestion, plus d’émissions, plus d’inégalités territoriales. Il devient donc urgent de changer d’échelle et de rythme.

C’est tout le sens du RER toulousain : un projet de maillage global, qui dépasse les frontières administratives et s’appuie sur un réseau ferroviaire déjà existant. Contrairement aux grands chantiers d’infrastructures, il peut être phasant, évolutif, rapide à déployer, et répondre concrètement aux besoins quotidiens des habitants de l’ensemble du bassin de vie.

Le RER, c’est plus qu’un projet de transport : c’est une vision de territoire, celle d’une métropole qui pense ses mobilités à l’échelle de sa réalité vécue. C’est aussi une réponse directe à l’urgence climatique, sociale et économique : offrir à chacun une alternative crédible à la voiture, réduire les fractures territoriales et redonner du souffle à une agglomération qui, sans cela, risque tout simplement l’asphyxie.

 

Les élections municipales – et dont métropolitaines – auront lieu dans moins de 6 mois. Dirais-tu que Toulouse Métropole est en retard si l’on se compare à d’autres métropoles ?

Oui, très clairement. Quand la gauche et les écologistes sont arrivés au pouvoir entre 2008 et 2014 sous l’impulsion de Pierre Cohen, la logique métropolitaine n’existait pas encore à Toulouse. La ville était alors gérée comme un grand village, sans réelle vision d’ensemble à l’échelle du bassin de vie. Il a fallu l’impulser, poser les premières pierres d’une gouvernance métropolitaine moderne — et je veux ici saluer le travail de Pierre Cohen et de Claude Raynal, qui ont porté ce travail.

Aujourd’hui, cette ambition s’est essoufflée. Jean-Luc Moudenc ne s’est pas emparé de la logique métropolitaine, et cela explique pourquoi Toulouse et sa métropole accusent un retard évident : retard dans la manière de penser les mobilités, retard dans la bifurcation écologique, retard dans la gouvernance démocratique. Il n’a pas de vision pour ce territoire, le dialogue métropolitain avec les villes à une heure de Toulouse s’est enlisé et force est de constater que le travail avec le Département et la Région se concentre sur des projets toulousains.

Ce constat est d’autant plus paradoxal que notre territoire a tous les atouts pour être en avance : un dynamisme économique exceptionnel, une population jeune, un tissu scientifique et industriel d’excellence. Les politiques publiques peinent à dépasser la logique de grands chantiers d’infrastructure pour s’attaquer aux vrais défis : le logement abordable, les mobilités du quotidien, la transition énergétique, l’équilibre entre territoires.

Le prochain mandat devra marquer un véritable tournant politique. Il ne s’agit plus de gérer la métropole comme une juxtaposition de communes, mais de la penser comme un espace de solidarité, d’équilibre et de transformation. Cela veut dire aussi qu’il faudra favoriser l’émergence de compétences sur l’ensemble du territoire, car on voit bien que Toulouse concentre beaucoup de talents (universitaire, culturel, économique…) et que le ruissellement ne se fait pas.

 

 

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Faut-il abolir l’héritage ?

Faut-il abolir l’héritage ?

Et si l’égalité républicaine exigeait de rompre avec le plus inégalitaire des privilèges ? Dans une société où la richesse se transmet davantage qu’elle ne se mérite, l’héritage cristallise la contradiction entre le mythe du mérite et la réalité de la reproduction sociale. Dans son dernier ouvrage, Rémy Goubert propose d’abolir l’héritage.

Il est venu le temps de la rupture. Celle qui accomplira enfin l’œuvre républicaine.

Il est venu le temps de la rupture avec l’outil le plus favorable à la reproduction des inégalités. Il est venu le temps de la rupture avec l’héritage.

Ces mots ne sont pas vains. Ils ne relèvent pas d’une fulgurance de militant passionné. Ils ne sont pas utopiques. Ils sont le fruit d’une étude approfondie de notre système fiscal, des propositions les plus sérieuses et des analyses les plus pointues des savants contemporains.

Ils visent à mettre le doigt sur un sujet si risqué que la plupart des responsables politiques n’osent pas en parler. Ils n’osent pas pour des raisons parfois idéologiques, c’est vrai, mais aussi et surtout par lâcheté. Notre pays est aujourd’hui davantage porté sur la rente que sur le travail. Pourtant, vous entendez chaque jour ces déclarations hâtives où l’on répète que “le travail doit payer”.

Certains diront que si le travail ne paie pas, c’est à cause des cotisations sociales, qu’ils appellent “charges”. Pourtant, elles servent à financer les retraites de nos vieux et nos chacune de nos dépenses de santé. Quelle honte à cela ?

D’autres affirment que le souci vient des étrangers, nourrissant des discours haineux sur l’Aide Médicale d’État ou la prétendue “belle vie” des migrants en France.

Ensemble, en attaquant le modèle social ou les étrangers, ils appliquent une stratégie simple mais efficace pour dévier l’attention de l’opinion publique de ce qui structure les inégalités dans ce pays : le patrimoine.

Parlons-en.

L’impôt sur les successions est le plus impopulaire. Il est aussi le moins appliqué.

87 % des Français ne paient pas de droits de succession, bénéficiant de la franchise en ligne directe (parents/enfants) de 100 000 euros.

Il en est de même pour les plus riches, mais pour des raisons bien différentes. Ceux-là ne paient pas ou peu d’impôts grâce à des optimisations fiscales organisées sur le long terme, à travers des donations répétées ou des successions préparées. C’est ce que j’appelle le grand contournement.

Ce grand contournement de l’impôt fait des victimes : l’État, d’abord privé de ressources essentielles pour financer l’école, l’hôpital, les infrastructures, la transition écologique. Mais surtout la société tout entière, biberonnée au mythe méritocratique.

Car lorsque les plus riches échappent à l’impôt, ce sont les autres qui paient. Paient en impôts indirects, paient en services publics dégradés, paient en renoncement permanent. La solidarité nationale repose aujourd’hui sur les épaules de ceux qui n’ont rien à transmettre, pendant que les héritiers de la fortune accumulent ce qu’ils n’ont pas gagné.

C’est le hasard qui a décidé. A votre place et à la place de vos parents.

Voilà le vrai scandale. Pas celui, imaginaire, des “trop d’impôts”, mais celui du privilège héréditaire. Dans une République née pour abolir les privilèges, comment tolérer qu’ils se soient simplement transformés, troquant le titre de noblesse pour un relevé de compte en banque ?

La France ne souffre pas d’un excès d’impôts, elle souffre d’un excès d’inégalités. Et ces inégalités ne sont pas le produit du hasard, mais celui d’un système organisé autour de la transmission du capital. Dans un pays où la moitié des jeunes adultes n’a aucun actif, où l’âge moyen de l’héritier est de cinquante ans, l’héritage n’a plus rien d’un soutien familial : il est devenu un instrument de rente, un verrou de classe.

Il y a ceux qui héritent, et ceux qui attendent. Ceux qui peuvent rêver, et ceux qui survivent.

C’est pourquoi j’en appelle à un nouveau pacte républicain, fondé non sur la transmission des fortunes, mais sur le partage de la valeur. À la place de l’héritage, une dotation universelle verrait le jour : un capital de départ, égal pour toutes et tous, financé par la taxation intégrale des grandes successions et des rentes inutiles. Une dotation pour la vie, qui donnerait à chaque jeune de ce pays la liberté d’entreprendre, d’étudier, de créer, d’aimer.

Son montant serait de 50 000 euros. Conditionnée à l’exercice d’un service civique de 6 mois, elle viendrait sanctionner cet effort vers autrui, guidé par l’intérêt général. Elle serait accompagnée de l’exonération complète de la transmission de la maison désignée comme familiale, car c’est le principal blocage dans le débat et que cela ne constitue pas pour autant l’élément le plus inégalitaire.

Abolir l’héritage, ce n’est pas détruire la famille, au contraire. C’est la libérer de ce moment où, en plus des inégalités économiques s’ajoute la confrontation des frères et des sœurs sur ce qu’il reste de vivant.

Combien de familles se sont-elles déchirées pour une histoire de succession ?

C’est refuser que la famille devienne une frontière. C’est libérer les individus de la dette du sang et leur garantir une véritable émancipation.

Nous n’avons pas à craindre la rupture : c’est elle qui a bâti la République. Chaque progrès social, chaque conquête démocratique est né d’un refus du statu quo.

C’est le sens de mon livre « Faut-il abolir l’héritage ? De l’impôt sur la mort à la dotation pour la vie ».

Alors oui, il est venu le temps de la rupture. Celui d’en finir avec l’héritage.

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Vue du perchoir – Socialistes : la censure ou le déshonneur

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Jaurès nous disait il y a plus d’un siècle, « le courage, c’est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces […] le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel, c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond ». Depuis longtemps , le PS confond le fait de comprendre le réel, d’y passer certainement, et celui de s’y perdre. Chaque semaine, Romain Troussel-Lamoureux chronique l’actualité parlementaire et politique pour Le Temps des ruptures.

Le réel ou l’idéal, la grande confusion socialiste ? Difficile de voir clair dans une période aussi incertaine. Cela semble être un des plusieurs traits de la crise, une conjoncture fluide comme la considérait Michel Dobry. Un autre tient à une progression par-à-coups. Les moments charnières d’approfondissement d’une crise sont accompagnés de périodes de calme relatif pendant lesquelles les acteurs tentent de reprendre pied. Sans succès.

Fluide, cette crise l’est de plus en plus, au moins dans le monde politique. Le remplacement de la droite conservatrice par la l’extrême-droite nationaliste et xénophobe suit son cours. Une étape de plus, symbolique mais tout de même, a été franchie dans l’hémicycle ce jeudi 30 octobre lors du vote réussi de la résolution du Rassemblement national visant à dénoncer les accords de 1968 avec l’Algérie.

Mais que dire de la gauche. Ou plutôt du Parti socialiste dans cette période. Dans les périodes de doute, les socialistes ont une boussole, un talisman, une incantation fétiche. Celle des grandes figures. Que nous disent-elles aujourd’hui. Las, bien peu de choses. Où est donc la « rupture avec l’ordre établi[1] » après huit ans de macronisme ? Plus encore. Jaurès nous disait il y a plus d’un siècle, « le courage, c’est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces […] le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel, c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond[2] ».

Depuis longtemps[3], le PS confond le fait de comprendre le réel, d’y passer certainement, et celui de s’y perdre. Les (bonnes) raisons sont toujours là : le programme économique de François Hollande, précurseur de celui d’Emmanuel Macron, intègre l’idée d’une concurrence socio-fiscale européenne sans vergogne et il produit des emplois peu qualifiés ; la non-censure de Sébastien Lecornu sauve la France d’un président sans aucune éthique politique et épargne les citoyen.nes d’un moment charnière de la crise en cours. Mais à quel prix ? L’adoption, avec ou sans les voix socialistes, d’un budget issu du socle macroniste permettra-t-elle au pays de sortir de la crise politique installée par le président ?

Ce moment pose une question plus vaste. Quel est l’espace pour le compromis chez les socialistes ? Une maxime y répond parfaitement, inlassablement, inévitablement : « c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ». Où est l’idéal dans le budget négocié en ce moment au Parlement ? Où est l’idéal dans le moindre mal ? Le moindre mal, c’est la ligne politique du radicalisme finissant de la Troisième République. Le moindre mal, c’est la ligne de la SFIO à bout de souffle de la IVe République. Le moindre mal, est-ce de soutenir implicitement un budget austéritaire ?

Alors voilà le chemin de l’idéal : la suspension de la réforme des retraites, la taxation à hauteur de plus de 10 milliards des patrimoines les plus importants et la réduction de la pression fiscale sur les trois premiers déciles. Sans cela, il n’y a qu’un seul chemin : la censure ou le déshonneur.

Le compromis dans le socialisme français ne trouve son sens que lorsqu’il permet la victoire politique. Pas le moindre mal, pas la demi-mesure. Ce sont là les rôles politiques d’autres formations : les centristes et les conservateurs. A trop craindre la crise, nous risquons d’être emportés avec. 

 

[1] : Discours de François Mitterrand à la tribune du congrès d’Epinay en 1971 avant le vote qui l’investira Premier secrétaire

[2] : Discours à la jeunesse, 1903 au lycée d’Albi

[3] : dès 1983 pour certains, 2005 pour d’autres, 2016 pour les derniers

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Jusqu’à ce que la censure vous sépare

Jusqu’à ce que la censure vous sépare

Que diable fait le PS depuis 2017 ? Conscient de son rejet massif dans la population, de l’hémorragie militante qui suivit le quinquennat Hollande et de la défection d’une partie de ses élus vers Emmanuel Macron, le Parti socialiste fit ce qu’il sait faire de mieux, c’est-à-dire, s’adapter aux circonstances. Pas de refondation en fanfare, pas de prise en main par une nouvelle génération, mais une rupture dans la continuité, comme à l’accoutumée.

En toile de fond, une stratégie : celle du moindre mal. En guise de méthode : le coup de billard à trois bandes. C’est la recette du gâteau socialiste. Le résultat, lui, ne change jamais : des coups de barre à droite, à gauche, qui le ramène de plus en plus souvent dans les jupes du macronisme.

Cette obsession pour sa propre image et la conservation de son implantation territoriale semble faire oublier au PS une évidence. Car survivre dans le paysage institutionnel ne donne aucun gage d’influence par défaut. Or aujourd’hui, le diagnostic est limpide. Le PS souffre d’une forme aigue de « syndrome du bon élève ». Il persiste à croire que les médias et l’opinion publique récompenseront ses synthèses tièdes, souvent intenables, et ses tentatives de consensus artificiels. Convaincu de pouvoir façonner à sa guise les séquences politique, il n’hésite pas à sacrifier la cohérence pour sauver l’apparence, persuadé que les électeurs y verront une forme de raison. C’est au nom de cette logique qu’il justifie, une fois encore, son refus de censurer le nouveau gouvernement d’Emmanuel Macron

A force de se définir contre les agents du « chaos », il finit par se définir comme ceux du statut quo. Or l’équilibre actuel des choses est insupportable. Le PS devient, in fine, la béquille d’un chaos figé, amendable à la marge.

Et puis, non-censure pour quoi faire ? Raphaël Glucksmann et son parti, au moins, assument pleinement le fait d’incarner un nouveau macronisme. Ils ne se contorsionnent pas devant leurs homologues de gauche ou de centre. Ils ne rendront des comptes qu’à eux-mêmes.

Face à la question existentielle – « Que pense le PS ? » –, on croit toujours lever un lièvre, un argument qui révélerait une profondeur cachée. En réalité, on ne fait que tirer sur le fil d’une confusion permanente, qui ne relève pas tant d’une incapacité à trancher une ligne que d’un refus obstiné d’en tenir une.

Mais le culte de l’ambiguïté stratégique a un défaut majeur. Comme dans le domaine nucléaire, il ne tient que par le bluff. Si plus personne n’y croit, tout s’effondre.

En pratique, le PS nage à petite brasse et s’épanouie dans la guérilla tactique, là où ses homologues de gauche, même condamnées à échouer, préfèrent la percée stratégique à grands renforts de moyens.

Pendant ce temps, l’extrême droite multiplie les offensives : contre les journalistes et l’information avec la réforme de l’audiovisuel ; contre la culture avec l’arrêt du financement de certains festivals ou associations ; contre la justice fiscale et la solidarité avec le slogan « C’est Nicolas qui paie ». Et le PS, de quand date sa dernière offensive ? La pétition pour un référendum sur les superprofits ? La taxe Zucman lâchée en rase campagne lors des discussions avec Lecornu ? La non-censure pour retarder l’application de la réforme Borne ? Au mieux, des escarmouches sans lendemain ; au pire, des semi-renoncements à des ambitions plus grandes. La vérité, c’est que le PS n’a d’autre solution que de se fondre dans une posture défensive, une stratégie de la digue qui le menace d’un procès en conservatisme. Heureusement, la population résiste encore. Du moins jusqu’à la prochaine dissolution.

Or l’extrême droite vit dans des fictions qu’elle martèle jusqu’à en faire des réalités de fait. Un procédé déjà utilisé avec succès par le passé. Si, en bons munichois, tétanisés par son insolence et ses victoires en série, le PS persiste dans le choix de l’impuissance, alors les mêmes causes produiront les mêmes effets.

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La France va-t-elle laisser passer sous pavillon américain le champion européen de la sécurisation des emails ?

La France va-t-elle laisser passer sous pavillon américain le champion européen de la sécurisation des emails ?

A chaque semaine son lot de déconvenue dans la France de Macron. Qui s’intéresse un minimum aux questions de souveraineté industrielle, technologique ou numérique ne peut qu’être effaré par le nombre d’entreprises stratégiques françaises qui passent, dans le silence des médias, sous pavillon américain. Dernier exemple en date, l’entreprise Vade security.

Fondée en 2008, l’entreprise française Vade s’est imposée comme l’un des champions européens de la protection de la messagerie électronique et de la lutte contre les cyberattaques. Pour diligenter chaque année un rapport au PLF sur les questions de cybersécurité, je suis bien placé pour savoir qu’un tel savoir-faire est indispensable à notre pays, et plus largement à notre continent. Le président Macron, en 2021 lors de la présentation de sa stratégie pour la cybersécurité, d’abonder en ce sens, lui qui citait Vade comme « l’une des entreprises les plus prometteuses ». Son savoir-faire technologique est aujourd’hui mobilisé par de nombreux opérateurs publics et entreprises stratégiques, y compris dans des secteurs régaliens.

Rachetée en 2024 par le groupe allemand Hornetsecurity, Vade devait poursuivre son développement au sein d’un écosystème européen de la cybersécurité. Si l’eurosceptique en moi aurait pu voir d’un mauvais œil un tel rachat, ce dernier était en réalité destiné à créer un champion européen de la cybersécurité en unissant les forces des deux entreprises. Ce qui, à mes yeux, va dans le bon sens tant l’échelle continentale bien aiguillée permet d’amplifier la puissance d’une entreprise d’une telle importance stratégique.

Or, en mai 2025, coup de tonnerre. Hornetsecurity a annoncé son projet de cession à Proofpoint, son concurrent américain, pour un montant estimé à plus d’un milliard de dollars.

Cette perspective suscite de vives inquiétudes. Et c’est un euphémisme. Y verrait-on une nouvelle forfaiture qu’on ne s’y tromperait d’ailleurs certainement pas.

D’une part, parce que Proofpoint avait entretenu par le passé des relations conflictuelles avec Vade, allant jusqu’à l’attaquer en justice pour « vol de secrets d’affaires » en 2019, litige qui avait coûté près de 50 millions d’euros à la start-up française avant sa résolution.

D’autre part, parce qu’elle pourrait placer une technologie française stratégique sous la juridiction extraterritoriale américaine, notamment au regard du Cloud Act, qui autorise, dans certaines conditions, l’accès par les autorités américaines à des données hébergées hors du territoire des États-Unis. Ce rachat, s’il devait aboutir sans garantie claire, constituerait une énième perte de contrôle. Une perte de souveraineté, en somme. Que la France laisse filer, dans un silence coupable, un joyau technologique cité par le président de la République lui-même comme emblème de la cybersécurité nationale relève d’une faute politique majeure.

La France n’a pas les mains liées. Le décret Montebourg pris en 2014 dans le sillage du rachat d’Alstom par General Electric, confère à l’État le pouvoir de poser son veto à toute acquisition étrangère portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation dans des secteurs jugés stratégiques – parmi lesquels figure depuis 2019 la cybersécurité. En vertu de ce dispositif, le ministre de l’Économie peut subordonner une telle opération à des engagements précis, voire l’interdire purement et simplement si la cession compromet la sécurité nationale ou la maîtrise des technologies critiques.

Autrement dit, le gouvernement dispose des leviers juridiques nécessaires pour bloquer la vente de Vade à Proofpoint, ou à tout le moins pour en encadrer strictement les conditions. Ne pas s’en saisir reviendrait à admettre que notre souveraineté n’est pas qu’un slogan creux, brandi lors des crises mais abandonné dès qu’il s’agit de résister à la puissance de l’argent.

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VUE DU PERCHOIR – LA TRAGI-COMEDIE MARXIENNE DE SEBASTIEN LECORNU, UNE CRISE DES ECHELLES ?

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Dix mois après sa nomination ratée, un mois après sa nomination, une semaine après son premier gouvernement, deux jours avant son deuxième gouvernement, on ne sait plus si l’on doit en rire ou en pleurer. Chaque semaine, Romain Troussel-Lamoureux chronique l’actualité parlementaire et politique pour Le Temps des ruptures.

Combien de fois l’histoire doit-elle se répéter pour que la farce devienne impossible ? Pour que l’esprit d’Emmanuel Macron ait épuisé entièrement notre réel politique ? C’est peut-être en géographe qu’il faut réfléchir ici, emboîter les échelles pour saisir l’ampleur de la crise politique et institutionnelle dans laquelle nous nous trouvons.

Et ainsi commencer par repartir de la plus petite échelle qui soit. La mondialisation et son association avec un capitalisme de la fragmentation[1] réduisent de manière croissante les États à des entrepreneurs d’eux-mêmes, s’offrant à qui mieux mieux à des firmes transnationales gargantuesques. Longtemps réticent à ces logiques et doté d’une très grande estime de lui-même, l’État français s’y plonge résolument grâce à François Hollande. Las, cette ligne politico-économique est poussée depuis à l’extrême. Le dumping socio-fiscal est une des grandes lois économiques de notre Europe.

Mais derrière cette échelle mondiale se déploient nos réels politiques, encore profondément nationaux. Brexit, Meloni, AfD, PiS ici, Trump là-bas, nos matrices socio-politiques déraillent face à des logiques mondiales intangibles à leurs pouvoirs d’action. Où se situe la France dans cet ensemble ?

Juste avant la crise, si dure à définir, semble-t-il. Mais qui pourrait nier aujourd’hui la définition du Trésor de la Langue Française. La crise est une « situation de trouble profond dans laquelle se trouve la société ou un groupe social et laissant craindre ou espérer un changement profond. » Tout y est. La situation de trouble est commune à toutes les démocraties libérales capitalistes, incapables de s’organiser politiquement pour gérer leur dépassement par un système économique mondialisé. La société française s’y trouve plongée. Certains espèrent, ou encouragent un profond changement dont on ne sait néanmoins pas comment il aura lieu puisque leur marge de manœuvre reste avant tout nationale. D’autres craignent la crise, craintifs de gauche et craintifs de droite, mais sont bien en peine de l’empêcher.

Reste le briquet. Un briquet aux yeux azurs qui depuis des mois à l’Élysée presse frénétiquement la pierre à briquet contre la molette pour produire le plus d’étincelles possibles, tentant de faire accroire à tous qu’il est une lampe-tempête inextinguible. 

Alors attention mesdames et messieurs, dans un instant, on va commencer. Installez-vous dans votre fauteuil bien gentiment. Le spectacle se déroule sous nos yeux, quasiment cathartique étant donné l’éloignement actuel entre la politique et les citoyens.

Vieux routier de la politique gourmand de prophéties auto-réalisatrices, Jean-Luc Mélenchon le dit depuis 2022 : cela ne s’arrêtera plus avant la démission du Président de la République. Et, en l’absence de tout horizon rationnel qui caractérise l’époque, qui sait ce qu’il adviendra après …

[1] : Quinn Slobodian, Le Capitalisme de la fragmentation

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Le mardi 9 janvier, les parlementaires norvégiens ont voté en faveur de l’exploration minière d’une partie de ses grands fonds marins. C’est l’archipel arctique de Svalbard qui fera l’objet des premières explorations : plus de 280 000 kilomètres carrés.

La Norvège devient ainsi l’un des premiers Etats au monde à autoriser ces explorations qui ont pour objectif final de faire du pays l’un des grands producteurs mondiaux de minerais. Le Royaume espère à moyen-terme être un maillon essentiel du commerce mondial de cuivre, manganèse, colbalt, zinc ou encore de lithium. Autant de métaux stratégiques nécessaires à la production de nombreux appareils électroniques mais également à la transition énergétique : « Nous avons besoin de minéraux (car) nous devons mener une transition verte sous la forme de cellules et de panneaux solaires, de voitures électriques, de téléphones mobiles », explique la députée travailliste Marianne Sivertsen Naess, cité dans les Echos(1).

Au-delà des enjeux commerciaux, la Norvège souhaite ainsi réduire sa dépendance (qui est d’ailleurs commune à l’ensemble des pays européens) vis-à-vis de la Russie et de la Chine en métaux stratégiques. L’exploitation des métaux stratégiques que contiennent les grands fonds marins répond, selon le Premier ministre Jonas Gahr Støre, constituerait un atout indénaible pour l’industrie norvégienne.

Une autorisation parlementaire sur fond de contestation

Loin de faire l’unanimité, l’autorisation de la prospection minière des grands fonds marins a entraîné des manifestations de militants internationaux et d’associations environnementales. L’extraction des minerais pourrait avoir des répercussions irréversibles sur des habitats naturels et des espèces encore peu connus mais possiblement essentiels pour l’écosystème. Le risque est également grand d’endiguer la capacité d’absorption du plus grand réservoir mondial de carbone qu’est l’océan. 

Références

(1)https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-norvege-lance-la-prospection-miniere-de-ses-fonds-marins-2045453

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VUE DU PERCHOIR – LE PARADOXE DU FOU SAGE

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Il y a depuis huit ans à l’Elysée un homme dont la marque de fabrique politique a été la torsion constante de nos institutions démocratiques. Plus que depuis un demi-siècle. Le cadre, les règles, les garde-fous lui font horreur. Son credo est la limite, toujours sur la brèche, jamais dedans. Chaque semaine, Romain Troussel-Lamoureux chronique cette actualité parlementaire et politique pour Le Temps des ruptures.

On le dit proche de Giulano Da Empoli. Ses modèles, ce seraient donc ces prédateurs dont l’illimitation des désirs passe parfois pour de la puissance politique ? Las, la comparaison s’épuise vite. Le président de la République française ne fait pas découper ses opposants, il n’organise pas de coups d’Etat.

Pourtant la situation a de quoi interroger. Hormis les partis antisystèmes, les demandes de présidentielle anticipée se font maintenant entendre depuis l’intérieur même de ce qui fut le cœur du pouvoir macroniste. Le dernier tireur en date est Edouard Philippe qui réclame avec force l’organisation rapide d’une présidentielle anticipée après un vote expédié d’un budget technique. L’héritier Attal ne va pas aussi loin mais désormais, « il ne comprend plus » ce président qui cherche à tout prix à garder la main. Appétits élyséens de Brutus patentés diront les éditorialistes habituels de la vie politique française.

Et si la question était plus grave ? Et si le président, de toujours jupitérien, se révélait peu à peu dans une figure de fou sage. Ce dernier, trope classique de la littérature depuis l’antiquité, fait d’un personnage reconnu comme fou une source paradoxale de sagesse. On a longtemps mis en avant sa disruption. Il cassait les codes, il n’a maintenant plus de limites ni de barrières. Il n’était ni de droite ni de gauche, il est aujourd’hui le contempteur autoritaire du Parlement qui, fort d’une nouvelle méthode, pourrait sauver le pays de la ruine. Il possédait une vision révolutionnaire pour un pays endormi et englué par sa classe politique, il n’est plus qu’un César ombrageux arc-bouté sur de maigres réussites.

En réalité, Emmanuel Macron n’a pas changé. Ce qui a changé, ce sont les regards d’une élite qui protège de moins en moins le fils prodigue de la caste. Ces huit années, les interrogations ont été constantes sur sa lucidité politique et sur la solidité de ses valeurs démocratiques : les ordonnances, l’affaire Benalla, les Gilets Jaunes, la gestion du début de la pandémie, la réforme des retraites, la dissolution, la triple nomination de Premiers ministres issus de partis politiques affaiblis.

On n’a de cesse, à raison, de pointer les risques pour l’Etat de droit en cas d’accès au pouvoir du Rassemblement national. Mais il y a depuis huit ans à l’Elysée un homme dont la marque de fabrique politique a été la torsion constante de nos institutions démocratiques. Plus que depuis un demi-siècle. Le cadre, les règles, les garde-fous lui font horreur. Son credo est la limite, toujours sur la brèche, jamais dedans.

« Les institutions étaient dangereuses avant moi. Elles le seront après moi » disait un de ces prédécesseurs. Nul besoin du RN pour vérifier la formule. Ce président a essoré des institutions faites pour résister à une guerre civile.

Sa principale œuvre, c’est la négation de la politique et la diffusion de cette négation dans la société. Nous en sommes plus à nous questionner sur le flot montant de l’extrême-droite, mais à nous rendre compte que 44% des Français souhaitent désormais un Premier ministre issu d’aucun parti politique, issu de la société civile ou du monde de l’entreprise.

Voilà son bilan. Il a prouvé méthodiquement, en bafouant peu à peu toutes les pratiques politiques de la Ve République, que la politique ne pouvait pas transformer le réel. Dès lors, à quoi sert-elle ?

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La démocratie et les marchés financiers

La démocratie et les marchés financiers

Entre l’idéal démocratique hérité d’Athènes et la réalité contemporaine de nos institutions, une tension persiste. Le peuple, censé être souverain, se trouve souvent dépossédé de son pouvoir. La mécanique représentative, biaisée par l’influence des marchés financiers et des élites économiques, brouille la promesse du « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Cet article propose d’interroger cette contradiction fondamentale : comment concilier démocratie et emprise croissante de la finance sur la décision politique ?

Beaucoup de régimes politiques furent mis en place au fur et à mesure de l’histoire de l’humanité.

La meilleure organisation humaine fut l’objet de nombreuses recherches philosophiques qui s’aventura sur un chemin infini. C’est cela la politique. Comment l’être humain doit-il s’organiser pour vivre ensemble ? Quelle démarche adopter pour trouver cette organisation ?

L’Antiquité fut une période très riche sur ce domaine si bien qu’on ne peut parler de démocratie sans parler de la démocratie athénienne. Souvent cette démocratie nous paraît désirable par la puissance de son image : une démocratie où le citoyen se saisit lui-même des enjeux qui le touche. Cette force dans la mémoire de ce régime résonne encore parmi les plus amoureux de la démocratie telle qu’elle était appliquée.

Paradoxalement, cette période a vu fleurir de la philosophie allant tout à fait à l’encontre de ces principes. Platon s’est attelé à dessiner la cité idéale dans son œuvre majeure qu’est La République. Au fur et à mesure du récit, il nous expose une vision très aristocratique au sens premier du terme aristos (meilleur) et cratos (pouvoir). Une cité où la philosophie devrait prendre place au plus haut sommet de la cité. Cet éloge de l’expertise politique qu’il nous livre notamment dans Protagoras, enracine l’idée de délégation de la gestion de la cité aux meilleurs qui fera son chemin et influencera plus tard de nombreux penseurs.

Cette vision très élitiste de Platon n’est pas totalement remise en cause par Aristote dans son œuvre Politiques. Ce dernier introduira la notion d’inégalité dans la réflexion philosophique de la politique. Il fera une critique de l’oligarchie, ce régime fondé sur la gouvernance de privilégiés qui pourrait être renversée si la classe moyenne et les classes populaires se soulèvent. Par nécessité, il faudra une représentation de l’ensemble sans toutefois pencher complètement pour la démocratie. Partisan d’une mixité, il fera l’éloge de la pondération en associant des pratiques institutionnelles aristocratiques et démocratiques pour obtenir le meilleur régime qui soit. De chemin en chemin, les régimes se succèderont, les modèles se construiront et évolueront de la démocratie athénienne en passant par les républiques de Venise, de Genève pour renaître avec la Révolution française. L’humanité connaîtra d’innombrables modes de gouvernance alimentés sans cesse par la philosophie.

La question centrale à laquelle répond systématiquement un régime propre est de savoir qui est l’acteur politique. Qui est-ce qui gouverne ? Qui influe sur l’avenir ?

Il y a plusieurs manières d’y répondre en fonction du régime mis en place : cela peut être un seul homme, un groupe restreint ou le peuple par exemple. Le deuxième critère concerne aussi les outils qui cadrent ce pouvoir. De cette manière, nous pouvons différencier une monarchie, d’une tyrannie, d’une oligarchie ou d’une démocratie.

La question est dorénavant de savoir dans quel régime nous vivons. Chacun connaît le mot démocratie. Ceci depuis notre période scolaire avec l’étymologie correspondante « démos » le peuple et « cratos » le pouvoir.

Ceci voudrait dire que nous, collectivement sommes les acteurs de notre gouvernance. Nous sommes à la fois les sujets (ceux qui se plient aux lois) et les objets (ceux qui écrivent les lois). La démocratie est la pièce ayant deux faces.

Mais est-ce vraiment le cas ? Peut-on s’accorder sans débat à dire que nous vivons dans une démocratie pleine et entière ? Vivons-nous conformément au principe rédigé dans l’article 2 de notre constitution à savoir « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » ?

Explorons peu à peu les critiques que l’on peut faire de notre régime pour avancer dans notre analyse.

Si le gouvernement du peuple renvoie simplement à ce qu’est un régime politique, les deux autres attributs peuvent être soumis à quelques critiques.

Le gouvernement par le peuple

En effet, sommes-nous collectivement les sujets des lois ? Le gouvernement est-il réellement représentatif ? Cette question renvoie directement à la deuxième face de notre pièce de la démocratie, c’est-à-dire le côté acteur et objet de la loi.

Maints principes ont émergé pour savoir comment le peuple peut se trouver acteur de l’écriture de la loi. La démocratie athénienne était connue pour mettre en place le principe sélectif sur la base du tirage au sort. Ce principe défini comme étant réellement démocratique – car s’affranchissant de tous les déterminismes sociaux, ce que ne bénéficie pas l’élection par exemple – fut écarté au profit de cette dernière avec la Révolution. De Montesquieu à Rousseau, de nombreux penseurs imaginaient l’élection comme étant un mode de sélection aristocratique. Le cas emblématique de cette recherche empirique fut le cas de la République de Florence.

En 1494, les aristocrates (Ottimati) et les classes populaires (Popolani) renversèrent les Médicis pour mettre en place une république reprenant le chapitre républicain qui s’était arrêté 60 ans auparavant. L’arbitrage entre ces deux modes de sélection fit rage, chacun voulant choisir un mode lui étant favorable sans savoir lequel entre les deux. Il y eut plusieurs choix, dans un premier temps le tirage au sort, puis l’élection. Un partisan de l’aristocratie déclara que l’élection « n’avait d’autre but que de rendre l’Etat à l’aristocratie »[1] et ceci se vérifia de manière empirique : les Ottimati eurent beaucoup plus de facilité à se faire élire que les Popolani.[2]

Ce débat, nos penseurs révolutionnaires l’eurent également. Chose utile à faire remarquer, les promoteurs de l’élection – comme l’abbé Sieyès par exemple – ne considéraient même pas le régime représentatif comme une démocratie, pire le voyait comme l’opposé. La délégation de la gestion des affaires publiques permettait de s’inscrire dans la conception de la division du travail qui semblait être la solution pour le progrès social. De là est naquit ce qu’on appelle la « démocratie représentative » en France à quoi l’on voit souvent opposer la « démocratie directe ». Le peuple est acteur de la vie politique par le biais de représentants qui sont élus par lui-même à intervalle régulier.

En France, nos organes représentatifs sont l’Assemblée nationale et le Sénat, l’un représente le peuple et l’autre les territoires. Ces deux chambres constituent le Parlement qui représente le pouvoir législatif.

Si nous nous sommes posé la question sur la représentation en France, c’était pour analyser si le peuple était dûment représenté. Toutefois, afin de savoir si notre régime est « le gouvernement par le peuple » nous devons voir également la place qu’occupe l’organe chargé de le représenter au sein notre démocratie.

Nous en avons parlé, le Sénat constitue le deuxième visage du Parlement que l’on appelle la chambre haute. Son existence remonte à la chute de Robespierre le 9 thermidor (27 juillet 1794) où la Convention Nationale devient la Convention thermidorienne (en référence au mois qui a vu la chute de Robespierre). Cette convention met en place une nouvelle constitution dite la Constitution de l’an III fondant ce que l’on appellera le Directoire. C’est au sein de ce nouveau régime que naîtront deux chambres : la chambre des Cinq-Cents équivalente à l’Assemblée et le Conseil des Anciens correspondant à l’ancêtre du Sénat d’aujourd’hui. Ce bicamérisme était défendu par les partisans d’une monarchie constitutionnelle. Cette chambre haute devait représenter la noblesse suivant le modèle anglais.

Ce régime avait pour but selon le député Pierre Charles Louis Baudin de « terminer la Révolution ». En effet, la constitution de l’an I était jugée trop démocratique et il fallait trouver « une voie moyenne entre la monarchie et la démagogie »[3]. Le nouveau régime fut alors un régime de propriétaire rétablissant le suffrage censitaire au lieu du suffrage universel. Encore aujourd’hui, ce régime est présenté comme celui qui a mis un terme à l’idéal révolutionnaire avec la mise en place d’un certain libéralisme économique, une disparition de la notion du droit naturel cher aux penseurs fondateurs de la révolution et surtout le rejet de cette fameuse mention bien connue aujourd’hui de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».

 Si le Sénat pendant le premier et second empire n’a pas de rôle législatif majoritairement, il refera son apparition lors de la 3ème République. Sa création est due à un amendement voté à une voix. Ce vote symbolise l’union entre les républicains modérés et les monarchistes pour voir la République s’enraciner bien qu’elle fut au départ créée pour restaurer la monarchie. Cette chambre restera très conservatrice et le président de l’époque Mac Mahon se servira d’elle pour dissoudre l’Assemblée devenue républicaine quand il en aura besoin jusqu’à ce que les monarchistes perdent définitivement la partie.

Si les clivages ont beaucoup évolué depuis cette époque, nous remarquons toujours que le Sénat est l’organe conservateur de notre République. Son histoire, sa création, ses origines sont encore bien présentes dans ce temple traditionaliste.

Qu’il puisse s’agir du mode de l’élection qui brusquement domine l’ensemble du régime ou l’existence d’une chambre devant pondérer la représentation populaire, nous avons donc pu voir que ces deux dispositifs institutionnels furent créés avec un objectif précis : s’éloigner du caractère démocratique de la république.

A l’heure actuelle, nous saisissons encore la distorsion de représentativité de nos institutions républicaines. L’Assemblée nationale comporte par exemple 1% d’ouvriers alors qu’ils représentent 11% de la population à la différence de ce qu’on appelle les cadres et professions intellectuelles supérieures qui sont sur-représentés (67% à l’Assemblée contre 11% dans la population)[4].

Nous remarquons donc que le vote entraîne alors un certain filtre à la représentation du peuple visible encore aujourd’hui à l’Assemblée nationale. Cette représentation est elle-même pondérée par une autre chambre qui fut créée dans ses origines pour éloigner le peuple des prérogatives du pouvoir.

Le gouvernement pour le peuple

Si nous avons pu analyser les écarts entre le pouvoir censé être représentatif et le peuple, nous pouvons amener une question majeure : faut-il que le pouvoir soit similaire à celui qu’il représente pour agir dans son intérêt ?

Nous l’avons vu, dans un régime représentatif, l’élection est devenue la règle. L’objectif est triple et se constitue en trois parties. En premier lieu, il s’agit de comprendre ce que le peuple dispose en tant que moyen pour influer sur la politique. Dans un second temps, en faisant un bref récapitulatif des derniers événements politiques, nous verrons si les gouvernants agissent en fonction du peuple pour analyser en dernière partie les autres influences.

Dans son livre Principe du gouvernement représentatif, B. Manin explique qu’au sein d’un régime représentatif, le peuple a quatre manières de faire entendre sa voix : les manifestations, les pétitions, les sondages et les élections.

Ces droits d’expression publique sont légiférés, autorisés mais seulement l’élection est suffisamment représentative de la population. En effet, les trois premiers ne correspondent qu’à une fraction de la population parfois non négligeable mais restant une fraction. De plus, ces éléments sont en réaction et ne comportent pas d’initiative.

Quelques dispositifs législatifs en France ont permis de démocratiser davantage les institutions notamment avec le référendum d’initiative partagée. Ce dispositif requiert un cinquième du parlement et un dixième des électeurs pour qu’un parlementaire puisse déposer une loi émanant de cette demande populaire. Si le parlement n’a pas pu débattre de ce sujet dans les 6 mois, la voie référendaire sera adoptée. Il ne s’agit donc pas de permettre aux citoyens d’avoir les clefs dans la décision mais d’initier le débat avec une possibilité en dernier lieu de référendum. En pratique, ceci n’a encore jamais été utilisé et pour cause, les conditions pour l’appliquer n’ont jamais été obtenues.

Lors des gilets jaunes, le référendum d’initiative citoyenne avait émergé comme solution permettant de surmonter la colère populaire.

Ce référendum avait quatre versants :

  • Abrogatoire : permet de supprimer une loi
  • Législatif : permet de proposer une loi
  • Constituant : permet de changer la constitution
  • Révocatoire : permet de révoquer un responsable politique

Notons que les deux premiers versants sont similaires car pour supprimer une loi, il faut proposer une loi permettant de supprimer celle-ci. Cette doléance témoignait de la soif inconsidérée des citoyens pour agir et avoir une prise sur les décisions prises. Il est important de noter que parmi ces dispositifs, de nombreux existent déjà dans d’autres pays notamment le référendum constitutionnel fédéral en Suisse ou en Italie ou encore le référendum abrogatif en Slovénie et en Uruguay.

Parmi les moyens mentionnés ci-dessus pour que le peuple puisse faire entendre sa voix, il est impossible de ne pas penser aux derniers événements politiques qui parlent d’eux-mêmes.

Si nous retraçons brièvement le parcours politique depuis la réélection d’Emmanuel Macron en 2022, nous pouvons voir que tour à tour, ces quatre moyens ont été purement et simplement balayés d’un revers de la main actant l’incapacité des citoyens à agir politiquement.

Débutons notre analyse par le marqueur de départ qui est l’élection en présidentielle de 2022. On observe que lors de la période élective, il y a un repli des débats comparé à 2017 qui ne sont pas organisés au premier tour avec le président sortant. Ceci est assumé d’une part par l’entourage du président dès janvier 2022 puis par le président lui-même le 7 mars lors de son lancement de campagne à Poissy. Les formats de l’élection et le suivi médiatique sont largement influencés par le pouvoir en place qui détient alors une force considérable pour ces élections. Pire encore, depuis plusieurs élections présidentielles le caractère impopulaire est devenu un critère de choix à mettre en avant pour se faire élire, le comble pour une démocratie.

Les élections en 2022 marquent à ce jour l’apogée de l’abstention au second tour de l’élection présidentielle depuis 1969 avec une abstention généralisée aux présidentielles qui croît depuis 2007. Elu face à l’extrême droite une seconde fois, le président réélu marque un discours qui prend conscience que nombre de personnes ont voté contre l’extrême droite et non pour lui. « J’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir » avait-il déclaré.

Le début du mandat d’Emmanuel Macron est marqué par l’obtention d’une majorité relative à l’Assemblée nationale qui ne lui confère plus le pouvoir qu’il détenait en 2017 face à la gauche qui double le nombre de députés. Ce vote l’obligeant, comme il le disait, c’est naturellement avec le groupe droitier Les Républicains que la coalition présidentielle fait alliance – groupe enregistrant près de 7% des voix – face à la gauche marquant déjà une distance avec la représentation populaire qui était plurielle.

Si cette nouvelle composition de l’Assemblée appelait déjà à modifier la gouvernance en prenant en compte les forces représentatives du pays, Emmanuel Macron lance sa première réforme d’ampleur le 10 janvier 2023 : la réforme des retraites. Cette réforme provoquera une mobilisation dans la rue historique depuis 40 ans avec plus d’un million de personnes dans la rue[5] et un sondage plaçant 70% des Français défavorables à l’application de la réforme[6].

Une autre séquence évocatrice se passe lors de la dissolution en juin 2024. Si cette fois-ci, la coalition arrivée en tête n’est plus la coalition présidentielle mais bien la gauche, le choix du premier ministre ne s’est pas fait selon les mêmes modalités qu’en 2022. A l’opposé d’il y a deux ans, le président cette fois-ci décide lui-même de trouver une majorité et décide de nommer un premier ministre issu d’une formation représentant moins de 6% des suffrages exprimés[7].

Enfin, pour conclure sur notre récapitulatif des séquences politiques depuis la réélection d’Emmanuel Macron, il nous faut aborder le dernier moyen des citoyens pour faire valoir leurs idées : la pétition. Celle-ci s’est manifestée lors de l’adoption de la loi Duplomb le 8 juillet 2025. 20 jours plus tard, elle fut portée à plus de 2 millions de signatures, un niveau historique jamais vu pour une pétition institutionnelle. Ceci n’empêchera pas le président de promulguer la loi le 11 août.

Au travers de ces exemples, nous avons pu observer l’influence insignifiante des citoyens face à la volonté et l’indépendance des élus chargés de les représenter. Les manifestations, les pétitions, les sondages et les élections sont assujettis au bon vouloir des élus qui depuis un certain nombre d’années n’ont de cesse de prouver leur indépendance.

Ceci met également en avant les limites de notre régime actuel avec une constitution permettant d’aller à l’encontre de la volonté populaire qui n’a pas de levier pour faire entendre sa voix. Cette volonté populaire doit pour chaque élection délivrer son consentement pour trois choses obligatoires.

Tout d’abord, il faudra accepter de sélectionner un programme sachant que malgré les désaccords subsistants, les électeurs donneront carte blanche à l’élu pour exécuter ce qu’il veut en son sein. Ensuite, accepter que cette carte blanche dure pour l’ensemble d’un mandat bien que l’élection reste une photographie de l’accord populaire à un instant précis et qu’il sera indépendant en plus de bénéficier de l’immunité tout le long.

L’autre influence politique

Nous arrivons à un stade de l’analyse où nous sommes en droit de nous demander quels sont les autres leviers agissant sur la décision politique et pour cela, nous allons à présent parler des enjeux économiques et financiers.

Comme nous le savons, l’Etat a besoin de financement pour assurer ses missions qui sont dites d’intérêt public : l’éducation, la défense, la justice etc. Pour se financer, l’Etat a à sa disposition deux moyens de financement, soit un financement par l’emprunt, soit par le biais d’impôts et de taxes. Rappelons ici que l’Etat est producteur de richesses au même titre que les autres agents économiques à la différence que celle-ci est principalement non marchande. Cela signifie que les transactions pour fournir un bien ou un service n’est pas issu d’un prix résultant d’une interaction entre deux acteurs dans le cadre d’un marché mais qu’elles sont extérieures à ce marché, le prix étant souvent prélevé au sein d’un collectif appelé contribuables.

L’Etat peut cependant faire appel aux marchés financiers afin d’emprunter. De manière générale, lors d’un emprunt, il y a deux rôles : le débiteur et le créancier. Le créancier a deux inquiétudes lorsqu’il prête, d’une part le temps pour récupérer sa monnaie et l’incertitude du montant qu’il récupérera. Ces inquiétudes cumulées justifient selon le système économique actuel une rétribution pour avoir immobilisé pour un temps donné un certain montant. Cette rétribution prend la forme d’un intérêt fondé sur un taux d’intérêt défini au préalable entre les deux acteurs régit dans le cadre du marché.

L’Etat étant perpétuel, les inquiétudes sont finalement modérées à son encontre notamment en ce qui concerne l’Etat français. Son mode de financement se distingue alors des ménages par sa méthode de financement lorsqu’il emprunte car il a la capacité de rouler sa dette, chose impossible pour les ménages. C’est-à-dire que lorsque les titres de dette arrivent à expiration, de fait de son immortalité, l’Etat peut simplement réemprunter le montant emprunté pour permettre de rembourser ce qui arrive à échéance, cela revient à dire que l’Etat ne rembourse jamais sa dette. Si la dette croît, c’est dû principalement à deux phénomènes, d’un côté les charges d’intérêts qui forcent l’État à systématiquement réemprunter plus qu’il n’a emprunté et de l’autre le déficit public annuel.

Avant de se pencher sur le premier point, nous allons nous intéresser au phénomène de déficit public. En effet, les administrations publiques sont en déficit depuis 1976. Notons la différence entre le déficit budgétaire correspondant au déficit de l’Etat et au déficit public au sens du Traité de Maastricht qui correspond à l’ensemble des administrations publiques (l’Etat, les collectivités territoriales et la Sécurité sociale). Nous parlerons par la suite du déficit public au sens du Traité de Maastricht.

Nous sommes en droit de nous questionner sur ce déficit et voir ce qu’il signifie. Cela veut-il dire que l’Etat contrairement aux autres agents économiques vit au-dessus de ses moyens ? Qu’il devrait adopter une politique prudentielle pour dégager un excédent ? Qu’il faudrait qu’il réduise son supposé « train de vie » ?

Il est important de noter qu’a priori l’ensemble des agents économiques vivent au-dessus de leurs moyens à commencer par les ménages. La grande partie des ménages doivent s’endetter pour acheter leur logement par exemple à moins de bénéficier d’un héritage constituant la source primaire d’inégalités en France. L’endettement marque déjà le fait de vivre au-dessus de ses moyens mais ceci est un phénomène tout à fait usuel contribuant au bon fonctionnement de l’économie.

Les entreprises et les ménages cherchent systématiquement à être en excédent. Le premier veut faire du profit pour réinvestir, augmenter les salaires et payer les actionnaires quand les autres peuvent vivre dignement pour consommer et épargner. Les Economistes atterrés dans leur ouvrage La Dette publique, ont pu effectuer un travail de recensement pour établir l’évolution du solde budgétaire de la France hors investissement public. Nous observons que depuis les 20 dernières années, le solde est positif mise à part durant la crise des subprimes en 2008 et lors de la crise COVID. Ceci revient à dire que ce qui creuse le déficit ce sont les investissements et non pas le train de vie de l’Etat. Ceci est d’ailleurs vérifié lorsque l’on distingue dans les dépenses des administrations publiques les dépenses d’administration et les transferts financiers qui correspondent respectivement au fonctionnement, investissement et de l’autre côté aux prestations sociales et subventions. Cette distinction est pertinente car les transferts financiers sont neutres au regard de la population car les prélèvements sont redistribués, l’Etat prend de la main droite pour distribuer de la main gauche. Ainsi, lorsque l’on constate l’évolution des dépenses d’administration, nous observons qu’elle est stable depuis 1960 alors que la démographie augmente et les besoins également[8]. L’Etat ne vit donc pas au-dessus de ses moyens mais investit.

Le débat auquel nous semblons aboutir est donc la pertinence de l’investissement public. L’Etat capte une partie des financements pour investir et ceci est mis en cause par les néolibéraux qui considèrent que l’Etat ne doit pas capter un financement pour investir et doit laisser cela au secteur privé. A l’heure du dérèglement climatique et ses impacts sur la population pour ne citer que les incendies dévorant nos terres et les grandes crues dévastant nos habitations, il est difficile de croire qu’il ne faille pas une entité générale pour coordonner l’ensemble des secteurs pour y faire face.

L’Etat doit donc s’endetter pour investir et avoir un déficit permettant aux autres agents économiques de faire du bénéfice car l’économie n’est rien d’autre qu’un ensemble de vases communicants, les bénéfices étant liés à un déficit. L’emprunt devient alors tout autre chose, il s’agit d’un outil permettant de s’adapter aux changements de demain sous la direction publique.

Toutefois, il faut bien reconnaître que l’endettement n’est pas anodin. En effet, l’endettement doit être suivi d’une activité économique rapportant de la croissance et du bien-être pour la population. Plusieurs dangers peuvent voir le jour, notamment les taux d’intérêts qui peuvent s’accroître jusqu’à dépasser les chiffres de la croissance. A ce moment-là, la dette devient une difficulté.

Nous pourrons revenir longtemps sur la dette et sur les raisons de son inefficacité aujourd’hui quand elle est due principalement à un manque croissant de recette plutôt qu’à une stratégie d’investissement qui pourrait alimenter une croissance. Nous l’avons dit plus haut, les taux d’intérêts sont les variables d’ajustement de l’endettement. Comment sont-ils définis ? Pour répondre à cette question, nous devons revenir aux fondements des marchés financiers.

Les marchés financiers ont été développés pour un objectif clair : réallouer l’épargne des ménages dans l’économie. L’avantage des marchés financiers était qu’ils pouvaient lever une quantité de fonds bien plus importante que le modèle de création monétaire bancaire.

Prenons un exemple pour mieux illustrer le fonctionnement des marchés financiers. Dans le cas où une entreprise décide d’investir une somme importante, elle peut avoir deux recours, d’une part la création monétaire des banques privées, d’autre part l’emprunt sur les marchés financiers. Si l’entreprise décide de s’orienter vers le deuxième recours, elle va émettre des titres de dette appelés « obligations » sur le marché que l’on appelle primaire. Les investisseurs institutionnels pour la majorité pourront acheter ces obligations qui auront une date de remboursement fixe. Parce qu’il peut y avoir un besoin de liquidité immédiat (des clients des fonds d’investissement qui veulent récupérer leur épargne par exemple), les fonds d’investissement peuvent être amenés à devoir vendre les titres de dette alors qu’ils ne sont pas arrivés encore à échéance. Ces fonds vendront ces titres dans le marché secondaire dit « de l’occasion ». Il s’agit d’un marché qui permet de pouvoir s’échanger des titres, les revendre pour flexibiliser les titres.

Ce marché est d’une importance capitale car c’est au sein de celui-ci que viendra se définir les taux d’intérêts qui seront appliqués dans le marché primaire (je simplifie pour faciliter la compréhension). Le prix sur le marché secondaire paraît plus actuel que celui à l’époque délivré sur le marché primaire. Il semble résulter d’informations aidant à le définir. Le taux d’intérêts viendra conditionner les charges d’intérêts qui sont à payer par l’Etat chaque année. Si l’Etat n’est pas obligé de rembourser sa dette qu’il peut faire rouler, il doit toutefois s’acquitter des charges d’intérêts dans son budget. Les acteurs qui influencent ce taux sont les investisseurs dits « institutionnels » (fonds de pension, les compagnies d’assurance, les gestionnaires d’actifs…) Ces investisseurs vont définir le taux d’intérêts en fonction de bon nombre d’indicateurs liés à la politique économique de l’Etat. Ils ont donc par leur puissance une capacité à influencer le budget de l’Etat et viser une certaine orientation dans ce budget pour définir le taux. De la même manière, les agences de notation sont des entreprises privées qui peuvent mettre l’économie du pays en difficulté en fonction de la note qu’elles apposent.

Il ne fait pas de doute que ces acteurs d’une puissance considérable sont en conflit permanent avec l’idée de la démocratie. L’objectif étant de rapporter des capitaux et faire du profit par le biais de l’Etat, il est évident que les décisions doivent être influencées dans ce but sans prendre en compte le bien commun.

Le cas de Liz Truss est éclairant. Arrivée au poste de première ministre en Angleterre, elle opte pour une politique économique archaïque basée sur l’offre en réduisant massivement les impôts sans trouver d’autres recettes. Ceci a engendré une peur des marchés financiers qui craignaient que l’Angleterre emprunte massivement sans avoir la capacité de rembourser ce qui a conduit à une hausse brutale des taux d’intérêts, une fuite des capitaux et une attaque sur sa devise. Au vu du résultat, son clan politique prit peur, elle fut finalement sommée de démissionner après une durée n’excédant pas deux mois. Même si elle n’a pas été élue par le peuple, cet exemple montre la force déterminante des marchés financiers dans la politique qui peut avoir le droit de veto sur une politique économique.

En ce qui concerne les agences de notation, une polémique souligna un problème très pertinent. Nous sommes au début des années 2010 durant ce qu’on appelle aujourd’hui « la crise de la dette en Europe ». Plusieurs Etats européens se voient infliger une dégradation de leur note par les trois grandes entreprises américaines. Ces agences de notation totalement intégrées au système financier américain exercent une influence extrêmement importante sur le marché obligataire. Plusieurs politiques ont alors accusé les agences de notation de favoriser le dollar dans un but d’affaiblissement de l’euro qui pouvait être considérée comme une potentielle rivale comme monnaie de réserve mondiale. Ceci notamment du fait de la différence de jugement avec les Etats-Unis qui avaient des indicateurs économiques similaires et ne furent dégradés que par une seule agence et plus tardivement.

Au terme de cette partie, nous pouvons donc apprécier l’état de notre régime. Le système financier actuel détient une capacité d’influence qui semble dépasser très largement celle du peuple en tant qu’acteur et décisionnaire des choix économiques du pays.

Pouvons-nous donc parler de gouvernement pour le peuple ? Rien n’est moins sûr. Quelle évolution désirable pouvons-nous espérer pour que l’Etat puisse prendre des décisions en faveur des citoyens ? Malgré les attaques perpétrées contre l’Etat, rappelons-nous que l’Etat reste fort. La législation demeure possible. Le projet de la taxe OCDE est un symbole permettant de croire à la force cumulée des Etats mais difficile à croire que le consensus est une manière d’avancer dans ce système financier globalisé et très puissant.

L’horizon se dessine alors plus par un Etat s’affranchissant du système financier mondialisé pour revenir sur une maîtrise nationale de ces sujets comme un pôle public bancaire, une agence de notation socialisée, un circuit du trésor et une organisation de financement dédiée aux citoyens, seuls décisionnaires légitimes de la politique économie d’un Etat. Ces conditions marqueront le retour d’un Etat planificateur qui orientera le crédit vers des projets d’investissement durables, qui contrôlera les prix pour garantir une vie digne pour tous et qui détiendra les monopoles industriels pour organiser la production.

Conclusion

Au terme de cette analyse, nous avons pu voir que la démocratie n’est pas un simple mot qui se décrète. Ce mot est à lui seul une perspective tout entière. Un Etat ne peut être démocratique si le démos ne dirige pas en son nom et pour lui-même.

 

La démocratie n’est pas simplement une organisation juridique et institutionnelle mais elle est aussi conditionnée de manière économique. Certes il y a une gradation en termes de démocratie et nous ne ressemblons pas à une dictature comme dans d’autres pays. Mais cet argument à lui-seul ne peut suffire à se contenter de notre régime. La représentation ne fonctionne pas et est pondérée par un conservatisme stagnant. La volonté populaire brûle et se consume en mourant à petit feu quand l’Etat regarde ailleurs, prisonnier des geôles des créanciers accumulant du profit. L’air de la liberté perd de l’oxygène heure après heure. Il n’y a pas de fatalité car « il s’en trouve toujours certains, […], qui sentent le poids du joug et ne peuvent se retenir de le secouer, qui ne s’apprivoisent jamais à la sujétion » nous enseignait Etienne de la Boétie.

A toutes celles et ceux qui ne veulent plus humer ce parfum de l’impuissance, ce bref texte appel à l’exigence. Soyons exigeants avec nos institutions. Ne laissons pas le mot « démocratie » s’abîmer et persister dans cette léthargie mortifère.

Cet appel à la démocratie doit faire réapparaitre la force citoyenne qui a fait plusieurs révolutions. Soyons exigeants envers nous-mêmes. Ces mots sont le cri sourd d’un pays qui est maintenant enchaîné. Appelons à un changement économique, financier et institutionnel pour que le démos puisse avoir le pouvoir.  

Il est temps de voir venir le Temps des ruptures.

 

[1] Propos tirés de N. Rubinstein « Politics and constitution in Florence at the end of the fifteenth century » rapportés par B. Manin « Principes du gouvernement représentatif ».

[2] Il ne s’agit pas ici de faire l’éloge du tirage au sort qui entraine d’autres questions telles que le consentement à la loi.

[3] Propos attribué à Thibaudeau qui sera le président du premier bureau de l’Assemblée.

[4] Composition selon l’Assemblée nationale 2024 selon www.datan.fr

[5] 1,28 millions de personnes selon le ministère de l’intérieur lors de la journée du 7 mars 2023

[6] Sondage BVA du 27/03/2023

[7] Selon www.vie-publique.fr

[8] Analyse réalisée par Elucid.media, source : INSEE

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En publiant l’ouvrage « Le Foyer des Aïeux, figures oubliées de la IIIème République », nous souhaitons éclairer l’action politique au présent à la lumière de personnages passés. Il en va ainsi du parlementarisme, délaissé depuis l’avènement de la Vème République, qui constitue pourtant le fondement de notre tradition républicaine.

La Vème République nous a déshabitués à faire du Parlement l’organe principal de notre démocratie. Le présidentialisme propre à notre système constitutionnel, initialement fondé sur la légitimité charismatique du général de Gaulle, ne s’est pas essoufflé à la mort de ce dernier.

En ce sens, les élections législatives de l’été 2024 ont constitué un bouleversement politique et culturel dans une France qui avait pris pour habitude de tenir en hostilité toute forme d’instabilité, marquée par le souvenir malheureux de la IVème République et des « coups d’épingle permanents » du Parlement (c’est à cette idée, en somme, que Michel Debré, présentant son projet de Constitution devant le Conseil d’Etat, réduisait la fonction du pouvoir législatif).

Pourtant, la situation post-2024 nous offre l’occasion de croire à nouveau dans la force gouvernante du Parlement. Elle nous donne l’opportunité, également, de rappeler à quel point ce dernier joua un rôle déterminant dans l’affermissement de la République en France. Sous la IIIème République, il était le cœur battant de la Nation, d’où se faisaient et se défaisaient les collations, les alliances et les oppositions. Organe vital de notre démocratie, le Parlement fut à l’origine de progrès sociaux majeurs et parvint, de multiples fois, à endiguer les dangers qui menaçaient le régime républicain.

Après la crise de 1877, qui mit fin à toute velléité présidentielle de dissoudre l’Assemblée, les gouvernements ne tenaient que par la confiance des deux Chambres. Le président du Conseil n’existait qu’à travers sa majorité ; il pouvait tomber sur un amendement mal négocié ou un discours bien ajusté. La vie politique se jouait dans l’hémicycle, pas dans les couloirs feutrés de l’Élysée, où désormais la coulisse pèse davantage que l’estrade. Les décisions étaient le fruit de discussions, de compromis parfois, mais elles reposaient sur l’interaction de représentants de la Nation aux poids politiques immenses, soit qu’ils étaient chefs de partis, rédacteurs en chef de grands journaux, avocats ou syndicalistes. Par comparaison, le centre de gravité des institutions, sous la Vème République, a fait basculé le poids politique en dehors de l’enceinte parlementaire.

Sans l’idéaliser, ce régime avait ses grandeurs. Les figures politiques y gagnaient leur autorité au contact direct des débats, sans majorité assurée : Gambetta façonnant un opportunisme républicain capable de concilier idéaux et réalisme ; Léon Bourgeois plaçant le solidarisme au cœur de la philosophie sociale ; Émile Combes, par la loi, affranchissant l’école de la tutelle cléricale… La plupart des grandes réformes qui, aujourd’hui, irriguent notre contrat social, furent arrachées dans ce creuset parlementaire.

Les pessimistes, de bonne foi sûrement, rappelleront l’échec final de la IIIème en 1940, alors que sourdait le péril de la guerre. Mais comme l’indique Benjamin Morel dans son dernier ouvrage « Le Nouveau Régime, ou l’impossible parlementarisme », cet échec est sûrement davantage dû au contexte international qu’aux failles intrinsèques du régime – la Vème République n’a pas eu à « gérer » de conflits géopolitiques touchant aussi directement l’intérêt vital de la France. Ce rappel n’exonère pas la IIIème République de ses responsabilités, mais il empêche de réduire son histoire à un récit téléologique où l’instabilité parlementaire mènerait naturellement et par nécessité à la défaite. D’ailleurs, c’est ce même régime qui avait permis à la France de gagner la Première Guerre mondiale…

En somme, notre vie politique contemporaine ne s’écrit pas sur une page blanche. De ce constat, nous déplorons l’habitude qu’ont prise certains acteurs, institutionnels, politiques ou intellectuels, de porter un regard favorable sur le passé, sur notre passé. Sortons du complexe d’Orphée qui nous frappe et nous empêche d’apprécier tout le génie de la IIIème République. Car, comme l’indiquait si bien Jaurès, le culte du passé n’a pas à être réactionnaire, ni même conservateur. A Barrès, qui considérait que seul le passéisme faisait honneur au passé, il répondait dans la Chambre des députés : « Oui, nous avons, nous aussi, le culte du passé. Ce n’est pas en vain que tous les foyers des générations humaines ont flambé, ont rayonné ; mais c’est nous, parce que nous marchons, parce que nous luttons pour un idéal nouveau, c’est nous qui sommes les vrais héritiers du foyer des aïeux ; nous en avons pris la flamme, vous n’en avez gardé que la cendre ».

 

A travers notre ouvrage, Le foyer des aïeux, figures oubliées de la IIIème République, publié aux éditions du Bord de l’Eau avec le soutien de la Fondation Jean Jaurès, nous avons souhaité mettre en valeur certains de ces personnages, trop souvent méconnus, qui peuvent encore inspirer une pratique parlementaire aujourd’hui. Retrouvez cet ouvrage dans les librairies dès le 22 août !

 

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