Penser l’alternative : entretien avec Jacques Rigaudiat

Penser l’alternative : entretien avec Jacques Rigaudiat

Dans cet entretien Jacques Rigaudiat, co-auteur de « Penser l’alternative : réponse à quinze questions qui fâchent » revient sur plusieurs thèmes abordés dans le livre (transition écologique, dette, services publics, etc.) et explique en quoi la dette n’est pas un danger et la décroissance n’est pas une réponse à la transition écologique.

Le Temps des Ruptures : vous consacrez un chapitre sur l’idéologie de la décroissance. Selon vous, cette théorie est incompatible d’une part avec la transition écologique, et avec l’amélioration des conditions de vie des citoyens (par exemple, l’investissement dans les services publics, dans la rénovation des bâtiments, etc.). Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?

Jacques Rigaudiat : 

C’est une question de pur bon sens : comment, en effet, imaginer que sans croissance on puisse faire face aux défis qui nous attendent : c’est-à-dire tout à la fois financer la transition écologique dans l’ensemble de ses dimensions (préservation de la biodiversité, adaptation aux dérèglements climatiques et transition énergétique), rétablir et améliorer les services collectifs qui sont en grave déshérence et assurer une amélioration des conditions et du niveau de vie ?

Certes « faire payer les riches » est nécessaire, et réformer profondément la fiscalité indispensable, mais il faut être conscient des ordres de grandeur : cela ne suffira nullement pour assurer les investissements et les redistributions dont notre société a durablement besoin et une amélioration d’ensemble du niveau de vie. Pour cela, il faut de la croissance.

Le PIB agrège certes des choses très différentes, et il n’y est pas fait de différence entre ce qui constitue un progrès, une réparation des dégâts de la croissance et du réchauffement climatique, ou une production à des fins d’utilisation futilement ostentatoires. L’économiste doit bien sûr ici céder le pas au politique et aux valeurs citoyennes qu’il porte pour un projet de société plus égalitaire, plus sobre et au niveau de vie soutenable pour la planète. C’est pourquoi des consommations seront à réduire voire à prohiber et des gaspillages à résorber ; c’est pourquoi, le modèle productif devra être transformé pour devenir compatible avec les équilibres, notamment climatiques, de la planète.

Mais ce n’est pas céder à un fétichisme du PIB que de rappeler que celui-ci représente tout à la fois l’ensemble des richesses produites, y compris non-marchandes, mais aussi celui des revenus distribués et, enfin, des consommations et des investissements. Avoir pour projet principal de le réduire, c’est, ipso facto, être dans une démarche de régression sociale, qu’elle s’avoue (rarement) ou soit (le plus souvent) déniée. Le projet décroissantiste est une illusion mortifère.

Le Temps des Ruptures : dans le chapitre 7, vous défendez une plus grande électrification des usages, avec une énergie décarbonée. Quels sont les grands défis liés à cette électrification ? quels sont les secteurs devant être décarbonés prioritairement selon vous ? le secteur des transports est emblématique de cette électrification, mais l’augmentation du coût de l’énergie rend cette transition complexe ?

Jacques Rigaudiat : 

D’abord, il faut rappeler que l’électrification n’est qu’un moyen au service de la décarbonation et que celle-ci est une urgence absolue. Toutes les prévisions, même pessimistes, semblent aujourd’hui prises de court par la réalité : le réchauffement climatique -et avec lui les dérèglements (incendies, sécheresses, inondations catastrophiques…) qui l’accompagnent- est plus rapide qu’attendu. Il ne suffira pas de décarboner l’économie et les usages de la société, il faudra aussi l’y adapter à ces conditions nouvelles.

Il ne suffira pas non plus de simplement « décarboner » l’énergie utilisée, il faudra aussi en faire le plus possible l’économie : être plus sobres en énergie, plus efficaces dans leur production comme dans leur utilisation. Enfin, faire en sorte que ces énergies soient aussi décarbonées qu’il est possible. On ne peut dissocier les termes de ce tryptique énergétique : sobriété, efficacité, décarbonation. C’est un programme gigantesque qui nous attend, nous et les générations à venir ; il sera coûteux, très. Il devra être soutenu dans la durée ; elle sera longue. C’est pourquoi, je le redis, le décroissantisme ne peut être un projet politique.

Pour répondre à votre question, aucun secteur, absolument aucun, ne peut échapper à ces impératifs, car ils sont, si j’ose dire, « catégoriques » si nous voulons -et nous le devons- atteindre le « zéro net émissions » (ZNE) le plus rapidement possible. Aucun ne pourra s’en exonérer.

D’autant moins d’ailleurs, j’y insiste au passage, que ce ZNE est le résultat d’une soustraction entre les émissions et la capture du carbone assurée par les puits naturels ; or, conséquence du réchauffement climatique et de ses effets comme on le voit pour la France, ils sont en train de s’effondrer. Il faudra donc aussi les restaurer ou/et développer des moyens de capture du CO2.

Pour en revenir aux secteurs, c’est vrai d’abord, bien sûr des mobilités (32% des émissions, dont la moitié due aux véhicules particuliers), dont l’électrification représente une profonde transformation des usages typiques de la « société de consommation », mais aussi une révolution industrielle risquée pour le secteur et ses emplois. C’est vrai aussi de l’agriculture (19% des émissions), dont au demeurant l’émission principale -le méthane- a sur sa durée de vie propre (de l’ordre de 30 ans) un pouvoir réchauffant 90 fois plus important que le CO2 ; c’est vrai des procès de production de l’industrie (18%), et en priorité les plus énergétiquement intensifs ; c’est vrai encore du bâtiment (16%, dont près des 2/3 des émissions sont dus au résidentiel), qui devra faire l’objet d’un programme de rénovation thermique complet. Quant au secteur de l’énergie, cela peut sembler un paradoxe, il ne représente que 11% des émissions, car il est déjà largement décarboné grâce à un parc nucléaire qui fournit entre 60% et 70% de la production d’électricité et plus récemment du fait du développement des énergies renouvelables intermittentes (EnRi) : solaire photovoltaïque et éolien, terrestre et marin.

Mais, on le voit, ce mouvement d’électrification des usages, productifs ou de consommation, devra encore être massivement développé, et avec lui, donc, la production d’électricité. Comme le dit le rapport Pisani-Mahfouz dans un raccourci saisissant mais juste, il s’agit de « substituer du capital aux sources fossiles ».

Pour de multiples raisons que nous développons dans notre livre, cela aussi coûtera cher. Il faut clairement annoncer la couleur, il est vain d’imaginer comme certains aiment à en cultiver l’illusion que cela aboutira à une énergie peu coûteuse. Éviter la « fin du monde » amènera plus que jamais à poser celle des « fins de mois » et donc celle de la fracture énergétique que cela risque d’entraîner. C’est pourquoi, il faudra aussi s’employer à définir un projet politique qui apporte des solidarités nouvelles ou renforcées en ce domaine.

Le Temps des Ruptures : vous dites également que l’adaptation du mix énergétique de chaque pays dépend d’abord de son point de départ. En France, E. Macron avait évoqué il y a quelques années son souhait de fermer plusieurs réacteurs nucléaires, et de réduire la part du nucléaire dans le mix. Il est ensuite revenu sur ces déclarations, annonçant un grand plan de relance du nucléaire. Qu’en pensez-vous ? ce revirement est-il uniquement dû à la guerre en Ukraine ?

Jacques Rigaudiat : 

De son point de départ, mais pas seulement… Si j’avais un mix électrique idéal à proposer, dans l’absolu ce serait celui de la Norvège : bon an mal an, 88% d’hydraulique, 10% d’éolien ! C’est impossible en France, ne serait-ce que parce que, sauf à ennoyer des vallées entières (et les villages et bourgs qui vont avec), la capacité d’hydraulique y est quasiment saturée.

En France, le nucléaire représente de l’ordre de 60% à 70% de la production d’électricité selon les années, prévoir de s’en priver en fermant à échéance rapide les centrales existantes était à tous égards inepte et conduisait dans une impasse, énergétique et économique bien sûr, mais aussi écologique. Le modèle allemand de l’Energiewende l’illustre un peu plus chaque jour ; aujourd’hui même (4 juillet 2024, 16h00) l’électricité est produite avec 25 g/eq CO2/kWh en France, contre 282 g/eqCO2/kWh en Allemagne ! Et ce rapport de 1 à 10 est une réalité structurelle. Il faut savoir si l’on prend réellement au sérieux le risque climatique !

La guerre en Ukraine a sans doute précipité le revirement que vous évoquez, mais a aussi beaucoup joué l’absurdité à laquelle conduit l’Energiewende allemande : une électricité chère -la plus chère en Europe, à l’exception du Danemark- et dont la production est très émissive. Tout cela sans perspective dans l’immédiat de se passer du combo charbon-lignite et, au-delà, de pouvoir éviter l’utilisation massive de gaz fossile. J’ajoute pour faire bon poids, que, faute d’une diversification de ses sources, l’Allemagne passe ainsi d’une dépendance au gaz russe à celle au gaz (de schiste !) américain ! Diversifier les sources d’approvisionnement c’est ipso facto s’obliger à passer des contrats à long terme avec les nouveaux fournisseurs, comme on l’a vu avec le Qatar ; contrairement à ce qui peut être dit, l’utilisation du gaz fossile a encore de très belles années devant lui en Allemagne !

Au total, ce n’est pas beaucoup s’avancer que de prédire que l’Allemagne devra revenir sur ses choix comme sur ses refus, car cette option n’a pas d’avenir.

Le Temps des Ruptures : les élections européennes se sont achevées il y a quelques semaines. Certains candidats ont défendu un projet européen fédéraliste. Selon vous, même si l’UE semble en apparence avancer vers davantage de fédéralisme, des difficultés (logique d’affrontement plutôt que d’entraide entre les Etats, légitimité des responsables politiques européens, etc.) rendent ce projet inenvisageable. Vous défendez une Union européenne de la coopération plutôt que fédéraliste. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Jacques Rigaudiat : 

Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, les crises successives qu’a connues l’UE, n’ont pas substantiellement changé la donne ; si des avancées fédérales ont bien été engagées, les reculs et les refus ne sont pas négligeables non plus. Si l’UE est devenue plus fédérale dans ses institutions, -en particulier le rôle du Parlement s’est affirmé, ce qui est une bonne chose-, elle n’en demeure pas moins un édifice institutionnel profondément néolibéral, c’est-à-dire où la démocratie n’a de place que limitée : elle doit s’y borner à l’acquiescement ! Cela conduit à deux impasses.

La première est que si la question démocratique reste posée, celle de la légitimité des institutions et de leurs dirigeants l’est aussi. Pas de fédéralisme possible sans une légitimité « supranationale ». On se souvient à cet égard du référendum de 2005 et de la façon dont le rejet populaire du TCE a été dénié ; on se souvient aussi des propos de J. Cl. Juncker en janvier 2015 à propos de l’arrivée au pouvoir de Syriza en Grèce : « il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités ». C’est, je crois, assez dire qu’avec l’UE la démocratie est réduite aux apparences ; ce qui est certes mieux que rien, mais ne peut pour autant passer pour suffisant.

La seconde raison tient à la construction incomplète de la monnaie unique qui en découle. Une BCE strictement indépendante, ainsi mise à l’abri des influences supposément délétères du politique, et qui a pour seul objet de maintenir la stabilité des prix, des traités qui lui interdisent explicitement de financer les États membres (Art 123-1 du TFUE). Ces choix vouent l’euro à aller de crise en crise du fait de la non-coordination des politiques budgétaires et des différentiels d’inflation. Il a fallu que l’euro soit au bord de l’abime en 2015, puis lors de la crise du Covid, pour que ces dispositions soient, transitoirement, mises de côté. On se félicitera certes de cette flexibilité inattendue mais enfin elle démontre surtout, a contrario, l’absurdité de ces règles qu’il faut suspendre dès lors qu’une difficulté un tant soit peu sérieuse se présente. De même, la politique de hausse des taux engagée par la BCE n’avait pour seul but que de casser par avance l’amorce d’une boucle prix-salaires, alors même que l’inflation n’était pas tirée par la demande mais par la hausse brutale des prix de l’énergie et celles résultant des goulots d’étranglement post-Covid des chaînes de production mondialisées, une inflation par les coûts donc ! Bref, une politique austéritaire à l’égard des salariés…

Et enfin, cerise sur le gâteau, que dire de cette phrase d’un banquier central, rapportée par Le Monde (du 4 juillet) à propos de la situation française et du risque d’une hausse du « spread » (écart) de taux à son détriment du fait des incertitudes politiques actuelles ? « On sait que les marchés ont un rôle à jouer dans la discipline budgétaire et nous ne détruirons pas ce rôle », c’est ce que, dans un de ces étranges bégaiements dont l’Histoire est coutumière, dit le gouverneur de la banque centrale de… Grèce. Autant dire que pour affirmer la discipline maastrichtienne et faire en sorte que « La France (puisse) avoir un peu peur », la BCE laissera les marchés jouer contre les choix démocratiques, au risque assumé donc, du chaos pour l’Euro … Le marché comme père Fouettard des citoyens en somme.

Ce sont là les raisons pour lesquelles effectivement nous plaidons pour une coopération entre États-membres et non pour plus de fédéralisme. Pourquoi en effet vouloir déléguer plus encore, alors que, du fait même de la nature des institutions européennes et de l’intangibilité postulée des dispositions des traités, les abandons de souveraineté supplémentaires auxquels il faudrait alors consentir ne s’accompagneront pas et ne seront pas équilibrés par un approfondissement démocratique ?

Le Temps des Ruptures : on observe ces dernières décennies, une part de plus en plus importante du privé à but lucratif dans les secteurs publics (hôpitaux, systèmes de garde, écoles, etc.), ainsi que l’ouverture à la concurrence d’entreprises françaises, remplissant une mission de service public essentielle (électricité, transport, etc.). Les services publics permettent pourtant de réduire les inégalités en redistribuant les revenus (en complément des prestations sociales). Comment endiguer ce glissement des services publics vers le privé ?

Jacques Rigaudiat : 

Ce glissement progressif vers la mise en concurrence généralisée, qu’il s’agisse de services publics ou d’entreprises, est requis par la libéralisation qui est le cœur de la pensée magique néolibérale, sa pierre philosophale, et sert de norme absolue à la CEE, puis à l’UE depuis l’adoption de l’Acte unique voulu par J. Delors en 1986 : un marché unique -et non plus « commun » – des marchandises, des capitaux et des services. Les directives l’organisent, en particulier s’agissant de l’énergie et des transport ; mais ce n’est pas moins vrai, par exemple, des assurances sur lesquelles sont rabattues les mutuelles … Et l’on peut à l’envie multiplier les exemples. Bref, pas vraiment de possibilité de redonner une véritable place aux services publics sans s’affronter d’une manière ou d’une autre aux contraintes que leur fixe indument l’Europe telle qu’elle existe.

Le Temps des Ruptures : en début d’année, le gouvernement a dévoilé son plan de réduction des dépenses pour réaliser 10 milliards d’euros d’économie. Ce n’est qu’une première étape : le gouvernement ambitionne de passer sous la barre des 3% de déficit en 2027. Il y a cette idée qu’on retrouve souvent dans les médias, à la télévision surtout, que la France vit à crédit. Ce que vous dites dans le livre, c’est que la dette ne coûte rien tant que le taux d’intérêt est inférieur au taux de croissance nominal et qu’elle est un levier pour les investissements publics. Pourriez-vous revenir sur ces points ?

Jacques Rigaudiat : 

Ce ne sont pas 10, mais 20 Md€ de réduction des dépenses qui sont (étaient ?) visés pour cette année et 50 Md€ l’an prochain ! Les règles budgétaires issues de Maastricht et récemment renouvelées, nous imposent ce régime drastique de réduction du déficit pour éviter les conséquences de la « procédure de déficit excessif » engagée par Bruxelles contre la France.

Pourquoi pas dira-t-on, car le bon sens veut que la France ne puisse vivre durablement « au-dessus de ses moyens ». Sans doute, mais encore faut-il d’abord préciser que ce déficit est organisé. Ainsi en 2023, le déficit « surprise » de 154 Md€ (5,5 % du PIB) n’est pas le résultat d’une explosion des dépenses publiques ; bien au contraire, leur évolution a été inférieure à l’inflation, en d’autres termes elles ont été réduites en volume. La vraie raison tient à la baisse drastique des recettes (- 4,4% en volume). Elle est essentiellement due aux baisses de fiscalité qui ont été consenties : suppressions de la CVAE et de la taxe d’habitation, exonérations supplémentaires de cotisations employeur. Cadeaux aux ménages les plus riches (suppression de l’impôt sur la fortune, « flat tax » sur les revenus du capital …) et aux entreprises, telles sont les raisons qui, au-delà du « quoi qu’il en coûte », expliquent la persistance de tels déficits et donc un endettement accru.

Cela dit, nous pensons que la dette n’est pas un mal en soi. Elle est (et sera) nécessaire pour financer les très lourds investissements qui, comme je l’ai indiqué précédemment, nous attendent pour les décennies à venir ; elle est le moyen d’en étaler dans le temps la charge, alors même que les effets de ces investissements profiteront aux générations à venir.

Enfin, comme vous l’indiquez dans votre question, les niveaux actuels de la dette et des taux d’intérêt restent largement inférieurs au risque de « boule de neige » qui ferait que nous devrions alors emprunter pour payer … les intérêts. Pour cette raison la France n’est donc pas en faillite. Elle l’est d’ailleurs d’autant moins que, par ailleurs comme nous le dit la comptabilité nationale, le patrimoine détenu par les administrations publiques est supérieur à leur dette.

Le Temps des Ruptures : y-a-t-il d’autres sujets, que vous n’avez pas abordés dans le livre mais qui mériteraient d’y consacrer un chapitre selon vous ?

Jacques Rigaudiat : 

Cet ouvrage est un livre d’économistes qui entendaient le rester ; nous n’avions donc ni l’ambition, ni le projet de nous évader du champ de compétence qui est usuellement assigné à notre discipline. Ce livre ne traite donc, par exemple, ni de sujets « régaliens », ni des questions d’immigration qui leur sont assurément connexes. De bien d’autres questions aussi sans doute. Ce n’est pas en minimiser l’importance, surtout dans l’état actuel du débat public, mais il nous a semblé que cela aurait été une bien misérable approche de ces sujets que celle d’économistes se bornant à chiffrer « combien cela coûte ». Cela sera possible le jour où un projet politique d’ensemble étant disponible, il nous faudra bien faire notre métier.

Si ce livre ne saurait donc passer pour ce qu’il ne se veut pas – un projet politique-, cela ne veut pas dire qu’il n’est pas politique. Car l’intitulé « Réponses à quinze questions qui fâchent » qui lui sert de sous-titre n’est pas anodin. Ce ne sont d’ailleurs pas les questions qui fâchent, mais les réponses que nous leur apportons. Et qui donc fâchent-elles et avec qui nous ont-elles d’ores et déjà fâché, comme la presse a pu s’en faire l’écho ? Ce sont des questions qui traversent la gauche telle qu’elle est désormais et des réponses qui la divisent. Des réponses entre lesquelles il lui faudra trancher, du moins dès lors qu’elle voudra bien dans ses différentes composantes ambitionner un exercice réel des responsabilités.

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

A lire aussi…

Préserver la laïcité

Dans cet entretien, les auteurs reviennent sur les thèses principales de leur ouvrage « Préserver la laïcité » : quel a été le cheminement jusqu’à l’adoption de la loi de 2004 ? Quels ont été

Lire la suite »

Lire aussi...

Préserver la laïcité

Dans cet entretien, les auteurs reviennent sur les thèses principales de leur ouvrage « Préserver la laïcité » : quel a été le cheminement jusqu’à l’adoption de la loi de 2004 ? Quels ont été

Lire la suite »

Penser le rap : entretien avec Kévin Boucaud-Victoire

Penser le rap : entretien avec Kévin Boucaud-Victoire

Dans cet entretien, Kévin Boucaud-Victoire revient sur les origines du rap, son histoire dans les quartiers populaires, sa signification au travers de l’histoire.

Le Temps des Ruptures : Votre livre revient sur l’histoire du rap, de ses origines américaines jusqu’à ses différents embranchements contemporains. Vous montrez bien qu’au départ, loin d’être une musique contestataire, il s’invite dans les block parties. Comment expliquez-vous alors la confusion qui existe dans l’esprit de nombre de nos contemporains lorsqu’ils affirment que le rap serait, par essence et origine, protestataire ?

Kévin Boucaud-Victoire : 

Le rap est né du hip-hop, lui-même issu des block parties. La première d’entre elles se déroule le 11 août 1973, dans le Bronx, à New York, à l’initiative de Clive Campbell – plus connu sous le blaze de DJ Kool Herc – et de sa sœur Cindy Campbell. Il s’agit de l’anniversaire de cette dernière : la soirée a lieu en plein air, la rue est bloquée, l’entrée est payante et le frère est aux platines. Nous sommes après les morts de Malcolm X et Martin Luther King et le Black panthers party est mal-en-point. Les ghettos sont en pleine dépolitisation et sont rongés par la violence et la drogue. Le hip-hop, avec les block parties, est avant tout festif. On peut néanmoins noter que certains acteurs ont déjà une ambition sociale. C’est par exemple le cas d’Afrika Bambaataa, DJ auteur du slogan « Peace, Unity, Love and Having Fun », qui voit dans le mouvement un moyen d’éloigner les jeunes des gangs. Après cette première période, vient celle des premiers tubes : «Rapper’s Delight », de The Sugarhill Gang, en 1979, et «The Message » de Grandmaster Flash, en 1982. Les deux sont sortis sur le même label. Le premier morceau est purement festif. Je qualifierai le second de social – plutôt qu’ “engagé”, car il ne revendique rien. C’est avec ces deux tubes que prend racine le mythe d’un rap qui marcherait sur deux jambes, l’une festive et l’autre engagée.

En France, le rap arrive alors que les médias comme les responsables politiques découvrent le «problème des banlieues ». Le rap lui est immédiatement associé. Ajoutons que durant cette période les banlieues sont bien plus politisées qu’aujourd’hui et le rap le reflète.

Mais la vraie raison est politique. Après l’échec de Mai 68, une partie de l’intelligentsia de gauche cherche un nouvel agent révolutionnaire à même de remplacer le prolétariat. Les jeunes – qui ont fait une apparition foudroyante sur la scène sociale en Mai 68 – et les immigrés font partie des candidats. Les banlieues sont peuplées – quand on les analyse de manière caricaturale – de jeunes, d’origine immigrée et pauvres. Cela en fait de parfaits sujets révolutionnaires. Leur musique ne peut être que subversive. En pratique, le rap du début, à quelques exceptions notables, a mêlé revendications sociales et volonté de s’intégrer au système, rejet des institutions et rêves consuméristes.

Le Temps des Ruptures : dans les années 1990/2000, le rap est perçu comme «la musique des ghettos ». D’une part parce qu’il provient des quartiers populaires français, et y est grandement écouté, d’autre part parce qu’il est supposé incarner ses maux. À l’époque, comment les hommes et femmes politiques appréhendent cette musique «porte-voix » ?

Kévin Boucaud-Victoire : 

Au départ, ils en ont eu peur. Après avoir été un mouvement cool et branché, notamment grâce à l’émission H. I. P. H.O. P., animée par Sidney. Ce sont, pour faire simple, des  jeunes sympas qui tournent sur la tête, parlent en argot et s’habillent de manières originales.

Les choses basculent à la fin des années 1980. Rap, cités, immigration, délinquance, violence et vandalisme commencent alors à être amalgamés. Le rap est en outre de plus en plus associé au tag, qui commence à coûter cher à la RATP et fait l’objet de plusieurs articles et reportages. Que le premier grand groupe français se nomme NTM («Nique ta mère ») n’a pas dû aider. Le rap effraie les hommes et femmes politiques. La droite condamne unanimement et tente même à certains moments de faire censurer des textes. Le rap lui rend bien cette hostilité et la droite devient une de ses cibles favorites. C’est plus clivé à gauche : certains veulent apparaître «dans le coup », y voient justement une musique révolutionnaire ou au moins la musique d’une partie de leur électorat. Le rap obtient alors  la reconnaissance du ministère de la Culture et des soutiens de la politique de la ville.

Le Temps des Ruptures : vous montrez bien dans votre ouvrage que «se présentant souvent volontiers comme anti-systèmes, les rappeurs sont le fruit de la société de consommation ». Le rap, du moins celui qui vend, est incontestablement capitaliste et l’argent y fait office de réussite suprême. Booba a bien résumé cela avec sa phrase : «mes victoires sont des échecs mes échecs sont des chefs d’œuvre ». Mais ne subsiste-t-il pas dans le rap une subversion de la morale (pour le meilleur et souvent pour le pire) ? En témoignent les provocations d’un artiste comme Freeze Corleone.

Kévin Boucaud-Victoire : 

En réalité, tous les biens culturels contemporains, qui sont produits avec des méthodes industrielles – supposant une consommation de masse et une fabrication standardisée – s’insèrent dans le capitalisme. Mais la spécificité du rap, qui le rapproche du rock d’ailleurs, c’est d’avancer avec le masque de la rébellion. Il existe effectivement dans le rap une forme de subversion morale, que ça soit dans les noms des artistes ou groupes («Nique ta mère » de JoeyStarr et Kool Shen par exemple), dans les textes (il suffit d’écouter “Sacrifice de poulet » de Ministère A.M.E.R. ou «Saint-Valentin » d’Orelsan pour s’en convaincre) et même dans le vocabulaire utilisé (il faudrait compter le nombre de «putes » utilisé par morceau d’Alkpote). Le rap est parfaitement calibré pour choquer le bourgeois, même quand il n’est pas revendicatif. C’est d’ailleurs pour cela que les jeunes bourgeois aiment tant écouter du rap en soirée, c’est leur rébellion à eux, leur manière de tuer le père à peu de frais. Malheureusement, depuis au moins les années 1970, l’ordre moral n’est plus le carburant du capitalisme. C’est au contraire la subversion qui est son moteur, comme l’a si bien souligné le philosophe communiste Michel Clouscard. Ce mode de production, devenu un «fait social total », comme dirait l’anthropologue socialiste Marcel Mauss, aime dynamiter la morale, pour mieux favoriser l’extension du domaine du marché.

Le Temps des Ruptures : votre livre présente l’évolution musicale du rap qui, avec le tournant des années 2010 (La Fouine, Soprano, Sexion d’Assaut), devient la nouvelle pop écoutée par tous. Mais ce succès du rap n’est-il pas également dû au métissage avec des musiques dansantes ? Je pense par exemple à l’afrotrap (MHD), ou une sorte de raï rappé (Soolking). La mélodie semble désormais prendre le pas sur les paroles. 

Kévin Boucaud-Victoire : 

Oui,  bien sûr. Comme je le dis, le rap se marie avec tous les styles musicaux. Le rap n’a jamais existé par lui-même musicalement. Au départ, il se nourrit de la funk et de la soul, à travers le sampling, technique qui permet de créer une musique à partir d’un échantillon sonore. Aujourd’hui, le rap puise dans tous les registres, si bien qu’il y en a pour tous les goûts.

Le Temps des Ruptures : vous revenez dans Penser le rap sur l’ultra-conservatisme de nombreux rappeurs. Toutefois, le passage sur le sexisme est assez court alors que cet aspect est prégnant dans le rap. Dans quelle mesure l’imaginaire misogyne véhiculé par le rap prend-il sa source dans un imaginaire mental plus large des quartiers populaires ? Ou au contraire l’exacerbe, voire le pervertit-il ? 

Kévin Boucaud-Victoire : 

En fait, cette question est assez difficile et mérite nombre de nuances. Comme l’écrit Bénédicte Delorme-Montini, dans La gloire du rap : «Étant donné la diversité des profils des rappeurs, en France, il semble en tout cas qu’il faille se résoudre à renoncer à une explication englobante en termes de motivation culturelle, ce qui laisse la question ouverte en ce qui concerne les individus». Je vais essayer néanmoins de fournir un début d’explication. Schématiquement, je dirais qu’il y a deux formes de sexisme dans le rap français : un sexisme «traditionnel » et un sexisme «capitaliste ». Le premier repose sur certaines valeurs traditionnelles, et trouve probablement écho dans une forme de sexisme effectivement courant en banlieue – même s’il faut être prudent et éviter les généralisations. C’est, pour faire simple, la réduction de la femme à la bonne mère, à la bonne ménagère, pure, etc. À titre d’exemple, Rohff rappe dans «Pour ceux » : «Pour les pucelles, celles qui puent pas d’la chatte des aisselles / Qui prennent soin d’elles, font la cuisine, la vaisselle, qui ont fait le mariage hallal ».Ou Seth Gueko dans «Adria music » : «Elle se prennent toutes pour Nicki Minaj / Elles font plus le ménage, elles ont le balai dans la schneck.» Élégant… Le second n’est pas propre au rap, mais ce dernier l’exacerbe et, je pense, influe sur les mentalités. Il repose sur l’objectivation du corps de la femme et sa marchandisation, au moins symbolique.

En effet, Bénédicte Delorme-Montini évoque un « mouvement général de fond qui met le sexe à la une, rencontre du trash commercial et de la spectacularisation de l’intime qui révèle un nouveau rapport au corps et modifie les termes de la présentation de soi. Caractéristique du nouvel univers médiatique impudique et spectaculaire sous-tendu par Internet, la télé-réalité qui explose aussi illustre exemplairement le succès de ce nouveau modèle féminin ». En clair, le rap s’inscrit dans un phénomène d’hyper-sexualisation de la femme, qui touche plus largement la pop music et qui débute dans les années 2000. Si Booba s’est particulièrement bien illustré sur ce mode, celui qui a été le plus loin, c’est sans nul doute Kaaris, dont le premier album, Or noir, a été qualifié de «version cul de Scarface » par le youtubeur Jhon Rachid, et qui a fêté récemment ses dix ans en concert, avec sur scène, des danseuses avec des godes dans les fesses. On peut par exemple y entendre : «J’leur mets profond, j’fais d’la spéléo / J’t’ouvre la gorge comme une trachée / Une facial j’te refais la déco » («Bouchon de liège ») ; «Vingt mille lieues toute l’année, ma bite dans ton cul fait d’l’apnée » («Bouchon de liège ») ; ou encore «Si j’devais choisir entre tout ce biff et toutes ces bitchs / Je prendrais le gros chèque, parce que l’oseille est la plus bonne des schnecks » («Or noir »).

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

A lire aussi…

Préserver la laïcité

Dans cet entretien, les auteurs reviennent sur les thèses principales de leur ouvrage « Préserver la laïcité » : quel a été le cheminement jusqu’à l’adoption de la loi de 2004 ? Quels ont été

Lire la suite »

Lire aussi...

Préserver la laïcité

Dans cet entretien, les auteurs reviennent sur les thèses principales de leur ouvrage « Préserver la laïcité » : quel a été le cheminement jusqu’à l’adoption de la loi de 2004 ? Quels ont été

Lire la suite »

Préserver la laïcité

Préserver la laïcité

Dans cet entretien, les auteurs reviennent sur les thèses principales de leur ouvrage « Préserver la laïcité » : quel a été le cheminement jusqu’à l’adoption de la loi de 2004 ? Quels ont été ses effets à l’école et surtout, en quoi reste t-elle toujours d’actualité ?

Le Temps des Ruptures : pourquoi avoir décidé de focaliser votre ouvrage sur la question de la laïcité au sein de l’école et des signes religieux ?

Auteurs :

Parce qu’il nous apparaissait essentiel d’expliquer comment une loi si singulière, si française, avait pu être adoptée et désormais largement acceptée. C’est un paradoxe en soi, la France est une des seules démocraties à avoir banni les signes religieux ostensibles à l’école, et pourtant plus de 80% des Français approuvent cette mesure. Par ailleurs, l’occasion faisant le larron, les vingt ans de la loi de 2004 offraient un cadre idéal pour présenter l’histoire de l’appréhension des signes religieux dans l’enceinte scolaire.

Le Temps des Ruptures : un des arguments évoqués par ceux qui étaient contre l’interdiction de signes religieux à l’école en 2004, était la possibilité pour les jeunes, d’être scolarisés dans des établissements privés dispensant un enseignement religieux. Qu’en pensez-vous ? est-ce que la situation, depuis la loi de 2004, a évolué sur ce sujet ?

Auteurs :

Le risque était effectivement que beaucoup de jeunes de confession musulmane se détournent de l’école publique, pour aller dans des écoles coraniques où leur liberté de culte aurait été absolue. L’argument faisait sens, il était également défendu par des personnes qui, à titre personnel, étaient par ailleurs farouchement opposées au port du voile. Le risque d’un départ massif vers les écoles coraniques est aussi évoqué par plusieurs membres de la commission Stasi. Car, rappelons-le, outre les pourfendeurs de la laïcité « à la française », nombreux sont les laïques sincèrement inquiets des conséquences négatives que pourrait provoquer l’interdiction des signes religieux ostensibles et notamment des attaques que pourrait subir la France, à l’image de la prise d’otage de deux Français en août 2004 revendiquée par l’« Armée islamique en Irak », et dont le communiqué ordonne à la France d’« annuler la loi sur le voile, en raison de ce qu’elle comporte comme injustice et agression contre l’islam et la liberté personnelle dans le pays de la liberté présumée ».

C’est pourquoi la loi prévoit que soit réalisée une enquête sur la rentrée scolaire de septembre 2004. C’est Hanifa Chérifi qui s’en est chargée[1]. Or les chiffres montrent que moins d’une centaine de jeunes filles de confession musulmane sont passées du public au privé en raison de la loi entre les années scolaires 2003-2004 et 2004-2005, dont une écrasante majorité vers des établissements privés sous contrat, et non pas des écoles coraniques comme le craignaient beaucoup d’analystes.

Le Temps des Ruptures : vous indiquez que l’ensemble des membres de la commission Stasi, n’était pas favorable à l’adoption d’une loi interdisant les signes religieux au démarrage des travaux. Pouvez-vous revenir sur les éléments clés, qui ont fait évoluer l’opinion des membres plutôt initialement réfractaires ?

Auteurs :

Vous faites bien de rebondir sur cette évolution. Elle est la clé de compréhension de la loi de 2004. Pourquoi les sages se sont-ils progressivement ralliés à l’idée d’une loi d’interdiction ? Comment des « fortes personnalités indépendantes et libres », selon le mot de Rémy Schwartz, finissent-elles par changer d’opinion ?

La question est large et concentre l’essentiel du propos de notre livre. Entre juillet et décembre 2003, quelque 140 auditions, publiques et privées, sont menées par les membres de la commission Stasi. Les personnalités entendues sont diverses : hommes et femmes politiques, élus locaux, syndicalistes, ministres, représentants des cultes, associations de défense des droits de l’homme, professeurs, chefs d’établissement, CPE médecins, policiers et gendarmes, directeurs d’hôpital, infirmières, directeurs de prison, fonctionnaires d’administrations centrales, chefs d’entreprise, jeunes filles concernées par la question du voile, etc. Progressivement, les sages découvrent des réalités de terrain qu’ils ne connaissent pas, ou mal. Certaines auditions, singulièrement marquantes (notamment celles des personnels de l’Éducation nationale et des associations agissant pour les droits des femmes dans les quartiers difficiles), font l’effet d’un électrochoc et révèlent une situation ignorée par certains. Comme le fait remarquer une des membres de la commission Stasi, Gaye Petek, « il fallait pour certains quitter Saint-Germain-des-Prés ».

Sans dramatisation aucune, ils découvrent dans certains quartiers la ségrégation subie par de nombreuses jeunes filles. Une dirigeante associative déclare que « la situation des filles dans les cités relève d’un véritable drame ». Le rapport Stasi précise, sur le fondement de ses auditions : « Les jeunes filles, une fois voilées, peuvent traverser les cages d’escalier d’immeubles collectifs et aller sur la voie publique sans craindre d’être conspuées, voire maltraitées, comme elles l’étaient auparavant, tête nue ». Ils appréhendent mieux la progression de l’islamisme dans plusieurs territoires, et notamment à l’école, cible privilégiée s’il en est tant elle est au fondement du socle républicain.

Pour certains, ce furent les auditions des personnels de l’Education nationale qui ont modifié leur perception des choses. Pour d’autres, celles des associations de quartiers ou des jeunes filles venues exprimer leur détresse.

Le Temps des Ruptures : vous citez Jean Poperen dans le livre au sujet de l’intégration, qui selon lui est « une des grandes questions des années à venir ». Sommes-nous passés à côté de cette question ? le rapport Stasi avait proposé plusieurs mesures sur l’intégration, qui n’ont pas été retenues à l’époque (par exemple l’adaptation du calendrier, avec des fêtes religieuses non-catholiques).

Auteurs :

C’est un sujet délicat, puisque tout dépend ce qu’on entend par intégration. N’en étant pas un expert, je ne m’y essayerais pas. Il est toutefois certain que le rapport Stasi tenait sur deux jambes : d’une part une plus grande fermeté vis-à-vis du prosélytisme religieux, et d’autre part la reconnaissance du pluralisme religieux et un travail fait sur l’intégration et l’ascenseur social. C’est certain, la deuxième jambe n’a pas tenu. La faute à Chirac. Peut-être un gouvernement de gauche aurait-il été davantage capable d’articuler les deux aspects, restrictif d’un côté et intégrateur de l’autre. Une des mesures phares que tu cites, c’est la proposition de Patrick Weil de faire des fêtes religieuses de Kippour et de l’Aïd-el-Kébir des jours fériés dans toutes les écoles de la République. Considérant à juste titre que le paysage religieux a changé depuis 1905, et que les fêtes nationales religieuses sont exclusivement catholiques, ou à tout le moins chrétiennes, les sages prônent cette mesure audacieuse. Malheureusement, Jacques Chirac n’en fera rien.

Le Temps des Ruptures : depuis l’affaire de Creil, le vide juridique et l’arrêt du Conseil d’Etat de 1989, a entretenu une situation floue pour les professeurs, jusqu’à l’adoption de la loi de 2004. Considérez-vous, qu’aujourd’hui, la loi de 2004 donne l’ensemble des outils aux professeurs pour pouvoir permettre le respect de la laïcité et la gestion de situations religieuses difficiles ? comme vous l’indiquez dans l’ouvrage, le pourcentage de professeurs qui indiquent se censurer pour éviter des accidents, est en augmentation (notamment depuis les meurtres de Samuel Paty, et de Dominique Bernard).

Auteurs :

La loi de 2004 est une loi d’apaisement, indéniablement. Elle a fait ses preuves, et plus grand monde aujourd’hui (à part quelques trotskistes et islamistes) ne la remet en cause. A chaque sondage, entre 80 et 90% de Français l’approuvent, et les chiffres sont équivalents chez les professeurs.

Cette loi était et est toujours indispensable, mais elle ne peut résoudre à elle seule les problèmes posés par l’intégrisme religieux, notamment islamique, à l’école. Il s’agit d’un combat de long terme, presque un conflit civilisationnel entre la République laïque et l’islamisme, comme au temps de la lutte entre les cléricaux et les républicains. Le combat est politique et culturel tout autant que juridique et administratif. Des progrès ont été faits dans la gestion des atteintes à la laïcité depuis l’assassinat de Samuel Paty. Enfin, des progrès sur le chemin administratif à mener pour tordre le bras à ces atteintes. Malheureusement, ces atteintes augmentent d’année en année, et les professeurs sont de plus en plus inquiets. Tout ne se résoudra toutefois pas avec des mesures législatives, ou répressives. C’est un combat de longue haleine que nous devons collectivement mener.

Le Temps des Ruptures : dans quelle mesure les réseaux sociaux, notamment Tik-Tok, contribuent selon vous à organiser les atteintes à la laïcité ? Le rôle de ce réseau social, a bien été démontré lors des polémiques autour de l’abaya à l’école en 2023.

Auteurs :

Je ne pense pas que TikTok contribue aux atteintes individuelles à la laïcité. Je peux me tromper, mais je pense qu’elles sont davantage dues à l’environnement familial. Par exemple, pour certains parents, il apparaît évident qu’un homme ne peut serrer la main à une femme, sans que soit exprimée explicitement la consigne à l’enfant d’en faire de même. Mais, l’enfant voyant que sa famille applique une certaine orthopraxie, décidera d’en faire de même.

En revanche TikTok joue deux rôles distincts mais complémentaires. Il donne voix aux imams rétrogrades (le mot est faible), lesquels peuvent apparaître sur les fils d’actualité des jeunes. Dès lors, même si les imams ne promeuvent pas d’atteinte à la laïcité à l’école, leurs prêchent mettent en exergue une vision intégriste de la religion musulmane, laquelle peut persuader ou convaincre des adolescents qu’elle est la bonne. En 2022 en revanche, il y a clairement eu une action concertée des prédicateurs islamistes, suivis ensuite par les influenceuses et influenceurs, afin de mener une offensive à la rentrée de septembre, avec la recommandation d’un port massif de l’abaya. Plusieurs notes ministérielles, des renseignements territoriaux ou du CIPDR, avaient d’ailleurs alerté le ministre dès l’été, en vain.

Le Temps des Ruptures : diriez-vous qu’une certaine partie de l’opinion publique, notamment les jeunes (vous parlez d’effet de génération dans l’ouvrage), est en train de devenir favorable à un multiculturalisme à l’anglo-saxonne ? Si oui, quel en est les causes ?

Auteurs :

Je dis qu’il y a sûrement un effet de génération, mais également probablement un effet d’âge. On ne pourra distinguer les deux que lorsque des études sociologiques seront menées sur cette « portée » des 18-24 ans. Pour répondre à ta question, la laïcité est de moins en moins comprise par une partie de la population, notamment les jeunes. Car, chez les autres catégories d’âge, l’attachement au principe de laïcité est toujours aussi fort. Les Français sont d’ailleurs parfois plus « laïcards » que ce que la loi prévoit.

L’impérialisme américain, qui passe autant par les séries que les réseaux sociaux, a fait émerger une vision effectivement plus « libérale » de la laïcité chez les jeunes Français. Le conflit entre l’Église et la République nous apparaît de plus en plus lointain, et la liberté promise par la laïcité est bien plus exigeante que la tolérance anglo-saxonne. On peut mobiliser le philosophe Philip Pettit, lequel distingue deux formes de libertés. Une liberté comme non interférence, c’est un peu celle à la mode, assimilable au néolibéralisme, « je suis donc je choisis ». L’autre, la liberté comme non domination, est plus assimilable au républicanisme français. Cette forme de liberté incite à prendre en compte les dominations non juridiques, celles exercées par les groupes de pairs, les divers cercles de sociabilité. L’exemple typique, c’est le voile.

En fait, dans la tradition laïque française qui fait de l’État le protecteur des individus face aux cléricalismes – ce qui nous distingue de la tradition anglo-saxonne –, l’interdiction des signes religieux ostensibles protège la majorité des élèves musulmanes qui ne le portent pas et ne souhaitent pas le porter, au détriment certes de la minorité qui le porte par choix. La liberté de conscience prime sur la liberté de culte. Comme l’explique le philosophe et membre de la commission Stasi Henri Peña-Ruiz : « en France, l’enfant a droit à deux vies. La vie dans la famille, où il est incliné à suivre telle ou telle religion, par imprégnation, osmose ou obligation. La deuxième vie, c’est la vie à l’école, où il ne recevra aucun conditionnement religieux, où sa liberté s’épanouira ». L’idée n’est évidemment pas de nier le caractère déterminé de toute existence – tant sur le volet social que culturel ou religieux –, mais de donner aux élèves un espace de « respiration laïque » sur le temps de l’école. La laïcité se confond alors avec l’émancipation, ou plutôt la possibilité de l’émancipation.

Le Temps des Ruptures : la loi de 2004, est-elle toujours adaptée pour pouvoir identifier les nouveaux signes religieux ? Une intervention du politique, notamment de Gabriel Attal à la rentrée 2023 pour indiquer que l’abaya, ainsi que le qamis sont des signes religieux, a été nécessaire pour dissiper le flou.

Auteurs :

Oui. En fait, le gouvernement aurait pu réagir dès 2022, sans essayer d’en faire une instrumentalisation médiatique en septembre 2023 pour éviter que l’on parle de l’absence de professeurs dans des centaines de classes…  Car la jurisprudence du Conseil d’État avait quant à elle, dès 2007, confirmé qu’un signe a priori non religieux – en l’occurrence un bandana – pouvait être caractérisé comme religieux. La loi de 2004 ne listait pas de signes religieux, justement pour éviter qu’un événement comme l’émergence de l’abaya soit possible. Le Conseil d’État, dont la tradition en matière de la laïcité est libérale, crée, par cette jurisprudence, en plus de la catégorie des signes religieux ostensibles par nature, la notion de signes religieux par destination. En d’autres termes, savoir si un signe est prescrit ou non par les autorités religieuses n’intéresse pas l’État. Ce qui compte c’est le caractère que lui donne l’élève. Vous remarquerez d’ailleurs que, d’une part une écrasante majorité de professeurs a soutenu cette interdiction, d’autre part il n’y eut plus de problème quelques jours après l’annonce de Gabriel Attal.

Références

[1] Hanifa Chérifi, « Application de la loi du 15 mars 2004 », Hommes & migrations, Laïcité : les 100 ans d’une idée neuve. I. À l’école, 2005, p. 33-48.

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

A lire aussi…

Préserver la laïcité

Dans cet entretien, les auteurs reviennent sur les thèses principales de leur ouvrage « Préserver la laïcité » : quel a été le cheminement jusqu’à l’adoption de la loi de 2004 ? Quels ont été

Lire la suite »

Lire aussi...

Préserver la laïcité

Dans cet entretien, les auteurs reviennent sur les thèses principales de leur ouvrage « Préserver la laïcité » : quel a été le cheminement jusqu’à l’adoption de la loi de 2004 ? Quels ont été

Lire la suite »

La Moldavie et le projet européen

La Moldavie et le projet européen

Le 3 mars 2022, quelques jours après le déclenchement de la guerre en Ukraine, la Moldavie dépose sa candidature d’adhésion à l’Union européenne. Quelques mois plus tard, le statut de candidat leur est officiellement accordé. Ce petit État, enclavé entre la Roumanie et l’Ukraine, compte 2,6 millions d’habitants qui, face à la menace russe, voient de plus en plus l’adhésion à l’UE comme une protection tant économique que sécuritaire. L’ambassadeur de France en Moldavie, Paul Graham, a accepté de répondre à nos questions.

Le Temps des Ruptures : Historiquement, quelles relations entretient la Moldavie avec le reste du continent européen ? Dans quel(s) espace(s) géographiques s’est-elle constituée au fil des siècles ?

Paul Graham : La République de Moldavie, partie orientale de la principauté médiévale de Moldavie, a une histoire particulièrement tourmentée, celle d’une région disputée, aux marches des Empires ottoman, russe mais aussi autrichien. Son appartenance à l’aire linguistique et culturelle roumanophone, qui en fait la singularité, atteste de l’empreinte laissée par la civilisation romaine dans cette partie de l’Europe.

L’époque contemporaine est essentiellement marquée par la domination de l’Empire russe puis soviétique avec une parenthèse roumaine entre les deux guerres mondiales. En 1812, le Traité de Bucarest partage en deux la principauté historique de Moldavie vassale de l’Empire Ottoman, dont la partie orientale est rattachée à l’Empire russe sous le nom de Bessarabie. Ce territoire est un siècle plus tard intégré à la « grande Roumanie » entre 1918 et 1940. Attribuée à l’Union soviétique sur la base des accords Molotov-Ribbentrop, la Bessarabie, dont les frontières ont été modifiées par Staline, devient, après la Seconde Guerre Mondiale, la République Socialiste Soviétique Moldave qui comprend également la Transnistrie, ancienne République Socialiste Soviétique Autonome Moldave, créée ex nihilo par les Soviétiques en 1924 sur la rive gauche du Dniestr. Indépendante depuis 1991, la République de Moldavie a vu son développement entravé par sa dépendance économique à l’égard de la Russie, le conflit avec l’entité séparatiste de Transnistrie appuyée par Moscou, ainsi que des problèmes de corruption et de gouvernance dans un contexte géopolitique compliqué.

LTR : Le XXème siècle a-t-il contribué à renforcer le sentiment européen des Moldaves ? Ou au contraire la domination russe a-t-elle introduit une appartenance “slave” ?

Paul Graham : Les Moldaves sont des Européens tant sur les plans historique et géographique que culturel et linguistique. Cela étant, ballotés par l’histoire, ils ont développé une identité composite où, pour ne prendre que l’exemple des langues, le Roumain, langue officielle et majoritaire du pays, cohabite avec le Russe, l’Ukrainien, le Bulgare et le Gagaouze, langue turcique. Il faut également se souvenir que, avant la Seconde Guerre Mondiale, la Bessarabie accueillait également une importante communauté juive parlant yiddish qui représentait jusqu’à 40 % de la population de certaines villes moldaves au début du XXème siècle. Si on ne peut pas parler de sentiment d’appartenance à un quelconque espace slave, la soviétisation s’est néanmoins accompagnée d’une forme de « russification », le russe bénéficiant du statut privilégié de langue interethnique et l’alphabet cyrillique étant imposé au détriment de la graphie latine pour l’écriture du roumain. Il faudra attendre la grande manifestation populaire du 31 août 1989 pour que le Roumain soit proclamé langue de l’Etat et sa graphie en cyrillique abandonnée.

LTR : Depuis l’indépendance de 1991, le sentiment d’appartenance européenne s’est-il renforcé ?

Paul Graham : Le sentiment d’appartenance européenne a évolué. Dans les années 1990, il était sans doute principalement orienté vers l’unification avec la Roumanie voisine qui apparaissait comme le chemin le plus court pour régler les nombreux problèmes auxquels la jeune République de Moldavie était confrontée. Depuis, ce sentiment d’appartenance s’est plutôt structuré autour de l’Union européenne, principal partenaire commercial et soutien au développement du pays, où de nombreux moldaves voyagent, étudient, et travaillent. A partir de 2014, l’accord d’association et celui sur la dispense de visa de court séjour ont permis de renforcer encore davantage les échanges tandis que l’agression russe de l’Ukraine a confirmé la nécessité d’un fort ancrage européen du pays en réponse aux menaces de Moscou. Aujourd’hui, les sondages indiquent que plus de 60 % de la population est en faveur de l’adhésion à l’Union européenne, dont le drapeau flotte fièrement devant et à l’intérieur de la plupart des édifices publics.

LTR : Comment s’envisage “l’européanité” de la Moldavie et des Moldaves ? Politique, culturelle, religieuse ?

Paul Graham : L’européanité de la République de Moldavie et des Moldaves est multidimensionnelle : historique, géographique, culturelle, linguistique, religieuse. Quand vous visitez la capitale Chisinau, vous vous sentez en Europe, l’aménagement urbain est européen, la gastronomie est européenne, les musées, salles de théâtres et de spectacles sont européens, l’art de vivre y est européen. J’ajouterai qu’il faut également prendre en compte le rôle de l’importante diaspora moldave, dont les représentants vivent majoritairement dans les pays de l’Union européenne. Dans presque chaque famille moldave, vous avez un ou plusieurs membres travaillant en Italie, en Roumanie, en Espagne, en Allemagne ou en France.

LTR : Quel est l’état actuel des rapports diplomatiques entre la Moldavie et l’Union européenne ? Et quel est-il concernant la Russie ? 

Paul Graham : Depuis le 23 juin 2022, la République de Moldavie bénéficie du statut de candidat à l’Union européenne. Elle est déjà bien avancée sur le chemin de l’intégration grâce à un accord d’association appliqué depuis 2014 qui prévoit une zone de libre-échange approfondi et complet, à un accord de dispense de visa de court séjour et à l’appartenance au partenariat oriental qui offre un accès privilégié à d’importants financements. L’Union européenne apporte son soutien dans tous les secteurs de l’appui aux médias indépendants à la cybersécurité en passant par l’énergie et les transports. Entre octobre 2021 et juin 2022, ce sont 1,2 milliard € qui ont été mis à la disposition de la République de Moldavie par l’UE, la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) et la BEI (Banque européenne d’investissement).

En revanche, les rapports diplomatiques avec Moscou se sont considérablement dégradés depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022. Les autorités moldaves ont condamné avec force l’agression des forces russes et participent à l’isolement diplomatique de la Russie. Sans s’associer formellement aux sanctions européennes, elles veillent à en éviter le contournement. Différentes mesures ont été prises pour réduire les relations de dépendance de la République de Moldavie envers la Russie, notamment dans le domaine énergétique. La République de Moldavie, qui estime être la cible d’une « guerre hybride » visant à déstabiliser le pays et à entraver le bon fonctionnement de ses institutions démocratiques, accueille, depuis juin dernier, une mission civile de l’UE notamment chargée de l’aider à faire face aux menaces hybrides russes.

LTR : Quelles sont les principales motivations de l’adhésion à l’Union européenne ? A quel horizon la Moldavie peut-elle espérer rejoindre l’UE ?

Paul Graham : La Présidente Sandu présente l’adhésion à l’Union européenne comme un enjeu existentiel, comme une question de survie pour la République de Moldavie qui, en raison de son positionnement géopolitique, est particulièrement vulnérable. Il s’agit également de relever un défi mobilisateur, susceptible de transcender les divisions du pays et de donner du sens aux indispensables réformes structurelles nécessaires (notamment la consolidation de l’Etat de droit) pour assurer son développement économique et social mais également sa sécurité. Pour la République de Moldavie, qui a connu un parcours chaotique depuis l’indépendance, le processus d’adhésion est aujourd’hui une véritable « boussole » qui indique la direction à suivre.

Tout en se voulant réalistes, les autorités moldaves déclarent vouloir tout mettre en œuvre pour que le pays soit prêt à adhérer à l’Union européenne en 2030. On verra si ce pari volontariste pourra être tenu. En tout cas, la volonté est forte de progresser aussi rapidement que possible sur le chemin de l’intégration européenne.

LTR : Le 1er juin 2023, 47 pays européens se sont réunis à Bulboaca, en Moldavie, pour le deuxième sommet de la Communauté politique européenne (CPE). À quoi peut-on s’attendre au-delà de la lutte contre la menace russe ? Le Sommet de Chisinau a-t-il joué comme accélérateur ou frein à l’adhésion de la Moldavie à l’Union européenne ?

Paul Graham : La tenue du Sommet de la CPE à Bulboaca, au plus près du front ukrainien, a été un symbole fort qui a apporté la démonstration de l’utilité et de l’importance de ce cadre politique de discussions au plus haut niveau, entre égaux, avec comme principal objectif de relever collectivement les défis qui se posent à l’ensemble du continent européen sur les plans de la sécurité, de la connectivité, de l’énergie ou du climat

Pour la République de Moldavie, au-delà du défi organisationnel, le Sommet de la CPE a été avant tout une manifestation internationale de soutien avec l’annonce du déploiement d’une mission PESD civile pour lutter contre les menaces hybrides, l’adoption d’un régime européen de sanctions contre ceux qui cherchent à la déstabiliser, l’association au mécanisme pour l’interconnexion en Europe, et la réduction volontaire des frais d’itinérance.

Ce Sommet a également servi de caisse de résonance à l’ambition européenne de la République de Moldavie qui a été amplement relayée et médiatisée. A titre d’exemple, le Président de la République a notamment déclaré publiquement que « l’adhésion de la République de Moldavie n’est pas seulement réaliste, elle est un fait qui doit être accompli » en exprimant sa « grande confiance dans sa capacité d’avancer rapidement dans son parcours d’adhésion à l’UE ».

Pour répondre à votre question, le pari réussi de l’accueil du Sommet de la CPE par la République de Moldavie ne peut que jouer en faveur de ce pays dans le contexte des discussions sur l’élargissement de l’Union européenne.

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

A lire aussi…

Préserver la laïcité

Dans cet entretien, les auteurs reviennent sur les thèses principales de leur ouvrage « Préserver la laïcité » : quel a été le cheminement jusqu’à l’adoption de la loi de 2004 ? Quels ont été

Lire la suite »

Lire aussi...

Préserver la laïcité

Dans cet entretien, les auteurs reviennent sur les thèses principales de leur ouvrage « Préserver la laïcité » : quel a été le cheminement jusqu’à l’adoption de la loi de 2004 ? Quels ont été

Lire la suite »

Entretien avec Luc Carvounas : « Je propose que le logement des Français soit la Grande cause nationale de 2025. »

Entretien avec Luc Carvounas : « Je propose que le logement des Français soit la Grande cause nationale de 2025. »

Dans cet entretien, le maire d’Alfortville et président de l’UNCASS Luc Carvounas revient sur la crise du logement en France. Il propose plusieurs pistes pour en sortir, notamment l’idée d’une « densité harmonieuse ».
LTR – Compte tenu de la crise du logement social et du constat que vous en tirez, la politique du logement doit-elle devenir une compétence exclusive des collectivités territoriales ? 
Luc CARVOUNAS : 

« Au sujet de la question du logement, je voudrais d’abord signaler que malheureusement il ne s’agit pas d’un thème cher au Président de la République, qui depuis 2017 a dédaigné le secteur pour le plus souvent dégrader ses moyens, en témoignent la baisse des APL, les réductions aux aides à la pierre et bien d’autres choses encore.

Tout un symbole, mon amie Emmanuelle COSSE, ancienne Ministre du Logement aujourd’hui Présidente de l’Union Sociale pour l’Habitat, rappelait récemment qu’Emmanuel MACRON ne s’était jamais rendu à un Congrès des HLM, contrairement aux présidents MITERRAND, CHIRAC ou HOLLANDE(1). Tout est dit.

Pourtant, lorsque le Président de la République estime que le logement constitue un « système de sur-dépense publique » inefficace(2), il ne semble pas considérer l’activité économique et les emplois créés par ce secteur, ni l’argent que cela rapporte à l’État chaque année. Qui plus est, pour 1000 euros de dépense publique, l’État ne dépense que 15 euros pour le logement (quand il en dépense 26 pour la Culture ou 47 pour les transports)(3), qui est pourtant rappelons-le, le premier poste de dépense des ménages français.

Alors dans cette période de crise du logement qui mêle à la fois incertitudes économiques, transformation des usages et des pratiques, manque de réactivité du pouvoir exécutif et affaiblissement des capacités d’action des collectivités locales, beaucoup de Maires se battent avec le peu de moyens qu’il leur reste. Mais selon tous les observateurs, le marché immobilier ne se régule pas tout seul. Nous avons donc besoin d’un État partenaire fort et volontaire ainsi que d’une grande politique nationale en la matière, que ce soit pour le parc locatif privé, intermédiaire ou social, ou encore l’accession à la propriété.

Malheureusement encore, « jamais l’effort public consacré au logement n’a été aussi faible » nous informe la Fondation Abbé Pierre dans son dernier rapport, avec 41,5 milliards d’euros dépensés (pour 91,8 milliards d’euros rapportés par les prélèvement fiscaux).

Nous avons besoin d’un État fort et volontaire parce que comme le démontrait le récent rapport d’OXFAM sur les inégalités et le logement, le « désengagement progressif de la puissance publique (…) laisse une plus grande place à des acteurs financiarisés et à une quête de rentabilité à tout prix. »(4).

Dès lors, État et collectivités locales, je propose que nous faisions ensemble du logement des Français la Grande cause nationale de 2025. »

LTR – En quoi les communes seraient mieux à même de résoudre cette crise du logement ? L’Etat ne dispose-t-il pas de plus de moyens et d’une vision davantage conforme à l’intérêt général ?
Luc Carvounas : 

« S’il faut que l’État prenne toute sa part dans la résolution de la crise du logement comme je l’évoquais précédemment, le rôle des maires demeure essentiel par la connaissance fine qu’ils ont de leur territoire, de leur population comme de leurs besoins, mais aussi par la volonté politique – ou pas – de délivrer des permis de construire pour répondre à la demande de logement, qui rappelons-le constitue la première demande de l’administré envers son Maire.

De plus, ce sont dans nos villes que de nouvelles formes d’habitat se développent. Certaines sont subies : que l’on pense au retour contraint chez les parents pour un adulte, aux « résidants annuels » des campings et mobile-homes qui se logent ainsi non pas par choix mais par nécessité, ou encore aux « relégués » de leurs villes qui partent sous l’assaut de l’essor des meublés touristiques. De nouveaux usages d’habitat peuvent être pour leur part souhaités, comme le prouvent l’accroissement des colocations – juniors comme seniors – le développement du « coliving », des copropriétés à usages partagés, le logement intergénérationnel ou encore les résidences services seniors. Les maires sont donc les acteurs qui restent au plus près des besoins spécifiques de leur territoire.

Par ailleurs, lorsqu’il faut loger en urgence une femme victime de violences, un enfant en errance, évacuer les riverains d’une catastrophe naturelle, c’est bien évidemment vers le Maire que l’on se tourne et qui va opérer, en lien avec le préfet, pour coordonner les acteurs et répondre à l’urgence.

Alors l’intérêt général quand on est Maire – je le dis clairement et je l’assume – c’est d’avoir le courage de construire pour loger les gens dignement. Il y a toujours de prétendues bonnes raisons pour ne plus livrer de logements, mais au bout de la chaîne c’est à l’égalité sociale à laquelle on s’attaque.

De manière très concrète, lorsque l’on sait que 45% des couples mariés en France finiront par divorcer, ou encore que la France comptera 25% de plus de 65 ans en 2040 puis près de 30% en 2050, on constate que les besoins en logements pour demain ne correspondront plus à ce que nous connaissions hier.

LTR – En Ile-de-France, sommes-nous prêts pour ces changements, ou dirions-nous même pour affronter ces transformations profondes ? Comment pouvons-nous procéder pour y arriver ?
Luc Carvounas : 

« Dans notre région francilienne – puisque ma ville s’y trouve et que par ailleurs je suis Secrétaire général de l’Association des Maires d’Ile-de-France (AMIF) – nous accueillons entre 40.000 et 50.000 nouveaux habitants chaque année.

Dans le même temps, 50 communes franciliennes ne respectent pas l’application de la Loi SRU qui les oblige à proposer 25% de logements sociaux dans leur commune, et 81,7% des biens immobiliers mis en vente en Ile-de-France en 2022 étaient classés DPE « G » ou « F » (interdiction de louer en 2025 pour les « G » et 2028 pour les « F »).

Comme nous le rappelions récemment dans une tribune collective d’élus de Gauche d’Ile-de-France, notre région « est à la croisée des chemins : loger dignement sa population ou la chasser par la pénurie ou le prix ».(5)

Pour commencer à répondre à cette question, avec les Maires d’Ile-de-France – par la voix de l’AMIF – nous prônons l’instauration par l’État d’un dispositif de financement participant à l’investissement et au fonctionnement des équipements publics à construire. Ainsi, « l’instauration d’une recette pérenne apparait essentielle afin de rétablir un lien dynamique et durable entre l’arrivée de nouveaux habitants et les recettes des communes. », car rappelons-le, livrer de nouveaux logements inclut de livrer de nouvelles écoles, des places en crèche, de nouveaux services publics, de nouvelles places de stationnement…

Ce dispositif pourrait être suivi d’une bonification de la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) afin de couvrir les besoins en budget de fonctionnement. Ce dispositif pourrait reprendre le critère du nombre de mètres carrés développés afin de calculer « l’aide socle », car il permet d’encourager la production de logement dont la surface est suffisante à l’accueil des familles.

Mais pour aller plus loin, si nous y mettons la volonté politique nécessaire, je crois en notre capacité à réunir et fédérer les acteurs concernés autour de propositions fortes pour un « choc du logement francilien » :

  • retour d’une aide à la pierre significative
  • encadrement des loyers excessifs dans les zones en tension
  • respect de la loi SRU par l’application d’incitations et de sanctions nouvelles
  • rétablissement d’un taux de TVA réduit sur l’ensemble de la production sociale
  • fiscalité foncière tournée vers la construction
  • mesures de réduction de délais administratifs
  • renfort et simplification des aides à la rénovation
  • rétablissement de l’APL accession
  • augmentation des capacités d’hébergement d’urgence toute l’année
  • création de parcours sécurisés d’accès au logement pour les jeunes et les familles monoparentales
  • l’augmentation des taxes sur les logements vacants et les résidences secondaires. »
LTR – Que pensez-vous de la mesure adoptée dans le schéma directeur de la région Ile-de-France par Valérie Pécresse visant à empêcher les communes disposant déjà de 30% de logements sociaux d’en construire davantage ?
Luc Carvounas :

«  Tout d’abord, rappelons que la Région Île-de-France connaît les prix du logement les plus chers de France. L’absence de loyers accessibles est un frein majeur à l’emploi francilien, mais aussi à l’installation durable des jeunes actifs. Cela explique pourquoi tant de travailleurs essentiels se retrouvent à vivre si loin de leurs emplois.

Par ailleurs, et malheureusement, toutes les communes franciliennes ne respectent pas leurs obligations liées à l’article 55 de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000, car un quart des communes concernées n’ont toujours pas 25% de logements sociaux et une partie d’entre elles refusent de se conformer à la loi de la République.

Pourtant, dans son étude publiée en novembre 2023, l’Institut Paris Région montre qu’en Ile-de-France la tension sur la demande de logement social est passée de 406.000 demandeurs en 2010 au nombre historique de 783.000 en 2022. 14% des Franciliens attendent donc un logement social et ce alors même que le nombre d’agréments connaît une baisse inédite à 18.000 logements.

Le délai d’attente pour l’obtention d’un logement social est donc de 10,4 ans en Île-de-France contre 5,8 ans dans le reste de l’hexagone. La part du loyer dans le budget des Franciliens est toujours plus forte : les loyers du parc privé ont augmenté de 56% entre 2002 et 2020 quand les revenus ont augmenté quant à eux de 33%. On constate donc deux fois plus de demandeurs avec un délai d’attente toujours deux fois plus long que dans le reste du pays.

Construire de la densité harmonieuse, faciliter les rénovations thermiques des bâtiments ou encore réhabiliter les logements anciens devrait être une priorité majeure de notre région, surtout lorsque l’on sait que face à la crise immobilière, 72% des Français estiment que le logement constitue un domaine d’action sociale prioritaire (soit une hausse significative de 8 points depuis 2023). Cette inquiétude immobilière éclipse d’ailleurs le domaine de l’énergie (54% de taux de priorisation) qui subit pourtant une hausse des tarifs.(6)

Si l’État ne joue pas pleinement son rôle, la Région Île-de-France pourrait elle aussi faire bien mieux, et je suis au regret de constater que, sur les dix dernières années, son soutien financier à la production de logements sociaux toutes catégories confondues se soit effondré.

Cette clause dite « anti-ghetto » proposée dans le SDRIF-E doit donc bien sûr être supprimée, comme le réclame d’ailleurs les acteurs du logement social, et je rappelle que cette mesure a fait aussi l’objet de fortes réserves de la part du Préfet de Région, représentant de l’Etat, qui précise bien qu’elle ralentira plus fortement encore la construction de logements sociaux dont nous avons pourtant cruellement besoin. »

LTR – L’idéal d’une « densité harmonieuse », concept qui vous est cher, ne se heurte-t-il pas à la réalité de la crise du logement ?
Luc Carvounas : 

« Je crois que c’est tout l’inverse, mais il faut envisager la densité harmonieuse de manière globale sans la réduire à la seule question du logement. Je m’explique : « dense » ou « compacte », la ville du XXIème siècle se doit de maîtriser son aménagement spatial et l’organisation de ses services, être attractive, mélanger et proposer les diverses activités qui caractérisent la qualité de vie urbaine.

Elle permet ainsi une baisse des déplacements contraints pour ses habitants, elle réalise une mixité sociale et intergénérationnelle réelle et partagée, elle offre des logements variés et adaptés à tous les âges de la vie, elle préserve et développe l’emploi et le commerce local, elle fait de la végétalisation et de la Nature en ville une priorité de sa qualité de vie.  

Elle lutte ainsi à la fois contre l’étalement urbain – donc contre la ségrégation spatiale – et contre l’artificialisation des sols, donc pour la préservation de la biodiversité et de l’accès à la nature en ville.

Les « maires bâtisseurs » ont donc le courage d’affronter certains discours démagogiques contre la construction de logements, alors qu’une fois encore il s’agit de la première demande du citoyen envers son Maire. Je veux rappeler les conséquences qui attendent un territoire urbain qui ne construit par de logements : une ville où de nouvelles familles ne s’installeront pas, ce qui entraîne moins d’enfants dans ses écoles donc une fermeture programmée de classes, ce sont aussi moins de commerces et moins de services – de santé par exemple – moins de recettes fiscales donc moins de services publics. En fin de compte, cela aboutit à la paupérisation d’un territoire, au vieillissement d’une ville, et donc à une résilience très affaiblie.

Dès lors, divers outils sont à la disposition des maires pour bâtir la « densité harmonieuse » en matière de logement. Sans être exhaustif, je veux citer : le « Permis de louer » pour lutter contre l’habitat indigne et insalubre, l’encadrement du prix du foncier et des loyers, la lutte contre l’obsolescence des bâtiments avec la mutation de leurs usages, la transformation des friches, des « verrues urbaines » ou des « dents creuses », la limitation réglementaire des meublés touristiques ou encore l’adoption de « Charte Qualité Habitat Durable » pour contraindre les promoteurs à construire du logement de qualité et sobre énergétiquement, tout en rendant de la « pleine terre » à la ville.

Lorsqu’il existe une volonté politique de résoudre la crise du logement dans nos villes, il est tout à fait possible de se saisir de ces outils pour augmenter son offre tout en préservant – et en renforçant – l’harmonie dans son territoire. Et j’en suis persuadé, l’harmonie est une bonne réponse politique aux problèmes que nous rencontrons dans nos quotidiens aujourd’hui. »

LTR – En quoi la densité harmonieuse peut-elle répondre aux maux des individus dans notre société urbaine ?
Luc Carvounas : 

« Je suis convaincu que les maux collectifs qui minent notre société et ses individus – la fatigue, la solitude, l’ennui, le stress ou encore le bruit – sont des sujets politiques.

J’en veux pour preuve le résultat d’une enquête du CREDOC pour Bruitparif en 2022 qui démontre que le bruit est « une préoccupation majeure pour les Franciliens. Lorsqu’ils sont interrogés sur la hiérarchie des inconvénients à l’échelle de leur quartier de vie, les Franciliens classent le bruit en première position (44%) devant la dégradation de l’environnement et le manque de propreté (41%), la pollution de l’air (37%) et le manque de transports en commun (20%) ».(7)

De plus, avec la multiplication des « Burn-out, dépression, charge mentale, fatigue numérique, épuisement professionnel, fatigue d’être soi… La fatigue semble avoir marqué de son sceau le début de notre XXIe siècle et avoir pris une nouvelle ampleur avec les restrictions liées à la pandémie. »(8)

La densité harmonieuse peut alors devenir une réponse politique à ces maux individuels et collectifs si elle permet aux habitants de nos villes de ralentir le rythme comme de retrouver du lien social et de la solidarité.

Mais attention, la densité harmonieuse n’encourage pas pour autant à réduire les distances et rendre du temps pour se recroqueviller sur soi – ce qui a trait à la santé mentale – ni à se sédentariser – pour évoquer la santé physique. Elle vise à libérer du temps pour aller vers ses prochains, et pour prendre soin de soi, physiquement comme mentalement.

Pour le résumer d’une phrase, la densité harmonieuse existe dans une « vie relationnelle » et une « ville solidaire, conviviale et sportive ».

Pour que le temps gagné grâce à la densité harmonieuse ne conduise ni à s’empâter ni à déprimer, elle se doit donc de proposer des espaces relationnels, d’accompagner activement son tissu associatif et ses Centres sociaux, d’investir sur la Culture, d’organiser des fêtes populaires et familiales, de favoriser la pratique sportive aussi bien en termes d’équipements publics que de soutien à ses clubs sportifs.

La densité harmonieuse c’est donc la proximité, contrairement à la « densité subie » qui elle confine à la promiscuité.

C’est une ville qui promeut la relation plutôt que la consommation, l’intérêt collectif plutôt que particulier, l’engagement citoyen à l’égoïsme individuel.

LTR – De manière concrète, pouvez-vous nous expliquer en quoi un Maire peut par exemple lutter contre la fatigue ou le stress de ses habitants ?
Luc Carvounas : 

« Tout d’abord en assumant une véritable politique de sécurité et de tranquillité publique dans sa ville – notamment la nuit – pour permettre à ses habitants de dormir paisiblement. Cela peut paraître simpliste, c’est pourtant essentiel.

Plus encore, la fatigue est souvent liée au stress, au trop grand nombre de déplacements contraints ou encore à l’angoisse de se retrouver seul.e face à ses problèmes.

En revisitant notre rapport à la vitesse, à la distance et à la hauteur, la densité harmonieuse lutte contre la fatigue, par exemple, en réduisant les distances à parcourir pour les activités de la vie quotidienne (transport, travail, garde d’enfants, courses, activités de loisirs, accès aux services publics…). Elle permet de réduire notre vitesse journalière – de décélérer – et ainsi d’adoucir le stress de notre vie quotidienne faite de contraintes. Finalement, elle nous offre une possibilité de « prendre le temps de prendre le temps ».

Concrètement, chaque territoire serait également avisé de mettre en place une véritable « politique des temps », comme avec : la mise en place du télétravail et des horaires aménagés, l’installation de tiers lieux, le partage des espaces publics et des équipements multi-usages, la promotion des mobilités douces, le développement de la « Culture accessible pour tous » comme nous le faisons par exemple à Alfortville avec le cinéma le moins cher d’Ile-de-France à 5 euros toute l’année, le développement des micro-crèches et des « villages séniors », l’organisation de la « ville plateforme » pour réaliser ses démarches administratives et ses paiements en ligne, l’ouverture de certains services publics le dimanche sur la base d’une concertation collective (par exemple une médiathèque).

La densité harmonieuse se doit de surcroît de prévoir des logements spécifiques et appropriés pour soulager les « aidants » – 8 à 11 millions de personnes aujourd’hui – qui assistent quotidiennement un parent âgé ou un enfant malade, et ainsi leur permettre de se retrouver à proximité de leurs proches – même si c’est parfois juste pour quelques jours ou quelques semaines.

 LTR – Nous imaginons que c’est un sujet qui vous tient à cœur en tant que Président de l’UNCCAS, puisque vous parlez souvent aussi de « construire la société du bien-vieillir » ? La densité harmonieuse en serait-elle l’une des solutions ?
Luc Carvounas : 

« Oui bien sûr, parce que lorsque l’on prospecte sur le futur de l’aménagement des villes, la densité harmonieuse répond à un enjeu fondamental : le boom démographique à venir du Grand Âge, alors que 16 millions et demi de Français auront 65 ans et plus en 2030, et 19 millions en 2040.

Avec l’association de Maires, d’élus locaux et de professionnels de l’action sociale que je préside – l’Union Nationale des Centres Communaux et intercommunaux d’Action Sociale (UNCCAS) – nous appelons depuis de nombreux mois déjà l’État à bâtir avec les collectivités locales un grand plan national pour préparer la société́ du bien-vieillir.

L’approche du vieillissement est souvent perçue sous le seul angle du médico-social. On parle des Ehpad, mais moins des résidences autonomes qui tombent en désuétude alors que dans le même temps de plus en plus de séniors souhaitent finir leur vie à domicile.

Il convient donc de garantir à nos ainés d’aujourd’hui et de demain des logements résilients et connectés, mais aussi, et c’est cela la densité harmonieuse, la proximité avec les commerces et les lieux d’animation, les services publics, un espace urbain adapté, accessible et inclusif, des modes de mobilité universels et des infrastructures et personnels spécialisés à la hauteur.(9)

Savez-vous aussi que 10.000 personnes âgées décèdent chaque année des suites d’une chute domestique(10) ? L’adaptation massive des logements aux séniors nécessitera donc de régler aussi ce type de questions très concrètes, et au-delà du réaménagement des logements, l’utilité sociale de la technologie domotique pourrait ici, comme ailleurs, faire ses preuves. Mais attention, si les solutions technologiques peuvent être d’une aide précieuse, cela ne remplacera jamais le besoin d’une présence humaine, d’une solidarité intergénérationnelle où nos séniors voient aussi leur place valoriser dans la société.

C’est cela aussi la densité harmonieuse, une ville solidaire où il fait bon vivre et passer son temps libre, et qui porte une attention particulière à chacun, du nouveau-né jusqu’au centenaire. Finalement, une grande famille qui partage un « esprit village » dans ce qu’il a de meilleur.

Références

(1)https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/13/crise-du-logement-le-choc-d-offre-annonce-par-le-gouvernement-un-vieux-slogan-et-de-multiples-contradictions_6216263_3224.html

(2) Cf. interview d’Emmanuel MACRON dans Challenges, datée du 10 mai 2023

(3) https://www.aft.gouv.fr/fr/argent-public

(4)« Logement : inégalités à tous les étages », Rapport publié par OXFAM France, 4 décembre 2023

(5)https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/m-le-premier-ministre-un-choc-en-faveur-du-logement-en-ile-de-france-est-vital-pour-la-cohesion-sociale-et-la-dignite-humaine-989195.html#:~:text=L%27Île%2Dde%2DFrance,de%2DFrance%20nous%20apparaissent%20vitaux.

(6) « 2ème Baromètre de l’Action Sociale » – IFOP pour l’UNCCAS, Mars 2024

(7) https://amif.asso.fr/communiques-de-presse/lancement-de-la-premiere-edition-du-trophee-des-collectivites-franciliennes-engagees-pour-la-qualite-de-lenvironnement-sonore/

(8) « Une société fatiguée », Essai collectif, Fondation Jean JAURÈS, 26 novembre 2021

(9) Contribution de l’Union Nationale des Centres Communaux et intercommunaux d’Action Sociale (UNCCAS) au Conseil National de la Refondation (CNR) « Bien-vieillir dans la cité », Avril 2023

(10) https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2022/plan-antichute-des-personnes-agees-la-contribution-de-sante-publique-france-au-dispositif#:~:text=Avec%20plus%20de%20100%20000,et%20une%20perte%20d%27autonomie.

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

A lire aussi…

Préserver la laïcité

Dans cet entretien, les auteurs reviennent sur les thèses principales de leur ouvrage « Préserver la laïcité » : quel a été le cheminement jusqu’à l’adoption de la loi de 2004 ? Quels ont été

Lire la suite »

Lire aussi...

Préserver la laïcité

Dans cet entretien, les auteurs reviennent sur les thèses principales de leur ouvrage « Préserver la laïcité » : quel a été le cheminement jusqu’à l’adoption de la loi de 2004 ? Quels ont été

Lire la suite »

Elise Van Beneden : « Anticor est un bien commun dont les citoyens doivent s’emparer »

Entretiens

Elise Van Beneden : « Anticor est un bien commun dont les citoyens doivent s’emparer »

Le vendredi 23 juin dernier, le tribunal administratif de Paris a annulé l’agrément de l’association Anticor créée en 2002 pour lutter contre la corruption et rétablir l’éthique en politique. Une annulation qui constitue selon l’association à « une atteinte grave à la démocratie, ainsi qu’aux libertés associatives ». Où en est Anticor trois mois après la perte de son agrément ? Pour en savoir plus, LTR a rencontré sa présidente, Elise Van Beneden, et son vice-président Paul Cassia.
Le Temps des Ruptures : Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste l’agrément que l’association Anticor a perdu et quelles sont les implications de cette perte pour votre organisation ?
Paul Cassia :

L’agrément anticorruption est le rouage qui manquait à la machine judiciaire pénale. En France, quand on est victime d’un délit, on va porter plainte au commissariat, mais en réalité, en faisant cela, on porte plainte entre les mains du procureur de la République qui est en charge de poursuivre les auteurs présumés d’infractions pénales. En France, le procureur de la République bénéficie de l’opportunité des poursuites ce qui signifie qu’il peut classer sans suite des affaires pénales. Cela ne pose aucun problème en soi, car la victime d’une infraction peut saisir le juge d’instruction si elle souhaite que la procédure continue. Mais en matière de corruption, si nous sommes tous victimes dans les faits, aucun citoyen ne peut se prétendre victime devant un tribunal : le simple citoyen n’a pas d’intérêt à agir contre un élu susceptible d’avoir commis une atteinte à la probité publique. Autre caractéristique du système pénal français : les procureurs de la République, bien qu’ayant le statut de magistrats, ne sont pas indépendants du pouvoir exécutif, car leur carrière – leur nomination, leur évolution, d’éventuelles sanctions – dépend du ministère de la Justice. Et c’est là que la machine se grippe : ceux qui ont le pouvoir de classer sans suite peuvent voir leur carrière réduite à néant s’ils s’attaquent à des proches du gouvernement ou du parti politique en place. C’est le nœud du problème. Cette situation est à l’origine d’un risque intolérable d’impunité. C’est à cause de ce risque que la Justice en 2010, puis le Parlement en 2013, ont donné un pouvoir important à des associations citoyennes, celui de contourner la décision d’un procureur de classer sans suite une affaire politico-financière, en se constituant partie civile. Pour se constituer partie civile, il faut être titulaire du fameux agrément que le Ministère de la Justice rechigne à nous octroyer. La constitution de partie civile consiste à saisir un juge d’instruction, qui est constitutionnellement indépendant donc armé pour au besoin enquêter sur une personnalité politique. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas subir de pression, mais il ne peut pas perdre son travail pour avoir simplement mis en cause untel ou untel. L’agrément est une arme puissante, citoyenne et démocratique, contre les abus de pouvoir et l’impunité des puissants, ce qui implique évidemment qu’elle doit être maniée avec précaution et discernement. Nous avons perdu cet agrément, pas parce que nous avons manqué de discernement mais parce qu’il a été mal rédigé par son auteur, l’ancien premier ministre Jean Castex. Cela ne nous empêche pas de porter plainte mais cela signifie que nous ne pouvons plus, dorénavant, contourner la décision de classement sans suites d’un procureur. Nous ne pouvons plus nous constituer partie civile. Cela nous fait revenir aux années 2000, dans un contexte où nous ne pouvions pas pallier l’inertie du parquet. 

Le Temps des Ruptures : Vous avez déjà failli perdre votre agrément en 2021. Quelles sont les actions que vous avez mises en place après cette première alerte et pourquoi n’ont-elles pas fonctionné ?
Elise Van Beneden :

L’agrément est octroyé par le Ministère de la Justice pour une durée de trois ans. Nous l’avons obtenu sans problème en 2015 et en 2018. Mais en 2021, la procédure d’agrément a été longue et épuisante. L’association a été mise en cause par le gouvernement car elle refusait de lui donner le nom de ses donateurs, alors même que la CNIL le lui interdisait. Elle a également été mise en cause en interne par des administrateurs sur le motif de manque de démocratie interne. Tout cela est faux bien-sûr, mais ces accusations, amplement médiatisées par leurs auteurs, nous ont mis en difficulté. Toutefois, on dit toujours à Anticor que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Le fait est que ces quelques mois de bataille nous ont rendus plus forts. Ils ont fait connaître notre petite association au grand public. Ce petit club de juristes passionnés qu’était Anticor est devenu un contre-pouvoir. Peut-être l’étions nous déjà, mais nous n’en avions pas encore conscience. À travers cette épreuve, nous avons vu s’élever une voix citoyenne puissante. Nous avons aussi compris que pour mener nos combats, nous ne devions avoir aucune faille, pour ne donner prise à aucune critique quelle qu’elle soit. Nous avons donc revu nos fonctionnements, modifié nos statuts, encadré davantage notre vie démocratique, limité les dons des personnes physiques, ceux des personnes morales de droit privé comme de droit public ayant toujours été interdits. Anticor est devenue inattaquable et nous faisons très attention à ce que cela perdure. 

Le Temps des Ruptures : Comment cette décision affecte-t-elle la capacité d’Anticor à agir en justice dans les affaires de corruption actuelles ou futures ?
Paul Cassia :

La perte de notre agrément ne met pas en danger l’existence même des procédures dans lesquelles Anticor a porté plainte ou s’est constituée partie civile. En revanche, elle remet en cause la participation d’Anticor dans de futures procédures puisque sans agrément, il n’est pas possible d’être partie civile. Concrètement, cela nous empêche de demander aux juges d’instruction de faire des actes d’enquête, d’auditionner telle ou telle personne, de remettre aux juges des informations qui nous viennent de lanceurs d’alerte dont nous gardons l’identité secrète. Les procédures suivent leurs cours, mais sans victime pour représenter la voix des citoyens. Cela nous empêche également de jouer un rôle de partie civile à l’audience. En effet, un des aspects de notre travail consiste à plaider à l’audience, faire entendre une voix différente de celle du procureur, qui défend le respect de la loi, et des avocats, qui défendent les personnes mises en cause. Par exemple, lorsqu’un maire a placé un de ses proches à un poste communal, nous expliquons en quoi ce comportement brise le pacte républicain, abîme la confiance des citoyens en leurs élus. Nous expliquons que les citoyens attendent que leurs représentants prennent des décisions dans l’intérêt de la commune et non dans l’intérêt de leurs proches. Nous expliquons que les abus de pouvoir, les baronnies locales, détruisent le vivre ensemble. Nous parlons aussi pour ceux qui auraient dû obtenir ces postes, du fait de leur mérite et du fait que ces traitements de faveur créent des injustices. Nous tenons aussi un discours plus systémique en expliquant que l’égalité d’accès aux emplois publics est un droit qui a longtemps été protégé par l’organisation de concours républicains. Qu’aujourd’hui, par l’effet d’un recours excessif au procédé du contrat, cette égalité d’accès est menacée. Nous plaidons pour les citoyens, pour le bien commun, nous expliquons ce que la corruption abîme, ce qu’elle détruit, les préjudices qu’elle cause au quotidien. 

Le Temps des Ruptures : Pouvez-vous nous donner un aperçu des affaires spécifiques dans lesquelles Anticor est actuellement impliquée et comment cette décision pourrait influencer leur développement ?
Elise Van Beneden :

Il serait trop long de lister toutes les affaires dans lesquelles Anticor est plaignante ou partie civile, nous en avons actuellement 159 au niveau national et 2 à 8 dans chacun de nos 82 groupes locaux. Il y a toutefois des cas de figure différents que nous pouvons expliquer. Dans certains dossiers, nous avons porté plainte, le dossier est actuellement entre les mains d’un procureur de la République. Il peut ouvrir une enquête préliminaire à l’issue de laquelle il peut décider de saisir directement le tribunal correctionnel, ou alors de saisir un juge d’instruction s’il estime que des investigations complémentaires doivent être menées ou, enfin, il peut décider de classer sans suite. Dans cette ultime hypothèse, Anticor ne pourra plus rien faire pour s’opposer au classement sans suite. Le risque est donc que des dossiers politico-financiers connaissent un enterrement de première classe, quand bien même des éléments sérieux auraient justifié que la Justice poursuive les auteurs présumés d’infractions pénales graves.  Dans d’autres dossiers, nous nous sommes déjà constitués partie civile, ce qui signifie qu’un juge d’instruction est déjà saisi. Dans ce cas, seul notre rôle de partie civile est remis en cause, pas l’existence de la procédure. La procédure va continuer, le juge d’instruction va enquêter, à charge et à décharge et rendre une décision. Anticor ne pourra ni apporter des éléments au juge, ni plaider à l’audience, ce qui revient à imposer le silence aux citoyens dans des procédures qui les concernent au plus haut point. Pour les futurs dossiers, tout dépendra de la volonté du gouvernement de renouveler notre agrément afin qu’Anticor puisse continuer à aiguiller la Justice. Nous attendons actuellement une décision suite au dépôt de notre dossier le 23 juin dernier. Si la loi vient un jour à couper le cordon ombilical entre le parquet et le ministère, l’action des associations ne sera peut-être plus nécessaire, mais pour l’instant, elle est essentielle. 

Le Temps des Ruptures : Quel est le contexte politique et juridique qui entoure cette décision, et comment percevez-vous le rôle des associations anticorruption en France ?
Paul Cassia :

Le contexte est très particulier puisque les associations citoyennes de lutte contre la corruption doivent solliciter l’octroi de leur agrément auprès du Ministère de la Justice, c’est-à-dire auprès de l’exécutif. Or, l’exécutif peut se trouver embarrassé ou directement visé par les actions d’une association comme Anticor, ce qui est normal puisque la corruption est un abus de pouvoir. C’est donc dans les lieux de pouvoir que les abus de pouvoir sont possibles et qu’il faut les combattre. Justement, Anticor est partie civile contre plusieurs membres du gouvernement, dont le Garde des Sceaux devant la Cour de justice de la République et contre le secrétaire général de l’Élysée, qui est le « bras droit » d’Emmanuel Macron. Ces affaires mettent en cause des personnes qui comptent parmi les personnages les plus puissants de l’État. Il est donc parfaitement paradoxal qu’une association comme Anticor soit contrainte d’obtenir l’autorisation du gouvernement pour mener à bien ses actions. Il existe des critères pour octroyer l’agrément bien-sûr, mais ces critères sont très vagues et la tentation de l’arbitraire, forte. Le coût de la corruption a été chiffré par la Parlement européen en 2016, à 120 milliards d’euros par an uniquement en France. Il y a d’un côté une reconnaissance officielle de la gravité de la situation, et de l’autre côté, un gouvernement qui accumule les affaires politico-financières et a le pouvoir de faire taire une association comme Anticor, et le fait ! Cela signifie que la lutte anticorruption est entièrement verrouillée par le gouvernement qui peut ne pas adopter de plan pluriannuel de lutte contre la corruption, comme c’est actuellement le cas, sous-financer la Justice anticorruption, ce qui est encore le cas, sanctionner un procureur qui voudrait poursuivre un personnage politique proche du pouvoir, ou encore lier les mains des citoyens qui voudraient saisir un juge indépendant. Cette situation politique est désastreuse et doit mener à une réforme ambitieuse. Parmi toutes les mesures qui font l’objet d’un plaidoyer en accès libre sur le site internet d’Anticor, deux sont particulièrement urgentes. D’abord, il faut augmenter drastiquement les moyens financiers et humains de la Justice en matière de lutte contre la corruption et contre toutes les formes de délinquance économique et financière. Ensuite, il faut libérer les associations anticorruption d’un arbitraire possible du gouvernement en confiant le pouvoir d’octroyer l’agrément à une autorité indépendante comme le Défenseur des Droits. 

Le Temps des Ruptures : Quelles sont les prochaines étapes pour le retour de l’agrément d’Anticor ?
Elise Van Beneden :

Elles sont au nombre de deux. D’une part, nous avons demandé en juin 2023 le renouvellement de notre agrément, et nous attendons la réponse de la Première ministre qui a quatre mois pour prendre sa décision, soit d’ici la fin du mois. D’autre part, nous avons contesté devant le juge d’appel l’annulation de notre agrément de 2021 par le tribunal administratif de Paris le 23 juin 2023. Nous attendons une décision provisoire du juge d’appel d’ici à la fin du mois d’octobre 2023 et une décision définitive en 2024. Dans ce procès, la partie défenderesse officielle est le gouvernement. Mais celui-ci ne défend que mollement notre agrément. Il fait le service minimum ce qui interroge sur la volonté de l’exécutif de voir Anticor continuer ses actions. Nous en revenons toujours au même paradoxe : la volonté officielle de lutter contre la corruption, qui est un fléau pour la démocratie et le désir non assumé du gouvernement de « débrancher » Anticor. Nous attendons de la Première ministre qu’elle joue objectivement le jeu de l’Etat de droit, car les associations de lutte en faveur de la probité publique – au demeurant peu nombreuses – sont devenues d’indispensables contre-pouvoirs citoyens. En représentant l’intérêt général, elles permettent d’éviter que des scandales politiques soient enterrés. Dans ce contexte peu favorable à Anticor, il revient aux citoyens de soutenir l’association, car nous sommes tous, collectivement victimes de la corruption. Nous payons tous les effets de la corruption, en payant plus d’impôts, en bénéficiant de moins de services publics, en subissant des injustices. Anticor est un bien commun dont les citoyens doivent s’emparer en adhérant, en la soutenant, en disant haut et fort qu’ils veulent, eux aussi, une République exemplaire.

Nous soutenir

Si vous aimez notre travail, c’est par ici !

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

dans la même catégorie...

NOS REVUES

C’est encore mieux version papier.

Lire aussi...

Penser l’alternative : entretien avec Jacques Rigaudiat
Le Nouveau Front Populaire doit devenir le camp de la concorde nationale
Penser le rap : entretien avec Kévin Boucaud-Victoire
Préserver la laïcité
Entretien avec Alain Seksig, Iannis Roder, Milan Sen
Un tout petit effort pour ne rien rater …

Inscrivez-vous à notre newsletter