Impérialisme américain et désinhibition allemande : l’Union européenne en danger

L’éviction de Thierry Breton de la Commission européenne et son remplacement par un apparatchik sans poids politique véritable témoigne de la perte d’influence de la France sur la scène européenne. L’entretien de l’ancien commissaire européen dans l’édition du Monde de dimanche 29 septembre est aussi éclairant qu’inquiétant [1].

Quel que soit le substantif utilisé pour parler de la relation franco-allemande – couple, moteur, tandem -, chacun traduit la nécessité d’être deux pour avancer. Les grands présidents l’avaient compris. Le général de Gaulle prenant le risque de la main tendue à Adenauer quinze ans seulement après la fin du conflit, comme Mitterrand se donnant tous les moyens pour arrimer l’Allemagne de l’Ouest puis l’Allemagne réunifiée dans le camp européen, quel qu’en soit d’ailleurs le coût pour l’économie française. Mais côté allemand, il suffit d’échanger avec des parlementaires outre-Rhin pour constater que cette idée de moteur ou de couple sont des images absentes de l’imaginaire politique allemand.

Il est dans l’ordre des choses que chaque État-membre agisse en faveur de ses intérêts propres. Les Etats, c’est bien connu et même au sein d’une union aussi intégrée, ont des intérêts avant d’avoir des amis. Mais ce rapport de forces n’est profitable à tous que si chaque parti parvient dans un subtil jeu à défendre sa part du gâteau tout en participant à accroître le gâteau européen. Quand le général de Gaulle défend une PAC résolument favorable aux intérêts des exploitants français, il a aussi en tête les avantages qu’une agriculture communautaire pourrait offrir à chacun des États-membres. Ce n’est pas seulement l’idée de l’Europe comme une France en grand qui n’est qu’au mieux un fantasme et au pire une manière d’habiller les renoncements à des pans entiers de souveraineté. C’est bien plutôt la poursuite de l’objectif d’un développement concerté et bénéfique au plus grand nombre dans un cadre juridique original et qui n’appartient qu’au continent européen. Mais nous sommes, dans les faits, bien loin de ce jeu coopératif.

Car l’Allemagne avance ses pions au sein des institutions européennes avec une tendance hégémonique et elle le fait au détriment de la place de la France. C’est la rencontre de cette force exprimée et de cette faiblesse constatée qui, loin de renforcer l’édifice général déstabilise l’ensemble du continent.

L’éviction de Thierry Breton[2] illustre parfaitement cette situation. C’est un camouflet infligé autant à la France qu’à l’autonomie européenne. L’exultation affichée par Elon Musk au lendemain de sa démission dit tout de cet échec. S’il reste un homme de droite, l’ancien commissaire a été un fer de lance de la lutte contre les GAFAM et leurs manquements à nos règles communes. Et il a toujours pris soin de le faire dans l’idée de défendre l’intérêt général de l’union dont la plupart des Etats, et pas seulement la France, ont considéré que cela servait tout autant leur intérêt national.

Surtout, son remplacement par Stéphane Séjourné signe cruellement la baisse d’influence de la France au sein de la future Commission européenne. Personne ne déniera à l’ancien ministre français des Affaires étrangères certaines capacités à gérer les relations du groupe Renew avec le reste de la droite européenne. Mais il ne fera pas grand-chose de cette expérience-là lorsqu’il aura à définir une stratégie à long-terme pour l’industrie européenne face aux rouleaux compresseurs américains et chinois. Le portefeuille élargi accordé à Thierry Breton en 2019 venait compenser la désignation d’une Allemande à la tête de la Commission européenne – une première depuis plus de soixante ans. Or sans cet équilibre, la France ne pèse plus grand-chose. Thierry Breton, dans son entretien au Monde, précise du reste qu’il pourrait n’y avoir qu’un ou deux chefs de cabinet français pour neuf ou dix allemands dans la future architecture de la Commission. Gross Malheur.

Il en va de même du sort réservé par la présidente de la commission européenne au rapport Draghi tout juste sorti des presses. L’ancien président du conseil italien a montré que l’Union européenne avait besoin d’un nouveau souffle si elle ne voulait pas poursuivre son décrochage économique vis-à-vis des États-Unis et de la Chine. Mais l’Allemagne se trouve dans une situation économique et politique délicate. En stagnation économique depuis 2019, avec un gouvernement baroque où chacun des partis de la coalition feu tricolore joue sa propre partition, elle ne parvient pas à s’extraire de la crise. Sa classe politique voit en majorité d’un très mauvais œil l’idée d’une solidarité européenne accrue par des investissements assumés solidairement par les Etats par le biais d’emprunts communs. Avis confirmé, si certains en doutaient, par le ministre des Finances allemand et surtout par Mme Von Der Leyen qui réagit clairement en représentante de son pays. D’où vient que les commissaires européens français trouvent aussi facilement le chemin de l’intérêt général européen en se mettant à l’abri de toutes accusations de chauvinisme ? Qui oserait accuser Pascal Lamy, Pierre Moscovici et même Jacques Delors de s’être comportés en français à Bruxelles frôlerait le ridicule. Et nous connaissons trop de camarades manquant sur ce sujet de sens du ridicule.

Alors que nous persistons à être les idiots utiles du village global et que notre dépendance sécuritaire aux États-Unis ne s’affaiblit pas, Thierry Breton a su être un commissaire qui défendant les intérêts de l’Europe et des Européens si à propos qu’il a défendu se faisant ceux de son pays. Son éviction, en plus d’être un camouflet infligé à notre vieux pays, est un cadeau offert aux GAFAM.

L’Allemagne, fidèle à son histoire d’après 1945 (on ne saurait lui reprocher), ne tourne pas la page du béatlantisme. C’est donc à la France macroniste que le reproche fondamental doit être fait. La France a la chance, par son histoire (que méconnait tant la macronie), de trouver de quoi affirmer une véritable vision de ce que l’Europe peut et doit être. En sabordant son influence au sein de la Commission européenne, elle commet une double-faute, autant contre l’Europe que contre la France. Une de plus. 

Références

[1] Le Monde, 29 septembre

[2] L’ancien ministre a annoncé sa démission le 16 septembre car il savait que la présidente de la Commission von der Leyen avait mis la France devant un dilemme : le maintenir avec un portefeuille plus restreint, ou offrir un portefeuille plus large à la France mais avec un autre titulaire au poste.

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