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Anicet Le Pors, une vie au service de l’intérêt général (1/3) : de militant à ministre

Anicet Le Pors, météorologiste de formation devenu économiste, militant syndical, engagé au Parti communiste (PC), ancien ministre de François Mitterrand qui a donné son nom à la loi sur les droits et obligations des fonctionnaires, puis conseiller d’Etat et enfin sénateur, est à la fois un militant et un intellectuel, un homme politique et un serviteur de l’Etat. Il a consacré sa vie au service de l’intérêt général, de la théorie à la pratique. Il a accordé au Temps des Ruptures un long entretien que nous avons divisé en trois parties. L’occasion pour Le Temps des Ruptures de faire connaître aux jeunes générations cette grande figure de la gauche, son histoire mais aussi sa pensée exigeante et d’une actualité brûlante. Première partie consacrée à son parcours.
LTR : Comment, encore jeune homme, entrez-vous en politique ? 
Anicet Le Pors : 

Ma famille est originaire du Léon, qu’on appelle aussi « la terre des prêtres ». C’est en Bretagne, dans le Finistère plus précisément, la partie nord de la mâchoire. L’Eglise a régné sur ce lieu depuis des temps immémoriaux et, à travers mes parents et mes grands-parents, j’ai également reçu cet héritage chrétien. En 1929 ils montent à Paris, d’abord à Versailles puis en différents lieux de la ceinture rouge, pour s’installer enfin au Pré-Saint-Gervais. Pour ma part, j’y suis né en 1931, donc la suite je l’ai vécue ici. Mes premiers engagements politiques se sont faits en direction du christianisme social, du côté du Sillon(1), dont le fondateur est Marc Sangnier. J’étais abonné à la revue Esprit et à Témoignage Chrétien, et j’ai au demeurant décidé d’adhérer à Jeune République, issu du Sillon de Marc Sangnier, en lien avec le personnalisme(2) d’Emmanuel Mounier. Ce sont des noms qui ont été très connus à mon époque.

Mon premier métier, au départ, est d’être météorologiste, et ma première affectation fut à Marrakech. J’ai vu de mes propres yeux l’expérience de la colonisation. Je faisais le catéchisme aux Marocains et ai donc également découvert le clergé colonial, et tout ça m’a désenchanté de la religion. Et pourtant, j’avais failli devenir prêtre quand même ! J’ai adhéré à la CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens) en 1953, et déçu, j’ai transité vers la CGT, plus à gauche, en 1955. Je rentre en France vers 1957, et je me replonge dans le bain des météorologistes d’ici. Autour de moi, au travail, quasiment tous mes collègues étaient membres de la CGT et adhérents du Parti communiste (PC). J’étais soumis à un pilonnage politique mais, en réalité, je n’attendais que ça ! Ce qui finit par me faire adhérer au PC, c’est le vote sur la Constitution gaulliste en 1958(3). Le Parti communiste était le seul parti qui, dans son entièreté, appelait à voter contre ce qui deviendra la Ve République. Le référendum a lieu le dimanche, avec malheureusement une victoire du « oui », et j’adhère le lundi matin à 8h au PC. J’ai rempli mon bulletin d’adhésion, en expliquant à la personne en face de moi que j’adhérais sans joie, mais qu’il le fallait parce que le PC était le seul à avoir eu le courage de s’opposer au général De Gaulle. J’étais farouchement opposé aux institutions de la Vème République, et je le suis resté. Voilà comment je suis devenu communiste, d’une manière très administrative. Mais ça correspond quand même à des options de fond.

LTR : C’est intéressant parce que vous adhérez au PC dans les années 50, à l’époque où il est un parti de masse avec une teneur idéologique puissante. A l’époque Althusser règne en maître sur la pensée communiste en France, c’est l’intellectuel organique par excellence. Mais vous, vous n’avez pas ce fond marxiste quand vous adhérez ?
Anicet le pors :

C’est un peu plus compliqué que ça. Quand j’étais à Marrakech, je lisais en lecture croisée la Bible et le Capital. Celui qui a provoqué un déclic chez moi, c’est un jésuite, Pierre Teilhard de Chardin. Il a théorisé la loi de convergence complexité-conscience, c’est-à-dire que plus la société devient complexe, plus elle a conscience d’elle-même et de sa complexité. C’est donc un jésuite qui, indirectement, m’a fait adhérer au Parti communiste. Il répondait à une double préoccupation chez moi : sociale-chrétienne d’une part, et scientifique de l’autre – en raison de mon métier- qui me faisait penser que la raison devait conduire vers le progrès. Tout au bout du graphique théorique de Pierre Teilhard de Chardin il y avait un oméga, et chacun était libre d’y mettre ce qu’il voulait : Dieu ou la société sans classe.

LTR : Même si à l’origine votre adhésion est administrative, le travail institutionnel du PC a-t-il progressivement fait de vous un véritable communiste ?
Anicet le pors :

C’était déjà à l’œuvre avant en réalité. Si vous voulez, en raison de mes racines chrétiennes, j’étais a priori réticent lorsqu’on évoquait le communisme. Une fois que vous avez franchi le pas de l’adhésion au Parti, toutes les barrières mentales que vous aviez construites s’effondrent. Elles s’effondrent parce qu’elles avaient avant tout un intérêt rhétorique, pas toujours fondé. Et, à partir de là, je suis devenu un militant de base très actif, discipliné, libre de mes choix.

LTR : Jusqu’à votre entrée au Comité central du Parti en 1979, quelles étaient vos fonctions au sein de l’appareil partisan ?
Anicet Le Pors :

Dans les années 60 et 70 j’ai essentiellement été un militant de base. Vous savez, ça peut étonner aujourd’hui, mais au Parti communiste ceux qu’on faisait monter c’étaient les militants ouvriers avant tout ! On ne regardait pas les intellectuels comme des acteurs du pouvoir, des cadres du Parti. Ils sont des références idéologiques, ils font de la pratique théorique, mais ils ne forment pas l’équipe dirigeante.

LTR : Et quelles étaient vos thématiques privilégiées en tant qu’intellectuel du Parti ?
Anicet Le Pors : 

Progressivement, on m’a regardé comme un expert au sein de l’appareil partisan. J’étais l’un des économistes majeurs du Parti. J’étais responsable des nationalisations et de la politique industrielle, ce qui m’a amené à rédiger cette partie-là du Programme commun(4) avec Didier Motchane et Jean-Pierre Chevènement.

En réalité la majorité de mon activité militante se déroulait à la CGT, et je pense avoir été globalement un bon militant syndical. Quand j’étais au Maroc je m’ennuyais un peu, donc je me suis inscrit en L1 de droit à Marrakech en parallèle de mon travail. Juste pour passer le temps. Et puis après ma première année validée, j’ai arrêté. Et en rentrant en France, j’apprends par hasard que l’économie – qui n’était à l’époque qu’une option de la licence de droit – devient un cursus à part entière. Et j’apprends que, si l’on a déjà une année en droit, on peut la faire valoir en licence économique. Donc évidemment je m’inscris ! C’est au moment du quatrième plan, le plus scientifique, donc à la CGT on critiquait farouchement De Gaulle. Mais c’était médiocre. Je me souviens d’un congrès général de la CGT où Benoit Frachon, secrétaire général de la CGT, disait en ouverture de son discours, « le quatrième plan plan plan rantanplan ». Ça m’a choqué. Si on traite des affaires générales avec une telle désinvolture on a forcément tort.

Cette affaire a eu lieu en même temps que l’ouverture de la licence de sciences économiques, donc j’ai décidé de m’y inscrire pour, ensuite, développer la culture économique de mon syndicat. J’ai fait ma licence, puis un DES (diplôme d’études supérieures). J’ai eu des professeurs remarquables, qui venaient presque tous de la Résistance. Je me suis inscrit pour une thèse que je ne soutiendrai qu’en 1975, avec Henri Bartoli, intellectuel catholique et résistant que j’aimais beaucoup. Le thème de la thèse était « les transferts entre l’Etat et l’industrie ». Ça a donné lieu à un livre, édité au Seuil, paru en 1977, dont le titre est les béquilles du Capital. Sous-entendu, le Capital ne peut tenir que par le financement public de l’Etat, pour lutter contre ce que les marxistes appelaient la baisse tendancielle du taux de profit(5). Tout ça se tient, politiquement, professionnellement, etc. J’en tiens un enseignement philosophique : on ne sait pas où on va, mais on y va. Il faut accumuler des potentiels, il faut penser qu’à tel moment, telle action est essentielle. A un moment, l’opportunité se présente.

LTR : En parallèle de votre parcours militant, comment se poursuit votre métier de météorologiste ? 
Anicet Le Pors :

En 1965, alors que j’étais météorologiste, Valérie Giscard d’Estaing, alors ministre de l’Economie, crée la direction de la prévision. Giscard, homme de droite, avait rempli cette direction de communistes et de gauchistes, c’est étonnant quand même ! On devait s’occuper des prévisions macroéconomiques, et pointait déjà ce qu’on appelle la RCB, la rationalisation des choix budgétaires. Moi j’étais un canard noir là-dedans, il n’y avait quasiment que des normaliens ou des polytechniciens, de grands intellectuels. C’est assez drôle parce qu’on alimentait aussi bien le cabinet du ministre, que les journalistes de gauche, tout aussi bien que les partis socialiste et communiste ! Puisqu’il s’agissait de faire des prévisions, pourquoi pas les mettre au service du Programme commun. On a mis le Programme commun en musique comme les budgets de la Nation. Pendant trois ans, j’ai travaillé comme jamais, même le samedi et le dimanche. Les gens un peu snobs disaient de moi que je n’étais pas très intelligent, mais que je bossais bien, ça me suffisait amplement. Mais alors arrive mai 68. Tout bouillonne, on se retrouve à la cantine en assemblée générale, et là je suis obligé de me démasquer. Mes collègues découvrent que je suis un marxiste ! Ils tombent des nues, ils voient qu’en plus d’être bosseur, je suis bon orateur. J’ai, à cause de cela, toujours eu beaucoup d’admiration pour VGE. Il a pris le risque de prendre un paquet de marxistes dans son ministère, pour lui fournir des idées économiques nouvelles et qui le surprennent.

LTR : Vous avez adhéré au Parti communiste, vous avez participé à la rédaction du Programme commun, vous avez été dans l’appareil d’Etat, mais vous n’avez jamais fini par adhérer au Parti socialiste, contrairement à beaucoup d’autres. Pourquoi ?
Anicet Le Pors : 

C’est culturel, presque viscéral. Je dirais que je n’ai pas confiance en eux. J’ai vu trop de retournements de veste chez les socialistes. A l’époque, pour citer quelques noms, Jean-Pierre Chevènement, Didier Motchane ou Jacques Fournier étaient d’ardents défenseurs de la propriété publique. Mais Jacques Fournier – qui est toutefois resté un ami jusqu’au bout – n’a jamais pu, par exemple, se départir de son appartenance de caste, il a bifurqué sur une théorie vaseuse de l’Etat stratège. Les socialistes ont évacué la question de la propriété. Au moment des gilets jaunes, j’ai publié une tribune dans L’Humanité, pour répondre à Philippe Martinez qui disait que les gilets jaunes, c’était le Front National. Et Fournier n’avait pas cru bon de s’intéresser plus que ça aux gilets jaunes. Son analyse sur eux tenait en une ligne : « le pauvre discours des gilets jaunes ». C’est montrer qu’on appartient à un monde qui ne connait pas le peuple. Quand son père était médecin, le mien était agent de manœuvre à la SNCF rue d’Hautpoul. On n’est pas du même monde. Ça ne me confère pas la moindre aristocratie populaire pour autant, mais ces gens-là ne connaissent pas le peuple.

LTR : Faisons un saut dans le temps. En mai 1981, François Mitterrand est élu Président de la République. En juin de la même année, les élections législatives portent à l’Assemblée une vague rose – 285 députés socialistes – à laquelle s’ajoutent 44 députés communistes. Comment se déroulent alors les tractations entre le Président de la République et le Parti communiste pour la nomination des ministres communistes ?
Anicet Le Pors : 

A aucun moment il n’y a eu de discussion avant le 22 juin 1981. Les seules négociations qui ont eu lieu se sont déroulées dans la nuit du 22 au 23 juin. On avait perdu au sein de la gauche contre les socialistes. Se posait alors la question de la participation au gouvernement. Est-ce qu’on va avec les socialistes ? Si on y va, sur quelles bases ? Pour quels ministères ? Avec combien de ministres ? J’étais alors élu au comité central depuis 1979, donc j’étais dans les proches de Georges Marchais. Je suis donc dans la boucle de négociation. Il y avait d’un côté Mitterrand, Mauroy, Bérégovoy, Fournier. Et côté communiste, Braibant, Le Pors, Fiterman, Marchais. La communication s’est faite à travers cette chaîne, dans cet ordre précis.

On était donc, le 22 au soir, sur le canapé de Georges Marchais et on réfléchissait à ce qu’on devait faire. On était pour qu’il y ait une proportion de ministres correspondant aux voix obtenues aux législatives au sein de la majorité présidentielle. Mais Mitterrand, dans son livre Ici et maintenant, voulait que ce soit sur la base du nombre de députés à l’Assemblée. Ce qui, compte tenu du scrutin majoritaire aux législatives, a favorisé le Parti socialiste plutôt que nous. Avec leur calcul, ça devait faire 5,6 ministres communistes. Comment on pouvait compter ça ? Un ministre d’Etat ça fait 1,5 ministre ; et quatre ministres.

On mandate donc la délégation communiste pour transmettre cette demande aux socialistes, et on décide d’aller se coucher. Le lendemain matin je me retrouve dans le bureau de Georges Marchais avec Charles Fiterman. Marchais ne voulait pas aller au gouvernement. En fin politique, il savait qu’il y avait un risque à s’écarter de la direction du Parti. Georges Marchais s’adresse à Charles Fiterman et lui dit qu’il doit être le chef de file des ministres communistes. Il lui demande ce qu’il aimerait avoir comme ministère. Fiterman répond qu’il aimerait beaucoup les transports. Puis il se tourne vers moi et me demande quel ministère je souhaiterais obtenir. Je fais une synthèse entre mon passé syndical, ma connaissance de l’administration et ma qualification en politique industrielle et nationalisations : le croisement va vers les PTT(6). On fait donc savoir aux socialistes que Fiterman voudrait les transports et moi les PTT. Ils reviennent assez vite en disant « d’accord pour les personnes, d’accord pour les ministères ».

On attendait la suite, on avait amorcé la pompe. Mais rien ne vient. Bon, on va manger. On contacte Pierre Mauroy après déjeuner pour lui dire « et la suite ? » Mauroy nous dit que le Président Mitterrand dit que c’est terminé. Pas d’autres ministères. Georges Marchais devient furieux et fait savoir à Pierre Mauroy qu’on ne participera pas au gouvernement. Deux ministères c’était ridicule. Mais finalement, après un long travail de Fournier et Braibant dans un café place de la République, on apprend qu’on nous accorde quatre ministres dont un ministre d’Etat. On apprend tout de même que Louis Mexandeau refuse de me laisser les PTT : étrange. Bon, finalement, Charles Fiterman aux Transports ; Jack Ralite à la Santé ; Marcel Rigout à la Formation professionnelle ; et moi-même à la Fonction publique et aux Réformes administratives, délégué auprès du Premier ministre Pierre Mauroy. J’ai accepté parce que je m’entendais bien avec lui, et surtout ministre délégué au Premier ministre c’est, dans la hiérarchie, plus haut qu’un ministre ordinaire ! Ça fait 1,25 ministre. Donc on finit à 4,75 ministres.

LTR : Comment, après seulement quelques années au gouvernement, vivez-vous le fameux « tournant de la rigueur »(7)?
Anicet Le Pors : 

En mars 1983, Mitterrand laisse tomber les orientations du Programme commun pour s’aligner sur Thatcher, Reagan et Kohl, qui avaient été élus respectivement en 1979, 1980 et 1982. C’est le début du néolibéralisme dans le monde. La France n’est pas « en phase » avec ce nouvel ordre mondial. C’est pour cette raison que les communistes décident, en 1984, de quitter le gouvernement.

LTR : Comment se passe, au sein du PC, et à travers les échanges entre le PC et le PS, les discussions autour de la sortie ou non du système monétaire européen (SME) (8) ? Quelle est alors la position du PC ?
Anicet Le Pors : 

En conseil des ministres, Chevènement fait un beau discours pour essayer de conserver la politique socialiste, et donc sortir du SME. Il ne souhaite pas du tournant de la rigueur. J’interviens également à ce fameux conseil des ministres. Je ne dis rien d’extraordinaire, mais j’apporte ouvertement mon soutien à Chevènement, qui était la bête noire des libéraux du PS. Jacques Delors dit alors, en me regardant : « il ne peut pas y avoir deux lignes au gouvernement ». La position du PC était la même, on voulait sortir du SME et poursuivre une véritable politique sociale au service du peuple. Mais le Parti n’est pas beaucoup intervenu malheureusement.

LTR : Comment se déroule alors, en 1984, le départ du gouvernement des quatre ministres communistes ?
Anicet Le Pors : 

Le matin du 18 juillet 1984, on avait voté au Parti, au bureau politique, le maintien des ministres dans le gouvernement. Et Georges Marchais, alors en vacances, est prévenu. Il rentre immédiatement à Paris. Il arrive l’après-midi de ce vote, et impose finalement que l’on vote le départ des ministres.

LTR : Faisons une nouvelle fois un bond en avant. En 1993, vous quittez le comité central du Parti, et en 1994 le Parti communiste lui-même. Comment, personnellement, vivez-vous progressivement cette rupture ?
Anicet Le Pors : 

Je décortique, dans un livre intitulé Pendant la mue le serpent est aveugle, cette mécanique de ma séparation progressive avec le PC. Avec l’arrivée de Gorbatchev au pouvoir en URSS, on voit en France se développer des nouveaux courants dans le Parti communiste, qui veulent le refonder ou le renouveler. J’en faisais partie. On voulait en France la même libéralisation de l’appareil partisan que ce que faisait Gorbatchev avec sa perestroïka (9). J’étais très libre contrairement à d’autres camarades. J’ai toujours travaillé en dehors du Parti, à la météorologie ou à la direction de la prévision, je n’ai jamais été entièrement inféodé au Parti. Depuis 1985 j’étais de plus au Conseil d’Etat, je n’étais pas dépendant financièrement du Parti communiste, alors que mes camarades l’étaient.

Ils avaient, et ça peut se comprendre, peur de perdre leur poste en critiquant l’appareil politique. J’avais plusieurs revendications en 1990 : 1° supprimer le discours fleuve au début de congrès qui ne servait à rien ; 2° pas de vote sur le rapport introductif au bureau central – parce qu’on discutait puis votait sur un texte sans le modifier, ça ne servait à rien ; 3° la fin du centralisme démocratique (10). Finalement, tous ces points m’ont été accordés quelques années plus tard. J’avais satisfaction sur tout. Je me suis alors dit que j’étais en train de me faire avoir, « il faut tout changer pour que rien ne change » comme dit l’adage. C’est pour ça que je démissionne du comité central en juin 1993, parce que je considérais qu’on se foutait de ma gueule, je ne croyais pas à leurs faux changements. En 1994, je quitte définitivement le Parti communiste, que j’avais rejoint près de quarante ans plus tôt. La même année, je rejoins Chevènement – qui avait quitté le PS – sur une liste aux européennes. La liste a quand même de la gueule. Numéro un, Chevènement, numéro deux, Gisèle Halimi, numéro trois Le Pors. J’ai également suivi Chevènement aux présidentielles de 2002, et ça n’a pas été plus chanceux. Avec le recul, je pense qu’il lui a manqué un 18 juin…

LTR : Pour avoir la stature d’un De Gaulle ?
Anicet Le Pors :

Non, pour avoir une opportunité, une brèche historique où se glisser. Il lui a manqué le coup du destin. J’ai longtemps conservé des rapports amicaux avec Chevènement, un peu moins maintenant parce que je trouve qu’il vieillit mal [rires]. De la même manière, j’ai toujours de très bonnes relations avec les communistes. Tous les deux ou trois mois, l’Humanité me demande d’écrire un article pour eux. Mes amis communistes me disent souvent « toi au moins, tu n’as pas adhéré au Parti socialiste ! »

Références

(1) Mouvement politique fondé en 1894 qui vise à rapprocher République, ouvriers et catholicisme.

(2) Mouvement spirituel et philosophique, fondé sur le respect de la personne humaine, qui se voulait une troisième voie entre le capitalisme débridé et le fascisme.

(3) Le référendum constitutionnel du 28 septembre, qui fonde notre Ve République, est approuvée par 82,6% des Français. Il instaure un régime, quoique toujours parlementaire, qui donne un certain pouvoir au Président de la République.

(4) Le Programme commun est le programme de gouvernement adopté en juin 1972 entre le Parti communiste et le Parti socialiste. En 1977, cette alliance programmatique est rompue, mais le programme du PS en restera profondément imprégné lors de la rédaction de son programme présidentiel de 1981.

(5) En résumé, cette théorie marxiste indique que les capitalistes, pour augmenter leur productivité, sont obligés d’avoir de plus en plus recours à du Capital (machines par exemple) plutôt qu’à du Travail. Or, en théorie marxiste, le profit vient de la valeur ajoutée du Travail. En conséquence, si on diminue la part du Travail dans le mode de production, la valeur ajoutée – donc le taux de profit – diminue.

(6)Postes, télégraphes et téléphones. Administration disparue en 1990.

(7) Bifurcation libérale du gouvernement socialiste en mars 1983 qui décide, pour s’aligner sur l’idéologie libérale de la mondialisation, de tourner le dos aux réformes sociales majeures du début du septennat de Mitterrand.

(8) Système monétaire européen, système instauré en 1979 qui avait pour dessein de resserrer les convergences entre monnaies européennes.

(9) La perestroïka était la grande réforme de la bureaucratie soviétique lancée par Gorbatchev pour impulser un nouveau dynamisme à l’URSS alors calcifiée. Avec la glasnost (politique de transparence et d’ouverture), la perestroïka furent les deux piliers de l’ère Gorbatchev rompant avec l’immobilisme de l’ère Brejnévienne.

(10) Le centralisme démocratique est un concept marxiste-léniniste qui renvoie à l’organisation du parti communiste. En principe, la liberté de parole doit y être consacrée, les débats encouragés, mais une fois le vote effectué c’est l’unité d’action qui prime. 

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