Luttes d'hier & Luttes d'ailleurs

La Commune n’est pas morte

Entretien avec Hugo Rousselle
Par Gurvan Judas et Milan Sen Pour commémorer le 150ème anniversaire de la Commune de Paris, nous revenons ensemble sur cet évènement fondateur de notre République avec Hugo Rousselle doctorat et co-auteur du livre et de l’exposition « Nous la Commune ». Dans cet entretien sont évoqués l’épopée communarde, son programme, ses commémorations ou célébrations, la marque qu’elle a laissée et la manière dont elle peut nous inspirer encore aujourd’hui. 
LTR : Comment percevez-vous cet événement historique qu’est la Commune ?
Hugo Rousselle Nerini :
Je le perçois comme un moment, un acte fondateur de notre République. Il y a quand même une tradition révolutionnaire en France avec 1789, 1830, 1848, et la Commune est un moment où la République s’affirme, plus encore que le 4 septembre 1870. La majorité portée au pouvoir était alors largement royaliste, et parce qu’il y a aussi cette Commune qui est massacrée pendant la semaine sanglante, il va y avoir un affermissement de cette République, et pas n’importe quelle République, une République démocratique, sociale, laïque et universelle. Pour moi c’est déjà un acte fondateur de notre République française, et puis c’est un moment révolutionnaire extraordinaire et, comme le dit la formule, “un espoir mis en chantier”, un programme pas encore entièrement réalisé aujourd’hui.
LTR : Faut-il la commémorer ? La célébrer ?
Hugo Rousselle Nerini :
La commémorer ça me paraît évident, parce qu’à mon sens il faut commémorer, c’est-à-dire “rappeler à la mémoire”, tout ce qui a trait à l’histoire nationale. A plus forte raison dans un régime républicain sur un acte fondateur de la République. Le célébrer, à titre personnel je dirais oui bien sûr. Le célébrer dans ce qu’il a de plus beau, pas dans ce qu’il a de morbide ou de mortifère. C’est pour ça que nous avons décidé de célébrer le 18 mars plutôt que le 28 mai, l’idée debout plutôt que l’idée à terre, “le cadavre est à terre mais l’idée est debout” dit Victor Hugo. On voulait que l’idée et que
LTR : Au niveau institutionnel, les pouvoirs publics doivent-ils jouer un rôle dans ces commémorations et ces célébrations ?
Hugo Rousselle Nerini :
Ca a été, pendant longtemps, une des revendications des Amis de la Commune, et finalement ça n’a été qu’en 2016 que l’Assemblée nationale a réhabilité les communards, même s’ils avaient été amnistiés depuis longtemps. L’amnistie c’est une grâce ! Certains ont un peu grogné quand on a fait notre manifestation du 18 mars parce qu’il y avait la Maire de Paris, parce qu’une dimension officielle s’est greffée à notre projet. C’est dommage de la rejeter totalement, à mon sens ce qui est préférable c’est qu’il y ait une spontanéité populaire dans la commémoration, et pas momifier l’événement, pas le transformer en une espèce de cérémonie soviétique de la fin des années 1980. Il faut qu’il y ait les deux à mon sens. La dimension officielle doit être en partie présente parce qu’il faut que la Nation regarde son histoire en face, mais si elle n’était que cela ce serait dommage, il faut également une dimension populaire. Pour l’anniversaire du 18 mars, nous on a pu rencontrer des gens, après la cérémonie officielle limitée en terme de places, le moment le plus important a été quand des gens sont venus nous voir après, il y avait des Parisiens, mais aussi des groupes de Nantes, de Lyon, de Narbonne, pour donner une nouvelle vie à la Commune de Paris. Donc dire “la Commune n’est pas morte” c’est aussi lui redonner un sens de ce point de vue-là.
LTR : Pour commémorer la Commune, quel sup- port faut-il privilégier ? Quels thèmes aborder ? Quel public viser ?
Hugo Rousselle Nerini :
Tout support, tout thème et tout public ! Nous on a utilisé le biais à la fois biographique et graphique. D’autres l’ont fait aussi, et avant nous, Tardi avec la bande dessinée ou Raphaël Meyssan de manière plus récente avec sa bande dessinée et surtout son documentaire qui a eu une sacrée répercussion. Tous les moyens sont bons. Pour le public, tout le monde ! Nous ce qu’on a apprécié c’est que, par le biais graphique et biographique qu’on a choisi, on avait une exposition qui pouvait être familiale. On a vu des enfants, moi j’ai même eu une conversation avec un enfant qui était en primaire, un gamin de CM2, avec qui j’échangeais, qui connaissait déjà un peu les événements de 1870- 1871, et ça c’est beau ! Si on ne s’adresse qu’aux militants ou aux spécialistes de la Commune, c’est un champ qui va forcément être limité. Le but c’est de s’adresser à des gens qui ne savaient même pas que la Commune existait. On parlait tout à l’heure de ce qu’a fait Raphaël Meyssan, nous il y a des gens qui sont venus nous voir et qui étaient contents de retrouver dans les cinquante personnages Victorine Brocher, qui est un des personnages principaux de son documentaire, et qui était très peu connue. Mais ceux qui savent sont des gens qui connaissent déjà le sujet, alors que par le biais du documentaire plein de gens ont découvert cette femme, et ils étaient contents de la retrouver, dans notre exposition, dessinée sous les traits d’une cantinière. Au contraire on voulait toucher ceux qui n’avaient pas de connaissance, ou une vague connaissance du sujet, pour qu’ils s’y intéressent de manière plus précise. Les jeunes font certes partie de notre cible, avec notre campagne Facebook, mais ce qu’on voulait surtout c’est que des gens qui se baladent, que le passant moyen soit attiré par le graphisme et soit intrigué. Le fait que nos figures soient à taille hu- maine, ce qui crée une sorte de dialogue, donne en- vie d’aller voir de plus près. Jeunes et moins jeunes ! On constate avec joie qu’effectivement ce graphisme attire les jeunes. Je me suis toujours beaucoup intéressé à l’histoire, et c’est toujours le cas aujourd’hui, aussi beaucoup par le biais biographique. “Un tel personnage me touche”, on passe par le sensible, ça ne veut pas dire qu’il faille rester, ça ne veut pas dire qu’on doit en faire une image d’Epinal ou s’enfermer dans une vision conservatrice centrée sur les grands hommes de l’Histoire. Mais ça fait partie de l’attrait, c’est parce qu’on va s’intéresser à la vie d’Edouard Vaillant, de Léon Frankel, d’Eugène Varlin ou de Louise Michel qu’après on va prendre du recul sur l’événement, essayer de comprendre pourquoi on se retrouve avec une telle diversité de profils, pourquoi un événement comme celui-ci est possible. Donc pour les jeunes et les moins, jeunes, il y a cet aspect-là, “s’identifier à”, “untel était avocat, une telle était infirmière, untel était ouvrier ». S’identifier aux personnages je pense que c’est important pour s’intéresser à l’histoire et pour la vulgariser, au sens neutre du terme, vulgus, au sens du peuple.
La commémoration ne doit pas momifier un évènement
LTR : La Commune est un événement collectif, et on a beau tous connaître Jules Vallès, Louise Michel et d’autres, ils ont tendance, ces grands personnages, à être fondus dans le collectif de la Commune. On voulait donc t’interroger sur la mise en avant de ces personnages. C’est très rare lorsqu’on évoque la Commune.
Hugo Rousselle Nerini :
Oui c’est ça, c’est une révolution aux mille visages. Le choix des personnages a été terrible, parce qu’il y en a tellement ! Ça a été très dur d’en choisir seulement cinquante. Ça nous paraissait un chiffre raisonnable, en termes de faisabilité graphique et biographique pour les personnages. On a des figures connues, comme Louise Michel, Jules Vallès. On va dire qu’il y a plusieurs degrés, Jules Vallès, Louise Michel c’est des noms qu’on connaît. Mais pourquoi on les connaît ? Parce que ce sont des noms de rue ou des noms de lycée. Je vais vous donner un exemple, qui est la meilleure chose que je retiens du 18 mars, c‘était un des gars qui nous avait aidé la veille, qui faisait partie des manutentionnaires de la ville de Paris, qui vient me voir et qui me dit “c’est super ce que vous avez fait, moi j’étais au lycée Jules Vallès jusqu’aujourd’hui je ne savais pas qui c’était. C’était le nom de mon lycée mais je ne savais pas qui était ce personnage, et donc maintenant je vois, je l’identifie, je mets même un visage sur ce personnage, j’arrive à le situer”. Ça c’était déjà une victoire pour nous. Donc dans ces personnes célèbres il y a Louise Michel, Jules Vallès ou encore Gustave Courbet. Ensuite il y a les gens connus de ceux qui s’intéressent à l’événement, donc les Jean-Baptiste Clément, Dombrowski, Varlin. Et ensuite il y en a d’autres que même ceux qui s’y connaissent en histoire de la Commune ne connaissaient pas forcément. Quand ils ont vu le nom de Louis Debock, qui a été le chef de l’imprimerie nationale, dont le visage a été totalement inventé par Dugudus parce qu’on n’avait pas de photos de lui, on a créé son visage en échangeant, en discutant. Les personnages sont des biais pour parler de choses plus pro- fondes. Le Debock en question il nous permet de parler des affiches de la Commune, Jules Vallès permet de parler du Cri du peuple et des journaux pendant la Commune, Dombrowski de la place des Polonais et de l’armée dans la Commune et d’autres personnages se suffisent à eux-mêmes comme Louise Michel. Si on est uniquement dans le factuel, les gens perdent le fil au bout d’un moment. A l’inverse, l’historien qui produit une analyse sur un sujet, qui prend du recul sur les choses, maîtrise déjà son sujet. Mais pour celui ou celle qui ne connaît pas l’histoire, les faits, strictement les faits, ça peut vite rebuter, c’est pour ça qu’on est passé par la biographie, des petits textes assez courts pour que les gens aient une idée générale des personnages et qu’ils retiennent une idée. On essaye de semer des graines, c’est déjà pas mal.
LTR : Que penses-tu de l’écho médiatique et intellectuel, on pense notamment aux débats qui opposent commémorations de la Commune et celles autour de Napoléon, qu’ont pour l’instant eu les commémorations autour de la Commune, et plus spécifiquement celles que tu as dirigé ?
Hugo Rousselle Nerini :
Je sais qu’il y une espèce de conflit stérile sur Bonaparte et la Commune. J’ai envie de citer Bonaparte, paradoxalement, “de Clovis au Comité de salut public je me tiens solidaire de tout”. A partir de là, même si on a une préférence pour Bonaparte, on ne doit pas exclure la Commune, et inversement, sur ce qui est de la commémoration. Pour la célébration c’est quelque chose qui relève plus de l’intime, du politique. Mais sur la commémoration, celui qui voudrait exclure de la mémoire française Bonaparte ou la Commune commettrait une erreur. On parle de deux événements qui, outre la dimension nationale qu’ils ont pris, ont une connotation internationale qui est non négligeable. Bonaparte, c’est le personnage sur lequel on a écrit le plus de livres sur cette Terre. Et la Commune, quand on voit qu’il y a des affiches en mémoire de la Commune en Chine, que le Rojava se réclame de la Commune de Paris, que dans le fin fond de l’Amérique du Sud on se réclame de la Commune de Paris, que Lénine dans son mausolée est entouré dans un drapeau de la Commune de Paris, qu’on raconte qu’il a dansé dans la neige au 73ème jour de pouvoir bolchévique, c’est de fait un événement qui a pris une ampleur internationale au-delà du strict événement historique. La commémoration ne doit pas momifier un événement, mais doit permettre de revenir dessus pour en débattre du point de vue historique et ensuite pourquoi pas du point de vue politique. L’historien doit garder une distance d’historien, expliquer et après le politique peut avoir un rapport sensible à l’événement, on peut dire que les communards sont les fondateurs de la République sociale, ou on peut dire que ce sont des gens qui ont tué des prêtres et on peut dire que Napoléon est le continuateur de la Révolution française et le père du code civil, ou on peut dire qu’il a rétabli l’esclavage. On peut en débattre, on doit en débattre.
LTR : Au-delà des commémorations, quel est l’héritage de la Commune pour les gauches nationales et internationales ?
Hugo Rousselle Nerini :
Sur un plan national on sait que la fin de la Commune est un moment terrible parce qu’elle est tuée dans l’œuf, mais avant ça c’est un moment de foisonnement des idées politiques. On retrouve la grande diversité des courants du socialisme français de l’époque, que ce soit le socialisme “utopique”, le saint-simonisme et le fouriérisme notamment, les idées de Proudhon et le mutuellisme, les idées de Blanqui, les idées de l’Internationale. Foisonnement également dans les pratiques, même si les choses n’ont pas le temps de se mettre en place. Au travers du programme de la Commune, les communards ont montré ce qu’ils voulaient faire. République démocratique, sociale, laïque, universelle. Il y a des propositions qui sont faites : la démocratie directe, la révocabilité des élus, c’est quand même un thème qui est toujours présent, porté notamment par les gilets jaunes ; la responsabilité des élus ; la République sociale ; l’autonomie des travailleurs, la possession par les travailleurs de leur outil de travail. Ensuite la laïcité qui est une spécificité française qui a réussi à s’imposer à mesure que la République s’est imposée dans les décennies qui ont suivi et qui est une thématique toujours posée aujourd’hui avec une bataille de mémoire et de définition. La question de l’universalisme républicain, liée à la laïcité mais à d’autres thèmes aussi, qui se pose, cette idée que le patriotisme et l’internationalisme sont articulés dans la matrice communarde. La question de la justice, thème beaucoup trop oublié mais le programme de la justice des communards a rendu la justice en partie gratuite, qui a fonctionnarisé les officiers de justice dont le système reposait jusqu’alors sur la vénalité des charges, vieille réminiscence de l’Ancien Régime. Et puis il y a la question de l’éducation. Alors oui quelques années plus tard il va y avoir l’école laïque, gratuite et obligatoire, mais qui n’est pas exactement l’école proposée par la Commune. Les communards voulaient l’enseignement intégral, l’éducation intégrale. C’est l’idée qu’on devait apprendre tout, qu’il ne devait pas y avoir de distinction et de hiérarchie faite entre l’enseignement intellectuel et l’enseignement qu’on qualifierait de professionnel aujourd’hui. Or quand on regarde le système français on voit que cette éducation intégrale n’est pas au rendez-vous, il suffit de voir comment on considère les voies professionnelles en France aujourd’hui. Il y a des pistes de réflexion qui sont toujours valides, même si elles doivent être réactualisées.
LTR : L’intérêt mémoriel de la commémoration c’est aussi de pouvoir “récupérer” ce qui est en contemporain comme enjeu. Louise Michel, par exemple, est très célèbre aujourd’hui en partie grâce à l’essor du féminisme. Tout est réutilisable politiquement. Il y a beaucoup d’éléments intéressants dans la Commune, et les forces politiques peuvent toujours aller puiser dedans aujourd’hui.
Hugo Rousselle Nerini :
Exactement. Il y a également des textes qui sont dans leur style d’une grande modernité. Quand on lit des textes de Jules Vallès ou d’André Leo, on a l’impression de lire quelque chose qui aurait pu être écrit aujourd’hui, et par des personnes qui savent écrire. Après c’était il y a 150 ans, il ne faut pas tomber dans l’image d’Epinal, c’est important d’avoir des mythes mobilisateurs dans l’histoire, ça c’est du point de vue politique, mais il faut faire attention à avoir du recul, ne pas mythifier l’événement et ne pas faire des calques sur les situations.
LTR : Comment la Commune peut, pour nous militants de gauche, nous aider pour les luttes actuelles et futures ?
Hugo Rousselle Nerini :
Quand on voit les militants de l’époque on aurait tendance à penser que les militants d’aujourd’hui sont assez tièdes. Mais il ne faut pas se paralyser en regardant ça. On peut regarder l’importance de la solidarité internationale à ce moment-là, j’ai l’impression, c’est peut-être une piste de réflexion, que lorsqu’on regarde cette solidarité internationale pendant la Commune – on retrouve notamment des Polonais, des Garibaldiens, ou des Hongrois – j’ai l’impression qu’elle a un peu disparu aujourd’hui. Paradoxalement, alors qu’on est dans une situation où il n’a jamais été aussi facile d’échanger avec des gens à l’autre bout de la planète, il y a une plus grande atomisation du militantisme aujourd’hui.
LTR : Initialement c’est un mouvement patriote, il y a l’idée de défendre la France contre un gouvernement qui veut faire la paix contre les Prussiens, mais il y a tout de même un internationalisme des luttes.
Hugo Rousselle Nerini :
Oui bien sûr, il n’y a pas d’opposition entre le patriotisme et l’internationalisme. Alors qu’aujourd’hui tout est fait de telle manière qu’on oppose les deux. Là on est dans le patriotisme originel, le patriotisme de la levée en masse de 1793, un patriotisme universaliste. Il a pu avoir des travers par la suite, il n’a pas généré que du bon, mais il reste présent. C’est le même patriotisme que celui de la Révolution française, surtout qu’à partir de 1792-1793 il y a des étrangers qui sont inclus, comme l’italien Buenarroti par exemple, qui est reconnu citoyen français. La tradition républicaine et patriote intègre les étrangers à la République, puisque ceux-ci sont parfois plus ré- publicains que ne le sont les aristocrates cosmopolites apatrides. Il y a eu à la fin du XIXème siècle un divorce entre le drapeau rouge et le drapeau tricolore, puis une tentative de réconciliation dans les années 1930, le fameux discours du communiste Jacques Duclos qui prend les deux drapeaux dans ses mains. L’internationalisme est à distinguer du mondialisme ou du cosmopolitisme de l’aristocratie apatride. Il y a une distinction à faire dans les différentes notions. Et à l’inverse la patriotisme communard n’est pas le patriotisme excluant, encore moins racialiste. Ça reste un patriotisme ouvert qui est fondé sur une définition de la citoyenneté qui est politique. Il y a quand même une matrice, une définition donnée du patriotisme qui peut être très intéressante pour nous.
Les Communards ont montré ce qu’ils voulaient faire : République démocratique, sociale, laïque, universelle

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