Le Temps des Ruptures : Qu’est-ce que l’Europe symbolise et signifie pour vous ? Quelles distinctions apportez-vous entre l’Europe comme concept historique, culturel ou politique, et l’Union européenne en tant qu’institution(s) ? Où s’arrête l’Europe géographiquement ?
En tant qu’écologistes nous sommes fédéralistes et la construction européenne occupe une place centrale dans la transformation politique que nous portons. Nous n’envisageons pas l’Europe comme une civilisation homogène, comme un espace culturel à défendre – cela relève de logiques identitaires voire suprémacistes que nous combattons. Au contraire, nous défendons un projet démocratique, écologique et social, ouvert sur le Monde et aux pays n’étant pas encore intégrés dans le projet européen.
De fait, l’Union européenne actuelle ne nous satisfait pas à bien des égards. C’est pour cela que nos eurodéputé·es se battent pour la transformer, et iels continueront à le faire après le 9 juin prochain.
LTR : Quel regard portez-vous sur l’histoire de la construction européenne ? Est-ce véritablement une construction démocratique et sociale ?
La construction européenne s’est concrétisée dans le cadre d’un équilibre précaire avec les souverainetés étatiques européennes. Les avancées sont intervenues dans leur majorité dans des contextes inter-étatiques.
L’expérience du référendum établissant une Constitution pour l’Europe de 2005, dont la substance a été en grande partie reprise dans le traité de Lisbonne en 2007, témoigne du peu d’égard accordé à la voix des populations.
Cet exemple constitue pour nous une cicatrice qui nous oblige à envisager la poursuite d’une construction européenne seulement dans un cadre démocratique, associant citoyen·nes, société civile, associations pour la protection de l’environnement, élu·es locaux·ales, …
Par ailleurs, ces dernières décennies ont aussi été le théâtre du déploiement de politiques néolibérales, de dumping social et d’abus de tout ordre ont durablement écorné l’image que les citoyen·nes se font de l’Europe. Beaucoup ne l’envisage plus que sous le prisme de la corruption des lobbys ou d’un rouleau compresseur qui les broie et ne pense pas que c’est un échelon en mesure de leur redonner une voix. Nous Écologistes nous battons pour changer cette perception car il nous semble que l’Europe doit avant tout être l’outil des plus faibles. L’Europe doit être l’outil qui leur apporte un filet de sécurité minimal de droits – droits fondamentaux, comme droit à un salaire minimum ou à un temps de travail maximum – face à leurs Etats membres. Pour réussir à développer le plein potentiel de l’UE, et en faire le véritable outil de démocratie qu’il devrait être il nous faut élire une majorité écologiste et fédéraliste qui sera prête à renforcer le volet social de l’Europe et à entamer les transformations institutionnelles nécessaires.
LTR : A l’heure actuelle, quels sont les principaux dysfonctionnements que vous percevez dans l’Union européenne ? L’Europe peut-elle sortir de sa naïveté économique et géopolitique ?
Un vice originel affecte l’Union européenne : la volonté d’imposer sur le continent un modèle économique homogène. Les conséquences sont aujourd’hui palpables : le virage écologique nécessaire n’a pas été amorcé, des secteurs clés comme l’agriculture ou l’industrie sont mis en concurrence de façon insensée, l’absence d’une dimension sociale à la construction européenne aggrave les inégalités, …
Dans le même temps, les logiques nationales et souverainistes empêchent les membres de l’Union de parler d’une seule voix sur la scène mondiale. Pourtant, le moment nous oblige, la guerre est à nos portes en Ukraine et l’entreprise génocidaire du gouvernement Netanyahu à Gaza suppose une réaction collective forte et ambitieuse. De manière plus globale, l’emprise impérialiste des États-Unis reste forte dans nombre d’États-membres, des brèches dans ce collectif européen permettent à la Chine ou la Russie d’influencer de manière inquiétante certains de ses membres. Avec les Écologistes, nous portons l’idéal d’une diplomatie et d’une défense européenne commune, en renonçant au principe d’unanimité régissant la PESC au profit d’une majorité qualifiée renforcée.
LTR : Quelles sont les mesures à court-terme que proposent vos partis politiques pour réformer l’Europe ? Et quelles sont leurs visions à long terme pour celle-ci ? L’Europe est-elle réformable face aux blocages de certains Etats ?
À court terme, il y a tant à faire. Deux points semblent se démarquer. Face au mur climatique vers lequel nous nous dirigeons à une vitesse folle, une action résolue et coordonnée doit être mise en œuvre pour lutter contre le dérèglement climatique tant qu’il est encore temps, en réencastrant l’économie dans les limites planétaires et les besoins humains. Cette action est indissociable d’une politique sociale européenne à la hauteur, la question sociale étant intimement liée à la question écologique. De manière concrète, il est également nécessaire de mettre au pas l’agence Frontex et de sortir de la logique d’une Europe forteresse, laquelle transforme la Méditerranée et maintenant la Manche en cimetière à ciel ouvert. Il est fondamental de réunir les conditions d’un accueil digne et inconditionnel des personnes exilées ou migrantes en Europe.
À plus long terme, nous défendons depuis toujours une transformation de l’Union européenne, pour en faire une organisation fédérale et démocratique forte, permettant de choisir les ruptures nécessaires aux enjeux du XXIe siècle. Les défis sont nombreux sur le plan environnemental et écologique, pour la protection de la biodiversité, la lutte contre les dérèglements climatiques, la réappropriation des moyens de production par les travailleur·euses … Cela doit passer par des actes forts comme l’adoption d’un traité environnemental européen.
Le blocage de certains États n’est pas une fatalité mais affecte la crédibilité des institutions européennes. Il est plus que jamais nécessaire d’initier un processus constituant pour construire un cadre institutionnel capable d’encaisser les désaccords tout en laissant une voix au chapitre pour les citoyen·nes ou leurs représentant·es et en évitant une instrumentalisation des blocages par certains pays membres.
LTR : Est-ce que les politiques européennes sont à la hauteur des attentes et des besoins de la jeunesse ?
Notre génération est la première à avoir seulement connu l’Europe du traité de Lisbonne. La construction européenne est un acquis, une figure familière dans le paysage institutionnel. Pour autant, son action en direction des jeunes est limitée, se cantonnant au programme Erasmus et ses déclinaisons. Cet acquis important est malheureusement limité et s’adresse souvent à un segment déjà privilégié des jeunes européen·nes. Nous sommes également la génération Climat, descendue dans les rues de toute l’Europe en 2019. Nos exigences en matière environnementale sont plus élevées que jamais, pour autant, il est difficile de percevoir quelconque inflexion dans les politiques néo-libérales et productivistes portée par la majorité néolibérale au sein de l’Union.
Avec les Écologistes, nous portons une volonté d’approfondir largement les politiques publiques européennes à destination des jeunes, en les soutenant notamment à leur entrée dans l’âge adulte. Les jeunes sont particulièrement exposé·es à la précarité, notamment dans le sud de l’Europe, c’est pourquoi nous défendons la mise en place d’un revenu européen de formation pour les jeunes de 18 à 25 ans ou l’interdiction des stages non rémunérés.
Nous nous réjouissons de voir de nombreux jeunes figurer sur les différentes listes qui s’affronteront le 9 juin prochain. Toutefois, il ne faut pas se limiter à de l’affichage. Nous comptons sur tous les jeunes de gauche qui seront élu·es pour pousser de véritables politiques jeunesse.