Tyler, The Creator : L’esprit « DIY » au 21ème siècle

Tyler, The Creator : L’esprit « DIY » au 21ème siècle

Né le 6 mars 1991 à Hawthorne, dans la région de Los Angeles, Tyler, The Creator, de son vrai nom Tyler Okonma, s’est imposé au fil des années 2010 comme l’un des artistes les plus inventifs de sa génération. Avec la sortie de son dernier album, CHROMAKOPIA, il continue d’étoffer son univers créatif et d’élargir ses horizons, tout en reflétant ses influences et en incarnant parfaitement l’esprit « DIY » (Do It Yourself).

Tyler, le musicien

L’activité principale de Tyler est la musique : il rappe, chante, fait des beats, et produit. Ses influences principales vont du hip-hop à la soul, en passant par le funk, le R&B et (probablement) même la pop des années 1960 et 1970. Sa musique semble s’adresser aussi bien à des amateurs de musique indie et/ou expérimentale qu’à certains « puristes », que ce soient des puristes hip-hop par la qualité de ses paroles et de son flow, que des puristes des années 1970 et de la musique soul ou funk, qui peuvent se reconnaître dans les rythmiques, mélodies et arrangements fouillés.

Tyler, encore mineur, se lance dans la musique en 2007 au sein du désormais défunt collectif « Odd Future » qu’il a co-fondé et dont il va être considéré rapidement comme le leader. Ce collectif va se démarquer par les nombreux talents qu’il comporte outre Tyler, dont beaucoup vont connaître un certain succès (ex. Earl Sweatshirt, ou encore Syd et Matt Martians qui ont fondé The Internet) voire carrément exploser par la suite (Frank Ocean). La musique d‘ Odd Future contient, déjà, des paroles très provocatrices et des productions inhabituelles et minimalistes, emblématiques du style du Tyler des premières années. En 2009, Tyler continue donc dans cette voie avec des paroles sombres et provocatrices dans son premier album « Bastard », puis en 2011 avec l’album « Goblin ». Ses paroles attirent l’attention et font parfois scandale.

À partir de son album Wolf (2013), Tyler opère un tournant, confirmé également par l’album Cherry Bomb (2015). Les influences soul, funk, R&B et pop vintage commencent à se faire ressentir dans ses productions. Au fil de ses albums Flower Boy (2017), IGOR (2019) et CALL ME IF YOU GET LOST (2021), Tyler creuse et étoffe davantage tant ses productions que ses paroles et atteint probablement le sommet de son art. C’est justement à partir de Flower Boy que Tyler commence à connaître un large succès, dont la particularité est qu’il est autant commercial que critique. Tyler réussit alors la prouesse d’atteindre un réel succès commercial sans pour autant sacrifier son authenticité et sa capacité d’expérimentation, qui restent visibles dans ses paroles, désormais dans l’ensemble plus sincères, personnelles, émotionnelles et profondes, mais aussi dans ses productions, qui restent parfois inhabituelles et/ou sont des hommages à ses influences (R&B, soul, funk) – qui ne correspondent pas aux principales musiques dominantes commercialement aujourd’hui. Ce succès culmine avec ce qui constitue probablement la reconnaissance ultime pour un artiste considéré (bien que de manière assez réductrice) rap : en effet, IGOR et CALL ME IF YOU GET LOST décrochent chacun le Grammy du meilleur album rap (respectivement en 2020 et en 2022).

Dernier album de Tyler, the Creator en date, (sorti le 28 octobre 2024), CHROMAKOPIA est assez typique du virage entamé par Tyler en 2017, que ce soit au niveau de l’alternance entre paroles provocatrices et paroles profondes, personnelles ou entre productions minimalistes atypiques et productions très travaillées et mélodieuses. Cela dit, on ne se dit pas pour autant qu’il s’agit d’un simple album de plus de sa part, tant la qualité est, une fois de plus, au rendez-vous.

 

Tyler, le créateur

Vous pensiez que ce CV impressionnant s’arrêtait ici ? C’est sous-estimer l’artiste !

En effet, Tyler est également actif dans le milieu de la mode avec ses marques Golf Wang et Golf le Fleur, reflétant des influences plus vintage, et qu’il pilote également lui-même. Contre toute attente, il réussit également à s’imposer dans ce milieu. Ces projets connaissent un succès tout aussi énorme que sa carrière musicale, au point que Tyler décroche au fil du temps des collaborations avec des marques telles que Vans, Levi’s, Converse, mais aussi Lacoste et même Louis Vuitton.

Dans le domaine de l’événementiel et plus particulièrement des festivals de musique, Tyler décide de lancer son propre festival, le Camp Flog Gnaw Carnival, qui se tient annuellement depuis 2012. Le festival a vu se produire à la fois nombre d‘artistes indépendants ou émergents, mais réussit également l’exploit d’attirer parmi les plus grandes stars du rap (telles que Drake, Kendrick Lamar, Pharrell Williams, Kid Cudi, Snoop Dogg, le regretté Mac Miller ou encore le désormais très controversé Kanye West) mais aussi d’autres genres (SZA, Billie Eilish, Lana Del Rey).

Enfin, comme si tout cela ne suffisait pas, Tyler a également été présent entre 2012 et 2014 sur le petit écran, avec Odd Future, dans leur série humoristique « Loiter Squad » sur la chaîne américaine Adult Swim.

 

Un héritage « DIY » au 21ème siècle

Tyler se démarque non seulement par son éclectisme musical (il ne se cantonne pas au rap classique) mais aussi par sa détermination à diriger son processus créatif lui-même pratiquement du début à la fin : composition, paroles, production, et même direction dans la réalisation des clips vidéo, contrairement à nombre d’autres artistes qui sont inséparables de leurs collaborateurs. Tyler, The Creator s’inscrit ainsi dans la lignée de celles et ceux parmi les artistes qui refusent de se plier aux codes traditionnels de l’industrie musicale. Il prouve qu’il est possible de réussir commercialement en gardant le plus de contrôle possible sur son art. Sa capacité à diriger tant d’aspects de sa création artistique lui donne une liberté rare, qui lui permet de prendre des risques et de rester fidèle à sa vision. Tyler est donc un artiste complet aux multiples casquettes : musicien, producteur, designer, réalisateur, acteur et entrepreneur visionnaire !

Avec CHROMAKOPIA, Tyler réaffirme une fois de plus ce statut d’artiste polyvalent et s’affirme comme un des artistes incontournables de notre époque, tout en prouvant, également, qu’il n’est pas nécessaire de sacrifier son authenticité pour connaître le succès. Il est rare pour un artiste de parvenir à rester aussi constant dans la qualité et dans l’authenticité, tant il est tentant de céder aux sirènes du mercantilisme et de favoriser ce qui est susceptible de se vendre le mieux, au détriment de ce qui correspond le plus à soi-même. Cela dit, force est de constater que Tyler semble réussir ce défi avec une facilité déconcertante !

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DJ Mehdi, le pont manquant entre rap et électro

DJ Mehdi, le pont manquant entre rap et électro

La sublime série documentaire “DJ Mehdi : Made in France” de Thibaut de Longeville, diffusée sur Arte, est probablement LE documentaire culturel français de 2024, tant l’histoire et le portait qu’il raconte sont uniques et suscitent l’admiration.

La série documentaire et son grand succès amplement mérité ont permis de braquer les projecteurs pour de bon sur DJ Mehdi, prodige musical décédé prématurément à 34 ans d’un accident domestique, et de le faire connaître ainsi que son héritage musical auprès des personnes à travers les générations qui ne l’avaient pas connu jusqu’ici. Elle immerge pleinement les téléspectateurs dans la vie, l’univers et l’évolution musicale de cet artiste, comme jamais auparavant.

Une œuvre à la fois hip-hop et électro

De son vrai nom Mehdi Favéris-Essadi, DJ Mehdi, né le 20 janvier 1977 dans une famille franco-tunisienne en banlieue parisienne, après s’être fabriqué son premier sampler puis rejoint le groupe hip-hop Idéal J (dont faisait partie notamment Kery James), commence à gagner en notoriété et rejoint le collectif Mafia K‘1 Fry (comptant notamment dans ses rangs Rohff et Rim‘K).

Après avoir été beatmaker pour nombre de rappeurs, DJ Mehdi décide par la suite de sortir des projets solo, et ses productions ne sont alors plus exclusivement hip-hop mais également beaucoup plus électro. Il ne connaît tout d’abord qu’un succès relatif, et ses anciens collègues rappeurs ne manquent pas de le charrier sans retenue concernant ce changement d’orientation. Cependant, DJ Mehdi, loin de se décourager, persiste dans cette voie et rejoint le bientôt célébrissime label électro Ed Banger, alors tout juste fondé, sur lequel viendront se rajouter notamment par la suite Justice. C’est alors que le succès revient pour DJ Mehdi, et il continuera à faire de la musique électronique jusqu’à sa mort en 2011.

L‘humain derrière l’artiste

« DJ Mehdi : Made in France » ne nous présente pas DJ Mehdi uniquement à travers son incroyable carrière, mais nous montre aussi Mehdi Favéris-Essadi, la personne. On découvre en lui un homme très sympathique, humble, les pieds sur terre, avec une ouverture d’esprit exceptionnelle. Autrement dit, l’ami que tout le monde aimerait avoir.

Mehdi nous est présenté par ceux qui l’ont fréquenté de près. De nombreuses archives le montrant en studio, en concert devant des foules en délire, en interview, complètent le portrait, tout comme les interviews des collaborateurs de DJ Mehdi et de sa famille, qui permettent également de le replacer dans son contexte familial, culturel et musical.

La puissance du documentaire

Si le documentaire a connu un tel succès, c’est bien évidemment en premier lieu en raison de l’histoire hors du commun qu’il raconte et des univers qu’il concerne, le hip-hop et l’électro, aujourd’hui tous deux très solidement installés dans le paysage musical contemporain, bien que ce ne fut pas forcément le cas à l’époque de DJ Mehdi. Et voir un artiste se déplacer du hip-hop vers l’électronique, comme l’a fait DJ Mehdi, était du jamais-vu à l’époque.

Cependant, deux aspects expliquent également le succès de « DJ Mehdi : Made in France » : la qualité du documentaire lui-même, en plus de l’histoire qu’il raconte, et la pertinence des thèmes abordés, qui ajoutent au grand impact du documentaire et le rendent pertinent pour toutes les générations. Le documentaire est d’une telle qualité et d’un tel rythme que l’on est tout de suite absorbé et captivé, comme on le serait pour un film. Ensuite, il met en valeur des thèmes comme l’importance de la famille, de l’amitié, la passion quand on se consacre avec un tel dévouement à un projet (DJ Mehdi était un vrai perfectionniste, très rigoureux et exigeant envers lui-même), ou encore la perte d’un être cher (il est difficile de ne pas se sentir révolté par l’injustice de la mort prématurée d’un artiste aussi talentueux, prometteur, mais également profondément bienveillant et fédérateur).

Au-delà du décès de DJ Mehdi, une célébration de sa vie et de son œuvre

Le documentaire rend hommage à DJ Mehdi de la plus belle des manières. Certes, sa vie a pris fin prématurément, mais une fois arrivé à la fin de la série, on n’est pas inconsolable comme on pourrait être tenté de le penser. Pourquoi ? D’abord, parce qu’on nous montre que DJ Mehdi continue à vivre parmi nous, à nous faire danser et vivre nos émotions à travers sa musique. Ensuite, parce que la quasi-totalité du documentaire célèbre sa vie, et les différents protagonistes du récit revivent lors des interviews leur joie d’avoir connu Mehdi et passé de merveilleux moments avec lui.

En ce qui concerne la postérité de l’artiste, la musique de DJ Mehdi a, à elle seule, énormément contribué à ce qui allait être le son des années 2010. En témoignent notamment les hommages d’énormément de stars de la musique (Pharrell Williams et Drake pour ne citer qu’eux !) sur Twitter après son décès.

Qualifier de documentaire cette série en six épisodes serait presque réducteur, tant on est à la fois captivé et profondément ému par ce personnage incomparable de l’histoire de la musique française (et peut-être mondiale) ? Le terme « film en 6 parties » conviendrait presque mieux. Enfin, un autre mérite du documentaire est d’être accessible à beaucoup de générations, et ses bonnes ondes hautement contagieuses permettent de faire connaître l’artiste à d’autres parties de la société française. Espérons que DJ Mehdi, auparavant, malgré tout essentiellement connu par les millenials en France, ait désormais la popularité qu’il mérite. La génération Z française a désormais fait plus largement connaissance avec lui, et continue de faire vivre ainsi son héritage près de 15 ans après sa mort.

Au cas où vous n’auriez pas encore vu le documentaire (ou plutôt le film en 6 parties), pas de panique : « DJ Mehdi : Made in France » est encore disponible sur le site et l’application Arte (et YouTube) jusqu’au 31 juillet 2027. Pour autant, inutile d’attendre trop longtemps avant de le regarder, ou plutôt de le dévorer, tant les épisodes sont hautement addictifs, et d’une durée raisonnable (une quarantaine de minutes pour la plupart).

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