Une certaine idée de l’Europe

Si la construction européenne ne « démarre » véritablement qu’après la Seconde Guerre Mondiale il faut pourtant revenir à ce qui se joue sur le Continent dans les années 1920-1930. C’est à ce moment précis que l’ensemble de la problématique européenne est exposé et qu’émerge un courant de pensée à l’influence grandissante tout au long du XXe siècle : l’européisme. A bien des égards, l’histoire de la construction européenne, loin de résumer le projet européen, est avant tout l’histoire de la victoire implacable de cette certaine idée de l’Europe.

Lorsqu’il m’a été demandé d’écrire un article sur la construction européenne, j’ai d’abord pensé à son histoire la plus immédiate, c’est-à-dire l’histoire de sa construction juridique et institutionnelle, faites de traités en directives. Mais procéder de la sorte n’aurait aucunement permis de prendre la mesure de ce qu’est véritablement l’Union européenne.

Si sa construction ne « démarre » véritablement qu’après la Seconde Guerre Mondiale il faut pourtant revenir à ce qui se joue sur le Continent dans les années 1920-1930. C’est à ce moment précis que l’ensemble de la problématique européenne est exposé, que les grandes idées se dessinent et que les positions s’arrêtent. Pour paraphraser un géant du cinéma français (Jean Gabin dans le film d’Henri Verneuil le Président), dès les Années Folles tout le monde parle de l’Europe, mais c’est dans la manière de la faire que l’on ne s’entend plus.

Le traumatisme provoqué par la Premier conflit mondial sert alors de terreau à la naissance d’un nouveau mouvement composé tout autant d’élites intellectuelles que de patrons d’industries. Ce mouvement, qui prend peu à peu le nom « d’européisme » rassemble alors écrivains, philosophes et financiers autour d’une idée bien précise : faire l’Europe passe par la dissolution progressive des Etats-nations dans un grand ensemble fédéral, couvrant l’ensemble du continent, à même de rivaliser avec la puissante Amérique et l’inquiétante Union soviétique.

D’abord minoritaire dans l’entre-deux guerres, l’idée fait son chemin dès la Seconde Guerre Mondiale, jusqu’à ce que, ayant suffisamment imprégnée les cercles de pouvoir des capitales ouest-européennes, elle trouve des hommes d’influence et des hauts-fonctionnaires prêts à pousser l’Europe sur cette voie étroite.

A bien des égards, l’histoire de la construction européenne, loin de résumer le projet européen, est avant tout l’histoire de la victoire implacable de cette certaine idée de l’Europe[1].   

Les années folles : le cheminement intellectuel de l’européisme

L’européisme figure pour la première fois sous la plume de l’écrivain Jules Romains en 1915. La conscience soudainement prise de la fragilité de la civilisation européenne et l’émergence sur la scène internationale de nouvelles grandes puissances poussent alors une partie des élites européennes à imaginer le dépassement des souverainetés nationales dans une union économique et politique. S’Unir ou mourir est d’ailleurs le titre de l’ouvrage publié par Gaston Riou, figure intellectuelle de l’européisme, en 1929.

Loin d’être structuré, ce « premier âge d’or de l’engagement européen » se caractérise par une profusion de textes, d’initiatives et d’organisations aux ambitions diverses. Si, à l’instar du député radical Emile Borel et de son Comité français de coopération européenne, certains imaginent « faire l’Europe » par une simple coopération économique entre Etats, d’autres voient plus grand. C’est le cas du comte autrichien Richard Coudenhove-Kalergi et du mouvement qu’il fonde en 1923 : Paneuropa. Coudenhove défend l’idée d’une Europe politique et économique rassemblant tous les pays du continent, à l’exclusion de la Grande-Bretagne et devant faire face au péril communiste[2].

Si nombre d’écrivains et de philosophes font profession « d’avant-gardisme » sur le sujet dans l’entre-deux guerre, ce sont bien les industriels qui sont à l’origine des programmes les plus aboutis d’union entre Etats européens. Il en va ainsi de Louis Loucheur (plusieurs fois ministres sous la IIIe République et industriel de l’armement) et du sidérurgiste luxembourgeois Emile Mayrisch, partisans d’accords de cartels et d’unification des marchés européens sur de nombreux secteurs. C’est sous leur impulsion que voit le jour en 1926 l’Entente internationale de l’acier qui fixe des quotas de production pour les sidérurgies allemande, française, belge, luxembourgeoise et sarroise. Se trouve ainsi préfigurée la future Communautés européennes du Charbon et de l’Acier (CECA) dès les années vingt.

Bien sûr quelques grands noms font figure de chefs de file de ce tout jeune courant de pensée, à l’image d’Aristide Briand, l’un des monstres sacrés de la IIIe République[3]. Celui qui fut chef du gouvernement de 1915 à 1917 se fait le porte-parole de la cause européiste à la tribune de la Société des nations (SDN) d’où il prononce, le 5 septembre 1929, l’un des grands discours du fédéralisme européen. Il y plaide alors en faveur de l’union des « peuples qui sont géographiquement groupés, comme les peuples d’Europe »[4]. Mais c’est l’éclectisme des partisans de l’européisme qui frappe au premier abord : se trouvent mélangés pêle-mêle des anarchistes, des socialistes, des conservateurs, des libéraux, des monarchistes, des chrétiens radicaux. « L’européisme a vocation à accueillir en son sein tous les « hommes de bonne volonté », dès qu’ils se montrent capables de dépasser leurs partis pris et de comprendre la justesse de cette cause supérieure »[5].

Malgré cette situation pour le moins éclectique sur le plan intellectuel, quelques traits communs se dessinent. D’ordre idéologique d’abord : une fascination pour le modèle d’organisation des Etats-Unis, une commune détestation du parlementarisme (jugé tour à tour trop faible ou trop corrompu). Une apologie de la technique et des techniciens, censés remplacer des politiques impotents. La peur du communisme. La volonté de dissoudre les Etats-nations, entités selon eux passéistes, dans un ensemble fédéral. L’intime conviction que l’économie (et notamment la création d’un marché unique européen reposant sur une union douanière et monétaire du continent) est amenée à jouer un rôle important dans la construction européenne et, enfin, la défense du pacifisme.

D’ordre social ensuite : l’européisme est avant tout une affaire d’élites intellectuelles, industrielles et financières qui se reconnaissent comme telles et qui n’ont que peu de relais parmi les classes populaires et moyennes des sociétés européennes.

Fils de leur époque, les partisans de l’européisme croient, comme les marxistes les plus orthodoxes et les libéraux, que le vent de l’Histoire souffle dans leurs dos. La naissance d’un grand Etat fédéral rassemblant les peuples européens constitue selon eux une loi naturelle, si ce n’est divine, de l’évolution des sociétés. Et le projet politique se transforme en mystique. Il en va ainsi de la profession de foi de Julien Benda. Dans son Discours à la nation européenne publié en 1933, il annonce, tel un messie, que « l’Europe sera éminemment un acte moral […] une idée religieuse : celle de la certitude d’un lendemain meilleur, d’une nouvelle parousie […] l’Europe est une idée. Elle se fera par des dévots de l’Idée, non par des hommes qui ont un foyer. Les hommes qui ont fait l’Eglise n’avaient pas d’oreiller pour reposer leur tête.[6] »

Mais survient une chose à laquelle les européistes ne s’attendaient pas : la crise de 1929 et l’échec de la Société des Nations. Sur fond de désastre économique et de déboires diplomatiques, les idéologies concurrentes, trop tôt enterrées par les européistes, refont surface : le fascisme en Italie, le communisme à l’Est, puis le nazisme en 1933, fatal coup d’arrêt à une Destinée pourtant annoncée avec ferveur et empressement.

Vient alors une période trouble pour l’européisme : l’obsession du dépassement des souverainetés nationales conduit nombre de ses partisans à faire volte-face. Aveuglés par leur mystique, ces derniers entrevoient la guerre qui menace l’Europe comme un moyen, certes non conventionnel, de faire advenir l’union fédérale tant attendue. L’ambiguïté traverse d’abord les « non-conformistes », ces intellectuels rassemblés autour d’Emmanuel Mounier et des revues Esprits et Ordre nouveau en France. Parmi ses membres se trouvent quelques militants résolument antifascistes, mais une complaisance si ce n’est une fascination pour les dictateurs italien et allemand commencent à poindre chez beaucoup d’entre eux.

La « drôle de guerre » qui se déroule de septembre 1939 à juin 1940 est alors le théâtre d’une campagne politique et intellectuelle d’une rare intensité en faveur de l’avènement d’une fédération européenne. Pire, le nazisme est considéré par quelques-uns de ces intellectuels comme une nécessité historique permettant, comme l’indique le titre de l’ouvrage de Bertrand de Jouvenel, le « réveil de l’Europe »[7].

Lorsque la défaite française est consumée et que l’Allemagne nazie triomphe, nombre de ces intellectuels  « crurent discerner dans l’entreprise hitlérienne l’accomplissement de leur ambition « Europe nouvelle […] Et cela d’autant que la propagande nazie usa et abusa de ce thème auprès de certaines élites des pays occupés qui, aveuglés par leur engagement en faveur du fédéralisme, finirent par voir dans le nazisme « l’accoucheur brutal mais salutaire d’une nouvelle étape de l’histoire du continent. L’idée que Hitler remplit un rôle « progressiste » en réalisant par les armes un espace plus large que l’Etat-nation traditionnel, a joué à fond chez des hommes portés par un espoir pan-européen. [8]»

Bien que régulièrement passé sous silence, l’activisme du régime de Vichy en faveur du fédéralisme européen est pourtant une réalité. L’idée de « Communauté européenne » est en partie le fruit des réflexions menées par des intellectuels pétainistes lors des journées d’études communautaires, du 10 au 14 avril 1943 : « L’Europe est un ensemble de nations qui pourraient réaliser une communauté. Nous voulons lui donner ses institutions et ses moyens d’existence […]. Aussi, les institutions dont il s’agit ne sont-elles viables que si les Etats constituant la communauté délèguent volontairement une part de leur souveraineté – non pas à un Etat qui exercerait une hégémonie – mais au profit d’un ordre communautaire concrétisé par des institutions fédérales »[9].

C’est cette même idée de « communauté européenne » que l’on retrouve, quelques années plus tard en 1948, lors du rassemblement des fédéralistes européens au congrès de la Haye et qui se retrouvera jusque dans la dénomination des premières institutions européennes (Communauté européenne du charbon et de l’acier, Communauté européenne de défense, Communauté économique européenne, etc…).

Loin de pouvoir uniquement se résumer à une défense effrénée de la paix comme ses partisans voudraient nous le faire croire, l’idéologie européiste est traversée, dans l’entre-deux guerres, d’ambiguïtés nombreuses si ce n’est d’erreurs manifestes et de collaborations avérées. Elle est avant tout une réponse à une question lancinante : quelle place peut désormais occuper la vieille et fragile Europe, face aux géants américain et soviétique, dans une mondialisation qui ne lui appartient plus ? Et la réponse trouvée par les européistes dans ces années 1920-1930 est toujours la même aujourd’hui : les Etats-nations doivent s’effacer au profit d’une entité fédérale (aux contours bien vagues), seule à même de rivaliser avec le puissant allié américain et l’inquiétante Russie. Qu’importe si les nations résistent, qu’importe si les peuples n’adhèrent pas aux desseins de ces élites intellectuelles et financières. Qu’importe même si ces élites se trompent et se compromettent avec l’un des pires criminels de l’histoire du XXe siècle. Il faut que l’Europe fédérale advienne, irréversiblement.          

 

Rome 1957 : la consécration d’une méthode au service du projet européiste

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale il n’est plus temps pour l’européisme de penser l’Europe fédérale, il s’agit de la faire. Par l’économie et par le droit plutôt que par la culture. Le marchand et le juriste prennent le pas sur l’intellectuel. Un homme incarne tout particulièrement l’esprit européiste après 1945 : Jean Monnet. Ce fédéraliste convaincu a d’ailleurs une stratégie redoutable pour dissoudre peu à peu les souverainetés nationales dans le projet européiste : la stratégie de l’engrenage.

Face à l’échec de la Communauté européenne de défense (CED) et de la Communauté politique européenne en 1954, Jean Monnet comprend qu’on ne peut venir à bout des nations et des Etats aussi facilement. Il faut donc les contourner, créer des « solidarités de faits » comme l’invite l’esprit de la déclaration Schuman de 1950 ; les rendre dépendantes économiquement et finalement déguiser les grandes orientations politiques en de banales décisions techniques. La Communauté européenne du charbon et de l’Acier (CECA) et Euratom en sont les fruits.

C’est cette même méthode « Monnet » qui est utilisée pour qu’advienne la ratification, le 25 mars 1957, du traité de Rome instituant une Communauté économique européenne (CEE) entre la République fédérale d’Allemagne (RFA), la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie et le Luxembourg. L’article 2 dudit traité indique qu’il s’agit « par l’établissement d’un marché commun et par le rapprochement progressif des politiques économiques des Etats-membres, de promouvoir un développement harmonieux des activités économiques dans l’ensemble de la Communauté… ». La mise en commun concerne également la politique agricole (la fameuse PAC), la politique des transports, la politique commerciale et les tarifs douaniers.

Au-delà des fins poursuivis, le traité de Rome est considéré comme « fondateur » car il fait naître les institutions qui, encore de nos jours, ont la responsabilité de la mise en œuvre des politiques européennes : un Parlement représentant les peuples à travers leurs élus, un Conseil composé des exécutifs des Etats-membres, une Commission « d’experts » censée représenter les intérêts communs de la CEE et une Cour de justice des communautés européennes (CJCE).

La principale originalité de ce traité est d’ailleurs de concentrer l’initiative législative dans les mains d’une Commission européenne qui ne tire sa légitimité d’aucune élection démocratique. Pourtant c’est bien elle qui élabore de son propre chef des directives (que le Conseil doit adopter et que les Etats doivent retranscrire dans leur droit national) et des règlements (qui s’appliquent directement dans le droit des Etats-membres).

Mais dès la fin des années 1950 le tournant pris par cette construction européenne est loin de faire l’unanimité. Sur la scène politique française deux figures politiques de premier plan s’opposent très tôt à cet européisme qui avance masqué : Pierre Mendès France et le général de Gaulle.

Lors des débats parlementaires sur le traité de Rome, Mendès-France prononce un discours prophétique à l’Assemblée nationale sur les dangers que recèle le projet de marché commun. « Mes chers collègues, il m’est arrivé souvent de recommander plus de rigueur dans notre gestion économique. Mais je ne suis pas résigné, je vous l’avoue, à en faire juge un aréopage européen dans lequel règne un esprit qui est loin d’être le nôtre. Sur ce point, je mets le gouvernement en garde : nous ne pouvons pas nous laisser dépouiller de notre liberté de décision dans des matières qui touchent d’aussi près notre conception même du progrès et de la justice sociale ; les suites peuvent en être trop graves du point de vue social comme du point de vue politique. Prenons-y bien garde aussi : le mécanisme une fois mis en marche, nous ne pourrons plus l’arrêter […] L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique »[10].

Deux ans plus tard, en 1959, le général de Gaulle, revenu à la tête de l’Etat, s’oppose aux velléités de transfert de pans entiers de souveraineté vers la Communauté économique européenne. A l’été 1960, il s’entretient avec ses homologues européens et obtient la création en 1961 d’une commission (la commission Fouchet, du nom du gaulliste qui la préside, Christian Fouchet) en charge de renforcer l’union politique des six états signataires du traité de Rome. Mais les divergences entre les Etats-membres sont trop nombreuses et les négociations se soldent par un échec.

A la tête de la Commission européenne, le chrétien-démocrate allemand Walter Hallstein est contraint d’imaginer de nouvelles voies pour l’idéal européiste. Puisque les Etats-nations résistent et que l’union politique ne se fera pas de sitôt c’est désormais par l’union juridique que le fédéralisme passera. Porté à la tête de la Commission par le chancelier Conrad Adenauer et son conseiller économique Wilhem Röpke, Walter Hallstein est un juriste de formation, radicalement anti-communiste et fondamentalement convaincu que l’ordre juridique européen doit avoir la primauté sur les ordres nationaux. En d’autres termes que la loi, pourtant reconnue en France par l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789 comme l’expression de la volonté générale doit désormais se soumettre aux pouvoirs des juges européen[11].  

Afin de défendre cette idée pour le moins discutable du point de vue de la démocratie, la Commission européenne s’active dès octobre 1961 afin de soutenir financièrement la naissance de la Fédération internationale pour le droit européen (FIDE). Cette fédération a vocation à réunir les juristes les plus influents des différents Etats-membres afin de faire la promotion du fédéralisme juridique défendu par Walter Hallstein. « Au sein de la FIDE, une position de principe se construit rapidement et se diffuse de réunion en colloque : non seulement le droit communautaire doit primer, mais n’importe quel citoyen, association ou entreprise doit pouvoir saisir la Cour compétente pour faire appliquer cette primauté »[12].

Loin d’être un vœu pieux, la possibilité pour tout ressortissant de la CEE de saisir la Cour de justice des communauté européennes (future CJUE) pour statuer sur l’application de disposition du Traité de Rome devient réalité dès 1963. Dans son arrêt Van Gend Loos, la CJCE estime effectivement que « la Communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international, au profit duquel les Etats ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains »[13]. Au-delà de la possibilité de saisine par les ressortissants, l’arrêt reconnaît officiellement que le libre-échange inscrit à l’article 12 du traité de Rome s’impose à chaque Etat-membre.

Si la décision de la Cour concerne uniquement cet article, la FIDE et la Commission européenne exagèrent à dessein la portée de l’arrêt Van Gend Loos et communiquent massivement autour de l’idée que désormais le droit européen prime sur le droit national.

A peine un an plus tard, la CJCE est de nouveau saisie. Cette fois-ci l’affaire concerne un citoyen italien, actionnaire d’une compagnie privée d’électricité, qui conteste le projet de nationalisation du secteur. Si la CJCE ne se prononce pas quant au bienfondé de la politique énergétique menée par le gouvernement italien elle précise en revanche  qu’« à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la CEE a institué un ordre juridique propre intégré au système juridique des Etats-membres » et que « le droit du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit sans perdre son caractère communautaire ». L’arrêt Costa contre Enel marque un tournant, celui de la limitation définitive, aux yeux des juges européens, des droits souverains des Etats-membres qui, désormais, ne peuvent plus se prévaloir d’un acte unilatéral postérieur pour y déroger.   

Rassérénés par leurs succès juridiques, les européiste tentent une nouvelle fois de forcer la main aux Etats-membres et d’orienter définitivement la construction européenne dans un sens fédéraliste. Est proposée l’extension de la PAC et, surtout, la fin du vote à l’unanimité au sein du Conseil européen au profit d’un vote à la majorité. En total désaccord avec ces deux mesures, le général de Gaulle pratique dès juin 1965 la politique de la « chaise vide ». Politique dont l’efficacité s’avère redoutable : pendant plusieurs mois le fonctionnement de la communauté européenne est bloqué. Une issue à la crise est trouvée en janvier 1966 avec le « compromis de Luxembourg ». Le processus de décision à l’unanimité des Etats-membres est maintenu pour « les votes importants » ; renvoyant du même coup les européistes à leurs chimères.

Reste que la mise en garde de Pierre-Mendès France n’a pas été écoutée. La délégation des pouvoirs démocratiques « à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique » devient peu à peu une réalité. Le projet européiste se fond quant à lui dans le moule de la mondialisation financière.

Acte unique, Maastricht, TCE : le projet européiste au service de la mondialisation financière

              Vingt ans plus tard, la stratégie de l’engrenage revient, trouvant en la personne de Jacques Delors une incarnation plus que parfaite. Héritier revendiqué de Jean Monnet, ce « socialiste », séduit par le libéralisme économique anglo-saxon, et proche de François Mitterrand, prépare dès 1985 la signature (qui se fera un an plus tard) de l’Acte unique.

Unique, cet acte l’est autant par la symbolique qu’il revêt que par les conséquences qui seront les siennes. Loin de représenter une victoire politique pour la gauche désormais au pouvoir il incarne le renoncement de ceux qui souhaitaient, cinq ans auparavant, changer la vie. Dans ce « nouveau traité fondateur », la règle de l’unanimité au Conseil européen est abolie au profit du vote à la majorité qualifiée et le néolibéralisme est inscrit dans la chaire de la construction européenne : 300 directives sont prises afin de libéraliser les économies européennes ; la liberté de circulation des biens, des services, des personnes et, surtout, des capitaux est sanctuarisée pour que s’épanouisse enfin le grand marché européen[14].  

Entre la construction d’une société socialiste et la conversion au néolibéralisme au nom de l’idéal européiste, François Mitterrand a choisi. Loin d’avoir été contraint, comme une certaine mythologie voudrait nous le faire croire, le « paris pascalien » du Sphinx est un choix souverain.  L’expérience socialiste de 1981-1983, stoppée nette, est tout de suite remplacée par la mise en œuvre de la « voie française » de la mondialisation financière.

Car si les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne ou encore le Japon ont commencé à libéraliser leurs marchés de capitaux dès le début des années 1980, la mondialisation financière doit, selon eux, se réaliser au « coup par coup ». Une conception que les Français Jacques Delors (à la tête de la Commission européenne dès janvier 1985), Henri Chavranski (président du comité de l’OCDE chargé de surveiller l’application du Code de libéralisation des mouvements de capitaux de 1982 à 1994) et Michel Camdessus (directeur général du FMI de 1987 à 2000) ne partagent pas. Si mondialisation financière il y a, celle-ci doit prendre la forme d’un « grand saut libéral ».

Tous s’appliquent alors dans leurs institutions respectives à réécrire les textes qui permettaient autrefois aux Etats de contrôler les capitaux. Et si la proposition d’amendement des Statuts du FMI échoue au milieu des années 1990, la libéralisation au sein de la Communauté européenne et l’OCDE (70% à 80% des transactions de capitaux concernent à l’époque les pays membres de ces deux institutions) est si importante que la mondialisation financière peut se poursuivre sans heurt[15].

La parfaite mobilité des capitaux à l’intérieur et à l’extérieur du marché européen est en effet l’une des conditions posées par le chancelier Helmut Kohl pour qu’advienne l’union monétaire tant voulue par François Mitterrand. Un marchandage qu’Aquilino Morelle résume par une formule limpide « le libéralisme financier contre l’euro ». De sorte que ce n’est pas un prétendu consensus de Washington qui est à l’origine de la mondialisation financière telle qu’on la connaît actuellement mais bien le « consensus de Paris ». Et ce ne sont pas l’Américain Ronald Reagan et la Britannique Margareth Tatcher qui en sont les principaux acteurs, mais bien les Français Jacques Delors, Henri Chavranski et Michel Camdessus. François Mitterrand jouant le rôle de metteur en scène génial.

Il reste néanmoins au président de la République française un dernier acte à mettre en scène pour que la pièce soit parfaite et que la France n’ait plus la possibilité de retenter l’expérience socialiste : soumettre définitive-ment l’ordre juridique national à l’ordre communautaire. Au piège économique s’ajoute donc le piège du droit. Et c’est le traité de Maastricht qui en sera l’instrument.

Il faut néanmoins avouer que les juges français ont grandement facilité la tâche à François Mitterrand. En 1989, une « révolution juridique » a lieu au conseil d’Etat. D’abord en février, avec la décision Alitalia, puis en octobre avec la décision Nicolo. Lors du premier jugement, le Conseil d’Etat estime qu’il revient à l’administration de « ne pas appliquer et d’abroger les actes réglementaires contraires aux objectifs d’une directive ». Lors du second, le juge administratif s’octroie la possibilité de contrôler la compatibilité d’une loi nationale avec les traités européens, y compris quand la loi leur est postérieure. Il reconnaît dès lors, à l’instar du juge européen, la primauté du droit communautaire sur le droit national – en d’autres termes, sa soumission.[16]. Le rêve de l’ancien commissaire allemand Walter Hallstein devient réalité.

Le caractère éminemment politique de la décision du conseil d’Etat en octobre 1989 n’échappe d’ailleurs à personne. Marceau Long vice-Président de l’institution, dont les idéaux européistes sont connus, reçoit une lettre du Premier ministre de l’époque, Michel Rocard, reconnaissant « l’importance pour l’Europe de votre décision historique, symbole le plus tangible de l’engagement de la France dans la construction de l’Europe, sentiments amicalement dévoués »[17].

François Mitterrand dispose alors de toute latitude pour entériner la soumission à l’ordre juridique communautaire dans le texte suprême du droit national. Le traité de Maastricht est signé le 7 février 1992. Le 25 juin de la même année, la loi constitutionnelle n° 92-554 ajoute à la Constitution de la Ve République un nouveau titre « Des communautés européennes et de l’Union européenne »[18]. Désormais, les choix démocratiques, notamment en matière économiques, ne sont valables que dans la mesure où ils respectent le cadre fixé par les commissaires et les juges européens.

Comme en 1957 quelques voix s’élèvent pour dénoncer le rapt de la souveraineté nationale et populaire. A gauche Jean-Pierre Chevènement affirme que « désormais ce n’est plus tout à fait le système républicain » qui prévaut en France. Mais c’est de la droite que viendra la manifestation la plus éclatante du caractère fondamentalement anti-démocratique et anti-populaire du Traité de Maastricht. 

Dans la nuit du 5 mai 1992, au moment du vote sur la révision constitutionnelle nécessaire à la mise en œuvre du traité, le député RPR des Vosges, et ancien ministre des Affaires sociales et de l’emploi, Philippe Seguin prononce un discours qui fera date. Dans la droite ligne de Pierre Mendès-France et du général de Gaulle, le tribun s’oppose à la volonté gouvernementale non seulement sur le fond mais également sur la forme : une révision constitutionnelle aux conséquences aussi importantes ne peut pas avoir lieu sans consultation du peuple. Un référendum est nécessaire. L’idéal européiste qui sous-tend par ailleurs le traité, et qui remet entre les mains des experts et des juges l’ensemble des instruments de la politique économique du pays, est contraire à l’histoire républicaine de la France, est contraire à la conception de la nation qui prévaut depuis 1789.

« Voilà trente-cinq ans que toute une oligarchie d’experts, de juges, de fonctionnaires, de gouvernants prend, au nom des peuples, sans en avoir reçu mandat des décisions dont une formidable conspiration du silence dissimule les enjeux et minimise les conséquences. […] que l’on ne s’y trompe pas la logique du processus de l’engrenage économique et politique mis au point à Maastricht est celle d’un fédéralisme au rabais fondamentalement anti-démocratique, faussement libéral et résolument technocratique, L’Europe qu’on nous propose n’est ni libre, ni juste, ni efficace. Elle enterre la conception de la souveraineté nationale et les grands principes issus de la Révolution : 1992 est littéralement l’anti-1789. […] Quand, du fait de l’application des accords de Maastricht, notamment en ce qui concerne la monnaie unique, le coût de la dénonciation sera devenu exorbitant, le piège sera refermé et, demain, aucune majorité parlementaire, quelles que soient les circonstances, ne pourra raisonnablement revenir sur ce qui aura été fait.[19] »

Dans son vibrant plaidoyer, le député RPR souligne à juste titre tout ce que le traité de Maastricht implique en matière de choix économique. Est sanctuarisée dans le texte une approche résolument « monétariste » des économies européennes, synonyme de « taux d’intérêts réels élevés, donc de frein à l’investissement et à l’emploi et d’austérité salariale ».

Après un discours magistral de plus de deux heures, Philippe Seguin apparaît dans la salle des Quatre-Colonnes du Palais-Bourbon, triomphant : 101 députés ont voté l’exception d’irrecevabilité. Parmi eux la moitié du groupe RPR, l’ensemble des communistes trois UDF et cinq socialistes dont Jean-Pierre Chevènement. Il faudra alors tout le poids politique de François Mitterrand pour que le peuple français ratifie le traité de justesse (51,04% des voix), le 20 septembre 1992.  

A la suite de Maastricht, l’européisme et ses partisans bénéficient encore d’une vingtaine d’années de conquêtes politiques et économiques. Obsédés par l’idée de couvrir l’ensemble du continent, ils militent activement pour l’intégration des pays d’Europe de l’Est. En 2004, l’Union européenne s’élargit encore et compte 25 membres.

Un an plus tard, « le grand saut fédéral » est tenté : la constitutionnalisation de l’Union à travers le Traité constitutionnel européen (TCE). Essayant tant bien que mal de cacher les conséquences politiques du traité sous des considérations techniques, les partisans du « Oui » au référendum répètent à longueur de journaux télévisés qu’il s’agit uniquement de « simplifier » le fonctionnement administratif et politique de l’Union européenne. Les enjeux sont bien évidemment beaucoup plus importants. Sont inscrits dans le texte : l’interdiction de toute restriction de mouvements de capitaux, l’indépendance de la Banque centrale, le refus de l’harmonisation sociale. « Inédite hiérarchie des normes, en effet, que celle d’un texte qui place la concurrence, l’économie et la finance au poste de commandement, alors que la Constitution française, dans son article premier, dispose que la République « est indivisible, laïque, démocratique et sociale »[20].

L’intense campagne menée par les opposants au traité s’avère néanmoins payante : le TCE est rejeté par les Français le 29 mai 2005 à 54,67%. Deux jours plus tard, ce sont les Néerlandais qui le rejettent également par référendum (62%). Pourtant, le 8 mars 2008, le président de la République française nouvellement élu, Nicolas Sarkozy, bafoue ouvertement la souveraineté populaire et fait ratifier par le Parlement un traité de Lisbonne qui reprend la majorité des éléments du TCE.

A la faveur de la crise financière de 2007-2008, une nouvelle « gouvernance économique » est mise en place, confirmant une nouvelle fois les orientations économiques orthodoxes de l’Union. En 2012, l’Union européenne met en place le Mécanisme européen de stabilité (MES), sorte de « fonds monétaire » visant à protéger les banques du risque de défauts des Etats-membres et impose un Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) entérinant le tournant austéritaire de l’UE. François Hollande candidat à la présidence de la République, fait alors la promesse de renégocier le traité. François Hollande, président de la République, n’en bouge pas une ligne.

Depuis 2008, les illusions perdues de l’européisme : le décrochage européen et le choc des souverainetés

Mais la machine européiste semble se gripper peu à peu. L’illusion démocratique a fait long feu. Le « Non » au TCE exprimé en 2005 et son non-respect a cristallisé dans la mémoire de nombreux Français l’image d’une construction européenne exclusivement technocratique. Le sort réservé à la Grèce marque quant à lui durablement les esprits. Sa soumission dès 2010 à une « purge sociale » dans le seul but de préserver des intérêts financiers « qui avaient pourtant eux-mêmes déclenché la crise[21] », s’est doublée d’une humiliation démocratique par la Commission européenne et la BCE : Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission, proclame solennellement « qu’il ne peut y avoir de choix démocratiques en dehors des traités européens ». A l’été 2015, la coalition de gauche Syriza nouvellement élue est obligée de plier face à la pression bancaire exercée par la Banque centrale européenne. Un an plus tard, les Britanniques votent en faveur de la sortie de l’Union européenne. Depuis lors, l’Union européenne est loin de connaître la ferveur populaire.

L’illusion économique et monétaire s’est également dissipée. La BCE reconnaît officiellement en décembre 2017 qu’au bout de dix-huit ans (1999-2016) la convergence économique entre les onze pays fondateurs de l’euro est particulièrement faible. Elle admet également que la mise en œuvre d’une monnaie unique a creusé les écarts de richesse existants pour des pays comme l’Espagne, la Grèce ou encore l’Italie (seuls les pays de l’Est en ont quelque peu profité). Mieux, elle convient que les Etats-membres ayant refusé l’euro (Suède, Bulgarie, Hongrie, Tchéquie, Croatie, Pologne, Roumanie, Danemark) enregistrent de meilleures performances économiques que les Etats l’ayant adopté.

On aurait pu croire d’ailleurs que la crise du Covid-19 aurait définitivement raison de l’orthodoxie des traités européens. Suite à un accord franco-allemand, le 21 juillet 2020, le Conseil européen adopte un plan de relance qualifié « d’historique » de 750 milliards d’euros, baptisée Next Generation EU. La BCE lance un programme massif de rachats de dette et les ministres des finances des Etats-membres décident de suspendre les règles budgétaires en vigueur (les fameux 3% de déficit et 60% de dettes publiques) pour permettre la mise en œuvre de plans de relance nationaux.

C’était sans compter l’obstination de la Commission européenne qui annonce dans ses orientations budgétaires 2024 un retour de la rigueur et engagent les Etats-membres à réduire rapidement leurs déficits. Dans la foulée sont annoncées des réductions de budgets en France et en Allemagne (respectivement de 10 et 17 milliards d’euros) et un plan de privatisation en Italie (de 20 milliards d’euros). Par ces orientations économiques qui confinent à l’absurde est entériné ce qui semble bien être le décrochage économique et technologique du Vieux Continent face à la Chine et aux Etats-Unis

Alors que l’UE s’enferme dans son orthodoxie, Joe Biden annonce quant à lui des plans de soutien massif à l’industrie américaine (l’Inflation Reduction Act) et aux entreprises de la tech (Chips and Science Act). Le second, à hauteur de 280 milliards de dollars (52,7 milliards pour les semi-conducteurs) vise notamment à répondre à l’ascension chinoise en matière de nouvelles technologies et technologies critiques. Washington a pris la mesure du leadership de l’empire du milieu dans un certains nombres de technologies utilisées dans des secteurs comme la 5G, les batteries, les missiles hypersoniques, l’énergie solaire et éolienne.

Rien de tel du côté européen. La dépendance de pays de l’UE vis-à-vis de la Chine sur certaines infrastructures est, à bien des égards, alarmante : 100 % du réseau RAN 5G de Chypre est composé d’équipements chinois, le chiffre est de 59 % pour l’Allemagne. Tout au plus la Commission européenne a timidement élaboré en janvier 2024 un plan de renforcement de la sécurité économique de l’UE face à l’influence grandissante de la Chine dans les économies des Etats membres.

Malgré les déclarations de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, qui entendait être à la tête d’une « Commission géopolitique » l’illusion s’est, dans ce domaine, heurtée plus d’une fois au mur de la force brut et des divergences d’intérêts entre Etats-membres. La dépendance militaire de l’UE vis-à-vis de l’OTAN, et énergétique vis-à-vis de la Russie, se sont révélées dès les premiers jours de l’agression de l’Ukraine par Poutine. Et l’unité européenne contre le Kremlin cache de multiples divergences quant à la forme et à l’intensité du soutien à apporter à Kiev. Pour preuve l’opposition de nombreux dirigeants européens (dont le chancelier allemand) à la possibilité envisagée par Emmanuel Macron d’envoyer des troupes en Ukraine.

Les équilibres géopolitiques au sein de l’Union demeurent par ailleurs instables. La Pologne, autrefois sous le coup de sanctions financières pour ses manquements à l’Etat de droit, est désormais considérée comme l’un des fers de lance du soutien militaire à l’Ukraine. L’Allemagne, quant à elle, première économie du continent, auparavant si réticente à l’idée même de puissance, redevient un acteur géopolitique de premier plan : « 100 milliards d’euros sur la table destinés à bâtir la première armée conventionnelle du continent, à prendre la tête du pilier européen de l’OTAN  […] et à déployer une stratégie qui fait basculer le centre de gravité de l’Europe vers l’est. Sur le plan économique comme sur le plan militaire, l’Allemagne met tout en œuvre pour créer une zone d’influence pangermanique qui marginalise, voire exclut, la péninsule européenne (France, Espagne, Portugal, Italie du Sud »[22]. Loin d’avoir été abandonné outre-Rhin, le principe de la souveraineté du peuple allemand y compris sur la politique économique (et l’absence de « peuple européen » et de « souveraineté européenne ») est d’ailleurs régulièrement rappelé par les juges de la Cour de Karlsruhe (l’équivalent de notre Conseil constitutionnel en France).

            Un dicton « populaire » voudrait que « l’Europe avance dans les crises ». Pour le moment force est de constater qu’elle n’avance pas, elle s’obstine. Les arguments économiques et politiques proférées par les dirigeants de cette union sont les mêmes que ceux utilisés dans les années 1920-1930, l’audace intellectuelle en moins. L’européisme, qui se voulait une façon de répondre à la perte d’hégémonie des nations européennes face aux géants américain et russe (et désormais chinois) en proposant une « troisième voie » semble avoir échoué et s’être coulée dans le moule de la mondialisation financière. Pire, la voilà technologiquement dépendante de la Chine, militairement des Etats-Unis et énergétiquement de la Russie.

Pour qui ne souhaite pas que l’Europe, et les nations qui la composent sortent définitivement de « l’Histoire », rompre avec l’européisme, et par conséquent l’illusion fédéraliste, est une nécessité.

Car loin de résumer l’ambition de coopération entre les peuples européens, l’européisme n’est qu’une façon parmi tant d’autres de concevoir l’histoire et le destin de notre continent. Aux politiques revient la responsabilité de démontrer que l’Europe n’est pas morte et qu’elle peut prendre d’autres chemins afin de répondre aux enjeux, à bien des égards terribles, du XXIe siècle.

Références

[1] Une certaine idée de l’Europe est également le nom d’un petit essai de Georges Steiner reprenant les principaux éléments d’une conférence donnée à l’Institut Nexus.

[2] Paneuropa connaît un succès certain et son premier congrès en 1926 rassemble une partie importante des élites intellectuelles, politiques et industrielles du Continent.

[3] Aristide Briand initie, dès 1924 une politiquement d’apaisement vis-à-vis de l’Allemagne à travers le plan Dawes et signe un an plus tard avec le ministre des Affaires étrangères d’outre-Rhin Gustav Stresmann, les accords de Loccarno.

[4] Aristide Briand initie, dès 1924 une politiquement d’apaisement vis-à-vis de l’Allemagne à travers le plan Dawes et signe un an plus tard avec le ministre des Affaires étrangères d’outre-Rhin Gustav Stresmann, les accords de Loccarno. Néanmoins, certains s’interrogent sur les convictions réelles de Briand. Sous couvert de promotion de l’européisme, l’ancien chef du gouvernement ne chercherait qu’à pérenniser les frontières orientales de l’Allemagne. Briand précise d’ailleurs à la fin de son discours que l’association ainsi créée ne touchera en rien à la souveraineté des nations.

[5] Aquilino Morelle, L’Opium des élites, éditions Grasset, 2021, p.200

[6] Cité par Aquilino Morelle dans l’Opium des élites, p.199

[7] On voit donc qu’en matière de slogan de campagne certains auraient pu se tourner vers des formules historiquement moins marquées.

[8] Aquilino Morelle, L’Opium des élites, éditions Grasset, 2021, p.202

[9] Cité par Aquilino Morelle dans l’Opium des élites, p.210

[10] https://blogs.mediapart.fr/danyves/blog/250317/discours-de-pierre-mendes-france-contre-le-traite-de-rome-le-18-janvier-1957

[11] Dans un texte pour la fondation Res publica, Jean-Eric Shoettl parle de « souveraineté juridiquement mutilée » :  « en raison de la dépossession sérieuse et continue des pouvoirs appartenant au législateur, pourtant seul dépositaire selon la Constitution de l’exercice du pouvoir législatif. Une Commission Européenne, un Conseil Européen et cinq Cours suprêmes (Conseil Constitutionnel, Cour Européenne des Droits de l’Homme, Cour de Justice de l’Union Européenne, Conseil d’État, Cour de Cassation) fabriquent à jet continu des décisions rivalisant de zèle pour écarter nos lois, relativiser leur application, interdire tout ou partie de leur contenu et inventer toutes sortes de règles afin de les rendre caduques. Écrire la loi et par conséquent prendre des décisions en toute indépendance est devenu un travail de slalomeur serré entre les bâtons hérissés d’interdits illisibles, imperfectibles, instables et parfaitement illégitimes. » https://fondation-res-publica.org/2024/04/04/europe-et-souverainete-nationale-ou-en-est-on-que-faudrait-il-faire/

[12] La gauche à l’épreuve de l’Union européenne, Collectif « Chapitre 2 », 2019, p.35

[13] Arrêt Van Gend Loos, 5 février 1963

[14] La directive entérinant la liberté de circulation des capitaux est signée en juin 1988.

[15] Voir à ce sujet l’article de Rawi Abdelal, Le consensus de Paris : la France et les règles de la finance mondiale (Critique internationale, no. 28 (juillet/septembre 2005)

[16] La primauté des règlements européens sur la loi nationale est quant à elle actée en septembre 1990 CE, 24 septembre 1990, M.X. n°58 657

[17]  https://fondation-res-publica.org/2024/04/04/europe-et-souverainete-nationale-ou-en-est-on-que-faudrait-il-faire/?utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_source_platform=mailpoet&utm_campaign=colloque-sur-la-formation-des-elites-organise-par-la-fondation-res-publica-le-mardi-20-juin-de-18h-a-21h-a-la-maison-de-la-chimie-3

[18] L’article 88-1 dispose que « La République participe aux Communautés européennes et à l’Union européenne, constituées d’Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d’exercer en commun certaines de leurs compétences ». L’article 88-2 dispose que « Sous réserve de réciprocité, et selon les modalités prévues par le Traité sur l’Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l’établissement de l’union économique et monétaire européenne ainsi qu’à la détermination des règles relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats membres de la Communauté européenne ».

[19] […] Enfin, et je souhaite insister sur ce point, la normalisation de la politique économique française implique à très court terme la révision à la baisse de notre système de protection sociale, qui va rapidement se révéler un obstacle rédhibitoire, tant pour l’harmonisation que pour la fameuse « convergence » des économies. Que la crise de notre État providence appelle de profondes réformes, je serai le dernier à le contester. Que cette modernisation, faute de courage politique, soit imposée par les institutions communautaires, voilà qui me semble à la fois inquiétant et riche de désillusions pour notre pays. Il suffit d’ailleurs de penser à cette « Europe sociale » qu’on nous promet et dont le Président de la République, lui-même, inquiet, semble-t-il, des conséquences de la monnaie unique, cherchait à nous convaincre, à l’aurore de ce 1er mai 1992, qu’elle aurait un contenu, qu’elle nous assurerait un monde meilleur. Hélas, quand on lit les accords de Maastricht, on ne voit pas très bien où est le progrès social ! »

[20] https://www.monde-diplomatique.fr/2005/05/CASSEN/12227

[21] La gauche à l’épreuve de l’Union européenne, Collectif « Chapitre 2 », 2019, p.83

[22] Pascal Lorot, Le choc des souverainetés, Débats publics, 2023, p.155.

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