Intelligence artificielle et open data : les initiatives innovantes d’Anticor pour lutter contre la corruption

Fondée sur les principes de transparence, d’intégrité et de justice, Anticor est une associa-tion française qui se positionne en première ligne de la lutte contre la corruption. Créée avec la volonté de promouvoir une gouvernance publique éthique, Anticor adopte des ap-proches innovantes pour déceler et prévenir les pratiques corrompues. Utilisant les leviers de l’intelligence artificielle et de l’open data, l’association s’engage dans le développement de deux projets ambitieux visant à améliorer la transparence et à faciliter la détection de fraudes dans la gestion des affaires publiques.

Lopen data utilisée comme levier de transparence

Le premier projet d’Anticor s’attaque à l’enjeu de la transparence dans l’obtention des subventions et des marchés publics, exploitant stratégiquement la loi votée en 2016 pour favoriser notamment l’open data. Cette législation représente une avancée significative en matière de transparence administrative en France, en rendant obligatoire pour les collectivités territoriales de plus de 3 500 habitants et employant plus de 50 agents la publication de leurs données d’intérêt général. L’objectif principal est d’accroître la transparence et de favoriser l’engagement citoyen ainsi que l’innovation à travers l’utilisation de données publiques ouvertes et réutilisables.

En se basant sur cette loi, Anticor a initié un vaste projet d’extraction et d’analyse de données concernant les subventions et marchés publics depuis l’été 2020. Avec l’appui de trois data scientists[1] et d’une dizaine de bénévoles de l’association, Anticor s’apprête à lancer un site présentant les fruits de cette analyse. « Cette plateforme vise à instaurer dans un futur proche un véritable observatoire citoyen pour l’évaluation des politiques publiques, incarnant une démarche proactive en faveur de la transparence et de la lutte contre la corruption », précise Elise Van Beneden, présidente de l’association anticorruption.

Cependant, l’harmonisation des données provenant de la Plateforme ouverte des données publiques françaises[2], sur laquelle repose le travail de l’équipe projet, constitue un défi majeur. Ce défi met en relief l’impératif de mettre en place des normes et d’effectuer des améliorations significatives concernant la qualité et la facilité d’accès des données publiques.

À ce sujet, Elise Van Beneden, souligne l’importance de ce travail de fond : « confronter la diversité et parfois la complexité des formats de données à notre objectif de transparence et d’analyse approfondie est comparable à l’assemblage d’un puzzle aux pièces multiples et variées. Notre but est de créer une mosaïque cohérente et accessible, permettant à chaque citoyen d’appréhender clairement les actions menées. Cela nécessite un effort concerté non seulement de notre part mais aussi de celle des autorités en charge de la mise à disposition de ces données. Nous appelons donc à un partenariat renforcé avec les institutions publiques pour établir des normes qui faciliteront l’accès et l’exploitation des données au service de la démocratie. »

Malgré ces obstacles, l’engagement de l’association illustre bien le rôle actif d’Anticor dans la promotion d’un accès transparent et ouvert aux informations publiques, affirmant l’importance de l’open data comme fondement de la démocratie participative et un outil essentiel dans la prévention et la lutte contre la corruption.

 

Détection de fraudes dans les marchés publics grâce à l’intelligence artificielle

Le deuxième projet, mené en collaboration avec l’École normale supérieure (ENS) de Rennes et sa clinique juridique, vise à utiliser l’intelligence artificielle pour analyser en profondeur les marchés publics et détecter d’éventuelles fraudes. Grâce au département informatique de l’ENS, quatre étudiants développent des algorithmes capables d’identifier des anomalies telles que le recours excessif à un même prestataire ou des prix anormalement élevés ou bas. Ils sont aidés dans leur mission par quatre étudiants juristes, une membre de l’association Anticor et Julien Perez, enseignant-chercheur à l’EPITA, l’école d’ingénieurs spécialisée en intelligence informatique, et expert dans les domaines de l’intelligence artificielle, du deep learning[3], ainsi que du traitement automatique du langage naturel (TALN)[4].

Leurs efforts s’appuient sur l’extraction de données et leur filtration pour isoler les irrégularités, avec une perspective d’intégration juridique pour valider les cas de fraude identifiés. Les étudiants travaillent ainsi à la création d’une interface qui simplifie l’interrogation des données, rendant ainsi plus aisées la recherche et l’amélioration continues des méthodes employées.

« Chaque jour, nous sommes confrontés à l’attribution de 800 marchés publics, ce qui représente une quantité considérable de données à traiter. Le premier défi consiste à identifier précisément ce que nous recherchons et comment détecter les fraudes, en définissant clairement la jurisprudence applicable. Ensuite, il s’agit de localiser ces données, notre recherche s’appuyant sur la plateforme « Dune », régulièrement consultée pour ces informations. Les données, exprimées en langage naturel, nécessitent l’usage de modèles avancés de traitement du langage pour repérer les situations frauduleuses ou anormales dans ces vastes jeux de données. Notre approche comprend aussi leur mise en relation avec une connaissance approfondie du droit, ce qui nous permet d’adopter une méthodologie systématique dans l’analyse des marchés et d’améliorer notre efficacité. Nous sommes en outre vigilants aux divers biais pouvant apparaître, qu’ils soient relatifs ou absolus, ou encore liés au saucissonnage des marchés, où les contrats sont fractionnés en lots plus petits pour contourner les seuils de procédures formelles. Ces défis nous motivent à peaufiner continuellement nos méthodes et outils d’analyse pour combattre efficacement la fraude », explique Julien Perez. « Cette collaboration entre informaticiens, juristes, et experts en lutte contre la corruption incarne une approche multidisciplinaire indispensable à la réussite de notre projet », conclut-il.

 

Renforcer l’accès aux informations publiques : un droit constitutionnel entravé

Dans la quête d’une gouvernance publique transparente et intègre, Anticor met en exergue le principe fondamental de la démocratie qu’est le droit du public d’accéder aux informations d’intérêt général détenues par les autorités publiques. Ce droit, ancré dans l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui affirme que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration », a été reconnu de valeur constitutionnelle depuis 2020.

Cette disposition illustre la transition historique vers une plus grande transparence administrative, marquée par une réduction progressive du secret gouvernemental, conformément aux observations de Jean-Louis Nadal dans son rapport « Renouer la confiance publique » (2015). Ce mouvement, amorcé dès la fin des années 1970, vise à permettre aux citoyens de « savoir ce que sait l’État », renforçant ainsi la confiance publique et la responsabilité des élus et des fonctionnaires.

Malgré ces avancées législatives et constitutionnelles, l’accès aux données publiques reste semé d’embûches. La loi pour une République numérique de 2016, censée faciliter l’accès aux informations administratives et encourager la participation citoyenne, se heurte en réalité à des obstacles significatifs. Les citoyens et associations, dont Anticor, se retrouvent souvent contraints d’engager des démarches judiciaires fastidieuses pour obtenir des données parfois volontairement dissimulées par les administrations. Ce paradoxe met en lumière un décalage entre les ambitions affichées par la loi et la réalité de son application, révélant la persistance d’une culture du secret au sein de certains secteurs de l’administration.

 

Vers un futur transparent et équitable ?

Les initiatives d’Anticor illustrent le potentiel de l’intelligence artificielle et de l’open data comme outils de promotion de la transparence et de la justice. En alliant technologie et engagement citoyen, l’association espère non seulement apporter une contribution significative à la lutte contre la corruption mais aussi inspirer des projets similaires au niveau global.

D’autres actions existent et pourraient un jour compléter celles explorer par Anticor : le développement de systèmes de blockchain[5] pour sécuriser les transactions et les contrats publics, l’utilisation de l’apprentissage automatique, sous-domaine de l’intelligence artificielle qui permet à des systèmes d’apprendre et de s’améliorer à partir de l’expérience sans être explicitement programmés pour chaque tâche, pour prédire les risques de corruption dans les projets futurs, ou bien encore la mise en place de plateformes participatives permettant aux citoyens de signaler anonymement les cas de corruption. Ces technologies, en complément des efforts actuels, pourraient renforcer la capacité à détecter et à combattre efficacement la corruption.

En attendant la mise en œuvre et la publication des résultats de ces deux projets, prévue pour le courant de l’année, l’ambition est claire : développer une culture de la transparence et des pratiques durables de gouvernance. Ces efforts s’inscrivent dans une vision à long terme de l’association où les outils innovants deviennent des vecteurs incontournables de neutralité et d’efficacité dans la prévention et la lutte contre la corruption.

« L’ère numérique transforme radicalement notre approche de la lutte contre la corruption. Les outils traditionnels, bien qu’encore pertinents, doivent être complétés par des solutions technologiques avancées. Ces innovations ne sont pas simplement des ajouts à notre arsenal ; elles redéfinissent le champ des possibles, nous permettant de détecter avec une précision sans précédent les cas de corruption et d’intervenir de manière plus proactive. Notre mission est de tirer le meilleur parti de ces technologies pour créer un environnement où la transparence n’est pas une option mais une norme incontournable », conclut la présidente de l’association. 

 

Un refus d’agrément qui n’est toujours pas motivé

Dans une période cruciale pour sa mission de lutte contre la corruption, Anticor se heurte toujours à un obstacle administratif majeur : le renouvellement de son agrément par le gouvernement reste en suspens, sans que les motifs de cette absence de décision ne soient clairement communiqués. Selon un article publié par l’association, ce silence gouvernemental, perçu comme coupable au sein de l’association, suscite des inquiétudes quant à la volonté de limiter l’efficacité et l’action d’Anticor dans son rôle de veille et de poursuite des affaires de corruption. Cet agrément est indispensable pour que l’association puisse exercer en justice, participant ainsi directement à son pouvoir d’influence et à sa capacité à promouvoir une gouvernance transparente et intègre.

Face à ce refus non motivé, Anticor exprime son désarroi et appelle à une réponse claire et justifiée du gouvernement de Gabriel Attal, soulignant l’importance de sa mission dans le paysage démocratique et juridique français.

Références

[1] Expert en analyse de données qui utilise des compétences avancées en statistiques, en mathématiques, en programmation informatique et en compréhension des affaires pour extraire des connaissances et des insights à partir de données complexes. Ils travaillent souvent avec de grandes quantités de données (big data) et utilisent des outils et des techniques comme le machine learning, l’intelligence artificielle, et l’analyse prédictive pour résoudre des problèmes spécifiques dans divers domaines tels que la finance, la santé, le marketing, ou encore la gestion urbaine. Leur rôle est crucial pour aider les organisations à prendre des décisions éclairées basées sur des analyses de données rigoureuses et à développer des stratégies d’optimisation et d’innovation.

[2] Lien pour accéder à la Plateforme ouverte des données publiques françaises : https://www.data.gouv.fr/fr/

[3] Le deep learning est une branche de l’intelligence artificielle qui utilise des réseaux de neurones profonds pour apprendre à partir de grandes quantités de données. Il excelle dans le traitement de données complexes comme les images, le son ou le texte, en permettant aux modèles d’apprendre des caractéristiques pertinentes automatiquement. Cette technique a mené à des progrès notables dans des domaines variés, tels que la reconnaissance d’images, la traduction automatique, et la génération de texte.

[4] Le Traitement Automatique du Langage Naturel (TALN) désigne un ensemble de méthodes et de technologies utilisées en informatique et en linguistique pour permettre aux ordinateurs de comprendre, d’interpréter, et de générer du langage naturel, c’est-à-dire la langue parlée et écrite par les êtres humains. Le TALN englobe diverses tâches telles que la traduction automatique, la reconnaissance vocale, l’analyse de sentiments, la génération de texte, la réponse automatique à des questions, et bien d’autres. L’objectif principal du TALN est de créer des interfaces permettant aux utilisateurs d’interagir avec les machines de manière naturelle et intuitive, sans nécessiter de connaissances spécialisées en programmation. Pour cela, le TALN combine des techniques issues de l’intelligence artificielle, de la linguistique computationnelle, et de l’analyse de données pour analyser la structure et le sens des mots, des phrases, et des textes. Cela permet non seulement de comprendre le contenu informationnel d’un texte, mais aussi d’en saisir les nuances, telles que l’intention, le ton, et les émotions exprimées.

[5] La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle. Elle prend la forme d’une base de données distribuée dont les informations envoyées par les utilisateurs et les transactions internes au système sont vérifiées et regroupées à intervalles de temps réguliers en blocs, liés et sécurisés par l’utilisation de cryptographie, formant ainsi une chaîne. Chaque nouveau bloc ajouté à la chaîne est relié au précédent, créant un registre inaltérable et permanent de toutes les transactions effectuées depuis le démarrage du système. La blockchain sert de fondement pour les cryptomonnaies les plus connues, comme le Bitcoin. Cependant, ses applications vont bien au-delà, incluant la traçabilité des biens et des services, la sécurisation des échanges numériques, et bien d’autres domaines nécessitant un registre transparent et inviolable.

 

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