Si le consentement à l’ordre libéral européen a privé l’état français d’armes essentielles, en choisissant de s’appuyer sur la bureaucratie et les acteurs privés faute de moyens d’agir propres, il s’est empêtré dans les coteries « public-privé » et les réseaux d’intérêts privés, perdant ce qui lui restait de ses capacités de réaction…
Le nombre de Directions, d’Autorités, d’Agences, de Centres, de Conseils plus ou moins Hauts ou scientifiques, intervenant en matière de santé est proprement ahurissant, spécialement en période de crise.
En l’espèce interviennent ou peuvent être appelés à intervenir sur une question spécifique, outre le ministre de la santé : Le Directeur général de la santé, la Direction de santé publique France, le Directeur de la haute autorité de santé, les Directeurs généraux des agences régionales de santé, les Directeurs de l’agence nationale sanitaire, la Direction de l’alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé épidémiologie-France, le Centre national de recherche scientifique en virologie moléculaire, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
S’y ajoutent : le Conseil de l’ordre des médecins, celui de l’Ordre des pharmaciens ainsi qu’un très grand nombre d’infectiologues, essentiellement parisiens membres des organismes donneurs d’avis, souvent en charge de l’édification médiatique du bon peuple.
Abondance de bien ne pouvant nuire, la pandémie de la Covid-19 amènera la création du Haut-commissariat de lutte contre les épidémies, du Haut conseil de veille sanitaire, de l’Agence nationale de sécurité et de logistique médicale, du Conseil scientifique Covid-19, et, cerise sur le gâteau, d’un éphémère coordonnateur de la stratégie nationale de déconfinement.
Seront aussi à la manœuvre, puisqu’en état d’urgence sanitaire et en guerre contre un ennemi particulièrement pernicieux : la cellule interministérielle de crise (CIC) qui mobilise plus de 40 agents des directions du ministère, professionnels de santé (médecins, pharmaciens, internes de santé publique), gestionnaires et ingénieurs, et le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), rattaché à Matignon.
Outre le problème politique récurrent de la confusion des fonctions de chef de l’Etat et de chef du Gouvernement dans la Vème République, les défauts majeurs de cette organisation au niveau national, sont la place réduite accordée aux praticiens en activité, sa complexité et la multiplicité des pilotes dépourvus de commandes, sauf le frein.
Pas étonnant donc que pendant plusieurs mois le feuilleton des masques, des habits de protection, des tests à la disposition de tous pour les pouvoirs publics mais introuvables, même par les soignants, ait fait la « Une » des médias. Régulièrement, la captation par la douane d’une commande de masques chinois passée par une commune, un département, une région ou l’obstruction de l’ARS à la distribution d’un stock de masques qu’elle n’avait pas les moyens de faire elle-même, ajoutait un peu de piquant.
L’épisode des pharmaciens refusant la vente de masques avant de découvrir qu’ils le pouvaient, comme celui de l’Etat détruisant, pour péremption, une bonne partie d’un stock de ces masques qui manquaient même dans les établissements de soins, ne sont pas banals. Pas banal non plus la commande de 10 000 respirateurs à un pôle industriel français dont les 2/3 s’avéreront inadaptés à la réanimation hospitalière.
Même Courteline n’aurait pu imaginer pareilles facéties bureaucratiques. Il faudra attende Kafka, visionnaire du monde nouveau, pour voir le réel prendre la forme de l’impensable. Pour ça, Père Ubu vous estes toujours un fort grand voyou !
La crise sanitaire a fait apparaître au grand jour le rôle des coteries médico-administratives(1) en lien strictement « professionnel » évidemment avec « Big Pharma(2) » dans la définition des politiques de santé, et les autorisations de mises sur le marché des médicaments. Elles vont naturellement jouer un grand rôle dans la conduite de la lutte contre la pandémie de Covid-19, notamment à travers le conseil scientifique dont le gouvernement se flatte de suivre « en toute transparence » les avis, ce qui heureusement n’a pas été toujours le cas.
On les retrouvera à la manœuvre, comme on le verra, pour empêcher la diffusion du traitement de la Covid-19 proposé par Didier Raoult et promouvoir le remdesivir de Gilead. Elles ne sont pas non plus étrangères à la politique d’éloignement des lieux de soins et de recherche, à la multiplication et l’hyperspécialisation de centres d’expertises et de validation, jaloux des prérogatives assises de leur pouvoir.
Ainsi, en matière de maladies infectieuses, existent rien moins que 44 « Centres Nationaux de Référence », ce qui ralentit les capacités de réactions des soignants quand, comme avec le virus de la Covid-19, ils se trouvent confrontés à une infection nouvelle dont personne ne connaît ni les signes avant-coureurs, ni l’évolution, ni la dangerosité, ni les séquelles qu’elle pourrait laisser.
Il n’est pas impossible que cette évolution coïncide avec l’illusion que spécialisation rime avec économie et avec les intérêts des offreurs de thérapeutiques :
« Je pensais que la longue habitude de beaucoup de ces experts de travailler avec les industriels proposant eux-mêmes des solutions thérapeutiques, posait un problème de fond. Ils étaient formés à une autre guerre d’un autre temps(3) ».
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les agences régionales de santé censées supprimer les maux d’un système à bout de souffle et rationaliser l’organisation territoriale des soins – selon les termes de la loi Bachelot – n’ont pas tenu leurs promesses.
Déjà fort critiquées en période normale pour leur obsession des économies budgétaires, des suppressions d’établissements (particulièrement les hôpitaux de proximité et les maternités) et de lits ; la crise – en révélant et leur volonté de pouvoir sans en avoir ni l’expérience, ni les moyens, et leur incapacité à sortir de leur routine bureaucratique – amènent à poser clairement la question de leur suppression.
En effet, si les ARS, aux termes de la loi, sont compétentes pour « l’organisation de la réponse aux urgences sanitaires, la gestion des situations de crise sanitaire » et « en matière de veille sanitaire », ces préoccupations ont largement disparu derrière la maîtrise des dépenses de santé. Idem de la supervision des EPHAD, autrefois assurée par les DDASS et les DRASS qu’elles ont absorbées(4). A de rares exceptions, il s’agissait de contrôle à distance sur documents et à partir de ratios principalement établis à partir d’informations fournies par les établissements, ainsi transformés en terminaux des ordinateurs régionaux et nationaux. Autre caractéristique du système : son extrême centralisation. Les observateurs durant la crise sanitaire sont unanimes : aucune décision des ARS n’est prise sans en avoir préalablement référé à Paris.
Indépendants, sauf du ministre de la santé, sans lien hiérarchique avec les préfets, parmi les mieux rémunérés de la haute fonction publique(5), les directeurs généraux des ARS sont des princes en leur royaume. Des princes, comme dans la fable, fort dépourvus quand souffla le vent chaud de la pandémie venue de Chine. Il ne suffisait plus de surveiller des ratios de gestion et de sanctionner les cigales, il fallait aller voir ce qui se passait et agir soit même.
Si cela avait été le cas, il est probable que des lits de réanimation d’établissements privés ne seraient pas restés vides dans des régions particulièrement affectées, au paroxysme de l’épidémie.
Une anecdote(6) résume bien le mode de fonctionnement du système de santé au niveau des régions : téléphonant à l’ARS pour signaler qu’un hôpital manquait de masques, le président d’une région particulièrement touchée par l’épidémie, se voit répondre qu’il se trompait, la tablette de son interlocuteur indiquait que cet établissement en disposait de 532 !
Installée sur la lune, les ARS ignorent – ce que savait Aristote – que le monde sublunaire ne fonctionnait pas selon les lois parfaites qui règlent le cours des astres.
Si la catastrophe a été évitée, c’est que localement une gouvernance associant préfets et élus (maires, présidents de conseils départementaux ou de régions) s’est spontanément mise en place, selon des formules diverses. Ainsi ont pu être réglés de nombreux problèmes pratiques touchant à l’organisation des soins. Parmi ceux-ci, le manque de masques ou de tests dans les établissements de soins, l’absence d’hôpitaux de proximité dans certains départements ruraux, à laquelle il a été pallié par la mobilisation des médecins libéraux, avec de bons résultats comme dans le Gers. Le département du Morbihan lui, a organisé une « usine virtuelle » de fabrication de masques avec les traditionnelles brodeuses locales. Le département de Vendée et beaucoup d’autres ont mis à disposition leurs laboratoires d’analyses biologiques techniques pour faire face au manque de moyens de test etc.
Les problèmes sociaux et économiques engendrés, sinon directement par la pandémie, par les interdictions liées au confinement, ont eux aussi été souvent pris en charge par les départements ou les régions : actions très diverses, touchant les EPHAD et d’une manière générale les personnes âgées isolées ou, dans les secteurs très urbanisés de la région parisienne les familles démunies dont beaucoup furent particulièrement affectées par la crise. En matière économique, des soutiens à la mobilisation, des aides d’état aux entreprises ou la mise en place de circuits courts de commercialisation des productions locales, etc.
Mais plus encore que les problèmes concrets et pratiques, c’est le délire règlementaire gouvernemental accompagnant les décisions de confinement, puis de déconfinement qui a mobilisé les énergies. Force est de constater, en effet, que les préfets et les élus locaux ont passé autant, sinon plus, de temps en exégèse des textes officiels qu’à régler des problèmes réels(7).
Aux rares cas près où elles se sont associées à ces initiatives, les ARS ont très généralement traîné les pieds, mécontentes de voir d’autres qu’elles faire le travail qu’elles ne voulaient ou ne pouvaient pas faire.
Plus étonnant que l’incapacité des ARS et des pouvoirs publics jusqu’au sommet, à fournir en temps et en heure aux soignants et aux Français, les moyens de se protéger de la contamination virale, c’est que n’ait jamais été posé la question des soins réservés aux malades, celle de leur nature et de leur efficacité, pourtant à géométrie variable selon les lieux.
Si elle a été éludée c’est d’abord parce qu’elle risquait de remettre en question l’organisation collusive française poussée à l’extrême dans le domaine du médicament et de la recherche. Le genre même de la question qui fâche.
Références
(1) Parmi elles citons REACTing « consortium multidisciplinaire rassemblant des équipes et laboratoires d’excellence, afin de préparer et coordonner la recherche pour faire face aux crises sanitaires liées aux maladies infectieuses émergentes » à la création duquel œuvra Jean-François Delfraissy, actuel président du comité scientifique et émanation de l’inserm. Le consortium est à l’origine du projet européen « Discovery » censé tester quatre traitements sur 3000 patients. Une note du 18 juin annoncera que le traitement par l’hydroxychlorochine est arrêté. On n’est jamais trop prudent.
(2)« Big Pharma » est le sobriquet donné à l’industrie du médicament pour son rôle de grande tentatrice des décideurs publics.
(3)Réponse de Didier Raoult interrogé sur les raisons de son départ du conseil scientifique, à la Commission des affaires sociales du Sénat (mai 2020) et reprise lors de son audition par l’Assemblée nationale en juin.
(4)S’il en était allé autrement, il n’y aurait certainement pas eu une telle hécatombe dans les maisons de retraite et d’autres réponses différenciées et moins mortifères que l’isolement quasi-total auraient été mises en place. En tous cas on se serait au moins posé la question.
(5)Le DG de la région Ile de France gagne entre 16 700 et 17 500€ selon Challenge (19/01/2018). Les DG des ARS font partie des quelque 600 hauts fonctionnaires qui gagnent plus que le président de la République. On comprend leur zèle.
(6)Anecdote recueillie dans le cadre de la « Commission sénatoriale de suivi de la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire » mise en place par la commission des lois.
(7)Le « Protocole sanitaire pour la réouverture des écoles maternelles et élémentaires » de 63 pages mériterait d’être inscrit au livre des records. On y relève, par exemple, que la distanciation physique des élèves doit être respectée même en récréation, qu’ils doivent se laver les mains après s’être mouchés, après avoir toussé ou éternué, que les crayons et autres objets doivent être désinfectés après chaque utilisation…Visiblement les rédacteurs de ces recommandations ont une fine connaissance de la vie scolaire !
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C’est encore mieux version papier.