« L’été où maman a eu les yeux verts », ou un été de réconciliation

« L’été où maman a eu les yeux verts », ou un été de réconciliation

Cette rentrée littéraire 2025 a mis en lumière plusieurs romans familiaux, que ce soit Kolkhoze d’Emmanuel Carrère, le récemment annoncé Prix Goncourt, La Maison vide de Laurent Mauvignier, ou encore Tant mieux d’Amélie Nothomb. Ces histoires familiales sont racontées avec les singularités qui sont les leurs et partagent également la similitude d’être les meilleures ventes des librairies indépendantes au mois de septembre. On comprend par cela que les fresques familiales sont encore au cœur de ce que les Français aiment lire, car celles-ci peuvent réveiller en chacun les échos de ses propres vécus, relations et histoires. Ces récits de famille m’ont rappelé un roman que j’avais lu il y a quelques années et qui m’avait marquée par son intensité, violence et beauté. Dans L’été où maman a eu les yeux verts, c’est la figure de la maman qui est mise au centre de l’analyse.

Car en effet, dans la famille, elle fait souvent l’objet d’une idéalisation, voire d’une forme de sacralité. Qu’il s’agisse de la Vierge Marie dans la tradition chrétienne, mère pure, dévouée, pleine de compassion et d’amour inconditionnel ; de Déméter dans la mythologie grecque, imaginée comme une mère nourricière incarnant la puissance et la douleur maternelles face à la perte de sa fille Perséphone ; de Fantine dans Les Misérables, figure martyre qui se détruit pour sauver sa fille Cosette ; ou encore de la « mère patrie » dans notre récit national, personnifiée comme une mère protectrice, la maternité incarnée dans la figure de mère se trouve souvent associée à la perfection et au sacrifice.

 

Dans son roman, Tatiana Țîbuleac renverse brillamment et courageusement cette image. Autrice et journaliste roumaine née en 1978 en Moldavie, elle rencontre son premier grand succès littéraire en 2018 avec ce roman magistral, reconnu pour son originalité, sa puissance et la réflexion qu’il suscite, dès ses premiers mots :

 

« Ce matin-là, alors que je la haïssais plus que jamais, maman venait d’avoir trente-neuf ans. Elle était petite et grosse, bête et laide. C’était la maman la plus inutile de toutes celles qui n’ont jamais existé. Je la regardais par la fenêtre, plantée comme une mendiante à la porte de l’école. Je l’aurais tuée rien que d’y penser. »

Avec ces premières phrases, Țîbuleac nous présente Aleksy, qui, lors d’un été d’introspection, évoque sa mère, dont on ne connaîtra jamais le prénom, avec des mots d’une grande violence et d’une profonde incompréhension. Cet adolescent, empli d’une rage traversée de tendresse, accompagne pourtant sa mère vers la mort lors d’un été de réconciliation et de pardon.

Au Círculo de Bellas Artes de Madrid, en 2025, elle explique les raisons qui l’ont poussée à écrire ce livre :

« J’ai écrit ce livre pour mon fils et aussi pour mon père. Parce que le concept de maternité m’a bouleversée. Je pensais que je ne serais pas capable de m’en sortir, que je ne serais pas une bonne mère. Et je l’ai aussi écrit pour demander pardon à mon père, pour lui dire des choses que je n’ai pas su lui dire de son vivant. »

Elle poursuit en expliquant que, bien souvent, « ce qui nous a manqué ou ce que nous avons eu en trop quand nous étions enfants devient notre fardeau d’adultes ». Cette phrase résonne dans le personnage d’Aleksy, qui, à l’âge adulte, peine à trouver son chemin.

Comme un puzzle, Aleksy reconstruit, sur les conseils de sa psychiatre, le souvenir de ce dernier été avec sa mère, afin de libérer sa créativité artistique, paralysée par le trauma. Comment surmonter la rage qu’engendre l’abandon maternel ? Comment se relever de la mort d’un enfant ? Comment se préparer à la disparition d’un être qui incarne à la fois le rejet et l’amour ? On découvre une famille meurtrie par la disparition de la sœur d’Aleksy, Mika, lorsqu’il était enfant. En arrivant dans un petit village français où ils s’apprêtent à passer leur dernier été ensemble, la rage et la rancœur initiales laissent peu à peu place à la compassion et au pardon.

« Rembobiner cet été comme s’il s’agissait d’un enregistrement et revenir au jour de son anniversaire, où elle est venue me chercher à l’école, toute recroquevillée et grosse. Cesser de la haïr et lui dire qu’elle avait de beaux yeux avant qu’elle ne me le demande. »

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