D’un « État pour les juifs » à un « État juif », l’évolution du suprémacisme religieux en Israël

Alors que la création de l’Etat d’Israël répondait à une logique d’inspiration laïque, l’influence croissante des religieux et leur arrivée au pouvoir en Israël révèle la trajectoire d’un Etat assis sur des principes démocratiques vers un projet théocratique, où l’impunité des crimes de guerre se trouve justifiée par le commandement divin.

En avril 2025, Ben Smotrich, ministre des Finances de l’Etat d’Israël, déclarait que ramener les otages n’était pas « l’objectif le plus important » de la guerre, la priorité étant d’empêcher le Hamas de contrôler Gaza, et peut être surtout, de permettre aux colons juifs de s’y installer au service d’un « Grand Israël » tel qu’issu du texte divin.
Alors que la création de l’Etat d’Israël répondait à une logique d’inspiration laïque, l’influence croissante des religieux et leur arrivée au pouvoir en Israël révèle la trajectoire d’un Etat assis sur des principes démocratiques vers un projet théocratique, où l’impunité des crimes de guerre se trouve justifiée par le commandement divin.

D’un « Etat pour les juifs » vers un « Etat juif »


Si la création d’un Etat d’Israël relevait nécessairement d’un lien avec le judaïsme puisque le projet visait à offrir un cadre aux Juifs, la place de la religion juive ne fut pas conçue comme le pilier central de l’idéologie sioniste. Théodore Herzl, l’un des principaux théoriciens du sionisme, parlait davantage d’un « Etat pour les juifs » que d’un « Etat juif ». La diaspora juive, largement influencée par les principes libéraux des démocraties occidentales, œuvra à la création d’un Etat où la souveraineté procéderait du peuple et non de Dieu, un projet laïque en somme. C’est ainsi que Ben Gourion, artisan central de la création d’Israël et juif laïque, participa à la construction d’un Etat fondé sur une vision libérale, conférant une place secondaire à la religion dans l’organisation étatique et d’abord conçu comme un pays à destination de la communauté juive.


Si bien que les premiers opposants au sionisme furent les plus religieux. Les rabbins allemands signèrent presque unanimement une pétition contre le projet sioniste. Plus largement, pour les Haredim, juifs orthodoxes ultra-religieux, le retour en terre sainte ne pouvait être l’œuvre des hommes et avoir lieu avant l’arrivée du mashia’h, le messie. L’hébreu était ainsi réservé à un strict usage religieux.


Israël n’est donc pas un Etat juif, au sens d’une théocratie fondée sur la religion juive. L’Etat reconnait ainsi la liberté de culte et ne fait pas du judaïsme la religion d’Etat officielle. Pour autant, l’organisation des relations entre l’Etat et les cultes en Israël ne procède pas d’une laïcité pleine et entière. Plutôt qu’un Etat « laïque», le particularisme juif s’est traduit par une forme de coopération entre la Synagogue et l’Etat.


En effet, afin de concilier les intérêts des différents groupes au sein de l’Etat d’Israël, et notamment l’intégration des groupes orthodoxes et religieux, Ben Gourion, fit des concessions, de « petits arrangements » pour contenter l’ensemble de la population. Il en va ainsi de la suppression des transports publics le jour de chabbat, de l’interdiction des mariages civils, ou encore de la cashrout avec le service de nourriture exclusivement casher dans les administrations publiques. La place de la religion juive conserve à l’évidence une place prépondérante dans la société israélienne, en témoignent les différents symboles nationaux : le drapeau d’Israël illustré de l’étoile de David, l’emblême d’Etat qu’est la menorah à sept branches…


Mais cette relative sécularisation originelle connait un glissement depuis plusieurs années. L’idéologie laïque travailliste des kibboutz de Ben Gourion s’est épuisée, concrétisée par l’extrême faiblesse de la gauche sioniste jusqu’à sa quasi disparition dans l’électorat israélien, le parti travailliste ayant recueilli seulement 3,7% des voix aux dernières élections législatives. En parallèle et nourrie par la régression de cette dernière, l’empreinte de l’idéologie du sionisme religieux dans la société israélienne s’est considérablement renforcée. Si la guerre de Six Jours en 1967 a été l’un des premiers tournants pour ce dernier, la victoire d’Israël perçue par certains comme « le signe incontestable d’un plan divin pour rendre la Terre entière d’Israël au peuple d’Israël », ce phénomène s’est accru ces dernières années.


Cette influence du sionisme religieux est allée de pair avec une évolution des composantes de la société israélienne. D’une part, des changements démographiques, fondés sur la croissance des familles ultra-orthodoxes, composées généralement de nombreux enfants, qui constituent désormais plus de 10% de la population israélienne et qui pourrait atteindre 20% en 2040 . D’autre part, une religiosité croissante en Israël où les juifs qui croient à l’arrivée du Messi sont de plus en plus nombreux . Le contenu religieux juif s’est vu renforcé dans le secteur éducatif, notamment dans les programmes scolaires mais aussi dans l’armée où les sionistes religieux composaient la moitié des diplômés dans les sections de combat de l’école des officiers de Tsahal.


L’un des marqueurs les plus importants de ce glissement vers le sionisme religieux est sans doute le vote par la Knesset de la loi du 19 juillet 2018. Ce texte, qui définit Israël comme le « foyer national du peuple juif », concrétise la suprématie juive, et, de fait, la différence de traitement en fonction de la judéité. Les citoyens arabes sont de plus en plus considérés comme des citoyens de seconde classe, avec par exemple la dégradation de la langue arabe de statut de langue d’Etat à un vague « statut spécial ».


Cet avènement des nationalistes messianiques s’est renforcé encore en 2022, avec l’arrivée à la troisième place du parti sioniste religieux aux élections législatives. Avec 11% des voix et l’obtention de 14 sièges à la Knesset, il est intégré au gouvernement. Deux ministres suprémacistes juifs, Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, ont rejoint le gouvernement de Netanyahou, une extrême droite aux revendications théocratiques assumées.


Un projet messianique et théocratique qui menace la démocratie israélienne et justifie l’injustifiable


L’arrivée des suprémacistes juifs au pouvoir signe l’évolution d’un modèle – relativement – laïque et démocratique vers une société théocratique avec comme fondement un récit messianique. Ce nationalisme intégral porté par les sionistes religieux est inséparable d’un projet théocratique. Ses partisans défendent une société où seule la Halakha, la loi rabbinique, compte. Plus précisément, l’Etat peut et doit se passer de la démocratie, futile vis-à-vis de la loi du judaïsme. Pour les citoyens, cela se traduit par un traitement plus favorable au bénéfice des juifs contrairement au reste de la population, qui, dans leur projet, ne sont pas des composantes de l’Etat d’Israël.


Cette montée en puissance des dogmes religieux constitue aussi une menace pour l’ensemble des principes démocratiques progressistes de la société israélienne. A cet effet, le parti de Smotrich, ne reconnait pas l’homosexualité voire la condamne, un danger pesant sur les droits des personnes LGBTQIA+. Smotrich lui-même s’était défini comme un « fasciste homophobe ».


Mais l’une des caractéristiques les plus marquantes du courant sioniste religieux est son combat pour un « Grand Israël ». Ses partisans prônent une politique expansionniste englobant toute la terre biblique d’Israël. Celles-ci incluraient la Cisjordanie, les hauteurs du Golan, la bande de Gaza, le sud du Liban, le Sinaï, des parties de la Jordanie, voire de l’Irak. Fervents défenseurs des colonies donc, les sionistes religieux luttent contre leur démantèlement et entendent étendre la colonisation à l’ensemble de ces territoires. C’est en invoquant la loi divine et sous prétexte de vouloir garantir la sécurité de l’Etat d’Israël, que Ben Gvir et Smotrich ont même défendu « l’émigration des palestiniens » pour permettre le retour des colons juifs à Gaza. Et c’est en suivant ce même récit messianique que les crimes contre l’humanité commis en Palestine sont légitimés par la volonté divine.


Alors que la séparation du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel demeure une condition sine qua non de la démocratie, en ce qu’elle est un corollaire de la liberté des individus, l’avènement d’un projet théocratique en Israël pourrait bien ancrer la fin de la « seule démocratie du Moyen-Orient ».

 

 

 

 

 

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