9h00 du matin : Devant les locaux de la préfecture des Bouches-du-Rhône à Marseille, face à l’entrée réservée à l’accueil des étrangers, de nombreuses personnes sont attroupées. Elles sont toutes dans l’attente. Dans l’attente de pouvoir obtenir un rendez-vous pour déposer une première demande de titre de séjour, dans l’attente de nouvelles de leur demande déposée il y a plusieurs mois qui est restée, jusqu’à ce jour, sans réponse ; en attente de leur statut au sein de la République française.
Ce même tableau désolant est dressé devant les sous-préfectures. A 09h00 du matin, une trentaine de personnes s’attroupent devant les grilles de la sous-préfecture d’Aix-en-Provence, demandant l’état d’avancement de leur dossier ou la possibilité de prendre un rendez-vous afin de déposer leur demande. Cette administration, faute d’effectifs suffisants, met une pincée de rendez-vous physiques à disposition des demandeurs de titre, une vingtaine par semaine, qui partent en moins d’une minute à partir de leur mise en ligne.
Ces rendez-vous sont tellement prisés, que certaines personnes profitent du système, y voyant un moyen de s’enrichir. A l’aide d’algorithmes, ils réservent des rendez-vous et les revendent aux demandeurs désespérés. Une agente de la sous-préfecture s’indigne lors d’un rendez-vous : « les rendez-vous sont gratuits, vous ne devez pas payer 100 euros pour un rendez-vous ! ».
Même si cette attente physique est remplacée au fur et à mesure par une attente électronique, les services de l’État prévoyant pour la plupart des demandes une procédure dématérialisée via le site de l’administration numérique pour les étrangers en France (ANEF), certaines demandes se font au guichet, par exemple pour les demandes de titre étranger parent d’enfant malade, changement de statut.
Surtout, la procédure dématérialisée de l’ANEF est peu claire pour ceux qui ne maîtrisent pas la langue. Sans parler des blocages rencontrés sur la plateforme, la plupart des préfectures mettant en place des rendez-vous physiques « blocage ANEF » permettant d’obtenir des informations, notamment par rapport à l’avancement du dossier.
Qu’il s’agisse d’une attente physique ou électronique, elle reste un moment de silence pendant lequel les étrangers sont plongés dans le doute, l’inquiétude.
Pourtant, les enjeux à la clé de ce silence sont colossaux. Il en va de la régularité du séjour des demandeurs : suis-je régulier ou irrégulier ? est-ce que j’ai un droit à rester sur le territoire français ?
Prenons l’exemple de Mme X, travaillant dans le secteur tertiaire en région PACA. Elle bénéficie d’un titre de séjour mention « travailleuse » d’une durée de validité d’un an. Au moins deux mois avant l’échéance de son titre, comme l’impose la réglementation, elle doit déposer une demande de renouvellement. Ayant procédé à la demande de renouvellement trois mois avant la fin de validité de son titre, celle-ci n’a toujours pas obtenu de réponse de la sous-préfecture chargée d’effectuer le renouvellement de son titre. Or, son employeur est catégorique : à l’échéance de son titre de séjour, son contrat de travail sera suspendu.
Contrainte par sa situation précaire, Mme X a dû faire appel à un avocat afin d’obtenir un rendez-vous auprès de la sous-préfecture, afin que soit brisé le silence que lui opposait l’administration.
Ce silence peut avoir des conséquences graves dans le cadre de ses demandes. Ce long silence, sorte d’épée de Damoclès, qui au bout d’un certain temps tranche le débat : le refus de titre.
Le droit prévoit comme principe que le silence gardé par l’administration par rapport à une demande vaut acceptation au bout d’un certain délai. Néanmoins, de nombreuses exceptions existent où le silence gardé par l’administration a l’effet inverse, tel est notamment le cas en droit des étrangers, et la demande est alors rejetée. On parle d’une décision implicite de rejet[1]. Par exemple, s’agissant d’un renouvellement, le silence gardé par l’administration pendant quatre mois vaut décision de refus[2].
Un mois de plus, et Mme X aurait vu sa demande de renouvellement rejetée et aurait dû redéposer une première demande de titre de séjour. Sans parler des conséquences sur sa vie professionnelle.
Ces longs silences gardés par l’administration sont principalement dus à un manque d’effectifs, mais reflètent également un durcissement de la politique migratoire en France.
Le 26 janvier 2024, la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration a été promulguée. Celle-ci a pour but la lutte contre l’immigration irrégulière, tout en promouvant des garanties de droit d’asile ainsi qu’une amélioration de l’intégration des réfugiés.
Largement censurée par le Conseil constitutionnel, écartant notamment le rétablissement du délit de séjour irrégulier d’étranger, cette loi se veut plus répressive[3].
La politique du nouveau gouvernement formé à la suite de la nomination de M. Michel Barnier, le 05 septembre 2024, ne laisse pas présager des jours meilleurs s’agissant du traitement des demandes de titre de séjour des étrangers.
En effet, le nouveau ministre de l’intérieur, M. Bruno Retailleau, issu des rangs républicains, a annoncé la promulgation d’une nouvelle loi immigration d’ici 2025, voulant rétablir le délit de séjour irrégulier d’étranger, dispositions censurées par le Conseil constitutionnel dans la dernière loi immigration.
Plus encore, il souhaite abolir les anciennes circulaires, notamment la circulaire Valls de 2012[4] ayant pour but la régularisation des étrangers en séjour irrégulier en France.
Le 28 octobre 2024, M. Retailleau a franchi une étape en adressant une circulaire à tous les préfets de départements afin de renforcer le pilotage de la politique migratoire[5]. Il exige la complète mobilisation des services, des résultats concrets, sollicitant notamment que soit mené à terme « l’examen des dossiers qui n’avaient pu aboutir à une décision d’éloignement ou à une mesure d’expulsion ».
Ces demandes de résultats et d’objectifs fixés aux services déconcentrés se heurtent à la réalité du terrain, au manque de moyens mis à disposition des préfectures afin d’accomplir leurs missions.
Ceci vaut également pour le retard de traitement des demandes de titres de séjour dû à un manque crucial de personnel.
Or les statistiques le démontrent : de nombreuses personnes dépendent des services des préfectures. Rien qu’en 2023 il y avait plus de 4 millions de personnes détentrices d’un titre de séjour et les préfectures ont délivré plus de 320 000 premiers titres de séjours[6]. Et combien sont encore en attente d’une réponse.
Tout vient à point à qui sait attendre ? Permettez-moi d’en douter.
Références
[1] Article R. 432-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).
[2] Article R. 432-2 CESEDA.
[3] Décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 du Conseil constitutionnel.
[4] Circulaire NOR INTK1229185C du 28 novembre 2012 portant sur les conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du CESEDA.
[5] Circulaire NOR INTK2428339J du 28 octobre 2024 renforçant la politique migratoire.
[6] https://www.immigration.interieur.gouv.fr.