Il s’agit d’augmenter autant que les forces contraires le permettent la résilience du système bancaire en réduisant ses liens avec les acteurs de la finance parallèle les plus spéculatifs et les moins contrôlables et en le recentrant sur sa mission historique et socialement utile : financer l’économie. Comme le montre excellemment Adair Turner : le mal n’est pas l’endettement mais l’endettement qui n’a pas pour contrepartie une création de richesse nouvelle, l’endettement spéculatif qui se traduit seulement par la hausse du prix des titres de propriété. Il n’est pas de moyen plus efficace de préparer le système bancaire à affronter la tempête et de le préserver de l’effondrement. Le traitement de la spéculation immobilière, vue son importance doit donc faire l’objet d’une attention toute particulière.
Le blocage du système financier, quelles que soient les précautions prises, signifiant aussi celui de l’économie, un dispositif de financement relais deviendra nécessaire. Construire un tel dispositif par le recyclage de l’épargne des Français – très importante – sur le modèle existant avant la loi bancaire de 1984 et les vagues de privatisations qui suivirent est donc indispensable pour éviter l’aggravation de la stagnation économique et l’envolée du chômage qui ne manquerait pas de suivre un nouveau Krach et contourner les probables mesures de retardement du système financier, passé maître chanteur depuis longtemps.
Cette restructuration du système financier serait accompagnée d’une politique interventionniste et de relance par l’investissement à laquelle seront associées les collectivités territoriales, acteurs économiques majeurs malmenés sous les trois derniers quinquennats. Ainsi avec des dépenses d’investissement de 45,5 milliards d’euros en 2018, les collectivités territoriales sont-elles, de très loin, le premier investisseur public français. Quant à leurs dépenses de fonctionnement – 169 milliards d’euros en 2018 – elles sont le stimulant permanent de l’économie locale. Leur rôle économique, très difficilement repérable dans la comptabilité publique, est non seulement ignoré mais freiné par la politique budgétaire des gouvernements qui se succèdent depuis quinze ans. Outre les dépenses et les investissements classiquement pris en compte par les budgets, existent en effet, tout un ensemble de partenaires économiques qui ne sont pas recensés comme agissant pour le compte des collectivités territoriales : concessionnaires, entreprises publiques locales, sociétés d’économie mixte, offices divers etc.
A noter, vu l’importance dans les budgets des collectivités, des travaux publics et des services exécutés par des acteurs locaux que ces dépenses figurent parmi les moins génératrices d’importations.
Cette politique d’investissement serait accompagnée d’un soutien indirect à la consommation à travers le développement du service public, des aides aux dépenses contraintes qui pèsent le plus sur les classes populaire et une bonne partie des classes moyennes.
S’y ajouteraient des dispositions visant à combattre l’évasion fiscale, à inciter les multinationales à investir et créer des emplois en France, ce qu’elles ne font guère aujourd’hui à la différence des multinationales américaines, italiennes ou allemandes.
Il s’agit simplement de la rendre moins défavorable à la France qu’actuellement.
Outre le traitement des questions relatives à la politique de relance déjà évoquées, il importe de revoir le partenariat français « privilégié » avec l’Allemagne et de réviser les mécanismes plus ou moins conformes aux Traités qui, a l’usage, sont apparu très pénalisant pour la France. Cette dernière étant le second contributeur au budget européen derrière l’Allemagne – principal bénéficiaire, lui, du système – il serait logique de moduler sa contribution en fonction des progrès de la révision de cette situation inacceptable.
De son séjour aux USA, l’aristocrate Tocqueville avait tiré la conclusion que la supériorité de la démocratie américaine sur l’aristocratie était de permettre la correction des erreurs. « Le grand privilège des Américains, écrit-il, est de pouvoir faire des fautes réparables(1) ».
La caractéristique de l’oligarchie technico-financière installée au cœur de l’Empire, c’est précisément, au nom de sa supériorité intellectuelle, de son incroyable réussite financière et politique d’avoir construit un système de domination non réparable dans le cadre institutionnel, s’assurant ainsi une assurance tous risques contre les égarements démocratiques. Et c’est l’efficacité même de cette défense qui la perd.
N’étant pas réparable, la « démocratie libérale occidentale » doit donc être remplacée. Par quoi, toute la question est là ?
Les expériences du socialisme non démocratique stalinien et plus encore du fascisme dans l’entre-deux-guerres, laissent à penser que laisser la « démocratie libérale » suivre sa pente c’est conduire la démocratie à sa perte.
Rappelons une fois encore Polanyi : « On peut décrire la solution fasciste à l’impasse où s’était mis le capitalisme libéral comme une réforme de l’économie de marché au prix de l’extirpation de toutes les institutions démocratiques ».
Aujourd’hui, les mouvements populistes les plus nombreux, dans de nombreux pays déjà au pouvoir, n’ont rien d’anti libéraux, au contraire, ils reprochent plutôt à leurs adversaires de ne pas l’être assez. Beaucoup par contre se passeraient de la façade démocratique affichée par les néolibéraux aux affaires, vue comme une complication inutile. Ce sont, comme nous l’avons dit, avec des nuances qui tiennent aux situations et plus encore à leurs adversaires, des mercantilistes, plus ou moins agressifs à l’extérieur et autoritaires à l’intérieur.
Vu les difficultés de beaucoup de pays européens à dégager des majorités de gouvernements stables, le malaise et les bouillonnements sociaux entretenus par une crise qui n’en finit pas de finir, il est probable que les coalitions, libéraux de droite-populistes, prospèrent. La constitution consulaire de la France ne l’en protègera pas, ce pourrait même être son talon d’Achille. En effet, si l’élection d’une représentante du Mouvement National aux élections présidentielles est peu probable, celle du leader d’une coalition à laquelle participeraient l’extrême droite et d’autres forces encore non identifiées ne l’est pas du tout. Pour accéder au pouvoir, une majorité relative des inscrits au second tour suffit.
On prendra alors conscience de l’effet amplificateur du mode de scrutin majoritaire, même à deux tours. Le propre des modes de scrutin est d’avoir des effets contraires selon les situations dans lesquelles ils sont appliqués. On réalisera aussi les dérives qu’autorise une constitution consulaire, sans parler des lois sécuritaires votées ces quinze dernières années.
Si la démocratie néolibérale est la tentative de concilier légitimité démocratique et une légitimité mercantile qui s’imposerait à la démocratie, constatons que le projet a échoué par deux fois en un siècle et demi. Preuve, non seulement que démocratie et néolibéralisme sont incompatibles mais qu’on ne peut sortir du piège sans dégâts.
On en est revenu à la situation de l’entre-deux-guerres : la recherche d’une solution populiste autoritaire à la faillite du néolibéralisme. Autant dire reculer pour mieux sauter, car elle ne permettrait ni le déblocage économique, ni de stopper la dérive financière explosive actuelle. Encore moins de restaurer la confiance dans les institutions républicaine et la foi en l’avenir. Ce que seul, comme alors, un nouveau New Deal permettrait.
Le premier acte de renaissance populaire d’une social-démocratie crédible serait à gauche, de cesser les palinodies de la « troisième voie » et de hisser le drapeau de l’état providence interventionniste, délivré du carcan libéral de l’UE et des jeux de pouvoir de l’oligarchie.
Le drapeau de l’Etat en charge de l’avenir de la nation, de son indépendance dans les domaines essentiels : la défense certes, mais aussi en matière de nourriture, de recherche fondamentale et de développement, de prévention des calamités naturelles et des pandémies, charges aujourd’hui abandonnées aux emballements de marchés qui ont eu tort.
D’où la nécessité de redonner vie à la démocratie représentative et aux institutions parlementaires qui restent – malgré l’étendue de leur démission – le lieu le plus légitime d’expression de la souveraineté populaire. La nécessité aussi de rompre avec des institutions colonisées par les intérêts privés, de rétablir la division des pouvoirs et de sortir le Parlement du rôle de chambre d’enregistrement auquel il a été réduit avec sa complicité.
Tel est l’esprit de l’esquisse de programme de réforme qui suit. Un programme a minima, dans la mesure où un traitement au fond du malaise supposerait une révision constitutionnelle que l’état des forces politiques actuel rend très improbable. Un programme « d’avant naufrage » en quelque sorte, qui ne permettra pas de l’éviter mais qui pourraient en atténuer les effets les plus calamiteux et faciliter, le moment venu, la reconstruction démocratique d’une société de citoyens.
Le but est de réorienter l’activité bancaire vers le financement de l’économie.
Restaurer la démocratie délibérative suppose de :
Le choix est donc clair ou attendre le naufrage en espérant qu’il ne viendra pas, ou s’y préparer, car il aura lieu vu l’incapacité des responsables politiques et financiers au pouvoir à y faire obstacle.
Quand aura-t-il lieu ? Sans préavis ou après avoir expérimenté une forme de néolibéralisme autoritaire de droite extrême ? Nul ne le sait mais là n’est pas l’essentiel.
Ce qui importe pour ceux qui n’entendent pas être lâchement surpris c’est d’œuvrer à la constitution du socle politique de la renaissance d’une gauche social-démocrate interventionniste, fermement anti-néolibérale et rejetant le carcan européiste. Sans cette refondation sociale-démocrate aucun changement substantiel ne sera possible.
Un socle qui devrait pouvoir s’élargir à ceux qui, à droite, continuant à se faire une certaine idée de la France supportent mal de la voir rétrogradée au rang de puissance subalterne contrôlé par d’autres intérêts que les siens.
L’Histoire n’attendra pas, ou le radeau du Titanic libéral naufragé trouvera son salut dans une alliance avec une forme de populisme autoritaire ou il sera remplacé par une social- démocratie capable de confiner la concurrence à la place qu’elle n’aurait jamais dû quitter, une social-démocratie capable de porter un idéal collectif de liberté, d’égalité et de fraternité. Capable, en un mot, de donner corps à la République sociale à laquelle aspire une large majorité de Français.
Références
(1)Tocqueville, De la démocratie en Amérique.
(2)« Le bilan social de l’accroissement de l’activité intra-financière est négatif. Un système plus complexe d’intermédiation de crédit a rendu le système financier plus instable et la crise plus probable, et, en facilitant la création de crédit, il a aggravé le poids du surendettement après la crise », Adair Turner.
(3) « Le discours des banquiers sur leurs pratiques est complétement délirant. Les banquiers pensent qu’il faut avoir le moins de fonds propres possible, pour avoir le plus haut rendement du capital, comme ça ils gagneront plus d’argent, Toute la littérature montre qu’ils ont tort (en réalité, plus les banques sont capitalisées, plus elles ont de valeur, plus elles font de profit, etc.…) Ils se font une image de leur activité qui est déformée. Ils vivent sur des représentations qui sont fausses. Et ces représentations se diffusent au management », Pierre Charles Pradier Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Co-directeur LabEx ReFi (Audition sénatoriale).
(4)– L’objectif ne peut être seulement de stabiliser le système, de régler la question des établissements systémiques mais « de gérer la quantité de crédit et d’influencer son allocation dans l’économie réelle », Adair Turner.
(5) « 7 % des produits dérivés servent l’économie. Donc 93 % de ces produits servent à spéculer ou faire des jeux qui ne servent à rien pour l’économie réelle. Taxer la production spéculative de dérivés ou forcer tous les produits dérivés à passer par des chambres de compensation : vous réduisez aussitôt tous les produits non liquides », Jean- Michel Naulot.
(6 et 7) La particularité des FMN françaises par rapport aux autres (notamment américaines) est d’investir et de créer des emplois à l’étranger en rapatriant les bénéfices. Selon le CPII, en effet, l’économie française se distingue par l’importance de l’implantation à l’international de ses entreprises. Elles employaient en 2014, six millions de personnes à l’étranger contre, par exemple 5 millions pour les entreprises allemandes dont le PIB est supérieur de 50 % à celui de la France, 1,8 million de personnes pour l’Italie. Une tendance qui s’est accentuée puisque de 2007 à 2014, le chiffre d’affaire et le nombre d’employés des multinationales françaises ont cru deux fois plus vite que dans les multinationales allemandes et italiennes.
(8) Il est significatif que le principal partenaire commercial pour les exportations de biens des pays de l’UE (2016) soit un autre membre de l’Union, à l’exception de l’Allemagne, de l’Irlande, du Royaume-Uni et de quelques très petits états, qui privilégient les États-Unis. Significatif aussi que les échanges de la France avec l’Allemagne soient structurellement déficitaires, que les balances commerciales avec les autres pays européens de l’Allemagne et les Pays bas soient excédentaires quand les autres sont déficitaires. Les écarts se creusent même pour l’Allemagne dont l’excédent commercial avec l’ensemble de ses partenaires européens était de 160,3 milliards d’euros en 2017.
(9) L’excédent allemand représente 9% de son PIB. S’il n’était que de 6%, cela permettrait d’injecter 90 milliards d’euros en plus dans la zone euro, par le biais d’une hausse des salaires ou en augmentant les dépenses publiques allemands. (Romaric Godin Audition sénatoriale)
(10) Le fait que l’euro soit légèrement sous-évalué compte-tenu de la structure de l’économie allemande lui a permis de booster ses exportations dans un contexte où les partenaires commerciaux allemands en Europe ne pouvaient pas dévaluer leur monnaie. La monnaie unique permet à l’Allemagne, non seulement de dégager des excédents beaucoup plus forts que ses voisins européens mais d’investir ensuite son épargne sans crainte dans le reste de l’Europe. Ainsi, dans son étude « External Sector Report » de 2017, le Fonds monétaire international calcule que l’euro était sous-évalué d’environ 18% pour l’Allemagne et surévalué de 6,8% pour la France. (Res Publica Note 20/08/2018).
(11)« Actuellement, le principe de libre circulation des capitaux coûte fiscalement à la France entre 60 et 80 milliards d’euros. On peut retrouver une base fiscale contrôlable, en disant aux gens : « Si vous voulez acheter une entreprise, vous pouvez faire circuler vos capitaux, mais si c’est pour spéculer, non », Jacques Sapir.
(12) La dynamisation du débat public passe par la suppression de la règle actuelle distribuant le temps de parole entre les groupes à proportion de leurs effectifs comme si, plus on est nombreux plus on a de choses intéressantes à dire, ce qui est loin d’être prouvé. Que la règle majoritaire soit privilégiée pour les prises de décision, qu’elle le soit à ce point – même en tant que majorité relative- dans les débats, une autre. Quand le gouvernement dispose du soutien de la majorité dans une assemblée, les projets de loi et les propositions qu’il soutient sont défendus par le ministre en séance, le rapporteur et le groupe majoritaire, ce qui a un effet plus soporifique que stimulant. Quand ce n’est pas le cas, le gouvernement qui dispose d’un temps de parole aussi important qu’il le souhaite pour présenter ses projets et répondre aux critiques, dispose du soutien des groupes de la majorité présidentielle. Autant dire que, dans ce cas non plus, l’expression de points de vue hétérodoxes n’en est pas facilitée. Il est donc souhaitable d’accorder forfaitairement un minimum décent de temps d’expression aux minorités ou de répartir le temps entre groupes pour partie à égalité, pour une autre proportionnellement à leurs effectifs.
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