Culture

Mourir pour des idées, 1972 Brassens

Par Mathias Delsol Réputé pour la légèreté de ses chansons, Georges Brassens est aussi un artiste qui insuffle dans ses écrits des messages à portée politique. Plus encore, il est une figure revendiquée de l’anarchisme, cause pour laquelle il écrivait dans sa jeunesse : ses fameux copains sont partiellement issus des milieux « anars ».

Le sètois accusait déjà d’un pacifisme désinvolte par bien des titres – dans ce registre, La Guerre de 14-18 ou Les Deux Oncles – mais Mourir pour des idées, issue de l’album Fernande (1972), demeure sa chanson la plus solennelle en la matière. Une nuance toutefois : le sujet, le ton et la mélodie sont graves, mais Brassens dénote parfois avec ce sarcasme qui lui sied si bien. L’œuvre de Brassens est transcendée d’un idéal libertaire en lequel la vie, l’amour et la tranquillité sont absolues. Mourir pour des idées est une chanson qui s’affaire du fond, dans laquelle le poète étaye sa position en chargeant le point de vue adverse. Il s’adresse tout particulièrement à toute idée qui inciterait à l’ultime sacrifice, pour des raisons qu’il explicite par le chant.

« Mourrons pour des idées d’accord, mais de mort lente »

Étant lui-même épris d’un certain nombre d’entre elles, Brassens consent un point : le propos n’est pas l’abandon de toutes les convictions mais davantage la primauté de la vie sur ces dernières. L’opinion n’est pas exprimée sans une pointe d’ironie : la mort étant de rigueur pour nous autres, la lenteur de la venue de celle-ci nous dispenserait en réalité de mourir pour des idées, nous laissant ainsi succomber en raison de causes naturelles. « À forcer l’allure, il arrive qu’on meure pour des idées n’ayant plus cours le lendemain ». Le « zèle imbécile » (Supplique pour être enterré à la plage de Sète, 1966) que connaissent les fervents partisans qui ont miroité le triomphe dans la postérité peut s’avérer vain : soit par défaite – l’on pensera ici à la Commune de Paris, dont Brassens se réclame – soit par désintérêt – à ce sujet, Brassens évoque la guerre de Cent Ans dans Les Deux Oncles. Il déplore un tel gâchis du trésor qu’est la simple vie, puisqu’avec recul, la Camarde en les emportant, ne laissa guère de mé­moire intemporelle de ces hommes.

« S’il est une chose amère, désolante, en rendant l’âme à Dieu c’est bien de constater, qu’on a fait fausse route, qu’on s’est trompé d’idée ». Le bien unique qu’est la vie se doit a minima d’être utilisé pour la juste cause, mais l’enjeu est d’une ampleur telle qu’il est épineux de trancher. Face au Purgatoire, remarquer avoir donné sa vie pour de vils desseins est une observation fatale. Par conséquent, « le sage tourne autour du tombeau », il traîne à choisir la cause qui le condamnera.

« Mourir pour des idées, c’est le cas de le dire, c’est leur raison de vivre, ils ne s’en privent pas » Aux Saint-Jean bouche d’or, responsables de ces massacres, Brassens cède le pas. Le constat est fréquent, ces autorités « supplantent bientôt Mathusalem dans la longévité », ce sont les premiers à s’abstenir de l’offrande suprême : ils la prescrivent pourtant.

Georges Brassens, toujours avec aménité, s’en prend résolument à toute idée prétentieuse qui ne percevrait la vie que par son prisme et la consumerait à ses fins. Cet éloge de la vie tranquille est autobiogra- phique, l’auteur étant celui ayant vécu dix années d’extrême indigence dans l’impasse Flaurimont du 14ème arrondissement de Paris. Il le confessera toutefois : ces dix années de vie simple, marquées par l’amour et la chanson, l’humour et l‘amitié, furent les meilleures de sa vie.

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