Contrainte ou consentement, quelques réflexions sur la définition pénale du viol

Ce 25 novembre, et 25e journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, est l’occasion de revenir sur l’opposition entre la France et l’Union européenne en matière de criminalisation du viol.

Dès la fin de l’année 2023, lors des négociations autour de l’adoption de la directive européenne sur la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique, la définition pénale française du viol a fait débat. La transcription dans le débat public de cette question a toutefois entrainé une simplification exacerbée des enjeux, de sorte qu’en préalable, il est nécessaire de revenir sur plusieurs points.

En premier lieu : non, l’opposition de la diplomatie française à la définition du viol posée par la directive ne signifiait pas que la France est opposée à la criminalisation du viol.

L’inadaptation relative du droit à la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes et à la protection des droits des femmes est une des manifestations de la domination masculine. On peut ici, en veillant à ne pas verser dans l’anachronisme, citer le code civil de 1804, faisant de l’épouse l’éternelle mineure de son époux, qui se traduit encore aujourd’hui par la persistance de la notion de bon père de famille dans les pratiques juridiques, ou encore de l’utilisation de la communauté de vie pour déduire un devoir conjugal permettant le prononcé de divorce aux torts exclusifs de l’épouse en cas de refus prolongé de relations sexuelles[1]  ; mais nous pouvons aussi mentionner la pénalisation de l’avortement jusqu’en 1975, les inégalités patrimoniales favorisées par les stratégies notariales autour des successions, ou encore la – trop – récente criminalisation du viol, conjuguée au phénomène de la correctionnalisation.

Pour autant, en France, et grâce au militantisme acharné de Gisèle Halimi et du mouvement féministe, le viol est bien un crime, prévu par les articles 222-23 et s. du code pénal. Il est assorti de circonstances aggravantes, limitativement énumérées, prenant en particulier en considération la vulnérabilité de la victime, le sexe, et l’âge.

Lorsque la diplomatie française s’oppose à l’article 5 de la directive relative à la criminalisation du viol, elle ne rejette pas la criminalisation du viol mais bien l’insertion du viol dans la catégorie des euro-crimes, relevant de la compétence de l’Union européenne. Sans verser ici dans un exposé plus complet de droit européen, il est utile de préciser que la compétence de l’Union européenne est fondée sur la subsidiarité, c’est-à-dire sur le choix du niveau le plus efficace pour agir. 

Ajoutons aussi que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme impose aux États parties de criminaliser le viol et de mettre en œuvre les moyens adéquats pour poursuivre les auteurs de violences sexuelles et prévenir la réitération de ces violences, et ce y compris si cela requiert des investigations transfrontalières. 

En conclusion, il apparait que la diplomatie française manifestait davantage une opposition à l’insertion du viol dans la catégorie des eurocrimes. La définition de la directive axée sur le consentement a également fait naître des réserves. La définition française du viol est-elle incompatible avec la prise en compte du consentement ?


Le consentement, quid ?

En droit, le consentement est une notion avant tout civiliste. Il s’agit, dans une relation d’égalité entre des particuliers, de protéger l’intégrité du consentement de chaque partie dans les actes juridiques qui naissent de leurs rapports. Lorsque le consentement est vicié, l’acte juridique est considéré comme nul et non avenu. L’approche est bien celle du droit civil fondée sur l’égalité des individus : le code civil cherche à garantir cette égalité et prévoit des mécanismes permettant de protéger la partie faible, notamment afin de s’assurer de son consentement. 

En droit pénal, l’approche est radicalement différente. Le droit pénal n’oppose pas la victime à l’auteur d’une infraction : elle oppose le ministère public, c’est-à-dire l’ensemble de la société, à celui ou celle qui commet une contravention, un délit ou un crime. Il s’agit de réparer le trouble à l’ordre public qui en découle et de protéger la société de la réitération. Il s’agit aussi de garantir la sécurité de chacun et chacune en pénalisant les comportements antisociaux, intentionnellement préjudiciables. 

Dans cette approche, la victime est partie civile, c’est-à-dire qu’elle est tierce à la procédure. Elle n’est pas positionnée sur le même plan que l’auteur ou que le ministère public. Procéduralement, l’égalité n’est pas possible. En revanche, il est tout à fait loisible à la victime de poursuivre également au civil l’auteur afin d’obtenir réparation de son préjudice. 

Ajoutons à ceci que commettre une infraction pénale requiert trois éléments cumulatifs : un élément légal (la pénalisation), un élément matériel (la commission) et un élément intentionnel (la volonté). Il en résulte que l’infraction pénale est fondée sur le comportement de l’auteur. Pas de la victime. 

A cet égard, le premier alinéa de l’article 36 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d’Istanbul, dispose que les Parties contractantes ont l’obligation d’ériger en infraction pénale la commission intentionnelle de violences sexuelles, y compris et spécifiquement le viol, constitué lorsqu’il y a pénétration non consentie.

Trois éléments sont donc mis en exergue par l’article 36 : la nécessité de pénaliser le viol et les violences sexuelles, la dimension intentionnelle de l’infraction s’agissant du comportement de l’auteur, et la qualification du viol et des violences sexuelles par le non-consentement. Il est précisé ensuite que « le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes. ».

La lettre de la convention d’Istanbul encadre la définition du consentement, considérant qu’il doit être donné positivement et qu’il est évalué en fonction du contexte. Une telle rédaction ne limite donc pas le consentement à l’expression d’un accord libre, en appréhendant également la manifestation du consentement ou de son absence par l’examen des circonstances. 


La définition pénale du viol – contrainte, violence, menace ou surprise – n’exclut pas en soi l’examen du consentement

En droit français, le viol est le crime par lequel son auteur pénètre ou tente de pénétrer la victime, par contrainte, violence, menace ou surprise. Contrainte, violence, menace ou surprise : les quatre critères constitutifs recouvrent un champ large. Aucun d’entre eux n’est limité à la commission de violences physiques : la violence peut être psychologique, la contrainte peut être morale, la menace désigne par définition la mise en œuvre d’une coercition par l’usage de procédés faisant craindre un péril pour la victime ou ses proches. Enfin, la surprise peut être caractérisée notamment quand la victime ne peut consentir à la pénétration qui lui est imposée, qu’elle soit ou non d’ailleurs en état de sidération ou de dissociation traumatique. 

Parmi ces critères, la contrainte et la surprise peuvent permettre, en l’absence de violences physiques, de prendre en compte l’absence de consentement de la victime, et ce même si le mot consentement n’apparaît pas nommément. Il pourrait être utile de compléter la définition de la contrainte par l’adjonction de l’environnement coercitif : toutefois, dans leur office, les juges du fond sont déjà libres de soulever la coercition. 

En clair : il ne s’agit pas ici de dire que la définition pénale du viol ne requiert pas d’améliorations. Toutefois, il est inexact juridiquement d’affirmer que l’interprétation du viol exclut le consentement. De même, il n’y avait pas d’incompatibilité irréductible entre l’article 5 de la directive définissant le viol par l’absence de consentement et la définition française du viol : sinon, comment la France aurait-elle pu ratifier la Convention d’Istanbul sans que n’en découlent les modifications législatives adéquates ?

La loi peut beaucoup, mais elle ne peut pas tout. Dans sa mise en œuvre, l’intention du législateur et la jurisprudence permettent également d’en dessiner les contours. Et dans leur office, les juges utilisent déjà la notion de consentement lorsqu’ils ont à se prononcer sur des violences sexuelles et sur des viols. Ils et elles ne le font d’ailleurs pas toujours en faveur des victimes, dans un contentieux souvent réduit à la peau de chagrin des paroles des victimes contre les dénégations des auteurs, où les preuves sont souvent trop rares. Dans un contentieux massif, où les moyens manquent cruellement. Dans un contentieux qui s’étire infiniment dans le temps pour de trop nombreuses victimes.


Ne faisons pas de la définition pénale du viol l’alpha et l’oméga de la prise en charge défaillante des victimes : la responsabilité du service public de la justice

Nul.le ne prétend, et encore moins les militant.e.s féministes, que le viol est poursuivi et condamné à la hauteur de ce que les hommes infligent aux femmes, à la hauteur de la négation de leur humanité, à la hauteur de la douleur et des traumatismes qui en résultent.

Toutes les victimes de viol n’ont pas accès à la justice, loin s’en faut, soit parce qu’elles ne la saisissent pas, soit parce que leur plainte est classée sans suite, soit parce que le viol infligé est correctionnalisé.

C’est d’ailleurs pour cette raison que les délais de prescription ont été allongés. De surcroît, l’engorgement de la justice a abouti à la mise en place des Cours criminelles départementales. Généralisées le 1er janvier 2023, les Cours criminelles départementales constituent une juridiction destinée de facto au contentieux des violences sexuelles et en particulier du viol. Elles ont été installées afin de mettre un frein à la pratique des correctionnalisations, et dans l’objectif affiché de réduire les délais de jugement.

A ce sujet, plusieurs points soulèvent des questions qui mériteraient de figurer davantage dans le débat public eu égard à l’impact qu’elles produisent déjà sur les affaires et en conséquence sur les victimes.

Premièrement, l’obligation de formation des magistrats au contentieux des violences sexuelles et à la prise en charge des victimes a été instaurée par la loi en 2014. Or, les juges des cours criminelles départementales sont pour l’essentiel des magistrats et avocats honoraires (à la retraite), qui n’ont donc pas bénéficié d’une telle formation dans leur formation initiale. Ils n’ont pas plus été formés spécifiquement au contentieux des violences sexuelles, alors même que la poursuite des auteurs présumés de viol constitue l’immense majorité du contentieux des cours criminelles départementales.

En second lieu, il n’est pas certain que les cours criminelles départementales répondent à l’impératif de pédagogie nécessaire dans la lutte contre les violences sexuelles et la prévention de la récidive, alors même que le temps consacré à l’audience est réduit au moins de moitié par rapport aux cours d’assises.

En troisième lieu, les délais croissants d’audiencement s’approchent de plus en plus de ceux en vigueur pour les viols jugés aux Assises, à rebours des engagements pris lors du lancement de l’expérimentation ayant mené à la généralisation.

Notre service public de la justice a la responsabilité immense d’une part de répondre aux attentes que placent entre ses mains les victimes de violences sexuelles ; et d’autre part de protéger la société en condamnant les auteurs. Or, il n’est pas à la hauteur. Les ressources ne suivent pas.

Face à un contentieux aussi massif, face aux multiples manifestations de la haine des hommes, face au continuum des violences patriarcales, il n’y a pas assez d’effectifs de police, il n’y a pas assez de moyens dédiés à la lutte contre les violences sexuelles en général et à la poursuite et à l’investigation en particulier, il n’y a pas assez de juges d’instruction, il n’y a pas assez d’audiences, il n’y a pas assez non plus de place en détention provisoire ni dans les centres pénitentiaires. Et il n’y a pas que des « pas assez », il y a aussi des « trop » : trop de viols bien sûr, mais aussi trop de confrontations directes imposées comme seule méthode d’enquête, trop de classements sans suite, trop de non-lieux, trop de temps qui passe entre le viol, le signalement et le point final de la procédure.


Ces « pas assez », ces « trop », il ne faut pas y consentir. Et parce que nous n’y consentons pas, nous ne voulons pas que le débat sur le consentement masque la responsabilité immense des pouvoirs publics s’agissant de la protection insuffisante des femmes et des enfants face au viol. 

Nous ne voulons pas que les classements sans suite se trouvent excusés ou justifiés par l’absence du mot consentement dans la définition pénale du viol, alors que les professionnel.le.s de la justice disposent de tous les outils législatifs nécessaires pour condamner les violeurs à la hauteur de ce qu’ils infligent à leurs victimes.

Nous ne voulons pas que les victimes de viol aient le moindre doute sur la réalité des violences subies, qu’elles aient ou non dit « non ». Parce que nous les croyons.

Dès lors, au-delà du débat autour de l’insertion du mot « consentement » à l’article 222-23 du code pénal, il semble pertinent de réfléchir de manière rigoureuse à la place de la victime dans le procès pénal. C’est d’ailleurs ce que la Fondation des Femmes et de nombreuses associations féministes invitent le gouvernement et les parlementaires à faire dans le cadre de son plaidoyer pour une loi-cadre intégrale visant à lutter contre les violences sexuelles.

Les leviers sont nombreux : actes d’enquête dans un délai d’un mois après le dépôt de plainte, motivation suffisante des classements sans suite, information régulière des victimes et de leurs avocats tout au long de la procédure, y compris en post-sentenciel, garantie de l’éloignement de leur agresseur présumé pendant la procédure, protection effective contre les menaces susceptibles d’être proférées par l’entourage du mis en cause, enregistrement audiovisuel de la plainte afin d’éviter d’avoir à revivre le récit du viol, ouverture du droit d’appel à la partie civile, extension du principe de prescription glissante aux victimes majeures, possibilité du cumul des circonstances aggravantes, amélioration du régime desdites circonstances avec l’ajout du guet-apens et de la soumission chimique, etc.

Finalement, il semble que le débat sur le consentement procède d’une crainte : celle que la volonté et la parole des femmes soient ignorées et méprisées par la justice. 

Cette crainte trouve d’ailleurs son origine – voire sa confirmation – à travers les statistiques de condamnation des auteurs de violences sexuelles. Or, ne procède-t-elle pas avant tout de la place secondaire laissée à la victime dans le cadre du procès pénal ? Du coût de la justice ? Des multiples entraves sur le chemin de la dénonciation des violences ?

Alors, ne faisons pas à un mot le procès du viol. Faisons du service public de la justice le fer de lance contre l’impunité des agresseurs.

Références

[1] Cela est d’autant plus paradoxal que ces décisions sont incohérentes avec le droit pénal. Une telle distorsion s’explique peut-être par le caractère relativement récent de la criminalisation du viol par conjoint (2006) et de la reconnaissance de la conjugalité comme circonstance aggravante (2010).

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