© European Union 2024/Oliver Bunic
Après plusieurs années d’âpres négociations, le nouveau pacte sur la migration et l’asile a été adopté au Parlement européen le 10 avril dernier et devrait entrer en vigueur autour du mois de juillet 2026. Ce paquet législatif avait été annoncé le 16 septembre 2020 par Ursula Von der Leyen lors de son discours sur l’état de l’Union. La présidente de la Commission européenne affirmait alors son souhait d’abolir le controversé système Dublin. Ce règlement est l’une des sources majeures du droit de l’asile européen. Il avait deux objectifs : déterminer l’État responsable de la demande d’asile d’une personne arrivant sur le territoire européen et lutter contre les mouvements secondaires, c’est-à-dire l’enregistrement de la demande d’asile d’une même personne dans plusieurs États. Le premier objectif est le principal point d’achoppement de ce texte. En effet, pour déterminer l’autorité responsable du traitement d’une demande d’asile, le critère dominant encore aujourd’hui rend seul responsable l’État par lequel est entré en premier le demandeur d’asile. Le deuxième objectif, la lutte contre les mouvements secondaires, est loin d’être atteint. Si l’on compare les années 2014 et 2021 qui ont vu un nombre similaire de demandes d’asile (respectivement 510 696 et 505 221), on comptait, en 2014, 137 220 cas pour lesquels une demande préalable avait été faite dans un autre État membre. En 2021, ce chiffre s’élevait à 213 310 cas. L’endiguement des déplacements secondaires n’a donc pas été efficace. La combinaison de ces deux facteurs a engendré d’importants déséquilibres faisant peser davantage sur les pays du Sud et de l’Est, aux portes de l’Europe, la charge du traitement des demandes au point de causer la faillite du système d’asile de certains pays comme la Grèce.
Malheureusement, le nouveau pacte tel que façonné par les colégislateurs ne résout pas ces défaillances structurelles. Le critère faisant de l’État de première entrée l’autorité responsable demeure. Pour pallier cela, un « mécanisme de solidarité » a été introduit par l’un des règlements du pacte. Ainsi, les États membres doivent prendre en charge au moins 30 000 demandeurs par an ou payer une compensation financière de 20 000 euros par demandeur non relocalisé. En parallèle, les États membres pourront contribuer à un « panier commun » dans lequel puiseront les pays subissant une forte pression migratoire. Ces contributions seront calculées sur la base du PIB et de la taille du pays. Au vu de la réticence de nombreux pays européens à accueillir des migrants sur leur sol, il y a fort à parier que la relocalisation de demandeurs soit très peu pratiquée par les États membres.
Le problème du système d’asile européen, c’est qu’il est encore tourné vers une vision sécuritaire des frontières européennes sans prendre en compte les défis à venir. On observe, depuis déjà quelques années, une montée des populismes de droite et d’extrême droite en Europe. En septembre 2022, les Démocrates de Suède, parti conservateur, très à droite et anti-immigration a obtenu des scores sans précédent aux élections législatives avec 20,5 %, se plaçant second devant les Modérés. Le même mois, l’extrême droite italienne incarnée par le parti Fratelli d’Italia et sa figure de proue Giorgia Meloni, progresse de 21,6 points de pourcentage et totalise 26 % des voix à la Chambre des députés. En France, le Rassemblement National, parti de Marine Le Pen est parvenu à placer 89 députés à l’Assemblée nationale contre 7 aux précédentes élections. Si cette dynamique indéniable peut paraitre alarmante, elle montre surtout une chose : il existe un électorat de citoyens européens séduit par ces programmes politiques. Les gouvernements en place sont donc à la fois tenus de partager les institutions avec les élus de ces partis d’extrême droite, mais aussi tentés de capter une part de cet électorat. Une partie d’entre eux est donc plus encline à tenir des positions conservatrices et hostiles vis-à-vis de sujets comme l’asile et la migration. On se retrouve donc avec un système de gestion de l’asile profondément contradictoire où coexistent deux logiques opposées : les aspirations européennes pour la protection et la promotion des droits fondamentaux d’un côté et les volontés sécuritaires des États de l’autre. Il n’y a donc rien d’étonnant au fait que ce système ne soit pas conçu pour résister aux crises migratoires de ce siècle. Ceci devient particulièrement inquiétant lorsqu’on se penche sur les prévisions des déplacés climatiques. Un rapport produit par la Banque Mondiale en 2021 estime que d’ici 2050, 216 millions de personnes seront forcées de quitter leur habitat. Bien sûr, ce chiffre est à relativiser puisqu’une large partie des déplacements se feront à l’intérieur des pays où vers les pays voisins. Néanmoins, nombre des pays les plus touchés sont déjà dans une situation économique, sociale et politique précaire et les déplacements massifs de population seront un grand facteur d’instabilité. L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) explique dans un rapport de 2022 sur les mobilités liées au changement climatique, qu’en 2030, environ 50 % de la population mondiale vivra sur des zones côtières de plus en plus exposées aux inondations, aux tempêtes et aux tsunamis. De plus, si l’on prend comme référence le scénario +2 °C, ce qui est aujourd’hui très optimiste, 350 millions de personnes seront exposées à des températures invivables. On pourrait continuer longtemps à énumérer des chiffres tout aussi catastrophistes montrant que les crises migratoires que nous avons connues jusqu’à maintenant seront certainement dérisoires en comparaison de celles qui nous attendent. Il faudra alors choisir : s’enfoncer dans un isolationnisme meurtrier et essayer vainement d’empêcher l’accès à notre territoire ou bien changer radicalement notre perspective et concevoir un système capable d’accueillir au mieux les migrants et les demandeurs d’asile.