Chronique

Naissance des pieuvres, Céline Sciamma (2007)

Naissance des pieuvres (2007) est une plongée dans les débuts du cinéma féministe et donc politique de la cinéaste française Céline Sciamma. Un film d’une beauté authentique et dure qui explore les métamorphoses de l’adolescence au féminin. Plongez !

Dans la sélection du mois d’avril de LaCinetek, placée sous le signe des métamorphoses, c’est l’énigmatique Naissance des pieuvres de Céline Sciamma qui a retenu mon attention. À 27 ans, elle signait alors un premier long-métrage d’emblée remarqué, annonçant un cinéma prometteur, féministe et donc politique – ce dont témoigneront entre autres Tomboy (2011), récompensé à la Berlinale, et Portrait de la jeune fille en feu (2019), prix du scénario à Cannes.

Ici, on plonge dans les eaux troubles de l’adolescence de trois filles, en toute chose différentes et en pleine quête fiévreuse de soi. Marie, une introvertie taciturne et frêle – bien qu’au regard droit – s’émerveille avec envie devant l’équipe de natation synchronisée de sa piscine municipale. Sa meilleure amie Anne, elle, a la chance d’en être. Ce n’est pourtant pas toujours une partie de plaisir pour celle-ci qui, pataude et tout en rondeurs, préfère attendre que toutes les filles aient quitté le vestiaire pour se changer, arguant que son maillot n’a pas encore séché. Au gré des visites de Marie à la piscine, et alors que son amitié avec Anne s’étiole, une autre fille va accaparer son attention. Floriane, grande, belle et d’une fierté hautaine est méprisée par les autres nageuses de l’équipe qui la soupçonnent de coucher avec peu ou prou tous les garçons de l’équipe de water-polo. D’abord inaccessible aux sollicitations de Marie, elle finit par y trouver un intérêt en l’utilisant comme prétexte pour s’échapper de chez elle et retrouver des garçons, plantant la pauvre Marie dans un garage sombre le temps que se fasse l’affaire. Pourtant, à force de persévérance, une certaine relation se structure, et le désir et les attentes deviennent progressivement réciproques.

Avec ses trois jeunes pieuvres, interprétées de façon très convaincante par Adèle Haenel, Pauline Acquart et Louise Blachère, Céline Sciamma se confronte avec un style sans fard aux métamorphoses de l’adolescence au féminin et aux émois du cœur et de la sexualité. Dans un climat tout à la fois cruel, passionnel, érotique et largement aquatique, elle conjugue talentueusement le thème du désir homosexuel naissant à celui de la relation au corps et aux pressions sociales. Naissance des pieuvres est d’évidence le premier film d’une cinéaste résolument féministe qui, consciente des enjeux de représentation et de son impact sur la réalité, s’attache à mettre en scène des personnages féminins en qualité de sujet et non d’objet – une politique de la fiction selon ses mots(1). L’absence notable d’hommes, que l’on retrouve dans d’autres de ses films, n’est d’ailleurs aucunement « punitive » mais le moyen pour la cinéaste de focaliser toute l’attention et tout l’intérêt sur ses héroïnes, leur introspection et leur goût pour la liberté.

Le premier film de Céline Sciamma est d’une beauté authentique et dure. Son éclat ne résulte pas d’une mise en scène ou de paysages grandioses, loin de là, mais bien plus d’une simplicité profonde, complexe et sensuelle. Un film qui encourage à « s’en foutre d’être normal » et à ne pas avoir de « plafonds dans les yeux » !

Références

(1)V. son passage dans L’invité(e) des Matins de France Culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-des-matins/celine-sciamma-portrait-d-une-realisatrice-en-feu-7732045

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