VUE DU PERCHOIR – LE PARADOXE DU FOU SAGE

Il y a depuis huit ans à l’Elysée un homme dont la marque de fabrique politique a été la torsion constante de nos institutions démocratiques. Plus que depuis un demi-siècle. Le cadre, les règles, les garde-fous lui font horreur. Son credo est la limite, toujours sur la brèche, jamais dedans. Chaque semaine, Romain Troussel-Lamoureux chronique cette actualité parlementaire et politique pour Le Temps des ruptures.

On le dit proche de Giulano Da Empoli. Ses modèles, ce seraient donc ces prédateurs dont l’illimitation des désirs passe parfois pour de la puissance politique ? Las, la comparaison s’épuise vite. Le président de la République française ne fait pas découper ses opposants, il n’organise pas de coups d’Etat.

Pourtant la situation a de quoi interroger. Hormis les partis antisystèmes, les demandes de présidentielle anticipée se font maintenant entendre depuis l’intérieur même de ce qui fut le cœur du pouvoir macroniste. Le dernier tireur en date est Edouard Philippe qui réclame avec force l’organisation rapide d’une présidentielle anticipée après un vote expédié d’un budget technique. L’héritier Attal ne va pas aussi loin mais désormais, « il ne comprend plus » ce président qui cherche à tout prix à garder la main. Appétits élyséens de Brutus patentés diront les éditorialistes habituels de la vie politique française.

Et si la question était plus grave ? Et si le président, de toujours jupitérien, se révélait peu à peu dans une figure de fou sage. Ce dernier, trope classique de la littérature depuis l’antiquité, fait d’un personnage reconnu comme fou une source paradoxale de sagesse. On a longtemps mis en avant sa disruption. Il cassait les codes, il n’a maintenant plus de limites ni de barrières. Il n’était ni de droite ni de gauche, il est aujourd’hui le contempteur autoritaire du Parlement qui, fort d’une nouvelle méthode, pourrait sauver le pays de la ruine. Il possédait une vision révolutionnaire pour un pays endormi et englué par sa classe politique, il n’est plus qu’un César ombrageux arc-bouté sur de maigres réussites.

En réalité, Emmanuel Macron n’a pas changé. Ce qui a changé, ce sont les regards d’une élite qui protège de moins en moins le fils prodigue de la caste. Ces huit années, les interrogations ont été constantes sur sa lucidité politique et sur la solidité de ses valeurs démocratiques : les ordonnances, l’affaire Benalla, les Gilets Jaunes, la gestion du début de la pandémie, la réforme des retraites, la dissolution, la triple nomination de Premiers ministres issus de partis politiques affaiblis.

On n’a de cesse, à raison, de pointer les risques pour l’Etat de droit en cas d’accès au pouvoir du Rassemblement national. Mais il y a depuis huit ans à l’Elysée un homme dont la marque de fabrique politique a été la torsion constante de nos institutions démocratiques. Plus que depuis un demi-siècle. Le cadre, les règles, les garde-fous lui font horreur. Son credo est la limite, toujours sur la brèche, jamais dedans.

« Les institutions étaient dangereuses avant moi. Elles le seront après moi » disait un de ces prédécesseurs. Nul besoin du RN pour vérifier la formule. Ce président a essoré des institutions faites pour résister à une guerre civile.

Sa principale œuvre, c’est la négation de la politique et la diffusion de cette négation dans la société. Nous en sommes plus à nous questionner sur le flot montant de l’extrême-droite, mais à nous rendre compte que 44% des Français souhaitent désormais un Premier ministre issu d’aucun parti politique, issu de la société civile ou du monde de l’entreprise.

Voilà son bilan. Il a prouvé méthodiquement, en bafouant peu à peu toutes les pratiques politiques de la Ve République, que la politique ne pouvait pas transformer le réel. Dès lors, à quoi sert-elle ?

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