Le réel ou l’idéal, la grande confusion socialiste ? Difficile de voir clair dans une période aussi incertaine. Cela semble être un des plusieurs traits de la crise, une conjoncture fluide comme la considérait Michel Dobry. Un autre tient à une progression par-à-coups. Les moments charnières d’approfondissement d’une crise sont accompagnés de périodes de calme relatif pendant lesquelles les acteurs tentent de reprendre pied. Sans succès.
Fluide, cette crise l’est de plus en plus, au moins dans le monde politique. Le remplacement de la droite conservatrice par la l’extrême-droite nationaliste et xénophobe suit son cours. Une étape de plus, symbolique mais tout de même, a été franchie dans l’hémicycle ce jeudi 30 octobre lors du vote réussi de la résolution du Rassemblement national visant à dénoncer les accords de 1968 avec l’Algérie.
Mais que dire de la gauche. Ou plutôt du Parti socialiste dans cette période. Dans les périodes de doute, les socialistes ont une boussole, un talisman, une incantation fétiche. Celle des grandes figures. Que nous disent-elles aujourd’hui. Las, bien peu de choses. Où est donc la « rupture avec l’ordre établi[1] » après huit ans de macronisme ? Plus encore. Jaurès nous disait il y a plus d’un siècle, « le courage, c’est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces […] le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel, c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond[2] ».
Depuis longtemps[3], le PS confond le fait de comprendre le réel, d’y passer certainement, et celui de s’y perdre. Les (bonnes) raisons sont toujours là : le programme économique de François Hollande, précurseur de celui d’Emmanuel Macron, intègre l’idée d’une concurrence socio-fiscale européenne sans vergogne et il produit des emplois peu qualifiés ; la non-censure de Sébastien Lecornu sauve la France d’un président sans aucune éthique politique et épargne les citoyen.nes d’un moment charnière de la crise en cours. Mais à quel prix ? L’adoption, avec ou sans les voix socialistes, d’un budget issu du socle macroniste permettra-t-elle au pays de sortir de la crise politique installée par le président ?
Ce moment pose une question plus vaste. Quel est l’espace pour le compromis chez les socialistes ? Une maxime y répond parfaitement, inlassablement, inévitablement : « c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ». Où est l’idéal dans le budget négocié en ce moment au Parlement ? Où est l’idéal dans le moindre mal ? Le moindre mal, c’est la ligne politique du radicalisme finissant de la Troisième République. Le moindre mal, c’est la ligne de la SFIO à bout de souffle de la IVe République. Le moindre mal, est-ce de soutenir implicitement un budget austéritaire ?
Alors voilà le chemin de l’idéal : la suspension de la réforme des retraites, la taxation à hauteur de plus de 10 milliards des patrimoines les plus importants et la réduction de la pression fiscale sur les trois premiers déciles. Sans cela, il n’y a qu’un seul chemin : la censure ou le déshonneur.
Le compromis dans le socialisme français ne trouve son sens que lorsqu’il permet la victoire politique. Pas le moindre mal, pas la demi-mesure. Ce sont là les rôles politiques d’autres formations : les centristes et les conservateurs. A trop craindre la crise, nous risquons d’être emportés avec.
[1] : Discours de François Mitterrand à la tribune du congrès d’Epinay en 1971 avant le vote qui l’investira Premier secrétaire
[2] : Discours à la jeunesse, 1903 au lycée d’Albi
[3] : dès 1983 pour certains, 2005 pour d’autres, 2016 pour les derniers