Changer de logiciel : réenraciner nos entreprises

La gauche n’a jamais été allergique à l’entreprise, ce serait une erreur de le penser. En revanche, ce qui l’indigne, c’est lorsque l’économie se plie aux lois de la finance, réduisant la réussite à un concours de graphiques toujours plus croissants et négligeant volontairement le développement économique de l’ensemble des parties prenantes du territoire.

Changer de logiciel ne consiste pas seulement à réformer des règles économiques ; c’est un changement de regard sur la place de l’entreprise dans notre société.

Mais de quelles entreprises la gauche parle-t-elle ? Regardons autour de nous : l’artisan qui réalise des travaux que nous sommes incapables de faire, parfois accompagné d’un apprenti à qui il transmet son savoir. Une PME innovante, prise en étau entre acteurs locaux et concurrents étrangers, investit pour innover et recrute afin de répondre à la demande de ses clients, sans avoir beaucoup de visibilité à long terme. Une ETI poursuit son développement commercial à l’étranger sans entrer dans une logique de délocalisation. Une coopérative regroupe des éleveurs et des producteurs qui s’associent pour faire face aux ogres de la distribution ou à l’instabilité des récoltes. Enfin, il y a les services qui enseignent, soignent, réparent, codent ou transportent. Ces acteurs sont profondément présents dans nos quartiers et nos campagnes. Ils composent l’économie réelle et enracinée.

Dans ces chaînes de valeur, tout ne se résume pas à un taux de rentabilité. L’ensemble des acteurs compte. L’ancrage produit des biens et des services, mais aussi de la confiance et du savoir‑faire. Il exige que chacun se complète plutôt que de s’écraser. Produire et servir, investir et transmettre, c’est regarder des visages connus et respecter des délais réalistes. On évite ainsi des profits fondés sur des sacrifices humains ou des pressions absurdes imposées à ceux qui travaillent et qui conduisent, in fine, à la dégradation de l’écosystème.

Pourtant, une autre logique domine trop souvent : le trimestre boursier et la performance dictée par des fonds d’investissement invisibles. Beaucoup de grands groupes n’ont plus que le cours de Bourse comme boussole. Les profits stagnent ? Aucun souci : on commence par ajuster les comptes ; concrètement, on coupe les investissements et les formations, on renonce à l’innovation et, en dernier ressort, on supprime des emplois au nom d’une rentabilité jugée insuffisante. Ces décisions, prises à distance, ne visent qu’à satisfaire des actionnaires impatients et toujours plus gourmands. La fermeture de l’usine Samsonite à Hénin‑Beaumont, malgré son activité, en est un exemple tragique¹ : l’exigence de marges plus élevées par un fonds américain a brisé des vies et fragilisé une région. Quand le cours de l’action devient la seule priorité, le territoire cesse d’être un bassin économique et devient un paillasson ; il ne s’agit là que d’un exemple parmi tant d’autres, sans aucune considération pour les acteurs locaux.

Ce mécanisme n’est pas neuf. En 1889, Jaurès alertait : « Les industriels petits et moyens, les commerçants petits et moyens fléchissent sous le poids des grands capitaux. »² Cette phrase, on pourrait la publier aujourd’hui, sans changer une virgule. Nous sommes bien loin des caricatures de la droite, des politiques obnubilés par le dogme du « pro‑business » ou du MEDEF qui ne cesse de caricaturer notre camp politique. Réaffirmons avec force que la gauche ne se bat pas contre l’entreprise ; elle se bat contre une économie souillée par les exigences d’une rente hors-sol, à l’image d’une agriculture intensive qui saccage tout en ignorant le terrain sur lequel elle œuvre. Notre camp, c’est celui de l’entreprise ancrée qui alimente un écosystème profitant à l’ensemble de ses acteurs. L’économie ne vaut que si elle profite au plus grand nombre.

L’économie utile ne répond pas aux logiques spéculatives. Une entreprise ne doit pas privilégier son cours de Bourse en saccageant le long terme et le territoire sur lequel elle opère. Tout repose sur la justice dans les échanges. Les fruits de l’activité doivent d’abord revenir à celles et ceux qui y consacrent leur temps et leur talent. Le profit doit irriguer les territoires et améliorer les salaires, tout en renforçant les biens communs, au lieu de s’évaporer vers des sommets inaccessibles. Reconstruire cette justice est indispensable pour remettre l’économie au service de la société et non au service d’une caste qui semble invisible mais est très présente.

Cet article affirme une orientation politique assumée : défendre une économie enracinée et durable. Une économie qui s’appuie sur les femmes et les hommes qui produisent et investissent ici. Le cadre posé, des réflexions à venir s’attacheront à construire les outils concrets pour donner corps à cette ambition. Toujours dans le même esprit : faire primer l’ancrage sur la spéculation et préférer le long terme en replaçant l’humain au centre du jeu.

Notes

  1. « La vente de l’usine Samsonite était bien illicite selon la cour d’appel », La Voix du Nord, 17 mai 2018.

  2. Jean Jaurès, « Le capitalisme et la classe moyenne », La Dépêche (Toulouse), 10 mars 1889.

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