Dès les premières heures, l’ambiance change. Dans la cour du palais, les drapeaux européens sont retirés. Sur les chaînes d’info, les visages connus du parti et de ses alliés défilent, le sourire aux lèvres. Jordan Bardella est nommé Premier ministre. Marion Maréchal hérite du ministère de l’Éducation nationale, Sébastien Chenu de l’Intérieur. Surprise : le ministère de la Culture est supprimé, tout comme celui de l’Égalité entre les femmes et les hommes, certaines de leurs missions étant absorbées par d’autres ministères. Le gouvernement, à dominante blanche, masculine et hétérosexuelle, affiche sa loyauté et se met au travail. Les premières semaines donnent le ton : les subventions sont coupées aux associations accusées d’être de gauche ou de favoriser le « communautarisme », les premières dissolutions d’organisations jugées « séparatistes » tombent, et les mesures symboliques s’enchaînent, comme les cérémonies patriotiques orchestrées dans toutes les préfectures, ou encore la diffusion de discours officiels sur les places publiques pour marteler le nouveau récit national. Dans les campagnes et les petites villes, la foule acclame, saluant une reprise en main par l’État. Dans les grandes villes, on manifeste déjà. Les CRS interviennent sans ménagement quand les premières tensions éclatent lors de manifestations organisées par la gauche.
L’été est brûlant, au propre comme au figuré. Dans une atmosphère étouffante, l’Assemblée nationale, où le RN a remporté les législatives et consolidé sa majorité en s’alliant à des députés de la droite classique, adopte à une large majorité la loi dite « tolérance zéro », véritable pivot de son programme sécuritaire. Les peines pour violences sur policiers sont doublées, les contrôles au faciès deviennent la norme et les gardes à vue sont élargies. La majorité pénale est elle abaissée à 16 ans. Des brigades police-armée quadrillent des quartiers entiers. Dans l’hémicycle, François Ruffin s’étrangle : « Vous piétinez l’État de droit. Vous installez le fascisme en France. » Mais la machine continue. La nationalité est désormais soumise à un « contrat d’engagement républicain ». Le droit du sol, autrefois accordé automatiquement aux enfants nés en France de parents étrangers, est abrogé par une réforme constitutionnelle et remplacé par un système de naturalisation sur demande à la majorité, sous conditions strictes de résidence et d’intégration. Les allocations versées aux étrangers extra-européens sont supprimées, une décision présentée comme une mesure de justice sociale en faveur des Français. Dans les rangs de la majorité et d’une parti de la droite classique, on applaudit debout, convaincu d’écrire une page d’histoire.
Aux frontières, les barrières s’érigent et se renforcent chaque semaine. Des brigades spécialisées patrouillent jour et nuit les Alpes et les plages du nord, équipées de drones et de capteurs thermiques. Dans les aéroports et ports, des « zones d’attente renforcées » sont créées, transformant des halls entiers en centres de tri et de rétention. L’immigration légale est drastiquement ramenée à 10 000 personnes par an, tandis que l’asile est réformé pour être traité directement aux frontières, en procédure accélérée. La presse étrangère s’inquiète de voir la France, pays des Lumières, devenir une autocratie recroquevillée sur elle-même. Marine Le Pen, elle, assume et s’en amuse, déclarant lors de sa première conférence de presse du 14 juillet, célébré en grande pompe sur les Champs-Élysées : « Nous faisons simplement ce pourquoi nos concitoyens nous ont élus. Et la France, désormais, protège les siens. »
Les médias aussi changent d’air. Une nouvelle Autorité de régulation de l’information surveille désormais les rédactions, exigeant des comptes sur leurs contenus et impose des sanctions lourdes. Des journalistes indépendants voient leurs blogs suspendus, des sites d’information disparaissent, des émissions satiriques sont retirées des grilles des programmes. L’audiovisuelle publique est privatisée, permettant la suppression d’une partie de la redevance. Ailleurs, les programmes sur la grandeur française fleurissent, tandis que les éditorialistes critiques se font plus rares, réduits au silence par la crainte ou par l’éviction. Un climat ouvertement orwellien, où la surveillance et la propagande sont désormais institutionnalisées et revendiquées comme nécessaires à l’unité nationale.
Dans les écoles, la rentrée est marquée par de nouveaux manuels. L’histoire se recentre sur la « grandeur nationale », la littérature classique revient en force. Les séances d’éducation sexuelle visent à interroger les rapports sociaux de sexe, la hiérarchie entre les sexualités, les normes et les tabous. disparaît, remplacée par des modules sur la famille. Dans la culture, les fonds pour l’art contemporain et les festivals jugés « militants » sont coupés. Dans les mairies rurales, on se félicite de voir des églises restaurées, des statues nettoyées. Mais dès l’automne, des fissures apparaissent. Dans les hôpitaux, l’absence de main-d’œuvre étrangère se fait durement sentir, entraînant des fermetures d’unités et des retards de prise en charge, accentuant la crise du système de santé. Dans les supermarchés, les rayons se vident et les prix de certains produits flambent, conséquence directe des pénuries d’une main-d’œuvre principalement marocaine, tunisienne, roumaine et malienne, dans l’agriculture et la logistique, ainsi que des contrôles accrus aux frontières qui ralentissent les importations. Dans le bâtiment aussi, les chantiers ralentissent ou s’interrompent faute de salariés, aggravant la crise du logement et alimentant la grogne sociale. Des grèves éclatent, réprimées avec violence. Une loi sur la « sécurité économique » permet de réquisitionner les grévistes. L’armée est déployée pour rétablir le calme. Le soir, Jordan Bardella intervient à la télévision : « Nous ne céderons jamais face aux ennemis de l’intérieur qui veulent voir échouer la France. »
À Bruxelles, les critiques pleuvent. La Commission européenne dénonce une « violation des valeurs fondamentales de l’Union » et menace de sanctions budgétaires. La France suspend ses contributions financières à Schengen, annonce un référendum sur la souveraineté et signe un pacte avec la Hongrie et l’Italie, tout en se rapprochant diplomatiquement de la Russie. Elle forme ainsi un front populiste au cœur de l’Europe et affirme sa neutralité bienveillante envers le Kremlin dans ses conflits frontaliers. Le premier voyage officiel de Marine Le Pen la conduit d’ailleurs à Moscou, officiellement pour œuvrer à la paix en Europe de l’est. Mais la presse internationale y voit surtout une mascarade diplomatique destinée à flatter le Kremlin, renforcer ses liens personnels avec Vladimir Poutine et afficher sa rupture assumée avec les positions de l’Union européenne.
À l’automne, la Bourse de Paris décroche, la dette s’aggrave, et des capitaux fuient vers l’étranger. L’économie, fragilisée, connaît un ralentissement généralisé : l’investissement privé chute, les entreprises reportent leurs projets face à l’instabilité politique et sociale, et la croissance stagne, tandis que le chômage repart à la hausse. Le programme économique du Rassemblement national, centré sur la préférence nationale, les taxes aux importations et le retrait partiel des marchés européens, contribue à l’asphyxie du commerce et à la défiance des investisseurs. La consommation des ménages recule et le déficit public se creuse, dans un contexte de sanctions européennes. Dans les rues, les partisans de Marine Le Pen continuent de manifester leur soutien, drapeaux bleu-blanc-rouge à la main. Mais en parallèle, les collectifs d’opposants, composés notamment d’artistes, de syndicalistes et de journalistes dissidents, se replient dans la clandestinité, multipliant les réseaux anonymes pour filmer les abus et documenter les violences d’Etat.
Six mois après l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national deux France se font désormais face. D’un côté, ceux qui acclament la « renaissance nationale », persuadés d’assister enfin à une revanche sur des décennies de renoncements. De l’autre, ceux qui dénoncent une République mutilée et battent le pavé pour tenter d’en préserver l’esprit. Marine Le Pen, imperturbable, martèle lors de ses vœux du Nouvel An : « Ce n’est qu’un début. Nous redonnerons à la France la place qui lui revient. » Mais derrière cette assurance de façade, la réalité politique se tend : le doute s’insinue jusque dans son propre camp alors que les sondages traduisent une lassitude croissante dans la population et l’économie en berne nourrit l’inquiétude. Dans les rangs de la majorité, des voix commencent à plaider pour un assouplissement de la ligne, redoutant une fronde et l’éclatement d’un front jusqu’ici uni.