L’étrange victoire de l’extrême-droite contre la politique

Michaël Foessel et Étienne Ollion signent avec leur ouvrage Une étrange victoire, l’extrême-droite contre la politique une réflexion percutante sur la montée en puissance de l’extrême droite en France. Leur propos prend à contre-pied une idée largement admise, notamment à gauche : le succès du Rassemblement national (RN) ne résulte pas d’une « bataille culturelle » victorieuse.

Michaël Foessel et Étienne Ollion signent avec leur ouvrage Une étrange victoire, l’extrême-droite contre la politique une réflexion percutante sur la montée en puissance de l’extrême droite en France. Leur propos prend à contre-pied une idée largement admise, notamment à gauche : le succès du Rassemblement national (RN) ne résulte pas d’une « bataille culturelle » victorieuse.

Sur quel thème, immigration exceptée, peut-on prétendre que le RN a gagné la bataille des idées ? Comme le démontre Vincent Tiberj dans La droitisation française, mythe et réalités, il n’y a pas de droitisation des électeurs ou des Français. C’est donc autre part qu’il faut rechercher les facteurs de la réussite électorale du RN.

La gauche pense souvent les succès électoraux du RN à la lumière de la nouvelle droite d’Alain de Benoist qui, dans les années 1970, entendait utiliser Gramsci pour conquérir l’hégémonie culturelle à la gauche (avec la revue Éléments et le GRECE, Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne). Cette nouvelle droite faisait le constat d’une « supériorité » intellectuelle de la gauche, du moins d’une domination dans les milieux universitaires, à laquelle la droite devait s’oppose à travers une métapolitique – c’est-à-dire, produire une doctrine capable de dicter « le juste, le bien et le beau » fondée sur de solides argumentations intellectuelles.

Mais pour Michaël Foessel et Étienne Ollion, si l’on souhaite comprendre le succès du RN, ce n’est pas tant du côté de la métapolitique qu’il faut chercher que vers celui de l’infrapolitique. Là réside l’étrangeté de sa victoire : ce n’est pas par une doctrine robuste qu’elle convainc, mais en évitant soigneusement d’en proposer une.

Cette façon de faire est du reste facilitée par une crise profonde de la politique elle-même. Les grands repères qui structuraient autrefois l’espace public – les clivages idéologiques nets entre gauche et droite, un langage commun pour débattre, des cadres d’action partagés – se sont érodés. Ce brouillage général profite à l’extrême droite, qui capitalise sur l’effacement des oppositions classiques. S’il n’y a plus de gauche et de droite, alors il n’y a pas non plus d’extrême-droite. Aujourd’hui, le centre triangule sur son extrême droite (« programme immigrationniste » du NFP, ensauvagement, réarmement démographique, loi immigration, vote de la préférence nationale dans la CMP, etc), la gauche n’est plus sûre de son républicanisme (ou à tout le moins c’est ce qui transparaît dans le discours médiatique, en témoigne la diabolisation de LFI depuis le 7 octobre 2023) et l’extrême droite se dédiabolise (vote constitutionnalisation IVG, en se présentant comme défenseur des Juifs de France, etc). Cela n’aide pas à jouer le « scandale » lorsque le RN est en passe de gagner des élections.

Un autre facteur clé identifié par les auteurs est la transformation du journalisme politique. Autrefois attentif aux idées et aux projets, celui-ci s’est mué en une arène où dominent les analyses stratégiques et les récits de coulisses. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2022, plus de 60 % des articles politiques du Monde comportaient des citations anonymes, off the record, contre seulement 15 % en 1970. La récente candidature d’Emmanuel Grégoire pour la mairie de Paris en 2026, quelques jours après l’adoubement d’Anne Hidalgo envers Rémi Féraud, laisse déjà voir les journalistes politiques saliver, alors qu’on peut légitimement supposer et craindre que de programme, il ne sera pas question. Cette obsession pour les tactiques et les rivalités personnelles relègue au second plan les idées. Résultat : les électeurs ne sont plus confrontés aux propositions concrètes des candidats, ce qui favorise un parti comme le RN, capable de s’imposer par des slogans simplistes et des idées vagues sans que des journalistes n’interrogent Marine Le Pen ou Jordan Bardella sur l’application concrète de leur programme. Pourtant, des contre-exemples existent, comme ces journalistes de France Bleu lors des législatives de 2024 qui ont confronté les candidats RN à leurs programmes, de sorte que ces derniers sont apparus pour ce qu’ils sont : des incompétents doublés de fieffés réactionnaires.

Ce travail médiatique insuffisant est complété par une stratégie rhétorique redoutable du RN, qui valorise le « bon sens populaire » contre les prétendues arguties des intellectuels de gauche. Cette posture anti-élitiste est un puissant levier électoral : elle résonne auprès de ceux qui se sentent exclus des débats complexes et théoriques. Ici, pas besoin de doctrine métapolitique ambitieuse, comme celle développée par Alain de Benoist dans les années 1970. Le RN adopte une stratégie d’opposition systématique : contre le « wokisme », contre « l’écologisme punitif », contre le « néoféminisme ». Chaque fois, il s’agit de s’appuyer sur des exemples isolés et exagérés – ces fameuses « paniques morales » – pour décrédibiliser l’ensemble de la gauche. Ainsi, une anecdote extrême devient l’emblème supposé d’un mouvement entier.

Cette posture s’accompagne d’un polissage stratégique des discours et des idées. Finies les provocations : plus de sortie de l’UE ou de l’euro, plus de racisme biologique ouvert, et une Marine Le Pen qui évite soigneusement les phrases choc. Le RN d’aujourd’hui, aseptisé, joue la carte de la normalisation. Cette prudence, combinée à une rhétorique de rejet, suffit à capter une frange de l’électorat en quête de repères simples et de solutions rapides et, il faut le dire, déçu des trahisons successives de la gauche.

Avec Une étrange victoire, l’extrême-droite contre la politique, Foessel et Ollion ne se contentent pas de diagnostiquer la montée de l’extrême droite ; ils révèlent l’ampleur de la crise politique qui la rend possible. Ce n’est pas une victoire des idées, mais une victoire contre la politique elle-même, contre sa capacité à organiser des débats éclairés et à produire des alternatives ambitieuses. Une victoire étrange, mais redoutablement inquiétante pour l’avenir de notre démocratie.

 

Crédits photo

Le président du Rassemblement national Jordan Bardella, et la présidente du groupe parlementaire du RN, Marine Le Pen, remercient leurs partisans à la fin d’un meeting à Nice, le 6 octobre 2024.
© Laurent Coust/ABACAPRESS.COM

suivez-nous sur les réseaux

#LTR

A lire aussi…

Lire aussi...

Un tout petit effort pour ne rien rater …

Inscrivez-vous à notre newsletter